Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 8 juin 2007

vendredi 8 juin 2007

Dimanche, on vote

Vu l'apathie qui semble régner à deux jours des législatives, ce rappel me semble nécessaire.

Quelle campagne discrète, après la tonitruante présidentielle...

Il faudra s'y faire, quinquennat oblige. Hormis 2002, où la gauche pouvait avoir l'espoir de gagner aux générales ce qu'elle avait maladroitement perdu à la présidentielle, ce qui avait donné un peu - si peu- d'énergie à un PS sonné, désormais, les élections générales se joueront un mois plus tôt, lorsqu'on élira la tête de l'exécutif.

Et on comprend la morne campagne : le PS est plus que sonné, il est K.O. de cette défaite, qu'il ne peut imputer à personne cette fois ci, et qui n'est pas revêtue de la consolation de 2002 : "Si nous étions arrivé au second tour, on aurait gagné".

L'extrême gauche elle aussi a été balayée, et une addition sur le bout des doigts montre que sa division n'est pas la seule explication. Elle a perdu sa crédibilité, j'ose croire que ce fut un triste mois de mai 2005, et a cru pendant deux ans que ses mensonges marchaient encore.

L'extrême droite ne fait plus peur, et le FN risque de faire un score historiquement faible. Il n'aura de toutes façons aucun député, son président n'ayant, comme d'habitude, même pas pris la peine de se présenter.

Le MoDem de François Bayrou risque de briller par son absence dans l'hémicycle, absence mise en valeur par l'irruption du centre de complaisance d'Hervé Morin.

Bref, de quoi donner envie d'aller à la pêche, et se demander à quoi bon aller glisser un bulletin dans l'urne, surtout pour ceux qui habitent non pas une circonscription mais une forteresse imprenable dont le châtelain a un bail emphytéotique au Palais Bourbon.

Néanmoins, votre bulletin a une certaine importance.

Sachez que les lois sur le financement des partis font que si le candidat à qui vous donnerez votre suffrage appartient à un parti qui a présenté un candidat dans au moins 50 circonscriptions, et que 50 d'entre eux font plus que 1% au premier tour, leur parti recevra au titre du financement de la participation à la vie publique environ 1,66 euros par an par vote obtenu. Donc même si votre candidat est voué à l'échec, c'est un petit coup de pouce que vous lui donnez. Vous comprenez aussi ces étranges candidatures du Parti Humaniste, qui est plus une secte qu'un parti, ou de partis pour les droits des animaux : il ne s'agit pas pour eux d'avoir des élus, mais de toucher leur part du gâteau, avant de se faire oublier jusqu'à la prochaine échéance générale.

Et pour que vous compreniez un peu pourquoi vous irez voter ou non dimanche prochain, et s'il y aura un, deux ou trois bulletins dans 10 jours, voici un résumé des règles électorales.

Il s'agit d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

Uninominal : vous voterez pour un candidat (et son suppléant) et non une liste (comme pour les scrutins à la proportionnelle).

A deux tours : le candidat, pour être élu, doit totaliser la moitié des voix exprimées plus une et représentant le quart des électeurs inscrits. Si ce n'est pas le cas, on parle de ballottage, et il est procédé à un second tour, une semaine plus tard (et non quinze jours comme pour la présidentielle).

Majoritaire : c'est le candidat qui a obtenu le plus de voix au second tour qui est élu.

Vous me direz : il a forcément la moitié des voix plus une !

Nenni. Car il y a des triangulaires et des quadrangulaires.

En effet, pour se maintenir au second tour, il faut avoir obtenu au moins 12,5% des voix des électeurs inscrits. Notez bien : des électeurs inscrits, pas des suffrages exprimés.

Il est parfaitement possible que trois candidats, voire quatre, parviennent à ce niveau. Théoriquement, cela peut aller jusqu'à 8, mais en pratique c'est impossible : des électeurs décédant entre le 31 décembre, date de clôture des listes, et le jour du scrutin, il est impossible d'avoir 100% de votants, sauf en Corse et dans le 5e arrondissement de Paris, où les morts font preuve d'un civisme réputé. En pratique, un second tour à cinq candidats ou plus est quasiment impossible. Il faudrait à la fois une très forte participation et une répartition incroyablement équilibrée des suffrages.

Il peut aussi arriver que si seuls deux candidat peuvent se maintenir, et que son adversaire se désiste en vertu d'un accord. Dans la plus grande tradition des démocraties populaires, il y a donc des élections à candidat unique. Ca m'est arrivé une fois. Le dépouillement le plus ennuyeux de ma vie.

Une faible participation réduit les possibilités de triangulaires, voire quadrangulaires. C'est pourtant dans ces configuration que les petits candidats peuvent espérer l'emporter, car une simple majorité relative suffit et un électorat motivé peut faire la différence.

