Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 18 septembre 2009

vendredi 18 septembre 2009

Dissolution de la dissolution : réaction en commission des lois

Les députés de la commission des lois ont abordé au cours de la réunion de la commission du 16 septembre dernier l’affaire de la suppression de la peine de dissolution des personnes morales coupables d’escroquerie.

Il ressort des explications du président de la commission, Jean-Luc Warsmann que c’est bien lui qui a introduit cette disposition, qui n’a pas été voulue par la Chancellerie. Au passage, on se demande naïvement de ce que la Chancellerie ait son mot à dire dans une proposition de loi qui est purement parlementaire, la Chancellerie pouvant déposer des projets de loi, et elle ne s’en prive pas. Évidemment, il faut y lire l’aveu de ce que cette proposition de loi a été pour l’essentiel rédigée par les services du Gouvernement.

Le président Warsmann réfute toute influence de l’Église de Scientologie dans cette affaire, et je veux bien le croire. Il explique avoir voulu rétablir une échelle des peines cohérente, ayant relevé huit infractions plus sévèrement punies que l’escroquerie pour lesquelles la dissolution était écartée par la loi. Sauf que la rédaction choisie écarte la dissolution pour l’escroquerie en bande organisée, qui est punie du maximum délictuel (10 ans de prison pour une personne physique). En fait, cette phrase trahit à mon sens ce qu’a été son erreur d’appréciation : après avoir rappelé que personne n’avait parlé de la Scientologie lors des débats (il faut dire que personne n’a parlé de cet article lors des débats), il ajoute

D’autre part, l’incrimination d’escroquerie porte généralement sur des affaires concernant le droit commercial ; quand il s’agit de personnes morales, ce sont plutôt des entreprises qui sont concernées, pas des associations.

Où l’on voit que la droite a toujours pour les entreprises commerciales les yeux de Chimène et pour la justice les yeux de Stevie Wonder.

Le président Warsmann a donc tremblé à l’idée qu’une entreprise condamnée pour une petite escroquerie puisse être dissoute, jetant à la rue des employés innocents. Où l’on voit que l’on peut faire la loi sans avoir une bonne idée de son application. Et que le législateur n’a décidément aucune confiance dans les juges.

La peine de dissolution est la peine de mort des personnes morales. Les juges savent parfaitement tout ce que cela implique. Liquidation du patrimoine qui est dévolu à l’État, licenciement économique du personnel, etc. C’est donc la peine la plus élevée applicable aux personnes morales. Et comme le principe de personnalisation des peines (chaque peine doit être adaptée entre autres à la personnalité et la situation personnelle du condamnée) s’applique aussi aux personnes morales, elle n’est prononcée que dans des cas extrêmes (8 fois ces 10 dernières années). Et qu’est-ce qu’un cas extrême ? C’est une personne morale qui n’a été constituée QUE dans l’objet de réaliser une ou des escroqueries, ou dont la seule activité consiste à réaliser ces escroqueries, qui n’ont aucune utilité sociale (étant entendu qu’une société commerciale a une utilité sociale). Aucun juge n’envisagera un seul moment de dissoudre une société commerciale florissante qui emploie de nombreux salariés parce que son PDG a fait des fausses fiches de paie pour permettre à sa nièce enceinte de bénéficier des indemnités journalières du congé maternité.

Voilà la conséquence tragique de cette défiance du législatif et de l’exécutif envers les juges. En voulant retirer une arme dangereuse aux juges, dont ils n’ont jamais fait un mauvais usage en 15 ans mais on sait jamais, on provoque des conséquences inattendues.

Heureusement, nos parlementaires croient à la vertu de l’exemple et assument courageusement leur responsabilité.

Vous avez deviné, je plaisante. Non seulement Jean-Luc Warsmann va dire que ce n’est pas sa faute, mais en plus il va dire que celui qui a fait une bourde, en fait, c’est le magistrat du parquet.

Vous ne me croyez pas ?

Chapitre un : ce n’est pas ma faute.

D’abord, la vertu outragée, ou, “j’ai peut-être merdé mais ce n’est pas une raison pour me parler comme ça”.

Pourriez-vous faire savoir à M. Ayrault, de ma part, qu’il a dépassé toutes les limites acceptables lors de la conférence de presse qu’il a donnée : suggérer que le président de la Commission des lois que je suis ait pu faire preuve de « complaisance » à l’égard de l’Église de scientologique est proprement écœurant.

Bon, on peut avoir ses susceptibilités, et je veux bien admettre que la violence de l’indignation causée par cette affaire a été disproportionnée à l’égard de Jean-Luc Warsmann, qui a dû en prendre plein la figure. Tout le monde, à commencer par un avocat, et même un député, peut commettre une erreur, ou faire quelque chose sans envisager toutes les conséquences, Que je sache, Jean-Luc Warsmann a une excellente réputation à l’assemblée : c’est un député honorable, actif et bosseur, respectueux de l’opposition et ouvert ; je ne pleurerais pas si l’Assemblée était composée de 577 Jean-Luc Warsmann. Mais commencer par se plaindre quand on est pris en faute n’est pas forcément ce qu’on peut attendre à ce niveau de responsabilité.

