Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 20 septembre 2010

lundi 20 septembre 2010

Menace démagogique : alerte maximale

Un vent de panique souffle dans les antichambres des ministères, à l’approche d’un remaniement annoncé, avec des affaires qui commencent à faire résonner le doux tintinnabulement des casseroles, des sondages plus bas que des mineurs chiliens, et une opération “sus aux Roms” qui tourne au fiasco diplomatique majeur. 

Dernier avatar du sauve-qui-peut : le ministre de l’intérieur, qui sent que sa fidélité canine au président risque de ne pas peser très lourd tant son passif commence à être aussi chargé qu’un animateur de France Télévision, vient de faire trois propositions dans le domaine judiciaire où la démagogie le dispute à l’absurde.

En somme, il a jeté ses cochonneries dans mon jardin.

Je ne vais pas laisser passer cela, même si je ne vais pas consacrer à ces sottises plus de temps que nécessaire, tant vous allez voir que ces propositions sont du vent, destinés à alimenter les plateaux télé en débats inutiles pendant qu’on oublie qu’il y a encore un ministre du travail.

Première proposition : Adjoindre des jurys populaires aux juridictions d’application des peines.

Là, comme le fait pertinemment remarquer mon confrère Maître Mô, ce n’est pas aller assez loin. il y a encore des risques que des gens sortent. il faudra veiller à ce que ces jurés ne soient autres que les victimes elles mêmes, et là, on sera bordé. c’est vraiment des amateurs, Place Beauvau. 

Les juridictions d’application des peines sont au nombre de deux : le juge d’application des peines (JAP) et les tribunaux d’Application des Peines (TAP). Pour faire simple : les JAP statuent seuls sur les dossiers les moins graves (peines inférieures à 10 ans ou moins de 3 ans restant à effectuer), les TAP, composés de trois juges, sur les dossiers les plus graves.

Je simplifie énormément, j’implore le pardon des JAP (et ex-JAP…) qui me lisent, mais un exposé du droit de l’application des peines serait faire trop d’honneur aux sottises de l’Auvergnat.

Ils statuent sur toutes les demandes liées à l’exécution d’une peine, et seulement à cette exécution. Ils ne peuvent en aucun cas statuer sur une difficulté liée à la peine elle-même : le contentieux de la peine appartient exclusivement à la juridiction qui l’a prononcée. 

Il s’agit principalement de l’aménagement des peines, si le condamné est encore libre, et des réductions de peines et libérations conditionnelles pour les condamnés incarcérés.

C’est un contentieux très technique (je mets tous les prix Nobel au défi de calculer de tête une mi-peine), profondément réformé en 2004 et en 2009 (j’y reviens…). Il s’agit d’évaluer le comportement du condamné en détention (l’administration pénitentiaire participe à la prise de décision), la solidité du projet de sortie (domicile, emploi, motivation du condamné, situation familiale), au vu des pièces produites par la défense, des rapports de l’administration pénitentiaire (dossier disciplinaire, activités, formation suivies) et parfois des expertises médicales (traitement suivi). 

Or un jury populaire ne peut s’envisager sérieusement que pour une procédure orale, comme l’est celle de la cour d’assises. Tous les éléments doivent être débattus oralement, les experts doivent être présents pour répondre aux questions, de même que le futur employeur, la famille, etc. 

En 2009, d’après les Chiffres clés de la justice (statistiques officielles du ministère), les cours d’assises ont traité 3 345 affaires, dont une petite partie traité sans jury (appel sur la seule condamnation civile, accusé en fuite…les stats ne distinguent pas). 

Sur le même laps de temps, les juridictions d’application des peines ont rendu 80 490 décisions directement liées à la liberté d’un condamné à de la prison ferme (les deux tiers étant des permissions de sortie).

Le fait que le ministre ait balancé sa fusée intellectuelle sans expliquer comment les jurys populaires vont pouvoir traiter 24 fois plus de dossiers, ni comment cela va être financé, sans même aborder le sujet de la formation des jurés à un droit technique, montre bien d’une part qu’il n’accorde pas le moindre sérieux à cette proposition, et d’autre part qu’il aurait tort de le faire puisqu’aucun journaliste n’a de toutes façons posé la question. 