Aucun candidat n'est tenu de se maintenir s'il a 12,5% des voix. C'est un classique de la politique que d'avoir des accords de désistement, deux candidats convenant que s'ils étaient tous deux qualifiés pour le second tour face à un adversaire considéré comme de l'autre camp, celui arrivé derrière l'autre ne maintenant pas sa candidature et appelant ses électeurs à élire le premier. C'est fréquemment ainsi que se réglaient la répartition des sièges entre l'UDF et l'UMP à droite, et le PS et le PCF à gauche.

Enfin, pour terminer ce petit cours d'éducation civique, un point dont personne ne parle et qui pourtant devrait outrer tout citoyen respectueux de la Constitution. Je ne plaisante pas.

L'article L.125 du code électoral précise que :

Il est procédé à la révision des limites des circonscriptions, en fonction de l'évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation.

Or le découpage actuel résulte de la loi n°86-1197 du 24 novembre 1986. Ce sont les mêmes circonscriptions que lors de la réélection de François Mitterrand. Beaucoup d'électeurs qui vont voter n'étaient pas nés lorsque cette carte a été dressée.

Fins juristes que vous êtes désormais, vous me direz : mais la Constitution impose le renouvellement des députés ; cette impératif constitutionnel étant supérieur à la loi, le scrutin doit avoir lieu nonobstant la violation de l'article L.125, simple loi qui n'a pas le pouvoir d'invalider l'élection de la représentation nationale.

Comme vous avez raison.

Mais les choses se compliquent.

En effet, le Conseil constitutionnel a, le 7 juillet 2005, formulé les observations suivantes (je souligne) :

Le remodelage des circonscriptions législatives

Le Conseil constitutionnel a observé, à propos des élections législatives de 2002, que la recherche de l'égalité rendait ce remodelage nécessaire.

En effet, le découpage actuel résulte de la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés. Il repose sur les données du recensement général de 1982. Depuis lors, deux recensements généraux, intervenus en 1990 et 1999, ont mis en lumière des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution.

Ces disparités ne peuvent que s'accroître avec le temps.

Il incombe donc au législateur de modifier ce découpage. Si cela n'est pas fait avant les prochaines élections législatives, ce qui serait regrettable, cela devra être entrepris au lendemain de celles-ci.

Le mot "regrettable" doit se lire comme signifiant "contraire à la Constitution".

Malheureusement, la personne à l'époque en charge de veiller au respect de la Constitution ayant fait un accident vasculaire cérébral peu de temps après, ce problème est passé à la trappe.

Rien n'ayant été fait, un citoyen, Monsieur Pascal JAN, accessoirement professeur de droit public, s'en est ému auprès du Conseil constitutionnel.

Le conseil lui a répondu que

s'il incombait au législateur, en vertu des dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution, de modifier le tableau des circonscriptions législatives auquel renvoie l'article L. 125 du code électoral, afin de tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis leur dernière délimitation, ...

bref, que oui, les prochaines élections ne respecteront pas la Constitution, mais...

...la non conformité de dispositions législatives à la Constitution ne peut être contestée devant le Conseil constitutionnel que dans les cas et suivant les modalités définis par l'article 61 de la Constitution.

Traduction : oui, ces élections sont contraires à la Constitution, mais cette même Constitution ne nous donne aucun moyen d'y faire quoi que ce soit. La représentation nationale qui va être élue ne respectera pas la Constitution, pas plus que les suivantes, tant que tel ne sera pas le bon plaisir du pouvoir exécutif, qui seul peut mener à bien cette opération de redécoupage.

Voilà qui illustre un de mes dadas, que vous lirez souvent sur ce blogue : l'absence de recours réel pour faire imposer le respect de la Constitution est en France une honte, et un véritable danger pour les libertés. Si une loi contraire à la constitution était votée et n'était pas soumise au contrôle du Conseil constitutionnel par le président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale ou par 60 députés ou 60 sénateurs, la loi entrerait en vigueur et nul n'y pourrait plus rien.

Qu'il me soit permis de rappeler ici que l'ancien Garde des Sceaux avait osé suggéré le 27 septembre 2005 que le parlement se comportât sciemment ainsi pour lui permettre de faire passer une loi pénale rétroactive, sans qu'il ait immédiatement été démis de ses fonctions et incarcéré pour haute trahison (de fait, il est même resté à son poste pendant un an et demi, jusqu'à la démission du gouvernement).

Les Etats-Unis connaissent le possibilité pour tout citoyen d'exiger du pouvoir judiciaire qu'il impose le respect de la constitution aux autres pouvoirs depuis 1803 (c'était le Consulat en France, Napoléon n'était encore que Bonaparte). L'Allemagne l'a instauré en 1948 (devinez pourquoi...). L'Espagne, en 1978 (devinez pourquoi...). La France n'a même pas de pouvoir judiciaire : juste une "autorité"... Combien de temps cette situation durera-t-elle ? Voilà une belle réforme des institutions, qui ferait entrer la France dans le XXe siècle en matière de protection des libertés publiques (oui, je dis bien XXe siècle, notre retard est de plus d'un siècle en la matière).

Désolé pour ce billet un peu fourre-tout, écrit au fil de l'inspiration.

Mais dimanche, allez voter. Vous voyez bien que la démission des citoyens est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.

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