Les bras m'en tombent, ce qui m'oblige à écrire ce billet avec les dents.
A l'instar de mes amis Jules de Diner's Room, tellement cité ici qu'il va finir par devenir copropriétaire de ce blog, et Authueil, je suis estomaqué du cynisme faisant fi de toute pudeur dont sont parfois capables nos députés. A croire qu'ils sont convaincus que tout sens moral a également déserté le peuple qu'ils représentent, qui avalera toutes les couleuvres qu'ils voudront bien voter.
Un petit retour en arrière.
Lors des dernières élections législatives, l'UMP a torpillé le croiseur Bayrou en débauchant la plupart de ses députés sous le pavillon du Nouveau Centre[1] , le navire amiral de ceux qui tournent avec le vent. Abandonné par sa flotille, François Bayrou a sombré, se retrouvant seul élu avec Jean Lassalle, un député qui ne coûte pas bien cher à nourrir, et réduit à bouder sur les bancs des non inscrits.
Las, guidés par un piètre capitaine, qui s'est pourtant vu promu Amiral, car de nos jours on récompense la fidélité et non la compétence, la flottille de Nouveau Centre n'a pu éviter des écueils légaux.
D'où une grotesque mascarade lors de la campagne, l'amiral Morin ayant saupoudré la France de candidats qui furent discrets dans leur circonscription, et qui étaient membres de sa famille (Catherine Broussot-Morin, Philippe Morin, Lisa Morin, Julien Morin, Micheline Morin), secrétaires, assistants, et même... son chauffeur.
Par un terrible concours de circonstance, que les experts les plus pointus appellent "le faits que les Français n'aiment pas qu'on se moque d'eux en tout cas aussi visiblement", ces Morin d'eau douce obtinrent des scores lamentables, et le seuil des 50 fois 1% ne fut pas franchi.
Ainsi, le seul financement que touche le Nouveau Centre est celui dit "de la deuxième fraction", qui est fonction du nombre d'élus, 22 pour le Nouveau Centre. Comme disent les juristes, ça fait pas bézef.
Mise à jour : Rectification : le Nouveau Centre n'a pas droit à la deuxième fraction, celle-ci n'étant accordée qu'aux partis ayant droit à la première (art. 9 de la loi de 1988 précitée).
Mais en vérité, qu'importe, quand on écrit les règles du jeu ! Il suffit de les modifier pour dire que finalement, on a gagné !
Et c'est exactement ce qu'a fait le Nouveau Centre.
Messieurs François Sauvadet, Charles de Courson, et Jean-Christophe Lagarde, et les membres du groupe Nouveau Centre et apparenté, ils méritent que leurs noms soient cités ici pour ne pas être oubliés : Jean-Pierre Abelin, Christian Blanc (quelle déception de le voir mêlé à cette tartufferie), Stéphane Demilly, Jean Dionis du Séjour, Francis Hillmeyer, Michel Hunault, Olivier Jardé, Yvan Lachaud, Maurice Leroy, Claude Leteurtre, Nicolas Perruchot, Jean-Luc Préel, François Rochebloine, Rudy Salles, Marc Vampa, Francis Vercamer, Philippe Vigier, et Philippe Folliot, apparenté, ont déposé le 17 octobre dernier une proposition de loi « relative au pluralisme et à l’indépendance des partis politiques », comme le cynisme politique inspire des noms poétiques, dont l'objet est d'accorder au Nouveau Centre le financement qu'il aurait touché s'il avait bel et bien obtenu les cinquante fois 1% des voix, du fait qu'ils ont au moins 15 députés, critère opportunément retenu. Lisez l'exposé des motifs, si vous voulez lire un grand moment d'hypocrisie politique : le lucre paré du masque de la vertu républicaine. Si vous vous sentez nauséeux, ce n'est pas le mal de mer, nonobstant ma métaphore marine.
Bref, comme dit très justement Jules,
il s'agit ni plus ni moins que d'abaisser la barre lorsqu'on ne peut la franchir ; de tordre les principes pour pouvoir s'en prévaloir. Ce qui n'est guère élégant.
Comprendre : une forfaiture.
Initiative isolée de mutins ayant envie de taper dans le trésor, et qui seront vite passés par la planche, ou pendus à la grande vergue pour l'exemple ?
Pas du tout. L'UMP appuie ce projet, qui est discuté au moment même où j'écris ces lignes, soit une semaine après le dépôt de la proposition de loi. Le gouvernement maîtrisant l'agenda parlementaire, c'est peu dire qu'il a donné son aval. Et quand on voit que le rapporteur du projet de loi n'est autre que celui qui l'a rédigé, on se doute que la commission des lois va être très conciliante.
Que dire en conclusion ? Qu'entendre le gouvernement asséner doctement qu'il faut "moraliser" la vie financière, c'est le camembert qui dit au roquefort « Tu pues ! ». Qu'entendre ces élus pleurnicher sur l'abstention, sur le désintérêt des Français pour la vie politique et le peu de reconnaissance qu'ils ont au niveau local me donne l'envie irrépressible de leur offrir un balai pour le devant de leur porte.
Le Sénat, ou sinon le Conseil constitutionnel auront-ils l'audace de mettre fin à cette mascarade honteuse, faite en notre nom en vertu de la démocratie représentative ?
Ou toute vertu a-t-elle déjà déserté la République ?
En tout cas, il est hors de question que je laisse faire cela en catimini, pendant que les télés ne parlent que du Grenelle de l'environnement et des ampoules éteintes pendant cinq minutes. Faisons savoir que nous ne sommes pas dupes.
Notes
[1] A l'époque de l'élection, le navire battait pavillon Parti Social Libéral Européen, il deviendra le Nouveau Centre pour permettre d'autres ralliements in extremis, le nouveau nom ayant l'avantage de ne vouloir strictement rien dire et de dissimuler ainsi le caractère opportuniste du ralliement.
Ce billet, écrit à 13:25 par Eolas dans la catégorie Politique
a suscité :
Une question, purement théorique bien sûr, se pose avec insistance ces jours-ci : dans l'hypothèse (d'école) où le président de la République en exercice voudrait mettre fin à son mariage, pourrait-il le faire avec le nouveau statut du chef de l'Etat récemment modifié afin d'assurer une fin de mandat paisible à un précédent titulaire de l'office ?
Avant de voir et éventuellement répondre aux objections de ces éminents juristes, voyons un peu le nœud du problème.
C'est peu dire que la République n'aime guère ses juges. Atavisme historique dont j'ai déjà parlé, le pouvoir judiciaire fait peur, et le pouvoir dominant, que ce soit l'exécutif ou le législatif, a toujours veillé à le châtrer. Tout d'abord, en le coupant en deux parties séparées, afin d'avoir ses propres juges (mais qui ont à leur tour pris leur indépendance), et en faisant du troisième pouvoir une simple autorité placée sous la protection que l'on espère bienveillante du président de la République, pourtant chef de l'exécutif. Les parlementaires jouissent d'une immunité, les ministres sont justiciables d'une juridiction où les parlementaires sont majoritaires et qui ne s'est pas manifestée pour sa grande sévérité, et le président de la République a été mis hors de portée de tout ce qui dit le droit[1]. Par contre, qu'un juge soit accusé d'avoir mal fait son travail, et il sera sommé de comparaître devant une commission parlementaire, et le garde des sceaux engagera contre lui des poursuites disciplinaires, faute de pouvoir prononcer directement une sanction, quand bien même ses services lui expliqueraient qu'aucune faute n'a pu être relevée. Les pouvoirs sont ici séparés comme le valet est séparé du maître.
Car la séparation des pouvoirs, vous le remarquerez, n'est jamais opposée qu'au pouvoir judiciaire sur un ton de "pas touche" ! Le fait ainsi que l'exécutif tienne le législatif en laisse en allant jusqu'à tenir son agenda n'a ainsi jamais fait sourciller, pas plus que le fait qu'un premier ministre rappelle à l'ordre un député qui se serait cru libre de critiquer le gouvernement ne provoque de cris d'orfraie de la part des parlementaires.
Ces prolégomènes étaient nécessaires pour bien comprendre l'état des textes. N'y cherchez aucune orthodoxie juridique, aucune cohérence : le but était de mettre le président à l'abri des questions déplacées de ceux qui voudraient que la loi s'appliquât à tous en France (il en reste).
La règle applicable est posée dans la constitution, en son article 67 :
Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68 [qui précisent les conditions de sa destitution en cours de mandat.].
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.
C'est l'alinéa 2, que j'ai graissé, qui est le centre du problème. Le vocabulaire semble à première vue ne concerner qu'une action pénale : acte d'information, d'instruction, ou de poursuite. Mais en réalité, il n'en est rien.
L'alinéa 2 exclut bien toutes les juridictions et les autorités administratives : cela recouvre toutes les juridictions judiciaires, administratives, et les autorités administratives ayant un pouvoir de sanction (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, CNIL, Autorité des Marchés Financiers, Conseil de la Concurrence...). Nul ne peut faire un procès au président de la République, même pour des faits commis avant sa prise de fonction. A commencer par le conjoint de celui-ci, qui ne peut demander le divorce à un juge, que ce soit pour faute, pour rupture prolongée du lien conjugal, ou même sur demande acceptée, car le président serait défendeur et donc ferait l'objet d'une action, et le juge devra exercer son autorité pour trancher sur les conséquences du divorce. Là, je pense qu'il y aura consensus chez les juristes.
Reste une possibilité, et là, nous entrons dans le brouillard. Quid du divorce par requête conjointe ? Le divorce par requête conjointe est en effet une matière gracieuse et non contentieuse. Les époux demandent au juge de prononcer le divorce en constatant leur volonté commune de divorcer, et que toutes les conséquences matérielles du divorce ont été réglés d'un commun accord, par une convention de divorce qu'ils sont signé avec le concours de leur avocat (dont l'intervention est obligatoire).
A strictement parler, dans une telle hypothèse, le président de la République ne fait pas l'objet d'une action. Il est codemandeur, et il n'y a pas de défendeur. L'office du juge se résumé à dire "oui" ou "non", selon qu'il estime que la volonté des époux est réelle (il les reçoit seul et séparément à cette fin) et que les dispositions prises en commun par les époux respectent les intérêts de chacun (concrètement, ne laisse pas l'époux le plus faible dans le besoin attribuant l'essentiel de la fortune commune à l'autre). Il ne peut pas de sa propre autorité modifier la convention ,et décider unilatéralement que tel époux devra verser à son conjoint une somme à titre de prestation compensatoire alors qu'aucune n'était initialement prévue, ou d'en modifier le montant.
Avant 2005, la loi prévoyait d'ailleurs une procédure en deux étapes. Une première audience visait à constater la volonté des époux, les inviter à réfléchir, et permettait au juge de présenter des observations sur le projet de convention de divorce, en disant clairement que si tel point n'était pas modifié dans le sens qu'il indiquait, il refuserait l'homologation de cette convention et donc de prononcer le divorce à la deuxième audience, plusieurs mois plus tard. Aujourd'hui, il n'y a qu'une audience, ce qui renforce le rôle de conseil de l'avocat, qui se doit de faire en sorte de présenter une convention qui sera acceptée par le juge. Le cas échéant, la convention peut être modifiée à la main sur un coin de table dans le cabinet du juge. Sinon, c'est le refus de prononcé du divorce, et toute la procédure doit être recommencée depuis le début avec une nouvelle convention.
Y a-t-il un obstacle à ce que le président de la République et son conjoint présentent ensemble une requête en divorce avec une convention de divorce ?
Pour ma part, je n'en vois pas. Le fait que le président ne peut faire l'objet d'une action ne lui interdit pas d'en être le sujet, c'est à dire d'exercer lui-même une action. Le juge aux affaires familiales ainsi saisi pourrait prononcer le divorce ou refuser de le prononcer, sans violer l'article 67 de la constitution.
Qu'objectent mes excellents contradicteurs ?
Pour Frédéric Rolin et Jules, le principal argument est commun. Le fait que ce soit une matière gracieuse (les parties ne sont pas en conflit et demandent au juge d'entériner leur accord) et non contentieuse (les parties demandent au juge de trancher entre leurs arguments contradictoires) n'exclut pas l'application de l'article 67. Jusque là, je suis d'accord.
Or, même en matière gracieuse, le juge peut décider de son propre chef qu'une mesure d'instruction est nécessaire (articles 10 et 27 du nouveau Code de procédure civile, ou NCPC) comme une enquête sociale ou une expertise psychiatrique par exemple.
Jules rappelle que parmi ces mesures d'instruction figure l'audition des parties (article 10 du NCPC) : « Au titre des mesures d'instruction, les expertises, l'interrogation de témoins, la réception d'attestations, par exemple. Mais également "entendre les parties". Autrement dit, l'audition des parties constitue une mesure d'instruction au sens du NCPC ». Or cette audition est obligatoire pour le divorce par requête conjointe. Dès lors conclut-il, une mesure d'instruction prohibée étant indispensable, l'article 67 s'oppose au prononcé du divorce.
J'objecte très respectueusement.
L'audition des parties est une formalité obligatoire du procès. Elle est prévue par l'article 250 du Code civil, et les modalités sont prévues par l'article 1092 du NCPC, qui n'est ni l'article 10, ni l'article 27, j'ai des preuves irréfutables de cela, l'article 1092 faisant partie du chapitre consacrée à la procédure de divorce par requête conjointe.
Il ne faut pas confondre formalité obligatoire et mesure d'instruction. La mesure d'instruction est une faculté offerte au juge afin de mieux s'informer avant de statuer. Quand bien même le juge aux affaires familiales s'estimerait pleinement informé par la requête en divorce et la convention elle même dont il est saisi, l'avocat pouvant lors de l'audience apporter les quelques détails manquant, il reste tenu d'entendre les époux.
Plus encore, l'audition des parties, comme tout acte d'instruction doit être contradictoire, c'est à dire que l'autre partie doit pouvoir non seulement ouïr les propos mais y objecter. Or en matière de divorce, cette audition n'est pas contradictoire : les époux sont reçus séparément, et hors la présence du ou des avocats. Cela exclut donc qu'il s'agisse d'une mesure d'instruction.
J'opinerais donc pour ma part qu'un juge aux affaires familiales pourrait prononcer le divorce s'il estimait que la requête et la convention sont satisfaisantes ; s'il devait au contraire estimer qu'une mesure d'instruction serait nécessaire, l'article 67 le lui interdirait et il devrait alors refuser de prononcer le divorce. La seule possibilité qu'a le président de la République de divorcer est donc par requête conjointe, requête ne devant poser aucune difficulté pour le juge.
A cela, Frédéric Rolin objecte que ce raisonnement heurterait la règle de l’unicité de l’office du juge :« le juge ne serait compétent que s’il ne mettait pas en œuvre certains des pouvoirs qui lui sont légalement dévolus. Cela n’est tout simplement pas concevable. »
En effet.
Si l'on aborde le problème sous l'angle de la compétence.
Or dès lors que le juge aux affaires familiale constate qu'il est territorialement et matériellement compétent, dans notre cas qu'il est bien juge aux affaires familiales (c'est écrit sur sa porte) et qu'il siège bien à Nanterre (c'est écrit sur un panneau devant le tribunal), le problème de la compétence est réglé.
Seul se pose le problème des pouvoirs du juge. La loi lui donne des pouvoirs pour mieux s'informer avant de statuer. Mais la constitution les lui retire quand un des époux est président de la République. S'il estime être insuffisamment informé pour pouvoir prononcer le divorce, le juge doit refuser, ou éventuellement surseoir à statuer en invitant les parties à lui fournir les pièces qu'il estime nécessaire, sans utiliser le moindre pouvoir de contrainte ni les ordonner lui même. Si ces éléments ne lui sont pas fournis, retour à la situation initiale : la demande sera rejetée.
Cela ne viole pas l'interdiction du déni de justice : le juge ne refuse pas de statuer sous le prétexte de l'obscurité de la loi : il statue, et sa réponse est de rejeter la demande des époux.
D'ailleurs, le Nouvel Observateur annonce par un titre assez mystérieux que « Les Sarkozy ont matérialisé leur séparation lundi 15 octobre ». Matérialisé une séparation ? Les termes sont paradoxaux. S'ils ont vu un juge, il est bien possible qu'ils soient d'ores et déjà divorcés. Mais les rumeurs vont bon train dans cette affaire : LCI dit qu'une requête aurait été déposée par Cécilia Sarkozy, ce qui ne semble pas très réaliste : je pense qu'elle a autre chose à faire que jouer les coursiers pour son avocat. Comment savoir ?
Mais très simplement, amis journalistes. Allez régulièrement à la mairie où se sont mariés les époux Sarközy de Nagy-Bocsa et Ciganer-Albéniz, et demandez un extrait d'acte de mariage sans filiation (il vous faudra la date du mariage, mais vous êtes journalistes, je vous fais confiance). C'est gratuit et aucun justificatif ne vous sera demandé. Le divorce devra être mentionné en marge pour que ses effets soient opposables au tiers, notamment que les époux puissent se remarier ou que les créanciers de l'un ne puissent poursuivre l'autre. Vous aurez même l'indication du jour où le jugement a été rendu. La demande peut aussi être faite par courrier (n'oubliez pas une enveloppe timbrée pour la réponse).
Et dès lors, réjouissez vous, femmes de France : vous saurez que le président est à nouveau un cœur à prendre.
Notes
[1] "Dire le droit" en latin se dit juris dictio ; d'où le mot juridiction : entité qui dit le droit.
Ce billet, écrit à 13:03 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Laissons de côté la si décevante actualité sportive (la France n'a gagné QUE 6 à 0 aux Féroé...) et tournons nous vers l'actualité juridique et judiciaire qui est riche ces temps-ci. Je vais aborder trois thèmes cette semaine, si mon agenda m'en laisse le temps : les peines plancher, la réforme de la carte judiciaire notamment.
Mais tout d'abord, collons le plus à l'actualité, la libération conditionnelle, sous les feux de la rampe aujourd'hui par la libération annoncée de Bertrand Cantat.
Soyons d'emblée très clairs. L'objet de ce billet n'est absolument pas d'étaler soit des déclarations scandalisées sur cette décision soit une approbation bruyante en fustigeant ceux qui s'y opposaient. De tels commentaires seront impitoyablement supprimés, je vous rappelle que je suis de mauvaise humeur depuis samedi soir. Pas de pollution médiatique ici, vous avez le courrier des lecteurs de la presse pour ça (je vous recommande les commentaires sous l'article de Libération, d'un niveau de caniveau très satisfaisant).
Je voudrais simplement expliquer ce qui conduit à de telles décisions de libération à mi-peine, et pourquoi celle-ci en particulier n'a absolument rien de scandaleux, même s'il est permis d'être à titre personnel, moral et pourquoi pas philosophique (domaines dans lesquels ce billet s'abstiendra de pénétrer) en désaccord avec elle.
La peine vise à punir, c'est une évidence, mais elle ne vise pas qu'à cela. C'est là l'écrasante responsabilité des juges - vous comprendrez bientôt le pluriel - que de rechercher l'équilibre entre toutes les finalités de la peine.
C'est l'article 132-24 du Code pénal qui a inscrit dans la loi les principes posés depuis longtemps par la jurisprudence, notamment du Conseil constitutionnel.
alinéa 2 :
La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions.
La protection de la société, c'est la neutralisation de l'individu dangereux. La prison est le plus efficace, mais d'autres peines y suffisent parfois amplement (la suspension du permis du chauffard, par exemple).
La sanction du condamné, c'est la rétribution : il a eu un comportement interdit, il doit être sanctionné sauf à faire de l'interdit social une farce. Le but est que quel que soit l'intérêt tiré du comportement, il ne vaille pas la peine qui y est attaché. Rouler à 200 fait arriver plus vite, mais si on vous confisque votre voiture et annule votre permis, le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Les intérêts de la victime. Ca, c'est un ajout de la loi Clément sur la récidive du 12 décembre 2005. L'irruption de la victime à tous les stades du procès pénal est une tendance parfois irritante de notre époque tant on détourne le procès pénal de sa finalité et de ce qu'il est vraiment : un individu face à la société dont il a transgressé les règles. Mais la prise en compte de ses intérêts au niveau de la peine est parfaitement naturelle, et les juges n'ont pas attendu le législateur pour en faire un paramètre de la peine. C'est d'ailleurs un très bon argument pour la défense : il faudra réparer, or la prison, privant de travail, empêche la réparation, ou la retarde d'autant. Comme quoi, les intérêts de la victime sont parfois opposés à ceux de la société, qui a plus à gagner à une neutralisation durable.
La nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné : il y a toujours un après la peine depuis le 9 octobre 1981. Il faut préparer cet après, car le retour à la liberté après une longue incarcération (et quatre ans, c'est long) est difficile. On passe d'un univers très encadré (vous n'ouvrez aucune porte vous même et n'allez nulle part sans permission) à être livré à soi même, et souvent à la solitude. Il ne faut donc pas insulter l'avenir par la peine. D'où une nécessaire phase de transition, de retour progressif à la liberté sous certaines contraintes. Là se situe le coeur de la libération conditionnelle.
Prévenir la commission de nouvelles infractions. Redondance avec la protection de la société, mais le législateur de 2005 était obsédé par la récidive. Cette prévention, outre la menace de la sévérité en cas de récidive (dont l'efficacité me paraît très douteuse, j'y reviendrai quand je parlerai des peines plancher), il y a aussi le traitement médical ou psychologique, le sevrage alcoolique, qui nécessite aussi une certaine forme de contrainte, qui ne peut être exercée que pendant l'exécution de la peine. La libération conditionnelle sert aussi à cela.
Ces principes s'imposent d'abord à la juridiction de jugement. Dans le cas Cantat, la juridiction était lituanienne, mais ces principes ne sont pas non plus inconnus sur les rives de la Baltique. Une bonne plaidoirie doit à mon sens donner l'opinion de l'avocat sur ces quatre points. C'est en tout cas plus pertinent que l'invocation de l'enfance malheureuse (il y a des présidents de correctionnelle qui viennent de la DDASS, l'excuse passera très mal) ou que "la prison ne sert à rien puisque le prévenu a toujours récidivé", que j'ai entendu récemment dans un prétoire avant que le tribunal ne prononce une peine largement supérieure aux réquisitions du parquet.
Mais une peine s'étalant dans le temps, il ne serait pas bon de la traiter comme une parole sacrée et intangible. Un condamné peut changer, et la longue période d'observation continue qu'est un emprisonnement permet de le constater. C'est là qu'intervient le juge d'application des peines (JAP). Il a de par la loi des pouvoirs étendus mais pas illimités pour modifier la peine en cours d'exécution. Il peut la suspendre, la fractionner (un étudiant condamné à 6 mois de prison ferme fera deux fois trois mois pendant ses vacances scolaires ce qui n'interrompra pas ses études), la réduire pour bonne conduite, donner des autorisations de sorties (une journée à quelques jours, pas plus) et enfin octroyer la libération conditionnelle.
La libération conditionnelle suppose que le condamné ait exécuté une durée d'emprisonnement égale à celle lui restant à accomplir. Ce qu'on appelle la mi-peine, qui n'est pas égale à la moitié de la peine, ce serait trop facile, les réductions de peine devant être décomptées. C'est la première condition, mais pas la seule. Ajoutons que le droit étant la science des exceptions, un condamné ayant un enfant de moins de dix ans avec qui il vit habituellement est dispensé de cette condition de mi peine. La société considère que l'intérêt de l'enfant doit pouvoir justifier une grande clémence.
