Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 7 décembre 2007

Assassine-t-on le Code du travail ?

J'ai été invité par plusieurs lecteurs à me pencher sur l'accusation que porte l'opposition contre le gouvernement de vouloir profiter de la recodification du Code du travail pour faire passer subrepticement des atteintes majeures aux droits de salariés.

Ces accusations étant relayées par des inspecteurs du travail, elles sont revêtues du sceau de l'autorité. Et si elles étaient avérées, ce serait fort grave, car il y aurait une véritable forfaiture du gouvernement.

Tout d'abord, qu'est ce que la recodification du code du travail ?

Désolé pour le barbarisme, mais il s'impose. Dans une louable volonté de clarifier le droit, les gouvernements successifs (et cela remonte à la IVe république, avec une nette reprise depuis la fin des années 80, et une nouvelle accélération depuis 1999) ont décidé de compiler des lois et décrets épars traitant d'un même sujet sous forme de codes. Le droit est inchangé, c'est simplement la loi n°tant de telle date qui devient le Code du Truc et du Bidule. On parle de Codification « à droit constant ».

Ne prenez pas cet air là. Je vous assure que le législateur est persuadé que changer un numéro d'article, et de substituer une date par un nom sans rien changer d'autre, ça simplifie. Et vous voulez voir jusqu'où il pousse sa volonté de simplifier jusqu'à l'incompréhensible ? Désormais, les codes ne commencent plus par un banal article premier, suivi d'un affligeant article 2[1]. Non. Un Code étant divisé en livres, titres et chapitres, chaque article commence par un numéro à trois chiffres, les centaines indiquant le numéro du livre, les dizaines celui du titre, et les unités celui du chapitre; suit un tiret et le numéro d'ordre dans la section. Par exemple, le mouvement insurrectionnel est défini à l'article 412-3 du Code pénal : il s'agit du 3e article du chapitre 2 ("Des autres atteintes aux institutions de la République ou à l'intégrité du territoire national") du titre premier (" Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation") du livre 4 (" Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique") du Code pénal. Alors qu'avant, c'était l'article 97 du code pénal. Ce n'était vraiment pas clair.

Ainsi, les nouveaux codes commencent tous au numéro 111-1. Car c'est plus clair comme ça. Ha, et pour simplifier encore plus, on ajoute devant le numéro une ou deux lettres qui indiquent si les dispositions relèvent du domaine de la loi organique (LO) loi (L), du décret en conseil d'Etat (R., pour règlement au sens de l'article 37 de la Constitution), du décret en Conseil des ministres (D), de l'arrêté ministériel (A) ou de la circulaire (C). Sauf dans le code pénal, car il n'y a pas de simplification digne de ce nom sans exceptions arbitraires.

Et c'est ainsi que la loi du 11 mars 1957 est devenue le code de la propriété intellectuelle par la loi du 1er juillet 1992 (ce qui n'empêche de nombreux éditeurs de promettre les dix enfers du Feng Du à ceux qui copieraient cette œuvre en violation de la loi de 1957), et que l'ordonnance du 2 novembre 1945 est devenue le Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) par l'ordonnance du 24 novembre 2004. Ordonnance, car une loi de 1999 permet au gouvernement, pour faciliter ce mouvement de codification, de procéder par ordonnances pour opérer ces codifications, à condition qu'elles soient à droit constant, c'est à dire qu'elles ne changent rien à l'état du droit. Une loi postérieure doit ratifier cette ordonnance, ce qui permet au parlement d'exercer un contrôle sur cette action du gouvernement.

Ce mouvement de "simplification" ne s'arrête pas là. Dans sa furie simplificatrice, des codes déjà existants sont recodifiés, c'est à dire qu'on réécrit les articles, on les découpe ou les recoupe, et on y inclut des lois autonomes que le législateur d'alors n'avait pas pris la peine d'intégrer dans un code. Ce fut le cas du Code de commerce en 2000, et c'est le cas du code du travail aujourd'hui. Attention : le code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994 n'est pas une recodification, c'était bien un nouveau code pénal, réécrit depuis le début (et une vraie réussite de simplification, hormis cette stupide numérotation à rallonge). Cette "simplification" consiste à réécrire le plan du code, à remplacer la numérotation par une numérotation à 4 chiffres (avec une division en partie au dessus du livre) et à couper les articles trop longs, ce qui fera passer le code de 1800 à 3500 articles. Ce travail de simplification, pour être parfaitement compris, s'accompagne d'un mode d'emploi... de 33 pages réalisé par le ministère du travail. Je vous jure que je n'invente rien.

Alors, ces prolégomènes étant enfin achevés, y a-t-il réforme sous couvert de codification à droit constant ?

Voyons les arguments présentés à l'appui de cette accusation.

Le blog "Un strapontin à l'Assemblée Nationale", tenu par un journaliste permanent auprès de la chambre basse, fait un très utile compte-rendu de la séance mouvementée (et qui a agacé Authueil) où le fer a été porté. Alain Vidalies, député du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, dit "ratissons large", député de la 1e circonscription des Landes, et avocat ce qui ne gâche rien, donne trois exemples, repris d'un argumentaire du syndicat FSU.

Il y en a deux qui, je le dis tout de gob, sont à la limite du ridicule.

La première : les dispositions sur le temps de travail passeraient de la partie consacrée à la santé du salarié à celle consacrée à la rémunération. C'est débattre de quelle étagère doit recevoir un bibelot. Le bibelot lui même reste inchangé.

La deuxième : dans la définition des compétences des inspecteurs du travail, on aurait remplacé les mots "inspecteurs du travail" par "autorité administrative compétente", ce qui désigne le directeur départemental du travail, qui ne bénéficie pas des garanties des inspecteurs du travail. Cette affirmation est erronée : il n'est que de lire les articles L.8112-1 et suivants du nouveau code du travail.

La troisième, qui est la seule vraiment juridique : le nouveau code distinguerait désormais entre les licenciements de moins de dix salariés et de plus de dix salariés pour faire bénéficier de la priorité au rembauchage. En effet, dans le cas d'un licenciement pour motifs économiques, le salarié licencié bénéficie s'il en fait la demande d'une priorité de rembauchage pendant un an : tout nouveau poste créé dans l'entreprise et compatible avec sa qualification doit lui être proposé en premier. Or dans le nouveau code du travail, les règles applicables aux licenciements pour motifs économiques de moins de dix salariés en l'espace de trente jours, et à ceux de dix salariés ou plus en trente jours ont été séparés en deux sections distinctes. Et la priorité de rembauchage est prévue à l'article L.1233-45 nouveau, qui figure dans la section consacrée aux licenciements "10+". Conclusion de l'honorable parlementaire : cette priorité ne s'applique plus aux licenciements de moins de 10 salariés, ce qui est un changement du droit.

Et là encore, ça ne tient pas. Car la section consacrée aux licenciements de moins de dix salariés contient un article L.1233-16 qui renvoie expressément à l'article L.1233-45 sur la priorité de rembauchage, qui s'y applique donc bel et bien.

L'opposition s'émeut encore de la transhumance d'environ 500 dispositions de la partie législative à la partie réglementaire, partie qui peut être modifiée par un décret du gouvernement. Là encore, il n'y a rien de scandaleux ni d'anormal. La constitution définit précisément le domaine de la loi (art. 34) et prévoit que tout ce qui ne rentre pas dans ce domaine relève du pouvoir réglementaire, c'est à dire du décret. Si une loi contient des dispositions qui relèvent en fait du décret, la disposition reste valable (alors qu'un décret qui empiète sur la loi est nul) mais sera traitée comme si elle avait été prise par un décret et pourra être modifiée par un acte réglementaire. C'est ainsi que le gouvernement Villepin avait escamoté à la va-vite la disposition traitant du rôle positif de la colonisation votée par un député qui aime son prochain s'il aime les femmes : il avait demandé au Conseil constitutionnel de constater que cette disposition était en fait réglementaire et non législative, puis l'avait abrogé par décret. Cette requalification est donc conforme à la Constitution ; ajoutons que l'accusation de vouloir les modifier discrètement par décret relève du pur procès d'intention, et qu'en outre cette requalification permettra à toute personne concernée, à commencer par les syndicats, de contester la légalité de ces modifications devant le Conseil d'Etat, ce qui est tout de même une meilleure protection que l'impuissance de l'opposition au parlement.

Bref, pour le moment, mais le débat reste ouvert, je n'ai pas découvert une modification du code du travail entre les deux textes.

Et, in cauda venenum, cette stratégie qui consiste à profiter de la complexité d'une réforme impossible à appréhender pour le grand public pour lui faire dire ce qu'elle ne dit pas et tenter d'effrayer l'opinion publique en affirmant que c'est la Géhenne, me rappelle de douloureux souvenirs référendaires. Et ça marche : les Don Quichotte habituels qui voient un géant dès lors qu'ils ne comprennent pas un texte ont déjà enfourché Rosinante...

Notes

[1] Seuls rescapés à ce jour : le Code civil, le code de procédure pénale et le code général des impôts.

jeudi 22 novembre 2007

Bilan rapide de la loi Hortefeux

Je viens de saccager d'annotations colorées mon beau CESEDA tout neuf (puisse Vincent Tchen qui me lit me pardonner, c'était un cas de force majeure), car la loi MIIA, dite loi Hortefeux, ou encore loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile est parue au JO d'hier et entrée en vigueur aujourd'hui. Comme je l'avais dit précédemment, les tests ADN n'ont été qu'un hochet médiatique qui a été très efficace.

La loi fait 64 articles. Ils sont numérotés de 1 à 65, mais le 63, celui des statistiques ethniques, a succombé sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel et a disparu corps et bien de la version publiée de la loi.

Comme d'habitude en la matière, il s'agit d'une loi modificative de textes existant. Autant dire que vous aurez beau lire la loi, vous ne pourrez pas comprendre ce qu'elle dit sauf à lire également le CESEDA. Pour rebondir sur un débat en commentaires, c'est exactement comme le traité de Lisbonne. C'est pratique, car cela permet de faire des coups en douce et de laisser l'opposition s'acharner sur un hochet.

Par exemple, les tests ADN.

S'agissant d'une création législative, il fallait inclure dans la loi toutes les règles relatives à ces tests. Cela facilite la mobilisation de l'opposition. C'est donc un amendement n°36 de l'amendeur fou qui a introduit le principe dans le texte :

« Toutefois, par dérogation aux dispositions de l’article 16-11 du code civil, les agents diplomatiques ou consulaires peuvent, en cas de doute sérieux sur l’authenticité ou d’inexistence de l’acte d’état civil, proposer au demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois d’exercer, à ses frais, la faculté de solliciter la comparaison de ses empreintes génétiques aux fins de vérification d’une filiation biologique déclarée avec au moins l’un des deux parents.

« Les conditions de mise en œuvre de l’alinéa précédent, notamment les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à des identifications par empreintes génétiques, sont définies par décret en Conseil d’État. »

Mobilisation médiatique, concert au zénith, des sénateurs motivés, et cela devient finalement l'article 13 de la loi :

« Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée.

« Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de grande instance de Nantes pour qu'il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.

« Si le tribunal estime la mesure d'identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en œuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa.

« La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d'identification autorisées par celui-ci sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l'Etat. (...)

Vous voyez la transformation. Ajoutons à cela les réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel, et vous verrez que quand Thierry Mariani se réjouit de l'adoption de son amendement, il est comme le père d'une fille à soldats enceinte qui assure qu'elle est encore pucelle.

Mais en tout état de cause, cet article est bien plus sexy à tout point de vue qu'un article comme l'article 25, par exemple :

L'article L. 221-3 du même code est ainsi modifié :

1° Dans le premier alinéa, les mots : « quarante-huit heures » sont remplacés par les mots : « quatre jours » ;

2° Le second alinéa est ainsi modifié :

a) La troisième phrase est supprimée ;

b) Dans la dernière phrase, les mots : « ou de son renouvellement » sont supprimés.

Allez me remplir un Zénith avec ça... Je n'oserais même pas inviter Emanuelle Béart à s'émouvoir avec moi.

Et pourtant, je dois confesser que cet article me contrarie un peu plus que les tests ADN.

Tenez, voici cet article L. 221-3. Les parties supprimées sont rayées, les parties ajoutées sont en gras. Nous sommes dans l'hypothèse d'un étranger qui arrive à la frontière française et aussitôt se jette dans les bras des policiers pour demander l'asile politique. Face à ce dément dangereux qui croit être arrivé dans une terre accueillante, aussitôt, la police lui refusera l'entrée en France, et le parquera dans une zone d'attente. Il est privé de liberté, par une décision d'un policier.

Article L. 221-3 : Le maintien en zone d’attente est prononcé pour une durée qui ne peut excéder quarante-huit heures quatre jours par une décision écrite et motivée d’un agent relevant d’une catégorie fixée par voie réglementaire.
Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l’état civil de l’intéressé et la date et l’heure auxquelles la décision de maintien lui a été notifiée. Elle est portée sans délai à la connaissance du procureur de la République. Elle peut être renouvelée dans les mêmes conditions et pour la même durée. Lorsque la notification faite à l’étranger mentionne que le procureur de la République a été informé sans délai de la décision de maintien en zone d’attente ou de son renouvellement, cette mention fait foi sauf preuve contraire.

Je vous rappelle qu'un assassin d'enfants ne peut être retenu par la police que 24 heures, durée renouvelable une fois avec l'autorisation préalable d'un magistrat, durée à l'issue de laquelle il devra avoir été vu par un magistrat qui décidera de son sort dans les 20 heures. Donc 68 heures maximum, avec deux interventions d'un magistrat. Un homme qui n'a rien fait hormis demander sa protection à la France sera privé de liberté 96 heures par simple décision policière sans avoir vu l'ombre d'un magistrat, le procureur étant juste informé de cette mesure, par un simple coup de téléphone généralement, procureur qui n'aura ni le temps ni les moyens de s'interroger sur son bien-fondé. Même le crime organisé est mieux traité. Il faut choisir ses priorités, c'est ce que fait le législateur.

Certes, avant, c'était 48 heures renouvelables, maintenant, c'est directement quatre jours. N'empêche. Le message est clair.

