Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 23 octobre 2008

Les juges et les médias

''Par une juge d'instance, qui précise qu'elle ne viendra pas lire les commentaires, « le contexte actuel est suffisamment fragilisant pour ne pas m'exposer en vain », dit-elle. Qu'un magistrat dise ça est terrible.''


Des juges ayant travaillé des années,

Se trouvèrent fort dépourvus

Quand une ministre fut promue.

Plus une seule réforme claire,

Réfléchie et cohérente.

Ils allèrent s'en émouvoir,

Auprès de leurs syndicats,

Les priant de s'offusquer,

Militer et informer

En se servant des médias.

Les médias sont peu curieuses,

C'est la leur moindre défaut.

"Quelle langue aride parlez-vous?"

Dirent-elles à ces démarcheurs.

"Nuit et jour, nous parlons droit

Et Justice, ne vous déplaise".

"La Justice, cette utopie,

Chantez là seuls maintenant".

D'après "La cigale et la fourmi" de Jean de la Fontaine.

Une mauvaise parodie pour un mauvais procès : les magistrats en colère sont souvent moqués et rapidement oubliés.

Après tout, a-t-on le droit de se plaindre quand on est fonctionnaire ? Les magistrats croient-ils avoir les plus mauvaises conditions de travail parmi les Français ?

Cela dit, dans quelle entreprise est-on obligé d'attendre une augmentation budgétaire pour se chauffer en hiver ? Dans quelle entreprise envisage-t-on parfois de demander aux clients d'apporter leur ramette de papier et leur stylo B billes pour pouvoir travailler ? Dans quelle entreprise doit-on faire face B une charge de travail infiniment lourde moralement tout en subissant des injonctions contradictoires incessantes ("incarcérez/libérez"; "faites du chiffre/économisez"...) sans pouvoir porter plainte pour harcèlement moral ?

Et si le problème ne résidait que dans un manque de moyens humains et financiers...

Mais être magistrat aujourd'hui, c'est constater chaque jour :

- l'insécurité juridique liée B des réformes incessantes, hâtives et mal réfléchies ;

- la menace qui pèse sur les libertés publiques avec la multiplication des tentatives de reprise en mains de la magistrature (réforme de l'Ecole nationale de la magistrature, convocations de magistrats en dehors de toute procédure...), les mécanismes visant à déresponsabiliser l'individu au profit d'automatismes dangereux (peines plancher)... ;

- le désengagement de l'Etat du tissu social, avec le transfert aux départements des responsabilités autrefois dévolues aux juges des enfants (maltraitance des mineurs) et aux juges de tutelles (mesures de protection civile des personnes fragilisées par leur parcours personnel ou la situation économique)... sans les moyens financiers et humains indispensables...

L'état des prisons est un scandale mais aucun objectif ambitieux n'est politiquement poursuivi. Combien de Français ont entendu parler du numerus clausus en dépit de l'action du collectif "Trop, c'est trop"?

C'est drôle de lire des magistrats qu'ils sont soit complètement grégaires soit furieusement individualistes. C'est assez incompatible quand on prend le temps d'y réfléchir.

En fait, les magistrats sont surtout prisonniers de leur devoir de réserve et de leur interdiction de se mettre en grève.

De surcroît, leurs syndicats n'ont aucune couverture médiatique même quand ils multiplient les communiqués de presse. Est-ce un manque d'incarnation personnelle ? Les médias aiment mettre en avant des personnalités. Dans la magistrature, elles sont statutairement obligées de se cacher...

C'est pourquoi nous avons besoin du soutien des médias et de la population.

«Les juges sont le dernier maillon de la chaine sociale.…»

Par Antigone, magistrat


Les juges sont le dernier maillon de la chaîne sociale.

C'est lorsque tout et tout le monde a échoué en amont qu'ils sont saisis: quand le couple craque, quand la famille n'élève plus, quand l'école ne transmet plus rien, quand les services sociaux perdent pied, quand la médecine a fait une erreur, grave, quand l'employeur exploite, quand le salarié triche, quand l'handicapé est maltraité, quand la grand-mère est dépouillée, quand l'immigré est refoulé, quand la femme est battue, quand le père est privé de ses enfants, quand le prisonnier est desespéré, quand les libertés fondamentales sont bafouées.

C'est quand tout fout le camp, et c'est le rôle de la justice de tenter de répondre à ces maux, d'écouter les souffrances et les révoltes, de mesurer les conflits, de discerner les responsabilités, pour tenter d'apporter une réponse juste, adaptée, motivée, compréhensible. Pas pour tout régler, pas pour compenser les insuffisances ou les absolues carences des autres acteurs sociaux, politiques ou institutionnels.

C'est un métier exigeant et ingrat, un métier discrédité parce que terriblement mal connu, c'est un métier où, comme chez les médecins, les profs ou les avocats, les personnalités ne sont pas toujours à la hauteur des attentes, les compétences à la mesures des enjeux, les décisions justifiées. Les juges ont leurs insuffisances, ils sont perfectibles, ils le savent, et aspirent à la collégialité pour apprendre et discerner, à la formation pour comprendre et acquérir, à la mobilité pour s'ouvrir et se renouveler.

C'est un métier passionnant, qui bouscule, dérange et peut faire grandir, qui exige à la fois humilité et dynamisme, sérenité et détermination, écoute et autorité. C'est un métier où l'autre est essentiel, argile imprévisible et vulnérable, ou roc inatteignable. C'est un métier que j'aime pour toutes ces raisons.

Et c'est pour toutes ces raisons que je serai mobilisée le 23 octobre. Pour dire que la justice mérite mieux, beaucoup mieux. Que pour l'améliorer, il ne faut pas une gouvernance fondée sur le mépris et la démagogie, l'ignorance des causes et la désignation facile de boucs-émissaires. Pour dire que la justice a besoin de juges qualifiés, outillés, disponibles. Et respectés.

Pour dire aussi que rien ne changera tant que la politique restera au service du politique et le politique au service de son image.

Un juge heureux mais pas content

Par Musashi, juge d'instance


Je suis un juge heureux, car je ne fais pas de pénal, ou très peu, 20 % de mon temps, parce que je ne connais pas de juge qui ne fasse pas un minimum de pénal.

Le pénal nous bouffe tous, nous prend de plus en plus de temps, 60 % de temps total des juges, le reste, c'est du civil.

Je suis juge d'instance. D'ou mon bonheur. Relatif quand même.

Assesseur dernièrement au tribunal correctionnel, on a dû mettre 2 ans ferme (4 ans dont 2 ans SME) à un toxicomane qui avait 4 condamnations à son casier judiciaire, dont 3 pour stupéfiants, et dont la récidive était visée. Il encourait 10 ans pour détention de 2 grammes de cannabis. La peine plancher était de 4 ans. Il sortait de prison, aucun projet, on a baissé à 2 ans avec difficulté. Avant, c'était il y a 18 mois, il aurait eu quelques mois fermes, voire un TIG. Ce n’est plus possible.

Bref, on me fait remplir les prisons. Je le fais, on l'a fait, nous les juges, ligotés par les textes législatifs, on perd de plus en plus de latitude. On applique la loi. Les gens ont voté pour ça aussi. La surpopulation des prisons, c’est aussi la responsabilité des électeurs.

On n'est pas content de faire cela. Mais si on plus on nous reproche les conséquences de l'application de ces textes, soit la surpopulation pénale et les conséquences que cela entraîne sur les prisonniers, alors effectivement on n’est pas content.

Je ne suis pas content.

On peut être heureux et pas content quand même.

Je ne suis pas content à cause de l’attitude de mon Ministre.

Je préférerais à tout prendre un ministre cynique qui assume les conséquences de sa politique pénale. Cela aurait le mérite d'être clair.

Je ne supporte plus les fausses concertations (sur la carte judiciaire dont l'idée n'était pas mauvaise mais dont l'application est désastreuse. Depuis un an, rien n’a avancé au niveau de la Chancellerie. On ne parle pas d’argent, surtout pas, et on fait des projets au niveau des Cours d’Appels sans connaître réellement nos possibilités d’action, surtout, qu’en plus, la commission Guinchart a conclu au transfert de certains contentieux des tribunaux d’instance vers les tribunaux de grande instance. Aller faire des projets avec ça!!!!!!!,.... mais on perd un temps fou quand même.......)

Je ne supporte plus non plus les "je vous soutiens" alors que tous les actes démontrent le contraire.

Je suis juge d'instance. Donc je suis quand même heureux. Je passe 80 % de mon temps à faire du civil. Essentiellement des jugements civils et des tutelles des majeurs.

Du contentieux et du gracieux. j'aime bien les tutelles des majeurs, le gracieux. Je suis là pour aider, pas pour sanctionner. Je rassure les filles (eh oui, c'est essentiellement les filles) qui culpabilisent de prendre les 1000 euros de retraite leurs mères qu'elles hébergent et que leur reprochent les autres membres de la famille, les autres filles, ou fils. Le calcul est vite fait de toute façon. une maison de retraite, c'est 1500 euros, minimum. 1000 euros pour s'occupe de la mère, c'est donné alors qu'il y a déjà pour 200 euros de couches par mois pour changer la mère et qu'il faut la supporter 24 heures sur 24, et ce même si elle ne vous reconnais pas.....oui, c'est ça la vie, ce n'est pas la misère, seulement la vie. J'en ai plein des situations comme ça.

Je rassure aussi le tuteur qui culpabilise de laisser la mère, âgée, veuve depuis peu et plus guère vaillante, et ses deux fils handicapés de 40 ans vivre dans une maison sans wc et douche. Je suis aller les voir. Ils étaient heureux ensemble. Je fais quoi ?, je les sépare pour qu'ils vivent au propre dans des maisons spécialisées.... mais séparées car aucune structure n'accueillera ensemble la mère et ses deux fils.... ou je fais tout pour les laisser ensemble.... j'ai ordonné de les laisser ensemble et je débloque 10000 euros de leurs comptes, car ils ont de l'argent, pour construire un wc et une douche. Les séparer les tueraient. C'est de ma responsabilité. C'est pour ça que je fais ce métier, pour être utile aux gens.

Ca ne va pas être simple d’être utile l’année prochaine quand je vais devoir revoir TOUTES les mesures que j’ai en stock en 3 ans et demi. Ce n’est pas compliqué, ma charge de travail pour les tutelles va doubler, et celle de ma greffière, bénie soit elle pour sa disponibilité et sa compétence, tripler. (J’ai bien écrit TRIPLER). On va se débrouiller, parce qu’on n’aura aucune (AUCUNE) aide.

Le parlement vote des lois sans s’inquiéter une seule seconde de leurs applications, c’est un autre débat qui fait quand même partie de ce débat.

Je me déplace une fois par mois pour les tutelles et je fais des vues des lieux dans les dossiers civils. Je fais de la proximité, et ce bien avant l'invention de ce mot. J'aime ça. Je met fin aux conflits. J’apaise.

Je suis heureux car je n'ai pas toujours été juge d'instance. Je connais donc mon bonheur actuel. J'ai été au parquet aussi, comme substitut. 60 heures par semaine, un travail de forçat, pas d'horaires, des contraintes énormes, mais tellement passionnant, tellement. on sent battre le pouls de la ville, en tout cas de sa délinquance, c'est déjà ça. Mais c'était il y a plus de 10 ans. Ca à changé, moins de latitude, plus de contrôle.

Ma charge de travail est correct et je sais que là aussi j'ai de la chance. Beaucoup de collègues gallèrent.

Plus le temps. Plus le temps de prendre le temps de la réflexion. D'ou certaines erreurs.

D'ou aussi les incompréhensions. Car plus le temps de motiver ses jugements. Et motiver, c'est expliquer, à soi et aux parties, pourquoi on prend telle décision, et pas telle autre.

Mais le temps de la réflexion ne se comptabilise pas et depuis quelques années, tout est comptabilisé. Chaque juge, pour être rentable, devra faire tant de jugements. Ce qu'il y a dedans, ca ne rentre pas dans la comptabilité.

Le métier se transforme et je suis certain que ce n'est pas dans l'intérêt du justiciable. D'ou ma révolte. Petite.

Pour la première fois, je serai sur les marches du palais jeudi, pour protester contre les doubles discours, les incohérences, les intimidations de mon Ministre.

Bon sang, ce n’est quand même pas trop demander d’avoir un Ministre qui ne dit pas tout et son contraire.....ça me paraît être le minimum...faut croire que non, en fait.

Je déclare quand même que je suis un juge heureux pour l’instant parce que c’est aussi mon tempérament et que tout n’est pas noir de mon métier. Mais je ne suis pas content parce que la place du noir augmente dangereusement. Je suis donc inquiet.

Voila, c’est un peu brouillon (même beaucoup en me relisant, mais je ne sais comment élaguer), mais comment tout dire en un billet . Je n’ai pas parlé de mes greffiers qui sont aussi une autre source de contentement. Tous ne sont pas greffiers, nombreux sont les “faisant fonctions” qui font le même travail, aussi bien, mais sont moins payés, mais tous font de leurs mieux, sincèrement. Dans mon petit tribunal, il y a une bonne ambiance, ça joue aussi.

En tout cas, merci à Me EOLAS et les colocataires d’essayer d’expliquer notre métier qui n’est pas simple, même si il en donne l’impression.

Je suis adjoint administratif faisant fonction de greffier…

Par Steppos, Adjoint administratif des Services Judiciaires (Il décrit en détail sa profession).''


Je suis adjoint administratif faisant fonction de greffier affecté auprès d'une des plus importantes juridiction de première instance de l'Hexagone, sinon peut être LA plus importante. Je suis en poste au sein des services judiciaires depuis un peu plus de quatre ans et demi seulement. Je n'ai connu que deux juridictions et cinq services différents, devant souvent jongler partiellement entre deux. Bref, je n'ai qu'une brève carrière et une expérience donc limitée. J'aimerais pourtant faire valoir ici mon sentiment sur cette justice qui est la notre !

Tout d'abord, et ce même si cela pourra paraître infiniment hors sujet, j'aimerais indiquer quelques mots sur le corps des adjoints des services judiciaires, ces petites mains selon moi trop méconnues de la plupart mais ayant pourtant son importance : puisque, comme dans toute organisation hiérarchiques pyramidale, c'est lorsqu'on se décide à se tourner vers la base, que l'on rencontre le plus d'individus...

Ils font partie des agents de la Fonction Publique d'Etat de catégorie C, auxquels, selon les statuts de la Fonction Publique, sont en principe dévolus des tâches dîtes d'exécution. (D'où, cette remarque cinglante que beaucoup – toutes administrations confondues – ont déjà dû entendre dans la bouche d'un chef de service : « vous n'êtes pas payé pour réfléchir ! »...) Au sein de ce corps des adjoints sont distingués les adjoints administratifs des adjoints techniques (anciennement agents techniques). À ces derniers sont par principe données des tâches manuelles, techniques ou de manutention. De ce fait, ils seront affectés généralement (mais la réalité peut en être tout autre !) notamment – et ce sous l'égide d'un greffier voire d'un greffier en chef – à un service des pièces à convictions, d'archivage, de reprographie, de traitement du courrier, de gestion des fournitures ou de réparation et d'entretien (bien que dans ce cas, cette tâche soit de plus en plus confiée à des sociétés extérieures) Quant aux adjoints administratifs, on peut à nouveau opérer une distinction : d'une part ceux exerçant des fonctions purement administratives, notamment auprès des services administratifs, budgétaires, de gestion du personnel ... des juridictions ou auprès des Services Administratifs Régionaux rattachés auprès de chaque Cour d'Appel (étant soulignés que depuis peu un corps de secrétaire administratif – catégorie B- a été créé au lieu et place des greffiers pour exercer ces fonctions administratives) ; d'autre part ceux exerçant des fonctions plus « juridictionnelles » au sein des Bureaux d'ordre civils ou pénaux, des services d'audiencement correctionnel, de services d'application ou d'exécution des peines et plus généralement des greffes. Et ce sont ces derniers que l'on pourrait qualifier – reprenant les mots de Me Eolas – de « secrétaires de justice ». Le plus souvent les adjoints administratifs affectés à un greffe sont « faisant fonction de greffier ».

