Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche

Votre recherche de démence a donné 13 résultats.

lundi 16 septembre 2013

L'affaire du bijoutier de Nice

Un fait divers dramatique survenu mercredi dernier est à l’origine d’une controverse, appelons-ça comme ça, au sein de l’opinion publique.

À Nice, un bijoutier de 67 ans a été victime d’un vol à main armée alors qu’il ouvrait sa boutique, vers 9h du matin. Deux individus armés de fusils à pompe l’ont alors contraint à ouvrir son coffre et se préparaient à prendre la fuite sur un scooter (je ne connais pas le déroulé précis des faits mais il semblerait que des coups lui aient été portés). Le bijoutier a alors pris un pistolet automatique de calibre 7,65 mm, est sorti dans la rue et, soit au niveau de sa boutique, soit après avoir couru après les malfaiteurs, les versions divergent, a ouvert le feu à trois reprises, blessant mortellement le passager du scooter. L’autre a réussi à prendre la fuite et au moment où j’écris ces lignes, est toujours recherché, la police ayant probablement déjà une bonne idée de son identité.

L’homme abattu avait 19 ans, et avait déjà été condamné pour des faits de vols, des violences et des infractions routières, d’après Nice Matin citant des sources policières. Il avait une compagne enceinte de ses œuvres.

À la suite de cette affaire, ce bijoutier a été placé en garde à vue pour homicide volontaire, garde à vue qu’il a passé hospitalisé car se plaignant de douleurs suite aux coups reçus. Au terme de cette garde à vue, il a été présenté à un juge d’instruction qui l’a mis en examen pour homicide volontaire, placé sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire remis en liberté avec obligation de fixer son domicile à une adresse convenue, située hors du département des Alpes Maritimes et tenue secrète, et placé sous surveillance électronique, c’est à dire qu’il a un bracelet électronique à la cheville qui déclenche une alarme s’il s’éloigne de plus d’une certaine distance d’un boitier électronique relié à une ligne téléphonique. Le contrôle judiciaire a pu prévoir des horaires de sortie, j’ignore si ça a été fait.

Voici l’état des faits qui a provoqué une vague d’indignation, une partie de l’opinion publique ayant la sensation que c’est la victime que l’on poursuit, et approuvant non sans une certaine virulence le geste de ce commerçant. Je passe sur les messages particulièrement haineux qui accompagnent parfois ce soutien, on est en présence d’un emballement classique sur la toile. Il y a un raz-de-marée de commentaires de soutien, donc, noyé dans la masse, on se sent à l’abri et on se désinhibe, et pour se faire remarquer dans la masse, il faut faire pire que le dernier message haineux. Aucun intérêt, on est au niveau de la cour de récré, pour savoir qui a la plus grosse[1]. Je m’adresse dans ce billet à ceux qui ont cliqué de bonne foi mais qui restent sensibles à la raison, pas à ceux qui s’enivrent de violence dans leur condamnation de la violence.

À vous donc, qui ne comprenez pas que la justice n’ait pas donné une médaille à ce bijoutier, que dit la loi sur ces faits ?

La loi, rien que la loi.

Il est temps de clarifier un premier point qui conditionne sans doute nombre de malentendus. Les magistrats, terme qui recouvre les juges et les procureurs de la République, chargé d’exercer les poursuites au nom de la société, ne sont pas des souverains capricieux, des petits seigneurs châtelains libres d’appliquer une loi réduite au rang d’aimable suggestion selon leur bon sens paysan. Les magistrats sont en charge d’appliquer la loi, telle qu’elle est votée et en vigueur au moment des faits. Quoi que leur for intérieur leur dise, parfois, et plus souvent que vous ne le pensez, à contrecœur, mais ils ont prêté serment de le faire et le font. Les magistrats sont des légalistes, c’est là leur moindre défaut.

Que disait donc la loi ici ?

Qu’il est interdit d’ôter volontairement la vie à autrui, et que le faire malgré cette interdiction peut conduire à ce que vous soyez condamné à 30 ans de réclusion. Or ici, on a un jeune homme de 19 ans mort car on lui a tiré dessus. Il y a assez d’indices pour que la justice se doive d’enquêter pour en savoir plus.

Une expression vient immédiatement à l’esprit. “Légitime défense”. Le tireur venait d’être agressé physiquement, menacé, et volé par le jeune homme. Cela ne rend-il pas son geste excusable ?

La légitime défense fait partie des causes d’irresponsabilité pénale prévues aux articles 122-1 et suivants du code pénal (mon chapitre préféré). Ces causes sont, dans l’ordre d’apparition à l’écran :

1- L’abolition du discernement par un trouble psychique ou neuropsychique (= la démence mais pas seulement).
2- La contrainte ou force majeure. Par exemple un appelé du contingent incarcéré ne commet pas le délit d’insoumission.
3- L’erreur invincible de droit . Très rarement admise, il faut que l’intéressé ait reçu une information juridique fausse d’une source dont il ne pouvait douter. Par exemple quand un procureur vous donne à tort une attestation disant que vous êtes autorisé à conduire.
4- L’autorisation de la loi et le commandement de l’autorité légitime, sauf si l’ordre est manifestement illégal.
5- La légitime défense des personnes et des biens. Je vais y revenir.
6- L’état de nécessité, qui s’applique à des hypothèses autres qu’une agression directe, quand, eu égard aux circonstances, l’accusé n’a pas eu le choix : il devait commettre un acte illégal pour prévenir un résultat pire. Ce fut le cas d’un paraplégique fumant du cannabis pour calmer ses douleurs, ayant établi que les médicaments existants détérioraient ses reins.
7- L’incapacité de discernement due au très jeune âge. La loi ne fixe pas de limite fixe, chaque enfant évolue différemment, mais il est acquis qu’en dessous de 10 ans, on ne relève pas du droit pénal.

Ces causes d’irresponsabilité sont ce qu’on appelle en droit des exceptions c’est-à-dire des moyens de défense soulevés par le défendeur.

Rappelons qu’en droit pénal, le principe fondamental de la présomption d’innocence fait qu’il incombe au parquet (c’est à dire au service constitué par l’ensemble des procureurs) d’apporter la preuve de la culpabilité, dans tous ses éléments. C’est ce qu’on appelle la charge de la preuve. Mais s’agissant des exceptions, la charge de la preuve ne pèse pas sur le parquet : ce n’est pas à lui d’apporter la preuve qu’il n’y avait pas légitime défense, mais à la personne poursuivie de le prouver.

Naturellement, il n’est pas interdit au parquet, face à des indices assez évidents qu’une telle exception existe, de s’assurer de lui-même que tel ne serait pas le cas. Et il ne se prive pas de le faire. Mais le risque que la preuve ne puisse être apportée pèse cette fois sur l’accusé. Ce qui au niveau procédural change beaucoup de choses, notamment pour la défense.

Ouvrons l’œil du juriste sur cette affaire, qui, rappelons-le, est le même que le votre, mais avec le prisme de la loi en plus. Il doit qualifier les faits pour déterminer la loi qui s’applique, le contenu de cette loi relevant du parlement.

L’analyse des faits

Chronologiquement, tout commence par le vol commis sous la menace d’une arme. Faute de précision contraire, je suppose que les armes utilisées étaient réelles et approvisionnées, donc dangereuses, même si la loi considère qu’un vol commis sous la menace d’une imitation d’arme est également un vol à main armée. C’est un crime passible de 20 ans de réclusion. En outre, les auteurs étaient deux. Il est possible qu’ils aient planifié cette attaque au point de constituer une bande organisée. Auquel cas le vol en bande organisée sous la menace d’une arme est passible de trente ans de réclusion. L’enquête de police qui suit son cours a notamment pour objet de permettre au parquet de retenir la qualification la plus adéquate (et dans le doute, la plus haute).

