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Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 17 septembre 2010

vendredi 17 septembre 2010

L'arrêt de la chambre de l'instruction de Grenoble (Affaire du casino d'Uriage)

La cour d’appel de Grenoble a rendu ce jour un arrêt confirmant le maintien en liberté sous contrôle judiciaire de Moncif G., mis en examen dans l’affaire du braquage du casino d’Uriage.

Je laisserai aboyer le ministre de l’intérieur, que j’ai connu plus discret sur certaines décisions de justice, et vous propose de vous faire une opinion. Voici le texte de cet arrêt, la partie expliquant le raisonnement de la cour. Je l’aurais bien publié en intégralité (anonymisé bien sûr) mais l’arrêt fait 17 pages. Fort intéressantes au demeurant puisque tous les faits sont décortiqués, c’est un vrai roman policier. Mais 17 pages quand même.

Ne manquez pas le paragraphe sur le trouble à l’ordre public, en toute fin d’arrêt. Il vaut son pesant de Codes de procédure pénale.

Vous constaterez en tout cas, que vous approuviez ou non sa décision, que la cour a statué en droit, en s’appuyant sur les faits, et que l’idéologie est absente de son propos, contrairement à tous ceux qui précisément dénoncent, c’est amusant, l’idéologie chez autrui. Les esprits serviles ont du mal à concevoir qu’il en existe des libres.

Ai-je besoin de dire que j’approuve pleinement cet arrêt, que j’invite les magistrats de la chambre de l’instruction de ma cour d’appel à lire avec intérêt, et, si possible, profit. Vous pouvez aussi lire le commentaire de Pascale Robert-Diard sur son blog.



COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Chambre de l’Instruction
2010/00361
N° 2010/00
Audience de la cour d’Appel de GRENOBLE, chambre de l’Instruction, tenue en audience publique le NEUF SEPTEMBRE DEUX MIL DIX, délibéré du SEIZE SEPTEMBRE DEUX MIL DIX

(…)

SUR QUOI, LA COUR : 

Attendu que l’appel a été formé dans les conditions de temps et de forme prescrites à l’article 186 du code de procédure pénale ; qu’il est donc recevable ;

Attendu que l’article 137 du code de procédure pénale pose le principe de la présomption d’innocence de toute personne mise en examen, qui, à ce titre, reste libre ; que le contrôle judiciaire peut toutefois être ordonné en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté ; que lorsque les obligations du contrôle judiciaire se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, il est permis d’envisager, à titre exceptionnel, un placement en détention provisoire ;

Que dans ce cas la détention ne peut être ordonnée, ou prolongée, que par référence aux seules dispositions des articles 143-1 et 144 du même code ;

Que l’article 144 du code de procédure pénale dispose en outre que la détention ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à sept objectifs qu’elle définit limitativement, et qui ne pourraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ;

Que cependant, l’appréciation du caractère insuffisant des obligations du contrôle judiciaire ainsi que des objectifs que seule la détention provisoire permettrait d’atteindre, ne peut se faire sans référence aux éléments objectifs du dossier ; qu’il convient d’ailleurs de relever à cet égard que lors de l’audience, tant le ministère public que la défense ont longuement évoqué ces éléments ;

Qu’il importe donc, au vu de ces considérations, d’examiner les différents objectifs spécifiés par l’article 144, étant précisé que ces critères doivent être appréciés, non au jour des faits ni au jour auquel le juge des libertés et de la détention a statué, mais au jour de la présente décision :

► conserver les preuves et indices :

Attendu que les enquêteurs ont pris le soin, tant au moment des constatations que par la suite, lors de l’accomplissement des différents actes de la procédure, de recueillir scrupuleusement tous les indices matériels pouvant être utiles à la manifestation de la vérité ; qu’ils ont notamment, dès le début de l’enquête, saisi et placé sous scellés les armes utilisées, le véhicule des malfaiteurs, le produit du vol ; qu’ils ont, à l’occasion des interrogatoires de plusieurs personnes pouvant intéresser l’enquête, procédé à des prélèvements ;

 

Que la situation est donc figée à cet égard ; que ce critère sera écarté ;

► empêcher les pressions sur les témoins et les victimes :

Attendu qu’au terme d’une enquête judiciaire sérieuse, approfondie et minutieuse, mais handicapée par le manque de temps et les pressantes incitations à interpeller rapidement le complice en fuite, les policiers n’ont pu recueillir aucune mise en cause expresse de Moncif G. ; que les témoins directs des différentes scènes relatives aux faits ont été entendus (employés et clients du Casino d’URIAGE LES BAINS, policiers) ; que leurs versions concordent et sont par ailleurs corroborées par d’autres éléments de l’enquête (enregistrements de vidéo-surveillance, constatations matérielles) ;

Que les différentes personnes entendues au cours de la procédure, soit “spontanément”, soit sur initiative des enquêteurs, ont pour la plupart réitéré leurs déclarations, même si des petites divergences subsistent ;