Et c'est là que le bât blesse...

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For intérieur

Par Dadouche



23 Octobre 1998 :
Ca fait déjà deux jours, je ne réalise toujours pas. J'ai les écrits du concours. Oh p.... je le crois pas. J'ai encore rien révisé pour les oraux....

23 octobre 2008 :
Ca fait déjà dix ans, je commence à réaliser...


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Lettre à mon fils

Par Gascogne


Je t'envoie ce courrier puisque les moyens modernes de communication ne sont pas sûrs. Tu sais que je ne peux parler librement, et que toute interception de correspondance me vaudra des poursuites disciplinaires.

Je voulais tout de même te dire à quel point j'ai été fier de toi lors de ta prestation de serment. Te voilà juge, mon fils. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être amer. Ton serment est bien loin de celui que j'avais moi même prêté voilà bien des années : "Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat". Tu as dû te contenter d'un "Je jure de servir l'Etat et les victimes". Autres temps, autres moeurs, encore que les assauts contre notre serment aient commencé très tôt...

Je t'aiderai bien sûr à payer ton assurance responsabilité. Il n'est pas possible que tu t'endettes autant alors que ta carrière ne fait que commencer. Tu comprendras cependant qu'il ne conviendra pas que cela se sache. Un juge ne peut rien recevoir d'un procureur, fut-il son père.

Comme tu le sais, je serais bien revenu à la carrière de juge, mais la séparation du corps, alors que tu n'étais qu'un enfant, s'est faite rapidement. Et je n'ai pas pu revenir au siège...Diviser pour mieux régner a toujours été la maxime préférée des dirigeants, et notre corps n'y a pas fait exception.

La transformation n'a finalement pas été si violente. Ils avaient commencé a préparer l'opinion publique, en répétant à l'envie que les magistrats étaient corporatistes, que la consanguinité des juges et des procureurs était mauvaise pour les justiciables. Le plus extraordinaire est que je n'ai toujours pas compris pourquoi. Un procureur protégé par un statut semblable à celui du juge aurait-il était plus dangereux pour le justiciable qu'un procureur aux ordres, pour lequel la vérité du dossier est bien moins importante que les statistiques mensuelles ? Plus dangereux pour les politiques impliqués dans des affaires délictueuses, sans doute, mais pour le reste...Moi qui pouvais en des temps lointains requérir l'annulation d'une procédure si la loi était violée, je ne le peux désormais plus.

Ensuite, ils ont réformé le Conseil Supérieur de la Magistrature afin que les magistrats n'y soient plus majoritaires, corporatisme oblige. Les nominations des procureurs furent ainsi totalement assurées par le pouvoir. L'étape suivante a été la suppression de la Commission d'Avancement. Tu n'as jamais connu cette instance : ses membres étaient en partie élus sur des listes syndicales de magistrats. La commission d'avancement avait deux grands secteurs d'intervention : elle statuait sur l'inscription au "tableau d'avancement" qui permettait aux magistrats de passer au grade supérieur. Ta carrière à toi se décidera en conseil des ministres. La commission d'avancement décidait ensuite des intégrations dans la magistrature. Aujourd'hui, et tu ne le sais que trop, la désignation des juges se fait à Paris. C'est le CSM qui décide de tout, et les magistrats n'en font plus du tout partie.

Ton pauvre père n'est plus qu'un vulgaire procureur aux ordres du préfet de région. Je dois poursuivre toutes les infractions, puisque l'opportunité des poursuites a été abandonnée depuis bien longtemps. Malheureusement, les moyens matériels en procureurs et autres fonctionnaires qui nous avaient été promis pour accompagner cette réforme n'ont pas suivi. Je n'y avais pas cru de toute manière.

Bien sûr, la liberté de parole à l'audience, la dernière qui nous restait, a également disparu. Les politiques ne supportaient plus que des professionnels du droit en charge de l'application des lois puissent donner leur avis sur celles-ci, même à l'audience. Alors je m'y rends désormais le coeur léger, puisque je n'ai plus qu'à demander des peines fixées par la loi, que les juges sont tenus d'appliquer. Certes, nous n'avons plus beaucoup d'utilité, mais c'est tellement plus confortable, même si certaines situations me mettent parfois très mal à l'aise. Tu n'auras pas plus le choix que tes camarades de promotion.

Ton métier ne sera jamais celui que j'exerçais lorsque tu étais jeune, et que tu venais me voir à l'audience. Je voyais dans ton regard que tu étais fier de ton père. Fier de ce qu'il apportait à la société. Malheureusement, les temps ont bien changé, et la justice n'est plus aujourd'hui qu'une administration comme une autre. Comme la Sécurité Sociale ou les impôts. Le justiciable veut son jugement favorable. Il prend son ticket et choisit son juge. Où est la justice, dans tout cela ?

Voilà, mon fils. Je te souhaite de réussir à travailler dans les meilleures conditions. Non pas matérielles : à l'impossible, nul n'est tenu. J'aurais préféré que tu fasses un autre métier. Celui-ci n'a pas beaucoup d'avenir. Mais je n'en resterai pas moins éternellement fier de toi.

Ton père qui t'aime.

23 heures, c'est mon tour…

Conte prophétique, histoire fictive d'éléments vrais, par Marcus Tullius Cicero, substitut


23 heures, c’est mon tour, …


Je patiente depuis une heure déjà dans l’antichambre du bureau de la Garde des sceaux, pendant que mon procureur subit l’interrogatoire des inspecteurs de l’IGSJ requis avec célérité par la ministre.


Mon estomac est vide depuis midi, et j’entends mon cœur qui bat. Je sais que si mes enquêteurs avaient procédé de la sorte contre un des gardés à vue, dont j’ai la responsabilité et le contrôle, ils auraient entendu parler de moi ! Mais, je sais qu’ils n’en ont jamais eu l’idée, simplement parce que mes policiers et gendarmes sont des gens responsables, honnêtes, loyaux, et humains, et savent qu’avec notre parquet on ne transige pas avec les droits humains, y compris avec le dernier des voyous.


Mais bon, depuis quelques temps j’avais le pressentiment que ça finirait par m’arriver…


Une fois de plus, un mineur - 17 ans - vient de se donner la mort dans la cellule de notre maison d’arrêt. C’est le 4ème pendu depuis le début de l’année. Lorsqu’on m’avait déferré après son interpellation ce garçon multirécidiviste, pour mettre à exécution un jugement de condamnation du tribunal pour enfants, j’avais pourtant indiqué sur sa fiche qu’il fallait prendre des précautions - on le fait systématiquement - qu’il se pourrait qu’il ait des tendances suicidaires - c’est souvent le cas chez les adolescents, ils passent de l’exubérance à la déprime la plus noire, surtout quand ils ont pris longtemps des stupéfiants - , appliquant sans état d’âme le nouveau décret du 10 octobre 2008 pris par la Garde des sceaux le lendemain matin d’un précédant suicide.


Je suis accablé des conséquences de ma décision d’incarcération. J’ai deux fils de 13 et 16 ans, ce n’est pas virtuel pour moi. J’ai mal pour ses parents, même s’il se peut que ses parents n’ont peut-être pas fait tout ce qu’ils pouvaient pour lui.


Ce qui me trouble le plus c’est que c’est pourtant la même Garde des sceaux, qui a rédigé une circulaire demandant aux parquets de requérir systématiquement les « peines planchers » contre les récidivistes et, en cas de refus par le tribunal de s’y conformer, de relever appel des décisions contraires. C’est la même qui a demandé que l’on fasse preuve d’une sévérité accrue contre les mineurs. C’est toujours elle qui dans la même semaine a convoqué cinq procureurs généraux - leur taux de peines planchers étant supposé inférieur à la moyenne nationale - pour explications, annoncé une réforme de la minorité pénale pour la faire passer de 13 ans à 12 ans, stigmatisé la violence des mineurs, certes bien réelle mais qui s’est soucié pendant des années d’une politique efficace contre le cannabis, consommé par eux depuis parfois l’âge de 10 ans !


J’ai encore en mémoire les mises en garde par le principal syndicat de magistrats qui dénonçait le risque de ces « peines planchers, loi inutile et dangereuse, qui restreint le pouvoir d’appréciation des magistrats et les met dans des situations humaines et professionnelles impossibles et porteuses de risques disciplinaires » (communiqué USM du 26 novembre 2007).

Je me pose et me repose sans cesse la question quand notre système a-t-il dérapé ?


*


Pourtant j’étais heureux et fier d’avoir intégré la magistrature 3 ans plus tôt. Bien sûr il y avait eu OUTREAU, mais c’était un petit juge seul, trop jeune, « manquant d’épaisseur » comme l’avait affirmé un membre de la commission d’enquête parlementaire. S’il l’avait dit, c’est qu’il devait y avoir du vrai, ne dit-on pas « il n’y pas de fumée sans feu », ce que me sussurait encore hier ma voisine, Madame MICHU - sainte femme -. De toute façon je n’étais pas concerné, j’étais parquetier, alors les problèmes d’un juge d’instruction… Et puis la justice française rend 4 millions de jugements chaque année. Un cas sur 4 millions, ça me semblait rester dans le domaine de l’exception qui confirme la règle, la justice est rendue par des hommes pas des dieux…


Mais je me souviens que j’avais été troublé. Je venais de quitter le barreau après une carrière de près de 20 ans associé d’un cabinet d’affaires. Au fur et à mesure de mon travail j’avais acquis le respect de mes pairs, de mes clients, des magistrats. Gagnant confortablement ma vie, j’avais à l’époque croisé le fer à la barre avec les grands … Il n’y a en qu’un que je n’avais pas beaucoup vu au barreau, c’était Maître SARKOZY, mais je crois qu’il ne plaidait pas vraiment beaucoup, même à l’époque. Je parle d’un temps ou Jean-Louis BORLOO était l’avocat de Bernard TAPIE, ou le développement durable, l’écologie, n’étaient pas sa tasse de thé, ou son client démantelait les entreprises qu’il achetait au franc symbolique et revendait 10 fois le prix par morceau … J’apprends que ce dernier va toucher 280 millions d’euros, parce que le Crédit Lyonnais avait, parait-il, fait un peu pareil avec sa société en faillite. J’apprends aussi que chaque arbitre de cet arbitrage, arraché à la procédure judiciaire par l’intervention de BERCY, gagnera 300.000 euros d’honoraires, alors que je perçois quarante six euros pour mes nuits de permanence. 46 euros pour partir la nuit sur une scène de crime, contrôler la garde à vue d’un mineur, prendre des décisions dans un demi sommeil...


Je savais que j’allais faire un métier d’abnégation, j’ignorais que je ferais un métier de chien ! Je suis passé du traitement d’avocat d’affaires à celui de substitut du second grade, par vocation, tardive certes mais puissante, par goût de servir la justice et mes concitoyens. Je ne dis à personne combien je gagne, j’ai trop honte, on me prendrait pour un raté, dans le meilleur des cas pour un fou, je ne sais pas comment expliquer à mes amis le désintéressement, la noblesse de servir, … et c’est d’autant plus difficile que nous sommes déconsidérés au plus haut niveau de l’Etat. D’ailleurs pour ne pas que nous puissions avoir la grosse tête, que l’on soit président, procureur, procureur général, juge ou substitut, nous voyageons en 2ème classe, dormons dans des hôtels Formule 1. Les préfets et autres hauts fonctionnaires nous regardent avec un rien de condescendance nous rendre à leurs réunions en véhicule de service, Renault Scénic, Peugeot 106. Il y a belle lurette qu’ils ont compris que les magistrats étaient les « petits pois » de la République.


Je crois que la devise des magistrats pourrait être puisée dans cette maxime de l’empereur MARC AURELE « habitue toi à tout ce qui te décourage ».



* * *

Vingt trois heures trente, ça commence à faire long… Ma chemise est trempée d’une froide sueur, je n’ai pas eu le temps de me changer ayant été convoqué en catastrophe, je me sens sale.

J’entends derrière la porte épaisse des éclats d’une voix aiguë, non maîtrisée. Je crois que c’est mon procureur qui se fait insulter. Les mots « incapables, incompétents, déloyal », fusent et résonnent. Deux gendarmes sont entrés dans le bureau. Si j’ai bien compris ils viennent, sur ordre, contredire mon chef sur un détail essentiel - le mineur a-t-il été interpellé chez un ami ou dans un squat ? Effectivement ça change tout ! – il se fait tancer comme un laquais de l’ancien régime. Je croyais que les gens de robe avaient peu ou prou contribué à la Révolution française, pour que tous les hommes soient traités avec humanité ?


J’ai dû rater un épisode…


Je suis perdu dans mes pensées. Je réfléchis à ce que je vais lui dire, si elle veut bien m’écouter. A 48 ans, ayant fait un passage dans l’armée je ne me souviens pas avoir jamais parlé à un de mes soldats de la sorte - j’aurais eu trop honte de dénaturer « Le rôle social de l’officier » prôné par LYAUTEY -, ni surtout à mes collaborateurs lorsque j’étais avocat associé. Non décidemment je n’aime pas ces méthodes fondées sur l’irrationnel, l’injuste, l’incohérent.

Petit, je détestais cette morale de LA FONTAINE « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » et me voici en passe de me faire « caraméliser » comme mon procureur et avant lui, mon procureur général, pour avoir appliqué une loi de la République !


Je prépare mon argumentation. Ce n’est pas possible, elle doit être mal informée, mal conseillée par sa pléthore de conseillers. D’ailleurs, ne lui a t-on pas rapporté récemment qu’il n’y avait eu que 90 participants au congrès national de l’USM à CLERMONT-FERRAND, alors que le nouveau président a été élu par plus de 750 voix dans un amphithéâtre de la faculté de droit, plein à craquer. On doit pouvoir s’expliquer entre personnes raisonnables et honnêtes. Mais il est vrai que dans son cabinet c’est la débandade depuis un an. Cela ressemble à un bateau ivre dans la tempête.



* * *



Minuit …


Je vais essayer de rappeler à l’ancienne substitut qu’elle a été, les jours et les nuits de permanence, à raison d’une semaine par mois, sans récupération, au contraire des policiers, gendarmes, douaniers, …. Ces nuits sans sommeils ou l’on est réveillé deux à trois fois en moyenne. Les enquêteurs agacés qui ne comprennent pas pourquoi notre voix est embrumée au téléphone. J’ai beau leur expliquer que je suis à la fois l’équipe de jour et de nuit, que tout à l’heure quand il fera jour je serai à la barre, assurerai l’audience devant le juge des libertés et de la détention pour la prolongation d’un détenu dont je ne connais pas le dossier, - je suis constamment en terrain mouvant, si je requiers la détention provisoire et que le mis en cause est innocenté la presse me reprochera « un disfonctionnement judiciaire », si je requiers un contrôle judiciaire (la liberté constitue la règle) et qu’il commet un nouveau délit, une autre partie de la presse critiquera « une nouvelle bavure judiciaire » -.