Puis vient la riposte du bijoutier. Il est établi qu’il a volontairement ouvert le feu en direction du jeune homme. La première question qui se pose est : avait-il l’intention de tuer ? Si tel était le cas, c’est un meurtre, passible, on l’a vu, de 30 ans de réclusion. Si tel n’est pas le cas, ce sont des violences volontaires avec arme ayant entrainé la mort sans intention de la donner, passibles de 20 ans de réclusion. La preuve de l’intention homicide est délicate, puisque c’est un état d’esprit, mais peut être déduite des circonstances. Ici, le bijoutier prétend semble-t-il avoir d’abord tiré pour arrêter le scooter, ce qui exclurait une intention homicide. Mais les tirs ont été répétés, ce qui est un indice classique d’intention homicide. Une expertise balistique aura probablement lieu pour déterminer si la trajectoire des balles est rasante, ce qui montre que le scooter était visé, ou qu’au contraire, c’était les passagers qui étaient visés, auquel cas des déclarations mensongères peuvent contribuer à prouver une intention homicide (vive le droit au silence, vous dis-je). En outre, la question se posera de la cohérence de vouloir immobiliser sur place des personnes armées et violentes, qui auraient pu répliquer aux tirs en faisant usage de leurs fusils : la prudence voulait qu’on les laissât fuir. Toutes ces questions et d’autres soulevées par le déroulé exact des faits seront débattues au cours de l’instruction. En outre se pose la question de la légalité de la détention de cette arme, soumise à autorisation préfectorale, sous peine de 3 ans de prison. D’après le Point, il se la serait procurée illégalement, ce qui est un délit.

Au titre des arguments de la défense, l’exception de légitime défense pourra être soulevée. Elle le sera sans doute. A-t-elle des chances de succès ?

Voyons la définition exacte de la légitime défense. Article 122-5 du code pénal :

N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte.

N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction.

Notons d’emblée une première distinction qui a son importance : l’homicide volontaire n’est couvert par la légitime défense qu’en cas d’atteinte aux personnes. Il n’y a pas de légitime défense pour le meurtre d’un voleur. Il y a donc un vrai enjeu pour la défense de faire écarter l’intention homicide, puisque c’est un préalable pour plaider la légitime défense face à un vol, ou alors il lui faudra établir que le bijoutier était encore physiquement menacé, ce qui va être très difficile si leur client s’est de lui-même lancé à la poursuite de ses agresseurs qui quittaient les lieux sans plus le menacer.

En outre, cet article pose les conditions de la légitime défense, qui a donné lieu à une abondante jurisprudence. Ces conditions sont :

  1. Dans le même temps : la riposte doit être immédiate et contemporaine à la menace. Le temps qui se sera écoulé entre le moment où les malfaiteurs sont partis et ont rendu sa liberté de mouvement au bijoutier, et où celui-ci, après s’être saisi de son arme (a-t-il dû l’approvisionner et la charger ?), est sorti et a ouvert le feu sera déterminant. Plus ce laps de temps est long, moins la légitime défense tiendra. Ce sera un des objets de l’instruction d’établir cela, probablement par une reconstitution sur place en présence des toutes les parties et de leur avocat.
  2. Un acte nécessaire : l’acte doit avoir pour objet de mettre fin à l’agression. Pas de droit à la vengeance. Beaucoup des soutiens du bijoutier semblent considérer qu’en commettant ce vol, ce jeune homme s’est mis dans une situation où il aurait consenti au risque de mourir, ou aurait perdu son droit à la vie. Il n’en est rien depuis que le droit de la vengeance privée illimitée a été aboli, ce qui a permis des conséquences néfastes comme la civilisation.
  3. Un acte proportionné : l’acte doit être proportionné à la menace. On ne peut ouvrir le feu sur quelqu’un qui agite le poing dans sa direction. Les juges ne sont pas très exigeant sur la question : dès lors que votre vie est effectivement en danger, une riposte sévère est justifiée, par exemple ouvrir le feu sur un individu armé d’un simple couteau est proportionné, un coup de couteau pouvant être mortel. Et il est de jurisprudence assez classique que des coups portés dans le dos d’une personne prenant la fuite ne remplissent pas cette condition.

En outre, la jurisprudence a ajouté deux critères : il faut que l’agression soit réelle ; le fait que celui qui se défend soit sincèrement, mais à tort, convaincu de l’existence d’une menace fait obstacle à la légitime défense. On imagine aisément les risque d’abus. Qui a dit George Zimmerman ? Enfin, il faut que l’agression soit injuste. Si celui qui vous asperge de gaz lacrymogène avant de vous donner des coups de trique est un CRS vous empêchant de prendre d’assaut l’Élysée, vous ne pourrez en aucun cas être en légitime défense.

La charge de la preuve pèse au premier chef sur l’accusé, ici sur le bijoutier mis en examen. La loi renverse la charge de la preuve, en présumant qu’il y a légitime défense, à charge pour le parquet de prouver que ce n’était pas le cas, dans deux circonstances : 1° Pour repousser, de nuit, l’entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; 2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. Malheureusement pour le bijoutier, le vol ayant cessé au moment où il a ouvert le feu, il aura du mal à invoquer cette présomption, mais c’est une piste que la défense ne manquera pas d’explorer.

Il ne peut pas compter sur le soutien du parquet de Nice, le procureur ayant expliqué dans une conférence de presse pourquoi la légitime défense ne lui semblait pas établie. Et cet avis est assez solidement assis. Si le caractère proportionné de la riposte semble établie (pistolet semi-automatique contre deux fusils à pompe), ainsi que le caractère injuste de l’agression initiale, le caractère immédiat de la riposte est douteux, ce qui par ricochet rend le caractère réel aussi douteux, le caractère nécessaire l’est également, puisque le fait qu’ils s’en allaient mettait précisément fin au danger.

La ratio legis

Un des clichés populaires sur le droit est qu’il s’agirait d’une discipline cousine de la pataphysique, une sorte de jeu intellectuel consistant à embrasser la réalité à travers des règles absurdes et déconnectées de la réalité, et opposée à ce fameux “bon sens” que je hais tant car il est le contraire de la réflexion, il est le préjugé étayé par les idées reçues. Celui qui permet de résumer une pensée à un clic. C’est donc plus spécifiquement aux cliqueurs en soutien que je vais m’adresser à présent.

Certes, je suis souvent critique sur la piètre qualité de la loi, ses défauts, et les catastrophes que son empilement inconsidéré peut provoquer. Il demeure que le droit est une science, et repose sur des raisonnements et des démonstrations. Et les règles anciennes et stables ont toutes une raison d’être, ce qu’on appelle la ratio legis. Demandons-nous pourquoi les faits reprochés à ce bijoutier sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi.

La raison est en fait assez simple à comprendre.

La loi ne vise pas à promouvoir des comportements héroïques. Elle peut punir la lâcheté quand il n’y avait aucun risque à agir, mais ce qu’elle vise avant tout c’est l’ordre et la sécurité de tous. Bien sûr, elle ne peut assurer la sécurité absolue de chacun à toute heure. Oui, l’État, qui est le bras séculier de la loi, a failli à protéger ce bijoutier. Cela peut engager la responsabilité de l’État, mais cela ne permet en rien à ce bijoutier de s’affranchir lui-même de la loi. Et regardons ce qu’a fait, objectivement, cet homme.

Il a 67 ans, âge vénérable, auquel hélas la nature commence a prendre son dû. La vue baisse, la main tremble. Cet homme, sous le coup d’une terrible émotion, mélange de peur, de colère, de douleur, car il a reçu des coups, sort dans la rue, un mercredi matin à 9 heures, à l’heure où les enfants vont aux centres de loisir ou au parc, et il ouvre le feu à trois reprises. En plein centre-ville. Avec une arme détenue illégalement. Sérieusement, vous estimez que c’est un comportement digne d’éloge ? Dieu merci, il n’a blessé aucun passant, il n’y a pas eu de balle perdue. Peut-on conditionner un comportement à son résultat ? Si un enfant se rendant au parc s’était pris une balle perdue, applaudiriez-vous toujours ce monsieur ? Et pourtant, il aurait fait exactement la même chose. La fin ne justifie pas les moyens dans une société civilisée.