Ensuite : c’est pas vraiment moi, c’est plutôt tout le monde.

Comme je l’ai indiqué, la rédaction qui a été adoptée est celle de la proposition de loi que j’avais déposée – je l’assume totalement. Et je le répète : cette disposition n’a jamais fait l’objet de la moindre observation ou de la moindre remarque au cours du processus législatif. Étienne Blanc peut en attester, et c’est également ce que montrent les mails que j’ai de nouveau consultés depuis que cette polémique a été lancée par certaines personnes avant tout préoccupées de se faire de la publicité.

Arrêtez-moi ou je fais un malheur et ce sera votre faute, en somme.

Il est vrai que dans cette affaire, aucun garde-fou n’a fonctionné. Comme on l’a vu, personne n’a eu l’idée de démanteler l’article en question pour réaliser que le 33° pouvait avoir des conséquences sur cette affaire en cours, mais aussi mettre à l’abri tous les mouvements sectaires s’étant rendus coupables d’escroquerie. Mais l’absence de garde-fou effectif n’autorise pas à se comporter comme un fou. Et le fait que tout le monde soit fou à l’assemblée n’est pas non plus une excuse.

Bref, conclut le président Warsmann :

je voudrais remercier ceux qui ont évoqué la notion d’erreur collective et la nécessité d’être solidaire.

Tant il est vrai qu’en politique, on aime assumer les erreurs des autres.

Mais la meilleure défense, c’est l’attaque. Haro sur le baudet. En fait, c’est le procureur qui a fait n’importe quoi.

Chapitre II : Blâmez le procureur

Là, je m’insurge : c’est une atteinte au monopole de la profession d’avocat.

Le problème, vont dire les députés, ce n’est pas que la dissolution ait été supprimé comme un seul homme (un Monsieur Jourdain en l’occurrence), mais que le procureur l’ait requis ! Dame ! S’il avait requis autre chose, personne n’aurait relevé la disparition de la peine.

La première salve vient de Dominique Perben (UMP), ancien garde des sceaux :

Ne simplifions pas à l’extrême : si le Parquet n’a pas suivi l’évolution de la loi, ce n’est pas la faute de la Commission. Il aurait été tout à fait été possible de requérir une mesure d’interdiction. Notre commission n’a pas à endosser une responsabilité qui n’est pas la sienne.

Le Parlement a exercé sa responsabilité ; c’est maintenant à la chancellerie qu’il revient d’expliquer comment le Parquet a pu être conduit à requérir une sanction qui n’existait plus.

Et pourquoi pas saisir le CSM au disciplinaire, pendant qu’on y est ?

Ce n’est plus haro sur le baudet, c’est le coup de pied de l’âne. L’assemblée connaît ses classiques.

Jean-Luc Warsmann n’a plus qu’à jouer les grands seigneurs en volant au secours du parquetier, sans oublier quand même de froncer les sourcils : il a en effet horreur des erreurs des autres.

S’agissant des réquisitions du Parquet, on peut penser que le magistrat concerné s’est servi d’une version « papier » du code, qui n’était pas à jour, au lieu de consulter la version électronique. Sans cela, le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie. L’intérêt de cette mesure est qu’elle permet de viser les activités localisées dans d’autres pays que le nôtre, contrairement à la peine de dissolution. Si le Parquet avait requis cette mesure, aucune polémique n’aurait vu le jour ; la presse aurait sans doute trouvé, au contraire, que le Parquet y allait fort.

Comme Dominique Perben, je souhaiterais que la chancellerie nous explique ce qui s’est passé au Parquet de Paris : comment se fait-il qu’une peine n’existant plus ait été requise ?

Mais il n’y a qu’à demander, monsieur le président. Parce que les magistrats ne lisent pas mieux le JO que les députés ne lisent les propositions de loi. Les parquetiers n’ont pas le temps de prendre leur stylo et de griffonner en marge de leurs codes tous les changements géniaux que vous votez sans réfléchir. Le seul article 124, celui qui contenait la disposition funeste, modifie 53 articles du code pénal (et deux du code de procédure pénale). Et la version électronique met quelques semaines à être mise à jour. Enfin, vu que personne n’a réalisé ce qu’il votait, qui donc était censé avertir le procureur qu’une peine avait disparu à quinze jours de l’audience ? Rappelons que même l’avocat de la Scientologie n’avait pas soulevé dans sa plaidoirie que la peine requise était juridiquement impossible.

Là, je trouve Jean-Luc Warsmann gonflé, et je pèse mes mots.

Non seulement il n’assume pas sa responsabilité bien qu’il affirme le contraire puisque pour lui, c’est une responsabilité collective (et quand c’est la faute à tout le monde, c’est la faute à personne), mais en plus, il se scandalise que le parquet ne réalise pas immédiatement ce que lui même ne réalisera que quand la MIVILUDES sortira l’affaire.

C’est un peu comme l’affaire Hortefeux : la faute est lamentable mais excusable ; ce qui est pire que tout, ce sont les excuses invoquées. Un épisode qui ne grandit pas ceux qui y sont mêlés.