A t’elle encore en mémoire les 10 signalements quotidiens du Conseil général, des pédopsychiatres, des médecins, des assistantes sociales, des parents d’enfants,…, à ma collègue des mineurs qui a déjà 400 procédures en attente, concernant précisément des mineurs en danger. Signalements justifiés ou non, pour lesquels chaque matin elle oscille désagréablement entre l’impression de commettre un nouvel « OUTREAU », ou déceler une nouvelle affaire d’ANGERS, sans pouvoir toujours démêler le vrai du faux, le réel du fantasme, dans ce contentieux particulier de « la parole ».


Il faut que je puisse lui présenter quelques mots sur le courrier général : 25.000 procédures par an dans mon parquet pour sept magistrats, soit 3.500 procédures par tête,… une minute pour prendre une décision sous peine de crouler sous la masse. Peut-être ne sait-elle pas que pendant un an on s’est retrouvé à quatre, soit 7.000 procédures par personne ! A t’elle oublié si vite combien nous sommes démunis dans les parquets à qui on eu de cesse de charger la barque ? Nous n’avons ni greffier, ni secrétaire, ni dactylo, ni assistant, nous tapons tous nos réquisitoires, rapports d’appels au parquet général, de signalement, d’actualisation, notes, courriers aux justiciables, plaignants, mis en cause, avocats, mandataires, enquêteurs ? Qu’enfin on ne peut plus décemment, raisonnablement, humainement, traiter une telle masse sans aucun risque.


Je compare mon parquet avec celui de MONS (Belgique) d’un ressort équivalent. Il y a chez eux 40 magistrats et autant d’assistants de justice…



Va t-elle comprendre enfin que depuis que je suis magistrat, je suis en état d’insécurité juridique faute de connaître toutes les lois, « nul n’est censé ignorer la loi ». Cette blague !

La loi est folle, incompréhensible, c’est un babil redondant et contradictoire. Entre 1885 et 2000 (en 115 ans) il y a eu 21 textes concernant le régime et/ou l’application des peines. Entre 2000 et aujourd’hui (en 8 ans), 26 !

D’un gouvernement à l’autre on affiche d’autres priorités, souvent contradictoires entre elles, d’où cette extraordinaire impression de schizophrénie. La société actuelle veut tout et son contraire : la peine sans le risque de l’erreur, la présomption d’innocence sans le risque de la réitération, la réinsertion sans le risque de la récidive.


Après « OUTREAU », il ne fallait plus mettre personne en détention provisoire, une loi a même été votée supprimant le critère du trouble à l’ordre public pour les délits. Karine DUCHOCHOIS à la radio est devenue l’animatrice des nouvelles élégances judiciaires. Trois mois plus tard, on nous enjoignait de mettre en prison tous les mineurs et deux mois encore après de placer en détention un adulte qui avait photographié des sous-vêtements d’enfants à Eurodisney, en raison du trouble profond provoqué à l’ordre public, soit exactement le contraire de ce qui venait d’être voté ! C’est nous qui sommes profondément troubléS.


Magistrat du Ministère public, je porte dans les plis de ma robe, à l’instar de mes 2.000 collègues, la définition du jurisclasseur « Le ministère public est le représentant de la Nation souveraine, chargé d'assurer le respect de la loi. Magistrat à part entière, à ce titre garant à la fois des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société, le magistrat du ministère public bénéficie dans l'exercice de ses attributions, d'une délégation directe de la loi qui lui confère sa légitimité. Il ajoute ainsi à son autorité de magistrat la majesté de la puissance publique qu'il incarne, et agit, non pas au nom de l'Etat ni du gouvernement, mais en celui de la République, à qui l'ensemble des citoyens a délégué sa souveraineté ».


Je sers la loi universelle, générale, impersonnelle. J’ai du mal avec la loi « siliconée », celle qui se moule à l’opinion publique, qui dure ce que dure les roses…


J’évoque MONTESQUIEU : « La liberté politique, dans un citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et, pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.

Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur.

Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. » (L'Esprit des Lois).


Ou encore « Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. »


On me répond : « Voici », « Gala », « Vsd », « Paris Match » !


Comme dirait mes enfants, « on est pas en phase », nous ne sommes tout simplement plus dans le même espace temps.



* * *



Minuit trente, me voici seul et responsable …


Pourtant je ne me suis jamais senti irresponsable, simplement je croyais que l’acte de juger, de décider, de trancher, était encadré par les voies de recours, pas la revanche !


Lorsque j’étais avocat j’étais assuré pour ma responsabilité professionnelle. Comme magistrat je n’ai aucune assurance et pas les moyens de m’en payer une et d’abord auprès de quelle compagnie ? Aucun assureur ne prendra en charge la responsabilité des magistrats, dont l’étendue variera évolue au gré des caprices, horions, quolibets, et lazzis des insatisfaits.


Et pourtant vous voulez malgré cela me rendre personnellement responsable des fautes lourdes, déni de justice, non respect des droits de la défense, mais aussi de la faute simple pour les tutelles, passible des recours des justiciables contre mes décisions - j’espère que vous avez prévu pour le nouveau CSM composé de nominés politiques (qui ont peut-être quelque compte à régler) du personnel… car il va être rapidement engorgé -.


Et oui, car nous sommes voués de par nos fonctions - à égale distance des parties nous commande notre devoir - à créer 50 % de mécontents par procès dans le meilleur des cas (en justice il y a toujours un gagnant et un perdant), quand ce ne sont pas 100 % de mécontents (celui qui n’a pas obtenu tout ce qu’il voulait, celui qui ne voulait pas être condamné).


Tout ceci finira par me conduire, non plus à servir la loi mais, à me protéger...


* * *

Minuit quarante cinq… les portes claquent, j’entends le journal de « LCI » dans le bureau ministériel où trône un écran plasma allumé, illuminé devrais je dire, tel un néon sur les états d’âme des français …


Je dois pourtant au moins lui exposer que les magistrats de ce pays ont probablement, modestement mais efficacement, avec d’autres - les policiers, les gendarmes qui ont été publiquement remerciés par leur ministre -, sauvé la République 10 fois ! Elle n’est pas sans savoir qu’à chaque élection, chaque manifestation, sans même rappeler novembre 2005, des « sauvageons » embrasent nos voitures, nos commerces, nos villes. Et ce sont les policiers, les parquetiers, les juges qui maintiennent l’ordre et la justice dans nos cités, jusque tard la nuit. Sans merci de quiconque.


N’a t-elle plus en mémoire ces audiences harassantes de 20 à 30 dossiers s’achevant jusqu’à point d’heures et que l’on est bien forcé d’enrôler pour pouvoir évacuer un contentieux exponentiel dans lequel des hommes et des femmes expriment de plus en plus durement la haine des autres, de la société, leur égoïsme. Le stock d’affaires pénaleS augmente sans cesse. En 1968 il y avait 600.000 plaintes pénales pour 6.000 magistrats, en 2007 il y a 5.300.0000 plaintes et 8.000 magistrats, quasiment le même nombre qu’au Second Empire. Cela représente une augmentation de 900 % de la délinquance en 40 ans, pendant que le nombre de magistrats augmentait de 30 %  sur la même période !

Or, contre toute attente vous avez décidé brutalement de supprimer la moitié des juridictions alors pourtant que la France entre 1958 et 2008 avait vu sa population augmenter de 16 millions, le nombre des recours aux tribunaux se multiplier à due proportion, de sorte qu’entre les permanences, les réquisitoires, les jugements, la masse du courrier, les audiences jusqu'à plus d'heures, les réunions, les opérations de-ci et delà, les nouvelles lois, les décrets appliquant les nouvelles lois, les circulaires de 60 pages expliquant les décrets appliquant les nouvelles lois, les lois à effet retard, tout ceci à moyens non pas constants, mais amputés et qu’il était devenu progressivement impossible de rendre la justice dans la sérénité.


D’où me vient cette sensation d’essayer de vider la mer avec une petite cuillère ? Dans son discours de rentrée solennelle de janvier 2007, le procureur de la République de PARIS écrivait que « les chiffres s’alignent comme autant de témoins objectifs de l’engagement méconnu de magistrats qui, au sein de cette institution spécifique qu’est le ministère public de notre pays, accomplissent sans relâche la mission que leur assigne la loi ».


Rien n’y fait pourtant. Quels que soient nos efforts, les journalistes, les politiques, nos concitoyens ont des œillères. Après avoir abandonné les profs, les policiers, les gendarmes, les gardiens de prison, l’Etat caillasse les pompiers de la République qui tentent d’éteindre le feu dans la maison avec leurS pauvres codes désuets, leurs principes surannés d’indépendance, d’égalité.

Comment ne voit-il pas qu’après nous, il n’y a plus rien. Nous sommes les digues, les derniers remparts. Lorsque les bornes sont dépassées, disait Pierre DAC, il n’y a plus de limites.

Nous avons systématiquement tort et notre Ministre reste muette, sourde à nos angoisses.



* * *



Une heure du matin, ça bouge.


La porte s’ouvre et se ferme à intervalle régulier. Des rayons de lumières rendent plus sinistreS les ors de cette antichambre où nombre de serviteurs de l’Etat ont été brisés, peut-être comptabilisera-t-on bientôt les dépressions, démissions et suicides chez les magistrats ? Pour un juge BOULOUQUE crucifié dans la lumière, combien de drames familiaux restés dans l’intimité des familles…


Je réalise à cet instant que j’ai quitté ma famille depuis 3 ans, pour vivre dans une chambre de 15 m2, célibataire géographique… grandeur et servitude.

Je n’ai pas vu grandir mes enfants depuis ces dernières années, ni pu obtenir le réconfort de mon épouse lorsque j’étais parfois découragé après mes 30 dossiers à l’audience, mes 90 règlements et autant de rapports, signalements et plus encore de nuits perturbées.


Tout cela pour me retrouver accusé en ces hauts lieux. Coupable, sans procès équitable, sans avocat, d’avoir appliqué la loi, toute la loi, rien que la loi.



* * *



Une heure trente, ça se précise…


La porte s’ouvre. Mon procureur apparait. Il est livide, les yeux rougis. Ses lèvres tremblent. Il semble brisé. Les 5 inspecteurs l’entourent, le visage fermé.


On m’explique que je dois faire mon autocritique. Comme dans la Chine du grand Timonier. J’ai commis une grave faute. Je n’ai pas devancé ce que le Peuple attendait de moi. Je n’avais pas de boule de cristal.


Pourquoi ai- je la sensation de quelque chose d’absurde, de fou et de dérisoire à la fois ?


C’est décidé, tout ce cirque m’agace. Je suis passé de la déroute au dégoût, de la détresse à la rage.


Je mets un terme à cette gesticulation.


Je tourne les talons, formule une impolitesse et claque la porte. Il parait que jeudi il y a une mobilisation de la Justice dans toute la France.

L'affaire de Sarreguelines et Metz

Par Evadauras, qui revient sur l'affaire qui fut la goutte d'eau tombant dans un vase trop plein, à l'origine de cette journée d'action. Les notes de bas de page sont de l'auteur.


Deux remarques (d'un magistrat) sur les suites politiques, médiatiques et administratives du suicide d'un mineur détenu de seize ans à Metz, dont une peine d'emprisonnement ferme venait d'être mise à exécution par le parquet de Sarreguemines (8 & 9/10/2008).

1) Le premier point semble maintenant végéter dans un certain non-dit. Au cours de son premier déplacement à Metz (9/10/2008), la ministre a-t-elle oui ou non qualifié la décision « d'injuste » ?

Dans l'affirmative, de quoi parlait-elle exactement : d'une décision de justice pénale rendue par un tribunal pour enfants (une formation collégiale de jugement composée d'un juge professionnel, juge des enfants, et de deux assesseurs citoyens) ou d'une banale, régulière et opportune application de la loi par un substitut chargé de l'exécution des peines ?

Quelle que soit la version, le propos s’il est avéré est scandaleux. Qui dit la vérité dans cette affaire : ceux qui l’ont rapporté aux syndicats ou la ministre qui le nie et le procureur général de Metz qui a aussitôt confirmé cette dénégation par un communiqué de presse ? Qui ment ? Le propos aurait été tenu au cours d'une réunion en présence de plusieurs magistrats et de divers membres de l'administration pénitentiaire, de la chancellerie et de la Protection judiciaire de la jeunesse. Il serait donc pour commencer très facile d'en vérifier la véracité, histoire par ailleurs de ne pas laisser le dernier mot à ce démenti officiel. Histoire aussi tout simplement de se faire plaisir en creusant un peu les choses, ne serait-ce que pour faire mentir pour une fois ce mot de Swift : «La crédulité est plus tranquillisante pour l'esprit que la curiosité»…

2) Il y aura eu Dieu merci une parfaite volonté d’en découdre sur le second point. Et le fiasco du deuxième déplacement de la ministre à Metz (20/10/2008) n'est qu'un juste retour des choses. Mais de quoi sont donc faits ces cinq inspecteurs des services judiciaires qui « interrogent » des magistrats un par un entre 22h00 et minuit passé ? Ne peuvent-ils comme tout le monde (enfin presque…) travailler dans des heures ouvrables ? À quoi riment ces « convocations » au pas de charge le soir et la nuit mêmes (8/10/2008) du jour précédant la venue de la ministre (9/10/2008) ? Toujours cette maudite fringale d'immédiateté, — l’Auri sacra fames[1] des anciens —, cette nouvelle soif de l'or de notre merveilleuse démocratie d'opinion...

Et en prime, toujours cette impérissable hypocrisie. Ces auditions précipitées et nocturnes étaient annoncées comme informelles (ni enquête disciplinaire, ni enquête administrative), elles sont maintenant précisées comme enquête administrative par l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ).

Ah les orfèvres ! Ils vantent pourtant fort bien leur méthodologie et leur déontologie sur leur site ! On sait depuis longtemps que ceux qui affirment les plus hauts principes en donnent aussi parfois les plus grossiers contre-exemples. Interpellée et pressée de toutes parts sur ces scandaleuses conditions d'audition, la ministre n'a pas mis beaucoup de temps à capituler, et de manière plutôt scabreuse. Elle a commencé par lâcher l’IGSJ en faisant dire par son porte-parole que cela ne relevait pas du ministre de la justice qui « décide d’une enquête » mais des inspecteurs généraux « qui convoquent les magistrats » (AFP, 14/10/2008). Et comme cela ne suffisait probablement pas, l'Inspecteur général des services judiciaires en personne (un haut-magistrat) vient de rendre publique une bien curieuse contrition, se disant « surpris et ému de la façon dont la presse a relaté son inspection à Metz », « [regrettant] la précipitation dans laquelle il a pu agir », dédouanant soigneusement la ministre de ce mode opératoire, disant assumer l'entière responsabilité de cette invraisemblable équipée de fonctionnaires nyctalopes[2](cf. : AFP, 16/10/2008).

Comme l'ont dit et pensé beaucoup plus crûment la plupart d'entre nous, on nous prend vraiment pour des c… !

Notes

[1] Auri sacra fames : «Exécrable fringale de l'or !» ou «Maudite soit la soif de l'or !» célèbre haut-le-cœur de la littérature antique, d'après un vers latin de Virgile, Énéide, III-57

[2] Nyctalope : terme savant, (du grec nyctalops ; de nux : nuit et ôps : vue), se dit d'un animal qui voit la nuit et qui par conséquent y vit et agit. Pour les amateurs de haddockismes, le terme peut aussi être employé comme simple épithète quelque peu exutoire…

j'assiste à ça…

Par Veuxd'elle, assistant de justice dans un tribunal administratif


Je suis le petit assistant de justice qui se faufile derrière son magistrat ou sa présidente. Je suis à la fois trop près et trop loin pour savoir ce qui ne va pas mais je peux vous en dire deux mots.

Mon travail à moi, légalement, c'est d'apporter mon « concours aux travaux préparatoires réalisés par les membres » de la juridiction administrative (art. R.222-7 du code de justice administrative, abrégé CJA).