Il n’a donc touché que son agresseur. Un jeune homme de 19 ans, futur père. Dans quelques mois, un enfant va naître. Il ne connaitra jamais son père. Faut-il lui dire que c’est bien fait pour son papa et donc que le fait qu’il naisse orphelin est juste ? Dans le pire des cas, si la loi avait été respectée, son père, arrêté, aurait été condamné à 15, peut-être 30 ans de réclusion. Avec des possibilités de libération anticipée, mais dans tous les cas, il aurait connu son enfant, à qui il aurait pu apprendre par l’exemple les principes des causes et des conséquences légales. La souffrance de ce père absent, mort à 19 ans, c’est cet enfant qui va se la prendre dans la figure, et ça peut être terriblement destructeur. Quelle faute a commis cet enfant pour que cette épreuve qui l’attend vous emplisse de joie ? Qu’est-il donc devenu, le droit de tout enfant à un papa et une maman ? Je ne me souviens pas que c’était sous réserve d’un casier judiciaire vierge. Et ce jeune homme mort avait une compagne, il avait lui aussi des parents, peut-être des frères et sœurs, qui, eux, n’ont rien fait. Rirez-vous au nez d’une mère qui perd son fils ? Applaudirez-vous ses larmes en disant “Justice est faite” ? Si tel est le cas, juste une question : en quoi êtes-vous meilleur que ce jeune homme ? Lui, au moins, ne tirait aucun plaisir de la souffrance d’autrui. Il faisait ça pour de l’argent.

Et même si la souffrance des proches, bien qu’innocents, vous indiffère, que va-t-il se passer à présent ? Croyez-vous une seule seconde que des apprentis braqueurs vont être tétanisés de peur et renonceront à leur projet, et à la place deviendront d’honnêtes autoentrepreneurs dans l’agriculture bio ? Non, la leçon sera retenue. Et elle est : ne jamais laisser le commerçant libre de ses mouvements après coup. Chercher s’il y a une arme, et l’emporter. Le ligoter, au mieux, l’assommer, le blesser, et dans le doute, tirer le premier. Ce genre de faits divers met en danger tous les bijoutiers et tous les commerçants susceptibles d’être braqués. Voyez : ce bijoutier s’est vu obligé de quitter le département pour se mettre à l’abri de représailles. Il ne peut rouvrir sa boutique pour une durée indéterminée. Peut être définitive vu son âge, avec un fonds de commerce qui a sans doute fortement perdu de la valeur avec cette histoire. Cela en valait-il le coup ? Pour vous, dont l’implication consiste à un clic, sans nul doute. Vous pouvez, sans risque, ce qui garantit toujours de la bravoure, vous projeter à sa place et fantasmer que vous eussiez fait de même. Et vous passerez à autre chose et continuerez à vivre tranquillement car vous ne l’avez pas fait et n’avez pas à vivre les conséquences. Ce n’est pas le cas de cet homme.

Vous voyez que ça ne se résume pas à pleurer sur le sort d’un braqueur. Lui est mort, tout lui est indifférent désormais.

J’espère nourrir un peu votre réflexion. Si la raison vous indiffère, vous vous êtes fourvoyés en arrivant ici.

Quid nunc ?

Et maintenant ? Que va-t-il se passer ? Je ne lis pas l’avenir mais une partie de celui-ci est prévisible.

Deux affaires judiciaires sont en cours. La première concerne le braquage. Elle doit être menée par la police sous la forme d’une enquête de flagrance, vu l’urgence, et vise à identifier le co-auteur du braquage, à le localiser (on dit “le loger” en jargon policier) et à l’interpeller. Dans cette phase d’urgence, chapeautée par le parquet, la police dispose pour une durée limitée de larges pouvoirs d’enquête : elle peut notamment effectuer des perquisitions de sa propre initiative et sans l’accord de la personne concernée, et d’autres mesures classiques d’identification et de localisation que je ne listerai pas ici pour ne pas risquer d’aider le fuyard, on ne sait jamais. Une fois le délai de flagrance terminé (quinze jours maximum après les faits), l’enquête pourra, au choix du parquet, continuer en la forme préliminaire (Pour résumer : la police perd ses pouvoirs coercitifs autonomes et doit avoir l’aval du parquet pour user de la contrainte, garde à vue mise à part). Le parquet est tenu de saisir un juge d’instruction avant le jugement, mais tant que l’individu recherché n’a pas été interpellé, il n’y a pas d’urgence, même si l’instruction permet plus aisément la mise en place de surveillances téléphoniques, par exemple.

La deuxième concerne le meurtre. Là, il n’y avait plus le choix, et un juge d’instruction a été saisi, car le principal suspect a été interpellé. Il a été mis en examen, c’est-à-dire s’est vu notifier officiellement les charges qui pèsent contre lui et peut désormais accéder au dossier et a droit à l’assistance d’un avocat qui peut exercer tout un ensemble de prérogatives de la défense. La question qui se posait était : que fait-on du suspect ? La détention provisoire a été, et c’est heureux, écartée, au profit d’un contrôle judiciaire. La famille de la victime va pouvoir se constituer partie civile (et son enfant, une fois né). Le bijoutier encourt une peine maximale de 30 ans de prison, mais pourra plaider la légitime défense devant la cour d’assises. Son avocat pourra tenter d’obtenir un acquittement même si la légitime défense ne tient pas vraiment, en se ralliant 4 jurés sur les 6 (et 5 en appel en cas de probable appel du parquet), c’est une tactique possible, mais dangereuse, elle peut provoquer une réaction de sévérité. En tout état de cause, la cour restera libre de prononcer une peine moindre que 30 ans, avec un minimum d’un an (art. 132-18 du Code pénal), qui pourra être assorti du sursis intégral. Je ne lis pas l’avenir, mais il y a gros à parier que ce bijoutier ne verra jamais l’intérieur d’une cellule de prison.

Néanmoins, une mauvaise surprise l’attend. S’il est condamné, même au minimum, il devra quand même indemniser la victime, représentée par son héritier (son enfant à naître, à défaut ses ascendants) et ses proches, victimes par ricochet, car, comme je l’ai indiqué, elles ont été privées d’un fils, d’un compagnon, d’un père, d’un frère. Ça peut chiffrer, car il y a bien des postes de préjudice. La perte de revenus, le préjudice moral,et j’en passe.

“Comment ?” vous offusquerez-vous. Le bijoutier devra indemniser son braqueur ? Eh oui, en vertu d’une jurisprudence classique de la Cour de cassation, protectrice des victimes, qui interdit d’opposer à la victime son comportement même fautif en cas de crime ou délit volontaire (ce qui s’agissant des crimes est un pléonasme). La même règle qui interdit d’opposer à la victime d’un viol un quelconque comportement aguicheur (qui fût-il établi n’a jamais été une autorisation de violer, rappelons-le) interdira au bijoutier d’opposer aux proches de celui qu’il a tué que celui-ci l’avait braqué juste avant. S’il y a légitime défense, il n’y aura pas indemnisation, mais s’il n’y avait pas légitime défense, indemnisation il y aura. La sanction d’un braquage, c’est 15 voire 30 ans. Ça n’a jamais été la mort. Et certainement pas administrée par un particulier. Pas plus qu’être victime d’un braquage n’ouvre de droit à ouvrir le feu dans la rue.

La loi impose une réponse et la loi permet que cette réponse soit modérée. Et la République, notre République, est bâtie sur le règne de la loi et elle seule.

Ne commencez pas à souhaiter que la loi du Far West ne s’impose. De peur que votre vœu soit exaucé.

Note

[1] Sottise, naturellement.

vendredi 16 avril 2010

Peut-on faire un procès à la justice ?

Dans les commentaires sous le billet précédent concernant cet automobiliste emprisonné et qui n’aurait pas dû l’être (automobiliste, puisqu’il n’avait pas le permis, emprisonné, puisque la loi ne le permettait pas), une question intéressante m’est posée : cet automobiliste peut-il être indemnisé de sa détention et comment ? C’est, au-delà de cette affaire anecdotique quand on n’est pas directement concerné, la question de la responsabilité de la justice qui est posée.

Premier point : la responsabilité personnelle des magistrats concernés (le procureur qui a requis la détention, le juge des libertés et de la détention -JLD- qui l’a accordée) ne peut pas être directement recherchée par la personne injustement détenue. Leur faute n’est pas, selon les termes juridiques en vigueur, détachable du service : ils ont agi comme magistrats, c’est incontestable. C’est donc l’État qui est responsable, comme nous allons le voir, en application de l’article L.141-3 du Code de l’organisation judiciaire, sachant qu’il peut ensuite se retourner contre le ou les magistrats responsables pour se faire rembourser les sommes qu’il a payées (action dite récursoire, qui n’a à ma connaissance jamais été exercée) :

L’Etat est civilement responsable des condamnations en dommages et intérêts qui sont prononcées à raison de ces faits contre les juges, sauf son recours contre ces derniers.

