Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 5 septembre 2011

lundi 5 septembre 2011

Auditeur gardé à vue

Pour fêter la rentrée, je cède un instant la plume à un élève d’une école. Pas n’importe quel élève, pas n’importe quelle école. Citou, pseudonyme du signataire de ce billet, est un élève magistrat, le terme officiel étant auditeur de justice. Citou m’a fait l’honneur d’être mon stagiaire au cours de sa formation qui prévoit l’exercice de la profession d’avocat pendant 6 mois. Il en a passé une partie à mes côtés, sachant que j’étais également Maitre Eolas (les raisons pour lesquelles il le savait ne vous regardent pas).

Au cours de son stage, j’ai eu une exigence dont j’assume seul la responsabilité. J’ai convenu avec Citou que quand il m’accompagnerait en garde à vue, il n’indiquerait pas aux policiers sa qualité d’auditeur de justice, afin qu’il soit considéré comme un élève avocat. Je l’ai voulu afin que Citou voie comment les policiers se comportent vraiment en présence d’avocats. Je ne voulais pas que s qualité de futur magistrat, possiblement au parquet donc amené à les diriger, fausse leur comportement. Je ne voulais m’offrir des gardes à vue idéales grâce à Citou, mais qu’il voie des vraies gardes à vue, pour qu’il s’en souvienne le jour où il aura à connaître des dossiers en tant que magistrat, notamment des cas où quelque chose se passe mal. Comme vous le verrez, je n’ai pas été déçu.

Son stage terminé, je lui ai demandé un devoir de vacances : écrire un billet pour ce blog racontant ses impressions sur le cas des gardes à vue, puisque son stage a coïncidé avec l’entrée en vigueur de l’intervention de l’avocat. Je le publie tel quel, avec ses petites imperfections (écrire un billet de blog est un exercice de style particulier) et ses compliments immérités à mon égard qui froissent ma légendaire modestie, qui font partie de sa sincérité et de sa spontanéité. Je suis ravi et remercie Citou d’avoir été un témoin crédible de ce que je raconte et qui est parfois mis sur le compte d’affabulations ou d’exagérations.

Je dois à l’honnêteté, qui est une dame que je fréquente plus que je n’ose l’avouer pour tenir ma réputation, que dans la plupart des cas, les gardes à vue se sont passées correctement, sans tension, avec une application rigoureuse de la loi, et même courtoisement. Ce qui n’a pas empêché Citou d’être marqué par la violence qui leur est consubstantielle, car il y a coercition et le gardé à vue est entre les mains de l’officier de police judiciaire. Un peu moins maintenant, même s’il reste du travail.

Je n’ai pas bourré le crâne de Citou, qui a de toutes façons la tête dure comme tout magistrat, je me suis contenté de lui montrer la vérité. Il n’a pas fini anti-flic, pas plus que je ne le suis, il a réalisé les conditions déplorables de travail des policiers qui ont des répercussions sur la dureté de la garde à vue, et je pense que globalement son respect à leur égard s’en est sorti accru. Ce qui n’a pas empêché sa saine colère quand il a assisté à des anecdotes qu’il raconte, dont je confirme la parfaite authenticité, et qui relèveraient a minima d’une procédure disciplinaire. Elles sont minoritaires. J’aurais préféré pouvoir écrire le mot rare à la place, mais hélas…

En tout cas, je me réjouis que quelqu’un comme Citou soit bientôt magistrat. Je ne doute pas qu’il fera honneur à ses fonctions et sera un excellent magistrat. Et ma vanité me fera croire que j’y suis un peu pour quelque chose.

Une fois n’est pas coutume, l’avocat se tait, et cède la parole en dernier au (futur) magistrat.

Eolas


Gardé à vue, je le serai tout au long de ma carrière désormais. Par l’œil invisible de Maître Eolas, par sa voix, future Conscience de mes décisions : « N’oubliez jamais ce que vous avez vu ce soir», « Rappelez-vous toujours de cela quand vous serez juge ou substitut ».

En tout cas, je l’espère.

Je l’espère car cette garde-à-vue, contrairement à celles auxquelles j’ai pu assister à ses côtés, sera saine, protectrice et réconfortante.

Je suis Auditeur de justice, c’est-à-dire élève de l’École Nationale de la Magistrature et, à ce titre, membre du corps judiciaire. Ma formation se déroule en 31 mois, dont les 6 premiers s’effectuent en stage en cabinet d’avocats.

C’est à cette occasion que j’ai pu effectuer des journées de permanence auprès de mon Maître. Des « gardes-à-vue ». Expression que l’on rabâche en cours de procédure pénale tout au long de nos études. « Durée de 24h, renouvelable une fois », c’est ainsi que la règle apparait dans nos gribouillis d’étudiants, sans mesurer la réalité qu’elle recouvre.

Or, cette réalité, je l’ai approchée très rapidement. Et dans une période mouvementée puisque concomitante à l’entrée en vigueur du nouveau régime de la garde-à-vue.

Sur son invitation, je me permets de vous retranscrire mon expérience.