Une fois que la mi-peine est franchie, le JAP peut, soit d'office (le JAP doit examiner chaque année la situation des condamnés admissibles à cette mesure), soit à la demande du condamné, envisager une libération conditionnelle. Les critères pris en compte sont l'exercice d'un travail à la sortie, les efforts faits en vue d'indemniser les victimes, l'assiduité à un enseignement ou une formation en cours de détention, le suivi d'un traitement médical contre les causes du passages à l'acte, et les conditions qui attendent le condamné à la sortie. Le dossier pénitentiaire est pris en compte, puisque l'avis de l'administration pénitentiraire est sollicité, et un condamné multipliant les incidents et les punitions aura peu de chance de bénéficier d'une telle libération. Un SDF aura bien plus de mal à obtenir une libération conditionnelle qu'une personne attendue par sa famille qui lui a trouvé un emploi. C'est ainsi.
L'intérêt de la libération conditionnelle est que la peine est toujours en cours d'exécution : le libéré reste sous l'autorité de la justice. La libération est conditionnelle. Le droit est aussi la science des épithètes, auquel le public ne prête jamais assez d'attention. Le JAP impose des obligations au libéré (ne pas changer de domicile sans autorisation, répondre aux convocations ou recevoir le travailleur social chargé de son dossier) qui, s'il ne les respecte pas, encourt un retour en prison, qui peut être très rapide, le JAP pouvant révoquer la mesure et décerner mandat d'arrêt sans avertir le condamné. Il y a donc un suivi, et une menace. On est loin du retour à la liberté de fin de peine, ou plus aucun suivi n'est par définition possible (sauf pour les délinquants et criminels sexuels condamnés à un suivi socio judiciaire, car le droit est la science des exceptions).
Ainsi, Bertrand Cantat bénéficiera-t-il d'une telle libération parce qu'il a accompli la moitié de sa peine depuis l'été dernier ; il a intégralement indemnisé les parties civiles qui avaient demandé des dommages-intérêts lors du procès (les enfants de la victime, ses parents s'y étant refusé) ; les risques de récidive paraissent inexistants ; il a de très bonnes conditions d'accueil à l'extérieur et peut espérer aisément retrouver un travail, que ce soit son ancienne activité de chanteur ou tout autre travail. Il est probable qu'il a pu fournir des promesses d'embauche satisfaisantes. Il a un dossier pénitentiaire exemplaire, n'ayant jamais été puni disciplinairement.
On apprend donc que la demande a été sollicitée le 22 juillet 2007. On ne peut pas dire que le JAP agisse dans la précipitation. Il a bien un contrat de travail avec Universal Music (oui, un chanteur très marqué à gauche qui travaille pour une multinationale, je ne vois pas où est le problème ?) renouvelé en 2005, des revenus issus de ses droits d'auteur et interprète, qu'il a deux enfants dont il souhaite pouvoir s'occuper - sa fille a 4 ans, son fils 10. La famille de la victime a été consultée qui a exprimé son désaccord, estimant que Bertrand Cantat aurait bénéficié de conditions privilégiées durant sa détention et invoquant l'exemplarité de l'affaire en matière de violences conjugales. L'administration pénitentiaire a donné un avis favorable. Le ministère public ne s'oppose pas (il a un mal fou à être d'accord, c'est un blocage), à condition que la période de suivi ne soit jamais réduite, et que le condamné poursuive à l'extérieur sa prise en charge thérapeutique et s'abstienne de toute intervention publique ou diffusion d'oeuvre relative aux faits (pas de livre, pas d'interview), ce à quoi le condamné a dit qu'il était d'accord.
Le juge explique ensuite sa décision : il constate sa compétence pour statuer seul (peine de moins de dix ans), que le condamné est à mi peine, et répond aux parties.
Sa réponse à la famille de la victime mérite d'être reprise ici, pour les Monsieur Prud'homme qui se scandalisent sans savoir.
Monsieur Cantat et son conseil ont rappelé les conditions de vie carcérale ayant entouré les quatorze mois d'emprisonnement subis à Vilnius, avec notamment un placement en isolement dans une cellule de 6m² située en sous sol, seulement éclairée par un soupirail et une ampoule allumée nuit et jour, une surveillance permanente à travers un miroir sans tain en raison du risque d'un passage à l'acte suicidaire, ou encore l'impossibilité, pour des raisons linguistiques, de bénéficier du soutien psychologique qui lui était à l'époque particulièrement indispensable ;
S’agissant ensuite de l’incarcération subie à MURET, il convient de relever que M.CANTAT, contrairement à certaines allégations ayant pu circuler dans la presse, n’a en aucune manière bénéficié d’un "traitement de faveur" caractérisé par une plus grande liberté de circulation à l’intérieur de l’établissement, de plus larges horaires d’ouverture des cellules , et la prise de repas en commun, l’organisation de sa vie quotidienne ne lui est évidemment pas spécifique, mais réservée à la centaine de détenus affectée au bâtiment dit "de confiance", car ne présentant ni problème de réadaptabilité, ni dangerosité de nature sociale ou psychiatrique.
Loin de lui valoir, comme e pu le penser la partie civile sur le base d’informations erronées, un statut privilégié et des conditions de détention "que bien des prisonniers lui envieraient", la notoriété de M. Cantat l’a au contraire placé dans un contexte singulièrement éprouvant.
Ainsi, et clans la suite de l’incendie [1] survenu au cours de sa détention en Lituanie, et dont le caractère criminel est depuis avéré, M. CANTAT a reçu plusieurs lettres le menaçant de mort, notamment dans les débuts de son incarcération au Centre de Détention faisant actuellement l’objet d’enquêtes auprès du Parquet de TOULOUSE, d’autres sont parvenues à l’approche du débat contradictoire, et même en cours de délibéré. A l’intérieur de l’établissement, un climat de représailles avait également entouré son arrivée et nécessité pour sa sécurité un transfert rapide vers un autre bâtiment, certains détenus ayant utilisé sa faiblesse psychologique pour “s’autoproclamer protecteur” en lui faisant croire qu’il était la cible d’un “contrat” à l’extérieur.
Par ailleurs, toujours en lien direct avec l’extrême médiatisation entourant cette affaire, M. CANTAT a dû affronter de graves atteintes à la vie privée, parmi lesquelles le détournement et la publication dans l’hebdomadaire "VOICI"[2] (édition du 21 février 2005) de sa fiche d’inscription à l’université de Toulouse Le Mirail - ce qui l’a conduit à abandonner les études de philosophie qu’il souhaiter mener par correspondance auprès de cet établissement- , et surtout la parution d’une quinzaine de clichés photographiques pris à son insu en plusieurs moments et lieux du son quotidien carcéral (“VSD” édition du 21 au 27 février 2007, condamnation de la 17e Chambre Civile du TGI de Paris en date du 1er octobre 2007),
Au regard de la durée effective et de la pénibilité de l'emprisonnement subi, la mesure de libération sollicitée par M. CANTAT ne saurait donc être considérée comme prématurée, étant enfin observé que sa sortie définitive eu situe à moins de deux ans, comme étant fixée au 29juillet 2009[3].
Voilà pour ceux qui trouvent que Bertrand Cantat s'en sort trop bien et a passé de joyeuses vacances.
Enfin, rappelons que le fait d'être une personne publique, un "pipole" comme on dit en français moderne, que l'on soit auteur ou victime, n'implique pas la mise à disposition du public de sa vie privée et l'invitation à proférer des jugements aussi définitifs que fondé sur du néant. Laissons ces personnes vivre en paix. A ce titre, je réitère mon avertissement. Les commentaires donnant un avis dont nul, à commencer par moi, n'a que faire sur les divers protagonistes de cette affaire,seront supprimés.
A la suggestion d'un lecteur, j'extirpe des abîmes des commentaires que plus personne ne lit sous ce billet un petit échange entre votre serviteur et deux magistrats du parquet. Je pense qu'en effet, ils méritent une plus grande visibilité et intéresseront tous les lecteurs de ce blogue.
Lincoln est le premier à s'exprimer (j'ai ajouté au texte original quelques retours à la ligne pour faciliter la lecture ; les liens hypertexte sont de moi également) :
La lecture de certains commentaires appelle plusieurs observations de ma part:
- d'une part, sur le rôle, le ton adopté par certains magistrats du parquet: je crois qu'il faudrait réellement faire une vraie pédagogie sur le rôle du ministère public, sur ce qu'il est pour y voir plus clair. Je pense que le positionnement du parquet est sans nul doute le positionnement le plus difficile et étrangement actuellement, il est souvent très décrié. On le juge agressif: je trouve ça fort étrange lorsque l'on sait que le ministère public est justement là pour donner des repères, un cadre clair à des gens qui ont perdu tout repère.
Je prends l'histoire de l'extorsion: certes, ces jeunes évoluent dans un milieu difficile, pour autant, est-ce bien acceptable de violenter quelqu'un pour lui soutirer cinq euros ? Je rappelle souvent à mes déférés que dehors, ce n'est pas la loi de la jungle, œil pour œil, dent pour dent. On ne peut pas, sous prétexte que l'on s'estime ou se croit victime de tel ou tel, se faire justice, on ne peut pas non plus se revendiquer victime - de son milieu, de son quartier, de son histoire familiale - et se faire justice. Sans le respect des règles, notamment de droit, il n'y aurait plus de place pour la justice institutionnelle et chacun se croyant dans son bon droit appliquerait sa règle c'est à dire celle du plus fort.
En général, l'opposition systématique défense/ministère public repose sur la distinction philosophique libre arbitre/déterminisme. Nous (ministère public) rappelons toujours que chacun a toujours le choix - ce qui fait d'ailleurs qu'il est humain, civilisé -, le choix de ne pas franchir la ligne jaune, et qu'il n'y a donc pas de déterminisme. C'est parfois au prix d'efforts, de sacrifice, que ce choix doit être fait, mais il existe. Le déterminisme, c'est l'abolition de la responsabilité: or, ne plus être responsable de ses actes, c'est "vivre à la manière d'un caillou". Il y a un contexte évidemment qui permet de comprendre mais qui ne permettra jamais de justifier l'infraction - sauf cas très particulier: cf. les faits justificatifs -. Ce clivage est permanent et récurrent et il polarise souvent les débats.
Avoir un réquisitoire équilibré comme il est proposé, c'est aussi très souvent ouvrir la brèche à des plaidoiries assassines où le ministère public ( de plus en plus souvent mis en cause personnellement, avec, pour cette fois, une réelle agressivité de l'avocat et un président qui en général estime que finalement c'est le jeu si le parquet s'en prend plein la tête) est taxé de lâche, qu'il ne va pas jusqu'au bout de sa logique et donc finalement il est faible. Il est vrai de façon générale que plus un discours est fin, nuancé, plus il est exposé à la critique - ce que l'on constate très régulièrement sur ce forum -. Ayez un discours non monolithique, tentant de démontrer la complexité d'une situation - et il n'y a guère plus complexe que l'humain - et vous vous heurterez à des plaidoiries souvent très violentes.
Le réquisitoire du ministère public est, me semble-t-il, beaucoup plus complexe comme art oratoire que la plupart des autres discours du procès. On rappelle qu'il prend ses réquisitions, selon le CPP actuel, "pour le bien de la justice", ce qui n'est pas rien. Or, sollicitez la relaxe, et les victimes vous détesteront - d'autant que l'indivisibilité jouant, et la parole libre à l'audience ayant manifestement tendance à s'effacer des mémoires, vous êtes considéré à l'origine des poursuites -, demandez une peine qui n'est pas une peine plancher dans une situation de récidive, vous êtes un iconoclaste irrespectueux du désir divin du peuple français représenté par son chef de l'Etat et son parlement, demandez du ferme, vous êtes un répressif assoiffé d'incarcération, ne comprenant pas que "la prison, ça ne sert à rien, ça ne résoudra pas la situation "(quelle rengaine entendue mille fois dans la bouche des avocats... OK, mais que proposez-vous d'utile maître dans ces situations récurrentes où SME sur SME se sont succédés, que le sursis simple est impossible et que l'amende n'est manifestement pas adaptée, sans parler du TIG...) ?
En bref, le parquet est le récipiendaire permanent de toutes les frustrations, y compris à l'interne.
Le ministère public est décidément une fonction bien plus complexe qu'elle n'y paraît, très très loin de la caricature qu'on en fait du méchant - généralement un peu débile, du moins franchement pas fin -tendant son doigt vengeur vers le malheureux prévenu pris dans les rets d'une histoire familial chaotique. La fermeté s'impose dans le discours, d'une part par souci de rappel à la loi, d'autre part, parce que l'infraction, même sans victime, est toujours un heurt contre la société. Ce n'est guère par goût d'"engueuler" les gens (on s'en passerait bien) mais institutionnellement, le parquet a une fonction de "memento legis". La fermeté n'empêche pas l'humanité (thème à la mode), ni la lucidité, mais avant le pardon, il faut le temps de la sanction, de préférence intelligente.
Il faudrait aussi parler du risque acceptable pour le parquet qui est souvent un vrai casse-tête: jusqu'où peut-on aller pour le parquet dans l'admission du risque acceptable (ex sur la détention provisoire, les aménagements de peine milieu fermé) ? Il faudrait aussi parler du positionnement institutionnel: pourquoi demander la détention et pas le contrôle judiciaire dans ce cas précis en sachant que chaque acteur du procès va devoir jouer son rôle à plein et que les repères seront plus clairs pour la personne ?
A l'heure actuelle, le statut du ministère public est loin d'être enviable et de plus en plus complexe.
Exemple de schizophrénie massive: augmenter les aménagements de peine nous dit-on mais attention, au moindre incident pendant un aménagement, on viendra demander des comptes pour savoir pourquoi le parquet n'a pas fait appel du jugement de cet odieux pédophile qui a récidivé (alors que tout dans le dossier permettait de penser à une salvatrice réinsertion et une dangerosité encadrée). Diminuer les poursuites pénales, privilégier les alternatives aux poursuites sauf que les alternatives aux poursuites ont en fait mordu sur d'anciens classements, ce qui fait que désormais on est sommé de répondre à tout - et souvent n'importe quoi - et qu'au final, nul n'est satisfait car tout simplement la justice pénale n'a pas VOCATION, pas les MOYENS a tout régler - très très loin de là - et n'est souvent pas la bonne solution. Un ex: les non représentations d'enfants: il est génial de poursuivre quelqu'un qui refuse de laisser ses enfants (le tout après avoir fait des rappels à la loi, des médiations pénales etc...), mais le problème est-il résolu une fois le SME prononcé puisque personne ne le révoquera car "cela ne servira à rien".
Il y aurait tant de choses à dire et je sais que je m'éloigne très passablement du sujet premier mais je ne peux m'empêcher de bondir à certaines réactions (ce doit être le défaut de la jeunesse car j'oubliais quand on est jeune magistrat, on est incompétent, sans expérience et souvent très arrogant et méprisant pour rappeler la loi à des gens plus âgés...qui eux connaissent la vie ? Mais c'est à partir de quand que l'on a de l'expérience ? 40, 50, 60 ?). Pourtant, tous mes collègues savent que le parquet, bien au contraire, c'est l'école de l'humilité dans la magistrature mais c'est un autre sujet...
Réponse de votre serviteur :
Vous avez choisi le parquet pour être populaire ?
Plus sérieusement, pas grand chose à redire à votre point de vue. Pour ma part, je n'attaque jamais le procureur personnellement, pas plus que je ne le ferais à l'égard d'un confrère. Ca ne me viendrait pas à l'esprit. Généralement, quand les réquisitions sont sévères, je les ignore dans ma plaidoirie (ça fait un peu "ça ne vaut même pas la peine de parler de ça", mais c'est mieux que sauter à la gorge du procureur) et quand elles me plaisent (pas de prison ferme requise en comparution immédiate, ou pas de maintien en détention), je les approuve au contraire et y apporte mes arguments. Par contre, je n'hésite jamais à plaider sur la peine, voire à faire une contre-proposition aux réquisitions du parquet, c'est à mon sens comme ça qu'on est pris en compte par le juge.
Mais, car il y a un mais. (...)Il y a des maladresses de forme qui desservent le ministère du procureur, et une phrase de votre collègue Matthieu Debatisse qui m'a fait bondir.
Que le procureur parle au nom de la société, qu'il rappelle la responsabilité individuelle pour ses actes (j'exècre le déterminisme tout comme vous), fort bien. J'approuve, étant moi même un des membres de cette société et chérissant presque autant que vous la paix civile qui y règne (je fais aussi du droit des étrangers, je sais comment ça se passe ailleurs).
Mais la répétition et la routine font parfois donner dans la facilité. Vous êtes, face au prévenu, dans une position de supériorité à tout point de vue. Vous avez l'autorité. Vous avez le pouvoir. Vous avez l'éducation. Face à vous, aucun prévenu ordinaire n'a la moindre chance. Et en plus, les déférés, vous les voyez seuls. Alors vous pouvez retourner chacune de ses phrases contre lui, le mettre face à ses contradictions, démonter ses mensonges à mi mot. Il se noiera sans même que vous ayez besoin d'appuyer sur sa tête. Ajouter à cela l'humiliation en lui parlant avec une dureté excessive qui évoque du mépris, à mi chemin entre le père qui gronde un enfant et un instituteur qui corrige un cancre a un effet contre-productif : le prévenu laissera passer l'orage en vous disant ce que vous voulez entendre sans écouter ce que vous dites. Ce travers se retrouvant souvent chez les jeunes procureurs, je pense que c'est une façon de dépasser le manque de confiance en soi qui ne s'estompe qu'avec l'âge (et encore, partiellement).
Je le cite souvent en exemple, mais allez écouter Philippe Bilger requérir. Il ne crie pas, il n'humilie jamais l'accusé, au contraire, il cherche à le comprendre. Et souvent, il y parvient. Et du coup, il est très souvent suivi. Pour ce travers, je pense tout particulièrement au procureur de l'affaire d'extorsion dans le cadre du déferrement (rien à redire à l'audience, il a un ton plus modéré). Ce n'est pas nécessaire de se comporter ainsi. Appelez ça de l'humanisme d'avocat. Mais je ne crois pas que ça serve à quoi que ce soit.
La phrase du procureur Debatisse qui m'a faite bondir, d'autant plus haut que c'est un procureur que j'estime pour avoir croisé le verbe avec lui à la 23e et que je trouve excellent (réquisitions motivées, reprenant l'ensemble des éléments du dossier, qui montre qu'il le connaît ce qui dans le cas d'une CI n'est pas évident, et en cas de nullité soulevée, un vrai débat juridique en réplique, bref, le rêve des avocats et le cauchemar des prévenus), c'est au début du documentaire, après le déferrement pour menaces de mort pour 20 euros. Je le cite : "Il n'a pas encore vu son avocat, donc la sincérité qu'il va avoir devant moi, elle a à mon sens plus de valeur que celle qui vient après l'entretien avec l'avocat qui lui aura peut être expliqué un certain nombre de choses sur... (hésitations) sur l'intérêt qu'il aurait à dire de la vérité (...)".
Mon dieu. Le mythe de la vérité qui sort des gardes à vue et qui ne se manifeste que si l'avocat est tenu au loin. Celui qui a fondé les affaires Dils, d'Outreau. La légende de l'avocat qui bâtit le baratin de son client, qui l'aide à mieux mentir. On vous apprend encore ça à l'ENM ? En tout cas, la suite du documentaire démontre la fausseté de cette croyance : l'avocat commis d'office lui dit ce qu'il y a dans le dossier (c'est la première fois qu'on le lui dit), le fait parler de lui, mais ne lui dis "le mensonge qu'il faudra raconter" ; et in fine, le client ment à l'avocat, comme il a menti au procureur, comme il a menti aux policiers, il ne nous croit pas quand on lui dit que son intérêt est de dire la vérité car le déni face à l'évidence est interprété comme une absence de prise de conscience de la gravité de l'acte, et s'il estime finalement que le mieux, c'est de reconnaître après qu'on ait plaidé la relaxe, il le fera sans hésiter car il n'aura même pas compris ou écouté ce qu'on lui a expliqué lors de l'entretien. Voilà ce qui se passe dans les aquariums qui nous sont généreusement attribués au P12.
Mais bon, sur les derniers commentaires au sujet du substitut du Procureur, lors du défèrement:
1°) l'intéressé sait-il à qui il a affaire ? normalement oui, car les policiers qui le défèrent ne manquent pas de le lui dire "maintenant tu vas voir le procureur" (oui, c'est souvent "tu", et pas forcément pour de mauvaises raisons), mais il est préférable de se présenter, beaucoup d'entre nous le font et c'est ce que j'enseigne à mes auditeurs en stage.
2°) sait-il qu'il a le droit de se taire ?
oui. On doit lui dire: "voilà ce que je vous reproche, ce sur quoi vous allez être jugé", on détaille, et ensuite on lui dit que s'il a quelque chose à dire on l'écoute.
Pour que les choses soient bien claires et que le type ne croie pas qu'il est déjà en train d'être jugé, personnellement j'insiste bien là dessus: "vous allez être jugé tout à l'heure par le tribunal, mais si vous avez quelque chose à dire dès maintenant je le note". Histoire qu'il ne me refasse pas toute la garde à vue, d'ailleurs je n'aurais pas le temps ni les moyens de l'écouter pendant une heure. Contrairement à ce que vous pensez peut-être, les gens ont envie de réagir quant on leur dit ce qui leur est reproché,et on aurait plutôt envie de leur demander d'être un peu plus concis dans leurs observations. Et quand, rarement, ils vous répondent "j'ai rien à dire", croyez-moi on s'en contente parfaitement.
3°) sur la forme,
c'est vrai que beaucoup de jeunes collègues ont un air "forcé" quand ils montent sur leurs grands chevaux. Ce n'est pas facile. Certains parents à qui on dit "sois plus sévère" sont comme ça aussi. L'autorité c'est inné, mais ça s'acquiert aussi avec l'âge, et puis chacun son tempérament. Personnellement je préfère un ton mesuré, voire froid, (s'il est nécessaire de faire le méchant-ce n'est pas toujours nécessaire), d'autres sont plus dans le volume sonore et l'agitation. Les auditeurs en stage demandent souvent des conseils à ce sujet. J'aurais tendance à dire "sois toi-même, ne force pas ta nature, tu trouveras ton style", mais par contre je trouve désastreux qu'un magistrat du parquet soit incapable de dire avec force certaines vérités aux gens quand ça s'impose.
4°) faut-il faire "la morale" aux gens ? Au moment du déferrement, ce n'est pas très utile, sauf s'il y a un truc précis auquel on pense qu'ils devraient réfléchir avant l'audience, histoire de faire progresser un peu les choses, par exemple "et pour la victime, vous n'avez jamais envisagé de vous excuser?". C'est plutôt à l'audience que c'est parfois utile voire nécessaire. Personnellement je préfère d'ailleurs que ce soit le procureur qui fasse la morale plutôt que le Président, qui écorne parfois dans la foulée l'exigence d'impartialité. Il faut bien que le prévenu voie un peu les faits qu'il a commis, à un moment ou à un autre de l'affaire, avec d'autres yeux que les siens et que ceux de son avocat qui va plaider ensuite, qu'il entende comment c'est perçu par "la société qui l'accuse", d'autant qu'il va être puni, quand même. Autant qu'il comprenne pourquoi, si c'est possible. C'est le rôle pédagogique de l'audience, et il est important que le procureur y tienne pleinement sa place. Monter sur ses grands chevaux à cette occasion peut être nécessaire.
Et puis en conclusion, je dirais qu'on est pas des robots. S'il faut se garder de donner aux faits une résonance trop personnelle, il n'est pas forcément mauvais de laisser voir son indignation devant un comportement parfaitement odieux. Mais l'exercice est très difficile et une telle personnalisation peut être contre-productive: c'est là que le type n'écoute plus. Laisser voir l'indignation "type" du corps social est à mon avis suffisant...
A vrai dire je ne l'ai fait qu'une seule fois en 10 ans, dans un dossier d'accidents mortels du travail, où le type se foutait tellement de l'intégrité physique des gens, et le dossier révélait tellement le cynisme économique sous jacent, que ça donnait vraiment la nausée.
Bon, entre nous, c'est quand même pas mieux quand les magistrats du parquet s'expriment librement ?