Au bout de ces quatre jours, il sera enfin présenté à un juge, le juge des libertés et de la détention, qui pourra le maintenir huit jours en zone d'attente, durée renouvelable une fois pour un maximum de 20 jours.

Et pourquoi ce dangereux énergumène est-il ainsi privé de liberté ? Pour qu'il puisse déposer sa demande... de demande d'asile. En effet, puisqu'il n'a pas été admis à entrer sur le territoire, il ne peut effectuer de demande d'asile auprès de l'OFPRA. Il s'agit donc pour les autorités administratives de décider s'il faut le laisser entrer en France pour qu'il puisse présenter sa demande d'asile, bref si cette demande est manifestement infondée ou non. Jusqu'à il y a peu, si l'administration considérait que la demande était manifestement infondée, c'était le retour direct au pays. Sans aucun recours possible. Avec une place assise tous conforts. France, terre d'asile.

La France a donc eu l'honneur de se faire condamner par la cour européenne des droits de l'homme : CEDH, 26 avril 2007, AFFAIRE GEBREMEDHIN [GABERAMADHIEN] c. FRANCE, n°25389/05 pour cette absence de recours effectif contre une décision qui peut avoir pour conséquence de l'envoyer à la mort alors qu'aucun juge n'aura jamais eu connaissance de ce dossier. A ce sujet, je relève l'argumentation en défense du gouvernement (§66) :

le Gouvernement soutient notamment que le recours requis n'a pas à être suspensif de plein droit : il suffirait qu'il ait un effet suspensif « en pratique ». Or tel serait le cas de la saisine du juge administratif des référés, puisque les autorités s'abstiendraient de procéder à l'éloignement avant que ledit juge ait statué.

C'est un mensonge. J'ai assez de preuves dans mes dossiers de réacheminements (c'est le terme consacré) d'étrangers non-admis après ma saisine du tribunal administratif en référé et avant l'audience pour savoir que cette soi-disant abstention de procéder à l'éloignement, c'est du vent. D'ailleurs, le demandeur, et l'ANAFE qui était intervenue au procès ont contesté cette affirmation, qui n'a pas été retenue par la cour. Au-delà du sentiment de malaise de voir la France mentir à la cour européenne des droits de l'homme pour se défendre, vous avouerez une chose : si le gouvernement ment sur ce point, c'est qu'au fond, il sait que ses pratiques sont contraires aux droits de l'homme, mais préfère les dissimuler plutôt que les changer.

C'est en France, c'est aujourd'hui. Et on vous parle des tests ADN...

A la suite de cette condamnation, la France n'a eu d'autre choix que de modifier sa législation, d'autant plus que les JLD de Bobigny, invoquant cette jurisprudence, ordonnaient systématiquement que les étrangers soient admis à entrer en France pour éviter une violation de leur droit à un recours effectif. Et Bobigny, c'est Roissy Charles de Gaulle...

Et la vengeance de la France est terrible.

Un recours suspensif contre la décision rejetant la demande de demande d'asile comme manifestement infondée est désormais possible et il est suspensif. Il doit être exercé dans les 48 heures de la décision, et doit être motivé, et rédigé en Français. La décision tombe un vendredi soir ? Bonne chance pour trouver un avocat et un interprète : vous avez jusqu'au dimanche soir. Le recours doit être examiné dans les 72 heures par un juge du tribunal administratif (ça tombe bien, ils ont du temps libre pour le contentieux des étrangers). Et last but not least : si le refus d'admission sur le territoire tombe à la fin du délai légal de privation de liberté (soit 20 jours), et que l'étranger ose exercer un recours alors qu'il lui reste 4 jours ou moins de privation de liberté, sa privation de liberté est automatiquement prorogée de 4 jours. Raffinement dans la perversion : en demandant à être remis en liberté, il signe sa privation de liberté pour quatre jours supplémentaires (article L.222-2 du CESEDA).

Alors récapitulons : nous avons une autorité policière habilitée à priver de liberté quatre jours sans contrôle effectif de l'autorité judiciaire ni voie de recours. Nous avons un recours suspensif à former dans un délai très bref (48 heures), en français et qui doit être motivé, c'est à dire qui doit indiquer les arguments soulevés à l'encontre du refus d'entrée en France, recours dont l'exercice peut avoir pour effet automatique d'allonger de quatre jours une privation de liberté, là aussi sans contrôle du juge ni recours. Tiens, on pourrait se demander si tout cela est bien conforme à la Constitution.

On aurait pu.

Mais les parlementaires qui ont saisi le Conseil constitutionnel n'ont pas jugé bon de s'interroger là-dessus. Ils n'ont concentré leurs critiques que sur les tests ADN et les statistiques ethniques. Voyez le recours des députés, et celui des sénateurs, qui sont identiques au mot près, et d'une indigence juridique qui ferait honte à des étudiants en droit de première année.

Les hochets ont bien servi.

Et à part ça ?

Ho, trois fois rien.

Les magistrats administratifs et judiciaires qui siégeaient dans les Commissions du titre de séjour, qui doit rendre un avis quand un préfet envisage un refus de renouvellement de titre dans des cas graves, disparaissent. Pas besoin de juristes, ces empêcheurs de reconduire en rond. Désormais, ces commissions sont composées d'un maire et de deux personnalités "qualifiées" sans autre précision, choisies discrétionnairement par le préfet, donc forcément majoritaires. Hop, un souci de moins. (art. L.312-1 du CESEDA).

Les parents proches (parents, conjoint, enfants), âgés de plus de 16 ans et de moins de 65 ans, d'un étranger résidant régulièrement en France qui veulent le rejoindre devront d'abord passer un examen de français et de connaissance des valeurs de la République (pourquoi un demandeur d'asile doit être enfermé, alors qu'un maire de Paris peut taper dans la caisse et devenir président de la République, tout ce qui fait qu'on est un pays civilisé, quoi). S'il le rate, il devra suivre une formation de deux mois maximum et repasser l'examen. Bref, le retour des pères blancs. On va vous faire entrer dans l'histoire de gré ou de force, c'est moi qui vous le dis.

Ha, oui. Et les tests ADN, bien sûr.

vendredi 26 octobre 2007

Et ça fait quoi, un procureur ?

Troisième et dernier volet de notre saga. Sautons directement au cœur du récit.

Le vice-procureur Parquetier arrive tôt, comme tous les jours où il est en charge du traitement en temps réel. Il y a toujours de l'imprévu, et la fin de matinée est toujours surchargée. Autant profiter du calme de début de matinée pour traiter les premiers dossiers.

D'abord, saluer les greffières. Elles aussi vont passer une rude journée. Première tasse de café, et coup d'œil à la pile des dossiers. Il y en a déjà quelques uns. Qui les a traité... Ha, c'est Lincoln. Bon, il ne devrait pas y avoir trop de surprises. Qui compose le tribunal cet après midi ? Le président est le juge Gascogne. Ouille. Pas commode celui-là. Il aime autant taper sur les avocats que sur les procureurs. Quoique... Depuis quelques mois, il est devenu plus zen. Premier assesseur... Dadouche. Sympa, mais il ne faut pas lui casser les pieds. Deux juges d'instruction. Il va falloir être vigilant sur les procédures. Et un juge de proximité pour compléter. Hé ! Hé ! Le président adore les juges de proximité, les délibérés vont être animés.

Allez, hop, au bureau.

Veste posée sur le porte manteau : l'agitation donne chaud.

Premier dossier : affaire Boullu. Conduite en Etat d'Ivresse. Premier relevé : 0,46mg. Deuxième : 0,47mg. Profession... Artisan marbrier. Donc besoin de conduire. Allez, en Ordonnance pénale. On va demander le tarif « petite ivresse » : 500 euros d'amende, suspension de trois mois. Il doit bien avoir un apprenti ou en employé qui conduit. Pas de prison avec sursis, il n'a pas de casier, c'était un petit dépassement.

Hop, dans le casier Ordonnance pénale.

Deuxième dossier : Affaire Ladrón. ILE, vol, recel, recel, recel. Je prends.

« Allô, madame le greffier ?

« - Monsieur le procureur ?

« - Vous pouvez m'appelez un interprète en espagnol pour une comparution immédiate cet après midi ?

« - C'est fait. Monsieur Tapioca est en route.

« -Parfait, merci. »

In Petto : Alors voyons. La saisine... Les policiers sont appelés par le personnel du Mac Quick de la place Georges Rémi pour un vol commis dans l'établissement... Le voleur a été repéré par un client, qui s'en est saisi. La police arrive 5 minutes après, pas de coups, pas de fouille par les vigiles du restaurant... Il est conduit aussitôt auprès de l'OPJ de permanence. Notification des droits dans la foulée. Prolongation... Voici le fax envoyé par Lincoln, dans les temps. La procédure est bonne.

Alors, sur les faits. Le vol est établi. Il s'est emparé du portefeuille, l'a sorti du sac, c'est un vol, pas une tentative. On a un témoin, il a été entendu... Le prévenu nie les faits, il a jeté le portefeuille par terre et a prétendu qu'il était tombé...Ben voyons.

Les recels... Deux téléphones portables, un ticket restaurant... Quoi ? Un ticket restaurant de 7 euros ? Décidément... Allez, qui vole un oeuf recèle un boeuf.

Ensuite, sur les téléphones... Réquisition aux opérateurs, qui ont donné les coordonnées des propriétaires... Ils ont été entendus... Allons bon, le premier dit qu'il avait perdu son téléphone et n'avait pas signalé la perte, s'agissant d'un téléphone mobicarte. Pas de vol, pas de recel.

Mais... Mais... Par le MBA de Rachida Dati ! Le deuxième propriétaire aussi déclare que c'était une perte. C'est sa fille qui l'avait perdu dans le bus. Perdu, mon oeil, oui. Mais du coup, je n'ai rien pour les deux recels.Et deux réquisitions judiciaires facturées pour rien, deux.

Et le ticket restaurant ? Ils ont appelé la société okké, qui émet ces titres. Encore une réquisition judiciaire. C'était des tickets de la société Mondass Assurance. La société a indiqué qu'un de leurs employés, Séraphin Lampion, s'était fait voler son carnet de tickets restaurant au marché aux puces. Il avait déposé plainte, la copie est annexée. Bon, j'ai de quoi caractériser le recel du ticket restau.

(Soupir)

J'adore quand un dossier se déballonne. Un portefeuille restitué, un ticket restaurant de 7 euros, restitué aussi. Ha, il a fière allure, mon dossier. Je vais encore me prendre de l'ironie du président Gascogne.

Ha, oui, il y a l'ILE, aussi. Entré sans visa, il y a trois ans, aucune démarche en cours pour sa régularisation, pas de famille en France. L'ILE est caractérisée. On va poursuivre sous cette qualification pour pouvoir demander une interdiction du territoire comme peine complémentaire, elle n'est pas prévue pour le vol ni le recel.

Attends un moment... Il a quel âge ? 19 ans. Donc il est arrivé à 16 ans ? Il n'y a pas un truc pour les mineurs dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ? Flûte, il faut que je vérifie.

Ha, voilà, article L.313-11, 2bis. Il aurait fallu qu'il soit confié à l'ASE, et il aurait eu droit à sa carte. Mais on lui a dit de se cacher des autorités, et voilà, c'est trop tard. J'adore ce dossier.

Dring dring.

« -Monsieur le procureur, l'interprète est arrivé, et Monsieur Ladrón est au dépôt.

« - Merci. Le B1[1] est arrivé ? »

« - A l'instant. Il est néant. »

In Petto : Primodélinquant. Ha, oui, le président Gascogne va adorer.

« - Merci. Vous me faites monter Monsieur Ladrón ?

« - Bien Monsieur le procureur. »

Quelques minutes plus tard, entre un jeune homme, menotté, escorté d'un policier.

« - Bonjour Monsieur, asseyez-vous.

« - Sientese aqui, por favor.

« - Bonjour Monsieur l'interprète. Alors vous vous appelez Ramón Ladrón Hurtero, vous êtes né le 31 juillet 1988 à Alcazaropolis, au San Theodoros.

« - El fiscal le pregunta si usted se llama Ramón Ladrón Hurtero, nacido el treinta y uno de julio del ochenta y ocho, en Alcazaropolis.

« -Si. »

In Petto : Concentre-toi sur ce que dit l'interprète, sinon, tu vas avoir une migraine avant l'audience.

« - Vous avez été arrêté pour un vol de portefeuille, et d'avoir recelé deux téléphones portables et un ticket restaurant. Qu'avez-vous à me dire sur ces faits ?

« - Sur le vol du portefeuille, il dit que c'est bien lui, il avait besoin d'argent pour manger.

« - Ha, vous reconnaissez donc ?

« -Si.

« - Parce que ce n'est pas ce que vous aviez dit à la police.

« - Il dit qu'il avait peur, les policiers criaient très fort.

« - Bon je note : Je reconnais le vol du portefeuille. Et sur les téléphones ?

« - Il dit qu'il les a acheté 20 euros chacun dans la rue des Frères Loizeau.

« - Quartier mal famé. Vous devriez peut être garder votre argent pour vous acheter à manger plutôt qu'acheter des téléphones portables. Et le ticket restaurant ?

« -Il dit que c'est un individu qui en distribuait à des amis rue des frères Loizeau, et qu'il lui en a demandé un.

« - Et pourquoi vous n'avez pas utilisé le ticket restaurant plutôt que voler un portefeuille ?

« -Il dit que c'était une bêtise et qu'il regrette.

« - Je note : C'était une bêtise et je regrette. Pour le ticket restaurant, on me l'a donné dans la rue. Bon, Monsieur, vous allez passer devant le tribunal cet après midi pour être jugé. vous voulez un avocat ou vous voulez vous défendre tout seul ?

« - Il veut un avocat.

« - Vous avez un avocat ou vous en voulez un commis d'office ?

« - Il dit qu'il n'a pas d'argent.

« - Un avocat commis d'office, c'est un avocat gratuit.

« - Alors il veut l'avocat gratuit.

« - Très bien. Il va aller voir un enquêteur de personnalité, puis il rencontrera son avocat. Merci, monsieur l'interprète.

« -Gracias, Señoria. Adios.


