Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 24 avril 2014

jeudi 24 avril 2014

Fière d'être greffier

Par Finger in the noz


Comme tous mes collègues, je prends mon clavier et exprime à mon tour ma consternation.

Permettez-moi de vous narrer un morceau de mon histoire d’ « amour » avec la justice…

Je suis rentrée au sein du ministère il y a maintenant 21 ans avec seulement un BEPC en poche, mon travail n’est pas toute ma vie mais une bonne partie d’elle. J’ai grandi dans tous les sens du terme au sein de cette administration, j’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont aidé, entouré et même parfois cajolé, j’ai été la « môme caca » et je suis devenue une professionnelle passionnée par son métier, motivée et fière d’appartenir désormais à ce corps de greffiers !

… mais boudiou que c’est dur de travailler avec l’élite de la nation que sont les magistrats et avec les avocats qui connaissent tout mais qui passent leur temps à nous solliciter sur telle ou telle procédure !

Rendez vous compte que lorsque je tiens mon audience tous les mardis, les avocats dits de l’extérieur, se présentent comme de coutume au tribunal… oups pardon… aux magistrats, qu’ils serrent la main et s’arrêtent à mon niveau ! Le jour où j’ai pris le bouillon et que j’ai osé dire en audience que si vous considérez que le greffier ne méritait pas qu’on lui serre la main alors que ma main est propre et honorable, c’est que vous considérez messieurs et mesdames les avocats, ainsi que les magistrats, que je ne fais pas partie de la composition du tribunal et qu’à ce titre je n’ai aucune raison d’assister à l’audience ! En dehors du fait que je suis passée pour une hystérique, il n’y a eu aucune réaction ! je suis bien entendu restée en audience à contre cœur (c’est mon métier !), mais ça prouve que le respect n’est pas à la portée de tous et ne s’apprend pas dans les bouquins !

Là où ma naïveté a atteint son paroxysme, c’est de voir la réaction de certains magistrats dont j’étais convaincue qu’ils seraient les premiers à me/nous soutenir. Je ne fais pas le procès des magistrats (ce serait un comble pour un greffier) et je me suis toujours refusée de comparer des choses qui, à mon sens, ne sont pas comparables ; mais certaines réactions me choquent et m’attristent beaucoup. Moi qui croyais être reconnue en tant acteur important dans les rouages de la justice… la chute est brutale !

Pas plus tard qu’hier , et après avoir rappelé à un magistrat péteux que je n’étais pas sa secrétaire mais greffier des services judiciaires et qu’à ce titre j’organisais mon greffe comme je l’entendais et avec les moyens mis à ma disposition (monsieur se plaignait que ces jugements ont été mis en forme avec un jour de retard…), je me suis entendue dire par mon président de chambre à qui je narrais l’incident qu’il était vrai que je n’étais pas sa secrétaire attitrée mais plutôt la secrétaire du greffe ! les bras m’en sont tombés ! Que voulez vous répondre à ce genre d’ignorance ?

Bref, je ne vais pas détailler le « corvéable à merci » des fonctionnaires de justice car ce serait une redite. J’ai toujours su qu’un jour les fonctionnaires de justice se rebelleraient. Alors ne lâchons rien, ce qui se passe en ce moment est historique, jamais les fonctionnaires de justice n’ont autant effrayé par notre conviction et surtout notre grande solidarité !

Chers collègues ce pouvoir de bloquer cette grande machine qu’est la justice nous l’avons et peu importe le mépris des uns et des autres, on sera entendu j’en suis certaine !

Me EOLAS un grand merci à vous.

Laissez moi exercer mes futures fonctions et donnez moi les moyens de les exercer !

Par Chaton en chef

Nous parlons greffier, nous parlons adjoint, faisant fonction de greffier ou non. Mais nous parlons peu des greffiers en chef, directeurs de greffe et chefs de greffe (greffier faisant fonction de greffier en chef)

La rue en parle peu, la réforme elle même en parle peu…

Je ne suis qu’un chaton (*) parmi les greffiers en chef, tout juste stagiaire et bien loin de la titularisation. Pourtant, je ne pense pas être un chaton au sein des services judiciaires. Il y a un peu plus de dix ans de ça, je foulais pour la première fois le sol d’un TGI en tant qu’adjoint administratif. J’ai ensuite été faisant fonction de greffier durant quelques années puis greffier, avant de réussir à intégrer ce corps de catégorie A. J’ai connu des juridictions de taille plus ou moins importantes, du sud au nord et d’ouest en est du territoire national.

J’avais d’ailleurs déjà laissé mon empreinte sur ce blog, lorsque le maitre des lieux l’avait ouvert à la grogne du monde judiciaire. C’était un 23 octobre, on était en 2008, et la colère grondait déjà. Depuis, elle n’a jamais été réellement apaisée, elle a juste été étouffée.

