Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 11 février 2010

jeudi 11 février 2010

20 ans

Tout simplement parce que ça fait 20 ans aujourd’hui et que tous ceux qui ont vécu ce jour s’en souviennent comme si c’était hier.

Et que nous avons tant dansé sur cette chanson (que je n’arrive pas à insérer dans ce billet, pourtant la balise <object> est bien fermée).

La chambre de l'instruction de Paris juge la garde à vue sans avocat conforme à la CEDH

Par un  arrêt du 9 février 2010, la chambre de l’instruction (pôle 7 chambre 5) a rejeté une requête en annulation de pièces d’une instruction qui se fondait sur la jurisprudence récente de la cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Son argumentation est intéressante, et mérite vraiment d’être attaquée par la voie d’un pourvoi en cassation, qui permettrait à la haute juridiction de trancher le débat en cours, et je l’espère dans un sens funeste à cet arrêt, dont je ne partage pas, et de loin, les conclusions.

En voici les passages pertinents. Mes commentaires sont en italique. Les passages importants sont graissés par votre serviteur. Le mot “cour” indiquera toujours la cour d’appel de Paris, la cour européenne des droits de l’homme sera désignée par son acronyme CEDH pour éviter toute confusion.


 

 

ARRÊT DU 9 Février 2010

 

 

COUR D’APPEL DE PARIS

 

PÔLE 7

 

CINQUIÈME CHAMBRE DE L’INSTRUCTION

 

 

ARRÊT SUR REQUÊTE EN ANNULATION DE PIÈCES

 


 

 (…)

 

La cour commence par rejeter un argument tiré de la Résolution (73)5 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe édictant les règles minimales de traitement des détenus, en écartant tout bonnement le texte sans même l’examiner.  

 

            Considérant que les règles minimales édictées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe non reprises par une convention internationale n’ont pas de valeur juridique en tant que telles, et constituent de simples recommandations ;


Argument de pur droit, presque rien à redire. Si ce n’est que cette résolution a été prise dans le cadre du conflit d’Irlande du Nord et visait à émettre des directives à l’égard de l’armée britannique qui se livrait sur les militants pro-IRA à des actes de torture caractérisés. La cour d’appel estime donc qu’il n’y a pas à se demander si la France respecte ces “simples recommandations”. Il est permis de le regretter. le juge peut tout à fait s’inspirer de ces recommandations au moment d’interpréter et d’appliquer la loi. La CEDH ne se prive pas de tenir compte de ces recommandations : cf. arrêt Salduz, §55.


Autre argument écarté par la cour : les arrêts Salduz, Dayanan, et compagnie posent des principes applicables en France. Là, la position de la cour est pour le moins audacieuse. 

             Considérant qu’en application de l’article 46 de la Convention Européenne des droits de l’homme, seules les Hautes parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour (Européenne de Strasbourg) dans les litiges auxquels elle sont parties, que tel n’est pas le cas en l’espèce des décisions citées  par la défense dans sa requête, sauf celle du 23 novembre 1993 Poitrimol c/ France, dont cependant  elle n’explicite pas  les termes pertinents et applicables en l’espèce ;

On retrouve ici un argument tenu par la Chancellerie : les arrêts Salduz et Dayanan concerneraient la Turquie et pas la France, donc ils ne sont pas pertinents. Le voir repris dans un arrêt de cour d’appel me chiffonne nettement plus, tant on sait que la CEDH applique les mêmes principes à tous les États membres. Il aurait suffit que la  cour d’appel lût l’arrêt Salduz pour voir ainsi que la CEDH invoque à l’appui de sa décision des arrêts qu’elle a antérieurement rendus contre la Suisse, la Bulgarie, le Royaume-Uni, l’Autriche et… la France. C’est un peu comme si la cour d’appel refusait d’appliquer la jurisprudence de la cour de cassation au motif que ses arrêts ne concerneraient que les parties en cause.