Je suis enseveli sous les mails qui me signalent un documentaire ce soir sur France 3 alors oui, je le relaie ! Ce soir, à 20H55, France 3 diffuse un documentaire de Dominique Lenglart intitulé "Avocats d'Urgence", qui parle du concours de la Conférence du stage et du quotidien des secrétaires une fois élus. Je ne pourrai hélas le voir (tout enregistrement sous format informatique bienvenu).
Vous pouvez voir une bande annonce sur le site de France 3, et le document a l'air intéressant, notamment car ils ont obtenu l'autorisation d'aller filmer à l'Hotel Dieu, aux urgences médico judiciaires, dites le Cusco, du nom de la salle où se trouve ce service.
Un bref commentaire sur la bande annonce : le premier monsieur qui apparaît est procureur de la République (substitut, en fait). Il reçoit les personnes déférées et décide au cours d'un bref entretien que l'on voit ici soit de les citer immédiatement devant le tribunal correctionnel en comparution immédiate, soit d'ouvrir une instruction judiciaire, ou de le renvoyer sur une voie plus classique et plus lente . Devant lui, le déféré devient prévenu et il a enfin droit à ce qu'un avocat consulte son dossier. Cela fait généralement 48 heures qu'il a été arrêté. Les droits de la défense ont encore des progrès à faire.
Ensuite, la charmante jeune femme au vocabulaire choisi et précis, est Clotilde Lepetit, conquième secrétaire de la promotion 2006, avocate commise d'office qui prépare soit une comparution immédiate (mais elle ne se trouve pas dans les bureaux habituels) soit une mise en examen (même remarque que précédemment, on devrait faire venir la télé plus souvent).
Les pieds en robe marchent dans la cour du mai du palais. Ils se dirigent des grilles du boulevard du palais vers les marches qui mènent à la galerie Marchande ; au fond, on aperçoit le greffe de la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction. Un peu plus loin, c'est la Buvette du palais...
La dame à la 22e seconde, celle qui n'aime visiblement pas les stupéfiants, est un autre procureur, à l'audience de la 23e, celle qui juge les comparutions immédiates. Elle est en train de requérir.
En voix off, une avocate essaye de négocier avec les gendarmes une cigarette pour son client, en état de manque et qui se prépare à passer devant le tribunal. Refus catégorique du gendarme (qui respecte le règlement, je ne lui en tiens aucune rigueur) : c'est interdit, loi Evin. C'est pour son bien, en fait. Ca change tout.
Le traveling dans la cour du mai continue : voici les escaliers. A droite, la voûte mène à la buvette.
38e seconde : retour au procureur, qui rappelle ici que la diplomatie, c'est par l'ENA, pas par l'ENM.
40e : une autre avocate commise d'office. Ne vous méprenez pas sur ses propos. Elle n'espère pas que son client va pleurer pour attendrir les juges (ça ne marche pas à la 23e...) mais un client roide et stoïque donne une image d'absence de remords, et quand c'est de retour au dépôt qu'il fond en larmes, on enrage un peu de cette fierté mal placée qui dessert le prévenu.
48e : le prévenu n'étant plus au secret comme lors de la garde à vue, c'est à l'avocat commis d'office qu'il appartient souvent de prévenir les proches, la famille, surtout pour qu'ils viennent sans délai avec des pièces utiles. Souvent, quand le prévenu est étranger, on se prend cette petite claque : "Non, à Paris, j'ai personne". Et là, on pense en son for intérieur à la chance que l'on a d'avoir quelqu'un quelque part qui nous attend. Je parierais mon épitoge que c'est exactement ce que se dit le confrère à ce moment.
55e : Mon confrère Ambroise Liard, huitième secrétaire de la promotion 2006, plaide. Son client est libre, et est assis devant lui. Il doit s'agir d'une personne ayant refusé d'être jugé en comparution immédiate et qui a obtenu de ne pas être maintenue en détention pendant le délai qu'elle a sollicité. C'est donc probablement une audience de renvoi, où les secrétaires de la conférence ont le monopole des commissions d'office, monopole qui n'est pas absolu toutefois en fonction des disponibilité des la dirty dozen.
1'08" : Mon confrère Jean-Yves Leborgne, excellent avocat pénaliste, qui dit que le discours est une arme, et notre seule arme. En l'espèce, lui est tireur d'élite. Il faut l'entendre plaider un jour dans sa vie.
1'11" : Le Pont Au Change, avec à gauche le tribunal de Commerce, Quai de Corse et à droite, le palais, avec la tour de l'Horloge qui fait l'angle.
1'17" : Mon confrère Ambroise Liard qui enfile sa robe. Notez l'épitoge herminée, signe distinctif des secrétaires de la conférence.
1'30" : Salle haute de la bibliothèque de l'ordre, les impétrants au concours de la conf' se préparent à le passer. Un très grand moment d'angoisse.
S'ensuivent quelques discours de candidats.
Si vous voulez réviser ce qu'est la Conférence, c'est ici.
[Spoiler Alert] : Aurélie Cerceau est neuvième secrétaire de la conférence 2007.
C’est donc nulle autre que la Nouvelle Zélande que le XV de France affrontera ce soir. Arrivera ce qu’il arrivera, assurément ce sera du beau rugby.
Le drapeau de la Nouvelle Zélande est en réalité le Drapeau Bleu (Blue Ensign) de la Royal navy, bleu avec en haut à gauche (on dit en quadrant) l’Union Jack, ou drapeau d’union, le champ d’azur étant, pour identifier la Nouvelle Zélande, frappé d’étoiles rouges bordées de blanc qui représentent la constellation de la Croix du Sud. Cette constellation, qui frappe aussi le drapeau australien, rappelle la domination maritime anglaise, la Croix du Sud servant aux navires dans l’hémisphère sud de substitut à l’étoile polaire qui dans l’hémisphère boréal indique le pôle nord céleste : il suffit de tracer une ligne passant par Gamma crux et Alpha crux (l’étoile du haut et l’étoile du bas) et de reporter 4,5 fois la distance les séparant pour tomber sur le pôle sud céleste.
C’est une loi anglaise de 1865, le Colonial Navy Defence Act qui a obligé les colonies anglaises à prendre comme drapeau une variante de la Blue Ensign, afin d’être identifiées par les navires de guerre croisant dans les environs ; ce qui explique que bien des drapeaux soient basés sur ce modèle : l’Australie, les Fidji, dans le Pacifique, et Montserrat dans les Antilles par exemple.
Les néo-zélandais sont assez peu attachés à ce drapeau, le premier reproche qu’ils lui font étant d’être aisément confondu avec le drapeau australien (dont je vous reparlerai pour notre demi finale face à ce pays). Il est le drapeau de la Nouvelle Zélande depuis 1869, succédant au drapeau des Tribus Unies de Nouvelle Zélande, et aujourd’hui encore, le thème du drapeau est un débat récurent en Nouvelle Zélande.
L’hymne néo-zélandais est God Defend New Zealand, et comme il n’y a pas de raison que nous ne riions que des clips géorgiens, j’ai l’honneur de vous présenter le clip qui ouvrait et fermait les émissions de la télévision publique néo-zélandaise dans les années 80. Attention, là aussi, c’est du lourd. Je recommande à Jo Maso de montrer ça aux joueurs : ça devrait aider à alléger la pression.
Ce billet, écrit à 00:05 par Eolas dans la catégorie Ovalie
a suscité :
Les veilles d'audience qu'on a eu le temps de préparer, quand on passe en revue tout son matériel pour l'audience, jusque dans les moindres détails, comme un général qui se prépare à la bataille.
Découvrir l'argument juridique imparable qui vous donne raison.
Le client qui vous dit merci pour ce que vous avez fait même quand vous avez perdu.
La bouffée d'excitation et de peur au moment d'entrer dans le prétoire. La même en plus fort au moment de prendre la parole.
L'inattendu qui détend l'ambiance de l'audience, un prévenu drôle malgré lui, un président au trait d'esprit fin sans manquer de respect aux parties, les sourires qui effacent la fatigue des visages.
L'envie de danser et de crier de joie quand on prend connaissance d'un bon jugement.
Le coup de fil à la famille du client pour annoncer qu'il sort de prison.
Le fait qu'on ne sait JAMAIS comment une audience va se dérouler.
L'absence absolue de routine.
Ce à quoi je n'arrive toujours pas à me faire :
Le client qui vous manque de respect sous prétexte qu'il ne vous paie pas, parce que vous êtes commis d'office ou à l'aide juridictionnelle alors que vous vous défoncez pour lui.
Quand vous savez que vous avez raison mais que vous n'arrivez pas à en convaincre le juge.
Les week-ends passés au cabinet ou au palais, en code rouge, sans voir ma fille.
Les voix d'enfants dans le public qui s'exclament joyeusement "Papa !" aux audiences de rétention administrative quand leur père entre sous escorte.
Les voix d'enfants dans le public qui s'exclament joyeusement "Papy !" aux audiences de rétention administrative quand leur grand-père entre sous escorte.
L'horreur qui vous saute à la gorge au détour d'un dossier quand vous ne vous y attendez pas.
Voici un nouveau billet écrit par un auteur invité, en l'occurrence une nouvelle fois Dadouche, qui est venu avec un ami, George, qui a plein de questions à lui poser sur le métier de juge des enfants, quelques idées reçues sur le sujet, et un drôle d'accent.
Elle vous propose de glisser une oreille indiscrète lors de cette conversation à bâtons rompus qui se tient dans son cabinet, autour d'une tasse de café. Pour ma part, je file sur la pointe des pieds, je dois aider un préfet à ne pas atteindre son quota d'expulsion d'étrangers.
— Chère Dadouche, me permettez vous une question ?
— Mais comment donc, cher George (oui, mon beau lecteur à moi s’appelle George et a une passion pour le café), posez, posez donc.
— Comment faites vous pour vous livrer quotidiennement à votre coupable industrie ?
— Coupable industrie, comme vous y allez, cher Georges. Si vous continuez comme ça, je vais vous rebaptiser Quasimodo et vous sonner les cloches.
— Ne prenez pas la mouche ma mie (oui, George m’appelle sa mie, c’est mon droit d’auteur). Je m’interrogeais simplement : comment une magistrate, garante des libertés individuelles, peut-elle cautionner que les services sociaux arrachent sans pitié des chérubins à leurs familles aimantes qui ne les battent pas ? Si vous exerciez un métier respectable, vous seriez une héroïne récurrente au lieu d’être de la chair à couteau de cuisine.
— Eteignez donc votre télévision et laissez moi vous expliquer…
Si le juge des enfants existe, ce n’est pas seulement pour juger les mineurs délinquants. C’est aussi pour protéger ceux dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger ou dont les conditions d’éducation ou de développement physique, affectif, intellectuel ou social sont gravement compromises, si les mesures proposées à la famille par les services du Conseil Général, en charge de la protection de l’enfance, ne sont pas suffisantes (article 375 du Code civil).
— Vous ne me ferez pas accroire que vous avez mené de longues et brillantes études de droit (George est d’un naturel flatteur), passé un concours difficile et survécu à la scolarité de l’ENM pour devenir assistante sociale.
— Justement non, cher George. Si j’interviens dans le champ socio-éducatif et suis donc amenée à m’intéresser à des notions que je maniais peu du temps où je sévissais comme juge d’instruction, c’est bien en tant que magistrat que je le fais. Car les mesures que j’ordonne sont par nature attentatoires aux libertés et je les prends à l’issue d’une procédure judiciaire, dans le cadre de règles définies par le code civil et le code de procédure civile. Les personnes concernées ont accès aux pièces du dossier qui fonderont ma décision, peuvent être assistées d’un avocat, sont entendues lors d’une audience et peuvent faire appel de mon jugement. Le législateur, dans son infinie (bien qu’intermittente) sagesse, a donc choisi de confier à un juge le soin de décider si le danger couru par des mineurs justifie d’attenter à l’autorité parentale pour les protéger. C’est donc bien en ma qualité de garante des libertés individuelles que j’ai délaissé les joies réputées plus nobles du droit de la construction et des liquidations de régimes matrimoniaux pour mener des audiences d’assistance éducative au cours desquelles la loi m’impose de m’efforcer de recueillir l’adhésion des familles aux mesures qui me paraissent nécessaires.
— Dès qu’une mère débordée arrive en retard pour récupérer son rejeton au Centre aéré ou qu’un père excédé par un ado insolent a la main un peu leste, vous le placez donc en foyer pour le « protéger » ?
— Décidément, cher George, vous devriez arrêter le café ! Le Procureur de la République, mon plus grand pourvoyeur d’activité, ne me saisit que dans les situations les plus graves, quand les mesures de prévention proposées par les services sociaux n’ont pas permis de faire disparaître un risque avéré pour l’enfant ou ont été refusées par la famille. C’est le principe de subsidiarité : le conseil général et plus particulièrement le service de l’aide sociale à l’enfance ont une compétence de principe pour centraliser toutes les actions de protection de l’enfance, et je n’interviens que pour trancher les situations les plus délicates.
Je peux aussi être saisie directement par les parents ou le mineur lui même. Mais pas par les grands-parents ou les voisins dont je renvoie tous les courriers au Procureur pour qu’il décide s’il y a lieu de me faire intervenir.
— Il y a donc tant d’enfants maltraités en France pour justifier d’occuper à plein temps plusieurs centaines de juges des enfants qui ne sont saisis que des cas les plus graves ? Allons donc, vous galéjez je pense.
— Que nenni mon cher George. Votre fine connaissance de la langue française vous permettra aisément de comprendre que le mineur « en danger » tel qu’il est défini par le code civil n’est pas seulement le Julien Leclou de l’Argent de poche (très joli film de Truffaut sur l’enfance) ou le Poil de Carotte de Jules Renard. Nul besoin de Folcoche ou de Mme MacMiche pour mettre un enfant en danger.
Laissez-moi vous présenter quelques uns de mes habitués :
Julie, 7 ans, est une fillette adorable et un vrai petit tyran domestique. Elle a bien compris que sa maman ne supporte pas de la voir pleurer et crier « je ne t’aime plus » quand elle lui refuse quelque chose. Si ça marche avec maman, pourquoi pas avec les autres ? Résultat, Julie est complètement intolérante à la frustration, pique des colères impressionnantes. Sa maman, complètement dépassée et épuisée, lève alors le ton (et parfois la main) hors de toute proportion, ce qui aboutit fatalement à des conflits insupportables pour elle. Mère et fille sont toutes les deux épuisées par ces soubresauts de plus en plus fréquents. Les conditions de l’éducation de Julie, qui développe à l’école des troubles du comportement qui la rendent indisponible aux apprentissages de base, apparaissent gravement compromises. Sa santé psychologique et sa sécurité semblent être aussi en danger.
Raphaël est né il y a trois jours. Sa maman souffre d’une maladie mentale et arrête régulièrement son traitement. Il a été constaté à la maternité que la maman a des gestes inadaptés et réagit avec une grande brusquerie au moindre pleurs de l’enfant. Toute l’équipe médicale est très inquiète et craint que le suivi, même intensif,de la Protection Maternelle et Infantile (PMI, service qui dépend du Conseil Général) ne suffise pas à garantir la sécurité du nourrisson.
Jessica a 14 ans. Au collège, des rumeurs parviennent à l’assistante sociale : Jessica serait victime de tournantes. Une enquête est déclenchée. Les garçons mis en cause décrivent une après midi où ils ont été 4 à avoir successivement des relations sexuelles avec la jeune fille, sur sa proposition. Jessica explique aux gendarmes dans des termes assez crus qu’elle était consentante pour chaque relation sexuelle et qu’on a pas à se mêler de ses affaires. Une vidéo tournée par un des Dom Juan avec son téléphone portable confirme cette version. Il n’est pas abusif de subodorer que Jessica, que ses parents n’arrivent pas à empêcher de quitter le domicile quand elle le désire, est en danger quant à sa moralité. Sa santé psychologique et les conditions de son développement affectifs ne sont pas bien vaillants non plus.
Grégoire a 17 ans. Ses parents, qui n’ont rencontré aucune difficulté avec Hermine, Charles-Henri et Quitterie, ne savent plus comment réagir aux provocations de leur fils, totalement déscolarisé, qui fume du shit toute la journée et les insulte quand ils veulent le faire se lever à 14 heures. Ils se disent aujourd’hui qu’ils ont peut être un peu trop gâté le petit dernier et que l’internat strict au fin fond de la Creuse dont il a réussi à se faire renvoyer en 15 jours est arrivé un peu tard. Ils n’en peuvent plus et supplient le juge des enfants de le placer dans une structure fermée pour le sauver de lui même.
Manon a 15 ans. Elle aime sa mère mais la méprise un peu plus chaque fois qu’elle la trouve ivre morte. Pourquoi respecterait-elle cette adulte qui n’est même pas capable de se soigner ? Alors elle l’insulte, elle fuit le domicile et se met en danger en menant une vie qui n’est pas de son âge pour passer le moins de temps possible chez elle.
Matthieu, 12 ans, Elodie, 7 ans et Louis, 5 ans, aiment beaucoup leurs parents. Mais leurs parents ne peuvent plus se sentir. Quand ils rentrent des week-ends chez Papa, Maman inspecte leurs vêtements et vérifie s’ils n’ont pas le nez qui coule. Elle prépare une liste de tous les problèmes qu’elle constatera pour montrer au juge aux affaires familiales lors de la prochaine audience. Quand ils arrivent chez Papa, ils subissent un feu roulant de questions sur Maman, son nouvel ami, le nombre de fois où elle est arrivée deux minutes en retard pour les chercher à l’école. Louis est encoprétique et fait des cauchemars au début et à la fin de chaque week-end ou vacances chez son père. Elodie est renfermée et ne raconte plus à personne ce qui se passe ni chez Papa ni chez Maman. Son anxiété est telle qu’elle est incapable de se concentrer à l’école et est en grave échec scolaire. Matthieu vient d’être exclu du collège, où il a multiplié les comportements agressifs avec les autres élèves et les insolences avec les professeurs.
Kelly, 11 ans, s’est confiée à sa meilleure amie. Ca fait plusieurs fois que son grand frère Julien, 13 ans, dont elle partage la chambre, lui fait faire « des saletés » la nuit dans son lit. Elle en a parlé à sa Maman qui a grondé Julien, qui a promis de ne pas recommencer.
Théo et Priscilla sont très inquiets. A 8 et 10 ans, chaque fois qu’ils entendent leurs parents se disputer, ils se demandent si cette fois encore Papa et Maman vont se battre. Dans le deux-pièces familial, ils sont aux premières loges à chaque bagarre. Priscilla fait des cauchemars toutes les nuits et s’endort à l’école. Théo fait preuve d’une violence croissante. Et ils ont très peur pour la santé de leur maman, qui a déjà eu le bras cassé.
— Chère Dadouche, n’en jetez plus, je crois que j’ai compris où vous voulez en venir.
— Mais George, il y en a tellement d’autres ! Songez que je suis chargée de la situation de 400 familles, sans compter les mesures de tutelles aux prestations familiales, les mesures de protection des jeunes majeurs de 18 à 21 ans et surtout les procédures pénales (qui peuvent concerner des mineurs que je suis par ailleurs en assistance éducative).
Je pourrais vous parler de Winnie, qui a accusé ses parents de maltraitance parce qu’ils ne la laissaient pas assez sortir et que ses copines lui ont dit qu’au foyer c’était plus sympa, de Brandon, Killian et Jérémy, dont le manque d’hygiène a alerté les services sociaux qui ont découvert un appartement infesté de blattes et jonché de vieux papiers, d’Alexis, qui souffre de troubles psychiatriques et se bat régulièrement avec son père, d’Océane, victime d’agressions sexuelles de la part de son beau-père et dont la mère refuse de la croire, de Jonathan, qui a découvert à 13 ans que son père n’était pas son père et a du changer de nom, de Zoé, la gothique qui s’amuse beaucoup des inquiétudes de ses parents persuadés qu’elle sacrifie des poulets à la peine lune, de Geoffrey, placé depuis l’âge de 18 mois, qui se languit depuis deux ans d’avoir des nouvelles de sa mère qui aux dernières nouvelles serait dans un foyer d’urgence, de Romuald, qui n’a jamais bénéficié des stimulations nécessaires chez ses parents et présente à 5 ans d’inquiétants retards dans les acquisitions, de Jérôme, dont tous les frères aînés sont en prison et qui fait tout pour perpétuer la tradition familiale.
— Je vous en prie, arrêtez-là. Les foyers doivent déborder !
— Encore ce mythe du juge des enfants croquemitaine qui vient voler les enfants pour les entasser dans les dortoirs des foyers… Plus de la moitié des mesures éducatives judiciaires sont des mesures d’ « action éducative en milieu ouvert ». Un service éducatif intervient alors, soit au domicile soit par des rencontres au sein du service pour prodiguer aide et conseil à la famille et tenter, par un travail éducatif, de faire évoluer la situation. La loi impose au juge des enfants de privilégier le maintien du mineur « dans son milieu naturel ».
— Le terme a une résonnance quelque peu animalière. Est-ce à dire que les foyers sont des zoos ?
— Toujours les clichés ! Les prises en charge et les lieux d’accueil ont beaucoup évolué. Beaucoup d’enfants placés sont accueillis dans des familles d’accueil, et ce n’est pas réservé aux tout-petits. Certains ne supportent pas cette atmosphère familiale, par loyauté envers leur propre famille, et sont orientés vers des maisons d’enfant à caractère social (MECS), où les nouvelles normes imposent des chambres individuelles avec douche privative. Des lieux de vie peuvent également accueillir des enfants ou des ados qui ne supportent pas une trop grande collectivité et nécessitent une structure plus vigilante qu’une famille d’accueil. Beaucoup d’établissements ont une vocation généraliste, d’autres proposent des prises en charges très spécialisées, par exemple pour des jeunes déscolarisés ou des jeunes filles victimes d’abus sexuels.
— C’est le pays des Bisounours que vous me décrivez là chère Dadouche. Tout serait-il si rose au royaume de la protection de l’enfance ?
— Non bien sûr, sauf à consommer des substances faisant apparaître sous vos yeux ébahis des pachydermes en tutu à paillettes. Si beaucoup de placements (qui peuvent durer quelques mois, deux ans, parfois beaucoup plus longtemps) se passent bien, d’autres sont des échecs cuisants, où le remède est parfois pire que le mal tant la problématique du jeune ou de sa famille est complexe. Parfois il faut maintenir la mesure contre vents et marées pour qu’elle porte ses fruits, parfois il faut savoir faire marche arrière. Souvent on manque de place dans la structure qui paraîtrait la plus adaptée et un mineur qui n’a rien à y faire reste au foyer de l’enfance du département, lieu d’accueil d’urgence par excellence. Parfois il s’écoule plusieurs mois entre le moment où une mesure qui paraît indispensable est ordonnée et le moment où elle est effective. Parfois aussi on ne mesure pas la gravité de la situation et un enfant laissé chez ses parents continue à subir des maltraitances.
— Mais on ne vous fournit pas de boule de cristal avec la robe et l’épitoge ?
— Vous êtes tellement mignon mon cher Georges… Non, aucun équipement surnaturel n’est prévu au pays des Moldus. Mais décider fait partie du boulot de juge, et c’est bien pour ça qu’on en a prévu un dans ces cas là.
— Chère Dadouche, je crains d’abuser de votre temps si précieux, mais pourriez vous me parler des vilains mineurs, pas ceux qui sont victimes et qu’on doit protéger, mais ceux - qui - pourrissent - la - vie - des - honnêtes - gens - et - que - les - juges - laxistes - relâchent - dix - fois - avant - de - songer - à - les - sanctionner - alors - que - la - police - les - connaît ?
— Cher George, c’est avec plaisir que je vous parlerais des mineurs délinquants (qui sont parfois les mêmes que ceux que je rencontre en assistance éducative), mais au rythme où vont les choses, mon exposé risquerait d’être obsolète avant que d’être achevé. Souffrez donc que je parcoure d’abord Légifrance pour vérifier si une nouvelle réforme révolutionnaire de l’ordonnance de 1945 n’a pas été votée depuis trois jours avant que de vous l’infliger.