Je ne me permettrai pas de parler au nom de tous les greffiers en chef de France, débutant dans ces fonctions, je ne parlerai que selon mon expérience personnelle.

Le greffier en chef, élément méconnu du monde judiciaire, être humain placé entre le marteau et l’enclume, chair à canon confronté aux assauts des magistrats d’un côté, des fonctionnaires de greffe de l’autre, quelques fois des auxiliaires de justice voire directement de la Chancellerie, placée en embuscade. Et croyez bien, que chacun tire à balles réelles et parfois (souvent?) sans coup de semonce !

Fonctions méconnues, oui.

Apostrophez une personne choisie au hasard dans une rue ( et même à la sortie d’un palais de justice), demandez lui ce qu’est un magistrat, elle vous répondra. Demandez ensuite ce qu’est un greffier, elle hésitera et vous répondra vaguement que c’est la secrétaire du juge, la dame qui est assise à côté de lui et qui écrit pendant l’audience. Elle sera bien éloignée de la réalité mais aura au moins le mérite de connaitre son existence. Demandez lui enfin ce qu’est un greffier en chef. Elle vous regardera avec de grand yeux ronds, un air ahuri, haussant les épaules avec dans le regard ce vide de celui à qui l’on vient de demander de nous expliquer la théorie de la relativité…

Mais, je ne pourrais blâmer cette personne, puisque moi même, avant de faire un pas dans ce corps, je ne savais réellement en quoi consistaient ces fonctions. Comme beaucoup de greffiers et adjoints, je contestais les décisions prises par mon supérieur hiérarchique direct, autour de la machine à café, les critiquais à grands coups d’arguments que je pensais irréfutables.

Désormais, je comprends… Du moins, je commence à comprendre…

Mais qu’est ce qu’un greffier en chef au fond?

Quoi de mieux, pour répondre à cette question, que de citer son statut particulier :

Article 2 du Décret n°92-413 du 30 avril 1992 portant statut particulier des greffiers en chef des services judiciaires

« Les greffiers en chef ont vocation à exercer des fonctions administratives de direction, d’encadrement et de gestion dans les juridictions. Ils ont également vocation à exercer des fonctions d’enseignement professionnel. Des missions ou études particulières peuvent leur être confiées.

Les fonctions de direction peuvent s’exercer notamment à la direction d’un greffe ou d’un service administratif de greffe ainsi qu’à l’Ecole nationale des greffes.

Les fonctions de gestion peuvent comprendre notamment la gestion des personnels, la gestion des moyens matériels, la gestion financière et budgétaire, la gestion de l’informatique, la gestion de la formation, la coordination de ces différentes fonctions dans les services administratifs régionaux.

Les fonctions d’enseignement peuvent être exercées à l’Ecole nationale des greffes ou dans les juridictions.

Les greffiers en chef ont vocation à assister le juge dans les actes de sa juridiction, dans les conditions prévues par le code de l’organisation judiciaire, le code du travail et les textes particuliers. »

Ceci ne vous éclaire pas d’avantage? Je serai donc plus synthétique : un greffier en chef dirige, encadre, gère , parfois enseigne et peut avoir certaines activités juridictionnelles. Ces missions, il les exerce sous l’autorité ou sous le contrôle des chefs de cour (premier président et procureur général des cours d’appel), de juridiction (président et procureur de la République des tribunaux de grande instance) ou des magistrats délégués à l’administration du tribunaux d’instance.

Voilà en quoi, il est placé entre le marteau et l’enclume : il dirige des fonctionnaires de greffe mais est soumis à l’autorité hiérarchique de magistrats.

Et pour illustrer ces fonctions, j’aimerais simplement citer quelques propos émanant de greffiers en chef titulaires, et captés au gré de ma formation initiale :

« Vous verrez, le quotidien d’un DG (directeur de greffe), c’est l’application à chaque instant de la Loi de Murphy, la théorie de l’emmerdement maximum !Vous arrivez chaque matin avec plein de projets pour votre journée et vous repartez chaque soir en prenant conscience que vous n’avez pu absolument rien faire de ce que vous aviez prévu… »

« Le principe des demandes budgétaires ? C’est simple : listez moi tout ce dont vous avez besoin et je vous expliquerai comment vous en passer! »

« En tant que DG, j’ai l’impression d’être un couteau suisse… »

« Le but est de faire mieux avec moins… »

Faire mieux avec moins

Voilà qui résume parfaitement le fonctionnement actuel des services judiciaires : des dotations budgétaires toujours moindres et une demande constante et croissante de rapidité, d’efficacité, d’efficience, d’amélioration et … d’économie!