Laissons le vice-procureur Parquetier tranquille pour qu'il finisse ses dossiers, et retrouvons le l'après midi même. Il a revêtu sa robe et est assis dans le prétoire, au bureau réservé au procureur, sous la fenêtre, sur l'estrade, à côté du tribunal. Le box des prévenus lui fait face, la porte s'ouvrant régulièrement pour amener le stock des prévenus en emmener ceux qui ont été jugés.

Le président demande à l'huissier d'appeler la première affaire.


L'huissier annonce « Dossier numéro 4, Ladron, Ramon ». L'interprète se place à la hauteur du prévenu. Le président tend le dossier au juge de proximité, qui a préparé ce dossier.

Le juge constate l'identité du prévenu, rappelle la prévention. Froncement de sourcil du président, il a l'air de ne pas comprendre quelque chose. Il doit être en train de se dire « Tiens ? IL n'y avait pas une histoire de téléphones portables, dans ce dossier ? »

Le juge attaque les faits, mais est aussitôt coupé par le président qui lui murmure quelque chose à l'oreille.

Le pauvre rougit et bredouille, avant de demander au prévenu s'il accepte d'être jugé tout de suite pendant que le président lève les yeux au ciel. Les juges de proximité et la procédure...

Pendant ce temps, le prévenu regarde son avocat d'un air interrogatif. Bon sang, ils ne briefent pas leurs clients avant l'audience sur le fait qu'on va leur poser cette question ?

Bon, il est d'accord. Le juge de proximité reprend son résumé des faits, qui est rapide. Récit de l'arrestation, déclarations en garde à vue, et l'identification du propriétaire des tickets restaurant.

La parole est donnée au prévenu, qui renouvelle ses aveux sur le vol, et maintient qu'on lui a donné le ticket restaurant. Le président demande à la salle s'il y a des parties civiles. Silence. Petit regard en coin vers le procureur. « Ce n'est guère étonnant... ».

In Petto : Oui, je sais, on a audiencé un dossier à sept euros de préjudice, le recel des téléphones nous a claqué dans les doigts...

« Des questions ? »

C'est d'abord au procureur. Il se lève et demande au prévenu :

« Mais vous pensiez que ce monsieur qui distribuait ces tickets restaurants s'était rendu rue des frères Loizeau pour distribuer gratuitement ses tickets restaurants comme ça, par bonté d'âme ?

« -Non, traduit l'interprète, s'ils étaient à lui, il les aurait gardé pour manger. Et puis c'est réservé à ceux qui ont un travail, ça.

« - Pas d'autre question. »

In Petto : Hop, trop facile. Coup d'oeil à l'avocat du prévenu. Il secoue la tête, accablé. Hé oui, son client vient de reconnaître le recel. Il n'a pas de question. Hé. Hé. Tu m'étonnes.

« Monsieur le procureur, vous avez la parole pour vos réquisitions. »

In Petto : Bon, vu le dossier et le profil, on ne va pas être méchant. C'est un dossier qui en fait aurait dû en rester au traitement administratif par un arrêté de reconduite à la frontière, on va le remettre sur les rails qu'il n'aurait pas dû quitter...

« Inutile de s'étendre longuement sur ce dossier, qui est d'une simplicité diaphane. Le vol est établi et reconnu par le prévenu ; quant au recel du ticket restaurant, il est établi par le fait que le prévenu reconnaît qu'il savait que ce généreux mécène n'était pas le propriétaire des tickets restaurants. La jurisprudence exige que le receleur sache que le bien recelé provient d'une infraction, mais il n'a pas à connaître la nature exacte de l'infraction principale. Cette infraction, nous la connaissons : c'est le vol dont a été victime Monsieur Lampion. Enfin, le prévenu est entré sans visa, et n'est pas muni d'un titre de séjour, ce qui constitue le séjour irrégulier.

« En conséquence, vous déclarerez le prévenu coupable des trois préventions.

« S'agissant de la peine, eu égard au fait que le prévenu n'a aucun condamnation à son casier, que le préjudice a été réparé par la restitution des objets volés et recelés, je demande simplement une interdiction du territoire français d'une durée de trois ans à titre principal. Le prévenu étant sans domicile fixe et en situation irrégulière, une remise en liberté reviendrait à ce que l'infraction de séjour irrégulier continue à être commise. En conséquence, je demande que l'interdiction du territoire soit assortie de l'exécution provisoire, ce qui entraînera de plein droit son placement en centre de rétention. »

Voyons ce que l'avocat trouve à redire... ? Bon, tout va bien : il lit la lettre de Guy Môquet.

« - Monsieur le procureur...

Un avocat s'est glissé près du bureau du procureur.

« - Bonjour Maître...

« - Je suis dans le dossier Grobeauf, uméro 11, les violences conjugales...

« - Oui ?

« - Tenez, voici des conclusions en nullité que je soutiendrai tout à l'heure, et des pièces, des justificatifs du travail de mon client, bulletins de salaire, contrat de travail.

In Petto : Hé oui, on n'a pas peur de cogner sa femme mais on a peur de perdre son boulot... Bah, je comptais demander un sursis avec mise à l'épreuve pour que Monsieur aille habiter un peu ailleurs, pas l'envoyer en prison pour qu'il perde son boulot. Par contre, il va falloir lire ces conclusions et y répondre, tout en suivant les débats du dossier. Bon, le président met l'affaire Ladrón en délibéré à la suspension d'audience. L'après midi va être longue...


Épilogue : Ramón Ladrón sera condamné à une interdiction du territoire d'une durée de trois ans, avec exécution provisoire. L'audience se terminera à 22 heures 10. 16 dossiers auront été jugés.

Notes

[1] Bulletin numéro 1 du casier judiciaire. C'est le relevé le plus complet, réservé à la justice. Il est géré par un service situé à Nantes, qui répond par fax aux demandes urgentes de toute la France.

mardi 2 octobre 2007

Enfin un vrai Code des étrangers...

Je viens de recevoir la nouvelle édition du Code de l'Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile (CESEDA), publié par LITEC.couverture du code

C'est l'héritier des éditions antérieures, de la collection "Juriscode", dont l'organisation interne ne m'avait jamais paru satisfaisante (surtout avant la codification, où l'index renvoyait aux articles selon une classification absconse entre "texte pertinent" et "texte leader" qui n'en faisait pas un outil de travail très pratique).

Grand coup de balai, pour un résultat très heureux : cette fois, c'est un vrai code, similaire aux Code civil, Code pénal, Code de procédure pénale édités par la maison aux codes bleus. Les articles de la partie législative, puis réglementaire, avec en dessous les annotations de jurisprudence et commentaires pertinents de Vincent Tchen et Fabienne Renault-Malignac, suivi d'annexes où se trouvent les autres textes utiles au droit des étrangers (Convention européenne des droits de l'homme, accord Franco-Algérien de 1968, textes communautaires...) avec cette organisation à laquelle nous sommes habitués.

Réduction de format aussi, qui le rend plus aisément transportable : on passe du Juriscode 24x16 cm, 1400 pages, au format Code 19,5 X 14cm, 1500 pages.

Par contre, ce Code est loin d'être abordable : 73 euros, pour un Code qui ne sera plus à jour dans quelques semaines. Il demeure que c'est un support indispensable pour tous les praticiens de la matière, avocats bien sûr, mais aussi pour les associations intervenant dans le domaine.

Vous pouvez y aller, il est Eolas approved.

NB : Gros errata tout de même : à l'article L.511-1, il manque le premier alinéa du II, ainsi rédigé :

II. L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants :

Cet oubli cause un vrai problème de compréhension du texte, la liste des cas où un APRF peut être pris apparaissant directement sous la liste des cas où le préfet peut prendre une OQTF. A vos crayons pour rectifier.

  • Editeur : Litec; Édition : édition 2008 (sorti le 5 septembre 2007)
  • Collection : Codes LITEC
  • ISBN-10: 271100905X
  • ISBN-13: 978-2711009053

Full disclosure : j'ai acheté mon Code avec mes sous à moi, je ne connais pas Vincent Tchen autrement que par la lecture assidue de son excellent blogue, je n'ai pas été sollicité pour faire cette promotion, qui est spontanée et traduit ma satisfaction face à ce nouveau code que j'attendais depuis longtemps. Cela dit, si les Editions Litec veulent m'offrir l'inévitable édition 2009 mise à jour des deux ou trois lois qui seront votées d'ici là, qu'elles n'hésitent pas, j'en ferai un excellent usage.

dimanche 23 septembre 2007

On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs

Un peu passé inaperçu, l'avis du 7 septembre dernier (pas de lien direct, il faut faire défiler la liste) du Défenseur des Enfants (qui est une autorité instituée par la loi du 6 mars 2000 et dont le rôle est de veiller au respect des droits des enfants au besoin en saisissant les autorités administratives et judiciaires compétentes) relève que le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, tout juste adopté par le parlement, viole la Convention Internationale des Nations Unies sur les Droits de l'Enfant (CIDE). Et par trois fois, s'il vous plaît.

Des conditions de ressources pour obtenir le regroupement familial (art 2 du projet de loi)..

L’article 2 du projet de loi énonce que les parents demandeurs au regroupement familial devront justifier d’un montant de ressources « au moins égal au SMIC, et au plus égal à ce salaire majoré d’un cinquième » (soit entre 1280 et 1536 euros brut), selon la taille de la famille. S’il est légitime de se préoccuper des conditions matérielles dans lesquelles les enfants vont se trouver après le regroupement familial, cette nouvelle exigence a pour conséquence de contrevenir aux articles 9 et 10 de la CIDE, en empêchant certains enfants de retrouver rapidement leur(s) parent(s) alors qu’il s’agit de « leur intérêt supérieur ».

Cette disposition du projet de loi exige en effet des familles étrangères qui demandent à être réunies avec leurs enfants des conditions de ressources qui seront, dans un certain nombre de situations, difficiles à réunir. Rappelons que 11,7 % de la population métropolitaine vit en dessous du seuil de pauvreté, soit 788 euros par mois : parmi elle, 20% des familles vivant en France avec 3 enfants se trouvent d ans ce cas de figure (chiffres de l’INSEE). 1.

Cette disposition relative aux conditions de ressources pour obtenir le regroupement familial est donc contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant dans la mesure où elle ferait obstacle dans bon nombre de cas au « droit de l’enfant à ne pas être séparé de ses parents ».



  • Création d’un contrat d’accueil et d’intégration pour la famille, comportant une formation sur les droits et devoirs des parents en France dont le non-respect peut entraîner la saisine du Président du Conseil Général avec des conséquences possibles en terme de suspension de mise sous tutelle des prestations familiales (article 3 du projet de loi).

    L’initiative d’une formation sur les droits et devoirs des parents peut être intéressante pour faciliter l’intégration des familles. Toutefois, elle aurait pu faire l’objet d’un volet supplémentaire dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration individuel que chaque parent signe par ailleurs.

    Par contre, le texte prévoit qu’en cas de non-respect par les parents des stipulations de ce contrat, le Préfet pourrait saisir le Président du Conseil Général, sur la base de l’article L. 222-4-1 du code de l’action sociale et des familles. Ce dernier pourrait alors proposer un contrat de responsabilité parentale ou toute autre aide sociale avec des conséquences possibles en terme de suspension ou de mise sous tutelle des prestations familiales.

    Or, l’article L. 222-4-1 prévoit la saisine du Président du Conseil Général en cas de « difficulté liée à une carence de l'autorité parentale ». Le fait que les parents ne suivent pas une formation sur leurs droits et devoirs ne saurait en aucun cas être assimilé à une carence de l’autorité parentale.

    En conséquence, il n’y a pas de raison de saisir le Président du Conseil Général sur la base de l’article L. 222-4-1 au seul motif que les parents n’auraient pas respecté la formation prévue par le contrat d’accueil et d’intégration « famille ».



  • Obligation pour le mineur de 16 à 18 ans de justifier dans son pays d’origine, préalablement au regroupement familial, d’une évaluation de sa connaissance de la langue française et des valeurs de la République, et en cas d’insuffisance de suivre une formation d’une durée maximale de deux mois (article 4 du projet de loi).

    Cette formation, qui serait dispensée gratuitement par les réseaux des centres culturels et des Alliances françaises à l’étranger, comporterait des frais de dossier. Or, il est peu probable que des jeunes gens, déjà fragilisés par l’absence de leurs parents, puissent, s’ils vivent loin de la capitale de leur pays, subvenir à leurs besoins pendant plusieurs semaines pour suivre cette formation et s’acquitter des frais de dossier exigés. Cette obligation risque de plus, de les mettre en situation de danger durant cette période, s’ils se retrouvent isolés et sans entourage familial.

    Cette disposition est donc en contradiction avec l’article 9 de la CIDE, dans la mesure où elle introduit un obstacle à l’intérêt supérieur d’un mineur de rejoindre rapidement ses parents. Il serait plus adapté de prévoir une mise à niveau de la connaissance de la langue française à l’arrivée sur le territoire français dans un environnement familial sécurisant.

  • Et pour ceux qui ne voient dans ceux qui éprouvent un tant soit peu de compassion pour les étrangers que des gauchistes inconséquents, Madame Dominique Versini a été désignée à ce poste en juin 2006 par le président Chirac après avoir fait toute sa carrière politique au RPR.

    Monsieur Etienne Pinte n'a pas le monopole du coeur et de la conscience à droite.

    Mais je vous rassure, chacune de ces dispositions a bien été conservée dans le texte définitif adopté 12 jours plus tard.

    Mesdames, Messieurs les sénateurs, la balle est dans votre camp. Montrez la voie de la sagesse à ces jeunes excités des bords de Seine, et prouvez ainsi que les plus sourds des parlementaires ne sont pas ceux qu'on croit.

    vendredi 21 septembre 2007

    Prix Busiris à Monsieur Eric Ciotti

    Bravo à Monsieur le député de la première circonscription des Alpes Maritimes. Au-delà de la puissante nausée qu'il a contribué à m'infliger, sa participation aux débats de l'infâme amendement 69 lui vaut ce prix qui récompense un des plus beaux mauvais traitements infligés au droit et à la simple raison entendu depuis longtemps dans cette enceinte, qui en a pourtant ouï de belles. Eric Ciotti, photo Assemblée nationale Je vous rappelle les critères d'attribution du prix : une affirmation juridiquement aberrante, contradictoire, teintée de mauvaise foi et mue par l'opportunité politique plus que par le respect du droit.