Premier jour de permanence : appel à 19h. Nous sommes attendus au Commissariat du 17ème arrondissement de Paris pour assister un dénommé Monsieur A. Rendu sur place rapidement, je pénètre pour la première fois l’enceinte d’un commissariat accompagné d’un avocat. Comment va-t-il être accueilli ? Comment lui se positionne-t-il par rapport à eux ?

Je suis imprégné de clichés en tous genres, et la réalité me rattrape : nous arrivons au moment des changements d’équipes et une impression de désordre général se dégage. À cela, s’ajoute le constat de conditions matérielles de travail déplorables.

Le PV de notification des droits nous est présenté. Toutes les informations doivent être étudiées minutieusement. Identité du mis en cause, heure de placement, faits reprochés, droits notifiés, avocat demandé (curieusement, il apparaitra parfois que la personne réclame un avocat pour l’entretien confidentiel mais ne souhaite pas en bénéficier pour les auditions. Après explications par l’avocat sur l’assistance à laquelle elle a droit, celle-ci changera toujours d’avis)… Puis, nous suivons le policier pour rencontrer « notre » client, à qui il est reproché des faits d’enlèvement, séquestration et violences volontaires.

C’est alors qu’en passant devant une cellule, je suis témoin d’une scène qui restera comme l’une des plus marquantes de mon stage. Un policier est en train de pratiquer une clé d’étranglement sur un homme, torse nu, rouge et respirant avec difficulté (par la force des choses).

Maître Eolas me fait remarquer que cela apparaîtra dans un PV sous la formule suivante : « Faisons application des gestes et techniques de sécurité en usant de la force strictement nécessaire pour maitriser l’individu ». Certes.

Voir cela est très choquant. J’ignore ce qui a justifié l’utilisation de cette mesure de contrainte, mais je sais simplement qu’elle ne devrait pouvoir être pratiquée. Je saurai m’en rappeler lorsque cette petite phrase anodine figurera dans mes dossiers.

L’entretien avec le client aura lieu dans une cellule vide, faute de local avocat en état (le commissariat est en travaux). Vive la confidentialité. Les policiers font avec les moyens du bord.

Les explications du gardé à vue sur les faits sont embrouillées, la conclusion étant qu’il n’a rien fait et qu’il ne comprend pas sa présence en garde-à-vue. Une nouvelle idée reçue s’effondre : moi qui pensais que l’avocat était le premier confident de ses clients, à qui ils révélaient la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Loin de là, et cela me sera confirmé par la suite.

Or, en l’absence d’accès au dossier, comment confronter le client aux éléments de l’enquête pour préparer au mieux sa défense et la rendre effective ?

Toute la difficulté de l’exercice s’impose à moi. Les incohérences législatives également.

Tant mieux, c’est le but. Je vois les choses d’un œil différent.

Et puis il y a l’empathie ressentie pour la personne, la peur ou la colère qui se dégage d’elle, son visage lorsqu’on lui annonce que la mesure pourrait être renouvelée à nouveau durant 24h, le bruit, la chaleur, l’odeur…

Voilà ce qu’il y a derrière l’expression « 24h de garde-à-vue, renouvelable une fois ». Je la ressens cette durée. Là encore, ne pas oublier.

Pour des raisons de compétence, Monsieur A sera finalement transféré dans un commissariat de la région parisienne. Nous ne l’assisterons donc pas pour ses auditions, un autre avocat prendra le relai.

Des observations sont rédigées par Maître Eolas sur les conditions de la garde-à-vue, et notamment sur le refus d’accès au dossier.

Autre conseil, autre note intérieure : me faire communiquer les éventuelles observations de l’avocat quand je serai substitut de permanence.

Voici venue la fin de cette première garde-à-vue. Je rentre chez moi, je dors. Pendant ce temps Monsieur A est toujours dans sa petite cellule puante.

J’ai assisté à de nombreuses autres gardes-à-vue par la suite, et ai donc été présent aux auditions.

La plupart se sont déroulées de manière très convenable, les policiers n’étant visiblement pas hostiles à la présence de l’avocat et respectant en tout point son rôle, en tout cas tel que défini restrictivement par la loi.

D’autres au contraire m’ont profondément marqué. Il y a notamment cette audition au cours de laquelle on reproche à Monsieur B des faits de filouterie de taxi et d’outrage.

L’infraction de filouterie ne peut être constituée que si la personne se « sait être dans l’impossibilité absolue de payer » ou « est déterminée à ne pas payer » (Article 313-5 du code pénal). Sans cet élément intentionnel, l’infraction ne peut être caractérisée et la garde-à-vue est infondée (les faits supposés d’outrage ayant été commis au cours de la garde à vue, ils ne la justifieraient pas - NdEolas).

Or, au cours de l’entretien confidentiel, Monsieur B nous avait apporté des précisions laissant figurer qu’il n’avait aucunement été animé d’une telle intention. Cela ressortait notamment d’un appel téléphonique qu’il aurait passé à un proche durant le trajet.