La responsabilité pénale permettrait de les citer directement en justice, car ils n’ont aucune protection contre cette responsabilité. Mais la détention arbitraire suppose la preuve qu’ils savaient au moment de requérir ou d’ordonner la détention que celle-ci était illégale. C’est l’élément moral de l’infraction. Et ici, personne ne pense sérieusement que les deux magistrats concernés se sont amusés à placer illégalement en détention l’intéressé en connaissance de cause.

J’entends des voix dans le fond qui s’exclament “Mais nul n’est censé ignorer la loi, a fortiori un magistrat censé la connaître !”. J’entends bien.

Mais “nul n’est censé ignorer la loi”, je le rappelle est une règle de procédure qui dispense le parquet d’apporter la preuve que le prévenu connaissait l’élément légal de l’infraction (le texte qui incrimine les faits). Elle ne fait pas échec la présomption d’innocence. En vertu de cet adage, il sera interdit aux magistrats prévenus de prétendre qu’ils ignoraient qu’il est interdit de détenir quelqu’un arbitrairement. De fait, il est certain qu’ils le savaient. Encore faudra-t-il prouver qu’ils savaient qu’ils faisaient détenir quelqu’un arbitrairement. Et ici cette preuve apparaît impossible à rapporter car je ne doute pas de la bonne foi de ces deux magistrats (et Dieu sait qu’en matière de détention provisoire, j’ai épuisé depuis des années mes réserves d’indulgence à l’égard des magistrats). Bref, pas de responsabilité civile personnelle ni pénale. On a juste une nouvelle illustration de l’importance du droit à un recours effectif et une explication de la revendication sans cesse réitérée des avocats à un vrai habeas corpus, pas un “à la française”, non, un vrai, qui marche, c’est à dire un recours général contre toute privation de liberté, aussi courte fût-elle, dès lors qu’elle dure assez longtemps pour que le juge ait le temps de statuer.

J’entends d’autres voix venir du fond pester contre l’irresponsabilité des magistrats. D’abord, ils ne sont pas irresponsables (seul l’est le Président de la République, et on lui a confié le feu nucléaire, d’ailleurs), mais leur statut les protège de la responsabilité civile de leurs actes de magistrat. C’est une garantie commune à tous les fonctionnaires et qui en l’espèce se justifie pour protéger leur indépendance. C’est cette immunité relative qui fait que j’entre confiant dans un prétoire même quand mon adversaire est aussi fortuné que procédurier. Il ne peut faire pression sur le juge en le menaçant d’un procès s’il lui donne tort.

Le principe est donc que c’est l’État qui est responsable pécuniairement.

Comment obtenir réparation ?

La première possibilité qui vient à l’esprit est le système d’indemnisation des détentions provisoires infondées mis en place par la loi du 15 juin 2000.

Le système est simple : toute personne détenue bénéficiant d’une relaxe, d’un acquittement ou d’un non lieu a un délai de six mois pour saisir par simple requête le premier président de la cour d’appel d’une demande d’indemnisation. La décision est rendue après une audience en principe publique, avec un recours possible devant une commission nationale de réparation des détention qui siège à la cour de cassation. Toutefois, l’indemnisation est exclue en cas de relaxe pour irresponsabilité mentale (démence, quoi), amnistie, prescription de l’action publique postérieure à la libération et détention pour autre cause. Code de procédure pénale, articles 149 et suivants.

D’après mon excellent quoique provincial confrère François Saint-Pierre, le montant moyen de l’indemnisation est de l’ordre de 57 euros par jour (oscillant en fait entre 37 et 107 €. Une exception notable est celle des acquittés d’Outreau, qui se sont vus proposer une indemnisation de 4000€ par jour, qu’ils ont refusée. Après versement d’une provision de 250.000 €, une négociation a eu lieu, avec une clause de confidentialité qui leur interdit de révéler les montants perçus. Source : Le Guide de la défense pénale, 5e éd., Éd. Dalloz, oct. 2007.

Mais pour notre spinalien réfractaire, cette voie est fermée, et le restera probablement. En effet, il n’a pas bénéficié d’une relaxe : le tribunal a annulé la procédure à compter du moment où la loi a été violée, soit l’incarcération. Toute la procédure antérieure (interpellation, garde à vue, auditions, consultation du fichier nationale des permis de conduire…) reste valable (enfin, sous réserve qu’il ait eu la possibilité de se faire assister par un avocat pendant ses interrogatoires en garde à vue, mais j’ai un léger doute), et le tribunal en a fait retour au ministère public, qui peut le citer à nouveau, mais libre cette fois.

Et il semble acquis que le prévenu a bel et bien conduit sans permis. Cette affaire devrait se terminer par une condamnation, qui exclut toute indemnisation.

La deuxième possibilité est à mon avis la bonne : la responsabilité de l’État pour dysfonctionnement du service public de la justice.

La procédure est prévue aux articles L.141-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire (COJ). C’est un cas rare de responsabilité de l’État devant les juridictions judiciaires, contraire au principe du Grand Divorce.

La procédure est simple : il suffit d’assigner l’Agent Judiciaire du Trésor (qu’on surnomme affectueusement “l’agité” - l’AJT) , qui représente l’État[1] devant, au choix, la juridiction de proximité (demandes jusqu’à 4000 euros), le tribunal d’instance (demandes de 4001 à 10000 euros) ou le tribunal de grande instance (demandes supérieures à 10001 euros), de Paris (tribunal du domicile de l’Agent Judiciaire du Trésor), le tribunal où s’est produit le dysfonctionnement ou celui du lieu où le dommage est survenu (Dans notre affaire, ces deux hypothèses renvoient à Épinal).

Ici, on a une exception à une règle fondamentale de la responsabilité civile : celle de l’égalité des fautes. La loi (art. L.141-1 du COJ) exige “une faute lourde ou un déni de justice”, le déni de justice étant le refus ou l’abstention par un juge de trancher un cas qui lui est soumis et qu’il est compétent pour trancher.

La définition de la faute lourde a été profondément modifiée par un arrêt d’assemblée plénière de la cour de cassation (c’est à dire tous les juges siégeant ensemble, vous imaginez l’autorité morale de ces décisions) du 23 février 2001 :

Constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la jurisprudence est même allée plus loin en instaurant un système de responsabilité pour faute simple pour les dommages résultants de l’usage d’une arme par les services judiciaires.

Toutefois, l’action suppose que le plaignant ait usé des voies de recours que la loi mettait à sa disposition pour mettre fin à ce dysfonctionnement (qu’il ait fait appel, en somme): civ. 1re, 11 janvier 2005. Ici, pas de problème, notre conducteur sans sauf conduit n’ayant aucune voie de recours (art. 396 du CPP).

Ce système ne s’applique qu’aux magistrats professionnels, pas aux conseillers prud’hommes et juges consulaires (des tribunaux de commerce), qui relèvent d’une autre procédure, dite de prise à partie.

En première analyse, sachant que je n’ai pas accès au dossier, c’est cette voie que devrait emprunter (à pied, bien sûr) notre infortuné automobiliste : prononcer une détention provisoire dans un cas non prévu par la loi caractérise à mon sens l’inaptitude du service public à remplir la mission dont il est investi : appliquer la loi, et non la violer, et protéger les libertés individuelles, non y porter atteinte.

Notes

[1] Agent Judiciaire du Trésor, Direction des Affaires Juridiques du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, 6 rue Louis-Weiss 75013 Paris.

vendredi 4 septembre 2009

Rentrée des classes : cours de latin ou pourquoi ne pas tuer son mari pour toucher sa retraite de veuve.

par Sub lege libertas


Oui, on peut tuer ses parents et toucher l’héritage. Est-ce si sûr ? Le Maître de ces lieux a démontré juridiquement la béance entre le droit successoral (les indignités) et la morale, voire -j’y ajoute - le droit naturel ou divin (tu ne tueras point). Evidemment, le procureur - qui peut toujours au nom de l’ordre public ou dans l’intérêt de la loi venir donner son avis aux civilistes - ne peut totalement rester taisant. Et que pourrait-il répondre juridiquement pour exhéréder le fils qui a causé la mort de son père dans un geste de démence reconnue pénalement ?