Par ailleurs c’est l’heure de « la danse de l’OPP » rituellement annoncée par le substitut des mineurs qui hurle « P… l’ASE vient juste de s’apercevoir après deux jours d’intense réflexion qu’il y a urgence absolue à prendre une ordonnance de placement provisoire dans une situation qui ne peut pas attendre lundi matin ! »
— Un vendredi à 17 heures ? What else ?
Ce billet, écrit à 09:19 par Eolas dans la catégorie Commensaux
a suscité :
Bonne surprise pour cette rentrée : l'émission Arrêt Sur Image, que France 5 n'a pas renouvelé sur sa grille cette année, renaît de ses cendres sur internet.
Daniel Schneidermann, avec le soutien de Gandi.net (mon excellent registrar), et une bonne partie de son ancienne équipe, lance @rretsurimages.net. Le principe du site : le même que l'émission. Analyser sous un angle critique la façon dont l'actualité est traitée à la télévision, en pointant du doigt les petits arrangements, les oublis diplomatiques, et les informations partielles.
Je salue l'initiative, tant cette émission remplissait un rôle sain dans le paysage audiovisuel français qui est en pleine crise de croissance. Vous aurez noté que l'esprit critique est une valeur appréciée sur ce blog (les rares éconduits ne l'étant pas parce qu'ils me contredisaient, contrairement à ce dont ils se sont aisément persuadés, mais à cause de leur grossièreté ou de techniques de trolls).
Le projet est audacieux : il s'agit d'en faire un site viable, par une formule d'abonnement (30 euros pour 12 mois - soit le prix d'un an et un jour de vélib'...), 10 euros pour trois mois, 12 euros pour 12 mois pour les étudiants, les chômeurs et les escrocs, et une formule originale, « l'ami radin », abonnement gratuit si vous expliquez de manière convaincante pourquoi vous sollicitez ce statut.
Si ça marche, cela signifie la création d'un média totalement indépendant d'analyse et de critique de l'information télévisée. C'est nouveau en France et à ma connaissance dans la plupart des pays démocratiques. La compétence de Daniel Schneidermann et de son équipe est connue, ils ont acquis un savoir faire en douze ans d'expérience.
Histoire de garder des amis dans les mondes des médias, le site commence par une analyse des sourires narquois ayant accueilli la nouvelle. Un peu règlement de compte, mais quand on est chez soi, on fait ce qu'on veut...
Je soutiens absolument cette initiative et m'abonne de ce pas. Il faut être nombreux pour cela. (A ce propos Daniel, un compte Paypal pour l'abonnement, ça serait bien pratique).
Et pour être tout à fait transparent, pour respecter l'esprit de l'émission devenue site internet : je n'ai pas été sollicité par qui que ce soit pour faire la promotion de ce site. Elle est spontanée et sans contrepartie.
► Gandi.net est la société auprès de qui j'ai enregistré mon nom de domaine. C'est le seul lien que j'ai avec elle.
► J'ai rencontré Daniel Schneidermann, qui m'avait invité à un de ses podcasts, Radio BigBangBlog (Bigbangblog qui ferme d'ailleurs à cette occasion...), aux côtés du professeur Frédéric Rolin et de Christophe Grébert, et avec Judith Bernard et David Abiker (podcast introuvable sur le site du BBB qui semble avoir été déménagé). J'avais passé un excellent moment et j'aime à penser que mes cinq commensaux aussi. Mais c'est tout. Nous ne nous sommes pas revus depuis, et je ne suis en rien associé à l'aventure d'@rrêt sur images.
Daniel Schneidermann a ses ennemis, ses détracteurs, et ses critiques. Il peut se tromper, cela lui est arrivé. Il peut voir un complot ou de la manipulation là où il n'y a qu'incompétence et approximation. Il n'empêche qu'il fait face à ses critiques, et que son travail pose un point de départ argumenté à une réflexion critique. Rien que ça, ça n'a pas de prix.
Voilà pour cet aspect. C'est donc le coeur qui parle quand je dis : longue, très longue vie à cette initiative.
Ce billet, écrit à 15:13 par Eolas dans la catégorie Brève
a suscité :
Non, ce billet ne parlera pas d'athlétisme, mais de rugby. La coupe du monde commence vendredi et durera jusqu'au 20 octobre.
J'ai déjà exprimé en ces lieux l'enthousiasme que provoque chez moi ce sport, et j'espère que ce sera l'occasion pour ceux d'entre vous qui ne le connaissent pas de le découvrir, car c'est un sport spectaculaire, haletant, avec parfois des fins de partie d'un suspens à la limite du soutenable. Et le tout dans un esprit de fête dans le public à des années lumières des ambiances délétères de certains matchs de football européens.
Je compte donc reprendre mes billets sur les drapeaux de nos adversaires pour leur rendre hommage et se cultiver au passage.
Mais j'ai parfaitement conscience que le principal obstacle pour que des néophytes découvrent ce sport est la complexité des règles.
Voilà où se situe le lien avec le thème habituel de ce blogue : les règles d'un sport, c'est du droit. Et ici, elles ont connu la même évolution, toutes proportions gardées, avec notre droit, à savoir une complexité par empilage de textes, car elles doivent concilier deux intérêts parfois divergents : la fluidité et le caractère spectaculaire du jeu (ou dit autrement : le plaisir des spectateurs) d'une part, et de l'autre la sécurité physique des joueurs. Car le rugby est un sport de contact, et la poussée de croissance des joueurs ces quinze dernières années (mais que mettent-ils dans les céréales, dans l'hémisphère sud, se demanderait Candide ?) a rendu encore plus nécessaire ces règles de sécurité. N'oublions jamais Max Brito, joueur de l'équipe de Côte d'Ivoire, qui lors du match ayant opposé son équipe aux Iles Tonga, a fini paralysé.
Et je vous propose un défi pour un juriste : vous expliquer l'essentiel des règles en moins de dix minutes de lectures. Les fioritures et subtilités vous seront expliquées au cours des matchs, la tradition étant que les commentaires soient toujours assurés par un journaliste sportif assisté d'un ancien international (c'est ainsi qu'on appelle les joueurs ayant revêtu le maillot de l'équipe de France) qui connaît les règles comme sa poche. Pour le reconnaître, c'est simple : c'est lui qui a le plus fort accent du sud.
C'est parti.
Le match se joue en deux mi temps de 40 minutes chacune. L'équipe qui a marqué le plus de points a gagné.
Les points se marquent au pied ou en marquant des essais. Un essai, qui est la façon reine de marquer des points, consiste pour un joueur d'une équipe à porter le ballon au-delà de la ligne de fond du terrain de jeu, appelée ligne d'essai, et de la poser dans la zone d'en-but en exerçant une pression de haut en bas (on parle d'aplatir un essai). Si l'arbitre estime que le joueur avait perdu le contrôle de la balle avant que cette pression ne soit exercée, l'essai sera refusé. L'essai vaut cinq points.
Au pied, on peut marquer des points en passant d'un coup de pied le ballon entre les poteaux en forme de H situés au centre de la ligne d'essai, au dessus de la barre transversale. Cela peut être fait à trois occasions.
Après un essai, l'équipe qui a marqué peut tirer un coup de pied au niveau du point où l'essai a été marqué. Un essai en coin est donc difficile à transformer, un essai entre les poteaux étant une formalité à transformer. Il y a donc une incitation à marquer le plus au centre possible, ce qui est plus difficile. Et c'est pourquoi vous verrez parfois des joueurs continuer à courir dans la zone d'en-but pour essayer d'obliquer vers les poteaux, afin de faciliter le travail du botteur. Symboliquement, lors d'une transformation, l'équipe qui a encaissé abandonne le terrain aux adversaires et se regroupe dans son en-but. La transformation donne deux points ; un essai transformé vaut donc en tout 7 points.
En cours de jeu, une équipe peut tenter de faire passer la balle entre les poteaux. On appelle cela un drop, car le joueur lâchera (en anglais to drop) la balle qui devra toucher le sol avant d'être frappée. C'est une façon de profiter d'une domination passagère en face des poteaux, quand l'équipe pense qu'elle n'aura pas le temps où les moyens de franchir la défense pour aller à l'essai. La finale de la coupe du monde de 1995 (Afrique du Sud 15 - Nouvelle Zélande 12) s'est réglée à coups de drops.
Enfin, une équipe qui a subi une faute volontaire bénéficie d'une pénalité, qu'elle peut jouer de différentes façons, l'une d'entre elles étant de frapper un coup de pied arrêté pour le passer entre les poteaux. Pendant longtemps, une spécialité de la France était de commettre de telles fautes face à ses poteaux, surtout quand l'Angleterre jouait. Cela s'est payé par sept années sans battre l'Angleterre, jusqu'en petite finale de coup du monde 1995 (19-9). La pénalité réussie vaut trois points. On appelle les coups de pieds à trois points (drops et pénalités) des "buts", souvenir du fait que le rugby descend du football.
Un temps de jeu se déroule ainsi : l'équipe qui a la balle progresse vers l'en-but adverse jusqu'à ce que le porteur de la balle soit plaqué (ou qu'il marque un essai, bien sûr). Il doit alors aussitôt lâcher la balle. Un regroupement se forme, ses partenaires protégeant la balle pendant qu'un autre s'en saisit et la passe aux autres membres de l'équipe pour qu'ils reprennent la progression.
Le porteur de la balle ne va pas toujours jusqu'au contact : il peut passer la balle à un partenaire (toujours en arrière) avant d'être plaqué (auquel cas il ne doit pas l'être, le plaquage à retardement est une faute punie d'une pénalité : seul le porteur de la balle peut être touché), il peut aussi s'en débarrasser d'un coup de pied, soit visant uniquement à faire reculer les adversaires quitte à leur rendre la balle, soit en tapant dans l'espoir de la récupérer lui-même, par un coup de pied rasant (un coup de pied "à suivre") ou en parabole, qui monte haut mais progresse peu (une "chandelle").
Le jeu continue jusqu'à ce qu'une faute soit sifflée ou que la balle sorte de l'aire de jeu par le côté, une "touche".
La touche se joue au niveau où la balle est sortie du terrain, sauf si elle sort directement d'un coup de pied sans toucher le terrain, auquel cas la touche est jouée de là où le coup de pied a été frappé. Exception à l'exception (je vous disais qu'on baigne en plein droit) : si le coup de pied a été tiré dans une zone située entre la ligne d'en-but de l'équipe et une ligne tracée à 22 mètres (la "ligne des 22") : c'est une zone où les règles favorisent quelque peu la défense, et il y a tout intérêt parfois à se débarrasser de la balle en l'envoyant loin en touche, ce qui permet à une équipe aux abois de se regrouper et d'éloigner le danger. Les deux équipes s'alignent à cinq mètres du bord, un joueur de l'équipe n'ayant pas envoyé le ballon en touche la lance entre les deux lignes qui vont tenter de la récupérer. L'avantage de l'équipe qui lance la balle est qu'elle sait si le lancer va être en profondeur, ou destiné aux premiers joueurs, ce que l'autre équipe découvre lors du lancer.
Une faute involontaire est sanctionnée d'une mêlée. Huit joueurs de chaque équipe (les plus gros gabarits, qui portent le numéro 1 à 8 au début du jeu) forment un dôme, et l'un des joueurs, le demi de mêlée (n°9) lance la balle dans les pieds de ses partenaires, qui vont tenter de progresser en faisant reculer la mêlée adverse, et si elle reste inamovible, feront sortir la balle par l'arrière où elle sera saisie et passée à la main comme après un regroupement. L'avantage pour l'équipe qui bénéficie de la mêlée est qu'en principe, elle va conserver la balle et relancer le jeu alors que huit des plus gros joueurs adverses seront temporairement immobilisés : cela laisse de la place pour passer. Ca ne marche pas à tous les coups, loin de là, puisque l'équipe adverse est en nombre identique : la mêlée donne un petit avantage, car elle sanctionne une faute involontaire. La faute involontaire la plus classique est "l'en avant", souvent prononcé "ininvin" par le commentateur ancien rugbyman : la balle a échappé des mains du porteur et progressé vers l'en-but adverse.
Une faute volontaire est punie d'une pénalité. La pénalité laisse un choix à l'équipe qui en bénéficie. Elle peut tenter de tirer un coup de pied à l'endroit où la faute a été commise pour le passer entre les poteaux et marquer ainsi trois points. Elle peut la jouer à la main : l'équipe pénalisée recule de dix mètres, l'équipe qui bénéficie de la pénalité se replace à sa guise, et le jeu reprend quand la balle, posée au point où la faute a été commise, est ramassée. C'est le signe d'une équipe dominatrice, ou aux abois en fin de partie quand elle est menée, qui préfère tenter l'essai, trois points ne les sauvant pas. Enfin, l'équipe bénéficiant de la pénalité, si elle est trop loin pour tenter de la placer entre les poteaux, peut envoyer d'un coup de pied la balle en touche : la touche est jouée normalement, sauf que l'équipe bénéficiant de la pénalité garde la possession de la balle. On parle de "pénaltouche".
Voilà, vous savez l'essentiel. Un mot encore sur le maul : il arrive que le porteur de la balle, saisi par un adversaire, reste debout. Auquel cas ses partenaires vont se lier à lui pour pousser et continuer la progression, tandis que d'autres joueurs adversaires vont se lier pour bloquer la progression. La balle doit être sortie du maul dès qu'il cesse de progresser ou s'effondre, sinon, l'équipe en défense bénéficie d'une mêlée.
Le reste vous sera expliqué au cours des matchs par les commentateurs.
Pourquoi ne pouvez-vous qu'aimer le rugby ?
Parce que le rugby est un sport collectif par essence. Le meilleur joueur du monde n'est rien sans ses 14 compagnons. Pas d'individualités ni d'ego dans ce sport. Il y a une beauté dans le sacrifice symbolique du jeu : quand un joueur tombe, un autre surgit et reprend le combat.
Vous noterez aussi une différence essentielle avec le football dans l'arbitrage. Dans le football, l'arbitre est silencieux, siffle et sanctionne. Il est souvent contesté, du coup, sa décision n'étant pas toujours comprise par les joueurs. Au rugby, l'arbitre ne cesse de parler aux joueurs. Il avertit sans cesse, et commente pour les joueurs qui ne voient pas. Il dira à ce joueur qu'il est mal placé, sommera tel autre de lâcher la balle, avertira que la mêlée tourne sur elle même, ce qui est interdit. Si l'incident ne se règle pas très vite, il sifflera la faute. Qui ne sera jamais contestée. De plus, il existe la règle de l'avantage : la faute n'est pas sifflée si l'équipe adverse peut tirer profit de la situation de jeu. Imaginons qu'après un en-avant, un joueur adverse ramasse la balle et court marquer un essai : faut-il siffler et donner une mêlée à la place à son équipe ? Le jeu ne s'interrompt que si c'est nécessaire.
Le suspens fréquent : il vient de ce système de points, finement calculé. Un essai non transformé est contrebalancé par deux buts à trois points, mais pas un essai transformé. Des remontées spectaculaires peuvent avoir lieu, et un match n'est jamais gagné avant le coup de sifflet final.
Enfin, dans ce sport, quand un joueur italien tombe, il se relève immédiatement et reprend le jeu. Ca repose.
Deux exemples qui sont des souvenirs inoubliables.
Le 1er mars 1997, lors du Tournoi des Cinq Nations (devenu depuis 2000 les Six Nations, tournois annuel qui oppose chaque année à la fin de l'hiver les équipes d'Angleterre, d'Ecosse, du Pays de Galles, d'Irlande, d'Italie et de France), la France affrontait l'Angleterre chez elle, à Twickenham. A la mi temps, la France était menée 20 à 6. Et soudainement, renversement de situation (la France est souvent brillante dans les 20 dernières minutes de ses matchs), la France remonte, Christophe Lamaison réalise un Full House, c'est à dire marque des points de toutes les façons possibles (1 essai, 2 transformations, une pénalité et un drop), et la France gagne 23 à 20. Pour la petite histoire, l'Ecosse recevait l'Irlande au même moment. Quand le speaker a annoncé dans les hauts parleurs que l'Angleterre avait été vaincue, le public, écossais et irlandais confondus, ont acclamé l'exploit du XV de France.
Le 31 octobre 1999 (les amateurs de rugby ont la chair de poule à la mention de cette date), en demi finale de la coupe du monde de rugby, la France affronte les All Blacks de Nouvelle Zélande. Elle était donnée archi perdante, et c'est ce qui l'a sauvée. Elle est allée jouer sans pression, crânement. Ca a mal commencé, il faut le dire. La Nouvelle Zéalnde avait un joueur exceptionnel, Jonah Lomu, dont la carrière a pris fin prématurément pour des problème rénaux. Jonah Lomu, 1m96, 120kg, une fois lancé, ne pouvait pas être arrêté. C'était impossible. Et puis, le déclic. Si les Néo Zélandais sont un mur infranchissable, il faut passer au dessus. Les joueurs ont réussi à perturber le jeu des All Blacks, à les faire douter, et à aligner les points face à des Blacks totalement perdus.
Histoire de terminer sur un frisson, et une illustration de ce que je vous ai expliqué, voici les points marqués lors de ce match, commentaires en Anglais. Les Français jouent en bleu, les néo zélandais en noir.
Dans l'ordre : Course de Dominici, plaqué à quelques mètres de la ligne d'en-but. Un regroupement, la balle ressort rapidement, et essai de Lamaison. Notez comme il oblique sa course afin d'aplatir entre les poteaux : c'est lui qui doit tirer la transformation après.
Essai de Lomu sur une charge que cinq défenseurs ont été impuissants à arrêter (l'essai part d'un regroupement, passe à un joueur qui transmet à Lomu qui avait anticipé et était déjà à pleine vitesse).
Touche de l'équipe de France, qui est dans ses 22 mètres. Elle récupère la balle, tente un mole qui ne progresse pas. Elle ressort la balle, et s'en débarrasse d'un coup de pied. L'arrière (n°15) des All Blacks commence une course avec Jonah Lomu. Jonah Lomu, qui n'est pas encore à pleine vitesse, évite le choc avec les Français en rendant la balle à son partenaire, franchit la ligne française, récupère la balle de son partenaire, et est lancé : essai.
Série de regroupements français, en face des poteaux, qui font reculer les All Blacks. Lamaison est alors en position idéale pour un drop.
Encore un regroupement français. Un joueur néo zélandais commet une faute dans le regroupement, l'arbitre signale une pénalité (bras levé en diagonale vers le camps français qui en bénéficie) mais laisse jouer l'avantage. Lamaison repasse un drop. La pénalité ne sera pas sifflée. Si Lamaison avait raté son drop, la France n'ayant pas tiré avantage de la situation, Lamaison aurait pu retirer son coup de pied quasiment du même endroit.
Regroupement français quelque peu chahuté. Galthié sort la balle, et voyant un espace vide dans la défense All Black, tape une chandelle, que Dominici suit. Le rebond de la balle (le ballon ovale rend ces rebonds imprévisibles) est providentiel et Dominici à pleine vitesse n'a qu'à tendre le bras pour l'attraper, et court marquer l'essai. La France repasse devant au score.
Maul français qui progresse (du jamais vu face aux Blacks dans cette coupe du monde), finalement arrêté à cinq mètres de la ligne d'en-but des Blacks. La balle est alors ressortie, passe à Lamaison, qui tire une chandelle d'une précision de tireur d'élite, que Richard Dourthe va aplatir dans le dos des All Blacks qui ne s'attendaient pas à ce que les Français passent au dessus.
Mêlée, introduction néo zélandaise. Ils conservent la balle, font une série de passe pour lancer une attaque de l'autre côté du terrain. Un des joueurs néo zélandais lâche la balle. Christophe Lamaison tape la balle qui file au ras du sol (coup de pied à suivre). Deux français s'élancent : le premier est Olivier Magne, qui porte un casque (merci à bertrand en commentaires de m'avoir rappelé qui c'était), et relance la balle d'un coup de pied tandis que le joueur le plus rapide de l'équipe, le "lévrier palois" Philippe Bernat Salles rattrape la balle et aplatit l'essai. Le renversement a été si rapide qu'il n'y a aucun joueur adverse dans la trajectoire. Notez quand même que Wilson, l'arrière néo zélandais était sur le point de rattraper Bernat Salles, surtout du fait que ce dernier devait ralentir pour ramasser la balle, mais quand même, quel sprint...
Série de regroupements néo-zélandais tous près de l'en-but français. La balle part vers l'autre côté du terrain, ce côté étant trop occupé. Wilson reçoit la balle et alors qu'il se prépare à la passer, voit un trou dans la défense qui le mène droit entre les poteaux. Grosse erreur défensive française.
Mais c'est trop tard et le match se termine sur le score de 43 à 31 (le résumé ne montre ni les transformations - toutes réussies pour la France, 2 sur 3 pour les néo zélandais- et les pénalités - 4 pour la Nouvelle Zélande, 3 pour la France).
La France n'a jamais gagné la coupe du monde, mais a joué deux fois la finale (1987, perdue face à la nouvelle Zélande, 1999, perdue face à l'Australie). Cette fois, c'est la bonne.
L'événement est assez rare et notable pour mériter plus qu'un dessin quelque peu moqueur.
Rappelons les faits : lundi dernier, à l'audience des comparutions immédiates, le procureur d'audience, Philippe Nativel, a requis qu'il ne soit pas fait application de la peine plancher de quatre années encourue par le prévenu, poursuivi pour cession de stupéfiants en récidive. Pour la petite histoire, il a requis un an ferme, le tribunal a prononcé huit mois, qui font trente deux mois avec la révocation du sursis antérieur.
Là n'est pas le problème, car la loi du 10 août 2007 prévoit expressément qu'on puisse écarter la peine plancher à certaines conditions appréciées par la juridiction.
Le problème vient de propos qu'il aurait tenu à l'audience et qui ont été rapportés par un journaliste de l'Est Républicain présent à l'audience :
Je ne requerrai pas cette peine plancher de quatre ans car les magistrats ne sont pas les instruments du pouvoir. Ce n'est pas parce qu'un texte sort qu'il doit être appliqué sans discernement.
Ces propos lui ont valu une convocation à la Chancellerie, autre nom du ministère de la justice, que l'on utilise quand seuls les services judiciaires sont concernés (le ministère de la justice gère aussi l'administration pénitentiaire). Il n'est pas venu seul, le Procureur de la République de Nancy et le Procureur Général étaient du voyage. Mon dessin est donc incomplet, il est aussi faux car ce n'est pas Rachida Dati qui l'a reçu mais le directeur des services judiciaires et le directeur adjoint de cabinet du garde des sceaux.
Pourquoi cet aréopage, et de quel droit cette convocation ?
Parce que la magistrature se divise en deux : il y a les magistrats du siège, c'est à dire les juges (ils restent assis quand ils parlent), et la magistrature debout, c'est à dire les procureurs, qui se lèvent pour parler. Les procureurs représentent la société, engagent les poursuites, et requièrent l'application de la loi à l'audience, c'est à dire forment une demande, au même titre que les avocats présents, le tribunal étant souverain dans les suites à donner. Il peut même aller au-delà des réquisitions du parquet, le seul maximum étant fixé par la loi.
Alors que les juges sont rigoureusement indépendants, les procureurs ne le sont rigoureusement pas. Le parquet est hiérarchisé, et chacun de ses membres, que j'appellerai "procureurs" pour faire simple, sont interchangeables. Le parquet est indivisible, a-t-on coutume de dire : chaque procureur le représente en entier. On appelle aussi le parquet le ministère public. Ces deux termes sont synonymes, ministère public étant plus utilisé pour désigner l'ensemble fonctionnel, le parquet désignant plutôt l'ensemble des procureurs d'un tribunal. Ainsi, tous mes dossiers pénaux sont intitulés : (nom du client) contre ministère public. Le ministère public est mon adversaire, peu importe que je sois opposé à un procureur du parquet de Thionville ou un avocat général du parquet général de Saint Denis de la Réunion.