A titre d’exemple, le TGI au sein duquel je suis actuellement affecté s’est vu accordé une enveloppe diminuée de 100 000 euros par rapport à celle allouée pour l’année précédente… sur un budget de fonctionnement de l’ordre de 400 000 euros ! Là, ça coince… On sait d’ores et déjà qu’en cours d’année, on ne pourra plus payer. Le but n’est même plus de boucler l’année budgétaire mais bel et bien de repousser la date de cessation de paiement…

Et nous devons chaque jour travailler dans ces conditions. Et ce budget ne vise que les dépenses obligatoires, inéluctables, celles découlant des nécessités de fonctionnement de base de la juridiction (électricité, chauffage, eau, entretien… bref ce que dans la vie quotidienne, tout à chacun nommerait les « charges fixes ») Dans ces conditions, toute demande de crédit supplémentaires est superflue. Et un greffier en chef doit chaque jour expliqué aux fonctionnaires pourquoi le photocopieur irréparable ne sera pas remplacé ; aux magistrats pourquoi leur fauteuil bringueballant ne sera pas remplacé ; aux chefs de juridiction pourquoi les archives qui encombrent les couloirs et bureaux ne seront pas déménagées ; aux experts pourquoi leurs honoraires ne seront pas payés cette année ; aux avocats pourquoi ils n’auront pas de copies du dossier réclamé depuis des mois, faute de CD-Rom ; aux fournisseurs pourquoi leur facture ne sera pas payée dans le délai légal de 30 jours ; aux chefs de cour, pourquoi nos charges à payer (dettes contractées par l’Etat en année N mais payée en N + 1) augmenteront encore en 2015…

A titre d’exemple, l’année dernière, nous avons cessé de payer les frais postaux à compter de… mars…

En France, on n’a pas de pétrole, en France, on n’a pas plus d’argent, en France, on a des idées, mais de mauvaises idées… Et cette réforme sur la justice du 21ème siècle en est une supplémentaire.

Je ne n’appesantirai pas sur toutes ses facettes. D’autres le feront bien mieux que moi. En revanche je m’attarderai sur le grand méconnu de cette réforme qu’est le greffier en chef.

Elle réorganise, elle refont, elle mutualise. Elle modifie le canevas judiciaire, repense le « maillage » du territoire, réussit l’exploit de démontrer et nous faire croire que le regroupement de toute juridiction au sein d’un (ex) tribunal de première instance permettra une meilleure justice de proximité. Elle crée un nouveau corps hybride, mi greffier, mi magistrat : le greffier juridictionnel. Corps auquel seraient, semble t’il, également dévolues les attributions juridictionnelles incombant aujourd’hui statutairement aux greffiers en chef (délivrance des certificats de nationalité française, vérification des comptes de tutelles, vérification des dépens…), dans le but de les recentrer dans leurs missions premières de direction, encadrement et gestion. Mais le but caché, nous le connaissons tous : la suppression pure et simple du corps de greffier en chef et la création d’un corps commun d’administrateur civil du ministère de la justice, tout droit issu des IRA et ne connaissant du fonctionnement des juridictions que ce que tout citoyen lambda en connait : Le greffier ? C’est le secrétaire du juge ?

Quant à la création d’un TPI par département avec chambres détachées sur les anciens lieux de justice du ressort (TI, CPH), il aura à sa tête un directeur de greffe, semble t’il.

Mais ensuite ?

Actuellement, la plupart des greffes de juridictions (CA, TGI, TI, CPH) sont dirigés par un greffier en chef – directeur de greffe, lequel est assisté par d’autres greffiers en chef en fonction de la taille de cette juridiction (taux d’encadrement préconisé de 1 greffier en chef pour 20 fonctionnaires)

Prenons un département lambda : il y aura a minima un TGI, un TI, un CPH et, a fortiori, 3 postes de greffier en chef. Prenons ce même département après réforme : il y aura un TPI et 2 chambres détachées et, a fortiori, 1 poste de greffier en chef gérant le TPI et les chambres détachées… Si ce n’est pas là l’éradication programmée du corps des greffiers en chef, ça en a l’odeur et la couleur…

Bref, le corps des greffier en chef n’est pas seulement touché par cette réforme, il est menacé dans son existence même!

J’ai choisi d’entrer dans les services judiciaires. J’ai choisi de gravir les échelons un à un, de connaître des trois corps composant sa hiérarchie. J”ai choisi de devenir greffier en chef, non pas tout autre corps de catégorie A de la fonction publique d’Etat, non pas un corps d’administrateur civil, mais bel et bien celui des greffiers en chef! J’ai choisi d’exercer ces missions et aucune autre mais je veux les exercer sereinement, je veux avoir les moyens de diriger, encadrer, gérer, enseigner et exercer les attributions juridictionnelles qui me sont dévolues !

Oui, je suis greffier en chef stagiaire et oui, je suis en colère !

(*) En argot, le terme greffier désigne un chat.

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