En réalité, sous le contrôle des magistrats, je traite les dossiers qui arrivent sur mon bureau, tout simplement parce qu'il n'y a plus assez de magistrat pour écouler le stock.

Alors on me dit que je dois faire comme les grands : une note, un projet de jugement et au suivant, une note, un projet etc… en droit des étrangers, beaucoup, des ordonnances[1], énormément.

Parce que la pression des chiffres, l'engorgement des tribunaux et l'usine à gaz du « droit » des étrangers à conduit à ça, donner ce contentieux à de jeunes juristes qui sortent des banc de la fac et n'ont pas imaginé une seconde, du haut de leur vingtaine d'année, qu'ils pourraient avoir une responsabilité aussi écrasante. Bien sûr, sous le contrôle des magistrats, eux-mêmes débordés et courant après leur « norme » (i.e. le nombre standard de dossier à traiter pour une audience, une dizaine en général, la justice est une histoire de statistique…).

Moi aussi j'ai ma norme et mon quota à écouler. Chaque jour j'ai cette petite cloche dans ma tête qui me dit « tu en es à combien là ? C'est tout, c'est moins que le mois dernier, allez mets un coup de cravache mon petit ». Très relaxant comme son de cloche…

Pourquoi ? Parce que nos gouvernants on eut l'ingénieuse idée de flatter le peuple dans ses plus bas instincts, la peur de l'autre, au détriment d'un idéal, une justice de qualité.

Alors ils ont restreint les conditions d'octroi, durci la législation et inventé des instruments juridiques merveilleux comme l'OQTF[2] qui permet, dans un même bout de papier, d'avoir trois décisions : refuser le titre de séjour, fixer le pays de renvoi et obliger à quitter le territoire.

Ingénieuse ? Pour les préfets certainement, ils gagnent du temps grâce à ce fameux bout de papier unique ; pour nous rien n'a changé. Il reste toujours trois décisions susceptibles de contenir chacune des illégalités qui leurs sont propres et qu'on doit examiner : ça c'est l'Etat de droit mais sous la pression des chiffres, ça c'est l'Etat démago des statistiques à gogo.

Qui y gagne à votre avis ?

Qu'est-ce qu'il en résulte ? oh, trois fois rien, hormis quelques jugements par-ci par là un peu discutables (j'aimerais souligner qu'ils restent assez rares tout de même), il est une conséquence directe qui me dérange beaucoup plus : pendant que toute l'énergie des magistrats et assistants est consacrée à la résorption de ce contentieux en explosion depuis ces dernières années (allant jusqu'à représenter 60% du stock d'une juridiction !!!!), les autres contentieux n'avancent pas. Et l'égalité du justiciable dans tout ça criera la brave dame ?

Si tu es un « dangereux étrangers » en situation irrégulière, rassure toi, tu seras jugé en moins de six mois[3]. Si tu es un contribuable qui souhaite contester la taxation d'office au titre de l'impôt sur le revenu, tu en as pour un ou deux ans. Tu as été charcuté par un chirurgien indélicat ? compte au minimum deux ans pour un jugement de première instance. Tu es menacé d'expropriation pour une cause dont tu penses qu'elle n'a d'utilité publique que l'étiquette ? Ne t'en fais pas, grâce aux contentieux des étrangers, tu risques fort d'être jugé dans trois ou quatre ans.

Le pire dans tout ça, c'est le gâchis. Je rêve d'intégrer ce corps[4], je m'y prépare d'ailleurs, mais comment rendre attractif la fonction de magistrat quand on promet aux impétrants le si excitant contentieux des étrangers comme presque unique horizon en début de carrière ? Autant dire, de suite, que ça en fait fuir plus d'un… des talents sacrifiés sur l'autel de la démagogie et des « bons chiffres » du gouvernement.

Ras le bol, qu'est-ce qui est le plus important : l'aura politique d'une personne assise sur une sorte de bulle spéculative ou VOTRE justice, celle qui est rendu au nom du peuple français et devrait être digne de celui-ci !

J'ai été recruté parce que j'avais au minimum une maîtrise de droit et des compétences qui me « qualifient particulièrement à l'exercice de ces fonctions » (L222-7 CJA). J'ai un DEA d'une grande université, cinq ans d'études derrières et la chance d'avoir pu consacrer mon temps à ça et pas, comme beaucoup d'autre, à travailler en même temps pour financer celle-ci. Je suis payé 8,80€ brut de l'heure, pour un contrat de 15h par semaine, c'est la norme. Ca ne me paye même pas mon loyer à Paris… heureusement, jeune actif, mes parents sont encore là.

Ha oui, pourquoi ne pas finir sur une note d'espoir : au prochain concours, il y aura certainement, comme chaque année, entre 30 et 40 postes d'ouverts.

Il y a environ 1000 magistrats administratifs et 8000 magistrats judiciaires pour 60 millions de citoyens en France. En Allemagne, pays qui a substantiellement la même organisation que nous, on dénombre 22 600 magistrats judiciaires, certes pour 82 millions d'habitants. Mais ça donne proportionnellement un magistrat judicaire pour 3600 citoyens là bas, quand on en compte 1 pour 7500 chez nous.

Alors si vous pensez qu'il est plus important de parler du bébé de Rachida, de la rétention de sûreté ou du chien de Michel qui a mordu Germaine et qui nécessitera une nouvelle loi, ce sera sans moi, je ne veux pas, je ne peux pas voir à ce point la République se désintéresser de ce qui est et restera toujours, quoiqu'on en dise, le troisième pouvoir et le garant des droits et libertés de nos concitoyens.

Notes

[1] Une ordonnance en droit administratif est le cauchemar de l'avocat : c'est une décision de rejet de la requête sans audience.

[2] Obligation de Quitter le Territoire Français, création de la loi Sarkozy II du 24 juillet 2006.

[3] En moins de trois mois pour une OQTF, en moins de trois jours pour une reconduite à la frontière.

[4] Des conseillers des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, la magistrature des tribunaux administratifs.

Semaine classique dans un tribunal

Par la Biscotte, juge d'instruction… entre autres. Les notes de bas de page sont d'Eolas.


Lundi après-midi, audience correctionnelle à juge unique... 34 dossiers à juger, moyenne habituelle…

Petit calcul : l'audience commençant à 13h30, mettons 20 mn par dossier tout compris (exposé des faits, audition du prévenu, éventuellement de la victime, de son avocat, réquisitoire du parquet, plaidoierie de la défense), ça nous mène à.... euh...680mn, donc euh.. plus de 11h d'audience ? Finir à minuit et demi, ça va pas être possible là…

Bon, tant pis, je vais renvoyer des dossiers d'office : les gens seront pas contents d'être venus et d'avoir attendus pour rien, mais je ne peux décemment pas continuer à les juger passé une certaine heure…

Hein ? La circulaire Lebranchu fixant la durée maximale des audiences à 6h ? Bah oui, mais vu le stock des dossiers en attente et le manque de magistrats et greffiers, si je l'applique concrètement cette circulaire, je vais me faire appeler Arthur par ma hiérarchie (mais gentiment hein, je suis indépendante ! et ce sera aussi gentiment inscrit dans mon dossier…) Passons…

Mardi : CRPC[1], aussi appelée “ plaider coupable ”. C'est nouveau ça, plus d'audience, ça se passe en catimini entre le procureur et le prévenu, puis devant le “ juge homolagateur ”…à savoir bibi.

Bon, les peines proposées sont pas celles que j'aurais appliquées à l'audience, mais bon, si je refuse d'homologuer trop de peines, ça va repartir dans le circuit classique des audiences correctionnelles (voir plus haut). Bon, puisque le prévenu est d'accord pour cette peine, homologuons…

Tiens, une loi va sortir pour permettre au juge homologateur de fixer une peine moins lourde que celle proposée par le parquet…

Euh...ils nous réinventent l'audience correctionnelle là ?? La publicité et le débat en moins…

Passons…

Mercredi : l'instruction (et oui, c'est ma fonction principale).

Bon, étant arrivée en poste au moment de l'affaire Outreau, on peut pas dire que je suis vraiment sereine mais bon…

En même temps, plus ça va, moins le procureur en ouvre, des informations judiciaires[2]. Faut dire, ça coûte cher l'instruction, et on a plus d'argent !

Bon, les affaires sont quand même jugées, hein, mais beaucoup plus vite, on va dire. C'est vrai que le problème, c'est qu'à l'audience, les juges ont un peu de mal à savoir réellement ce qui s'est passé, les policiers n'ont pas eu le temps de faire les vérifications, y'a pas eu de confrontations, et on sait rien de la personnalité du prévenu et de sa victime.

Mais bon, le type reconnaît les faits, il est en récidive, il encourt 3 ans de peine plancher, les juges sont un peu coincés là.

Et puis moi, je suis dans un tribunal qui n'a pas eu la chance d'être “ pôle de l'instruction ”, ça veut dire que je ne m'occupe plus des affaires criminelles.

Les enquêteurs sont pas ravis, leur juge d'instruction se trouve maintenant à plus de 100 km d'eux. Pas facile pour travailler en équipe sur ce coup-là…

Les victimes ne sont pas ravies non plus : elles ont pas les moyens de payer le train pour être entendues par le juge d'instruction.

Le juge en question est pas ravi non plus : il avait déjà un cabinet surchargé, et maintenant il doit s'occuper de mes dossiers en plus !

Passons…

Jeudi : Rachida Dati sur France 2. Je sais bien que je ne devrais pas regarder mais bon… Et je ne suis pas déçue, la nausée est à la hauteur du discours de la Garde des Sceaux.

Que de mensonges, que de démagogie, c'est du grand art ! Et ça fonctionne, hélas…

A l'entendre, tout va bien, sa politique pénale est formidable, et nous autres, pauvres magistrats, ne savons que nous plaindre, et refusons de nous moderniser !

Bah, moi, je voudrais bien me moderniser ! Par exemple, quand mon fax est tombé en panne, j'ai tout de suite alerté le greffier en chef pour en avoir un nouveau. Bon, je l'ai eu, j'ai juste dû attendre 4 mois (pour info, le fax à l'instruction, c'est vital, pour recevoir notamment les demandes de mise en liberté des détenus).

Passons…

Vendredi : Comparutions immédiates.

Là, c'est la justice expéditive : en 48 h de moyenne, le type passe de la case arrestation à la case prison, sans toucher 20 000 francs ! Les victimes ont rarement le temps de se préparer (quand elles ont eu la chance d'être prévenues de l'audience), et le tribunal dispose que de très peu d'infos sur le prévenu.

Aïe, il est en récidive, d'où peine plancher applicable.. 3 ans de prison, ça fait beaucoup, non, pour un vol de CD à Carrefour avec un copain ?

Le pauvre substitut est quand même obligé de la requérir, il n'a pas envie d'être convoqué place Vendôme, sinon !

Hein? Le suicide du mineur incarcéré ? Bah oui, là, il aurait fallu être moins sévère apparemment.

C'est quoi déjà les symptômes de la schizophrénie ?

Passons…

Ou plutôt non, tiens, ne passons pas, ça fait un bail qu'on passe, et c'est de pire en pire !

Jeudi, j'irai manifester avec les collègues.

Si l'actualité est calme ce jour-là, on aura peut être quelques échos dans la presse.

Notes

[1] Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité.

[2] Synonyme d'instruction judiciaire.

mercredi 22 octobre 2008

Je me reconnais pleinement dans le ras le bol de Lulu…

Par Z_Julien, juge d'instance


Je me reconnais pleinement dans le ras le bol de Lulu et je voudrais ajouter ma touche personnelle ; je suis magistrat moi aussi.

Concrètement je suis seul comme magistrat dans mon tribunal d'instance et pour dire le besoin de justice auquel je dois répondre (parce que c'est cela qui prime) j'indique simplement que j'ai la charge de plus 1300 dossiers de tutelles et que j'examine à l'audience plus de 1200 affaires civiles chaque année c'est à dire que j'ai autant de décisions à rédiger et à rendre (que Gaetan B se rassure, je tape mes décisions moi-même comme la quasi unanimité de mes collègues magitsrats !) ; je n'évoque donc pas l'activité pénale, les injonctions de payer ou les saisies des rémunérations.

Ces données correspondent grosso modo au double de la charge moyenne d'un juge d'instance.

A l'expérience, je me permets d'émettre l'opinion qu'un temps plein de travail permet de traiter normalement et avec diligence cette charge moyenne. C'est normal, un juge est payé par l'Etat pour satisfaire le besoin de justice ... De façon peut-être un peu réductrice, je propose l'image suivante : le juge est un agent de production de décisions de justice qui tendent à la satisfaction de la demande de justice. Les moyens alloués aux cours et tribunaux, qui sont les lieux de production des décisions de justice, doivent tendre à ce que ces décisions soient de bonne qualité, pour que le service attendu soit effectivement rendu, et qu'elle soient rendues dans des délais raisonnables. Pour résumer, on pourrait dire : le besoin de justice crée une demande qui doit être satisfaite par les juges. Cependant le service de la justice remplit une fonction telle qu'il doit échapper au marché et à l'entreprise ; c'est donc un service qui relève traditionnellement et nécessairement de l'Etat car il concourt directement au bien public, à la paix sociale en l'occurrence. En effet, le service de la justice fait prévaloir le droit sur les rapports de force, l'intérêt public sur les intérêts partisans. Ce n'est donc pas un service que l'on peut appréhender comme n'importe quel service marchand pour qui la recherche du meilleur rapport qualité prix est une optique possible.

Telle sont les données que je prends en compte pour faire mon job et ce, au delà de mes compétences juridiques. En ce qui me concerne, ma conscience professionnelle fait que je veux satisfaire l'attente de justice dans les contentieux dont j'ai la charge car si le besoin de justice qu'ils expriment n'est pas satisfait, je sais que les facteurs de désordres et d'injustice vont se multiplier. Par exemple laisser se constituer des stocks de requête en matière de tutelles accroît le risque d'atteintes aux personne vulnérables, laisser se constituer des stocks d'ordonnance pénale accroît le sentiment d'impunité en matière de circulation routière, laisser se constituer des stocks en matière d'impayés locatifs accroît le risque d'explosion des mêmes impayés ...

Donc j'ai conscience qu'il faut satisfaire coûte que coûte la demande de justice ... le problème c'est que les moyens alloués à l'exécution de la mission ne suivent pas et qu'un magistrat lambda doit des fois supporter la charge de travail de deux ... c'est d'actualité pour moi aujourd'hui, mais c'est un risque manifeste pour demain où les magistrats devront avoir une productivité largement supérieure à celle d'aujourd'hui d'une part par ce que certains contentieux explosent, et d'autre part parce que, nous le savons, il n'y aura plus de créations de postes.

Mon impression est la suivante : je fais face en travaillant avec acharnement et les semaines de 50 heures sont un minimum ; je fais face aussi en adoptant des méthodes de travail génératrices de gains de productivité (trames) ; je fais face aussi avec le pis aller de l'aide à la décision qui n'est ni plus ni moins qu'une délégation de la fonction judiciaire à des fonctionnaires (cela dit, elle est nécessairement limitée !)

C'est grâce à cela que je parviens à satisfaire la demande de justice et concrètement à faire quasiment le job de deux magistrats à temps plein.

Et aucun indicateur du fonctionnement de la juridiction n'est en rouge : aucun stock ne se constitue, aucun délibéré n'est tardif. La hiérarchie dirait "tout est ok !"

Mais moi, je me pose deux questions : est-ce que l'on peut attendre de tous les magistrats cela ? est-ce qu'il n'y a pas un coût à ces pratiques productivistes ?

Et j'y réponds.