Et bien, il ne parlera pas chinois mais latin ! Et vous vous en doutez ça me plaît bien… Depuis 1948 (selon le Professeur Morvan qui s’est penché sur la question), la Cour de cassation qui contrôle l’usage des règles de droit a recours à des principes de droit qui viennent lui servir de fondement à son analyse quand la référence à un texte législatif n’y suffit pas. Ces principes sont très divers, mais pour nombre d’entre eux, ce sont des adages latins, de vieilles maximes de droit romain qui pour certaines ont parfois été traduites en articles de loi. Mais souvent elles demeurent non écrites, sauf à être visées par un tribunal ou une cour de justice comme référence : vu le principe…

Dans notre beau système judiciaire, cette pratique peut étonner : les jacobins hurleront contre au nom de la prohibition des “arrêts de règlement”, ces jugements par lesquels les cours souveraines de l’Ancien Régime face à la maigreur des textes légaux cuisinaient une règle de droit à leur propre sauce et décidaient qu’elle réglait pour l’avenir (d’où le nom d’arrêt de règlement) la question posée par le litige. Je ne trancherai pas le débat entre les jacobins, les positivistes, les jus-naturalistes et autres oiseaux interprètes des sources du droit pour savoir si le recours à des principes non écrits comme fondement d’une décision judiciaire est une hérésie systémique, un scandale politique (gouvernement des juges) ou l’expression de la normativité de la jurisprudence même sans ”stare decisis”, preuve de l’adaptation permanente du droit à l’évolution de la société. Mékeskidi ? Rien d’autre en français que ce que dit un juge dans son jugement peut servir de référence pour un autre jugement dans un cas similaire, même si ce n’est pas obligatoire, et qu’ainsi sans que la loi ait changé, son interprétation par les juges permet de l’adapter à la réalité de la société.

Je me contenterai de cette pratique établie pour tenter de débouter Anastase de sa demande de part d’héritage de feu son papa qu’il a follement occis. Et voilà donc qu’avec Balthazar le frérot orphelin, le procureur que je suis s’écrie : “Nemo auditur propriam turpitudinem allegans”. Comme l’article 111 de l’ordonnance royale donnée à Villers-Cotterêts le 15 août 1539, insinué au Parlement de Paris le 5 septembre de la même année, toujours en vigueur dans notre pays, m’interdit l’usage d’une autre langue dans les actes judiciaires que la langue françoise, je me reprends et derechef je m’écrie : Nul ne peut alléguer ses propres méfaits pour en tirer profit.

Ah ! Mais ne serait-ce pas de la morale qui sous couvert d’adage latin s’insinue dans le droit pour mettre en échec l’application des textes en vigueur au profit d’Anastase ? J’ose un glissement de terrain sémantique : morale peut-être, équité certainement. Et là, je reste juriste car jus est ars boni et aequi, le droit est le moyen d’être bon et équitable. Le droit anglo-saxon, que je maîtrise certes aussi bien que la langue de Shakespeare parlée par une betizu, use me semble-t-il très bien de cette notion d’équité comme fondement notamment du droit des obligations, là où notre bon vieux législateur post-révolutionnaire nous fait privilégier l’égalité. Mais comme le juge et pas seulement celui de Château-Thierry aime naturellement l’équité quand l’égalité de la loi semble injuste, il trouve refuge dans cet adage “nemo auditur” pour prohiber que l’on tire avantage d’un méfait que l’on a causé.

Bien. Mais cet adage a-t-il déjà été utilisé dans un cas comme celui de nos Abel et Caïn de l’héritage ? Et c’est là où je vais vous parler de mon pays natal, le bassin minier du Nord-Pas de Calais. En ces contrées, Micheline - on l’appellera comme cela - vivait auprès de son Robert retraité des mines, sans doute silicosé, sirotant son café bistoule du matin au soir. Or un jour ou peut-être était-ce une nuit, lassée de la vie que lui faisait mener son Robert, voilà que la Micheline le cogne tant avec tout ce qui lui tombe sous la main que Robert quitte le bas monde de son coron pour l’éternité. Micheline est condamnée pour coups mortels avec arme à cinq années de réclusion criminelle par la cour d’assises de Saint-Omer ou de Douai, peu importe.

Mais bientôt Micheline quitte les murs de sa prison et s’avise que désormais veuve de feu son mineur de fond, elle peut revendiquer la pension de reversion d’ouvrier mineur conformément au décret du 27 novembre 1946, portant organisation de la sécurité sociale dans les mines. C’est la veuve joyeuse version ch’ti! La Cour d’appel de Douai, le 19 février 1993, donne raison à Micheline qui se réjouissait déjà, après voir touché le fond, de le faire désormais au pluriel. Las, la Cour de cassation s’en mêle et sans remettre en cause la réalité du droit à pension ouvert par les textes au profit de Micheline, vise uniquement en tête de son arrêt (et en latin !) la règle “nemo auditur” pour dire à Micheline qu’elle “se trouvait exclue de la prestation considérée pour une cause qui lui était propre, le décès de son mari étant le résultat de l’acte fautif lui ayant valu sa condamnation”.

J’en entends déjà qui disent : “D’accord, mais à la différence de Micheline, Anastase n’a pas été condamné puisqu’il était irresponsable pénalement. Donc, pique nique douille c’est Sub lege libertas l’andouille ” Que nenni ! Car au visa de la règle “nemo audititur” je conclue civilement ainsi : Attendu que Anastase a causé le décès de son père, qu’il a d’ailleurs été tenu de réparer au profit de son frère Balthazar les conséquences de son geste fautif au plan civil, Attendu que Anastase ne peut se prévaloir de son comportement fautif pour revendiquer la qualité d’ayant-droit à la succession de son père, laquelle n’a été ouverte qu’à raison de ce comportement, que dès lors en application de la règle sus-visée, il doit se voir débouter de sa demande…

Attendons donc tous de voir comment la cour d’appel de Nîmes, peut-être sur conclusion de l’avocat général inspiré par la lecture de ce billet, statuera, avant de se soumettre à la tentation d’estourbir ses géniteurs par un fol appât du lucre.

lundi 25 février 2008

De la rétention de sûreté et de l'absence de retenue de l'exécutif

Comme promis, je reviens plus longuement sur le projet de loi sur la rétention de sûreté et ses péripéties constitutionnelles.

Tout d'abord, sur la loi elle même (texte intégral avant censure). Elle se divise en fait en deux parties, dont la deuxième a été totalement escamotée par la première : elle porte sur la réforme des procédures pénales en présence d'un auteur des faits atteint de démence.

Dans le cas d'une information judiciaire, le juge d'instruction devra désormais informer les parties (y compris le procureur de la République) qu'il existe des raisons plausibles de prononcer une irresponsabilité pénale. Les parties pourront présenter leurs observations et dire si elles demandent que le prononcé de cette irresponsabilité soit confié à la chambre de l'instruction, après un débat public et contradictoire, où le mis en examen, du moins son corps, comparaîtra si "son état le permet". Si personne ne le demande, c'est le juge qui rendra une décision, non plus baptisée "non lieu" mais "ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental" qui précise qu'il existe des charges suffisantes établissant que l'intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés. C'est exactement la même chose qu'une ordonnance de non lieu rendue en raison de la démence de l'auteur des faits, mais on a changé les mots et appelé ça une réforme. Un grand classique.

Notons que si l'état du mis en examen ne permet pas sa comparution, il ne fait pas obstacle à sa détention provisoire, qui ne prend fin que par l'effet de l'ordonnance (ou l'arrêt si c'est la chambre de l'instruction qui statue) d'irresponsabilité pénale.

La loi prévoit également les modalités du prononcé des jugements d'irresponsabilité pénale devant les juridiction correctionnelles ou les cours d'assises quand l'irresponsabilité n'est pas relevée dès le stade de l'instruction.

J'émets pour ma part une prudente réserve. Cette audience n'apportera rien au malade mental, c'est certain, mais ce n'est pas le but. Il s'agit d'une audience faite pour les victimes, une sorte de thérapie judiciaire. Les psychiatres nous expliquent que cela peut effectivement aider les victimes à tourner la page du traumatisme de l'agression, mais préviennent que dans certains cas, cela peut être ravageur pour les victimes. Cela, j'en suis témoin. Simplement, ce sera au procureur et surtout à l'avocat des victimes de choisir s'il y a lieu de faire subir cette épreuve à son client. Lourde responsabilité face à un auteur irresponsable. L'ironie pourrait prêter à sourire.