Que si les magistrats instructeurs doivent procéder à des auditions, voire des confrontations, pour vérifier les alibis fournis par certains témoins, le risque de pression peut être sérieusement écarté dans la mesure où, entre la date des faits et l’interpellation du mis en examen, plus de six semaines se sont écoulées pendant lesquelles, ce dernier, pratiquement toujours dans la région, a eu la possibilité d’entrer en contact avec les témoins, sans qu’il soit allégué ou qu’il ait été observé qu’il l’ait fait ;

► empêcher une concertation frauduleuse :

Attendu que tous les éléments de l’enquête permettent d’établir que le vol à main armée et les tentatives d’homicide sur les forces de l’ordre ont été commis par deux personnes, aucune complicité n’ayant été évoquée ; que dans la mesure où l’un des auteurs est décédé, il ne peut y avoir risque de concertation ;

► protéger la personne mise en examen :

Attendu que cet objectif n’a jamais été évoqué et que, de toute évidence, il n’est absolument pas pertinent en l’espèce ;

► garantir le maintien du mis en examen à la disposition de la justice :

Attendu que les documents produits par le conseil de Moncif G. permettent d’établir qu’il s’est présenté à une convocation du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de GRENOBLE le 22 juillet 2010, ainsi qu’à une consultation auprès de son médecin pour renouveler son traitement le 18 août 2010, ce qui n’est pas l’attitude d’un délinquant “en cavale” ;

Que depuis son placement sous contrôle judiciaire, il n’a pas cherché à fuir et qu’il s’est effectivement présenté à l’audience de la chambre d’instruction à laquelle il était convoqué ;

Que sa représentation en justice paraît dès lors suffisamment garantie par une mesure de contrôle judiciaire ;

► prévenir le renouvellement de l’infraction :

Attendu que le casier judiciaire de Moncif G. fait état de 7 condamnations antérieures, dont une prononcée le 18 juin 2008 par une Cour d’assises pour des faits de vols avec arme commis début 2006 ; que dans le cadre de cette dernière condamnation, il se trouve sous le régime de la mise à l’épreuve depuis le jour de sa libération, soit le 12 septembre 2009 ;

Qu’il a régulièrement répondu aux convocations du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation ; qu’un incident a été cependant noté puisqu’il a été intercepté à l’aéroport de ROISSY, en mars 2010, alors qu’il partait pour un séjour de vacances au Mexique sans avoir sollicité l’autorisation de sortir du territoire national ; que cet incident a donné lieu à une convocation devant le Juge de l’Application des Peines le 13 avril 2010 ; que lors de cet entretien, le contenu de ses obligations lui était rappelé, ainsi que le risque de révocation du sursis en cas de nouvel incident ; qu’aucun incident ultérieur à ce rappel à l’ordre n’apparaît au dossier ;

Que le soutien mis en place par sa famille dont il bénéficie, renforcé encore depuis son interpellation et par la pression que représentent les accusations portées sur lui, paraît suffisant en l’état pour prévenir le renouvellement de l’infraction ;

► mettre fin au trouble exceptionnel à l’ordre public :

Attendu que, comme le précise l’article 144 7° du code de procédure pénale, le trouble à l’ordre public ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire, quand bien même aurait-il, comme en l’espèce, été largement entretenu, voire même amplifié, par les différentes prises de position rapportées dans les médias ;

Qu’il ne peut être contesté en l’espèce que les faits, ayant été commis à l’aide d’armes de guerre, utilisées contre des policiers, personnes dépositaires de l’autorité publique, ont, par leur nature, gravement porté atteinte à l’ordre public ; que ce trouble a persisté puisque de véritables émeutes ont soulevé le quartier de la Villeneuve au cours des trois jours qui ont suivi, nécessitant l’intervention de nombreuses forces de police pour rétablir l’ordre ;

Attendu toutefois qu’il convient, par ailleurs, d’observer que les éléments matériels réunis lors de l’enquête approfondie ne permettent pas d’identifier indiscutablement le co-auteur de Karim BOUDOUDA, les expertises réalisées par le LIPSADON ne pouvant être considérées comme des preuves scientifiques absolument fiables et déterminantes ; que si un faisceau de coïncidences troublantes permet de penser que Moncif G. pourrait avoir commis les faits pour lesquels il a été mis en examen, il ne peut, en l’état du dossier, donner lieu à une certitude ou à une quasi-certitude quant à sa participation aux faits ; que dès lors, et compte tenu des incertitudes qui demeurent au dossier, le placement en détention de Moncif G. n’apparaît pas de nature à apaiser le trouble à l’ordre public qui résulte des faits ;Attendu qu’ainsi, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, les critères légaux permettant le recours à la détention provisoire ne sont pas suffisamment établis et que le contrôle judiciaire strict, tel que mis en place par le juge des libertés et de la détention, s’avère toujours suffisant au regard des nécessités de l’instruction et à titre de mesure de sûreté ;

Attendu par conséquent que les ordonnances frappées d’appel seront confirmées ;

 

PAR CES MOTIFS :

La Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de GRENOBLE, siégeant en audience publique, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 186, 194, 197, 198, 199, 200, 207, 216 et 217 du Code de procédure pénale,

En la forme, reçoit le Ministère Public en son appel,

 

Au fond, confirme les ordonnances déférées (…).

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