La hiérarchie du parquet est simple : dans chaque ressort de cour d'appel, il n'y a qu'un seul grand Manitou, le procureur général, et les procureurs de la République sont ses prophètes.
Voyons plus en détail. Les parquets suivent la carte judiciaire. Pour une cour d'appel, il y a un parquet, qu'on appelle parquet général, dirigé par le procureur général. Il est composé de substituts généraux, qui ont des tâches administratives, et des avocats généraux, qui plaident aux audiences, tout particulièrement aux assises. Philippe Bilger est ainsi avocat général à la cour d'appel de Paris, dirigé par Laurent Le Mesle, qui est donc son supérieur hiérarchique. Le procureur général peut décider d'aller siéger à n'importe quelle audience de la cour d'appel et de requérir aux côtés ou à la place de n'importe quel avocat général, discrétionnairement. C'est ce qui s'est passé lors du procès en appel de l'affaire d'Outreau, ou le procureur général de l'époque, Yves Bot, a siégé en personne, et fait une conférence de presse exprimant ses regrets aux accusés alors même que la cour n'avait pas fini de délibérer. Il ne peut par contre aller siéger devant le tribunal de grande instance, mais peut donner des instructions écrites au procureur de la République pour qu'il aille requérir en personne.
Le procureur général dirige donc son parquet général, mais en plus il est le chef des procureurs de la République, qui, eux, dirigent les parquets des tribunaux de grande instance du ressort, composés de substituts et de procureurs adjoints (je vous fais cadeau des vice-procureurs et premier vice-procureurs, c'est une question d'avancement hiérarchique et non de droit judiciaire). C'est donc lui qui dirige la politique pénale dans son ressort, et qui notamment est en charge de la notation des procureurs de son secteur.
Au dessus des procureurs généraux, il y a le Très Grand Manitou : le Garde des Sceaux. C'est lui (en l'occurrence, elle) qui unifie au niveau national la politique pénale, par des circulaires distribuées aux parquets (généraux, avec copie aux procureurs de la République, et copie pour information aux juges du siège) et donnant des instruction pour appliquer telle loi, et fixant des priorités (par exemple : poursuivre systématiquement toutes les violences conjugales). Le Garde des Sceaux est enfin l'autorité de poursuite des magistrats du siège (il saisit le Conseil Supérieur de la Magistrature, CSM, qui prononcera la sanction) et l'autorité qui sanctionne les magistrats du parquet (le CSM ne donnant qu'un avis consultatif sur la sanction). C'est ainsi que le précédent Garde des Sceaux s'est sérieusement posé la question de savoir si le fait que le célèbre juge d'instruction qui a instruit l'essentiel de l'affaire d'Outreau était désormais procureur au parquet de Paris lui permettait de prononcer lui même une sanction sans passer par le CSM. La réponse est évidemment non, la faute supposée ayant été commise en qualité de juge, ce sont les règles applicables aux juges qui doivent être suivies.
Mais (car en droit, il y a toujours un mais), un procureur a beau être procureur, il n'en est pas moins magistrat. Le parquet est la magistrature debout, pas la magistrature couchée. S'il est tenu, à peine de sanction disciplinaire, d'obéir à ses chef, il en conserve néanmoins une parcelle de liberté à laquelle les procureurs sont farouchement attachés. Cette liberté est joliment résumée par une formule bien connue des étudiants en droits : « A l'audience, la plume est serve mais la parole est libre. »
C'est à dire que le procureur d'audience est tenu de suivre les instructions écrites qu'il aura reçues, mais peut parfaitement, sans que personne ne lui en fasse le reproche, s'en désolidariser oralement à l'audience et dire quelle serait, en son âme et conscience la meilleure application de la loi.
Si un procureur pense qu'Untel est innocent, mais que sa hiérarchie lui ordonne de le poursuivre, il devra rédiger et signer l'acte de poursuite (cédule de citation, réquisitoire introductif...). Mais une fois à l'audience, il pourra dire « J'ai poursuivi Untel car tels étaient les ordres que j'ai reçus ; mais je reste convaincu comme je l'étais alors qu'il n'est pas l'auteur des faits, et pour ma part, je requiers la relaxe ».
Vous voyez, ce n'est pas une question d'ego ou de susceptibilité professionnelle. Derrière, il y a une garantie des libertés.
Revenons en à notre procureur rechignant à être un instrument.
Le Garde des Sceaux, le Très Grand Manitou, a estimé qu'en tenant les propos rapportés par la presse, il a outrepassé cette liberté en critiquant ouvertement la politique pénale du gouvernement alors qu'il est en charge de faire appliquer la loi selon les directives du gouvernement. Comme chef du parquet, elle a donné l'ordre à l'intéressé de venir s'expliquer. Comme il s'agit d'un procureur, son chef direct, le procureur de la République, est du voyage. Et comme le Procureur Général est le grand chef du parquet, et est en charge de la notation des parquetiers, lui aussi aura pu tester le TGV Est. Car sans aller jusqu'aux poursuites disciplinaires, il est loisible d'apprendre à un procureur le respect dû à ses supérieurs en lui confiant un de ces postes ennuyeux à mourir administratifs le tenant éloigné des prétoires, sa liberté de parole étant ainsi réservée à son assistant de justice.
L'intéressé niant avoir tenu les propos qui lui ont été prêtés, et précisant qu'ils ne reflètent pas ceux qu'il a pu tenir à l'audience, la Chancellerie a fait savoir qu'aucune poursuite ne serait engagée. L'affaire serait close, et le procureur général de Nancy, que j'ai entendu à la radio cet après midi, semble apporter son soutien inconditionnel à son procureur, en disant en gros que d'une part, il nie avoir tenu ces propos et que lui croit la parole de ses procureurs, et qu'en tout état de cause, la liberté de parole des procureurs doit être respectée. Donc, ce procureur ne devrait pas être muté à la révision des registres d'état civil.
Que penser de cette affaire ?
Pour tout dire, elle ne me plaît pas. Il y a dans l'attitude de la Chancellerie un message adressé à tous les parquetiers : nous vous surveillons. Obéir à nos instructions ne suffit plus, si des propos tenus à l'audience nous parviennent et nous déplaisent, ce sera un voyage à Paris avec le chef et le chef du chef, qui seront ravis de perdre ainsi une journée et se souviendront de votre nom le jour des notations. A bon entendeur, silence.
La liberté de parole à l'audience est pour moi fondamentale, c'est une pierre angulaire du procès. Pouvoir tout dire n'est pas le droit de dire n'importe quoi, bien sûr, et il y a des propos qui peuvent entraîner des sanctions disciplinaires ou pénales, pour eux comme pour nous avocats. Mais là, ces propos fussent-ils établis, je ne pense pas que cette limite eût été franchie. En tant qu'avocat, je veux que le procureur puisse émettre des réserves sur les conséquences qu'aurait l'application d'une loi, que ce soit au cas d'espèce par accident, ou de manière générale parce qu'un texte lui semble pernicieux. Le respect dû à la loi suppose que la loi puisse être jugée. En France, ce n'est pas le cas, nous n'avons pas de contrôle de constitutionnalité digne de ce nom. J'apprécie l'idée que face à une loi vraiment dangereuse (ce que la loi sur les peines planchers n'est pas selon moi), le tribunal pourra entendre le tocsin résonner depuis le banc du procureur et joindre son carillon à celui de la défense. C'est un allié de poids dans cette hypothèse, je ne veux pas qu'on le baillonne, même si je sais que le plus souvent, il dira des choses qui ne me conviendront pas. J'en fais mon affaire.
Là où l'attitude du gouvernement confine à l'aveuglement, c'est qu'il ne réalise visiblement pas que pour que ses procureurs gardent une vraie autorité à l'audience, et puissent requérir avec efficacité l'application des lois voulues par le gouvernement, il faut que le tribunal sache que quand il le fait, c'est librement et en conscience. En faire les Beni oui-oui du gouvernement serait se tirer une balle dans le pied.
En somme, celui qui a perdu une bonne occasion de se taire n'est pas celui qu'on croit.
Ce billet, écrit à 22:27 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
Elle est parue au journal officiel du 11 août, soit samedi dernier, et est donc entrée en vigueur dimanche à zéro heure (depuis une ordonnance de février 2004, il n'y a plus de délai d'un jour franc entre la publication de la loi et son entrée en vigueur).
Et lundi, le tribunal de Nice s'est vu décerner par la presse les lauriers du premier tribunal à faire application de cette loi. Sans vouloir retirer un quelconque mérite aux très honorables juges niçois, je ne suis pas sûr que des 181 tribunaux correctionnels de France, celui de Nice soit bien le premier à avoir prononcé une telle peine, le critère retenu pour attribuer ce titre n'étant pas précisé (Ordre de l'affaire au rôle ? Heure du prononcé ?). Je pense que sa localisation sur la côte d'azur a dû aider à attirer l'attention des journalistes sur cette affaire en cette période estivale.
Deux voleurs récidivistes ont été arrêtés, sans nul doute pour des faits commis dimanche après zéro heure, qualifiés de vol aggravé par deux circonstances : la réunion (ils étaient deux) et l'effraction (bris de la vitre d'une voiture). Butin conséquent : 7000 euros (l'essence est hors de prix à Nice, visiblement) outre un téléphone, un lecteur MP3 et des sacs. Le tribunal,saisi en comparution immédiate, a retenu la récidive, soit qu'elle soit dans la citation, soit que le parquet n'ait demandé à l'audience, soit que le tribunal l'ait soulevé d'office, du fait des 18 condamnations ornant le casier judiciaire des prévenus.
Le tribunal a donc prononcé une peine de trois années d'emprisonnement ferme, avec maintien en détention. Ce qui est exactement la peine plancher du nouveau dispositif : le vol aggravé par deux circonstances fait encourir sept années d'emprisonnement, donc le plancher est à trois ans. C'est ce qu'a requis le parquet, et qu'a prononcé le tribunal. La loi les y invitait et surtout les dispensait de toute motivation autre que "Vu l'article 132-19-1 du Code pénal..." Et je vous laisse imaginer le désarroi de mon confrère qui devait établir qu'en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de ses auteurs ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par ceux-ci, une peine plus légère s'imposait.
Y a-t-il à redire sur cette application de la loi ?
Nous avons donc deux prévenus qui comparaissent devant un tribunal correctionnel pour la dix neuvième fois, une au moins de leurs dix huit mentions précédentes étant due à un vol pour fonder la récidive, qui encourent donc jusqu'à quatorze ans de prison et qui en prennent trois, soit 21% du maximum encouru.
Nice n'est pas réputé être un tribunal indulgent, inspiré en cela par sa cour d'appel dont la simple évocation fait trembler les pénalistes parisiens (moi-même, je suis pris d'un frisson en écrivant ces lignes, et ça ne peut pas être le temps qu'il fait, nous sommes en plein mois d'août).
Je doute donc, mais en appelle ici à mes confrères Niçois (au fait : où trouvez vous le courage de faire appel ?), que le tribunal, sans la loi sur la récidive, eut fait preuve d'une plus grande bienveillance dans le quantum de sa peine. Il n'est même pas impossible que la loi proposant ici une solution toute faite ait dissuadé le tribunal d'aller voir plus haut dans l'échelle des peines si l'inspiration ne les y attendait pas. Il aurait été intéressant de savoir quelles avaient été les peines préalablement prononcées et pour quels faits. Le tribunal en fait toujours mention, en tout cas des dernières, lors des débats. Mais pour cela, i laurait fallu qu'un journaliste soit présent dans la salle...
En fait, cette affaire est si caricaturale (18 condamnations, c'est quand même rare) qu'elle ne saurait démontrer le bien fondé ou au contraire le risque d'effet pervers de cette loi. Attendons de voir si le risque qu'évoque un parquetier se réalise :
Que feront les juges quand, par exemple, une personne comparaîtra pour 3 ou 4 vols à l'étalage - vol simple en récidive ? Il serait étonnant qu'ils condamnent, pour un délit mineur, le voleur à une peine plancher d'un an ferme. Ce que désormais les textes prévoient...
Assurément, ce magistrat voulait dire pour son troisième ou quatrième vol à l'étalage : le fait d'être cité pour plusieurs délits différents ne crée pas ipso facto la récidive, car vous le savez désormais presque aussi bien que lui, il faut que le premier terme soit une condamnation antérieure et définitive. Mais le simple fait qu'un parquetier rechigne à l'idée d'invoquer le nouvel article 132-19-1 du code pénal pour une telle hypothèse me conforte dans ma conviction que la récidive sera aisément oubliée dans la citation, ou serait-elle présente que le tribunal trouverait aisément des circonstances dans l'infraction, des éléments de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci pour justifier d'écarter cette application trop mécanique.
Illustration de ce qui est un de mes dadas : ne touchons jamais au pouvoir du juge de corriger l'application de la loi. Cela nous met à l'abri de lois se voulant automatiques, et qui automatiquement finissent tyranniques.
On parlait de rupture ; pour le moment, le président plie mais ne rompt point. Ici en tout cas, je m'en réjouis.
La loi se divise en trois volets, chacun ayant fait l'objet d'une contestation : les peines minimales pour les majeurs récidivistes, la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 ans ou plus en cas de récidive, et l'impossibilité pour un détenu condamné refusant une injonction de soin de bénéficier de la libération conditionnelle.
1. Les peines minimales pour les majeurs récidivistes.
La loi s'appliquera dès sa promulgation à tous les faits commis en récidive après l'entrée en vigueur de cette loi. Elle prévoit que quand le tribunal déclare un prévenu coupable de faits commis en état de récidive légale (sur la définition de la récidive, voir ce billet) et faisant encourir au moins trois années d'emprisonnement, il doit prononcer une peine égale au minimum à :
- un an si le délit est puni de trois années d'emprisonnement (exemple : vol simple, violences volontaires entraînant au moins 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives) ;
- deux ans si le délit est puni de cinq années d'emprisonnement (exemple : agression sexuelle, escroquerie, séquestration de moins de sept jours, vol commis dans un train ou une gare, violences avec arme OU en réunion entraînant au moins 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives) ;
- trois années si le délit est puni de sept années d'emprisonnement (exemple : agression sexuelle sur mineur de 15 ans, extorsion, escroquerie aggravée, vol avec violences entraînant moins de 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives) ;
- quatre années si le délit est puni de dix années d'emprisonnement (exemple : trafic de stupéfiant, violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une séquelle définitive, vol avec violences entraînant au moins 8 jours d'incapacité totale de travail sans séquelles définitives.
De même, quand une cour d'assises rend un verdict de culpabilité pour une accusation de faits commis en état de récidive légale, elle doit prononcer une peine au minimum égale à :
- cinq années si le crime est puni de quinze années de réclusion criminelle (exemple : vol en bande organisée, viol, violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner) ;
- sept années si le crime est puni de vingt années de réclusion criminelle (exemple : vol à main armée, viol sous la menace d'une arme ou par plusieurs personnes, séquestration de plus de sept jours) :
- dix années si le crime est puni de trente années de réclusion criminelle (exemple : meurtre, empoisonnement, vol à main armée en bande organisée) ;
- quinze années si le crime est puni de la réclusion criminelle à perpétuité (exemple : assassinat, viol accompagné de tortures et actes de barbarie).
La loi prévoit une dérogation au principe de la peine plancher : la juridiction peut prononcer une peine inférieure à ces seuils et, en matière délictuelle, une peine autre que l'emprisonnement en motivant son jugement en considération des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci.
En cas de deuxième récidive de crime, la cour d'assises peut encore passer outre la peine plancher si elle considère que l'accusé présente « des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » ; si c'est un délit de violences volontaires, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences, un délit d'agression ou d'atteinte sexuelle ou un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, le tribunal correctionnel devra là aussi relever de telles garanties.
Les autres délits commis en deuxième récidive gardent le même régime que la première récidive, mais je vous laisse imaginer la difficulté qu'il y a pour un avocat à expliquer à un tribunal que son client qui en est à son troisième ou quatrième vol a commis l'infraction dans des circonstances qui justifie que le tribunal déroge à la règle, ou qu'il a des garanties de réinsertion satisfaisantes. J'entends le procureur pouffer d'ici...
Pourquoi alors prévoir une possibilité, pour un meurtrier jugé pour son troisième homicide, d'aller en dessous de dix années d'emprisonnement ? Parce qu'il y a des meurtriers applaudis par tout le monde. Les médecins qui euthanasient un patient commettent un meurtre, et sont jugés par les cours d'assises. Ils sont parfois acquittés contre l'évidence, ou sinon condamnés au minimum légal : un an avec sursis. Ces praticiens revendiquent souvent leur geste, et sont même soutenus par la famille de la victime. Les peines plancher appliquées aveuglément à leur cas impliqueraient qu'au deuxième patient, ce serait une peine de dix ans sans sursis au minimum. Je ne suis pas sûr que c'est ce que veut l'opinion publique. Le législateur n'ayant pas le courage de légiférer sur cette douloureuse question, c'est la moindre des choses qu'il laisse une porte de sortie à ceux qui font le sale boulot.
Un détail qui a son importance : dans le cas de la récidive de délits, la peine plancher est toujours inférieure à cinq années, c'est à dire qu'elle peut par ailleurs être assortie du sursis simple ou avec mise à l'épreuve si le prévenu remplit les conditions. Pour ces conditions, voyez ce billet. Oui, je finirai par faire de vous des pénalistes accomplis.
Enfin, pour que la peine plancher s'applique, il faut que la récidive soit mentionnée dans la décision, ce qui suppose que le parquet ait poursuivi en visant la récidive, ou, si on le découvre à l'audience en lisant le casier judiciaire, que le tribunal, à la demande du parquet, de la partie civile ou d'office, requalifie les faits en ajoutant la récidive. Il peut parfaitement arriver à l'audience que tout le monde regarde ailleurs et que la récidive ne soit pas visée dans le jugement, ce qui sera un moyen très pratique d'écarter l'application de cette loi sans devoir recourir à une motivation spéciale, mais il faudra que toutes les parties soient d'accord, une peu comme dans la correctionnalisation judiciaire.
Le Conseil constitutionnel écarte les arguments des parlementaires qui estimaient que cette loi était contraire au principe d'individualisation des peines en relevant que la loi prévoit la possibilité de déroger à cette règle pour des motifs d'individualisation et que la récidive supposant une certaine gravité des faits, la loi ne porte pas non plus atteinte au principe de la nécessité de la peine.
Il va toutefois apporter une précision qui n'est pas contenue dans la loi et qui pourra voir son importance. Il décide par ce qui ressemble à une réserve d'interprétation que les peines planchers ne sont pas applicables aux faits commis par une personne atteinte au moment des faits d'un trouble psychique ou neuropshychique ayant altéré son discernement, c'est à dire aux déments léger (les déments complets sont irresponsables pénalement). C'est une précision heureuse. Un kleptomane chronique échappera à cette règle (mais pas à la condamnation) en démontrant son état. Là, le Conseil va très loin dans l'interprétation. Ce genre de précision aurait plus eu la place dans un amendement parlementaire, et le Conseil, sans en avoir l'air, tape sur les doigts du législateur d'avoir laissé passer une telle boulette. Sans être dans le secret des dieux, qu'il me soit permis de voir ici la patte de Guy Canivet, ancien premier président de la cour de cassation, à qui ce détail n'a probablement pas échappé.
2. Sur l'excuse de minorité.
L'ordonnance du 2 février 1945 (qui n'a plus de 1945 que la date, ce texte étant parmi les plus instables du droit français) pose les règles applicables aux poursuites des mineurs. Elle prévoit (articles 20-2) que le mineur de plus de 13 ans peut être condamné à une peine de droit commun, mais qu'il bénéficie toutefois de l'excuse de minorité, qui réduit de moitié le maximum encouru. Le voleur de 14 ans risque donc 18 mois de prison au maximum, le meurtrier 15 ans au maximum, et l'assassin 20 ans (la loi considère que la moitié de la perpétuité, c'est 20 ans, ce qui est singulièrement pessimiste sur l'avenir de l'humanité). Pour le mineur de 16 ans ou plus, la juridiction pénale peut décider d'écarter l'excuse de minorité, dans le cas où elle envisage de prononcer une peine supérieure à la moitié du maximum encouru (deux années pour un vol simple, puni de trois années d'emprisonnement, par exemple).
La loi examinée par le Conseil constitutionnel déclare applicable aux mineurs récidivistes de 13 ans ou plus la règle des peines plancher que nous venons d'étudier, à ceci près que les planchers sont réduites de moitié : l'excuse de minorité s'applique aussi ici.
[Paragraphe mis à jour] : De plus, elle ajoute un cas où le tribunal pour enfants peut décider de passer outre l'excuse de minorité : « 1° Lorsque les circonstances de l’espèce et la personnalité du mineur le justifient ; 2° Lorsqu’un crime d’atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne a été commis en état de récidive légale ; 3° Lorsqu’un délit de violences volontaires, un délit d’agression sexuelle, (ce qui est le droit actuel, voici l'ajout en italiques : ) un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état de récidive légale.»
La juridiction doit toutefois motiver sa décision d'écarter l'excuse de minorité, sauf dans l'hypothèse du 3° où elle en est dispensée mais elle n'est pas obligée de motiver sa décision de l'appliquer quand même, contrairement à ce qui est prévu pour les majeurs. L'obligation de motiver l'application de l'atténuation de peine n'apparaît que pour une deuxième récidive, dans les hypothèses 2° et 3°.
Enfin, précise la loi, seule une peine peut constituer le premier terme de la récidive, et non les mesures ou sanctions éducatives prévues par l'ordonnance du 2 février 1945.
Comme vous voyez, on est loin, très loin de "la suppression de l'excuse de minorité pour les mineurs récidivistes" du candidat Sarkozy. Ca me rappelle le coup de la suppression de la double peine par le même...
Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel fait là aussi rapidement un sort au recours des parlementaires :
Considérant que les dispositions critiquées maintiennent le principe selon lequel, sauf exception justifiée par l'espèce, les mineurs de plus de seize ans bénéficient d'une atténuation de la peine ; que, si cette dernière ne s'applique pas aux mineurs de plus de seize ans lorsque certaines infractions ont été commises une nouvelle fois en état de récidive légale, la juridiction peut en décider autrement ;
ajoutant que le principe demeure qu'une mesure éducative est prononcée, la peine n'étant qu'exceptionnelle. Bref, que ce texte aura très rarement vocation à s'appliquer, ne concernant qu'un mineur ayant commis tellement de faits graves qu'après une batterie de mesures éducatives sans effet, il aura été condamné définitivement une première fois (il peut faire appel), puis une deuxième fois (il peut encore faire appel), puis comparaît une troisième fois, tout en étant encore mineur ; ce qui suppose qu'il a probablement commencé sa carrière criminelle in utero.
3. L'injonction de soin.
Je passerai rapidement sur ce point. C'est une mesure sans lien direct avec la récidive, qui prévoit qu'une injonction de soin peut être prononcée par un juge lors de la condamnation ou au cours de l'exécution de la peine, et que ne pas s'y soumettre empêche de bénéficier de la libération conditionnelle et des réductions de peine. Les parlementaires critiquaient l'automaticité de cette mesure alors que le texte prévoit expressément qu'elle doit être prononcée par un juge et que dans la seule hypothèse où elle est posée comme un principe, le juge peut néanmoins y déroger, bref qu'il n'y avait aucune automaticité.