Non on ne peut pas attendre cela de tous les magistrats car, honnêtement, je frise l'addiction au travail et je ne le souhaite à personne ; la vie de famille existe aussi, le développement personnel aussi et on n'est pas obligé de tout sacrifier pour être un magistrat pertinent dans son boulot !

Et puis il reste la question du coût de cette productivité ?

Ne révons pas ! quand on délègue, la réponse n'est plus individualisée autant que cela serait possible ; nous connaissons, nous, les possibilités offertes par la loi, pas nos auxiliaires qui interviennent en aide à la décision. Ils exécutent nos instructions uniformes qui correspondent à des conduites à tenir dans tels et tels cas !

Ne rêvons pas ! quand on utilise des trames à outrance pour réduire à 30 minutes, le temps moyen d'élaboration d'une décision (c'est déjà pas mal et c'est nécessaire quand on a 1200 jugements à rendre), le processus décisionnel consiste à choisir la solution entre les options proposées dans les trames ... et toute variation augmentant la durée de traitement, on évite de "sortir de la trame" bien sûr. De ce fait on individualise moins en se privant de faire usage de toutes les possibilités offertes par la loi. Mais ce n'est pas tout ! on "sélectionne" aussi les affaires pour lesquelles on va passer deux heures ou plus à rédiger un jugement sur-mesure et de fait le taux ne doit pas excéder 10 %.

Ce que je veux dire, c'est que pour être performant dans un système judiciaire productiviste, j'ai dû délaisser nombre de mes pouvoirs de juges et quand une pile de dossiers a été traitée, je ne me dis pas "c'est un chouette boulot" , je me dis "j'ai fait ce que j'ai pu" avec amertume d'ailleurs car je sens bien que si j'avais pu utiliser tous mes pouvoirs de juge, j'aurai mieux individualiser les réponses, c'est-à-dire qu'elles ne seraient pas systématiques mais choisies pour chaque chef de demandes.

Et le fait que le taux d'appel de mes décisions soit vraiment bas (moins de 3 %) ne me rassure pas pour autant ; il traduit plutôt l'idée que mes trames sont assez bonnes et que les motifs stéréotypés qui y figurent suffisent à convaincre le plus grand nombre.

Mon sentiment est que cette logique productiviste peut nous faire perdre notre âme en nous plaçant dans l'optique de la recherche du meilleur rapport qualité-coût ... Or juger ce n'est pas cela !

Il me semble que j'ai fait les bons choix, en tout cas, les meilleurs que je pouvais car il n'est pas question de laisser se constituer des stocks et de ne pas répondre au besoin de justice, mais j'ai de l'amertume : juger c'est autre chose que gérer des flux ! Moi, j'ai l'impression que je traite mes contentieux à l'aune des flux dont ma juridiction a la charge !

lundi 20 octobre 2008

23 octobre

Par Lulu, juge d'instruction et nouveau colocataire à plein temps de ce blog.


Parce que je ne suis pas devenue juge pour ça.

Parce que je suis devenue magistrate pour juger, au nom du peuple français, y compris si cela signifie condamner et envoyer quelqu'un en prison, pas pour entasser six détenus dans une cellule de 14 mètres carrés, où ils devront faire leurs besoins devant les autres.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour répondre aux attentes schizophréniques des citoyens, qui veulent plus de sécurité donc plus de détention provisoire, mais pas d'innocents en prison donc moins de détention provisoire.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux mis en examen détenus dans des dossiers criminels qu'avec un peu de chance et pas d'imprévus, ils seront jugés par la Cour d'Assises dans deux ans. Ou trois.

Parce que je suis devenue juge pour accueillir les justiciables dans des conditions correctes, pas dans des salles d'audience où il pleut les jours de mauvais temps.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux experts qui travaillent soirs et week-end pour déposer leurs rapports à temps qu'ils ne seront pas payés avant l'année prochaine, le budget frais de justice étant épuisé.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour jouer les medium; parce que je ne suis pas capable de deviner si ce justiciable va se suicider ou si ce condamné au comportement apparemment modèle va récidiver.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire le lundi que j'incarcère trop, le mardi pas assez, le mercredi trop... et ainsi de suite en fonction du fait divers du jour et des tendances de l'horoscope.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour faire le dos rond, en espérant que la prochaine fois encore, la tempête médiatique s'abattra sur le collègue du bureau d'à côté.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour que les décisions des juridictions pour mineurs ne soient pas exécutées, faute d'éducateurs pour prendre en charge les enfants.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour refuser de facto aux avocats les copies de dossiers auxquelles ils ont droit, parce qu'il n'y a pas de personnels en nombre suffisant pour faire ces copies.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour mener les audiences correctionnelles à marche forcée afin que le dernier dossier soit examiné avant 22 heures.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour indiquer aux gens, victimes ou prévenus, que faute de fonctionnaires de greffe, les jugements les concernant ne seront pas frappés et signés avant 3 mois (si tout va bien).

Parce que je suis devenue juge pour rendre les décisions que je crois justes, pas pour rendre les décisions les plus susceptibles de me protéger si les choses devaient mal tourner.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour que les peines que je prononce ne soient pas exécutées.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire par un justiciable qu'il n'a pas d'avocat, car il ne peut en payer un et parce qu'il est "trop riche" pour prétendre à l'aide juridictionnelle même partielle.

Parce que je m'angoisse en me demandant si le texte que j'applique est bien le bon, ayant du mal à suivre la valse des textes législatifs et réglementaires.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux gens qui veulent divorcer qu'ils peuvent prendre date pour dans 6 mois (si tout va bien).

Parce que je suis devenue juge en acceptant d'assumer mes responsabilités, pas pour être moins bien traitée que n'importe quel citoyen si la société veut me demander compte de la façon dont j'ai travaillé.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire par les services enquêteurs qu'ils ne pourront pousser plus loin cette enquête sur ce gros trafic de stupéfiants, car il n'y pas plus d'argent pour payer les déplacements des enquêteurs.

Parce que je suis devenue juge pour aménager les peines, dans l'intérêt de la société et du condamné, pas pour remettre dehors des gens mal préparés à la liberté au prétexte qu'il faut désengorger les prisons surpeuplées.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour être aimée, mais que je souhaite au moins être respectée, y compris par ceux qui sont chargés de veiller au devenir de l'institution judiciaire.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour servir de bouc émissaire à nos politiques, qui préfèrent se défausser sur nous des conséquences dramatiques du budget de misère qu'ils nous votent chaque année.

Parce que j'aime passionnément ce métier.

Et parce que j'en ai assez.

jeudi 16 octobre 2008

Vu à la télé

Par Dadouche



20 h 55 : je m'installe devant ma télé.
Le programme est alléchant : Rachida Dati dans "A vous de juger". Arlette Chabot nous annonce "la ministre dont on parle le plus", celle dont "les dossiers soulèvent des polémiques".
Une remarque tout de même en passant à l'intention de France 2 : au tribunal, quand une femme "dans un état intéressant" se présente à la barre, on lui propose au moins une chaise. Enfin moi, ce que j'en dis....

S'ensuit une vingtaine de minutes sur "la femme et son oeuvre", avec des questions insistantes (et parfaitement déplacées) sur son état.

Enfin, on aborde les choses sérieuses. Et là, c'est l'illumination.
Je crois que j'ai enfin compris le malentendu.

Nous, magistrats, bêtement, quand on entend "Garde des Sceaux", on pense rédaction de projets de loi et de décrets, politique pénale, réflexion sur les équilibres de la procédure, budget, fonctionnement des juridictions, dialogue avec le personnel judiciaire et les auxiliaires de justice. On pense utile quoi.
Le ministre place Vendôme, au conseil des Ministres et au Parlement à faire son job et nous dans nos tribunaux à essayer de faire le nôtre, et les sauvageons seront bien gardés.

Mais quand la Garde des Sceaux décrit sa fonction, elle donne la fiche de poste d'une VRP de la compassion, de la championne des victimes, de la terreur des malfaisants, de la reine du terrain : protéger les Français, sanctionner les multirécidivistes, rapprocher les Français de leur justice. C'est Rachida d'Arc, qui a entendu les voix de Nicolas Sarkozy.

"Ma place est sur le terrain".
La ministre cite quelques déplacement essentiels à sa fonction : la rencontre au centre hospitalier de Bordeaux avec une enfant violée qui a perdu sa mère et que la Justice est là pour protéger, la visite à la maison des adolescents, une visite (quand même) à la cour d'appel de Douai. En tout 120 déplacements depuis 18 mois.
Ce qu'elle aimerait qu'on dise d'elle ? "Elle a renforcé la justice, elle nous a protégés, elle a sanctionné les délinquants".

En fait, la Garde des Sceaux n'est pas ministre de la Justice. Elle EST la Justice. ELLE protège, ELLE sanctionne, ELLE assume.
Bon, entendons nous bien, quand elle protège, c'est du lourd. On ne parle pas de violence routière, de vols à l'arraché ou de petit trafic de shit. Non, son créneau, ce sont les pédophiles dangereux, les meurtriers en série, les vrais monstres.
D'ailleurs, elle voit des criminels partout, puisqu'elle nous ressert son antienne sur "les seuls mineurs incarcérés sont ceux qui ont commis des actes criminels". Il faut croire que le ressort où j'exerce est peuplé de mineurs qui ont violé, tué ou braqué, puisqu'il y en a en permanence à la maison d'arrêt. Curieux, moi j'ai plutôt prononcé des condamnations pour des vols aggravés, des violences, des extorsions, des mises en danger de la vie d'autrui ou des incendies.

Passons, relever toutes les erreurs ou approximations prendrait trop de temps.

Quelques perles tout de même : les mineurs en CEF sont alcooliques depuis l'âge de 11 ans (celle là est en récidive), la moitié des magistrats se sont mis en grève en 2000, "les mineurs ne vont en prison que pour des affaires criminelles, c'est le code qui le dit".

Il y a eu des fulgurances.... à la conclusion décevante : si la délinquance des mineurs continue à augmenter malgré la fermeté mise en oeuvre depuis 18 mois, contrairement à la délinquance des majeurs qui est en net recul grâce aux peines planchers, c'est parce que le texte n'est pas adapté, trop vieillot, fait pour les enfants de la guerre et non pour ceux de 2008. Ca ne peut évidement pas être (comme Elisabeth Guigou a osé le prétendre avec indécence en parlant de son fils adolescent alors qu'on lui parlait des criminels qui peuplent les prisons et les centres éducatifs) parce que pour les mineurs ce qui marche le mieux c'est l'éducatif (qui n'exclut pas l'autorité et la fermeté), et que ça marche encore mieux quand il y a des éducateurs pour faire de l'éducatif.

Soyons justes, une annonce intéressante tout de même : un code de la justice des mineurs. Ca ne sera pas du luxe d'avoir tout dans le même texte. Après, faut voir le contenu...

Et puis, elle a parlé de nous, les magistrats.
Bien forcée, puisque les deux principaux syndicats annoncent des actions la semaine prochaine à cause notamment des multiples atteintes à l'autorité judiciaire.
Alors là, les conseillers en com' ont bien travaillé.
Le congrès de l'USM (première organisation syndicale des magistrats, qui revendique 2000 adhérents et près de 65% des voix aux élection professionnelles), auquel tous les Gardes des Sceaux se sont rendus depuis des décennies, devient "une réunion de 90 magistrats à Clermont-Ferrand". Et elle, elle a préféré aller sur le terrain qu'assister à une réunion dans une cabine téléphonique. On voudrait juste savoir sur quel terrain elle était le 10 octobre dans l'après midi.
On évoque une certaine brutalité ? Elle répond exigence.
La carte judiciaire ? Ce sont les magistrats eux mêmes qui l'ont proposée. Traduction : des commissions alibi ont été réunies en urgence pendant l'été pour faire semblant de consulter alors que le projet était prêt depuis longtemps.
Le Procureur de Boulogne sur Mer a obtenu une mutation qu'il sollicitait depuis plusieurs années après un avis de non lieu à sanction rendu par le CSM ? En langue ministérielle ça se dit : "J'ai pris mes responsabilités, j'ai demandé au magistrat de quitter ses fonctions".
Sans parler du message subliminal qui suit : pour le Juge Burgaud, s'il n'y a rien, ça ne sera pas ma faute mais celle du CSM.

A la fin, j'ai fatigué. A 22 heures, j'ai éteint.
Pas envie de me taper Tapie en prime.

Le Bilan

Sur 1h10 d'émission, plus de 20 minutes sur "sa vie-son oeuvre-ses origines".
Des mots clés : victimes, mutirécidivistes, terrain, criminels.
Des mots absents (notamment dans la bouche d'Arlette Chabot) : budget, rapport de la CEPEJ, respect de l'autorité judiciaire.
Une empoignade avec Elisabeth Guigou sur le thème "mes chiffres sont meilleurs que les tiens et toi aussi t'en as bavé".
Un nom : Nicolas Sarkozy.

Moi j'aime bien la télé de service public.

Allons sifflets de la patri-i-euh

Voici qu'est né un de nos grands débats nationaux qui font partie du génie français : comment partir d'un fait divers qui ressortit de l'anecdote, en faire un événement national, et voir la France se déchirer en deux camps, d'un côté les matamores qui font le concours de celui de qui a la plus grosse[1], et de l'autre les larmoyants qui disent que si les imbéciles se comportent comme des imbéciles, c'est parce que c'est dur d'être un imbécile en France, démontrant ce faisant le contraire.

Mardi soir, lors du match amical France-Tunisie au Stade de France, la Marseillaise a été sifflée. Drame. Drame bis, drame ter, même, puisque déjà le 6 octobre 2001, la même chose était intervenue au même endroit lors d'un match France-Algérie, avec en prime un envahissement du terrain avant la fin qui avait conduit à annuler la rencontre, et le 16 novembre 2007 lors d'un match France-Maroc.

Face à cette expression brute de la stupidité qui trouve hélas à s'épanouir lors des matchs de foot, le gouvernement a immédiatement réagi. Il est hors de question que des supporters de foot aient le dernier mot : le Gouvernement les battra sur leur propre terrain. Et par le même score que le match, 3 à 1.

C'est Roselyne Bachelot qui marque le point de l'égalisation en annonçant que désormais, tout match avant lequel la Marseillaise serait sifflée serait « immédiatement arrêté ». Je suppose qu'il faut comprendre qu'il ne démarrerait même pas, donc ne serait pas arrêté mais annulé.

Le juriste se pose alors deux questions. D'une part, à partir de combien de sifflets le match serait-il annulé ? Un seul sifflet sur 80.000 spectateur serait-il suffisant ? Ou faudrait-il un certain seuil ? Dans ce cas, qui compterait les siffleurs ? Compter pendant la Marseillaise n'est-il pas en soi un outrage à l'hymne, qui doit s'écouter l'œil larmoyant, ce qui empêche de compter efficacement ? D'autre part, quel serait le fondement juridique ? Certes, la question peut être court-circuitée : votons une loi, et baste. Mais en attendant, posons-nous la question : sur quoi reposerait ce principe de sanction collective, qui frapperait non seulement les spectateurs présents qui eux larmoyaient bien de façon réglementaire en entonnant le « Aux armes etc. », mais aussi les quelques millions de téléspectateurs qui n'y peuvent mais (ou au contraire peuvent siffler à l'envi sans que personne n'y trouve à redire), et qui seront du coup condamnés à une re-re-re-rediffusion des Experts ? C'est donner à des imbéciles un pouvoir de nuisance exceptionnel. Or les imbéciles raffolent de ça. Ça ne risque donc pas de les décourager.