Quant au fait que la requête en annulation n’explicite pas les “termes pertinents et applicables en l’espèce” de ces décisions, je suis ravi d’éclairer la cour d’appel : c’est au §34 de l’arrêt que la CEDH dit que “Quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable.” Cette formule est reprise mot à mot dans l’arrêt Salduz au §51, en se référant expressément à l’arrêt Poitrimol. La cour dit donc clairement que ce dernier arrêt n’est qu’une application des principes du premier. La différence est que l’arrêt Poitrimol portait sur le droit à comparaître devant un tribunal, et Salduz sur l’assistance en garde à vue. Point sur lequel la CEDH précise : « À cet égard, il ne faut pas oublier que la Convention a pour but de « protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’accusé ». Ça me paraît pourtant clair.


             Considérant que la défense, au soutien de sa requête se réfère essentiellement à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et plus spécialement aux dispositions de son alinéa 3, pour affirmer que la Convention a pour but de “protéger des droits non théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs”, et que la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance, elle en déduit que l’article 6 exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police, laquelle défense, admet  cependant que l’article 6 paragraphe 3 c) ne précise pas les conditions d’exercice du droit qu’il consacre, et concède que ce droit peut toutefois être soumis à des restrictions “pour des raisons valables”, dit-elle , sans citer les arrêts des 27 novembre 2008 (Arrêt Salduz) et 13 novembre 2009 (Arrêt Dayanan)de la Cour Européenne ;


            Considérant que X a été  placé en garde à vue, le 12 mai 2009 à 6h10, que cette garde à vue a été prolongée une première fois pour 24h00, le 12 mai à 23h05 et, à nouveau prolongée le même jour à 22h05, pour finalement être levée le 14 mai à 11h50, soit avant l’expiration du délai légal de 72 heures, heure au delà de laquelle, le droit à l’assistance d’un avocat pouvait être régulièrement exercé, conformément aux dispositions des articles 63, 63-4, 706-73 et 706-88 du code de procédure pénale ;

Nous étions donc dans le cadre d’une procédure dérogatoire, sans droit à l’avocat pendant trois jours. Comme précisément celle de l’arrêt Salduz.

 

            Considérant qu’il résulte de la lecture des procès verbaux de placement en garde à vue et de prolongation de cette mesure , que les droits du gardé à vue ont été notifiés régulièrement à X , conformément aux dispositions de l’article 64 du code de procédure pénale, et que celui-ci a pu régulièrement et effectivement  les  exercer , conformément à ses souhaits (avis à famille, examen médical) ;

 

            Considérant que le paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention Européenne des droits de l’homme dit:

 

« Tout accusé a droit notamment à:

« a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

« b)disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ,

« c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

« d)interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

                                                                                 

            Considérant que les dispositions actuelles du code de procédure pénale consacrent le principe que toute personne placée en garde à vue peut avoir accès à un avocat avec lequel elle peut s’entretenir, dès le début de cette mesure (article 63-4 et 154 du code de procédure pénale) , que l’effectivité de ce droit est réelle, l’avocat étant avisé de la nature et de la date des faits , cet entretien pouvant durer 30 minutes ,cette faculté étant renouvelée à chaque prolongation de la mesure ;

 Là, je m’étrangle en lisant ça. Et si la cour ne connaissait d’un dossier que la date et la nature des faits, s’estimerait-elle réellement et effectivement en état de juger ? Non, n’est-ce pas ? Alors comment un avocat dans cette situation est-il censé être en état d’assurer réellement et effectivement les droits de la défense ?


            Considérant que notre droit prévoit une intervention différée de l’avocat lorsque le gardé à vue est mis en cause pour certaines infractions relevant de la criminalité organisée, du terrorisme, ou encore, comme en l’espèce, pour infraction à la législation sur les stupéfiants, ensemble d’infractions estimées  d’une particulière gravité ;

 Comme le prévoyait le Code de procédure pénale turc. Qui a depuis été modifié pour être mis en conformité avec les droits de l’homme. 