Je n'aime toujours pas cette loi ; mais elle a été sérieusement castrée par rapport aux effets d'annonce, et surtout elle respecte le pouvoir d'adaptation de la sanction par le juge. Elle aura des conséquences sur les peines prononcées, c'est certain. Le juge condamnant un récidiviste pourra se permettre de viser le nouvel article 132-19-1 du Code pénal et prononcer la peine plancher sans se casser la tête outre mesure. Il faudra que nous, avocats de la défense, lui démontrions l'intérêt qu'il y a à se casser un peu la tête en cours de délibéré, et lui proposer la motivation idoine "clefs en mains". A nous de nous adapter, mais qui d'entre nous a choisi ce métier pour sa facilité ?
De plus, nous avons un moyen de pression, dont le parquet tiendra compte. Je pense aux comparutions immédiates. Là, je m'adresse plus à mes confrères, et aux magistrats. Pardonnez, si vous n'êtes pas praticien du pénal, le caractère un peu abscons des observations qui vont suivre.
Les CI ont leur lot de récidivistes. La tentation sera grande pour le tribunal de saisir la perche tendue par le législateur pour prononcer la peine plancher par un jugement sommairement motivé. Et là, nos clients sont confrontés à au moins un an de prison ferme (on est en comparution immédiate, le maintien en détention est fréquent, et pour de tels quantum, c'est de facto la règle).
Conséquence : si le parquet vise la récidive, il faudra dire au prévenu de refuser d'être jugé tout de suite. Il est inacceptable de défendre un prévenu encourant très probablement un, deux, trois ou quatre années d'emprisonnement ferme, "à poil", c'est à dire sur le seul dossier du parquet (C'est une expression de pénaliste, chers confrères, gardez votre robe...). Il nous faudra démontrer au tribunal que les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion justifient de prononcer une peine inférieure à ces seuils voire une peine autre que l'emprisonnement. Pour ça, on a besoin de pièces, il n'y a pas de mystère. Or les délais de renvoi sont largement inférieurs même au premier plancher : l'audience de jugement doit avoir lieu dans les six semaines, ou deux mois si le délit est puni de sept ans ou plus, c'est à dire que le prévenu encourt trois ou quatre ans fermes (art. 397-1 du CPP). Il n'y a pas photo : on échange un mois et demi à deux mois de détention certaine contre une condamnation à trois ou quatre ans au moins.
Donc, si le parquet ne veut pas se retrouver avec des comparutions immédiates se résumant à des débats sur la détention, et des audiences de renvoi surchargées, il devra choisir les cas où il veut invoquer les peines plancher, en les réservant aux cas les plus graves, et "oublier" la récidive pour des B1 encore étiques. Donnant donnant. Et si un parquetier un peu sournois ne visait pas la récidive dans la citation, mais la soulevait lors de l'audience, après renonciation au délai pour préparer sa défense, non seulement le quantum de la peine prononcée justifie un appel qui ne pourra pas faire obstacle à une libération de fin de peine comme c'est le cas pour les peines légères, donc risque de surcharger les chambres des appels correctionnels, rarement saisies après une CI, mais en plus la réaction des avocats sera de conseiller à leurs clients de refuser d'être jugé tout de suite chaque fois que le B1 révèle une récidive même si le parquet ne l'a pas visé dans sa citation. Toujours donnant donnant.
Un peu de coordination tactique au sein des barreaux ne fera pas de mal ici, même si le peu d'enthousiasme de la part des magistrats avec qui j'ai discuté de cette loi me laisse à penser qu'un tel rapport de force ne sera pas souvent nécessaire.
Bref, soupirons face à ce nouveau dispositif qui va encore un peu compliquer la vie des magistrats et des avocats, sans avoir d'influence notable sur la récidive, en attendant le prochain dispositif-annonce.
Sauf à, ce qui serait un effet amusant, les conséquences du visa de la récidive que je viens d'expliquer poussent le parquet à "l'oublier" un peu plus souvent pour éviter des renvois ou des débats sensiblement plus longs, ce qui aurait pour effet mathématique de faire baisser les statistiques de la récidive, et permettrait donc au gouvernement de triompher de ses résultats à bon compte, sans que la réalité n'ait changé en quoi que ce soit.
Mes lecteurs ont remarqué que j'aime à fustiger la presse quand elle s'égare sur les chemins pourtant bien balisés du droit, ses approximations invitant le lecteur à se fourvoyer avec elle plutôt qu'à l'informer et l'éclairer.
Mais il arrive aussi parfois qu'un article soit proche de l'irréprochable, et qu'on sente le juriste derrière le journaliste. Il n'y a pas de raison de ne faire que moquer : quand une affaire judiciaire est bien rapportée, il faut aussi savoir le saluer.
Il relate de plus une affaire qui mérite amplement un billet ici.
Une jeune fille de 14 ans est convoquée devant le juge des enfants pour avoir volé le chéquier de sa mère et être partie avec une camarade de classe "faire la vie" jusqu'à Marseille, où elles se sont offert, si j'ose dire, hôtel, coiffeur, et séances de shoppings qui semblent, avec le chocolat, être le meilleur antidépresseur féminin. Coût total : 1700 à 2500 euros selon les sources. Soit plus d'un mois de salaire de la mère, femme de ménage.
Là où l'histoire devient plus cocasse pour nous qui avons la chance d'y être extérieurs, c'est que la mère a porté plainte contre sa fille et va se constituer partie civile contre elle.
Fort justement, le journaliste rappelle que le droit français reconnaît pour certains délits (vol, escroquerie, abus de confiance) une immunité familiale, posée à l'article 311-12 du code pénal. Donc théoriquement, la mère est irrecevable à porter plainte contre le vol commis par sa fille.
Mais grâce à la loi du 4 avril 2006 (celle que Ségolène Royal voulait refaire voter) renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, loi issue rappelons-le d'une proposition de loi des sénateurs socialistes, c'est désormais possible : l'article 9 a créé une exception à l'exception quand le vol porte sur les pièces d'identité ou les moyens de paiement.
Là où l'affaire devient hilarante, c'est que la loi du 4 avril visait à protéger les femmes battues et les mineurs, en l'espèce à permettre de poursuivre l'époux violent qui s'empare des papiers et des cartes de crédit et carnets de chèque de son épouse pour s'assurer de sa dépendance économique, mais certainement pas à permettre à une mère de se porter partie civile contre sa fille. Le problème récurent du législateur est qu'il modifie la loi en ayant une situation à l'esprit, et ne réalise pas que la loi a vocation à s'appliquer à toutes les situations. Tout penaud, il ne lui reste plus qu'à morigéner les juges qui appliquent la lettre et non l'esprit de la loi. La peste soit de ces gens qui ne lisent que le journal officiel et non les pensées du législateur.
Bon, en l'espèce les conséquences de la loi du 4 avril 2006 ne sont pas aussi importantes que cela, car outre le vol, il y a eu falsification de chèque, et il n'y a pas d'immunité familiale contre ce délit. Il pouvait y avoir en tout état de cause constitution de partie civile de ce chef.
Mais quel est l'intérêt pour une mère de se porter partie civile contre sa fille ?
Juridiquement, cela lui permet de lui réclamer des dommages-intérêts. En premier lieu, le remboursement des sommes que sa fille a dépensées. Mais sa fille étant mineure, ses parents (donc sa mère) sont civilement responsables : ils sont tenus au paiement des sommes prononcées à titre de dommages-intérêts, sommes qui seront aussitôt éteintes par l'effet de la confusion (article 1300 du Code civil). En second lieu, le préjudice moral qu'elle a subi de ce fait, mais ces sommes subiront le même sort. La partie civile devient partie au procès, mais en qualité de civilement responsable, la mère l'était déjà. Bref, le seul intérêt qui demeure est purement symbolique : être présente au procès en qualité de victime. Par rapport aux dégâts causés sur la relation mère-fille quand à 14 ans on est poursuivi en justice par sa mère, qu'il me soit permis de penser que le jeu ne vaut pas la chandelle, mais là, on sort du domaine du droit. Notons qu'elle peut toutefois parfaitement se porter partie civile à l'égard de l'amie de sa fille, qui a probablement eu un comportement de complice si ce n'est de receleuse. Et là, ce sont les parents de celle-ci qui sont civilement responsables.
Si procès il devait y avoir, il serait plus pertinent au civil, en tant que représentante légale de sa fille, à l'égard des commerçants ayant accepté de contracter avec une mineure, incapable juridiquement (article 1124 du code civil), peu importe qu'elle ait prétendue être majeure (art. 1307 du Code civil), et en prime, elle pourra garder en souvenir ses emplettes (art. 1312 du Code civil) ; ou en son nom personnel à l'encontre de sa banque, qui s'est dessaisie de fonds qu'elle avait reçues en dépôt sur la base d'un titre signé par une personne n'ayant pas le pouvoir de donner cet ordre.
Je me demande quand même comment cette jeune fille a pu dépenser autant d'argent par chèque sans que nul ne lui demande jamais une pièce d'identité (surtout dans un hôtel). La mère devrait pouvoir récupérer l'intégralité des sommes dépensées par sa fille. L'affection de celle-ci, par contre...
Ajout 13h58 : Jules développe avec son talent habituel la phase législative qui a amené à cette curieuse situation. Voyez le législateur en action. Ca vaut le coup.
Ce billet, écrit à 12:48 par Eolas dans la catégorie Mon amie la presse
a suscité :
Le 11 juillet dernier, la cour de cassation a rendu un arrêt cassant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 22 juin 2006, qui avait relaxé le président d'EMI et l'un des membres du groupe de rap "La Rumeur" du chef de diffamation à l'encontre d'une administration.
Les faits étaient les suivants.
La société Electronic & Musical Industry Musique France (EMI) a édité en 2002 l'album d'un group de rap appelé "La Rumeur", album dont le titre est "L'Ombre sur la mesure". Cet album était distribué avec un livret intitulé "La Rumeur Magazine" où figurait un article intitulé "Insécurité sous la plume d'un barbare".
Dans cet article, écrit par le chanteur du groupe, Mohamed Bourokba, dit "Hamé", on pouvait lire entre autres les passages suivants (l'intégralité de l'article peut être lu ici) :
Les rapports du ministre de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété ;
(...)
La justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique Touche pas à mon pote ;
(...)
La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers c'est avoir plus de chance de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche, de précarité du logement, d'humiliations policières régulières ;(...)
Le ministre de l'intérieur de l'époque, que des mauvaises langues accusaient d'aspirer à de plus hautes fonctions, avait porté plainte pour diffamation publique envers une administration publique, en l'espèce la police nationale.
La 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris avait relaxé les prévenus, confirmée en cela par la 11e chambre de la cour d'appel de Paris, qui a estimé que le premier et le deuxième passages ne mettent pas en cause la police nationale, mais l'ensemble des acteurs politiques et sociaux des vingt ou trente dernières années, et que les propos litigieux ne peuvent caractériser le délit de diffamation en raison de leur imprécision et de leur caractère outrancier.
La cour de cassation reprend sèchement la cour d'appel de Paris, en objectant que constitue une diffamation envers une administration publique ne pouvant être justifiée par le caractère outrancier du propos, l'imputation faite aux forces de police de la commission, en toute impunité, de centaines de meurtres de jeunes des banlieues. Donc, estime la cour de cassation, la cour d'appel de Paris a méconnu le sens et la portée de la loi du 29 juillet 1881 réprimant la diffamation en son article 29. L'arrêt est donc cassé, c'est à dire annulé, et l'affaire sera jugée à nouveau par la cour d'appel de Versailles.
Philippe Bilger approuve, lui qui a été longtemps procureur à la 17e chambre du tribunal de Paris, en précisant que cet arrêt de la cour de cassation est « d'une insigne et triste banalité », et s'agaçant des réactions outrancières que cette décision aurait selon lui causé. On peut supposer qu'il pense entre autre à ce commentaire collectif du goupe sur son site : « Dans un pays, aujourd'hui, toujours tenté par un retour à une censure d'état digne des pages les plus honteuses de son histoire, on vous laisse imaginer le pire. »
Bon, que dit cet arrêt, au juste ?
Philippe Bilger a raison de souligner qu'il est très banal. La chambre criminelle de la cour de cassation s'est d'ailleurs abstenue de mentionner cet arrêt sur son site parmi les décisions dignes d'intérêt (elle a rendu le même jour un très bel arrêt en matière des droits de la défense que tout avocat pénaliste lira avec intérêt) et cet arrêt ne sera pas publié non plus dans les diverses publications de la cour.
En effet, la diffamation publique implique de tenir publiquement des propos imputant à une personne identifiée ou identifiable, ou une administration publique identifiable, des faits de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération. Contrairement à l'injure, qui consiste en des propos outrageants ne contenant l'imputation d'aucun fait, la diffamation suppose des faits précis pouvant faire l'objet d'un débat quant à leur réalité ou non. En effet, dans certains cas et à certaines conditions (pour les connaître, relisez vos classiques), apporter la preuve de la réalité du propos diffamatoire permet d'échapper à la sanction.
La différence est parfois subtile, car un propos à première vue diffamatoire peut, par son caractère outrancier, exclure tout débat contradictoire et dégénérer en injure[1]. Or les règles de procédure protègent celui qui est poursuivi pour diffamation alors qu'il a injurié ou vice versa : il sera relaxé.
La cour d'appel de Paris a fondé sa relaxe sur deux arguments. D'une part, les propos ne viseraient pas une administration publique, mais « l'ensemble des acteurs politiques et sociaux des vingt ou trente dernières années », foule trop vaste et aux contours trop imprécis (vingt, ou trente dernières années ?) pour être un tout identifiable. D'autre part, les propos tenus par le chanteur seraient tellement outranciers et imprécis qu'en fait, il s'agissait d'une injure et que la qualification retenue était erronée.
Vous voyez, la cour d'appel n'a à aucun moment approuvé le texte litigieux. Elle s'est contentée de dire que ce texte injuriait un peu tout le monde, ce qui n'est pas une diffamation de la police.
Une telle analyse, certes très favorable à la liberté d'expression ne résistait pas à l'examen. Les trois passages cités au début mentionnent expressément la police, ce qui exclut l'argument de la victime non identifiable.
Le premier parle de centaines de jeunes de banlieue assassinés (ce qui implique la préméditation), le deuxième reprend l'allusion, ce qui est un crime donc par essence susceptible de débat contradictoire, tandis que le troisième parlant d'humiliations régulières, implique que la police se livre habituellement à des abus de pouvoir sur des bases discriminatoires, ce qui est un délit. Ils n'ont rien d'outrancier dans leur formulation (comme l'est le célèbre "CRS=SS !"). D'ailleurs, lors du procès devant la 17e chambre du tribunal, le chanteur a lu à la barre une liste de noms de jeunes morts des suites de violences policières. Elle faisait une vingtaine de noms, soit 180 de moins que le minimum nécessaire pour parler de "centaines", mais cela implique bien que l'auteur assume l'accusation, et ne visait donc pas à injurier mais bien à imputer des assassinats à la police nationale, ce qui caractérise la diffamation.
La cour de cassation n'était pas ici confrontée à un problème de droit très compliqué. Les propos litigieux sont diffamatoires, et non injurieux, et ils sont précis. La cour d'appel ne pouvait pas relaxer sur ces fondements. Sa décision ne pouvait qu'être cassée.
La personnalité du ministre de l'intérieur a conduit ses adversaires politiques à contester cette décision pour des motifs politiques. C'est ainsi que le débat est vicié d'entrée. Les conseillers à la cour de cassation ne sont pas aux ordres d'un ministre fut-il devenu président de la République, et leur décision est juridiquement parfaitement fondée, tout étudiant ayant fait du droit de la presse aurait pu prévoir le sens de cette décision.
La seule décision politique a été de déposer plainte au début. Elle est l'exercice d'un choix entre la tolérance et la liberté d'expression et le respect et l'honnêteté dues à la police. On peut critiquer le choix qui a été fait, même si personne n'accusera le ministre de l'époque d'incohérence avec ses idées à cette occasion. On peut pousser un peu dans la mauvaise foi en rappelant ses propos tenus lors de l'affaire des caricatures du prophète ("je préfère l'excès de liberté d'expression à l'excès de censure") en considérant que condamner une diffamation est nécessairement un excès.
Mais juridiquement, cette décision est irréprochable. Les juges ne peuvent apprécier l'opportunité de l'action dont ils sont saisis. Ils doivent trancher en droit, c'est ce qu'ils ont fait.
Notes
[1] Exemple : Papa, prête moi ta voiture. - Non, mon fils, tu n'as pas le permis. - Pfff, t'es vraiment un nazi.
La loi sur le service minimum dans les transports a été adoptée par le parlement, et est actuellement pendante devant le Conseil constitutionnel. On est très loin de la déclaration de guerre aux organisations syndicales ou de la protection des usagers se sentant pris en otage.
La lecture de la Petite Loi, surnom donné aux textes adoptés mais non encore promulgués, donne en effet un sentiment de "tout ça pour ça ?"
Que dit exactement cette loi, en l'état, c'est à dire avant son examen par le Conseil constitutionnel ?
Cette loi s'appliquera uniquement aux services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non touristique.
Le terme service public n'exclut pas les entreprises privées, mais impose que le service soit rendu à la demande d'une entité publique qui participe à son financement (ramassage scolaire dans les campagnes par exemple).
Terrestre exclut le transport maritime (ferry), fluvial et aérien.
Régulier exclut les opérations ponctuelles de location d'un autocar pour une sortie collective. Il s'agit d'une ligne desservie périodiquement, à des horaires préfixés, sans réservation préalable.
De personnes exclut le fret et les transports de type camion.
A vocation non touristique exclut les transports qui ressemblent à des transports en commun sans en être : pensons au Ballabus de la RATP ou aux bus à impériales rouges ou verts qui sillonnent désormais la capitale.
Bref, cette loi ne concerne que les lignes de bus, tramway, métro, trains de banlieue et TER qui servent pour de courts trajets entre le domicile et le lieu de travail, pas les TGV et les grandes lignes qui n'ont pas un rôle de service public.
La loi impose tout d'abord une obligation de négociation au sein des entreprises concernées par le domaine de la loi, de conclure un accord tendant à prévenir les conflits et à favoriser le dialogue social, en prévoyant qu'un préavis de grève ne peut être déposé qu'après que des négociations ont été engagées. Sachant que la loi (article L.521-3 du code du travail) prévoit que tout préavis de grève doit être déposé cinq jours francs avant le début de celle-ci et que dans ce laps de temps, les parties sont tenues de négocier, vous voyez l'efficacité de la négociation préalable pour prévenir une grève.
La loi impose non seulement la négociation, mais fixe son résultat. L'accord doit prévoir que des organisations syndicales doivent notifier leur intention de déposer un préavis (un préavis de préavis, en somme...), que l'employeur doit dans les trois jours engager des négociations qui ne pourront pas excéder huit jours, que l'employeur est tenu de donner certaines informations aux organisations pour la tenue de la négociation (par exemple, les comptes de l'entreprise pour une négociation sur les salaires), et que les salariés sont tenus informés du déroulement des négociations : demandes des syndicats, position de l'employeur, et "relevé de conclusions", le document qui résume des négociations n'ayant pas débouché sur un accord.
Ces accords doivent être conclus avant le 1er janvier 2008. Aucune sanction n'est prévue si ce délai n'est pas tenu, mais la menace sous entendue est qu'à défaut d'accord, le parlement se réserve le droit de légiférer sur ces points unilatéralement.
Outre ces accords, la loi pose des règles applicables lorsque le service est perturbé pour des raisons de grèves, de travaux, d'aléas climatiques ou toute raison protée à la connaissance de l'entreprise, ces trois dernières causes n'entraînant l'application des règles de service minimum qu'après écoulement de trente six heures, du fait de leur caractère difficilement prévisible, ce que n'est pas une grève, avec l'obligation de préavis.
Les entreprises doivent élaborer un plan de transport qui, en fonction de la gravité de la perturbation du service, prévoit des dessertes prioritaires, des plages horaires par destination, et l'information du public de ces conditions de circulation. Le but est d'éviter qu'une ligne soit paralysée tandis qu'une autre n'est que modérément perturbée.
Les modalités de ce plan doivent également faire l'objet d'une négociation avant le 1er janvier 2008.
En cas de grève, la loi prévoit deux mesures qui sont les deux seules mesures vraiment nouvelles de cette loi.
D'une part, les salariés doivent indiquer quarante huit heures à l'avance qu'ils ont l'intention de faire grève. Officiellement, pour permettre une organisation optimale du service. Officieusement pour éviter les pressions subies par les salariés au moment de l'embauche. La loi précise que la liste des grévistes est couverte par le secret professionnel, et qu'elle ne vise qu'à l'organisation du service ; la communication de cette liste à d'autres fins est pénalement sanctionnée.
D'autre part, si la grève dure huit jours, l'employeur, une organisation syndicale représentative ou un éventuel médiateur peuvent demander une consultation à bulletin secret sur la poursuite de la grève. Cette consultation n'est qu'indicative et n'interdit pas la poursuite de la grève même si une majorité se prononce contre, pour des raisons que je vais développer plus bas.
Enfin, la loi prévoit quelques mesures au bénéfice des usagers : ils doivent être informés des perturbations 24 heures à l'avance, ce qui est facilité par l'obligation des salariés de se déclarer gréviste 48 heures à l'avance, puisque les perturbations sont censées être parfaitement prévisibles ; si cette information n'est pas donnée ou si le service minimum n'est pas assuré (la loi parle de "plan de transport adapté", toujours cet art de la périphrase...), l'usager a droit au remboursement de son transport, au prorata temporis.
C'est tout.
Pour bien comprendre dans quel cadre s'inscrit cette loi, quelques mots sur le droit de grève en général.
Le droit de grève ne s'applique que dans un cadre professionnel. La grève de la faim, ou la grève des étudiants sont des abus de langage, étudier n'étant pas une profession mais l'exercice d'une faculté (pas d'un droit, d'une faculté). La grève suppose la cessation concertée du travail dans le cadre de revendications négociables, c'est à dire qu'il doit être dans le pouvoir de l'employeur (au sens large, cela inclut l'Etat pour la fonction publique) d'accorder. Par exemple, une augmentation des salaires, ou l'annulation d'une sanction sont des objectifs négociables. La "défense du service public" est trop vague pour être un tel objectif.
Si ce droit est garanti par la Constitution, ce que les syndicats de salariés n'oublient jamais de souligner, il s'agit d'un droit limité : « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » nous dit le paragraphe 7 du préambule de la Constitution de 1946, préambule qui est en resté vigueur. Invoquer la protection constitutionnelle du droit de grève pour refuser toute loi limitant le droit de grève est donc un sophisme. Il est des professions qui n'ont pas le droit de faire grève à cause d'impératifs de service public : l'armée, la police, les juges, mais pas les greffiers, ce qui est un tort car un tribunal sans greffier est aussi inutile qu'un congrès des Verts. La Constitution interdit de porter au droit de grève une atteinte démesurée par rapport au but poursuivi. Interdire le droit de grève dans les transports serait sans nul doute regardé comme anticonstitutionnel. Mais il est des impératifs de valeur constitutionnelle qui justifient qu'on limite ce droit pour essayer d'éviter une paralysie complète.
C'est précisément pourquoi la loi rappelle dans son article 1er que :
Ces services sont essentiels à la population car ils permettent la mise en œuvre des principes constitutionnels suivants :
– la liberté d’aller et venir ;
– la liberté d’accès aux services publics, notamment sanitaires, sociaux et d’enseignement ;
– la liberté du travail ;
– la liberté du commerce et de l’industrie.
C'est là typiquement le genre de phrases que le Conseil aime à sabrer car elles ne légifèrent pas, elles ne posent aucune règle, elles constatent ce qui est. Ce genre de phrase a sa place dans l'exposé des motifs, pas dans la loi elle même. Mais en fait, le législateur s'adresse aux syndicats.
Hormis cette portion de phrase un peu inutile, je ne vois pas ce qui pourrait provoquer l'ire des neufdixonze sages de la rue de Montpensier.