Mais à peine de le temps de s'attarder que Michèle Alliot-Marie s'enfonce dans la défense après un petit pont suivi d'un grand pont et marque le deuxième point : elle demande au préfet (petit pont) de saisir la justice (grand pont) en vue de poursuivre les auteurs de ces délits. Le procureur de Bobigny a donc ouvert une enquête préliminaire à cette fin. Nous passerons rapidement sur le hors-jeu, non sifflé : le préfet n'est pas compétent pour donner des instructions au procureur aux fins de poursuite. C'est le ministre de la justice, que Michèle voit tous les mercredi matin. Vivement l'arbitrage vidéo. En attendant, ce sera de la justice vidéo, puisque la police va travailler sur les images de la télévision et des caméras de sécurité. L'enquête est confiée à la BRDP de Paris. La Brigade de Répression de la Délinquance contre… la Personne. Oui, visiblement, au ministère de l'intérieur, on croit que la Marseillaise, c'est une personne. Le point est donc logiquement validé.

On approche de la fin du temps réglementaire quand Bernard Laporte déborde la défense par la droite, et va aplatir dans l'en-but par une splendide recommandation « de ne plus jouer de matches avec les ex-colonies ou protectorats français du Maghreb au Stade de France, mais “ chez eux, ou alors en province” ».

Par exemple à Marseille ?

Vu la beauté du geste, l'essai est validé même si c'est du foot, et la France rentre au vestiaire, son honneur lavé, blanchi ajoute Bernard Laporte, sur le score de 3 à 1. Désolé pour les supporters siffleurs, mais ils n'avaient aucune chance face à un tel niveau de compétition.

Là où me naît une pointe de jalousie, c'est à l'égard de mes confrères qui auront à défendre les quelques supporters siffleurs identifiés et poursuivis. Ils vont s'amuser comme des fous.

D'abord sur la preuve. Leur client sifflait-il l'hymne, ou sifflait-il les siffleurs ? Comment distingue-t-on l'outrageur de celui qui manifeste bruyamment son mécontentement à l'égard de ceux qui commettent l'outrage ? Voyez la photo d'illustration de cet article du Monde. On y voit un jeune homme, les doigts dans la bouche, probablement en train de siffler. Supposons que la photo a été prise durant l'hymne national français. La photo est sous titrée « Des supporteurs de l'équipe tunisienne, le 14 octobre au Stade de France. » En effet, le jeune homme tient le coin d'un grand tissu rouge qui selon toute vraisemblance est le drapeau de Tunisie. À sa droite, un autre supporteur, hilare, brandit une écharpe frappée du mot “Tunisie”. Un supporteur tunisien, assurément. Un suspect, lui aussi : de par son sourire, on se doute que s'il n'a pas sifflé le cantique national, c'est uniquement parce qu'il a les mains prises.

Vraiment ? Et dites-moi, j'ai la vue basse : qu'est-ce qu'il a autour du cou ?

Ensuite sur la matérialité de l'outrage. Siffler est-il un outrage ? L'article 433-5-1 du Code pénal ne définit pas ce que c'est que l'outrage à l'hymne national. La définition se trouve à l'article 433-5, juste avant.

Constituent un outrage (…) les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi (postal) d'objets quelconques…

Déjà se pose le problème du caractère non public de l'outrage. Cela a totalement échappé au législateur, qui a voulu éviter l'application du régime des infractions de presse (plainte préalable, prescription de trois mois…) en se greffant sur l'outrage de droit commun et non l'injure ou l'offense qui sont des infractions de presse. Aucune juridiction n'ayant été saisie de la question, c'est un premier point de droit intéressant à soulever : la loi pénale est d'interprétation stricte.

En outre, un sifflet n'est pas une parole, ni un geste, ni une menace, ni un écrit, ni une image. L'élément matériel du délit semble sacrément faire défaut.

Et en admettant que les juges fassent une interprétation large de cette définition et décident que oui, un sifflet est un outrage, et que l'outrage de l'article 433-5-1 n'a RIEN à voir avec celui de l'article 433-5, c'est juste une coïncidence de numérotation, il reste un troisième argument : la conformité de cette loi avec l'article 10 de la CSDH. Vous vous souvenez ? La France collectionne les condamnations pour atteinte à la liberté d'expression non nécessaires dans une société démocratique. Il faudra qu'on m'explique en quoi réprimer depuis 2003 l'outrage fait au drapeau ou à l'hymne national est nécessaire dans une société démocratique. Le fait que le Conseil constitutionnel ait jugé conforme à la Constitution ce délit (§99 et suivants) ne préjuge pas de ce que penseront les juges de Strasbourg.

Bref, il n'est pas impossible que dans la compétition de ridicule qui s'est engagée, la France joue les prolongations.

Notes

[1] Proposition, naturellement.

samedi 11 octobre 2008

L'affaire du médecin urgentiste du SAMU de Valence

À peine avais-je annoncé que mon agenda m'imposerait le silence pendant quelques jours que j'entendais à la radio une information qui paraissait faite sur mesure pour un billet.

À Valence, dans la Drôme, un médecin urgentiste a été placé en garde à vue, puis présenté à un juge d'instruction, avant d'être finalement remis en liberté, et même pas mis en examen. Intervenant depuis peu avec le SAMU 26, il a été appelé dans un salon de coiffure où une dame de 80 ans avait fait un malaise cardiaque. Les gestes exacts qu'il a pratiqués sont au cœur du débat ; toujours est-il qu'il a fini par la considérer décédée malgré ses efforts pour la ranimer, décès qui sera confirmé une fois cette dame transportée à l'hôpital.

Or il a été rapporté, par qui, je l'ignore, au directeur de l'hôpital où le décès de la patiente a été constaté que ce médecin avait eu des gestes « bizarres », sans qu'il soit précisé ce que bizarre veut dire. Pour ma part, j'ai tendance à considérer tous les gestes des médecins comme bizarres : ont-il vraiment besoin de pincer mon poignet pour regarder l'heure à leur montre ? A-t-il besoin d'entendre le chiffre trente trois avant de pouvoir m'ausculter ? Assurément, ce sont là des gens bizarres. Et puis s'habiller tout en blanc, quand le noir est si seyant. Enfin, passons.

Toujours est-il que quelques jours après cette intervention, le médecin va être interpellé, placé en garde à vue 24 heures, mesure qui sera renouvelée pour une durée totale de 48 heures, puis présenté à un juge d'instruction qui finalement le remettra en liberté, après l'avoir placé sous le statut de témoin assisté, les dépêches précisant à la demande de son avocat, ce qui n'est pas tout à fait vrai, comme nous allons le voir.

Emballement de la justice ? Je ne saurais dire, ignorant le dossier, mais emballement médiatique, un petit peu, puisque plusieurs articles ont parlé d'instruction ouverte pour homicide volontaire, alors qu'il s'agit très probablement d'une instruction ouverte pour homicide involontaire, comme le dit l'article du Figaro.

D'abord parce que le droit pénal ne connaît pas l'homicide volontaire. Il regroupe dans la catégorie des atteintes volontaires à la vie le meurtre, qui est le fait de donner volontairement la mort à autrui, l'assassinat, qui est le meurtre commis avec préméditation, et l'empoisonnement, qui le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort. Il parle par contre d'homicide involontaire dans les atteintes involontaires à la vie. Il est donc douteux que les sources judiciaires des journalistes aient parlé d'homicide volontaire, c'est plutôt je le pense l'oreille des journalistes qui n'a pas enregistré le préfixe in-.

Ensuite parce que le meurtre supposerait que le médecin ait voulu, par ses gestes, donner la mort. S'agissant d'une femme de 80 ans en pleine crise cardiaque, cela suppose un perfectionnisme extraordinaire, puisqu'il n'avait qu'à laisser faire la nature pour obtenir le même résultat en quelques minutes sans encourir de responsabilité pénale criminelle. Je sais que le fait que l'hypothèse soit absurde ne suffit pas, aux yeux de l'opinion publique, à faire douter de sa véracité si la justice est mêlée à l'affaire, mais il y a un certain respect qui est tout de même dû à l'intelligence.

Répondons donc à deux questions : que s'est-il passé, du point de vue judiciaire, et au-delà de cette affaire, dans quelle mesure un médecin qui pratique son art peut-il voir sa responsabilité pénale mise en cause ?

Que s'est-il passé ?

Réserve importante : je me fonde sur les faits donnés par les articles de presse, et agis par déduction en retenant l'hypothèse la plus probable. Je peux me tromper.

Le procureur de la République a été informé de l'existence de ces gestes « bizarres » le vendredi suivant, soit six jours plus tard. Comment, je ne puis le dire. Soit il s'agit d'un signalement par la direction de l'hôpital, suite au témoignage de l'équipage du SAMU par exemple, ou des constatations faites par le service des urgences (présence d'hématomes ne correspondant pas aux gestes techniques habituels), soit, et ça ne m'étonnerait pas, il s'agit d'une plainte déposée par la famille de la décédée, à la suite des témoignages qu'elle a pu recueillir. J'y reviendrai.

Le procureur va charger la sûreté départementale de l'enquête (c'est la Police nationale), qui ne va pas faire dans la finesse. L'Officier de police judiciaire (OPJ) en charge de l'enquête va estimer qu'il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que ce médecin a commis ou tenté de commettre une infraction, en l'espèce un homicide involontaire, des violences volontaires ou une non assistance à personne en danger. C'est à l'existence de ces raisons plausibles que tient votre liberté, chers concitoyens, puisqu'elles ouvrent le droit à l'OPJ de vous interpeller à votre domicile dès 6 heures du matin et ce jusqu'à 21 heures (24 h sur 24 sur la voie publique) et vous retenir 24 heures dans ses locaux (art. 63 du CPP), et c'est ce qui va se passer pour notre médecin.

Le procureur de la République a été informé de ce placement en garde à vue. Il n'a pas donné d'instruction pour qu'il y soit mis fin le plus tôt possible, et il va même autoriser son renouvellement pour 24 heures de mieux. Parce que l'enquête a révélé des éléments à charge ? Pas forcément. Il devait y en avoir, par exemple, les explications du médecin ont paru embrouillées (du genre il utilisait plein de mots grecs et latins pour égarer les policiers), mais si vous voulez mon avis, ce qui a dû être déterminant pour ce renouvellement, c'est qu'on était samedi, donc que le lendemain, c'était dimanche, ergo pas de juge d'instruction de présent. À quoi ça tient, parfois, une journée au commissariat.

Le lundi, le médecin est conduit au palais de justice pour être présenté à un juge d'instruction.

Je vois des sourcils qui se froncent en regardant un calendrier. S'il a été interpellé le samedi matin, et que la garde à vue ne peut excéder 48 heures, il a fallu faire vite le lundi matin, devez-vous vous dire. Que nenni. S'agissant de votre liberté, chers compatriotes, le législateur est d'une générosité sans bornes. Si à l'issue de la garde à vue, le parquet décide d'engager des poursuites, la loi lui donne vingt heures de mieux pour retenir l'intéressé le temps pour lui qu'il comparaisse devant une juridiction : article 803-3 du CPP. Cette juridiction, ce sera un juge d'instruction, saisi par le parquet d'une demande d'instruction (qu'on appelle réquisitoire introductif) pour homicide involontaire.

Ce réquisitoire ouvre le droit pour le gardé à vue, devenu déféré, à l'assistance d'un avocat ayant accès au dossier et pouvant s'entretenir avec son client de façon confidentielle, façon confidentielle s'entendant jusqu'à il y a peu à Paris par : assis sur un banc avec un gendarme d'escorte à côté de lui qui semble plus intéressé par ce que dit l'avocat que le déféré lui-même. Ça y est, maintenant, on a des petits bureaux clos.

Le juge d'instruction reçoit ensuite le déféré en présence de son avocat et l'informe qu'il envisage de le mettre en examen pour homicide involontaire. Il lui demande ensuite s'il accepte de répondre aux questions du juge, préfère faire de simples déclarations que le juge consignera sans pouvoir l'interroger, ou s'il préfère garder le silence pour le moment. Ce choix exprimé, et le cas échéant les questions posées ou les déclarations recueillies, le juge d'instruction invite l'avocat à présenter des observations sur l'éventuelle mise en examen. Puis, s'il estime qu'il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que le déféré ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont est saisi le juge d'instruction, le juge le met en examen. Dans le cas contraire, le juge d'instruction le place sous le statut de témoin assisté (art. 116 du CPP). Le statut de témoin assisté est une sous-mise en examen, moins infamante, donnant accès au dossier par l'intermédiaire d'un avocat et ouvrant certains droit du mis en examen, mais moins que n'en a le mis en examen. L'intérêt est que le témoin assisté ne peut faire l'objet d'aucune mesure coercitive : pas de détention provisoire ni de contrôle judiciaire.

Dans notre affaire, le procureur avait demandé la mise en examen du médecin avec placement sous contrôle judiciaire incluant l'interdiction d'exercer la médecine (je ne sais pas si c'était une interdiction générale ou limitée au cadre du SAMU). Le juge d'instruction n'a pas mis notre médecin en examen, le voici donc témoin assisté et libre d'exercer. On peut supposer que les explications fournies au juge ont fait qu'il ne subsistait pas assez d'indices graves et concordants rendant vraisemblable l'homicide involontaire. Le juge d'instruction va continuer son enquête, à charge et à décharge. Qui consistera essentiellement en une expertise, éventuellement une autopsie si le corps est encore disponible pour cela.

Colère des médecins, le docteur Patrick Pelloux, président de l'Association des Médecins Urgentistes de France en tête : « À ce rythme là, ce soir l’ensemble des urgentistes de France vont se retrouver en garde à vue ce soir », a-t-il déclaré, faisant suivre son pronostic d'un diagnostic : « C’est une véritable cabale contre ce professionnel qui a fait une manœuvre que tout urgentiste fait », sans préciser laquelle, vous le noterez, ce qui est à mon avis une clef d'explication de la situation que dénonce ce médecin, comme nous allons voir. Il termine en déplorant « les accusations mensongères » de la direction de l'hôpital de Valence à l'égard de ce médecin urgentiste expérimenté, traduisant le « malaise relationnel dans les hôpitaux », qui, cela va sans dire, ne saurait être imputable aux médecins.

Alors, quel est au regard de la loi pénale le statut des médecins ?

La responsabilité pénale des médecins

Au risque d'étonner les très honorables membres de cette belle profession qui me lisent, la responsabilité pénale des médecins est la même que tout citoyen, président de la République excepté. Le code pénal ne contient aucune disposition dérogatoire à leur bénéfice.

J'ajouterai même que certains médecins ne font que commettre des infractions pénales du matin au soir, et du soir au matin s'ils sont de garde.

Vous ne me croyez pas ? Mais que diable : inciser un patient avec un bistouri, c'est une violence volontaire avec arme, l'amputer d'un membre, c'est une mutilation. Et un massage cardiaque se fait rarement sans casser quelques côtes. Le geste médical peut être violent. Et occire un patient fût-il en phase terminale d'une douloureuse maladie reste un meurtre passible de la cour d'assises.

Pourtant, ayant été de permanence garde à vue récemment, je vous rassure, le docteur Pelloux s'est trompé : les cellules des commissariats n'étaient pas remplies de médecins urgentistes, les seuls esculapes que j'y ai croisés venant y pratiquer leur art en examinant des gardés à vue hélas pour moi beaucoup moins solvables.

Car toutes ces infractions commises par des médecins sont couvertes par une cause d'irresponsabilité pénale : l'état de nécessité.

N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.

Voilà ce qui justifie qu'un médecin puisse vous ouvrir le ventre, vous mutiler (au-delà de l'amputation, une simple appendicectomie ou vous enlever les amygdales ou les dents de sagesse est une mutilation), au besoin sans votre consentement si vous êtes inconscient : ce faisant, il prévient un plus grand mal, généralement la mort, ou tout simplement un risque pour votre santé qui ne pouvait être prévenu que par cette mutilation.

