Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 1 juin 2007

vendredi 1 juin 2007

Un petit point sur les réformes des peines plancher et de l'excuse de minorité

Une interview dans Le Monde de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, apporte des informations intéressantes sur les deux réformes en préparation et promises par le président Sarkozy dans son programme : l'instauration de peines plancher pour les récidivistes et la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans.

Et les nouvelles sont plutôt bonnes, à mon goût.

Sur les peines plancher, on est très loin de l'ahurissant projet communiqué aux parlementaires.

Tout d'abord, il n'y aura pas d'automaticité : le juge pourra descendre en-dessous de ce plancher, en motivant spécialement son jugement.

Explication : Depuis le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, le juge qui prononce une peine de prison ferme doit spécialement motiver sa décision de ne pas recourir au sursis. Il ne peut se contenter de dire : "attendu qu'il est coupable, il y a lieu de le condamner à six mois d'emprisonnement". Il faut qu'il ajoute une explication à son jugement. Les formulations les plus fréquentes sont du type "Eu égard à l'extrême gravité des faits", "au trouble à l'ordre public causé par l'infraction", ou "aux antécédents judiciaires du prévenu qui démontrent une délinquance habituelle, une peine de prison ferme paraît seule à même de sanctionner efficacement l'infraction". Depuis la loi Clément du 12 décembre 2005, le juge est dispensé de motivation spéciale pour de la prison ferme si le prévenu est en état de récidive, ce qui ne l'oblige pas pour autant à motiver spécialement une peine autre que l'emprisonnement. C'est l'article 132-19 du Code pénal.

La loi nouvelle imposera désormais au juge qui condamne une personne en état de récidive à expliquer pourquoi il ne prononce pas la peine plancher. C'est une incitation à ne pas se casser la tête et à la prononcer, mais il y a un type dans la salle qui se fera un devoir et un plaisir de fournir au juge une telle motivation clefs en main : l'avocat de la défense.

Exit donc l'effarante affirmation de l'argumentaire aux parlementaires selon laquelle les juges peuvent échapper aux peines plancher, mais seulement en ne déclarant pas coupable le prévenu...

De même, le niveau des peines plancher a été sérieusement revu à la baisse. Exeunt donc la moitié à la première récidive, ce sera un an pour un délit passible de trois ans de prison, deux ans pour un délit passible de cinq ans, trois ans pour un délit passible de sept ans et quatre ans pour un délit passible de dix ans. Quid des délits passibles de six mois, un an et deux ans ? Mystère. Sans doute seront-ils exclus du champ d'application. Pour les crimes, le minimum sera respectivement de cinq ans, sept ans, dix ans et quinze ans pour les actes encourant quinze ans, vingt ans, trente ans et la réclusion à perpétuité (voir ce billet pour des explications sur ces seuils de peine).

L'obligation de motivation spéciale ne pouvant être appliquée devant la cour d'assises, qui ne motive pas ses arrêts, je pense que ce sera remplacé par un vote spécial, ou une majorité qualifiée...

Pour les mineurs, l'excuse de minorité (qui divise par deux le maximum encouru) sera écartée pour les mineurs de 16 à 18 ans en cas de deuxième récidive (donc ils devront avoir été déjà deux fois condamnés définitivement) et seulement pour des crimes portant atteinte aux personnes et des délits graves de violences ou agressions sexuelles. Autant dire sur des cas extrêmement rares. Enfin, la juridiction pourra rétablir le bénéfice de cette excuse par une décision spécialement motivée. Alors qu'aujourd'hui, la juridiction doit prendre une décision spécialement motivée pour écarter l'excuse de minorité, dans le cas où elle souhaite dépasser la moitié de la peine.

Je l'ai déjà dit ici, et je récidive : le législateur peut voter toutes les lois répressives qu'il veut, tant qu'il laisse au juge le pouvoir d'adapter la sanction à chaque cas. Ce sera le cas ici. Tant mieux.

Je relève pour conclure ce passage, qui est une magnifique illustration de la gesticulation législative que je dénonce sans relâche.

La loi du 5 mars sur la prévention de la délinquance a étendu la possibilité d'exclure l'excuse de minorité pour les récidivistes ayant commis des faits graves. Le projet va plus loin.

La loi du 5 mars en question, c'est la loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance, qui avait tant fait parler d'elle. Elle a été promulguée le 5 mars dernier. Le même jour qu'une réforme de la procédure pénale, la loi tendant à renforcer l'équilibre (sic : on renforce un équilibre ??) de la procédure pénale, soit dit en passant.

Et bien moins de trois mois après, le même ministre, devenu président de la République, va faire voter avant la rentrée une nouvelle loi qui va encore plus loin. On peut se demander ce qui lui a échappé au cours des débats parlementaires qui soit devenu une telle urgence quelques semaines plus tard. Surtout quand on constate que cette loi comporte déjà des dispositions aggravant le traitement de la récidive (art. 43), qui n'entreront en vigueur que le 5 mars 2008. Et qui risquent donc d'entrer en conflit avec les dispositions sur le point d'être votées.

Et pendant ce temps, juges, procureurs et avocats griffonneront rageusement les marges de leurs codes d'annotations de mise à jour...

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