Le droit de grève est également un droit individuel, même s'il est d'exercice collectif. Le droit de grève n'a de sens que s'il implique le droit de ne pas faire grève. Les pressions exercées sur les salariés, les piquets de grève, sont des violations du droit de grève, qui relève d'une décision prise par le salarié en son âme et conscience. C'est pour cela que la consultation à bulletin secret au bout de huit jours n'a que valeur consultative. Pas plus qu'une majorité ne peut imposer à la totalité de faire grève, une majorité ne peut lui imposer de ne pas faire grève. Ce scrutin sert simplement à compter ses troupes autrement que par des rassemblements pompeusement appelés assemblées générales visant à donner aux médias une image d'unanimité à coups de mains levées, ces mêmes médias étant moins les bienvenues quand l'unanimité disparaît.
Enfin, jetons une pierre dans le jardin du gouvernement : on est loin du "service minimum", slogan de campagne, car rien dans cette loi n'empêche l'intégralité du personnel de se déclarer gréviste ; auquel cas aucune réquisition n'est prévue, et les transports publics seront bel et bien paralysés.
Cette loi vise simplement à rendre cette hypothèse moins probable, et à faire en sorte que chaque entreprise de transport ait un plan adaptant le service en cas de perturbation pour quelque cause que ce soit. La loi aurait pu aller plus loin dans la limitation du droit de grève, pousser jusqu'aux limites de la Constitution. Le législateur n'en a rien fait. Libre à lui, je n'ai rien moi même contre la modération. Mais ne croyez pas plus les cris d'atteinte à un droit sacré venant de votre gauche qu'aux positions de matamores adeptes de la rupture prises sur votre droite.
Ce billet, écrit à 08:45 par Eolas dans la catégorie Actualité du droit
a suscité :
De retour après un voyage mouvementé aussi bien à l'aller qu'au retour. Ca sent le procès pour une compagnie aérienne.
Le temps de poser sur mon bureau une tasse de thé fumante, et je vais attaquer la pile de courrier qui m'attend.
Permettez moi donc un simple petit billet en vrac, un peu comme une valise que l'on défait et où rien n'est plus vraiment à sa place.
Tout d'abord, quitte à faire dans le happy few : un merci à Isabelle Goanvic et à son équipe en charge de la rédaction de l'indispensable bulletin d'information de la cour de cassation, pour la nouvelle forme de cette lettre. Les derniers numéros n'étaient disponibles qu'en format PDF, certes dans une présentation très élégante mais d'une consultation en ligne rébarbative. Le numéro 666 (Woe to you, Oh Earth and Sea, for the Devil sends the beast with wrath, because he knows the time is short...) est désormais disponible au format html, ce qui le rend de consultation bien plus aisée. Bravo, et merci.
Ensuite, quelques réponses à des questions posées en commentaires.
Mon ami Frédéric, que je croyais mort depuis 1850, et qui voit si bien ce qu'on ne voit pas, me demande ce qu'est l'escroquerie au Call-Back (Décidément, ce billet est rempli d'angliscismes, blâmez Harry Potter).
L'escroquerie suppose deux choses : une manoeuvre frauduleuse d'une part, qui entraîne la remise d'une chose par la victime, généralement une somme d'argent. Il s'agit d'une erreur qui a été provoquée, déterminée, par la manoeuvre. Il faut pour cela que la manoeuvre ait été élaborée de telle façon qu'elle puisse induire en erreur. Un simple mensonge est insuffisant : il faut à tout le moins une mise en scène, ou la fabrication d'éléments donnant crédit au mensonge. Le code pénal donne une liste non exhaustive de comportement suffisants à constituer cette manoeuvre frauduleuse : l'usage d'une fausse qualité (se faire passer pour un ingénieur ou un médecin), d'un faux nom, l'abus d'une qualité vraie (un avocat faisant état de sa profession pour donner crédit à une entreprise douteuse), etc. Liste complète à l'article 313-1 du code pénal.
La remise d'une somme d'argent est déterminée par cet appel, cela ne pose pas de problème. Reste la question : s'agit-il d'une manoeuvre frauduleuse ?
Ici, elle consisterait en un appel sur le téléphone portable de la dupe qui affiche comme numéro d'appelant un numéro surtaxé. L'appel est programmé pour ne sonner qu'une fois, empêchant matériellement la dupe de répondre. Celle ci rappelle alors le numéro indiqué pour savoir de quoi il retourne (beaucoup de banques notamment utilisent des numéros en 08...) et se voit débitée de 83 centimes dont 40 sont reversés aux auteurs de la manigance. Là est la formidable astuce de l'escroquerie : le préjudice est minime pour la dupe, qui ne va pas porter plainte pour si peu. L'informatique permettant de réaliser aisément des millions d'appels gratuits car le correspondant ne décroche pas (sauf hypothèse de téléphone éteint basculant sur la boite vocale), c'est un préjudice de 600.000 euros qui a été ainsi réalisé, ce qui permet d'estimer le butin à 290.000 euros, le grand gagnant dans cette affaire restant l'opérateur historique qui a encaissé 310.000 euros sans avoir à les rembourser car il ne fait que porter les appels et n'est pas responsable de l'usage qui en est fait. Je pense que le parquet estime que tant le volume des appels (qui se compteraient en millions selon l'article, bien que les chiffres du préjudice laissent à supposer que seules 720.000 appels auraient été effectivement retournés), que l'astuce visant à ne faire sonner le téléphone qu'une seule fois, montre une élaboration suffisante visant à tromper les dupes caractérisant la manoeuvre frauduleuse. Ca me paraît tenir la route, mais je me réserve le droit d'affirmer le contraire devant un tribunal.
HP (Hewlett Packard ? Hopital Psychiatrique ? Je ne vois pas à quoi d'autre cela pourrait faire allusion...) me demande si l'émission de TF1 "L'île de la tentation" ne relève pas de la prostitution, et que ce type d'émission devrait être interdit, ou si l'histoire narrée est montée de toute pièce, diffusée comme une fiction et non sous le vocable trompeur de "télé-réalité".
Tout d'abord, permettez-moi de vous recommander la lecture de Harry Potter pour agrémenter vos soirées, vous me semblez en avoir besoin.
Ensuite, la prostitution n'est pas illégale en soi. Seuls sont prohibés le racolage[1] et le proxénétisme[2], et par extension, la traite des êtres humains[3] Je suis d'accord sur le fait que faire du racolage un délit quand la prostitution n'est pas en soi illégale est une parfaite hypocrisie, et lors des rares affaires de racolage correctionnel que j'aie vues juger, si la prévenue n'inspirait pas autant la compassion, il y aurait eu de quoi rire en voyant les tours d'acrobatie juridique imposés aux procureurs chargés d'apporter la preuve au tribunal qu'une attitude passive s'interprète sans nul doute comme une incitation à avoir des relations sexuelles en échanges d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération. Il est des passivités qui disent beaucoup.
L'attitude, même très active, des séducteurs et séductrices recrutées par le producteur n'incitent pas à avoir des relations sexuelles en l'échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération de la part des participants à l'émission. Il n'y a pas racolage. Il pourrait y avoir proxénétisme si la production prévoyait une rémunération spécifique en cas de rapport sexuel, mais rien ne laisse à penser que tel soit le cas. Faute de rémunération d'un rapport sexuel, en supposant qu'il y en ait bel et bien, ce qui me paraît douteux quand on sait que le room service apportant le petit déjeuner sera composé d'un cadreur et d'un preneur de son, il n'y a pas prostitution, donc pas proxénétisme.
Enfin, last but not least, pour continuer jusqu'au bout les anglicismes, une nouvelle importante.
Ce blog va déménager ce week end. Après deux ans et demi chez Free, il est temps que je vole de mes propres ailes et passe à un hébergement professionnel dédié, assurant un service plus stable et de meilleure qualité que les pages personnelles de Free, que je remercie et félicite au passage pour avoir fait face à l'impressionnante montée en puissance de ce blog (qui consomme désormais près de 100 Go de bande passante chaque mois, spam compris...).
Les conséquences seront les suivantes :
Vendredi soir, vers 19 heures : fermeture définitive des commentaires ici.
Durant le week end : pendant la migration, ce blog ne répondra plus. Si les dieux de l'Olympe sont avec nous, ça durera un quart d'heure. Mais les dieux de l'Olympe ne sont JAMAIS avec nous.
Une fois le déménagement effectué, l'adresse maitre.eolas.free.fr ne sera plus mise à jour.
L'adresse de ce blog sera définitivement : http://maitre-eolas.fr. Mettez vos liens à jour dès à présent, cette adresse renvoie pour le moment ici.
Les commentaires seront transférés à la nouvelle adresse et ne seront pas perdus. Dès lundi, tout devrait fonctionner sans difficulté et les commentaires seront réouverts dans mon nouveau chez moi.
Sinon, c'est procès. (Message à mon contact chez mon nouvel hébergeur : je plaisante, je plaisante, rendez moi mes bases SQL).
Allez, hop, au courrier.
Notes
[1] Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération : art. 225-10-1 du code pénal.
[2] Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit : 1º D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ; 2º De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ; 3º D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire : art. 225-1 du code pénal.
[3] le fait, en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit : article 225-4-1 du code pénal.
Ce billet, écrit à 15:38 par Eolas dans la catégorie General
a suscité :
Dernier billet avant l'arrêt de ce blog, pour les raisons que j'expliquerai à la fin.
Et il sera bien léger et superficiel, mais après tout, je ne me suis jamais senti obligé d'être sérieux sur ce blog.
Ainsi, j'ai testé le service Vélib', de mon jarret exigeant de cycliste réitérant.
Et comme il se doit, mon premier essai se heurta à un bug : ma carte n'était pas validée par la borne, numéro d'abonné incorrect.
Ce qui m'a permis de tester la hotline de Vélib (numéro d'appel local, non surtaxé, vous pouvez l'appeler gratuitement depuis une borne vélib'). Là, très bonne surprise : prise de ligne très rapide, mois de dix secondes d'attente, interlocuteur très courtois. Une heure après, tout est rentré dans l'ordre.
Le mode d'emploi n'est donné nulle part très clairement, alors le voici.
Une station se compose d'une borne, et de bornettes, ou plots, ou emplacements, où sont attachés les vélos.
Si vous avez une carte d'abonnement d'un an, vous avez le choix de passer ou non par la borne. Si vous avez un ticket un jour ou 7 jours, vous n'avez pas le choix : c'est par la borne.
La borne.
Attention, elles ont deux faces. Une avec un écran LCD en couleur, qui n'est là que pour vous donner des informations et vous indiquer une station proche si celle ci est complète. L'autre n'a qu'un clavier de type carte bleu. C'est là que vous empruntez votre vélo. Vous posez votre carte d'abonnement ou votre passe Navigo si vous l'y avez intégré sur le lecteur. Si vous avez un ticket, il vous faudra taper votre numéro d'abonnement. Les instructions s'affichent sur le petit écran à côté du clavier. Vous choisissez un numéro d'emplacement disponible parmi ceux qui s'affichent (pensez à taper 01 pour le numéro 1, 02 pour le 2 etc). Puis l'opération terminée, vous avez une minute pour aller à l'emplacement choisi (prenez en un près de la borne), appuyer sur le bouton de la bornette, et le verrou se libérera.
La bornette.
C'est le plus simple. Choisissez en une où la lumière est verte, posez votre carte dessus, la lumière passe à l'orange quelques secondes le temps que votre demande soit validée et le verrou se libère.
Certaines stations dites "allégées" ne sont équipées que de bornettes. Il n'est pas possible de louer un vélo autrement que par un abonnement annuel.
La restitution du vélo.
Pour rendre le vélo, avisez une station vélib' avec une bornette disponible où la lumière sera verte. Vous glissez dans la fente de verrouillage la partie du cadre qui est faite pour s'y insérer, et vous entendrez un petit clac. La lumière va passer à l'orange puis à nouveau au vert. Le vélo est verrouillé, et la restitution est enregistrée. Tirez doucement dessus pour vous assurer que le verrou est bien refermé pour être sûr. Vous avez 5 minutes pour retirer un reçu à la borne si vous le souhaitez.
Le vélo
En un mot, il est bien... pour cet usage. Son poids (environ 20 kg) a fait beaucoup parler ceux qui ne font pas de vélo. C'est un argument oiseux. Un bon vélo de ville nu pèsera 15 à 16kg. Si vous ajoutez une gourde, une trousse à outil et transportez des affaires personnelles, vous pèserez plus lourd qu'un vélib'. Evidemment, c'est plus lourd qu'un vélo de route, mais les prix ne sont pas les mêmes et le vélo de route est totalement inadapté à la ville : position trop courbée en avant, pas de porte bagage.
Le vélib' a un panier à l'avant d'une capacité de 8kg, pas de porte bagage. Garde boues efficace, caréné à l'arrière, ce qui vous met à l'abri des éclaboussures des roues en cas de pluie et rend le vélib compatible avec le port d'un manteau long, d'une robe ou d'une écharpe qui ne peuvent se prendre dans les rayons. La chaine est bien protégé par le carter, vous ne vous salirez pas quelle que soit votre tenue.
Les vitesses se passent par la poignée droite. La première pour les démarrages et les montées très raides, la deuxième est intermédiaire pour la prise de vitesse ou pour les montées normales, la troisième pour la vitesse de croisière. Il s'agit du système Nexus de Shimano : les vitesses peuvent se changer à l'arrêt, la chaîne ne peut pas dérailler car elle ne saute pas de pignon. Un bonheur.
Les lumières sont allumées en permanence, mais fonctionnant par induction via un mécanisme dans le moyeu, la résistance ainsi causée est négligeable. La béquille est de type mobylette, ce qui assure la stabilité du vélo garé. Un antivol est fourni, rudimentaire : un cable en tortillon dans le panier. Vous l'enroulez autour d'un point fixe (poteau, lampadaire ou emplacement vélo), et l'enclenchez dans le verrou qui se situe sur le cadre près du point d'attache à la bornette. L'enclenchement libèrera la clef, que vous emportez avec vous.
Le freinage se fait par le moyeu. Il faut serrer fort, n'hésitez pas.
Les défauts du vélib', car il en a :
Un peu tape-cul, je m'étais habitué à ma selle Royal Gel, ma tige à suspension ainsi que mes suspensions sur la fourche avant. J'avais oublié ce que c'est que sentir la route.
Que trois vitesses. On atteint vite sa vitesse de croisière et sauf à pédaler comme un excité, le vélib' a un rythme de sénateur. Je pense aller deux fois moins vite qu'avec Vélociraptor (le petit nom de mon vélo). Traverser Paris prendra un certain temps avec un vélib'.
Les poignées sont un peu rugueuses. Avec les vibrations de la route, les paumes sont à l'arrivée d'un beau rouge. Cela disparaît rapidement, mais l'achat d'une parie de mitaines (5€) n'est pas forcément un luxe.
Un conseil : vérifiez votre vélib' avant de le prendre. Etat des pneus, principalement. En effet, si après avoir décroché votre vélo, vous vous rendez compte qu'un pneu est à plat, vous devrez attendre 5 minutes après l'avoir raccroché pour en prendre un autre.
Premier contact très positif donc. Ajoutons à cela que sur le site, une carte interactive indique toutes les stations vélib' et si vous cliquez dessus, vous indique en quelques secondes le nombre de vélos disponibles et de bornettes libres.
Voilà un point sur lequel vélib' a intérêt à être vigilant : la disponibilité des places de restitution. S'il y a une bornette par vélib', ca va rapidement poser un problème qui peut nuire au succès de ce système. En effet, en hiver ou au milieu de la nuit, la plupart des vélib' seront garés. Si un usager voulant rentrer chez lui ne trouve pas de station proche de sa destination et doit galérer pour le raccrocher au risque de se faire facturer en plus ce temps perdu, cela va rapidement le décourager. J'espère qu'il y a plus de bornettes que de vélib'. Si ce n'est pas le cas, il faudra retirer du service quelques vélibs cet hiver, quand la demande baissera, pour éviter les embouteillages aux stations. Une station vide est moins embêtante qu'une station complète.
Mais pour le moment, je n'ai pas encore été confronté à ce problème. Rappelons enfin qu'il est possible d'obtenir 15 minutes de plus à une station complète pour restituer son vélib' afin d'éviter de se faire facturer ce temps en plus.
Attention enfin au tarif progressif : vélib' est fait pour des trajets courts. Si vous dépassez la demi heure, c'est un euro. Si vous dépassez l'heure, c'est deux euros. Et au delà d'une heure et demi, c'est 4 euros la demi heure. Bref, si vous voulez faire du cyclo tourisme, prévoyez cinq minutes de pause toutes les demi heures.
En conclusion, si vous êtes cycliste habituel, comme moi, vous ne remiserez pas votre vélo au garage. Mais vélib' reste quand même un complément idéal. Il y a des jours où vous ne pouvez pas prendre votre vélo (une audience en banlieue à 9 heures...), d'autres où votre vélo crève mais vous êtes pressé. Vélib' a ici une vraie utilité.
Cela peut être l'occasion de vous faire tester le vélo en ville. Si vous devenez mordu, achetez le vôtre, un vrai vélo de ville de qualité, vous verrez, ça n'a rien à voir. Mais ne jetez pas votre carte vélib'. Et merci aux Lyonnais d'avoir essuyé les plâtres avec Vélo'v, ce qui nous permet de bénéficier d'un service ayant déjà été confronté à l'expérience du terrain. Nous aurons moins de bugs que vous. Il y aura au moins un parisien qui vous en saura gré.
Ce blog s'arrête donc. Comme certains l'ont deviné, c'est temporaire et dû à la sortie du dernier tome de Harry Potter et au fait que je m'octroie de courtes vacances.
Je vais passer les commentaires en modération a priori, et ils ne seront pas validés avant un certain temps. Soyez patients et évitez de poster à plusieurs reprises ou de crier à la censure.
Pourquoi cette disparition ? Parce que des fuites ont eu lieu sur l'histoire du septième tome (le Parisien notamment publie la fin), et je redoute de tomber dessus par accident. Je veux découvrir le dénouement de cette histoire comme l'a voulu l'auteur. C'est la meilleure façon qui soit, et c'est ma façon de lui témoigner du respect. C'est aussi comme ça que l'émotion est intacte. Voyez : dès hier, j'ai annoncé l'arrêt de ce blog. Je l'ai à nouveau annoncé au début, sans préciser que c'était provisoire. J'aime à croire que vous en avez ressenti quelque sentiment. Un peu de peur, d'angoisse, d'espoir aussi : "ce ne doit être que temporaire".
Et vous voilà rassurés, et j'ose le croire, un peu heureux. Vous avez éprouvé des sensations et des sentiments. Si quelqu'un vous avait dit "Eolas fait croire qu'il va arrêter son blog mais en fait il va juste prendre des vacances", vous n'auriez pas ressenti cela. Le plaisir de ma petite farce aurait été gâché. C'est ce plaisir que je ne veux pas voir gâcher, comme l'a été un peu ma lecture du sixième tome quand des gens ont raconté partout sur internet la fin du sixième tome, mus par une schadenfreude tellement sotte que je n'arrive pas à me l'expliquer deux ans après. Alors si vous n'aimez pas la série, si vous êtes scandalisé ou ne voyez que le triomphe du marketing et du capitalisme dans le fait qu'à l'heure de l'internet, du chat, des SMS, de la télévision, des millions d'enfants aient pris goût à la lecture, allez crier votre colère sur Twitter, là où personne ne vous lira, et laissez en paix les lecteurs jouir de leur plaisir. Si vous tirez du plaisir à gâcher celui des autres, je suis infiniment triste pour vous, vous avez vraiment une vie minable.
Donc cette année, je joue la sécurité absolue. Je sécurise les commentaires, je ne lirai rien sur internet aujourd'hui, pas même mes mails autres que professionnels. Juste pour les fans de la série qui me lisent, je vous offrirai demain la première phrase du livre comme apéritif, et quand mon blog reprendra une activité normale, je veillerai à ce qu'aucun spoiler comme on dit en français ne soit publié ici. De même que mes éventuels commentaires veilleront à ne rien révéler de l'histoire.
Et je tremble de peur pour tous les personnages, mais aussi pour moi. Quand je refermerai la dernière page, les adieux promettent d'être déchirants.
Ce billet, écrit à 10:44 par Eolas dans la catégorie Le roi de la pédale
a suscité :
Dernier volet sur la justice administrative. Après avoir découvert son existence, vu comment elle marche ordinairement et extra-ordinairement, nous allons voir à présent comment elle marche quand l'extraordinaire devient l'ordinaire avec le contentieux des étrangers.
Rappelons brièvement qu'en raison du principe couramment admis que l'Etat a le droit de décider qui entre et reste sur son territoire, les étrangers sont totalement dépendants de l'administration. Principe qui mériterait de temps en temps qu'on s'interroge sur son bien-fondé, tant il a des relents xénophobes et d'Etat policier, mais tenons nous-en au droit.
Pour entrer tout d'abord. En fonction des accords internationaux, certaines nationalités sont soumises à une obligation de visa pour entrer en France, d'autres en étant dispensées pour des courts séjours. Les visas sont délivrés par les consulats, qui relèvent pour peu de temps encore du ministère des affaires étrangères (ils sont sur le point de passer sous la tutelle du ministère de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement). On distingue les visas court séjour, dit visa touristes, qui donnent droit à une entrée sur le territoire et à un séjour de trois mois au plus, et les visas long séjour, qui ont une validité de six mois en général et ont vocation à être transformés en carte de séjour. Des conventions bilatérales dispensent certaines nationalités de visa pour des séjours ne dépassant pas trois mois, le droit européen ayant conduit la France à dispenser les ressortissants historiques de l'Union Européenne de tout titre de séjour.
Le refus de visa donne lieu à un contentieux spécifique, du fait que la décision a été prise à l'étranger et qu'aucun TA ne peut être géographiquement compétent. Il doit d'abord être soumis à la Commissions des Recours contre les Refus de Visa, puis en cas de maintien du refus, le Conseil d'Etat statue en appel.
Une fois entré, le visa vaut titre de séjour jusqu'à son expiration.
Pour rester ensuite. Un étranger qui s'établit en France doit être titulaire d'une carte de séjour, valable un an, ou d'une carte de résident, valable dix ans. Il existe des titres précaires qui régularisent provisoirement un séjour le temps qu'une décision soit prise définitivement par l'administration : certains récépissés de demande de carte de séjour, l'autorisation provisoire de séjour (APS) et le laisser-passer. Ces documents sont délivrés par la préfecture du domicile de l'étranger : il s'agit d'actes administratifs susceptibles de recours devant le TA.
Pour simplifier disons que la préfecture peut délivrer un titre de séjour à qui elle veut. Discrétionnairement. Sauf certaines situations où elle est obligée de le faire.
Voyons à présent en détail quatre hypothèses de saisine du juge administratif, en allant de l'hypothèse la plus ordinaire à la plus Rock n'Roll, vous comprendrez le sens de la métaphore chorégraphique.
Le contentieux ordinaire : la contestation du refus de carte de séjour.
Nous sommes dans l'hypothèse où un étranger sollicite une carte de séjour ou son renouvellement et se la voit refuser, sans que le préfet ne prenne d'autre mesure tendant à un éloignement par la contrainte.
Nous sommes en présence d'une décision administrative, pouvant faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir de droit commun. Le délai de recours est de deux mois, l'affaire fait l'objet d'une mise en état, puis d'une clôture suivie d'une audience avec commissaire du gouvernement. Le problème pour l'étranger étant que ce recours n'étant pas suspensif, il n'est pas en situation régulière pendant ce temps et peut être l'objet d'un contrôle d'identité aboutissant à une exécution forcée (voir ma troisième hypothèse). Eventuellement, en cas de moyen sérieux, un référé peut aboutir à la délivrance d'autorisations provisoires de séjour, mais ne donnant pas le droit de travailler, quand bien même le titre auquel il a droit lui permettrait d'exercer une profession. Etant en situation irrégulière, il n'a pas droit non plus au RMI. Bref, lui et sa famille sont priés de vivre de photosynthèse pendant les deux ans que durera la procédure. Comme la plupart n'y parviennent pas et ont généralement des enfants et un avocat à nourrir, ils travaillent au noir, dans la plus grande hypocrisie.