    Cette récompense a été attribuée à l'unanimité des voix et au premier tour de scrutin, pour les propos tenus lors de la troisième séance du mercredi 19 septembre 2007 (que je restitue sans les interruptions pour lui conserver sa pureté, les gras sont de moi) :

    M. Éric Ciotti. Le groupe UMP est très favorable à l’amendement n° 69… [Réduisant d'un mois à quinze jours le délai de recours devant la Commission des Recours des Réfugiés, NdR] (…) parce que notre pays se caractérise par sa tradition d’accueil de tous ceux qui souffrent et qui sont victimes, dans leur pays d’origine, d’atteintes à leur intégrité de par leur opinion politique ou leur statut. Cette vocation universelle de notre pays à faire de son sol un lieu d’accueil pour tous ceux qui sont martyrisés dans leur pays doit être réaffirmée, et ce texte y contribue. Les dispositions qui ont été introduites dans ce projet de loi vont dans ce sens et renforcent le caractère intangible de cette vocation, auquel, tout comme vous, nous sommes attachés.

    Voici déjà l'affirmation juridiquement aberrante et contradictoire : Diviser par deux le délai de recours contribue à réaffirmer la vocation universelle de la France à faire de son sol un lieu d'accueil pour ceux qui sont martyrisés.

    Mais pour que ce droit d’asile, pour que cette vocation universelle de la France demeure, il faut que ces demandes d’asile ne soient pas dévoyées. Or vous savez que, malheureusement, la demande d’asile a, au cours des années écoulées, souvent été l’objet de détournements et a fréquemment servi de vecteur à une immigration ne correspondant pas au statut de réfugié. Les dispositions adoptées depuis 2003 ont diminué le délai moyen de recours de vingt mois à quatorze mois en 2006. La France est le pays d’Europe qui possède la législation la plus généreuse en termes d’accueil. Et c’est bien. Nous nous en félicitons et nous nous en réjouissons, mais nous estimons aussi qu’il y a aujourd’hui une obligation d’harmonisation avec la législation européenne.

    Monsieur le député nous gâte, en voici une deuxième. La France a la législation la plus généreuse en la matière (ce qui est faux, l'Espagne fait mieux, mais passons), et c'est bien, youpi, mais en fait non, car il faut harmoniser notre législation avec les pays les moins généreux. Car l'harmonisation, c'est plus important que ce qui est bien et dont il faut se réjouir. En prime, le député sous entend que les vrais demandeurs font leur recours en quinze jours, et les fraudeurs en trente, ce qui serait un critère pertinent pour les distinguer et éliminer les seconds.

    Nous l’avons évoquée tout à l’heure à propos des tests ADN. Comment pouvoir prétendre, là encore, que la Grande-Bretagne, qui prévoit un délai de recours de dix jours et n’est pas pour autant caractérisée par un régime liberticide, devrait avoir une obligation plus forte que la France en ce domaine ? Nous sommes attachés à cette harmonisation.

    En plus, vous le savez, nous serons confrontés à partir du 1er janvier 2008, du fait de l’aide juridictionnelle qui va entrer en vigueur pour les demandeurs d’asile, à une augmentation des recours. (...) C’est naturellement une bonne chose. (...) Cela va mécaniquement conduire à une augmentation des délais d’instruction des demandes d’asile. Le gain de temps – j’espère que vous vous en félicitez, monsieur Braouezec – que nous avions obtenu au cours de ces dernières années, notamment grâce à l’action du ministre de l’intérieur de l’époque, et qui allait dans le sens du renforcement du statut du demandeur d’asile, risque d’être perdu à partir du 1er janvier 2008. La réduction du délai de recours que proposent M. Mariani et M. Cochet est donc tout à fait pertinente, et nous la soutenons.

    Et de trois, et à deux heures du matin, quelle santé ! Reprenons : Nous allons (enfin) accorder l'aide juridictionnelle aux demandeurs d'asile. Et c'est bien. Cela va les aider à présenter leurs recours. Et c'est bien. En plus, nous renforçons leur statut, et c'est bien. Mais du coup, ça va augmenter le nombre des recours. Car avant, on avait plein de demandeurs d'asile qui ne pouvaient pas exercer de recours faute d'argent, de connaître un avocat ou de parler la langue. Maintenant, ils vont pouvoir le faire. Et ça c'est mal, car les délais de traitement augmentent. Et le délai de traitement, c'est comme l'harmonisation, c'est plus important que la vocation universelle de la France à accueillir sur son sol les victimes des tyrans. Donc il faut compenser cette facilité en instaurant une difficulté supplémentaire.

    Voilà qui en prime apporte la mauvaise foi. L'opportunité politique est enfin démontrée par le petit coup de langue sur "le ministre de l'intérieur de l'époque" qui a fait du si bon travail, ha, comme il nous manque, quelqu'un sait où il est passé ?

    Félicitations pour votre prix, votre prestation contribue à réhausser encore sa valeur et sa nécessité.

    jeudi 20 septembre 2007

    La nausée

    Je suis dans une colère noire. Il faut que je me retienne, tant les mots qui me viennent à l'esprit sont violents pour qualifier ce que les députés ont fait ce matin, à 2h10. Et quand je lis les mots qu'a eu le rapporteur de ce projet de loi, Monsieur le député Mariani, j'en ai des nausées.

    Ha, tout le monde n'avait d'yeux que pour le test ADN, avec des belles formules à gauche, "les heures les plus sombres de notre histoire", la filiation est-elle seulement biologique, alors même que notre droit n'a jamais intégré cette notion.

    Pendant que tout le monde dissertait doctement, l'assassin attendait son heure. Il portait un nom qui pourrait prêter à sourire : l'amendement 69. Et à l'heure où l'hémicycle se vide, après une suspension de séance qui est une invitation à ne pas revenir, il est revenu et a frappé.

    L'Assemblée a décidé, oh, trois fois rien. Le délai de recours contre les décisions de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), qui accorde ou refuse l'asile politique, a été réduit d'un mois à quinze jours.

    Ha, décidément, ce Maître Eolas, quel adepte des effets de manche ! Il essaye de nous faire passer quinze jours comme étant le socle de la démocratie, penserez-vous.

    Croyez-vous ?

    Allons voir un peu comment ça se passe, concrètement.

    La plupart des demandeurs d'asile présentent leur demande dès leur arrivée en France ; sur Paris, c'est à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, en se présentant à la police aux frontières (PAF). Comme je l'avais déjà narré en son temps, l'hospitalité de la France se manifeste par un enfermement immédiat dans les ZAPI. Un premier examen sommaire a lieu pour tenter de déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée. Si elle n'est pas infondée, l'étranger reçoit... un laisser passer lui permettant de présenter sa demande d'asile à l'OFPRA (dans un délai de 20 jours, sinon, c'est définitivement irrecevable). En Français, la demande, bien sûr. Avec des preuves en prime. Le dossier fait 16 pages.

    Si elle est considérée comme manifestement infondée (et c'est le ministre de l'intérieur qui décide, bientôt le ministre de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement), il est "réacheminé" dans les conditions que vous savez.

    Actuellement, la défense de ces étrangers connaît une embellie. La France ayant été condamnée par un arrêt du 24 avril 2007 de la cour européenne des droits de l'homme pour absence de recours suspensif à cette décision ministérielle (oui, la France a été condamnée par la cour européenne des droits de l'homme pour les règles en vigueur en matière d'asile, elle est pas belle, la patrie des droits de l'homme ?), les juges des libertés et de la détention de Bobigny libèrent systématiquement les demandeurs d'asile qui leur sont présentés au bout de quatre jours pour qu'ils puissent bénéficier de la procédure normale. Ca ne durera pas, l'un des objets de l'actuel projet de loi étant de prévoir un recours suspensif - sans que l'étranger soit libéré de la ZAPI, bien entendu.

    Quand un étranger se trouve sur le territoire français, il peut donc présenter sa demande à l'OFPRA. Il doit remplir un dossier et fournir des preuves des faits qu'il allègue. D'ailleurs, j'en profite pour tancer les divers groupements terroristes ou de guerilla du monde entier : pensez à faire des attestations d'oppression à vos victimes, ça rendrait bien service à l'OFPRA qui a une âme d'enfant et se refuse à voir le mal où que ce soit et croit que quand on lui raconte des horreurs, c'est en fait une bonne blague.

    La procédure devant l'OFPRA n'est pas juridictionnelle mais administrative. Le demandeur d'asile est reçu seul par un Officier de Protection (c'est le nom des fonctionnaires de l'OFPRA) qui va lui poser des questions précises sur son récit, pour s'assurer de sa crédibilité. On a donc un étranger, qui neuf fois sur dix ne parle pas français (il y a un interprète, bien sûr...) qui est interrogé par un fonctionnaire, représentant de l'autorité. Souvent, dans son pays, ce type de personnage a le pouvoir de vie et de mort sur vous, au sens propre. En outre, ils savent que cette personne a entre ses mains la clef de leur avenir, de leur liberté et parfois de leur sécurité. Autant dire qu'ils sont détendus, à l'aise, et volubiles. Tout silence ne sera pas imputé à l'intimidation de la situation mais au mensonge et à l'invention.

    La décision est envoyée par lettre recommandée à l'étranger, le délai court de la réception de la lettre recommandée ou de la date de première présentation si la lettre n'est pas retirée (cela a son importance...).

    Cette décision est très courte (une page), l'essentiel tenant en deux paragraphes : le résumé des faits allégués par l'étranger et les motifs de l'acceptation ou du rejet de la décision.

    Cette décision peut faire l'objet d'un recours juridictionnel devant une juridiction ad hoc, la Commission de Recours des Réfugiés[1] (elle siège à Montreuil, en Seine Saint Denis, 35 rue Cuvier), c'est à dire qui sera examiné en séance publique (allez-y, les audiences ont lieu le matin et l'après midi, c'est instructif), par un collège de trois personnes, l'étranger pouvant être assisté d'un avocat qui aura accès au dossier de l'OFPRA.

    Le délai de recours est actuellement d'un mois. Le recours doit être écrit (en français) et motivé, sous peine d'être rejeté d'office et sans audience. Il s'agit de contester la décision de l'OFPRA en apportant les preuves que l'Office estime avoir fait défaut (preuves qu'il faut parfois se faire envoyer depuis le pays étranger), et d'invoquer la jurisprudence de la Commission et du Conseil d'Etat en la matière, recherches qui prennent du temps. Ajoutons que si votre client ne parle pas français, les frais d'un interprète ne sont pas pris en charge par l'aide juridictionnelle. Il faut se débrouiller avec les amis, et avec la formidable solidarité qui existe dans les communautés d'exilés.

    Enfin et surtout, le recours ne peut être fait que par lettre recommandée avec avis de réception. Vous ne pouvez vous présenter au secrétariat de la Commission avec votre recours : il sera refusé. Vous êtes tributaire de la Poste, donc le délai d'acheminement se décompte du délai effectif de recours.

    Hé bien ce délai de recours va être ramené à quinze jours, acheminement postal compris. Cela signifie que votre client, du jour où il reçoit la lettre, va devoir vous en avertir, vous apporter la décision de l'OFPRA (le recours est irrecevable s'il n'est pas accompagné de cette décision), vous allez devoir rédiger le recours, expliquer en quoi l'OFPRA s'est trompée, apporter des preuves qui n'ont pas été soumises à l'OFPRA, et l'envoyer à temps pour que la commission le reçoive. Votre client ayant souvent une domiciliation postale, s'il laisse s'écouler le délai de présentation qui est de quinze jours, le délai de recours aura expiré sans même qu'il ait eu connaissance de la décision (malheur aux hospitalisés et à ceux qui oublient de passer relever leur courrier).

    Bref, des centaines de recours, peut être parfaitement fondés, seront rejetés d'office car non reçus dans le délai. Ha, le délai, quelle merveilleuse invention. Quand vous ne pouvez pas supprimer un droit car il relève des droits de l'homme, enfermez le dans un délai très bref. Et l'Etat est le roi quand il s'agit de se prémunir des recours contre ses décisions. Voyez vous même.

    Un épicier est en conflit avec un fournisseur sur la qualité de ce qu'il lui a apporté. Après un premier procès, il aura un mois pour faire appel. S'il perd en appel, il aura deux mois pour faire un pourvoi en cassation.

    Un délinquant ou un criminel condamné (c'est l'Etat la partie poursuivante) a dix jours pour faire appel. S'il est à nouveau condamné en appel, il a cinq jours pour se pourvoir en cassation. Un condamné à mort avait 5 jours pour faire un pourvoi, un épicier, deux mois.

    En matière d'étrangers, c'est encore mieux.

    Un arrêté de reconduite à la frontière est pris contre vous ? Vous avez 48 heures pour former un recours, écrit, motivé, devant le tribunal administratif. Qui aura 72 heures pour statuer. Sachant que dans la majorité des cas, vous êtes privé de liberté dans un centre de rétention. Et si tel est votre cas, vous serez conduit au bout de deux jours devant le juge des libertés et de la détention qui va décider de votre maintien ou non en rétention pour quinze jours de plus. S'il vous y maintient, le délai d'appel est de... 24 heures. A la minute près. Recours écrit, en français, et motivé : vous devez expliquer en quoi le juge s'est trompé. Votre appel sera jugé dans les 48 heures.

    Par contre, si votre enfant est mort dans un hôpital pour une simple appendicite, vous attendrez bien trois ans avant d'avoir une première décision, n'est ce pas ? Il y a des priorités.

    Donc, forcément, ce délai de recours d'un mois apparaissait comme une anomalie comparé aux autres. Voilà qui est corrigé.

    Mais au fait, ça ressemble à quoi, un attentat au droit d'asile comme celui-là ?