Il a un temps été question de faire de même pour les tribunaux correctionnels. Là, j’y serais presque favorable. La tendance étant à augmenter sans cesse le domaine du juge unique en matière correctionnelle, ce retour de la collégialité serait somme toute une bonne chose. Juste un détail : en 2009, ce sont 584 549 décisions qui ont été rendues par les tribunaux correctionnels. Et un procès ordinaire en correctionnelle, ça prend de 20 minutes (comparution immédiate) à une demi journée. Parce qu’entre avocats et magistrats, on peut rentrer de plain-pied dans le débat technique. avec des jurés, il faudra compter le même laps de temps rien que pour faire de la pédagogie aux jurés. Et leur laisser le temps de préparer les dossiers (le dossier Clearstream, c’est 42 tomes, soit au bas mot 21 000 pages). On fait comment, m’sieur Hortefeux ?

Deuxième proposition : L’élection des juges d’application des peines.

La France connaît déjà des juges élus : les juges des tribunaux de commerce (litiges entre commerçants, redressement et liquidation des entreprises), et les conseillers prud’hommes (litiges individuels du travail). L’abstention y connaît des records impressionnants. 74% aux prud’hommales de 2008, malgré la mobilisation des syndicats pour qui cette élection est très importante ; quant aux élections des tribunaux de commerce, les juges élus n’ont généralement même pas de liste concurrente face à eux. On ne manque pas d’électeurs, on manque de candidats (il faut dire que les fonctions sont bénévoles…).

Oh oui, oh oui, confions des questions de sécurité publique à des juges élus ainsi, quelle bonne idée.

Troisième proposition : suppression de l’aménagement des peines de moins de deux ans.

Le Code de procédure pénale prévoit qu’une personne condamnée à une peine de prison ferme n’est en principe pas incarcérée immédiatement. Il y a trois exceptions : en comparution immédiate, le condamné peut être incarcéré sur ordre du tribunal quel que soit le quantum de la peine prononcée ; si la peine est au moins égale à un an, sur décision spéciale et motivée du tribunal (on dit décerner mandat de dépôt à la barre) ; et si le condamné est en état de récidive, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sur décision spéciale du tribunal qui n’a pas à être motivée (c’est même le fait de ne pas recourir au mandat dépôt qui doit parfois être motivé…).

Si le condamné est laissé libre et que sa peine ne dépasse pas deux ans, il doit être reçu par le juge d’application des peines (en principe, on lui remet une convocation dès le prononcé de la condamnation) pour envisager un aménagement de peine qui évitera l’incarcération sèche. Cela peut être un placement sous bracelet électronique, une semi détention (il sort la journée pour aller travailler et passe ses soirées et nuits en détention), un fractionnement de la peine (pour la purger en plusieurs fois), etc. La palette est vaste. Cela évite le caractère désocialisant de la détention (surtout si le condamné a un travail), et lutte aussi contre la surpopulation carcérale (rappel : au 1er janvier 2010, il y avait 54 988 places pour 60 978 détenus). 

Le ministre de l’intérieur n’a pas de mots assez durs pour critiquer cet état de fait : “Avoir quasiment l’assurance de ne pas effectuer sa peine de prison, quand on est condamné à moins de deux ans, est un dispositif parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes” (cité par LePoint.fr).

Juste un petit problème : cette limite de deux ans pour l’aménagement a été mise en place par ce même gouvernement, il y a moins d’un an (avant, c’était seulement les peines inférieures ou égales à un an) : Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite loi pénitentiaire, article 84.

Rappelons à Brice Hortefeux que quand cette loi était encore devant le parlement, le ministre de l’intérieur s’appelait Brice Hortefeux, et que c’est donc à lui qu’il faut s’en prendre si une loi parfaitement inadmissible pour les citoyens et totalement incompréhensible pour les policiers et les gendarmes a été votée.

Sur ce point, je serai d’accord avec Brice Hortefeux : c’est inadmissible, la démission s’impose.

Car pour ce qui est de se moquer du peuple, visiblement, l’impunité est de rigueur.

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