Un préfecture de la banlieue parisienne s'est faite une spécialité de refuser des titres qu'elle est tenue de délivrer. Quand un recours est exercé, la préfecture ne produit aucun mémoire malgré les mises en demeure que lui envoie le tribunal. Deux ans plus tard, le tribunal administratif annule ce refus et condamne la préfecture à payer des indemnités au titre de l'article L.761-1 du CJA. En une audience, il y a quelques semaines, j'ai vu ainsi 3600 euros de l'argent du contribuable dilapidés en indemnités de procédure, alors qu'il aurait suffit que la préfecture, la veille de l'audience, délivre le titre demandé pour préserver l'argent du contribuable. Le droit des étrangers, c'est aussi ça.
Deuxième hypothèse : le contentieux un peu moins ordinaire : l'Obligation de Quitter le Territoire Français.
La loi du 24 juillet 2006 a créé cette procédure spéciale pour juger rapidement les refus de titre de séjour sans passer par la procédure d'urgence dont je parlerai dans ma troisième hypothèse.
Désormais, le préfet qui refuse un titre de séjour ou son renouvellement peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français (auparavant, c'est une invitation à quitter le territoire français qui en tant que telle ne pouvait faire l'objet d'un recours, mais permettait au bout d'un mois de délivrer un arrêté de reconduite à la frontière, qui lui pouvait faire l'objet d'un recours).
C'est un recours soumis à des règles spéciales. Le délai de recours est plus bref : il est d'un mois à compter de la décision (contre deux mois en droit commun). Il est suspensif, ce que n'est pas le recours de droit commun. Le juge a un délai de trois mois pour rendre son jugement, je reviendrai sur ce point. Le tribunal peut, et concrètement le fait toujours, fixer dès la réception de la requête la date de l'audience et de l'ordonnance de clôture. L'audience se tient devant un tribunal de trois juges, et il y a un commissaire du gouvernement.
Mais ce recours emprunte certaines règles au contentieux de droit commun. Ainsi, l'étranger ne peut bénéficier d'un avocat commis d'office ni d'un interprète. Il peut solliciter l'aide juridictionnelle au titre de l'article R.441-1 du CJA qui lui sera refusée au titre de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 (qui a dit qu'on ne savait pas rire en droit administratif ?).
Le jugement peut être frappé d'appel, selon les règles de droit commun : recours obligatoire à un avocat, pas d'effet suspensif.
Je reviens sur le délai de trois mois imposé par la loi au juge administratif. C'est la dernière idée géniale du législateur pour faire face au problème de l'engorgement des tribunaux administratifs et du temps qu'ils mettent à statuer. Puisque celui qui propose d'augmenter les crédits de la justice est jeté dans la Seine avec des boulets accrochés aux pieds comme s'il avait perdu trois fois son bout de pain dans la fondue[1], il faut trouver des solutions autres, et celle là est brillante : imposer au juge de statuer dans un certain délai. Ca ne coûte rien, et ça marche, car les juges administratifs sont des légalistes psychorigides. Bon, évidemment, quand on ajoute à cela que le ministre de l'intérieur a décidé que l'on expulserait 26000 étrangers par an, la conséquence est prévisible : les juges ne font plus que ça et les autres recours attendront encore plus longtemps. C'est ce qu'on appelle une gestion intelligente et à long terme.
Troisième hypothèse : Le contentieux carrément extraordinaire : la reconduite à la frontière.
Si tu ne viens pas à la préfecture, c'est le préfet qui viendra à toi. Telle est la devise du contentieux de la reconduite à la frontière. L'hypothèse est la suivante : l'étranger a fait l'objet d'un contrôle d'identité qui a révélé son état de sans papier. Informée, le préfet du département prend un arrêté de reconduite à la frontière à son encontre, qui lui est notifié en main propre. L'étranger dispose alors d'un recours spécial, qui se rapproche du référé administratif. Le délai de recours est très court : 48 heures. Ce délai très bref (d'autant que le recours doit être écrit, rédigé en français et motivé) est parfois compliqué par le fait que le client est privé de liberté : voir ci-dessous, l'hypothèse rock n'roll) s'explique par le fait que la préfecture est censée s'assurer de l'exécution de sa mesure. Le tribunal doit statuer dans les 72 heures. Même remarque que ci-dessus. Concrètement, seul le TA de Versailles, qui est le Lucky Luke du contentieux de la reconduite à la frontière, tient le délai : quand vous faxez votre recours aux heures de bureau, vous avez votre récépissé et convocation à l'audience 40mn plus tard, audience qui aura lieu le lendemain. Si vous n'aimez pas les codes rouges, ne faites pas du droit des étrangers. L'audience est à juge unique (mais pas solitaire : comme son ombre le suit le greffier, profession dont je ne dirai jamais assez tout le bien que je pense), sans commissaire du gouvernement. Le préfet est censé envoyer quelqu'un de sa préfecture ou à tout le moins produire un mémoire. Concrètement, à Paris, c'est toujours le cas, et c'est un avocat quand l'étranger est privé de liberté, ce qui explique le taux de rejet des recours très élevé. Nanterre envoie un mémoire, Créteil et Bobigny ne daignent jamais répondre. Le jugement est censé être notifié très rapidement (à Versailles, c'est le jour même). Le jugement rejetant la requête met fin à l'effet suspensif du recours.
Quatrième hypothèse : Rock n'Roll acrobatique.
C'est hélas l'hypothèse la plus fréquente. L'étranger a été contrôlé, et placé en garde à vue le temps que la préfecture prenne un arrêté de reconduite à la frontière. Le préfet décide en outre de le garder au chaud, c'est à dire de le placer dans un centre de rétention administrative (CRA). Qu'est ce qu'un CRA ? Le législateur nous répond par une première pirouette : c'est la loi du 29 octobre 1981 (intégrée depuis dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers etc.) qui nous dit que ce sont des locaux "ne relevant pas de l'administration pénitentiaire". Bref, il se contente de dire ce que ça n'est pas. J'y vois pour ma part un hommage à Magritte : ceci n'est pas une prison, et pourtant, ça y ressemble furieusement. Le droit des étrangers s'est beaucoup inspiré de l'école surréaliste, vous allez voir.
Mais je vous ai vu froncer des sourcils. Je suis fier de vous. "Placé en garde à vue", "privé de liberté"... Ca sent le droit privé, donc la justice judiciaire, n'est ce pas ? Hé oui. Nous entrons dans le triangle des Bermudes du droit. Alors que, apparemment, il s'agit juste d'interpeller un étranger en situation irrégulière et le reconduire dans son pays d'origine (et non chez lui ; chez lui, c'est ici...), nous allons assister à une chorégraphie complexe, fondée sur des mouvements de va et vient sur un rythme endiablé. Démonstration.
Premier mouvement : "vos papiers !".
Ha, la police demande les papiers. Oui, mais à quel titre ? Si c'est dans le cas de réquisitions du procureurs de la république ordonnant à la police de quadriller un secteur défini pendant un laps de temps déterminé, ou que les policiers ont constaté des éléments pouvant laisser à penser que l'étranger était sur le point de commettre une infraction, nous sommes dans de la police judiciaire : articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale, texte de droit privé. S'il n'y a rien de tout cela mais que la police s'avise, sur des éléments objectifs (le délit de sale gueule n'étant pas un élément objectif) que l'intéressé est étranger, elle peut lui demander de présenter les documents relatifs à son séjour, conformément à l'article L.611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). C'est une mesure de police administrative. Pourtant, les policiers n'auront même pas changé de képi.
Deuxième mouvement : "Au poste !"
Dans les deux cas, les policiers constatent que l'étranger n'a pas un bout de papier où un fonctionnaire aura appliqué un timbre humide, ce qui est un délit puni de prison jusqu'à un an, qui parfois peut devenir sinon de la prison à vie, du moins de la vie en prison. L'étranger va donc être placé en garde à vue, conformément à l'article 63 du code de procédure pénale. Retour au pur droit privé. Le procureur est informé comme la loi l'exige et feint d'être intéressé par cette affaire.
Simultanément, la préfecture du département est informée de ce qu'un étranger en situation irrégulière a été identifié, puisque c'est elle qui gère les dossiers des étrangers. Un dossier est ouvert à la préfecture. C'est du droit administratif. La police entend l'étranger sur le délit d'infraction à la législation sur les étrangers (I.L.E.), délit pénal, mais pose des questions qui intéresseront surtout la préfecture, par exemple sur sa famille dans son pays d'origine.
Après le cas échéant un renouvellement de garde à vue autorisé par le procureur de la république, le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, ainsi qu'un arrêté de placement en centre de rétention administratif (CRA) pour une durée de 48 heures. Notez le "administratif". Informé de cette situation, le procureur classera sans suite la procédure pour ILE. Fin de la procédure judiciaire. L'étranger est conduit dans le centre de rétention, qui est parfois situé... dans le commissariat (c'est le cas à Bobigny, par exemple).
Troisième mouvement : Deux juges, c'est mieux qu'un..
Récapitulons. Nous avons un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), et un délai de 48 heures pour faire un recours. Nous avons aussi un placement en CRA pour une durée de 48 heures. Là, deux procédures vont avoir lieu en même temps, une administrative où l'étranger sera demandeur, et une judiciaire où il sera défendeur.
La procédure administrative est le recours contre l'APRF. C'est ce que j'explique dans ma troisième hypothèse. L'étranger exerce un recours suspensif qui vise à annuler l'arrêté de reconduite à la frontière. C'est une de ces audiences que je décris dans mon billet Eduardo. l'objet de cette audience est uniquement de juger de la légalité de l'arrêté. Les circonstances de l'arrestation, le juge administratif ne veut pas en entendre parler. C'est de la compétence du juge judiciaire. Ce qui est lourd de conséquence pour les droits de l'étranger, vous allez voir. Le jugement est susceptible d'appel selon la procédure administrative de droit commun, non suspensive.
Mais le préfet, lui, a envie de garder un peu plus longtemps notre ami étranger. Il doit pour cela demander au juge judiciaire le maintien en rétention, pour une durée de 15 jours au plus. C'est le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance qui est compétent. C'est une de ces audiences que je raconte dans Un Juste. L'objet de cette audience est uniquement le maintien de la mesure privative de liberté, et le contrôle de la légalité de la procédure (notification des droits en garde à vue, respect des délais, du droit à un interprète, etc). Le juge peut maintenir l'étranger 15 jours en rétention, dire n'y avoir lieu à maintien en rétention, ou assigner l'étranger à résidence s'il peut justifier d'un domicile ou si une personne en situation régulière ou Français s'engage à l'héberger et fournit des preuves de domicile. Le jugement du JLD peut être frappée d'appel dans un délai de 24 heures. Le recours doit être motivé et peut être envoyé par fax. Si le juge décide de la remise en liberté, le procureur a un délai de quatre heures pour s'opposer à la remise en liberté immédiate. Si le préfet fait appel, l'étranger reste en rétention. COmme on peut voir, la séparation des autorités administratives et judiciaires n'est pas étanche : le judiciaire est bienvenu à se mettre au service du pouvoir administratif. L'appel est jugé par le premier président de la cour d'appel ou un conseiller délégué par lui, généralement dans un délai de 48 heures. Ajoutons qu'il y a des audiences de JLD pour étrangers tous les jours, même le dimanche à Paris (à 8h30...)
Il m'est arrivé une fois d'aller défendre un client qui avait été interpellé dans les Pyrénnées atlantiques. Appelé par téléphone, je forme un recours administratif le lundi soir. Le mardi matin aux aurores, je saute dans un train pour Bayonne pour l'audience devant le JLD à 11 heures. Le JLD ayant prononcé la remise en liberté. Je file à Hendaye récupérer mon client au Centre de Rétention où il devait récupérer ses affaires, et file avec lui à Pau pour l'audience devant le tribunal administratif à 17 heures 30 le même jour. A 18 heures 30, le tribunal rend sa décision : l'arrêté est annulé. Il n'y a plus qu'à prendre le TGV pour Paris, en laissant derrière moi un tas de cendre fumant de ce qui fut cette procédure.
Le TGI de Bayonne étant d'un autre ordre de juridiction que le TA de Pau, les greffes ne pouvaient tenir compte des impératifs de l'autre pour audiencer ces affaires. La loi leur fait interdiction de se parler. Et ce sont les avocats qui trinquent.
Et les droits de l'étranger. Car si vous avez bien suivi, supposons que les policiers commettent une nullité de procédure. Après avoir fait un pur contrôle au faciès, ils s'abstiennent de notifier ses droits à l'étranger, et omettent d'informer le procureur de la garde à vue, et gardent l'étranger 28 heures sans solliciter de renouvellement. La totale. Le JLD, saisi par le préfet, écumera de rage, n'aura pas de mots assez durs pour les policiers, et annulera la procédure, remettant immédiatement l'étranger en liberté sous les applaudissements du parquet.
Mais devinez quoi ? L'APRF reste valable, et l'étranger, victime de voies de fait et même de séquestration arbitraire par la police, pourra malgré tout être interpellé à son domicile et conduit de force dans un avion prêt à décoller. Si un assassin d'enfant était traité ainsi, la procédure partirait à la poubelle. Si c'est un étranger, non. On peut l'arrêter illégalement, il sera reconduit légalement. Avec les compliments de la séparation des autorités judiciaires et administratives.
Voilà un parfait exemple d'embrouillamini que peut causer la séparation des autorités judiciaires et administratives, avec des juges qui statuent sur des points différents sans vouloir savoir de quoi l'autre s'occupe. Il y en a d'autres : les amendes de la circulation, par exemple, relèvent du droit pénal, donc de la justice judiciaire. Mais les pertes de point sont une mesure administrative : le juge judiciaire ne peut pas vous dispenser de la perte de point, sauf s'il vous relaxe.
Si vous êtes contrôlé en état d'ivresse, le préfet pourra suspendre immédiatement votre permis pour une durée généralement de six mois, par un arrêté pouvant être contesté devant le tribunal administratif (art. L.224-7 du code de la route), permis qui vous sera restitué après un examen médical. Puis vous serez convoqué devant le tribunal correctionnel qui pourra, à titre de peine complémentaire (article L.234-2 du même code), vous suspendre à nouveau le permis de conduire, qui ne pourra être contestée que devant la cour d'appel.
Voilà qui clôt ma série sur la justice administrative. Je vous laisse méditer là dessus.
A demain pour un dernier billet avant la fermeture de ce blog.
Les commentaires de mon précédent billet - plus nombreux que sous ma leçon de procédure administrative, à quoi bon faire des études... ?- appellent une mise au point, tant je me sens totalement étranger à l'atmosphère de guerre civile entre les deux et trois-pédales.
Quand je fais la promotion du vélo, ce n'est pas par idéologie, pour sauver les pingouins, ou pour marquer mon mépris pour les piétons ou les automobilistes. Je n'ai rien contre les 4X4 en ville, je m'en fiche. Mon seul souci concerne les personnes qui ont envie d'essayer de se déplacer à vélo mais n'osent pas pour de mauvaises raisons. Ces mauvaises raisons que l'éditorial du Monde reprend à son compte : le danger, l'inconfort d'être en nage, le problème du temps qu'il fait. C'est à elles que je m'adresse : il n'en est rien, il suffit de connaître les principaux dangers pour s'en prémunir (dans l'ordre, les piétons inattentifs, les voitures qui tournent à droite sans regarder et les portières qu'on ouvre témérairement), d'apprendre à s'habiller pour faire du vélo, et à se protéger contre la pluie, quitte à sacrifier l'élégance à cette nécessité. Si c'est ça qui vous retient, vous vous privez d'un plaisir et c'est dommage.
Pour ma part, je pratique quasi quotidiennement le vélo dans Paris depuis bientôt quatre ans. J'ai renoncé à utiliser une voiture, pour des raisons rationnelles et égoïstes. Rationnelles, car ce n'est plus le moyen de transport optimal dans Paris. Difficulté de trouver à se garer, embarras de circulation, voilà qui ne m'aide pas à gérer mon angoisse d'avant audience. Le vélo me garantir un temps de trajet identique à chaque fois. Egoïstes, car j'aime me déplacer à vélo dans Paris. J'ai redécouvert cette ville depuis que je m'y déplace ainsi.
Mais je n'ai rien contre mes prochains qui préfèrent un autre moyen de transport, quel qu'il soit, du moment qu'ils le prennent par choix. Tant qu'ils ne me percutent pas avec. Quand je croise un 4X4, je souris en pensant à mes actions Total (+29% sur un an) et je continue mon chemin.
Donc déplacez vous à vélo si vous en avez envie et que ça vous plaît. Il n'y a aucune autre bonne raison. Le jour où ça ne me plaira plus, je ressortirai mon H1 du garage.
Quand je dis que les piétons sont le principal danger pour les vélos, je ne dis pas que ce sont des ennemis. C'est l'obstacle mobile que je risque le plus de percuter car en ville, nous avons pris l'habitude de ne nous fier qu'à notre oreille pour nous avertir de l'arrivée imminente d'un véhicule. Le silence est l'indice d'une rue dégagée, or un vélo est silencieux. C'est une mauvaise habitude qu'il faut perdre car elle nous met en danger.
Ma modeste expérience de cycliste me fait conclure ce qui suit pour être un cycliste urbain heureux :
Roulez sur la chaussée, pas sur les trottoirs. Vous irez plus vite, vous êtes plus en danger et dangereux à slalomer entre les piétons, et en plus il y a des enfants sur les trottoirs. Et il est inadmissible de rouler sur les trottoirs à grande vitesse en jouant de la sonnette à qui mieux mieux pour que la piétaille s'écarte de votre destrier. Si par la force des choses, vous devez rouler sur le trottoir, roulez au pas, et abandonnez la sonnette au profit du frein. Si quelqu'un doit s'arrêter ou s'écarter, c'est vous.
Quand vous êtes sur les pistes cyclables "sécurisées", vous êtes en danger si vous vous croyez en sécurité. Méfiez vous des piétons distraits, et des portières qui s'ouvrent brutalement. Vous développerez vite un sixième sens, mais en attendant, prudence. L'excuse que vous entendrez sera invariablement la même : "je vous avais pas vu", alors que c'est justement ce que vous reprochez à celui qui vous le dira.
Soyez visibles. Un baudrier réfléchissant, c'est 10 euros, et ça marche sans pile. C'est mieux qu'un gilet, car en été, ça laisse passer l'air. Ayez des lumières allumées la nuit, électriques s'il le faut : les lampes à diodes consomment très peu (200 heures en mode clignotant) et sont visibles de loin, achetez vous des piles rechargeables.
Indiquez vos changements de direction, les automobilistes vous en sauront gré.
Les feux rouges. Ha, les feux rouges. Le casus belli avec les automobilistes, qui ne supportent pas l'idée que quelqu'un qui ne soit pas eux puisse les franchir. Là, soyons clairs. La plupart ne sont pas adaptés à une circulation cycliste et le respect pur et dur du code de la route vous mettra souvent en danger. Si le feu est équipé d'un sas à vélo (ça arrive) ET que les automobiles le respectent (ça n'arrive jamais), vous devez vous y arrêter. Mais les automobiles avancent toujours jusqu'à la ligne des feux sans respecter le sas vélo. Techniquement, d'ailleurs, ce faisant, elles grillent le feu rouge. Là, vous n'avez pas le choix : vous devez vous mettre au delà des automobiles pour qu'elles vous voient, surtout si elles peuvent tourner à droite alors que vous voulez aller tout droit. Mais en les devançant, vous empiéterez sur le passage piéton. Allez au-delà de ce passage également. Certains automobilistes vous lanceront un regard noir et pesteront sur le non respect du code de la route et regretteront qu'un agent ne soit pas là pour vous verbaliser sans se demander pourquoi diable il y a ces dessins de vélo sous leurs roues avant et sans se douter que cette juxtaposition leur fait encourir 750 euros d'amende, 3 ans de suspension de permis et devrait leur coûter 4 points de permis. Ainsi situé, vous aurez une longueur d'avance sur les automobiles qui ne pourront vous couper la route, et surtout, lors de leur démarrage, vous échapperez au nuage de gaz d'échappement émis par les moteurs en sur-régime pour ébranler la voiture.
Certains feux rouges peuvent être ignorés sans danger (je pense à ceux qui gardent les portails des cimetières) du moment que vous êtes sûr que pas le moindre piéton ne va s'engager sur la chaussée. Sinon, vous vous arrêtez. Il est inadmissible que des cyclistes franchissent à pleine vitesse un passage piéton ou des piétons sont engagés. C'est ce genre d'individus qui donnent si mauvaise réputation aux cyclistes.
D'autres en revanche, qui gardent des carrefours ou des places fréquentées (Concorde, Bastille, L'Etoile, République...), doivent impérativement être respectés (sauf si vous même allez tourner à droite). Débouler sur de tels croisements à l'improviste est incroyablement dangereux. Si vous ne tenez pas à la vie, respectez au moins la peinture des automobiles : des dents peuvent rayer un capot.
S'agissant des sens interdits : évitez les. Si votre destination n'est pas loin et que l'alternative est faire le tour du pâté de maison, le trottoir est une option à condition qu'il soit assez large et peu fréquenté ; auquel cas vous roulerez néanmoins au pas. Vous n'êtes plus sur votre territoire, vous vous devez de ne pas gêner les piétons. Sinon, devenez-le vous-même : pied à terre, à côté du vélo. Mais la chaussée est trop dangereuse. Votre présence surprendrait les automobilistes, et la seule chose plus périlleuse qu'un automobiliste surpris est le pare choc d'un automobiliste surpris.
Pour dépasser : les vélos se doublent par la gauche après un coup d'oeil derrière soi (un rétroviseur sur un vélo n'est pas un luxe en ville). Les automobiles ne se doublent pas, sauf en cas d'embouteillage, auquel cas vous les doublez par la droite, n'allez pas vous déporter au milieu de la route. Méfiez vous des voitures qui tourneront à droite, fiez vous plus à leur comportement (elles se déporteront sur la droite) qu'à leur clignotant.
Soyez polis. Souriez, vous profitez du grand air et du paysage. Remerciez les voitures qui vous cèdent le passage, même quand elles sont censées le faire (un geste de la main, ou de la tête, suffit). Signalez à des piétons qui vous regardent arriver apeurés à un feu rouge que vous allez vous arrêter et qu'ils peuvent s'engager.
Regardez autour de vous. Le décor, mais aussi la circulation. Ne faites pas de mouvement imprévisible par les autres, comme un brusque écart, c'est chercher les ennuis.
Faites confiance aux autres. La plupart des automobilistes, surtout les chauffeurs de taxi et les machinistes de la RATP, sont de bons conducteurs, qui maîtrisent leur véhicule et n'ont rien contre vous. Ils vous voient, et tiennent compte de votre présence dans leurs manoeuvres. Ce ne sont pas vos ennemis. Soyez prévisible, indiquez vos changements de direction, tenez votre droite. C'est ce qu'ils attendent de vous. Faites le et vous réaliserez vite que vous n'êtes absolument pas en danger.
La seule galère à vélo, c'est la crevaison. Mais désormais, si vous êtes pressé, Vélib' vous fournit le dépannage jusqu'à ce que vous puissiez venir réparer votre vélo. Pour le reste, ayez votre kit anti crevaison et une paire de gants en latex, et vous verrez que c'est un jeu d'enfant.
Donc si vous avez envie, laissez vous tenter. Sinon, je ne saurais vous en vouloir, et réjouissez vous de faire enrager les intégristes du vélo en mettant la clim.
Ce billet, écrit à 10:47 par Eolas dans la catégorie Le roi de la pédale
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