    La lecture du compte rendu des débats est hautement instructive. Je graisse. Le rapporteur est Monsieur Thierry Mariani. Le secrétaire d'Etat est Monsieur Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

    M. le Rapporteur – L’amendement 69 vise à réduire à quinze jours le délai autorisé pour introduire un recours devant la CRR lorsque la demande d’asile a été rejetée par l’OFPRA, comme c’est le cas ailleurs en Europe. Le délai actuel d’un mois allonge les procédures et nuit au bon accueil des demandeurs d’asile.

    Ha, bon, en fait, c'est fait POUR les demandeurs d'asile. En fait, c'est moi qui vois le mal partout.

    M. le Secrétaire d'État - Sagesse.

    M. Noël Mamère – Le Gouvernement a raison de ne pas se déclarer favorable à cet amendement qui, sous son allure technique, est en fait de nature très politique, car il réduira davantage les faibles droits de recours des demandeurs d’asile. Vous ne pouvez marchander sur ce délai, souvent crucial. Le Parlement avait d’ailleurs déjà voté contre une telle mesure en 2006. Le droit de recours est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme ; cette mesure le remet en cause.

    M. le ministre de l’asile nous disait hier vouloir faire respecter la tradition d’accueil de notre pays et conforter les demandeurs dans leur procédure. J’espère que l’Assemblée aura cette sagesse, comme vous l’y invitez !

    M. Serge Blisko – Un droit n’est rien s’il n’est pas effectif. Or, ce droit inaliénable hier encore ne sera plus applicable demain. En effet, le délai en question comprend le temps d’acheminement au greffe – souvent quelques jours – soit un peu moins d’un mois, sans compter qu’il ne s’agit pas d’arriver une minute en retard !

    M. le Rapporteur – C’est toujours comme cela, pour les élections comme pour les trains.

    En effet, Monsieur le député, ça revient au même. Quand on rate un train, on prend le suivant. Quand on arrive trop tard pour se présenter à une élection, on se présente à la suivante. Quand on arrive trop tard pour présenter son recours, c'est définitivement fini. Mais sinon, c'est tout pareil[2].

    M. Serge Blisko – Par ailleurs, le recours ne consiste pas en une simple lettre : il faut étoffer le dossier refusé par l’OFPRA. Il arrive que des pièces nouvelles doivent être fournies, par exemple pour attester la réalité des mauvais traitements subis. Pour les rassembler et les faire traduire, il faut du temps. Autant dire que cette mesure, présentée comme de bon sens, est bien plutôt une chausse-trape, un guet-apens pour ceux qui veulent introduire un recours. Restons-en au délai actuel d’un mois – la loyauté voudrait même que ce délai commence au moment où la lettre informant de la décision de première instance de l’OFPRA est reçue, le cachet de la poste faisant foi.

    M. Éric Ciotti – Le groupe UMP est très favorable à cet amendement. La France se caractérise par sa tradition d’accueil des persécutés. Cette vocation doit être réaffirmée, et les dispositions de ce texte y contribuent en renforçant son intangibilité, à laquelle nous sommes, comme vous, attachés. Encore faut-il que les demandes d’asile ne soient pas détournées de leur objet. Or, la procédure est devenue, on le sait, un vecteur d’immigration. Grâce aux mesures adoptées depuis 2003, le délai d’instruction des demandes d’asile est passé de vingt mois à quatorze mois en 2006. La France est le pays européen dont la législation en matière d’accueil est la plus généreuse. Nous nous en réjouissons, mais il faut tendre à l’harmonisation ; en Grande-Bretagne, le délai de recours est fixé à dix jours ; personne ne prétendra que cela en fait un pays au régime liberticide. L’entrée en vigueur, le 1er janvier 2008, de l’aide juridictionnelle aux demandeurs d’asile…

    Oui, jusqu'à présent, l'étranger doit payer son avocat et ne bénéficie d'aucune aide pour cela. France terre d'asile, n'oubliez jamais.

    M. Patrick Braouezec – Vous semblez la regretter…

    M. Éric Ciotti – Du tout, c’est une bonne chose, mais cela aura pour effet mécanique d’accroître le nombre de recours, et d’effacer de ce fait le raccourcissement du délai d’instruction des demandes que l’action du précédent ministre de l’intérieur a rendu possible. C’est une autre raison qui nous fait approuver la proposition des rapporteurs.

    Mieux dit, ça donne : des demandeurs d'asile sont empêchés d'exercer un recours faute de moyens. Maintenant, ils vont pouvoir le faire. Il faut donc trouver autre chose pour les en empêcher.

    M. Étienne Pinte – Je suis très défavorable à cet amendement, qui remet en cause l’un des fondements du droit d’asile. À l’heure actuelle, le délai de quinze jours est insuffisant. Peut-être ne le sera-t-il plus après l’entrée en vigueur de l’aide juridictionnelle, mais nous n’y sommes pas encore, et le fait que les délais d’instruction des demandes aient été réduits à quatorze mois devrait inciter à la prudence. Puis-je vous rappeler la procédure ? Après que l’OFPRA a rejeté une demande d’asile, le demandeur doit prendre connaissance de cette décision, et beaucoup habitent en province. Il leur faudra ensuite trouver un avocat, rédiger un recours et, pour les non francophones, trouver un interprète. On peut, certes, faire référence aux dispositions en vigueur dans d’autres pays, mais la Déclaration des droits de l’homme de 1789 a été rédigée en France, et nulle part ailleurs ! L’asile est une tradition qui fait honneur à notre pays, et cette disposition, qui a suscité la stupeur et l’indignation du Haut Commissariat pour les réfugiés, lui porte une atteinte grave. À Villeurbanne, vous avez, Monsieur le ministre, visité le centre de transit de l’association Forum réfugiés dirigée par mon ami Olivier Brachet : vous avez dit qu’il n’était pas question de « faire du chiffre » à propos des réfugiés et que vous respecteriez le droit d’asile et protégeriez les réfugiés. Ce serait pourtant un très mauvais signe que de réduire à quinze jours le délai de recours.

    M. Patrick Braouezec – M. Pinte est votre Jiminy Cricket, Messieurs…

    Et pourtant :

    L'amendement 69, mis aux voix, est adopté.

    L'épitaphe revient à Monsieur Serge Blisko :

    M. Serge Blisko – C’est catastrophique !

    Vous n'avez pas idée.

    Bon sang, que j'ai mal au coeur ce soir.

    Notes

    [1] Qui va devenir par cette loi la Cour Nationale du Droit d'Asile, CNDA. On apprend à l'occasion des débats que ses moyens ont été diminués, 125 postes ont été supprimés, mais la loi lui donne une sucette, désormais, on l'appellera "cour". Ca ne coûte rien et ça fait réforme...

    [2] Paragraphe modifié depuis la première mise en ligne.

    jeudi 19 juillet 2007

    L'autre Justice (3)

    Dernier volet sur la justice administrative. Après avoir découvert son existence, vu comment elle marche ordinairement et extra-ordinairement, nous allons voir à présent comment elle marche quand l'extraordinaire devient l'ordinaire avec le contentieux des étrangers.

    Rappelons brièvement qu'en raison du principe couramment admis que l'Etat a le droit de décider qui entre et reste sur son territoire, les étrangers sont totalement dépendants de l'administration. Principe qui mériterait de temps en temps qu'on s'interroge sur son bien-fondé, tant il a des relents xénophobes et d'Etat policier, mais tenons nous-en au droit.

    Pour entrer tout d'abord. En fonction des accords internationaux, certaines nationalités sont soumises à une obligation de visa pour entrer en France, d'autres en étant dispensées pour des courts séjours. Les visas sont délivrés par les consulats, qui relèvent pour peu de temps encore du ministère des affaires étrangères (ils sont sur le point de passer sous la tutelle du ministère de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement). On distingue les visas court séjour, dit visa touristes, qui donnent droit à une entrée sur le territoire et à un séjour de trois mois au plus, et les visas long séjour, qui ont une validité de six mois en général et ont vocation à être transformés en carte de séjour. Des conventions bilatérales dispensent certaines nationalités de visa pour des séjours ne dépassant pas trois mois, le droit européen ayant conduit la France à dispenser les ressortissants historiques de l'Union Européenne de tout titre de séjour.

    Le refus de visa donne lieu à un contentieux spécifique, du fait que la décision a été prise à l'étranger et qu'aucun TA ne peut être géographiquement compétent. Il doit d'abord être soumis à la Commissions des Recours contre les Refus de Visa, puis en cas de maintien du refus, le Conseil d'Etat statue en appel.

    Une fois entré, le visa vaut titre de séjour jusqu'à son expiration.

    Pour rester ensuite. Un étranger qui s'établit en France doit être titulaire d'une carte de séjour, valable un an, ou d'une carte de résident, valable dix ans. Il existe des titres précaires qui régularisent provisoirement un séjour le temps qu'une décision soit prise définitivement par l'administration : certains récépissés de demande de carte de séjour, l'autorisation provisoire de séjour (APS) et le laisser-passer. Ces documents sont délivrés par la préfecture du domicile de l'étranger : il s'agit d'actes administratifs susceptibles de recours devant le TA.

    Pour simplifier disons que la préfecture peut délivrer un titre de séjour à qui elle veut. Discrétionnairement. Sauf certaines situations où elle est obligée de le faire.

    Voyons à présent en détail quatre hypothèses de saisine du juge administratif, en allant de l'hypothèse la plus ordinaire à la plus Rock n'Roll, vous comprendrez le sens de la métaphore chorégraphique.

    Le contentieux ordinaire : la contestation du refus de carte de séjour.

    Nous sommes dans l'hypothèse où un étranger sollicite une carte de séjour ou son renouvellement et se la voit refuser, sans que le préfet ne prenne d'autre mesure tendant à un éloignement par la contrainte.

    Nous sommes en présence d'une décision administrative, pouvant faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir de droit commun. Le délai de recours est de deux mois, l'affaire fait l'objet d'une mise en état, puis d'une clôture suivie d'une audience avec commissaire du gouvernement. Le problème pour l'étranger étant que ce recours n'étant pas suspensif, il n'est pas en situation régulière pendant ce temps et peut être l'objet d'un contrôle d'identité aboutissant à une exécution forcée (voir ma troisième hypothèse). Eventuellement, en cas de moyen sérieux, un référé peut aboutir à la délivrance d'autorisations provisoires de séjour, mais ne donnant pas le droit de travailler, quand bien même le titre auquel il a droit lui permettrait d'exercer une profession. Etant en situation irrégulière, il n'a pas droit non plus au RMI. Bref, lui et sa famille sont priés de vivre de photosynthèse pendant les deux ans que durera la procédure. Comme la plupart n'y parviennent pas et ont généralement des enfants et un avocat à nourrir, ils travaillent au noir, dans la plus grande hypocrisie.

    Un préfecture de la banlieue parisienne s'est faite une spécialité de refuser des titres qu'elle est tenue de délivrer. Quand un recours est exercé, la préfecture ne produit aucun mémoire malgré les mises en demeure que lui envoie le tribunal. Deux ans plus tard, le tribunal administratif annule ce refus et condamne la préfecture à payer des indemnités au titre de l'article L.761-1 du CJA. En une audience, il y a quelques semaines, j'ai vu ainsi 3600 euros de l'argent du contribuable dilapidés en indemnités de procédure, alors qu'il aurait suffit que la préfecture, la veille de l'audience, délivre le titre demandé pour préserver l'argent du contribuable. Le droit des étrangers, c'est aussi ça.

    Deuxième hypothèse : le contentieux un peu moins ordinaire : l'Obligation de Quitter le Territoire Français.

    La loi du 24 juillet 2006 a créé cette procédure spéciale pour juger rapidement les refus de titre de séjour sans passer par la procédure d'urgence dont je parlerai dans ma troisième hypothèse.

    Désormais, le préfet qui refuse un titre de séjour ou son renouvellement peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français (auparavant, c'est une invitation à quitter le territoire français qui en tant que telle ne pouvait faire l'objet d'un recours, mais permettait au bout d'un mois de délivrer un arrêté de reconduite à la frontière, qui lui pouvait faire l'objet d'un recours).

    C'est un recours soumis à des règles spéciales. Le délai de recours est plus bref : il est d'un mois à compter de la décision (contre deux mois en droit commun). Il est suspensif, ce que n'est pas le recours de droit commun. Le juge a un délai de trois mois pour rendre son jugement, je reviendrai sur ce point. Le tribunal peut, et concrètement le fait toujours, fixer dès la réception de la requête la date de l'audience et de l'ordonnance de clôture. L'audience se tient devant un tribunal de trois juges, et il y a un commissaire du gouvernement.

    Mais ce recours emprunte certaines règles au contentieux de droit commun. Ainsi, l'étranger ne peut bénéficier d'un avocat commis d'office ni d'un interprète. Il peut solliciter l'aide juridictionnelle au titre de l'article R.441-1 du CJA qui lui sera refusée au titre de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 (qui a dit qu'on ne savait pas rire en droit administratif ?).

    Le jugement peut être frappé d'appel, selon les règles de droit commun : recours obligatoire à un avocat, pas d'effet suspensif.

    Je reviens sur le délai de trois mois imposé par la loi au juge administratif. C'est la dernière idée géniale du législateur pour faire face au problème de l'engorgement des tribunaux administratifs et du temps qu'ils mettent à statuer. Puisque celui qui propose d'augmenter les crédits de la justice est jeté dans la Seine avec des boulets accrochés aux pieds comme s'il avait perdu trois fois son bout de pain dans la fondue[1], il faut trouver des solutions autres, et celle là est brillante : imposer au juge de statuer dans un certain délai. Ca ne coûte rien, et ça marche, car les juges administratifs sont des légalistes psychorigides. Bon, évidemment, quand on ajoute à cela que le ministre de l'intérieur a décidé que l'on expulserait 26000 étrangers par an, la conséquence est prévisible : les juges ne font plus que ça et les autres recours attendront encore plus longtemps. C'est ce qu'on appelle une gestion intelligente et à long terme.

    Troisième hypothèse : Le contentieux carrément extraordinaire : la reconduite à la frontière.