Mais cette partie de la loi n'est pas scandaleuse en soi. Attendons les premières audiences pour voir ce que la pratique en fera.

C'est la première partie de la loi, sur la rétention de sûreté, qui concentre l'attention, et les critiques.

Que dit-elle, cette loi, du moins telle qu'elle a été voté ?

Tout d'abord, elle définit le domaine d'application de la loi. Les conditions ci-dessous sont cumulatives.

Elle est censée s'appliquer "à titre exceptionnel", mais on sait qu'en matière de justice, l'exceptionnel peut avoir une fréquence qui défie les lois des probabilités (par exemple, la détention provisoire est censée être exceptionnelle...). Bref, cette mention n'engage à rien et surtout ne protège en rien.

Elle s'applique aux personnes condamnées pour les crimes suivants : meurtre ou assassinat (qui est un meurtre prémédité), de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration sur victime mineure ou des mêmes crimes commis sur une personne majeure à condition qu'ils soient aggravés - hormis l'assassinat qui est déjà au sommet des peines. Par exemple, le viol est aggravé quand il est commis sous la menace d'une arme, ou en réunion ; le meurtre est aggravé quand il est commis sur la personne d'un pompier, d'un concierge ou d'un avocat (ce dernier point me paraissant indiscutable) ; l'enlèvement est aggravé quand il s'accompagne d'une demande de rançon ou accompagne un autre délit (prise d'otage lors d'un braquage).

Elle s'applique si la peine prononcée est d'au moins quinze ans de réclusion criminelle.

Enfin, la cour d'assises doit prévoir lors du prononcé de la peine la possibilité de recourir à une rétention de sûreté à l'issue de la peine.

La mise en œuvre relève de l'usine à gaz. Accrochez-vous.

Un an avant la date prévue pour la libération, la Commission Pluridisciplinaire des Mesures de Sûreté examine le dossier de l'intéressé. Un mot sur la CPMS, pour montrer que le législateur affectionne l'imbrication des usines à gaz. La loi renvoie pour la définition de la CPMS à l'article 763-10 du code de procédure pénale, insérée par la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive (qui n'a rien à voir avec la loi sur les peines planchers d'août 2007, également destinée à lutter contre la récidive : le législateur a des idées géniales à un rythme effréné, ce n'est pas sa faute). Que dit cet article 763-10 ? Il nous parle de « la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté composée selon des modalités déterminées par le décret prévu à l'article 763-14 ». En effet, l'article 763-14 nous dit qu' «un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent titre. Ce décret précise notamment les conditions dans lesquelles l'évaluation prévue par l'article 763-10 est mise en œuvre ». Ce décret n'a, à ma connaissance, jamais été pris. Bref, la commission multidisciplinaire en question n'existe toujours pas, ce qui donne l'empressement du gouvernement à vouloir appliquer tout de suite sa loi un petit côté comique. A moins qu'en fait, le gouvernement ne soit du côté des assassins ? Rectification, le décret a bien été pris le 1er août 2007. Ce qui fait que je découvre avec désespoir que mon CPP Dalloz 2008 était déjà dépassé en août 2007, date de son dépôt légal...

Bon, supposons pour la suite de notre propos que cette Commission soit un jour créée. On n'est pas à une fantaisie près dans cette loi.

Cette commission doit évaluer si l'intéressé présente ou non une "particulière dangerosité", notamment sur la base d'une expertise psychiatrique réalisée par deux experts.

Si cette "particulière dangerosité", qui n'est pas définie par la loi et sera donc laissée à la discrétion des psychiatres, est retenue, la commission pourra proposer la mise en place de la rétention de sûreté, à deux conditions cumulatives :
les obligations pouvant être prononcées dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire (période de surveillance post-peine instaurée par une loi Guigou de juin 1998, qui commence à peine de s'appliquer pour les crimes vu la longueur des peines en question) ou une surveillance judiciaire (créée par la loi Clément du 12 juillet 2005, déjà citée, qui ne s'applique que pendant le laps de temps entre la libération et la fin de la peine telle qu'elle a été prononcée), ou de notification du domicile résultant d'une inscription au FIJAIS, sont insuffisantes ;
ET la rétention est l'unique moyen de prévenir la commission de ces infractions, dont la probabilité doit être "très élevée" (la loi là encore ne donne pas les instructions pour calculer cette probabilité).

Qu'advient-il de cette proposition ?

Elle est transmise au procureur général (le chef du parquet d'une cour d'appel) qui saisit la Juridiction régionale de la Rétention de Sûreté (JRRS). Merci au législateur d'avoir éviter le terme de commission s'agissant d'une formation de trois conseillers de la cour d'appel.

Trois mois avant la libération de l'intéressé se tient devant la JRRS une audience, au cours de laquelle l'intéressé doit être assisté d'un avocat. Il peut demander une contre expertise qui ne peut être refusée. L'audience se tient en principe à huis clos mais à la demande de l'intéressé elle peut être publique. La JRRS peut à l'issue de ce débat prendre une décision de placement en rétention de sûreté d'une durée d'un an, dans un établissement "médico-socio-judiciaire". Il ne lui manque que la mention "durable" pour être totalement hype. L'intéressé, désormais retenu, peut faire appel de cette décision devant la Juridiction Nationale de la Rétention de Sûreté (JNRS), formation spéciale de la cour de cassation. En outre, il peut saisir à nouveau la JRRS au bout de trois mois pour qu'il soit mis fin à sa rétention de sûreté (et rebelotte en cas de refus au bout de trois mois), celle-ci devant en tout état de cause y mettre fin dès que les conditions ne sont plus remplies, sans que la loi ne précise les modalités de cette saisine d'office.

La décision qui met fin à la rétention de sûreté peut, si la personne présente des risques de réitération, y substituer une mesure de surveillance de sûreté (SS), qui est en fait une surveillance judiciaire prévue par la loi du 12 décembre 2005, mais pouvant s'étendre au-delà de la peine telle qu'elle a été prononcée. Cette surveillance dure là encore un an renouvelable ; la violation des mesures de surveillance peut entraîner le placement en rétention de sûreté. La décision de placement sous Surveillance de Sûreté peut faire l'objet d'un recours devant la JNRS, mais il n'est pas possible d'en demander la levée avant terme, contrairement à la Rétention de Sûreté, la loi ne prévoyant pas une telle possibilité.

Enfin, point important : la rétention de sûreté est inapplicable à un prisonnier qui a bénéficié d'une libération conditionnelle : il relève alors du régime et de la surveillance de cette mesure (qui pour être accordée suppose que le juge d'application des peines ne redoute pas une réitération à la sortie, de toutes façons).

Voici en gros la loi telle qu'elle a été présentée au Conseil constitutionnel.

A un détail près : son article 13, article marqué du sceau de l'infamie dès sa numérotation. Le gouvernement voulait absolument que cette loi soit applicable immédiatement, tant on sait que l'actuel président veut écrire son action dans l'immédiat : or une loi dont les premiers effets n'auraient pas lieu avant au mieux une douzaine d'années, c'est inconcevable pour lui. D'où le recours à une rhétorique des plus nauséabondes : les personnes concernées sont des monstres, on publie même leur nom, et leurs futures victimes sont là, blotties, tremblantes d'effroi contre le président qui veut les protéger et "on" veut l'en empêcher. Et une nouvelle usine à gaz, que je vous décris rapidement car il serait dommage qu'un tel chef d'œuvre disparût dans les limbes où l'a envoyé la décision du Conseil constitutionnel.

Pour les personnes exécutant à la date du 1er septembre 2008 une peine entrant dans le champ d'application de la loi (15 ans pour un des crimes cités plus haut), l'article 13 prévoyait, à titre exceptionnel (je vous renvoie à ce je disais plus haut sur le sens à donner à ce terme), la possibilité de leur placement en Rétention de Sûreté selon les modalités suivantes :
Le procureur général de la cour d'appel dont dépend la cour d'assises qui a prononcé la condamnation (même si le condamné est détenu depuis presque quinze ans fort loin de là) demandait au juge d'application des peines son avis sur l'opportunité de la mesure, puis, quel que soit cet avis, saisissait la chambre de l'instruction de la cette cour d'appel qui faisait comparaître le condamné (amené donc exprès pour cela sous escorte) afin que se tienne un débat qui pouvait aboutir, si la cour constatait qu'il résultait de la ou des condamnations prononcées une particulière dangerosité de cette personne, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elle souffre d'un trouble grave de la personnalité, susceptible de justifier, à l'issue de sa peine, un placement en rétention de sûreté, que faisait-elle ? Elle avertissait cette personne qu'elle pourrait faire l'objet d'un examen de dangerosité pouvant entraîner son placement en rétention de sûreté.