A contrario, cela implique que si le médecin sort de cette nécessité de son acte, ou que son acte a des conséquences autres que l'amélioration de la santé du malade (ou l'allongement de sa vie ou l'atténuation de ses souffrances, le médecin n'étant pas tenu de guérir), il peut redevenir très facilement une infraction pénale.

Un médecin qui effectuerait une opération qu'il sait non nécessaire sur un patient commettrait un acte de violences volontaires. Un chirurgien plasticien qui opérerait dans des conditions douteuses et laisserait des patients défigurés commettrait les délits de blessures involontaires et mises en danger d'autrui.

Le médecin qui, par maladresse, négligence, inobservation des lois ou règlements (sur l'asepsie par exemple), entraînerait une infection, des complications voire le décès de son patient commettrait le délit de blessures involontaires ou d'homicide involontaire.

Ajoutons que comme tout citoyen, le médecin est tenu de porter secours si ce faisant, il ne s'expose pas lui-même au danger.

Bref, les médecins sont des citoyens comme les autres, qui exercent une profession pas comme les autres.

Revenons-en à notre médecin valentinois. Dans quelle mesure est-il susceptible d'avoir commis une infraction pénale ?

Soit les gestes qu'il a pratiqués étaient inadaptés au point de relever de la négligence ou de la maladresse et ont causé le décès, et il peut avoir commis un homicide involontaire. Car on peut tuer même un mourant. Soit les gestes étaient inadaptés au point de relever de la négligence ou de la maladresse mais ont simplement précipité le décès ou causé des blessures, et il peut s'agir de blessures involontaires. Il n'y a pas non assistance à personne en danger car le médecin a porté secours, peu importe que ce soit de manière inefficace, sauf à établir qu'il a simulé une réanimation mais n'avait pas l'intention de secourir sa patiente, hypothèse peu probable. Si aucune de ces hypothèses n'est avérée, le médecin n'a commis aucune infraction. C'est ce que l'instruction va chercher à établir.

La garde à vue était-elle vraiment nécessaire ?

Oui. J'ai tendance à penser que dès lors qu'une personne met le pied dans un local de police alors que pèse sur lui un soupçon, elle doit être placée sous le régime de la garde à vue. Ce régime s'accompagne de garanties, telles que le droit à un entretien avec un avocat qui est informé de la nature des faits reprochés, l'examen par un médecin, et ce qui est loin d'être accessoire, l'information du procureur de permanence de cette mesure privative de liberté. Simplement, la garde à vue doit prendre fin dès lors qu'elle n'est plus rigoureusement nécessaire, sa durée de 24 heures étant un maximum, pas une durée standard (et elle peut reprendre ultérieurement, à condition de ne pas dépasser la durée maximale de deux fois vingt quatre heures). Je soulève d'ailleurs systématiquement la nullité de procédures où mon client a été gardé au commissariat, quand il n'a pas été amené menotté, a été interrogé en long en large et en travers, confronté à sa victime, et relâché après quelques heures sans qu'à aucun moment on ne lui ait notifié une garde à vue et donc que le procureur n'ait été informé de cette mesure, le parquet apprenant ce qui s'est passé en recevant la procédure au courrier. Et je l'obtiens assez souvent, à mon grand dam sur réquisitions contraires du parquet, qui trouve tout à fait normal que la police prenne des libertés empiétant sur sa mission de gardien des libertés. Et après, il s'étonne que la cour européenne des droits de l'homme l'estime insuffisant pour cette mission… Je rêve de porter cette question devant la cour de cassation, mais mes clients condamnés dans ces conditions ont une peine tellement dérisoire qu'ils n'ont pas envie de faire appel. Ajoutons à cela qu'aucune disposition du CPP n'impose de faire systématiquement ôter au gardé à vue ses lunettes, sa montre, sa ceinture et jusqu'à ses lacets de chaussure, et de le garder menotté quasiment tout le temps. L'égalité républicaine a des limites. Le discernement en est une.

Sur le contrôle de l'opportunité de la garde à vue[1], je me heurte à une jurisprudence solide comme les murs de Byzance qui fait de la GAV une mesure décidée souverainement par l'OPJ, sans contrôle d'opportunité par le juge. Pas d'habeas corpus en France.

Mais je n'oublie pas que les murailles de Byzance n'ont pas arrêté la Quatrième croisade. Et je verrai bien la CEDH dans le rôle du Doge Dandolo, cette absence de tout contrôle et recours étant à mon sens incompatible avec l'article 5 de la Convention. Mais je m'égare. C'est votre faute, aussi, à vous qui me parlez de ma vieille lune.

Et le patient, docteur ?

Revenons en à notre toubib.

Le placer en GAV un samedi matin, sachant qu'aucun déférement ne pourrait avoir lieu avant le lundi, s'agissant d'un médecin de 41 ans, que j'imagine mal prendre la fuite, et le garder ainsi jusqu'au lundi dans les conditions que connaissent les avocats et les quelques parquetiers qui visitent leurs commissariats me paraît difficilement proportionné et opportun. Le parquet voulait lui interdire d'exercer au SAMU pour la durée de l'enquête voire jusqu'au jugement, ce qui ne pouvait être ordonné que par un juge d'instruction. Soit. Mais était-il vraiment nécessaire de le priver de liberté à cette fin, et quarante huit heures par dessus le marché ? Les médecins n'ont pas besoin qu'on en fasse autant pour se rassembler sous le caducée en ordre de bataille. Cette fois, difficile de leur donner tort. Le juge d'instruction y a mis bon ordre, et c'est tant mieux.

Les médecins vont-ils devoir désormais coudre le numéro du mobile de leur avocat dans la doublure de leur blouse pour pouvoir exercer ? Si en tout cas, je les encourage à y broder le mien, je pense qu'il y a un moyen pour eux d'éviter des mises en cause judiciaire désagréables quand bien même elle finissent par un non lieu ou une relaxe.

La plupart de ces poursuites émanent du patient ou de ses proches : c'est souvent eux qui portent plainte. Pourquoi ? Parce que personne ne leur a explique ce qui s'est passé. La médecine en France est enkystée dans une tradition surannée du médecin sacré. Si le médecin dit qu'il a fait ce qu'il a pu, le patient ou sa famille doivent dire amen. Et non, ça ne marche plus. Les médecins doivent apprendre à communiquer. Prendre le temps d'expliquer au patient pourquoi les choses ne se sont pas passées comme prévu, à la famille d'un décédé précisément ce qui s'est passé, causes de la mort et soins apportés. C'est important pour eux car il est insupportable de ne pas savoir comment son père, son frère, son fils est mort ni avoir la certitude que tout a été fait pour le sauver. Le soupçon est insupportable, et la justice est la seule institution à même de faire jaillir la vérité qui le dissipera. Et la voie pénale présente trop d'attraits pour être écartée (c'est la moins coûteuse, elle a avec elle la force publique, entre autres).

Des médecins commettent des crimes et des délits. Ceux-là doivent être jugés et leurs confrères n'en disconviendront pas. Mais je suis prêt à parier que prendre le temps d'expliquer à la famille : « Votre mère a fait un infarctus du myocarde provoqué par un athérome coronarien, c'est à dire une obstruction partielle de cette artère, qui a diminué l'irrigation du cœur en sang. C'est indolore, hormis des épisodes douloureux que les personnes âgées ont tendance à mettre sur le compte de leur âge. Le muscle du cœur a commencé à mourir, jusqu'à ce que cet après midi, les tissus morts ont entraîné une activité électrique anormale du muscle, qui a fait une arythmie, c'est à dire qu'il a cessé de battre de manière coordonnée et efficace. Cela a fait cesser la circulation du sang, et le cerveau non irrigué est mort très vite. Quand le médecin du SAMU est arrivé sur place, il a senti un poul irrégulier et a détecté l'arythmie. Il a pratiqué tel et tel gestes pour voir si le cerveau réagissait encore, notamment en provoquant des réflexes à la douleur, qui peuvent sembler violents à des témoins, et pour faire cesser cette arythmie, ignorant que les dégâts au cerveau étaient déjà irréversibles. De fait, elle était morte à l'arrivée du SAMU. Ça a été foudroyant ; elle a dû sentir comme un assoupissement irrésistible. Ce n'était pas douloureux, elle ne s'est pas sentie partir. » Dire cela, en corrigeant mes approximations, c'est un procès évité à coup sûr. Dire : « elle est morte, on a fait tout ce qu'il fallait, signez ici » alors que des témoins vont décrire des coups portés sur la poitrine, des doigts enfoncés dans l'articulation de la machoire, peut être des gestes réflexes à la douleur qui ne sont que des gestes réflexes, et vous êtes bons pour la plainte avec constitution de partie civile afin qu'un juge d'instruction désigne un expert qui fera le travail que vous n'avez pas fait d'explications aux familles.

Notes

[1] C'est à dire la possibilité de contester devant un juge une mesure de garde à vue, soit pour obtenir une décision y mettant fin, soit pour voir juger que cette mesure étant disproportionnée, qu'elle entâche la procédure de nullité.

jeudi 9 octobre 2008

De quelques idées reçues sur le prétendu laxisme des magistrats

Par Gascogne


Le syndicat de policier "Synergie Officiers" nous a déjà habitué à des déclarations fracassantes à l'égard des magistrats (un petit exemple sur les JLD dans le contentieux des étrangers, ou encore récemment sur une remise en liberté contestée par les policiers). La nouvelle sortie de ce syndicat dans la presse n'étonne pas vraiment le monde judiciaire. Par contre, elle agace prodigieusement.

Quelques éléments doivent être rappelés à nos amis policiers de ce si sympathique syndicat.

Le premier, et pas des moindres, est que la critique publique d'une décision de justice est un délit puni tout de même de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (art. 434-25 du Code Pénal). Dés lors, avant de donner des leçons aux magistrats sur la manière de faire respecter la loi aux sauvageons des banlieues, un respect de la loi par ces mêmes syndicalistes serait-il de nature à démontrer que ce n'est pas deux poids et deux mesures : la loi dans toute sa rigueur pour les délinquants d'habitude, le laxisme le plus extrême pour les policiers qui s'expriment.

Le second concerne la notion même de sanction. Une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt à l'audience n'est pas le seul et unique moyen de sanctionner un comportement. Il suffit de se plonger quelque peu dans le Code Pénal pour se rendre compte que le législateur a entendu privilégier diverses sanctions pénales, dont certaines dites "alternatives" à l'enfermement, pour ne laisser la peine de prison, qui plus est à "exécution immédiate" qu'en dernier ressort. Dés lors, affirmer que le sentiment d'impunité résulte du fait que les juges laxistes ne prononcent pas assez de mandats de dépôt à l'audience est d'un simplisme démagogique à toute épreuve. Beccaria doit s'en retourner dans sa tombe.

Ensuite, concernant le choix des procédures ("certaines personnes ne sont même pas déférées !"), l'action publique appartient encore aux procureurs. Je sais bien que cela énerve certains officiers et commissaires de police (l'ex syndicat majoritaire des commissaires, le SCHPNF, alias le Schtroumpf tant ce sigle est imprononçable, avait en son temps proposé que l'action publique relève au moins en partie des commissaires de police), mais cette réforme n'est pas encore à l'ordre du jour. Que les personnels de police les plus critiques passent le concours de la magistrature, et nous pourront discuter de l'opportunité d'une politique pénale.

Mais ce n'est pas tant la critique en soi qui agace le plus. Ce ne serait que saine participation démocratique si les syndicalistes de "Synergie Officiers" balayaient un peu devant leur porte. Car ils oublient tout de même de préciser que dans un certain nombre de cas, s'il n'y a pas de défèrement, c'est que la gestion policière du dossier a laissé à désirer : garde à vue nulle (rarement une semaine à la permanence téléphonique du parquet sans une levée de garde à vue pour nullité substantielle), compte rendu peu clair, actes d'enquête non effectués...Ce même syndicat (du moins me semble-t-il) avait en son temps proposé qu'un "observatoire des bavures judiciaires" soit mis en place. Le parallélisme des formes pourrait imposer que les magistrats se mettent à publier toutes les nullités de procédure faites par la police.

Faire incarcérer une personne, et aller devant une juridiction de jugement alors même que la procédure est bancale pourrait certes permettre aux enquêteurs de penser que le parquet "les soutient" (encore que je n'ai pas vu dans la loi où il était inscrit qu'il s'agissait là d'une des fonctions du parquet), mais ne serait pas digne du fonctionnement d'une justice démocratique. Les procureurs ne sont pas notés aux "crânes".

Que l'on ne se trompe pas sur mon agacement : après pas mal d'années passées dans diverses fonctions pénales, je sais parfaitement bien que la majorité des policiers fait très bien ce pour quoi elle est payée, à savoir interpeller les auteurs d'infractions pénales et procéder les concernant à une enquête en bonne et due forme.

Cela représente pour les policiers une masse de travail considérable. Pour les magistrats également. Raison pour laquelle les poursuites et les décisions qui sont prises par la suite, tant par les magistrats du parquet que par ceux du siège, méritent bien mieux que les approximations démagogiques de quelques excités pour lesquels la frustration le dispute à l'incompétence.

mardi 30 septembre 2008

Quand le gouvernement enfume l'automobiliste

Mise à jour importante : L'arrêté ministériel est paru au JO du 4 octobre : le « gilet jaune » est entré en vigueur, mais seulement le 5 octobre 2008. Voyez ce billet pour plus d'informations.


Décidément, la sécurité semble tout permettre, y compris le mensonge renforcé par des campagnes de publicité, et l'enfumage d'automobiliste (et de journaliste par la même occasion).

Vous vous souvenez de la campagne lancée en juin dernier, qui montrait un grand couturier revêtu de l'ignoble mais très pratique gilet réfléchissant ? La presse avait repris en chœur le couplet chanté par les communiqués de presse : « le gilet jaune et le triangle rouge sont obligatoires à compter du 1er juillet, mais, grand seigneur, le gouvernement n'appliquera les sanctions qu'à compter du 1er octobre.»

Exemple ici.

À ces mots, le juriste tique. Une obligation qui n'est pas sanctionnée (je ne dis pas forcément pénalement) n'est pas une obligation. Si je suis obligé d'avoir un gilet jaune, mais si je n'en ai pas, je n'ai pas d'amende, cela revient à la même situation que ne pas être obligé d'en avoir un.

Un juriste qui tique a la puce à l'oreille, et il aime chercher des poux dans la tête, à force de fréquenter la vermine, sans doute.

Et c'est en vain qu'il aurait cherché, quand l'été s'annonçait encore, le texte rendant obligatoire ledit gilet.

Car en effet, ce n'est que par un décret n°2008-754 du 30 juillet 2008 portant diverses dispositions de sécurité routière (art. 19), publié au JO le 1er août, que le gilet de haute visibilité (c'est la terminologie officielle) est entré dans le code de la route (art. R.416-19 du Code de la route), bien après être entré dans l'habitacle des automobiles françaises, avec entrée en vigueur au 1er octobre 2008 (art. 23).

Bref, contrairement à ce que vous a affirmé (à vos frais) la Sécurité Routière (organisme interministériel), le gilet réfléchissant n'est PAS obligatoire depuis le 1er juillet.

Et je crois même que j'ai mieux.

L'article R. 416-19 nouveau du Code de la route, qui entre en vigueur à minuit, est ainsi rédigé :

II.-Le conducteur doit revêtir un gilet de haute visibilité conforme à la réglementation lorsqu'il est amené à sortir d'un véhicule immobilisé sur la chaussée ou ses abords à la suite d'un arrêt d'urgence. En circulation, le conducteur doit disposer de ce gilet à portée de main.