    Si tu ne viens pas à la préfecture, c'est le préfet qui viendra à toi. Telle est la devise du contentieux de la reconduite à la frontière. L'hypothèse est la suivante : l'étranger a fait l'objet d'un contrôle d'identité qui a révélé son état de sans papier. Informée, le préfet du département prend un arrêté de reconduite à la frontière à son encontre, qui lui est notifié en main propre. L'étranger dispose alors d'un recours spécial, qui se rapproche du référé administratif. Le délai de recours est très court : 48 heures. Ce délai très bref (d'autant que le recours doit être écrit, rédigé en français et motivé) est parfois compliqué par le fait que le client est privé de liberté : voir ci-dessous, l'hypothèse rock n'roll) s'explique par le fait que la préfecture est censée s'assurer de l'exécution de sa mesure. Le tribunal doit statuer dans les 72 heures. Même remarque que ci-dessus. Concrètement, seul le TA de Versailles, qui est le Lucky Luke du contentieux de la reconduite à la frontière, tient le délai : quand vous faxez votre recours aux heures de bureau, vous avez votre récépissé et convocation à l'audience 40mn plus tard, audience qui aura lieu le lendemain. Si vous n'aimez pas les codes rouges, ne faites pas du droit des étrangers. L'audience est à juge unique (mais pas solitaire : comme son ombre le suit le greffier, profession dont je ne dirai jamais assez tout le bien que je pense), sans commissaire du gouvernement. Le préfet est censé envoyer quelqu'un de sa préfecture ou à tout le moins produire un mémoire. Concrètement, à Paris, c'est toujours le cas, et c'est un avocat quand l'étranger est privé de liberté, ce qui explique le taux de rejet des recours très élevé. Nanterre envoie un mémoire, Créteil et Bobigny ne daignent jamais répondre. Le jugement est censé être notifié très rapidement (à Versailles, c'est le jour même). Le jugement rejetant la requête met fin à l'effet suspensif du recours.

    Quatrième hypothèse : Rock n'Roll acrobatique.

    C'est hélas l'hypothèse la plus fréquente. L'étranger a été contrôlé, et placé en garde à vue le temps que la préfecture prenne un arrêté de reconduite à la frontière. Le préfet décide en outre de le garder au chaud, c'est à dire de le placer dans un centre de rétention administrative (CRA). Qu'est ce qu'un CRA ? Le législateur nous répond par une première pirouette : c'est la loi du 29 octobre 1981 (intégrée depuis dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers etc.) qui nous dit que ce sont des locaux "ne relevant pas de l'administration pénitentiaire". Bref, il se contente de dire ce que ça n'est pas. J'y vois pour ma part un hommage à Magritte : ceci n'est pas une prison, et pourtant, ça y ressemble furieusement. Le droit des étrangers s'est beaucoup inspiré de l'école surréaliste, vous allez voir.

    Mais je vous ai vu froncer des sourcils. Je suis fier de vous. "Placé en garde à vue", "privé de liberté"... Ca sent le droit privé, donc la justice judiciaire, n'est ce pas ? Hé oui. Nous entrons dans le triangle des Bermudes du droit. Alors que, apparemment, il s'agit juste d'interpeller un étranger en situation irrégulière et le reconduire dans son pays d'origine (et non chez lui ; chez lui, c'est ici...), nous allons assister à une chorégraphie complexe, fondée sur des mouvements de va et vient sur un rythme endiablé. Démonstration.

    Premier mouvement : "vos papiers !".

    Ha, la police demande les papiers. Oui, mais à quel titre ? Si c'est dans le cas de réquisitions du procureurs de la république ordonnant à la police de quadriller un secteur défini pendant un laps de temps déterminé, ou que les policiers ont constaté des éléments pouvant laisser à penser que l'étranger était sur le point de commettre une infraction, nous sommes dans de la police judiciaire : articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale, texte de droit privé. S'il n'y a rien de tout cela mais que la police s'avise, sur des éléments objectifs (le délit de sale gueule n'étant pas un élément objectif) que l'intéressé est étranger, elle peut lui demander de présenter les documents relatifs à son séjour, conformément à l'article L.611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). C'est une mesure de police administrative. Pourtant, les policiers n'auront même pas changé de képi.

    Deuxième mouvement : "Au poste !"

    Dans les deux cas, les policiers constatent que l'étranger n'a pas un bout de papier où un fonctionnaire aura appliqué un timbre humide, ce qui est un délit puni de prison jusqu'à un an, qui parfois peut devenir sinon de la prison à vie, du moins de la vie en prison. L'étranger va donc être placé en garde à vue, conformément à l'article 63 du code de procédure pénale. Retour au pur droit privé. Le procureur est informé comme la loi l'exige et feint d'être intéressé par cette affaire.

    Simultanément, la préfecture du département est informée de ce qu'un étranger en situation irrégulière a été identifié, puisque c'est elle qui gère les dossiers des étrangers. Un dossier est ouvert à la préfecture. C'est du droit administratif. La police entend l'étranger sur le délit d'infraction à la législation sur les étrangers (I.L.E.), délit pénal, mais pose des questions qui intéresseront surtout la préfecture, par exemple sur sa famille dans son pays d'origine.

    Après le cas échéant un renouvellement de garde à vue autorisé par le procureur de la république, le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, ainsi qu'un arrêté de placement en centre de rétention administratif (CRA) pour une durée de 48 heures. Notez le "administratif". Informé de cette situation, le procureur classera sans suite la procédure pour ILE. Fin de la procédure judiciaire. L'étranger est conduit dans le centre de rétention, qui est parfois situé... dans le commissariat (c'est le cas à Bobigny, par exemple).

    Troisième mouvement : Deux juges, c'est mieux qu'un..

    Récapitulons. Nous avons un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), et un délai de 48 heures pour faire un recours. Nous avons aussi un placement en CRA pour une durée de 48 heures. Là, deux procédures vont avoir lieu en même temps, une administrative où l'étranger sera demandeur, et une judiciaire où il sera défendeur.

    La procédure administrative est le recours contre l'APRF. C'est ce que j'explique dans ma troisième hypothèse. L'étranger exerce un recours suspensif qui vise à annuler l'arrêté de reconduite à la frontière. C'est une de ces audiences que je décris dans mon billet Eduardo. l'objet de cette audience est uniquement de juger de la légalité de l'arrêté. Les circonstances de l'arrestation, le juge administratif ne veut pas en entendre parler. C'est de la compétence du juge judiciaire. Ce qui est lourd de conséquence pour les droits de l'étranger, vous allez voir. Le jugement est susceptible d'appel selon la procédure administrative de droit commun, non suspensive.

    Mais le préfet, lui, a envie de garder un peu plus longtemps notre ami étranger. Il doit pour cela demander au juge judiciaire le maintien en rétention, pour une durée de 15 jours au plus. C'est le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance qui est compétent. C'est une de ces audiences que je raconte dans Un Juste. L'objet de cette audience est uniquement le maintien de la mesure privative de liberté, et le contrôle de la légalité de la procédure (notification des droits en garde à vue, respect des délais, du droit à un interprète, etc). Le juge peut maintenir l'étranger 15 jours en rétention, dire n'y avoir lieu à maintien en rétention, ou assigner l'étranger à résidence s'il peut justifier d'un domicile ou si une personne en situation régulière ou Français s'engage à l'héberger et fournit des preuves de domicile. Le jugement du JLD peut être frappée d'appel dans un délai de 24 heures. Le recours doit être motivé et peut être envoyé par fax. Si le juge décide de la remise en liberté, le procureur a un délai de quatre heures pour s'opposer à la remise en liberté immédiate. Si le préfet fait appel, l'étranger reste en rétention. COmme on peut voir, la séparation des autorités administratives et judiciaires n'est pas étanche : le judiciaire est bienvenu à se mettre au service du pouvoir administratif. L'appel est jugé par le premier président de la cour d'appel ou un conseiller délégué par lui, généralement dans un délai de 48 heures. Ajoutons qu'il y a des audiences de JLD pour étrangers tous les jours, même le dimanche à Paris (à 8h30...)

    Il m'est arrivé une fois d'aller défendre un client qui avait été interpellé dans les Pyrénnées atlantiques. Appelé par téléphone, je forme un recours administratif le lundi soir. Le mardi matin aux aurores, je saute dans un train pour Bayonne pour l'audience devant le JLD à 11 heures. Le JLD ayant prononcé la remise en liberté. Je file à Hendaye récupérer mon client au Centre de Rétention où il devait récupérer ses affaires, et file avec lui à Pau pour l'audience devant le tribunal administratif à 17 heures 30 le même jour. A 18 heures 30, le tribunal rend sa décision : l'arrêté est annulé. Il n'y a plus qu'à prendre le TGV pour Paris, en laissant derrière moi un tas de cendre fumant de ce qui fut cette procédure.

    Le TGI de Bayonne étant d'un autre ordre de juridiction que le TA de Pau, les greffes ne pouvaient tenir compte des impératifs de l'autre pour audiencer ces affaires. La loi leur fait interdiction de se parler. Et ce sont les avocats qui trinquent.

    Et les droits de l'étranger. Car si vous avez bien suivi, supposons que les policiers commettent une nullité de procédure. Après avoir fait un pur contrôle au faciès, ils s'abstiennent de notifier ses droits à l'étranger, et omettent d'informer le procureur de la garde à vue, et gardent l'étranger 28 heures sans solliciter de renouvellement. La totale. Le JLD, saisi par le préfet, écumera de rage, n'aura pas de mots assez durs pour les policiers, et annulera la procédure, remettant immédiatement l'étranger en liberté sous les applaudissements du parquet.

    Mais devinez quoi ? L'APRF reste valable, et l'étranger, victime de voies de fait et même de séquestration arbitraire par la police, pourra malgré tout être interpellé à son domicile et conduit de force dans un avion prêt à décoller. Si un assassin d'enfant était traité ainsi, la procédure partirait à la poubelle. Si c'est un étranger, non. On peut l'arrêter illégalement, il sera reconduit légalement. Avec les compliments de la séparation des autorités judiciaires et administratives.

    Voilà un parfait exemple d'embrouillamini que peut causer la séparation des autorités judiciaires et administratives, avec des juges qui statuent sur des points différents sans vouloir savoir de quoi l'autre s'occupe. Il y en a d'autres : les amendes de la circulation, par exemple, relèvent du droit pénal, donc de la justice judiciaire. Mais les pertes de point sont une mesure administrative : le juge judiciaire ne peut pas vous dispenser de la perte de point, sauf s'il vous relaxe.

    Si vous êtes contrôlé en état d'ivresse, le préfet pourra suspendre immédiatement votre permis pour une durée généralement de six mois, par un arrêté pouvant être contesté devant le tribunal administratif (art. L.224-7 du code de la route), permis qui vous sera restitué après un examen médical. Puis vous serez convoqué devant le tribunal correctionnel qui pourra, à titre de peine complémentaire (article L.234-2 du même code), vous suspendre à nouveau le permis de conduire, qui ne pourra être contestée que devant la cour d'appel.


    Voilà qui clôt ma série sur la justice administrative. Je vous laisse méditer là dessus.

    A demain pour un dernier billet avant la fermeture de ce blog.

    Notes

    [1] Honte à vous si vous ne lisez pas Astérix.

    lundi 18 juin 2007

    Crétinisme législatif

    Via le blog de Vincent Tchen (qui baptise cela « désinvolture réglementaire » ; je n'arrive pas à copier le langage précieux des universitaires) :

    Un exemple récent de cache-cache textuel stupide, ridicule et sans aucun intérêt à part compliquer inutilement le droit français.

    Les règles de délivrance de la carte d'identité de commerçant étranger, celle qui fait que nous trouvons de la bière et des raviolis très chers près de notre domicile jusqu'à une heure tardive en semaine et le dimanche toute la journée, ont été fixées par un décret n° 98-58 du 28 janvier 1998.

    Un décret n° 2007-431 du 25 mars 2007 a transféré ces dispositions, sans les changer (la codification à droit constant dont je vous ai déjà parlé), dans le Code de commerce, aux articles R.122-1 à R.122-17, et avait en conséquence abrogé le décret du 28 janvier 1998 qui faisait doublon (c'est l'article 3, 60° du décret du 25 mars 2007). Bon, pourquoi pas. Il y avait un décret qui traînait, le voilà bien rangé dans un Code.

    Un mois et demi plus tard, un nouveau décret n° 2007-750 du 9 mai 2007 relatif au registre du commerce et des sociétés a abrogé dans son article les articles R.122-1 à R.122-17 du code du commerce. Comme ça, sans explications.

    Les "explications" (si on peut appeler ça comme ça) viendront quelques jours plus tard, quand un décret n° 2007-912 du 15 mai 2007 reprendra les dispositions abrogées pour les intégrer cette fois au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Pourquoi ? Parce que.

    Vous croyez que c'est tout ? Nenni. Ce sont les dispositions réglementaires applicables à la carte d'identité de commerçant étranger, c'est à dire les décrets d'application de la loi sur la carte d'identité des commerçant étrangers. Les dispositions de cette loi, elles, n'ont pas bougé : elles sont toujours... dans le code de commerce.

    Cela n'a pas échappé au législateur. Et que croyez-vous qu'il a trouvé comme solution ? Un grand classique de la « clarification du droit » : les copier-coller d'un code à l'autre. Avouez que vous n'y auriez jamais pensé. Le législateur, si. C'est à ça qu'on le reconnaît.

    Vous comprenez pourquoi les juristes, à commencer par les juges et les avocats, pestent sans cesse contre la bougeotte législative. Il y a des fois où ça vire à la pathologie.

    Pour résumer, le législateur se comporte comme une femme de ménage qui ramasserait votre manteau parce qu'elle trouve qu'il traîne dans l'entrée et le changerait de place à plusieurs reprises sans vous le dire, et vous affirmerait benoîtement que comme ça, c'est plus simple et mieux rangé. Sauf que le législateur, vous ne pouvez pas le virer à coups de pieds aux fesses.

    Bon, c'était les derniers soubresauts du gouvernement Villepin et de la présidence Chirac. Si le nouveau gouvernement nous débarrasse enfin de ce genre d'usine à gaz, rien que pour ça, il aura ma reconnaissance éternelle (mon vote, on verra) et je ne dirai pas de mal de lui jusqu'au débat sur les peines planchers. La balle est dans son camp.

    vendredi 4 mai 2007

    None shall pass !