Une fois cet avertissement donné à grands frais, on retombait sur les rails de la procédure ordinaire avec saisine de la Commission Pluridiscinaire des Mesures de Sûreté.

C'est cette procédure d'avertissement solennel destiné à suppléer au fait que la cour d'assises n'avait pas donné son feu vert pour une éventuelle rétention de sûreté qu'a censuré le Conseil constitutionnel au motif (§10) que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

Cependant, le Conseil n'a pas fermé toutes les portes à aune application immédiate, sauvant ainsi l'article 13 de l'annihilation. Il n'a pas censuré, mais sans expliquer pourquoi, le III de l'article 13, qui prévoit la possibilité de prononcer une Rétention de Sûreté lorsqu'une personne faisant l'objet d'une surveillance de sûreté après une surveillance judiciaire ou un suivi socio judiciaire, ne respecte pas ses obligations et que ce non respect révèle que le Surveillé présente "à nouveau" une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau une infraction.

Voici qui nécessite quelques explications.

La Surveillance Judiciaire (SJ) dont je parlais plus haut couvre la période de réduction de peine, c'est à dire entre la remise en liberté de la personne par l'effet des réductions de peine et la fin absolue de la peine. Exemple : Une personne est condamnée à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre d'un concierge (homicide volontaire aggravé, art.221-4, 4° du code pénal). Elle ne bénéficie pas d'une libération conditionnelle à mi-peine. Mais elle bénéficie d'un crédit de réduction de peine de 31 mois (trois mois pour la première année et deux mois par année supplémentaire). Elle pourra faire l'objet d'une surveillance judiciaire pendant ces 31 mois, jusqu'au 15e anniversaire de sa condamnation.

Le suivi socio-judiciaire (SSJ) est une période de suivi post-peine. Elle doit être prononcée lors de la condamnation et peut, pour les crimes, aller jusqu'à 20 ans. Il s'agit d'une création d'une loi Guigou de juin 1998. Elle a donc dix ans. Autant dire qu'elle commence tout juste à s'appliquer pour les crimes. Ce qui ne l'a pas empêché d'avoir été modifiée par la loi Perben II : pour les crimes postérieurs au 10 mars 2004 et puni de 30 ans de réclusion criminelle ou de la perpétuité, le SSJ est automatiquement de 30 ans, et peut être prononcé sans limitation de durée en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. La surveillance judiciaire et le suivi socio judiciaire sont compatible : le second commence quand la première prend fin.

Il nous faut donc dans cette hypothèse :
-Que le condamné ait purgé sa peine de détention ;
-Ait été l'objet d'une surveillance judiciaire ou d'un suivi socio judiciaire (ou des deux) ;
-Qu'à l'issue de ces deux mesures, sans qu'il ait bien sûr réitéré sinon il serait déjà incarcéré, la Commission Pluridisciplinaire qui n'existe toujours pas décide de le placer par période d'un an renouvelables sous surveillance de sûreté ;
-Qu'au cours de cette surveillance de sûreté, il ne respecte pas une de ses obligations ;
-Que cette violation de ses obligation révèle qu'il est très probable qu'il passe de nouveau à l'acte ;
-Et bien sûr qu'il ne soit pas mort de vieillesse dans l'intervalle parce que là on en est au moins à 20 ans après sa condamnation.

Il y aurait donc bien sanction, mais pour des faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ce qui suffit à apaiser le courroux du Conseil.

Jules de Diner's Room a une autre théorie sur la bienveillance du Conseil sur cette disposition : cet article 13-III ne serait tout simplement pas applicable, puisqu'il reposerait sur une condition impossible matérialisée par les mots "à nouveau" : il faudrait EN OUTRE que le Surveillé ait déjà fait l'objet d'une mesure de Rétention de Sûreté pour justifier qu'il soit à nouveau d'une dangerosité telle qu'il faille le placer en Rétention de Sûreté. Je ne suis pas sûr que le Conseil ait voulu dire cela (le commentaire aux Cahiers ne le laisse pas croire) mais voici un superbe argument juridique pour les amis des assassins avocats de la défense confrontés à un risque de placement en rétention de leur client dont le seul crime est de trop aimer les enfants.

En tout cas, le président de la République semble quant à lui hors d'atteinte de tout risque de retenue, puisqu'il a fait savoir par l'ex futur maire de Neuilly qu'il allait demander à Vincent Lamanda, premier président de la cour de cassation, de réfléchir au moyen de faire entrer en vigueur immédiatement ces dispositions.

Las, le président se heurte à ce dont je parle souvent ici : cette psychorigidité des magistrats dès lors qu'il s'agit d'appliquer la loi. Le premier président a fait savoir, avant même de recevoir sa lettre de mission, qu'il refusait tout de gob toute remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel sous le fallacieux prétexte que la Constitution l'interdirait.

J'aurais encore beaucoup de choses à dire mais j'ai déjà été trop long. Je ferai un deuxième billet si nécessaire.

Une chose simplement. Bien que ce sujet mêle inextricablement politique et droit, tous les commentaires visant à attaquer la personne du président de la République, à invoquer les mânes d'un régime de sinistre mémoire mais disparu il y a 63 ans, ou les propos de charretier entendu au Salon de l'agriculture seront supprimés. J'ai un peu trop été pris pour un forum des colleurs d'affiche anti-Sarkozy ces derniers temps. Mon humeur n'est plus à la tolérance, la France perdu face à l'Angleterre.

A bon entendeur...

jeudi 21 février 2008

24 heures

24 heures[1], c'est un claquement de doigts. C'était hier, c'était là, à l'instant. C'est fugace, c'est court. C'est le laps de temps entre deux berceuses chantées à ma fille.

24 heures, pour un avocat, c'est le délai dans lequel, quand on fait appel d'une décision de placement en détention provisoire, on peut demander un examen immédiat de cette demande par le président de la chambre de l'instruction (le "référé-liberté").

24 heures, c'est le délai d'appel d'un jugement d'un tribunal correctionnel statuant sur une demande de mise en liberté [2], ou contre une ordonnance du juge d'application des peines en matière de réduction de peine, ou de modalité d'exécution des mesures de liberté conditionnelle, ou encore du juge des libertés et de la détention en matière de rétention administrative[3].

24 heures, c'est le dernier délai pour les parties avant l'audience d'assises pour se dénoncer mutuellement la liste des témoins cités.

24 heures, c'est le temps qu'il faut à Jack Bauer pour sauver le monde.

Ca passe vite.

Mais pas toujours.

Jeudi 14 février 2008, jour de la Saint-Valentin, l'audience du juge des libertés et de la détention de Paris, statuant en matière de rétention administrative, avait 78 dossiers à traiter. L'audience a commencé vers neuf heures. Elle s'est achevée un peu après neuf heures. Le lendemain matin.

Je n'y étais pas, Dieu merci.

Mais avis à la population. La machine folle est officiellement emballée. On atteint les limites. On ne peut pas aller plus loin, car au bout de 24 heures, c'est l'audience suivante qui commence. Sauf à terme à employer tous les juges ayant le grade suffisant (il faut être vice-président pour être juge des libertés et de la détention) à cette activité.

C'est moi ou bien il y a comme un problème, là ?

On essaye d'expulser des avocats qui vivent et travaillent en France depuis 46 ans.

On expulse des étrangers déjà en partance pour leur pays pour un coût de 3000 à 11000 euros.

On arrête des enfants à l'école.

On consacre deux fois plus d'argent à la police des étrangers qu'à l'accès au droit et la défense en justice des plus démunis (600 millions d'euros contre 300 millions).

Les juridictions administratives sont paralysées par l'afflux du contentieux des étrangers qu'elles doivent traiter en urgence absolue.

Et maintenant, les juges judiciaires affectés au contentieux des étrangers siègent 24 heures.

C'est assez dingue pour vous comme ça, ou c'est bon, on peut aller encore plus loin dans la démence ?

Notes

[1] Merci à ma consoeur Stéphanie pour l'idée du titre du billet.