A la fin de l’audition, très tendue de par les interventions incessantes et provocatrices d’un officier de police présent dans le bureau, Maître Eolas informe le policier de cet élément, et demande à ce que le téléphone de Monsieur B soit extrait de sa fouille pour vérifier qu’un appel avait bien été passé.

Malgré l’hostilité du commandant présent, le téléphone est apporté. iPhone flambant neuf dont la caractéristique est une faible durée d’autonomie. « Vous voyez, plus de batterie » fait remarquer le commandant avec fierté. Maître Eolas suggère qu’un chargeur de batterie soit prêté, étant donné que sur les trois policiers présents dans le bureau, deux étaient en possession d’un téléphone de marque similaire. Ils répondent tous ne pas en avoir sur place. Étrange. C’est alors que j’ai vu le commandant, qui était dans mon angle de vision sans qu’il ne le sache, dissimuler ce qui m’a semblé être un chargeur d’iPhone. En douce. (NdEolas : je confirme, je l’avais vu sur le bureau en entrant).

J’en suis ressorti révolté. Pourquoi nuire ainsi à la manifestation de la vérité ? Pourquoi vouloir éviter la levée d’une garde-à-vue infondée ? Un sentiment d’injustice s’est emparé de moi, mais il devait être faible à côté de ce qu’a vraisemblablement ressenti Monsieur B. Et l’on ne peut prédire les conséquences d’une telle sensation sur ce dernier.

Bien sûr, un tel comportement de la part d’un policier (haut gradé qui plus est) semble, du haut de ma petite expérience en commissariat, exceptionnel. Mais il a quand même eu lieu.

Note : S’en souvenir lorsqu’un avocat le plaidera devant moi.

Outre cette expérience très gênante, d’autres détails m’ont interpelé au cours de certaines des auditions auxquelles j’ai pu assister. Cette sensation de « rien à voir » entre la façon dont se déroule l’audition et la manière dont elle transparait à la lecture du PV. Également, cette facilité avec laquelle certains policiers soufflent les réponses au gardé-à-vue sans que cela ne figure dans le PV.

Exemple auquel j’ai assisté :

- « A quelle heure es-tu sorti de chez toi aujourd’hui ? » (le tutoiement est souvent de rigueur)

- « je ne sais pas »

- « Eh oh, on le sait hein, ton téléphone a activé telle borne à 10h05. Alors ? »

-« bah, je suis sorti vers 10h05 alors »…

La retranscription sera celle-ci :

« Question : A quelle heure avez-vous quitté votre domicile aujourd’hui ?

Réponse : Vers 10h05. »

Cela semble anodin mais pourrait revêtir une certaine importance selon l’affaire.

Enfin, et cela a déjà été abordé par mon Maître, j’ai été parfois frappé par la mise à l’écart physique de l’avocat. Positionné bien à l’arrière de son client, même dans des bureaux très exigus, de façon à ce que celui-ci en oublie jusqu’à sa présence.

Je ne fais aucune généralité sur les policiers, et ce stage m’a, la plupart du temps, permis de rencontrer des personnes scrupuleuses – parfois trop - tout en me faisant réaliser leurs difficiles conditions de travail. Notre formation prévoit d’ailleurs également un stage aux côtés des services de police et de gendarmerie. Mais il m’a également révélé un certain nombre de situations très regrettables et dont dans tous les cas, je me souviendrai.

Les magistrats ne sont pas en reste à cet égard. Comme ce Président d’audience qui peste contre Maître Eolas ayant déposé des conclusions en nullité de garde-à-vue, et l’incite à les retirer pour gagner du temps.

Ou comme moi-même, face à la lecture d’un dossier dont le mis en cause est renvoyé pour outrage, violences et rébellion. Je n’ai jamais vu le client et j’en ai malheureusement une image toute faite, celle de la « petite frappe de banlieue ». La claque quand celui-ci arrive au cabinet, poli, intimidé, confiant son angoisse, absorbant les conseils…J’ai honte.

Note : Se départir de ses propres clichés + derrière chaque dossier il y a une personne, une vraie.

Ce stage s’est ainsi révélé capital sur bien des plans. Je n’en ai ici abordé qu’une infime partie, axée sur la garde-à-vue, et n’ai pas décrit la difficulté, au quotidien, du métier d’avocat. Cette indescriptible attente, en permanence, partout. Ces heures de préparation anéanties en quelques secondes à l’audience par le client ou pour un renvoi. Les appels à 5h du matin. Ce client sous crack très agressif. Les conseils non suivis, notamment le très prudent « Taisez-vous ou dites la vérité, mais ne mentez jamais ». Le paiement des permanences, des honoraires. La déception du délibéré. La gestion des absurdités législatives… Cela devrait faire l’objet d’un article distinct.

J’ai avant tout souhaité décrire mon ressenti en tant que futur magistrat. Le bilan du stage est, me semble-t-il, très positif. Il l’a été pour nombre d’auditeurs de justice de ma promotion. Le fonctionnement de la justice vu d’un autre œil. L’œil qui, je l’espère, nous gardera tous à vue. A perpétuité.

Citou

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