    Imaginez un peu. Une scientifique africaine, spécialiste du SIDA, est invitée à une conférence internationale sur cette maladie se tenant aux Etats-Unis, où un message de bienvenue du Président en personne est adressé aux participants. Elle a son visa en règle, un billet aller-retour conformément à la loi américaine, tout bien, quoi.

    A son arrivée à l'aéroport JFK, un policier américain décide de lui refuser l'entrée sur les sol américain, car son billet retour est postérieur à la date de validité de son visa, et qu'elle n'a pas la preuve de son inscription à la réunion. Elle explique qu'il s'agit d'un billet ouvert, c'est à dire dont la date peut être modifiée, car le consulat américain ne délivre un visa qu'au vu d'un billet d'avion aller-retour, et que les inscriptions à la conférence se prennent sur place.

    Rien n'y fait, le fonctionnaire fédéral sourcilleux maintient son refus, et elle passera trente heures dans un local de l'aéroport, puis dans une sorte de prison qui ne dit pas son nom aménagée dans un recoin du terminal, sans avoir eu le droit de demander à voir un juge, avant que sa famille aux Etats-Unis, et les organisateurs de la réunion n'arrivent à la sortir de là en prouvant aux policiers qu'elle ne mentait pas.

    Preuve une fois de plus que l'Amérique de Bush n'est plus une démocratie à cause du Patriot Act et de fonctionnaires qui voient des suspects sur tout ce qui est un peu trop sombre de peau ?

    Sauf que manque de pot, c'est arrivé en France.

    «Le 29 mars 2007, raconte ce médecin, j'atterris à 6 h 20 à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Au poste de contrôle de police, je suis arrêtée par un policier, sans aucun motif. Il m'amène dans un petit bureau où se trouvent d'autres policiers et des passagers. Il me fait attendre pendant trois heures. Sans un mot. Deux jeunes policières me fouillent ensuite dans les toilettes et, sans explication, me prennent tous mes papiers. Je leur explique, pourtant, le motif de mon voyage, mais elles ne me répondent pas.» Ensuite ? «Un autre policier m'ordonne de signer des papiers sur lesquels est écrit : "Refus d'entrée".» La raison ? «Il me dit que ma date de retour dépasse celle du séjour qui figure sur le visa, et que je ne suis pas inscrite pour la prétendue conférence. Je leur explique que dans mon pays, le Mali, il faut présenter un billet d'avion de retour au consulat de France pour obtenir un visa d'entrée, que la Société Bristol-Myers Squibb, qui a pris mon billet, l'a laissé ouvert jusqu'à un mois, et que, lorsque j'ai obtenu un visa de sept jours, j'ai raccourci mon séjour en France, et qu'enfin, les inscriptions définitives à la conférence se font sur place.» Bref, tout est clair et il n'y a aucune embrouille. «Mais ils n'ont rien voulu comprendre, ils m'ont enfermée dans une petite pièce. On ne pouvait pas se tenir assis, et on m'a dit que je prendrai le vol Air France du même après-midi sur Bamako... J'ai dit aux policiers que j'avais de la famille à Paris. Ils m'ont transférée au centre de rétention de l'aéroport, où je suis restée quatre heures, sans accès à une chambre. Dans l'après-midi, trois policiers sont venus me chercher, m'ont ramenée à l'aéroport pour l'embarquement. Arrivée au contrôle de police des frontières, j'ai cherché à voir un officier de police. Par chance, l'un d'eux s'est arrêté pour écouter mon histoire, et m'a donné raison. Il m'a dit de ne pas embarquer. Il a ordonné aux policiers de mettre un téléphone à ma disposition pour appeler ma famille à Paris et en Afrique.»

    Ca ne s'arrêtera pas là malheureusement. Lisez l'article pour la suite.

    Bref commentaire : ce médecin a fait l'objet d'un refus d'admission. C'est une décision privative de liberté, prise par les policiers de la Police Aux Frontières (PAF, ça ne s'invente pas) Elle n'a pas été transférée dans un centre de rétention (puisque techniquement elle n'était pas entrée en France) mais dans une Zone d'attente, les fameuses ZAPI. C'est une procédure classique, qui est utilisée quotidiennement. Si ce médecin n'avait pas eu de la famille en France, elle aurait probablement été réacheminée au Mali, au besoin menottée.

    Là où par contre j'émets une réserve sur cet article, c'est quand il ajoute :

    Un détail, encore : «Les policiers qui m'ont reconduite du centre de rétention au poste de police du terminal, visiblement déçus de me voir revenir pour une libération et pas pour un rembarquement, ont conspué leurs collègues du centre de rétention, accusés de faiblesse.»

    Ce n'est pas du tout crédible. Les policiers de la PAF ne sont pas des capos acrimonieux. Ce sont des fonctionnaires de police qui font leur métier, pas toujours sans états d'âme, mais quand ça arrive, ils les planquent sous leur képi. Qu'un étranger soit finalement remis en liberté sur ordre de la hiérarchie ou réacheminé, ils s'en moquent. Ils n'ont pas de prime à l'expulsé, ni un gage par étranger qui parvient à entrer. Et les policiers en poste à la ZAPI n'ont pas plus ou moins compétence que ceux en poste au terminal pour décider de libérer, c'est une question de hiérarchie.

    Ils appliquent la loi, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Avec parfois trop de zèle, comme ici ? Sans doute. Mais ce zèle, c'est le législateur et leur ministre de tutelle (l'Intérieur) qui leur demande. En notre nom à tous. Ne déchargeons pas notre responsabilité sur ceux qui obéissent aux ordres.

    mardi 25 juillet 2006

    La loi sur l'immigration et l'intégration est publiée au J.O.

    La loi dite "Sarkozy", mal nommée car il y a déjà bien des lois Sarkozy qui ont eu les honneurs du JO [1] est donc devenue la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration. La plupart de ses dispositions entrent en vigueur demain, le Conseil constitutionnel ayant rejeté le recours déposé par l'opposition, les neuf sages n'ayant posé qu'une réserve d'interprétation sur l'article 45 de la loi portant sur le regroupement familial. En effet, la loi nouvelle prévoit que le regroupement familial peut être refusé si le demandeur ne se conforme pas aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », notion un peu vague, ces principes étant reconnus par le préambule de la constitution de 1946 (encore en vigueur), mais aucune liste précise n'en est faite ; le conseil constitutionnel, pour respecter le principe de clarté et de prévisibilité de la loi précise donc que « le législateur a entendu se référer aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil » ; peu importe donc que le demandeur au regroupement familial exprime de profondes réticences sur des principes fondamentaux reconnus comme le droit d'association, par exemple, cela ne le privera pas de la compagnie de ses enfants.

    Un mot sur ce recours, toutefois. Une des dispositions que je trouve critiquables de cette loi est la suppression de la carte de séjour de plein droit à l'étranger qui justifie par tout moyen de dix années de séjour en France (ex article L.313-11, 3° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - CESEDA). L'argument du législateur est qu'il n'y a pas lieu de récompenser une situation illicite sous prétexte qu'elle a duré pendant dix années. L'argument frappé au coin du "bon sens" typique. Bon, c'est donc par un oubli manifeste que le législateur a oublié d'abroger la prescription en matière criminelle de dix années elle aussi. Pourquoi diable récompenser l'assassin qui ne s'est pas dénoncé pendant dix ans ? Rendons les crimes imprescriptibles, au nom du bon sens. Après tout, les américains ne connaissent pas cette loi qui leur permet ainsi de faire de très bonnes séries policières qui font les beaux dimanches soirs de France 2. De même, abrogeons la prescription fiscale qui interdit au fisc de revenir plus de dix années en arrière en cas d'absence de déclaration. Pourquoi récompenser le fraudeur qui n'a pas payé sa redevance télé pendant dix ans ? Au nom du principe d'égalité et surtout du bon sens, j'exige l'abrogation de ces dispositions. Bien sûr, toute atteinte au droit de frauder le fisc sera sanctionné électoralement, mais je sais que nos gouvernants ne transigent pas avec le bon sens et ne sauraient faire passer leurs petits intérêts personnels avant les principes fondamentaux.

    Bref, ce recours. Enfin, si on peut appeler ça un recours. Quel arguments nos bouillants députés de l'opposition, si critiques envers le futur président de la république ministre de l'intérieur ont-ils trouvé à opposer à cette abrogation lourde de conséquences pour les étrangers ?

    La réponse, affligeante, est au quatrième considérant :

    les requérants soutiennent que cette abrogation porte atteinte au principe de la dignité de la personne humaine ; (...)

    Non, sérieux, c'est tout ce que vous avez trouvé ?

    Le Conseil a beau jeu de leur répondre de manière cinglante :

    la disposition critiquée se borne à modifier les catégories d'étrangers bénéficiant de plein droit d'un titre de séjour et ne saurait, de ce seul fait, porter atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine consacré par le Préambule de la Constitution de 1946 ;

    ajoutant, coup de pied de l'âne qui réjouira le ministre de l'intérieur si critiqué pour cette mesure :

    par ailleurs (...) aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national ;

    Avec une opposition pareille, la droite n'a pas grand'chose à craindre.

    Faire un recours c'est bien, mais au moins il faut se creuser la tête pour opposer une argumentation qui évite le ridicule. Je ne pense pas que l'abrogation du 3° de l'article L.313-11 soit anticonstitutionnel : cette disposition n'est apparue en droit français qu'en 1997 (ou 1998 ?) quand le ministre de l'intérieur d'alors, Jean-Pierre Chevènement, a réalisé qu'il fallait une porte de sortie légale aux situations complètement bloquées d'étrangers présents en France depuis si longtemps que toute mesure coercitive à leur encontre risquait d'être illégale. Le législateur a la mémoire courte, et les ni-ni vont donc réapparaître, ces étrangers ni régularisables ni expulsables.

    Mais nos députés ne pouvaient ils pas tout simplement inviter les sages à s'interroger sur l'éventuelle violation du droit à la sûreté reconnue par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (article 2) ? En effet, les étrangers passent d'une situation ou, à terme, ils avaient une garantie légale de sortir de leur situation irrégulière, sans que l'administration n'ait son mot à dire (sauf risque de trouble à l'ordre public, comprendre si l'étranger a été condamné pendant ce laps de temps) à une situation où leur statut dépendra entièrement de l'appréciation discrétionnaire des préfets. Leur situation, objectivement se dégrade. Peu importe dès lors qu'aucun principe constitutionnel n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national, le problème étant qu'une garantie légale quant à leur personne et leur liberté leur est retirée sans qu'un principe fondamental ne le justifie, il s'agit d'un pur fait du prince qui reprend ce qu'il a donné il y a huit ans.

    Voilà qui aurait contraint les Sages à un peu de réflexion, qui aurait permis à la gauche de se poser en protecteur des faibles, et qui aurait souligné l'effet pervers de cette disposition frappée du coin du bon sens. Peut être le Conseil aurait-il quand même validé cette disposition. Mais ce n'est pas une raison pour se contenter d'un combat purement symbolique.

    Bon, je n'ai plus qu'à annoter mon Code, et à écrire des lettres qui vont plonger des hommes et des femmes dans un profond désespoir. Je risque de ne pas être de bonne humeur ces jours ci.

    Je ferai un commentaire un peu plus détaillé de cette loi dès que j'en aurai le temps.

    Notes

    [1] Citons entre autres la loi Loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, ayant déjà légiféré dans le même domaine, la loi Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, la loi n° 2004-804 du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement, entre autres.

    dimanche 28 mai 2006

    France, terre d'accueil

    Où l'auteur continue sa visite guidée de la France, vue par les yeux d'un étranger, aujourd'hui un demandeur d'asile.

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    vendredi 5 mai 2006

    Acceptons les étrangers à ce blog

    Je recopie ci-joint un commentaire laissé sous "Bienvenue en France" par un bénévole qui intervient en ZAPI. Un autre point de vue, de l'intérieur, par quelqu'un qui y est confronté plus souvent et bien moins superficiellement que votre serviteur, qui fréquente plus les prétoires. J'y ai inséré quelques commentaires, en gras. Merci à lui en tout cas de ce témoignage, qui complète fort bien mon billet.

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    jeudi 4 mai 2006

    Zapi days

    Où l'auteur vous invite à continuer avec lui la visite des arrières-cours de la Répblique.

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    mercredi 3 mai 2006

    Bienvenue en France

    Nos députés ont commencé hier l'examen du projet de loi sur l'immigration et l'intégration, projet voulu par le ministre de l'intérieur, qui n'a de cesse de répéter sa formule qui fait florès : "passer d'une immigration subie à une immigration choisie" et qui est aussi fidèle à l'esprit du texte que l'intitulé "égalité des chances" l'était au CPE.

    Le droit des étrangers est une matière complexe, mêlant droit administratif et droit judiciaire (privilège qu'il partage avec le droit de l'urbanisme), où les délais sont incroyablements courts face à des juridictions réputées pour leur lenteur autant que pour la qualité de ses jugements, et où les justiciables sont souvent désargentés et exclus du bénéfice de l'aide juridictionnelle sauf dans les cas de mesures d'expulsion par la force. je précise tout de suite que cette expression est juridiquement impropre, le mot d'expulsion ne couvrant qu'un aspect de ces mesures forcées : la loi distingue réacheminement, reconduite à la frontière et expulsion stricto sensu. Le seul mot qui me vient à l'esprit pour réunir toutes ces réalités pourrait a priori sembler trop dur vu la connotation terrible qu'il a pris au cours du siècle passé, je ne l'utiliserai donc pas tout de suite, mais vous allez voir qu'il n'est pas si inadapté que cela, et éthymologiquement, c'est le mot parfait. C'est le mot déportation.

    Je vous invite donc à me suivre dans le domaine du droit inconnu des médias, méconnu de bien des avocats, et où ont cours des pratiques qu'on voudrait croire d'un autre temps. A l'heure où on bat sa coulpe sur les crimes d'il y a deux siècles ou d'il y a soixante ans, venez avec moi découvrir ce qu'on pleurera à chaudes larmes de crocodiles dans quelques décénies. Après tout, nos petits enfants nous demanderont si nous étions au courant et pourquoi nous n'avons rien fait. Alors ayez le coeur bien accroché, je vous invite à visiter les égouts de la République.