(…)

IV.-Un arrêté du ministre chargé des transports fixe les caractéristiques de ces dispositifs et les conditions d'application des I et II du présent article. V.-Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir à une ou plusieurs des dispositions du présent article ou à celles prises pour son application est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe.

Or l'arrêté prévu par le IV n'a pas été pris à ce jour par le ministère des transports (ou alors merci de me le signaler, que je rectifie promptement). Dès lors, les caractéristiques des gilets à haute visibilité n'étant pas définies, les policiers sont dans l'impossibilité de vous verbaliser pour le défaut de gilet conforme à la réglementation, faute de réglementation à laquelle se conformer ! Bref, l'obligation du gilet n'entrera même pas en vigueur demain.

Voilà ce qui arrive quand on préfère faire de la com' que du droit. Je vous laisse pour ma part méditer sur le niveau d'infantilisation où en est arrivé l'État à l'égard de ses citoyens, qui en est à nous mentir plutôt qu'à nous informer sur l'état réel du droit en vigueur, et sur l'efficacité de la publication des normes au JO comme mécanisme de contrôle démocratique, en vous posant cette question : comment appeler une démocratie où l'État se comporte comme si le peuple était sous tutelle ?

Et pour les terre-à-terres, rappel de la réglementation qui entrera en vigueur… un jour :

— Vous êtes tenu d'avoir un gilet dans l'habitacle. Il n'a pas à être visible de l'extérieur, inutile de l'utiliser comme décoration de fauteuil. Vous êtes tenu de le revêtir dès lors que votre véhicule est immobilisé suite à un arrêt d'urgence, même en ville, même en plein jour, tant que vous restez à proximité du véhicule.

— Les cyclistes sont tenus de porter un tel gilet de nuit ou de jour si la visibilité n'est pas suffisante (brouillard, pluie) hors agglomération. Si je puis me permettre d'ajouter que je vous en recommande vivement le port en agglomération de nuit.

lundi 29 septembre 2008

Bon ben alors, ça va bien ou pas ?

Rachida Dati, le 11 juin 2008 :

Depuis un an, nous avons lutté contre la récidive. C’était une attente des Français. Nicolas Sarkozy s’y était engagé. Nous avons mis en place des outils efficaces :

C’est d’abord, la loi sur les peines planchers. Elle a instauré un régime clair pour les récidivistes. Cette loi a déjà été appliquée : 9250 décisions rendues par les tribunaux, c’est la preuve que cette loi était nécessaire et attendue.

Propos pour lesquels il vous en souvient Rachida Dati avait écopé d'un prix Busiris en récidive.

Un commentateur disant être Guillaume Didier,porte-parole du Garde des Sceaux, avait répliqué que je commettais une erreur dans mes estimations, et que

Le taux d’application de 20 % avancé par Maître Eolas n’est donc pas exact, il dépasse les 50% comme le disait Madame Rachida Dati.

Dont acte, les peines planchers, c'est un grand succès.

Mais alors ?

Les photos de Rachida Dati en robe du soir à l'inauguration de la Biennale des antiquaires, l'autre semaine, n'ont pas été appréciées à l'Elysée. Les « amis » de la garde des Sceaux se sont empressés de faire savoir dans le Tout-Paris que le Président reprochait à sa ministre de ne pas s'occuper assez des peines planchers...

C'est un grand succès dont il faut s'occuper. Et relancer les groupies.

La ministre de la justice Rachida Dati a convoqué vendredi cinq procureurs généraux afin de leur faire savoir son mécontement.

Son mécontentement, vraiment ? Alors qu'en juin, elle était ravie ?

Elle s'inquiète en effet que le recours aux peines planchers soit le plus faible de France dans le ressort de leur Cour d'appel respective. Ces peines planchers sont réservées aux multirécidivistes majeurs ou bien mineurs de plus de 16 ans qui passent pour la troisième fois devant un juge.

Nope ; la deuxième fois suffit.

Rachida Dati invitera régulièrement les magistrats du Parquet à se justifier lorsque leurs résultats seront considérés comme préoccupants concernant tous les délits. Ainsi, de faibles condamnations pour violences conjugales vaudra au Procureur d'une juridiction donnée d'être convoquée Place Vendôme.

Et gare à vous si les époux de votre région sont plus respectueux de leur conjoint qu'ailleurs. Les anomalies statistiques seront considérées comme de la dissidence politique.

vendredi 19 septembre 2008

La défense décodée

Extraordinaire article, et je pèse mes mots, de Pascale Robert-Diard dans le Monde 2 de cette semaine. Un vrai travail de journaliste, de chroniqueur judiciaire, de témoin, et je crois une première.

Pascale Robert-Diard a suivi un confrère, et quel confrère, Grégoire Lafarge, durant tout un procès d'assises, et même avant, lors des rendez-vous préparatoires entre l'avocat et le client. Vous y verrez comment un avocat pénaliste « prépare » un client, et vous verrez que ce n'est pas lui apprendre par cœur un gros mensonge, mais lui permettre de se défendre au mieux et tenter de lui donner le courage de dire la vérité.

Puis vous suivrez l'audience, assis sur le banc de la défense, à côté de l'avocat, là où on voit tous les regards, à portée d'oreille des conseils chuchotés en plein interrogatoire. Vous verrez quelle partie d'échec à quatre joueurs se joue entre la défense d'un côté, le parquet te la partie civile de l'autre, et le président au milieu, supposément au-dessus, qui fait semblant de n'avoir pas d'opinion alors qu'on la voit comme le soleil à midi.

Du vécu, il y a tant de moments que je reconnais pour les avoir vécu moi-même. Elle décrit formidablement bien la relation si particulière, si forte et pourtant éphémère, qui unit un avocat et son client devant la cour d'assises.

Je retiendrai, parmi d'autres, cette phrase, qui correspond à la fin de la plaidoirie de l'avocat de la défense.

Quand Me Lafarge rejoint son banc, le regard des jurés reste aimanté à sa robe. Il est vidé.

Jamais je n'ai ressenti un épuisement aussi complet, absolu, qu'à la fin d'une audience d'assises. Pas tant physique (on arrive encore à tenir debout, à sourire, à serrer des mains, à dire des amabilités au président, à l'avocat général et au confrère, et on sort en marchant sur ses deux pieds. Mais moralement, psychiquement. Un procès d'assises, c'est des mois d'attente, des heures de préparation, une concentration continue, une heure de plaidoirie pour tout donner, et quand la plaidoirie est terminée, la machine est lancée, il n'y a plus qu'à attendre, et toutes les digues qui canalisaient votre énergie cèdent enfin. Après un procès d'assises, on ne dort pas, on tombe dans le coma. Un sommeil lourd et sans rêve. Aucun des autres intervenants du procès n'est autant engagé que l'avocat de la défense, car l'accusé, on le porte à bout de bras. La beauté du métier, mais aussi son côté destructeur si on n'y prend pas garde.

Bref, un formidable point de vue de l'intérieur de la profession d'avocat, servi avec le style parfaitement adéquat. Bref, la presse comme je l'aime. C'est long, mais ça se lit tout seul. Méfiez-vous, d'ailleurs : il est impossible de s'arrêter quand on a commencé.

Puisqu'on s'est déjà rencontré, permettez-moi un brin de familiarité : bravo Pascale. Vous devriez ouvrir un blog.

Allez, je vous laisse aller vous régaler.

C'est ici.

mardi 16 septembre 2008

Fausse bonne idée

Je lis dans le Bulletin de cette semaine (page 295, 4 du pdf) les premières pistes qu'explore le barreau pour la réforme du Bureau pénal, le service qui s'occupe des commissions d'office d'avocat en matière pénale à Paris, des gardes à vue, et des permanences pénales.

Pour mes amis les mékéskidis

Un petit décryptage rapide : est commis d'office un avocat à qui le bâtonnier demande (et ses désirs sont des ordres…) d'assurer la défense d'une personne qui lui en a fait la demande. Nous pouvons également être commis d'office à l'audience par le président de la juridiction.

Les gardes à vue sont gérées par un système d'astreinte : chaque jour est divisé en deux parties, la journée (7h-21h) et la nuit (21h-7h). Les avocats parisiens peuvent s'inscrire à trois astreintes par mois (il y a peu, c'était quatre), une astreinte couvrant une journée ou une nuit. L'avocat d'astreinte est ensuite appelé sur son téléphone mobile (il y a peu, c'était encore des bons vieux Tatoo®) et on lui indique le commissariat où il doit se rendre et le nom du gardé à vue.

Les permanences pénales couvrent deux types de permanence : les permanences mises en examen et les permanences comparutions immédiates. Les permanences mises en examen consistent à se tenir à disposition des juges d'instruction, principalement celui de permanence, pour assister des personnes qui lui sont déférées (=amenées directement des commissariats à l'issue d'une garde à vue) pour être mises en examen. Le cas échéant, cela inclut l'audience devant le juge des libertés et de la détention en vue d'un éventuel placement en détention provisoire. Elle peuvent commencer le matin (vers 10 heures) et sont censées se terminer dans ce cas vers 17-18 heures, ou commencer à 14 heures et dans ce cas durent jusqu'à ce que tous les dossiers aient été traités (20h-22h selon les jours, voire plus tard les jours fastes). Les permanences comparution immédiates concernent les prévenus, eux aussi déférés à l'issue d'une garde à vue, pour être jugés dans la foulée. Ils sont présentés à un procureur (seuls), qui recueille leur déclaration, et leur notifie par procès verbal leur citation pour l'audience de l'après midi. Ils peuvent à ce moment demander un avocat commis d'office, et le dossier nous échoit. Les permanences de comparutions immédiates commencent elles aussi en plusieurs vagues : 11h00 pour les premiers dossiers (on peut espérer en avoir fini à 18 heures), 14 heures pour le reste (on finit quand Dieu, dont le président est le prophète en son prétoire, le veut).

Combien ?

Plusieurs avocats sont de permanence pour les gardes à vue (je ne sais pas combien au juste, mais je crois que ça tourne autour de la quinzaine), pour les comparutions immédiates (quatre par fournée, ce me semble, plus un pour les victimes), mais on est seul pour les mises en examen (deux en fait, un du matin l'autre de l'après midi).

À Paris, pour pouvoir être commis d'office ou volontaire pour les permanences et les gardes à vue, il faut avoir suivi une formation de six fois quatre heures, dispensée par un éminent confrère. Contrairement à ce qui se fait dans la plupart des autres barreaux (mais notre nombre pléthorique nous le permet), il faut être volontaire et avoir suivi une formation pour être commis d'office à Paris.

Et combien ?

Les permanence mise en examen est payée au dossier : environ 75 euros H.T. pour une mise en examen, 50 euros H.T. de mieux en cas de débat contradictoire devant le JLD. Les permanences comparutions immédiates sont, il me semble forfaitisées ; en tout cas on touche environ 300 euros H.T. pour une permanence. Les gardes à vue sont payées à l'intervention, 63 euros H.T. de jour et 92 euros H.T. de nuit (il existe un supplément en cas de déplacement hors de la ville où siège le tribunal, mais il est évidemment inapplicable à Paris).

Revenons à nos moutons

Le Conseil s'est ému de certains problèmes liés au fonctionnement du bureau pénal, problèmes que je ne connais pas et qui n'ont pas été détaillés. J'ai cru comprendre qu'un certain copinage faisait que certains confrères étaient plus commis que les autres. La nouvelle me laisse pantois : vu les niveaux de rémunération, les choses sont claires : à Paris, un avocat ne peut pas vivre des commissions d'office. C'est au mieux un complément de rémunération pour les collaborateurs (= avocats débutants employés par un ou plusieurs avocats installés pour les assister dans le traitement de leurs dossiers). D'où la jeunesse des commis d'office. L'ingratitude financière de la chose fait que rapidement, ils demandent à être radiés des listes.

Parmi les pistes explorées par la Conseil de l'ordre, dont certaines me paraissent excellentes (mise en oeuvre, en concertation avec les services du Tribunal, des moyens nécessaires à l’amélioration des conditions matérielles d’exercice des missions confiées aux avocats de permanence : oui, par pitié, un ordinateur et une imprimante, avec un accès aux bases de données juridique, et des codes à jour pour nous éviter de transporter les nôtres, mon “kit 23e[1]” pèse 8 kilos !), une m'a fait bondir et prendre la plume virtuelle, car je le crains, nous sommes ne présence de la fausse bonne idée par excellence.

Le conseil de l’Ordre a décidé de veiller plus généralement à une répartition équitable entre les confrères volontaires des différentes permanences pénales dont l’accomplissement, traditionnellement destiné aux jeunes avocats, sera limité à une durée maximale de dix années, à une permanence par mois et au choix de deux modules maximum pour les permanences pénales avec obligation de suivre les ateliers de formation pratique ou spécifiques aux modules choisis.

Du diable si je comprends ces histoires de modules ; quand je lis « une permanence par mois », je m'exclame : HEIN ? J'en ai une par trimestre ! Mais quand je lis « l'accomplissement des permanences pénales sera limité à dix années », mon sang se glace.

Parce que cet couperet est au-dessus de ma tête, et je n'en comprends pas la raison.

La fausse bonne idée

La seule justification est que les permanences seraient « traditionnellement destinées aux jeunes avocats ». L'argument de la tradition est très fort dans la profession, mais en l'espèce, il ne me semble pas exact. Si ce sont les jeunes avocats qui s'occupent depuis toujours de la défense des plus démunis, c'est qu'ils en ont le temps, tout simplement. Les permanences, pour les collaborateurs, sont un gain net : leur rémunération professionnelles n'est pas diminuée en raison de leur participation à ces permanences puisqu'ils sont commis par le bâtonnier (et autrefois, comme ils n'étaient pas rémunérés par leur patron, c'était un gain tout court). Pour un avocat installé, c'est un manque à gagner, la rémunération ne compensant pas une journée de perdue au cabinet.

Et je sais d'expérience que des avocats inscrits sur les listes depuis dix ans, et même depuis plus de cinq ans, il y en a peu. Mais je crois qu'ils, que nous devrais-je dire, apportons quelque chose : notre expérience. Combien de fois ai-je aidé un jeune confrère, empêtré dans un concours réel d'infraction, un conflit de qualification, une nullité de procédure qu'il n'arrivait pas à formuler, sans parler des questions de droit des étrangers qui se posent de manière récurrente à la 23e ?

Que ce soit clair : ces permanences, je ne les fais pas pour l'argent. Aucun avocat installé ne les fait pour l'argent : on est financièrement perdant. Je les fais parce que j'aime ça, profondément, et que j'estime que les prévenus à la 23e doivent avoir aussi une chance de tomber sur un avocat expérimenté. Et dussè-je faire une entorse à ma proverbiale modestie, je crois que je ne suis pas trop mauvais dans cet exercice, à en croire les résultats que j'obtiens.

Alors m'en écarter de fait, par l'argument du jeunisme et de la tradition, je ne comprends pas où est l'intérêt du justiciable là-dedans. Je croyais que ce devait être notre principale préoccupation, au-delà de filer un pourboire aux jeunes confrères (le rapporteur du Conseil de l'Ordre est ancien président de l'UJA) et de se disputer pour gratter 300 euros par trimestre.

Alors de grâce, chers confrères, laissez-moi mes quatre permanences par an, laissez-moi aller aider mes jeunes confrères qui en auraient besoin, laissez-moi tenter d'aider les hommes qui n'existent pas, laissez-moi aller voir régulièrement comment ça se passe dans l'usine pénale où on juge à la chaîne.

Je ne pense pas y déranger.

Notes

[1] C'est la 23e chambre qui, à Paris, juge les comparutions immédiates

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