Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 23 janvier 2007

mardi 23 janvier 2007

Faut-il revoter la loi du 4 avril 2006 ?

Des lecteurs m'ont signalé, sans arrière pensée de leur part, je n'en doute pas, que Ségolène Royal a à nouveau déclaré que l'une des premières réformes qu'elle mettrait en chantier, fût-elle élu à la présidence de la République ET dotée d'une majorité conforme aux élections générales de juin prochain, serait une réforme visant à protéger les femmes victimes de violences et prévoyant notamment l'éloignement immédiat du conjoint violent du domicile conjugal, laissant celui-ci à la disposition de la victime.

Je me souviens que cette proposition avait déjà été formulée il y a quelques temps, et j'avais mis cette annonce sur le compte d'une mauvaise préparation. Errare humanum est.

Mais perseverare diabolicum. Elle a itéré ces propos lors de l'émission Dimanche +, sur le canal éponyme, diffusé le jour éponyme. Merveille de l'internet, ces propos peuvent être ouïs sur Dailymotion.

Là, je tique.

En effet, une loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a été adoptée par le parlement et est entrée en vigueur le 6 avril dernier. L'article 12 de cette loi a modifié un mécanisme instauré par l'article 35 de la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui me semble, sauf à ce que j'aie mal compris, correspondre à la réforme annoncée par la candidate socialiste.

Ce mécanisme est le suivant :

Hypothèse de travail : une infraction est commise par le conjoint, le partenaire d'un PaCS ou un simple concubin de la victime. La loi ne restreint pas son champ d'application aux seules violences. Les faits étant portés à la connaissance de la police, celle-ci interpelle l'auteur présumé et le place en garde à vue selon la procédure de droit commun. Le procureur est immédiatement informé de la mesure.

Le procureur peut, dès le stade de la garde à vue et avant même de prendre une décision sur l'exercice ou non de poursuites pénales, ordonner (la loi dit demander, mais on ne dit jamais non à un procureur quand on est en garde à vue) que l'auteur réside hors du domicile commun et s'abstienne d'y paraître ainsi que dans les abords immédiats. Cette mesure (que j'appellerai désormais "interdiction de paraître", breviatis causa) suspend la prescription de l'action publique (c'est à dire le délai dans lequel le procureur peut déclencher les poursuites, qui est de trois ans à compter des faits). Il peut y ajouter une obligation de traitement, utile dans le cas où les violences sont dues à un état alcoolique ou toxique chronique, ou à une tendance à la violence. Cette loi pose problème d'ailleurs car elle s'inscrit dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites. Or les mesures qui existaient jusqu'à présent étaient par nature limitée dans le temps : il s'agissait d'un simple rappel à la loi instantané, d'une invitation à régulariser la situation illicite, d'indemniser la victime de suivre une formation, ou de procéder à une médiation si la victime est d'accord. Là, il s'agit d'une mesure d'interdiction, restrictive de liberté (une portion du territoire national lui est interdite) et illimitée dans le temps tant que le procureur n'aura pas pris de décision de poursuite ou de classement. La loi ne prévoit aucun délai maximum dans lequel le procureur devra classer le dossier, et la prescription est suspendue. Potentiellement, si le parquet est peu diligent et oublie le dossier, cette interdiction peut donc durer toute la vie de l'auteur présumé des faits, sans qu'il soit jamais jugé, bref, sans qu'on soit certain qu'il est bien l'auteur des faits. Mise à jour : on me signale que le délai de six mois prévu par un autre alinéa du même article du Code de procédure pénale s'applique aussi à cette mesure, qui ne peut donc dépasser cette durée. Source : article 41-1, 6° du Code de procédure pénale.

Le procureur peut également, au titre de la composition pénale, imposer une telle interdiction à l'auteur des faits. La composition pénale, elle, éteint l'action publique (c'est à dire ne permet plus au procureur d'exercer des poursuites) quand les obligations sont respectées et que la composition est validée par le président du tribunal.