    Il va falloir faire un peu de B.A.BA du droit des étrangers car il est indispensable que vous compreniez un peu de quoi on parle, avant que je vous montre ce que ça donne concrètement.

    Nul étranger ne peut être présent sur le territoire sans avoir un titre le lui permettant. C'est un domaine où l'Etat fait une police absolue, et où le seul fait d'être là est un délit. Oui, un délit, car à l'heure où les Etats Unis bruissent d'une loi considérée comme liberticide même par des élus républicains parce qu'elle envisage de faire du séjour irrégulier un délit, cela fait des décennies que tel est le cas en France. Le simple fait d'être là sans avoir un papier qui vous y autorise (et qui n'est pas délivré gratuitement, il n'y a pas de petits profits) est passible d'un an de prison, de 3750 euros d'amende, et de trois ans d'interdiction du territoire : article L621-1 du CESEDA.

    Le titre permettant l'entrée sur le territoire et un bref séjour est un visa. Il est délivré par le consulat de France du pays où réside l'étranger. Il peut être touriste, ou encore "Schengen", valable trois mois pour une entrée dans n'importe quel pays de l'espace Schengen. Il nécessite pour être délivré que l'étranger justifie d'un billet aller-retour, des ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins, d'une assurance prenant en charge ses frais médicaux, des conditions dans lesquelels il sera hébergé (hotel, certificat d'hébergement). Il peut être aussi long séjour, et est le préalable à une installation en France. Autant dire que le visa long séjour n'est délivré qu'à titre exceptionnel, dans les cas où le consulat n'a pas le choix, et encore faut-il apporter un volume considérable de justificatifs.

    Tout étranger qui veut se maintenir en France au-delà de son visa doit solliciter de la préfecture du département où il réside la délivrance d'une carte de séjour, valable un an (elle est collée sur une page du passeport). Au bout d'un certain temps, où dans certains cas particuliers très limités immédiatement, l'étranger peut solliciter une carte de résident, valable dix ans et renouvelable en principe de plein droit. Elle ressemble à notre carte d'identité en plus colorée, et est le Golconda de l'étranger, la fin de ses souffrances, et je n'exagère pas. Beaucoup organisent une fête quand ils l'obtiennent, et la plupart fondent en larme à la sortie de la préfecture, parce que pour en arriver là, vous n'imaginez pas encore ce qu'ils sont vécu. Ca viendra.

    Pour les cartes de séjour, il faut distinguer les cas où la préfecture peut accorder la carte de séjour (en fait, tous les cas, le préfet jouit d'une liberté discrétionnaire là dessus) et les cas où la préfecture DOIT accorder la carte de séjour.

    Parce que la réalité est simple : quand la préfecture n'est pas obligée d'accorder la carte, elle la refuse. Systématiquement. Avec à la clef une reconduite à la frontière.

    Mais j'anticipe.

    Tout étranger se présentant à la frontière sans visa est "non admis" avant d'être "réacheminé" vers son point de départ ou tout pays de son choix l'acceptant. Cette "non admission" peut aboutir à sa privation de liberté pour dix huit jours.

    Tout étranger présent en France dont l'administration constate qu'il n'a pas de titre de séjour peut être "reconduit à la frontière" par décision du préfet, et placé en Centre de rétention administratif (CRA) le temps que cette mesure soit exécutée, avec un maximum de 32 jours.

    De manière générale, tout étranger, fut-il muni d'un titre de séjour, dont le comportement provoque un trouble à l'ordre public, peut être expulsé par décision du préfet, aves des réserves liées à sa situation personnelle. J'y reviendrai.

    Pour le moment, revenons à la frontière, où se présente notre étranger. Laissons passer ceux qui ont un visa. Ils ne sont pas tirés d'affaire, mais ils ont quelques mois de tranquilité. Pour les autres, les ennuis commencent immédiatement.

    Le cas typique de l'étranger qui se présente à la frontière sans visa est le demandeur d'asile. Au moment du contrôle des passeports, il forme sa demande. Il relève dès lors de la Police Aux Frontières et du Bureau de l'Asile aux Frontières.

    Oui. Un étranger qui vient demander l'asile est accueilli par des PAF et des BAF. Le ton est donné.

    Pour lui souhaiter la bienvenue, on le place aussitôt en garde à vue, puis en zone d'attente. On parle encore de ZAPI, de Zones d'attentes de personnes en instance, même si, ce me semble, ce terme a disparu des textes officiels au fil des réformes incessantes que connaît la matière.

    Pour le moment, l'étranger a le statut au nom charmant de "non-admis". Ce premier placement a lieu pour une durée de 24 heures, renouvelable une fois. Si la PAF veut le garder plus longtemps, elle doit saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande en ce sens. Le juge peut autoriser ce maintien pour huit jours, et peut être à nouveau saisi d'une demande de renouvellement de huit jours. C'est une audience de ce type que je raconte dans le billet Un juste. C'est donc une durée totale de 18 jours que l'étranger peut passer en ZAPI. Mais cette durée sera rarement atteinte, grâce à la célérité conjuguée du ministre de l'intérieur et d'une compagnie aérienne peu connue, que j'appelle prosaïquement Air Chiotte.

    Ce sera l'objet de mes prochains billets, un peu moins théoriques, mais il fallait passer par là. Demain, je vous proposerai de parler des Zapi Days et du parcours du combattant du demandeur d'asile, et vendredi, d'Air Chiotte.

    Préparez vous à avoir honte.

    jeudi 13 avril 2006

    Un juste

    C'est un magistrat chenu, l'hiver qui a recouvert ses cheveux témoigne de son expérience. Il siège dans un tribunal de grande instance dans le ressort du quel se trouve un aéroport international, où il exerce les fonctions de juge des libertés et de la détention, notamment dans la terrible matière du droit des étrangers, terrible matière qui fera prochainement l'objet d'une série de billets tant la colère monte en moi.

    Les étrangers qui sont amenés devant lui viennent soit d'un centre de rétention des étrangers, soit d'une zone d'attente de l'aéroport. Congolais de RDC, Congolais de Brazzaville, Colombiens, Maliens, Nigérians, Biélorusses, ils fuient tous des criminels aux noms aussi variés que Cobras, Ninjas, FARC, et les pires de tous, Misère et Désespoir. Les malheurs du monde défilent dans son prétoire, escortés par des gardiens de la paix.

    A l'appel de chacun des dossiers, il regarde droit dans les yeux l'étranger prendre place, essayant par un sourire empreint d'humanité d'apaiser la peur qui noue le ventre de celui qui comparaît. Jamais il n'oublie de faire précéder son nom de "Monsieur" ou "Madame", il s'adresse à eux en des termes calmes et respectueux. C'est peu dire que l'audience s'en ressent. La sérénité baigne le prétoire.

    A un Congolais dont la voix étranglée par la peur et la fatigue n'arrive pas à exprimer dans un français qu'il maîtrise mal les raisons détaillées de sa fuite, il dit "Soyez sans crainte, le tribunal sait que l'on ne quitte pas son pays sans y avoir mûrement réfléchi et sans avoir de bonnes raisons de le faire". C'est une évidence, mais qu'il est bon de l'entendre rappeler.

    Il examine les procédures avec un soin méticuleux, aidé en cela par des avocats de permanence particulièrement compétents, et sanctionne impitoyablement le moindre vice. Ainsi ce Yougoslave amené devant lui, à bout de forces à cause de l'épuisement (il n'a pas dormi depuis son placement en rétention il y a deux jours) et de désespoir : au moment de sa sortie de prison pour infraction à la législation sur les étrangers, alors qu'il était "sortant", on lui a notifié son placement en centre de rétention en vue de son expulsion et il a vu sa liberté promise s'envoler de sous son nez. Le placement en rétention mentionne bien l'heure de notification, mais pas la levée d'écrou, qui ne mentionne que la date. Or il est impératif que la notification ait eu lieu AVANT sa levée d'écrou. Comme le juge n'est pas en mesure de s'assurer que la procédure a été respectée, il l'annule, en rappelant que la constitution fait de lui le gardien des libertés individuelles. "Vous serez libre dans quatre heures, sauf si le procureur fait appel", dit-il en souriant à l'homme qui n'ose croire que son cauchemar va prendre fin.

    Et ce dernier étranger, qui justifie avoir échappé à un attentat par balles le visant directement et à qui la police de l'air et des frontières chipote le caractère sérieux de sa demande d'asile (une victime d'attentat se doit de succomber pour être prise au sérieux par l'administration) et dont la famille en France offre de l'héberger, après avoir approché de son bureau pour signer le procès verbal de la décision ordonnant sa remise en liberté immédiate, sursaute quand le magistrat se lève pour lui serrer la main, poignée de main muette et non consignée au procès verbal mais que tout le monde comprend comme des excuses tacites : la place d'un homme qu'on veut assassiner n'est pas en zone d'attente le temps que la police le réexpédie en urgence dans son pays d'origine.

    Beaucoup de ceux qui comparaissent aujourd'hui ressortiront libres, grâce à l'actions conjuguée d'avocats compétents et d'un juge ayant compris que l'enjeu de la matière n'est pas la maîtrise d'un flux que l'on voudrait choisi et non subi, mais la liberté d'individus, d'êtres humains, que l'on parque dans des conditions ignobles pour faire des statistiques en vue d'une prochaine échéance électorale.

    Le parquet ne fera appel d'aucune de ses décisions.

    Dans un pays qui est en train de perdre la raison quand on lui parle d'étrangers, il est un magistrat qui sauve notre honneur car il est juste, et il l'est au nom du peuple français.

    mercredi 15 mars 2006

    L'homme qui n'existait pas

    L'homme qui n'existait pas a failli être mon client. Un jour que j'étais de permanence aux comparutions immédiates, son dossier est tombé sur mon bureau, parce que j'étais arrivé le premier. Il avait déjà fini le circuit procureur-enquêteur de personnalité.

    "Déjà ?" demandè-je. "Oui, répond l'adjudant chef qui supervise les dossiers, il a refusé de voir l'enquêteur de personnalité et n'a rien dit au procureur".

    Ca commence bien, me dis je en saisissant son dossier. Et ça continue, soupirè-je en sortant un casier judiciaire de huit pages, mentionnant une quinzaine d'alias. Je lis le dossier et d'un coup la misère terrible d'un naufragé de la bureaucratie envahit le bureau qui m'a été attribué.

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    jeudi 10 novembre 2005

    Double peine

    Plusieurs blogueurs (citons Ceteris Paribus) et commentateurs s'étonnent des déclarations fracassantes du ministre de l'intérieur (qui a dit "pléonasme" ?), annonçant hier à l'Assemblée qu'il allait demander aux préfets d'expulser systématiquement les étrangers condamnés pour des faits liés aux émeutes de ces derniers jours.

    En effet, l'actuel ministre de l'intérieur avait fait savoir à cors et à cris qu'il avait courageusement abrogé "la double peine", qui consiste à sanctionner un étranger délinquant par une peine de prison ET une interdiction du territoire, tandis qu'un délinquant français n'aura que la peine de prison. Rupture de l'égalité scandaleuse.

    Ledit ministre ayant d'ailleurs écrit dans son livre "La République, les religions, l'espérance" (Éditions du Cerf, 2004, 172 pages, 23 euros) :

    La réforme de la double peine a procédé de la même conviction : à chaque délit, à chaque crime, il doit y avoir une réponse pénale ferme. Mais celle-ci ne peut varier selon que l’on est, sur sa carte d’identité, français ou non. Lorsqu’il a passé toute son enfance en France ou qu’il y a fondé une famille, le second n’a pas à subir une seconde sanction en étant expulsé dans on pays de nationalité et coupé de sa famille.

    (via Koztoujours)

    Le ministre aurait menti ?

    Non, le ministre a fait de la com', qui maintenant que les circonstances ont changé lui revient dans la figure comme un boomerang, et cela me réjouit, abstraction faite de la personne du dit ministre : L'arroseur arrosé reste pour moi un chef d'œuvre du comique.

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    mardi 20 septembre 2005

    Eduardo

    Eduardo a 9 ans. Il est assis non loin de moi, sur un des bancs de la salle d'audience. Ses pieds se balancent dans le vide. Son esprit, lui, est bien loin de l'hôtel d'Aumont. Il lit Harry Potter, et ne se rend pas compte qu'on parle de lui à quelques mètres de là.

    En effet, au même instant, une avocate se débat désespérément pour que les parents d'Eduardo ne soient pas reconduits à la frontière. Elle explique au juge administratif, preuves à l'appui, que les parents d'Eduardo sont arrivés en France il y a six ans de cela, que cela fait quatre ans qu'ils sont locataires de leur appartement, qu'ils payent leurs impôts, qu'Eduardo va à l'école de son quartier, maternelle puis primaire, où il a appris le Français qu'il parle sans accent. C'est vrai : je l'ai entendu parler, il servait d'interprète à ses parents pour discuter avec leur avocat, dans le hall, tout à l'heure.

    L'avocat montre le carnet de note d'Eduardo. Excellent en français, brillant en calcul, très bon en histoire. Le dessin, par contre, c'est pas son truc.

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    jeudi 24 février 2005

    Les jugements sont ils écrits d'avance ?

    Un confrère qui me fait l'honneur de me lire et plus encore celui de me commenter, a attiré mon attention sur un incident récent ayant eu lieu ai tribunal administratif de Paris, ayant donné lieu à ce communiqué du Syndicat des Juridictions Administratives.

    Notre Bâtonnier Bien Aimé a dans un premier temps menacé de sonner le tocsin, avant de s'adoucir dans un récent éditorial du Buleltin interne de l'Ordre.

    Les faits sont simples : le 8 février dernier, un avocat préparant une audience de reconduite à la frontière au tribunal administratif de Paris, a eu la surprise de trouver, en consultant le dossier, un projet de jugement, manuscrit et non signé, rejettant le recours de son client. Alors que l'audience allait avoir lieu. Il a demandé copie de ce document et a mis e ncause l'impartialité du tribunal, affirmant que les jugements étaient écrits d'avance.

    Le Bâtonnier a enfourché son cheval de Bataille avant d'en redescendre aussi vite après une rencontre avec les juges administratifs.

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