            Considérant, ainsi que le concède la défense, que ces restrictions ne sont pas contraires à l’article 6 paraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et aux interprétations qu’en a fait la Cour Européenne de Strasbourg, qui admet les exceptions au principe de l’exercice du droit à un avocat, s’il est démontré, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ;

 Ah, pardon. Si en effet la cour dit bien que “Ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables”, c’est dans l’arrêt Salduz c. Turquie (§52), or la cour a dit plus haut que selon elle l’art. 46 de la Convention limitait l’effet de l’arrêt Salduz à la Turquie. Là aussi, il faudrait savoir. On ne peut pas dire qu’un arrêt s’applique à la Turquie quand il est favorable à la défense et à la France quand il soutient l’accusation. 


            Considérant que la participation à un trafic de stupéfiants constitue une infraction particulièrement grave de par ses conséquences, entre autres, sur la santé publique, de telle sorte que les restrictions temporaires instituées poursuivent une préoccupation légitime, apparaissent proportionnées à l’objectif social, tel que voulu par le législateur ; et ne se montrent   pas contraire au principe du procès équitable;

Pour ma part, j’ai tendance à penser que le meurtre a plus d’impact sur la santé publique que la toxicomanie, mais je ne suis pas médecin ni conseiller de cour d’appel. Puisque je ne suis que juriste, une question de droit : en quoi la gravité des conséquences d’une infraction justifierait-elle une restriction des droits de la défense ? Jamais la cour européenne des droits de l’homme n’a dit une telle chose, qui permet d’écarter la garantie des droits de la défense pour toutes les infractions graves, ne laissant le droit à un avocat qu’aux peccadilles et délits mineurs. C’est à dire en fait à toutes les infractions qui ne sont jamais soumises à une chambre de l’instruction. 

 

            Considérant enfin qu’en l’espèce, la mise en examen de  X n’a pas été uniquement fondée à partir de ses déclarations faites en garde à vue, mais aussi au regard d’autres indices graves ou concordants, tels les interceptions téléphoniques, les résultats positifs des perquisitions et les déclarations des autres protagonistes, que dès lors le requérant , qui n’encourt pas le risque d’être condamné au vu de ses seules déclarations initiales recueillies en garde à vue, pourra bénéficier d’un procès équitable ;

Fort bien, il y a d’autres éléments à l’appui de l’accusation. En quoi cela dispenserait-il d’annuler les déclarations obtenues en garde à vue ? Que la cour les annule, et on verra si le tribunal correctionnel trouvera dans ce qui reste de quoi fonder une condamnation. La Convention européenne des droits de l’homme n’est pas censée ne s’appliquer qu’aux accusés dont l’innocence est établie. 

 

            Considérant en conséquence que l’ensemble des droits et règles régissant la garde à vue ont été en l’espèce respectés, que les procès verbaux y afférent comme toutes pièces de la procédure subséquentes sont réguliers, que la requête en nullité sera rejetée dans son intégralité, et que la procédure , qui n’est pas entachée d’autres irrégularités , est régulière jusqu’à la cote D2958 ; (…)


 Cet arrêt de la cour d’appel est intéressant, car il a eu la vertu de renforcer ma conviction sur la non conformité du droit français, particulièrement les procédures dérogatoires, à la Convention européenne des droits de l’homme. Quand on voit l’argumentation déployée par la cour, qui est contradictoire en ce qu’elle écarte des arrêts de la CEDH qui ne concerneraient pas la France avant de les invoquer quand ils disent qu’ils admettent des exceptions, et se prononce sur la pertinence de ces exceptions par des motifs généraux et vagues quand la CEDH exige pour admettre des exceptions des justifications fondées sur les circonstances particulières de l’espèce. 

Qu’une cause soit si mal défendue révèle qu’elle est perdue. J’espère que mon confrère va se pourvoir en cassation et l’encourage vivement à le faire. 

Et si le salut ne venait pas du Quai de l’Horloge, Strasbourg est si belle au printemps.

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