Et pour les fines bouches, il y a un chapitre 3.

Chapitre 3 : de toutes façons, il y a pire : il y a une peine moindre.

Plusieurs intervenants vont se rassurer en disant que de toutes façons, il reste la possibilité de prononcer la peine d’interdiction d’exercice, qui à la limite serait même mieux que la dissolution (on se demande alors pourquoi cet empressement à la rétablir).

Jean-Paul Garraud (UMP) :

Que le Parquet ait commis une erreur dans ses réquisitions, comme cela arrive parfois, cela n’empêchera nullement la juridiction de jugement de prononcer des peines d’interdiction à l’encontre de l’association en cause, ce qui aura à peu près le même effet.

“À peu près”. On appréciera la rigueur juridique du législateur en action.

Daniel Vaillant (SRC) :

Mais force est de reconnaître qu’il existe un véritable problème, lequel ne résume pas à une défaillance de vigilance sur ce texte. Le Parquet n’a pas fait les réquisitions qui convenaient. Nous devons également nous demander, sur le fond, si la dissolution est un meilleur instrument de lutte contre les sectes que l’interdiction.

Heureusement, toute raison n’a pas encore déserté le Palais-Bourbon :

Alain Vidalies (SRC) :

D’un point de vue juridique, on ne peut pas prétendre, comme l’a suggéré Jean-Paul Garraud, que l’interdiction emporte des effets identiques à ceux d’une dissolution. Si la loi faisait mention de deux peines distinctes, c’est qu’il y avait une différence de degré. J’aimerais savoir ce qu’en pensent les membres de l’UMP ici présents : sont-ils d’accord avec la garde des sceaux, qui affirmait hier la nécessité de réintroduire la dissolution dans l’arsenal pénal ? Il me semble que c’est notre devoir de le faire.

François Bayrou (non inscrit) :

Il me vient toutefois une question de Béotien : la dissolution n’emporte-t-elle pas une conséquence différente en matière patrimoniale ? Si tel est le cas, on voit quel est l’intérêt pour les entités relevant de la scientologie d’échapper à la dissolution.

Les critiques sont pertinentes. La dissolution et l’interdiction ne sont pas du tout la même chose.

C’est pourtant ce que vont tenter de démontrer Jean-Luc Warsmann et Étienne Blanc, les Laurel et Hardy de la séance :

Jean-Luc Warsmann :

Le Parquet aurait pu requérir une interdiction d’exercer directement ou indirectement toute activité en France à l’encontre de l’Église de scientologie.

Amusant d’ouïr le président fustiger ce procureur qui requiert des peines illégales avant de lui suggérer de requérir une peine illégale.

L’article 131-39, 2° du code pénal prévoit la peine d’interdiction, ainsi définie. le tribunal peut prononcer

2° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;

Une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. La loi ne permet pas de prononcer une interdiction de toute activité. Seulement de certaines, celles qui ont permis la commission de l’infraction. Et comment définit-on une activité sectaire ? Un tribunal ne peut pas interdire à l’Église d’enseigner la dianétique, l’enseignement de la parole de L. Ron Hubbard ou la fascinante vie et œuvre de Xenu, dictateur de la Confédération galactique qui a commis un génocide sur notre planète à coups de bombes nucléaires dans les volcans de Hawaï (je n’invente rien). Ce ne sont pas des activités professionnelles ou sociales, et la liberté de conscience s’y oppose.

Étienne Blanc : 

Les faits reprochés à l’Église de scientologie sont susceptibles de recevoir plusieurs qualifications juridiques. Elle est poursuivie pour escroquerie, mais elle pourrait également l’être pour abus de biens sociaux et pour vol.

Heu… Non. D’abord, la qualification des faits a fait l’objet d’un débat au cours de l’instruction, et si d’autres qualifications étaient possibles, elles auraient pu être relevées jusquà la clôture des débats. Ensuite, l’Église de scientologie étant une association, elle ne peut commettre d’abus de biens sociaux, réservé aux dirigeants de droit et de fait de sociétés commerciales de capitaux (S.A., SARL, SAS). Et ça donne des leçons aux parquetiers. 

S’agissant de l’Église de scientologie, organisation qui dispose de ramifications partout dans le monde – au Danemark, en Suisse ou encore en Belgique –, l’arme de la dissolution ne serait qu’un sabre de bois : nous ne pouvons pas dissoudre des associations ayant leur siège dans des pays étrangers. L’outil le plus opérant, c’est l’interdiction d’exercer ses activités.

Eh oui : on ne peut pas dissoudre des assocations situées à l’étranger mais on peut leur interdire toute activité. Magie vaudou. 

Argument à côté de la plaque : l’Église de Scientologie est composée en France d’associations loi 1901 toutes domiciliées sur le territoire de la République. Il suffit de lire le JO

Mais laissons travailler les députés. Ils doivent encore adopter définitivement la loi HADOPI 2, pour nous montrer que quand ils veulent, ils peuvent faire du bon travail. 

Heu, non, oubliez ce que je viens de dire.

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