Enfin, la même interdiction peut être imposée au titre du contrôle judiciaire par un juge d'instruction ou un juge des libertés et de la détention (mesure provisoire pouvant être rapportée à tout moment, et durant jusqu'à ce que l'affaire soit jugée ou bénéficie d'un non lieu), ou par un tribunal à titre de mise à l'épreuve assortissant une condamnation avec sursis, pour une durée de trois ans maximum.

Illustrons cet exposé de droit pur par des exemples.

1 : Lionel est en garde à vue pour avoir frappé Marie-Georges. Après avoir vécu ensemble de 1997 à 2002, ils se sont séparés et leurs relations sont depuis tumultueuses. Lionel est en garde à vue. Le procureur, estimant les faits peu graves, fait notifier à Lionel l'interdiction de paraître à proximité du domicile de Marie-Georges, place du Colonel Fabien dans le 19e. Six mois plus tard, aucune autre plainte n'ayant eu lieu, et le cas échéant après avoir pris contact avec les policiers ayant traité l'affaire pour s'assurer que le calme régnait à nouveau, il classe le dossier sans suite. En cas de nouvel incident, il a trois ans pour ressortir le dossier et engager des poursuites pour ces faits.

2 : Dominique est en garde à vue pour avoir frappé Michèle qu'il accuse de l'avoir fait cocu avec Nicolas. Le procureur décide de recourir à une médiation pénale, Michèle ayant donné son accord car elle souhaite une réconciliation "dans l'intérêt de toute la famille". Les deux sont convoqués par un délégué du procureur, qui impose une résidence séparée à Monsieur hors de leur résidence commune, rue de Varenne dans le 7e, une obligation de soin pour calmer ses accès de colère incontrôlables dès qu'on lui parle de ce Nicolas, et une mesure de réparation à l'égard de Michèle. Les deux parties étant d'accord, la composition est soumise au président du tribunal pour validation, et les poursuites sont éteintes, tant que les obligations sont respectées. Au bout de trois ans, de facto, la mesure d'interdiction de paraître est caduque du fait de la prescription de l'action publique.

3 : José est en garde à vue pour avoir agressé Clémentine armé d'une faucille et d'un marteau. Clémentine affirme qu'elle vit un véritable harcèlement par José qui veut lui faire faire des trucs à plusieurs. Les faits sont graves (il y a agression avec une arme), José a un casier judiciaire pour des destructions de biens en réunion, et a déjà fait de la prison. José nie les faits, et les armes n'ont pas été retrouvées, il ne peut le faire passer en comparution immédiate. Il décide de requérir l'ouverture d'une instruction. José est déféré au Palais, et présenté au juge d'instruction, qui le met en examen, et le place sous contrôle judiciaire avec l'interdiction de paraître. Autre hypothèse : le juge saisit le juge des libertés et de la détention pour un placement en détention provisoire, mais le JLD décide de le placer simplement sous contrôle judiciaire avec interdiction de paraître.

4 : Jacques est poursuivi pour avoir frappé Bernadette à coup de pièces jaunes. Le procureur cite Jacques devant le tribunal correctionnel. Comme il ne peut faire juger Jacques avant la fin du mois de mai, il le fait déférer, le cite par procès verbal et saisit le JLD aux fins de placement sous contrôle judiciaire (cf. exemple n°3). Fin mai, le tribunal condamne Jacques à une peine d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, et prononce l'interdiction de paraître pour une durée de trois ans.

Pour en revenir à notre récidiviste de la réforme, on peut la blâmer de ne pas mettre ses fiches à jour. Mais au-delà de cette candidate, encore une fois, nous avons une illustration de la manie névrotique en politique française des effets d'annonce.

Ce dispositif a été mis en place une première fois par une loi du 12 décembre 2005. Moins de quatre mois plus tard, le 4 avril 2006, une nouvelle loi venait le modifier. Et huit mois plus tard, une candidate à l'élection présidentielle, parlementaire de surcroît, membre de la commission des lois de surcroît², annonce comme priorité une fois élue de faire voter à nouveau un dispositif similaire. Il est vrai qu'elle était absente de chacune des séances de discussion des deux lois concernées, mais l'ignorance de l'existence de ces deux réformes de moins d'un an est-elle une excuse ?

La lutte contre les violences conjugales mériterait un peu mieux que ce triste cirque.

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