[2] Devinette pour les étudiants en droit qui font de la procédure pénal : dans quelle hypothèse le tribunal correctionnel a-t-il à connaître des demandes de mise en liberté ?

[3] Il s'agit des étrangers frappés par un arrêté de reconduite à la frontière que le préfet décide de priver de liberté afin de permettre une exécution forcée de la mesure. Au bout de 48 heures, ils doivent être présentés à un juge qui statuera sur la légalité de la privation de liberté et l'opportunité de sa prolongation, qui ne peut excéder 15 jours, renouvelables une fois, pour un total de 32 jours.

mardi 28 août 2007

Non lieu

Un débat s'est engagé en commentaires sous mes billets traitant de la démence sur la pertinence du terme de "non lieu", pouvant être perçu comme : "il ne s'est rien passé, c'est un non événement, ceci n'a pas eu lieu". C'est d'ailleurs ce sens que semble lui donner le président de la République dans une récente allocution.

Pourtant l'absurdité du propos est manifeste : quand un non lieu est prononcé parce que l'auteur des faits était au moment de son acte atteint d'un trouble psychique tel qu'il a aboli son discernement, personne ne dit ni ne laisse entendre que les faits n'ont pas eu lieu.

Et déjà on parle de changer le terme.

Etant de ces naïfs qui croient que quand le peuple ne comprend pas un mot, il ne faut pas le changer mais le lui expliquer, et ainsi l'élever plutôt que s'abaisser, voyons donc ce qu'est en réalité un non lieu.

Le terme vient de l'article 177 du code de procédure pénale (la version du haut, celle du bas entrera en vigueur le 1er janvier 2010).

Nous sommes dans l'hypothèse où une instruction judiciaire a été ouverte, c'est à dire que le procureur ou la personne se disant victime d'un crime ou un délit ont demandé à un juge d'instruction de mener une enquête en toute indépendance (il instruit à charge et à décharge : sa mission est la recherche de la vérité et non de fournir des arguments à celui qui l'a saisi). Il a pour cela des vastes moyens juridiques et des moyens matériels plus modestes. Il a à sa disposition la police judiciaire et la gendarmerie, qu'il peut charger d'enquêter sur le terrain, de rechercher et d'entendre des témoins ; l'acte par lequel il leur confie ces missions s'appelle une commission rogatoire (il commet les policiers pour agir à sa place, en leur priant, en latin rogare, d'accomplir telle et telle diligence qu'il décrit). Il peut interroger lui même les suspects, les victimes et les témoins. Au besoin, il peut restreindre la liberté du suspect, voire l'incarcérer afin de s'assurer qu'il ne s'enfuit pas, ne détruit pas des preuves ou ne fait pression sur les témoins ou la victime elle même. Il peut enfin solliciter des expertises : psychologiques, mais aussi balistiques pour identifier l'arme du crime, autopsie pour déterminer les causes de la mort, génétique pour identifier l'auteur d'un viol, etc...

Quand le juge estime avoir terminé son enquête, il en avise les parties, par courrier ou verbalement à l'issue d'un interrogatoire. Cet avis, qui porte le doux nom "d'article 175", comprendre du Code de procédure pénale, donne 20 jours à ces parties[1] pour demander un acte d'instruction supplémentaire : entendre telle personne pour lui poser telles questions, une contre expertise, faire une confrontation, etc. Le juge accomplit ces actes, ou rend une ordonnance refusant de les accomplir en expliquant pourquoi, ordonnance dont il peut être fait appel. Si aucun acte n'est demandé, ou que les demandes d'acte ont été traitées, l'instruction est close. Toute nouvelle demande d'acte est désormais irrecevable, et le dossier est transmis au parquet. Un procureur, le procureur régleur, va réviser tout le dossier et prendre des réquisitions, généralement très longues, qui disent, pour simplifier :

« L'instruction a établi les faits suivants (suit le récit détaillé avec le renvoi aux pages du dossier sur lesquelles s'appuient la démonstration du procureur). Elle a cerné les éléments suivants sur la personnalité des mis en examen et, éventuellement des parties civiles : (suit le résumé de la situation personnelle des parties, et des éventuelles expertises psychiatriques ou psychologiques). Le parquet en conclut qu'il y a des charges suffisantes contre Untel, Truc et Bidule d'avoir commis telle infraction. Par contre, la participation de Tartempion n'est pas établie. Il demande donc au juge d'instruction de renvoyer Untel Truc et Bidule devant le tribunal correctionnel (ou les mettre en accusation devant la cour d'assises si les faits sont un crime) et de dire n'y avoir lieu à suivre contre Tartempion. »

Ce réquisitoire s'appelle réquisitoire définitif, par opposition au réquisitoire introductif qui a saisi le juge d'instruction au début, et au réquisitoire supplétif qui a élargi sa mission en cours d'instruction si des faits nouveaux ont été découverts.

Rien n'empêche, même si l'usage est rare, aux avocats de déposer également un argumentaire du même type défendant leur point de vue. On ne parle pas de réquisitoire, terme réservé au parquet, mais de conclusions. L'avocat de Tartempion aura intérêt à expliquer pourquoi il estime que son client est hors de cause, l'avocat de la partie civile à exposer pourquoi il estime que les mis en examen doivent bien être jugés. L'idéal est de les déposer dans le délai de 20 jours, afin qu'elles soient jointes au dossier, pour que le procureur régleur en ait connaissance. Ca met un peu de contradictoire là où il n'y en a toujours que trop peu, et on ne peut pas connaître la position du parquet avant qu'il ait requis. Autant essayer de le rallier à son point de vue, car c'est alors un allié de poids.

Une fois que le réquisitoire est revenu avec le dossier, le juge prend à son tour une ordonnance, dite ordonnance de règlement, où il décide des suites à donner à son dossier. Là aussi en toute indépendance même s'il est fréquent qu'il suive purement et simplement les réquisitions du parquet, son ordonnance n'étant qu'un copier-coller des réquisitions, ou y renvoyant purement et simplement par la mention "adoptons les motifs du réquisitoire définitif".

C'est cette ordonnance de règlement qui peut être de non lieu.

Le juge d'instruction, après j'insiste sur ce point, plusieurs pages d'explications détaillées, conclut qu'il n'y a pas lieu de poursuivre une procédure au pénal contre telle personne.

Cela peut résulter de plusieurs causes différentes.

Soit les faits ne sont pas établis ou ne constituent pas une infraction. C'est là que le non lieu se rapproche le plus du mauvais sens donné par notre président. Cela arrive assez fréquemment, les juges d'instructions ayant régulièrement à connaître de plaintes que la courtoisie appelle "de fantaisie". Entre le plombier qui a mal fixé un chauffe-eau, le voisin qui empoisonne par des radiations émises par sa télévision, le concierge qui a volé son ticket gagnant du loto mais sans aller réclamer les fonds, juste pour se venger du locataire du sixième, etc. Il y a aussi des personnes qui peuvent avoir réellement été victimes, mais l'instruction ne parvient pas à établir de preuves (une subornation de témoin, par exemple, le témoin étant devenu la maîtresse de celui pour qui elle a témoigné, mais rien ne prouvant la collusion préalable). Dans ces cas, oui, c'est terriblement douloureux pour les victimes. La justice n'est pas omnipotente, et elle a trouvé ici ses limites, la présomption d'innocence pouvant protéger parfois des coupables.

Soit les faits sont établis, mais l'auteur n'a pu être identifié. C'est ainsi que s'est piteusement terminée le 3 février 2003 l'instruction de l'affaire dite "du petit Grégory".

Soit les faits sont établis, l'auteur identifié, mais les faits sont prescrits car trop anciens.

Soit enfin les faits sont établis, l'auteur identifié, les faits non prescrits mais il y a une cause d'irresponsabilité pénale, dont je vous rappelle la liste : la démence, la contrainte, l'erreur inévitable sur le droit, l'autorisation de la loi et le commandement de l'autorité légitime, la légitime défense, l'état de nécessité, et le défaut de discernement dû au très jeune âge (PAS la minorité, on parle ici d'enfants de moins de 10 ans).

Concrètement, les non lieu pour des causes extérieures à la personne que sont la contrainte (j'ai volé sous la menace d'une arme), l'erreur inévitable sur le droit (j'ai eu une autorisation administrative délivrée par erreur), le commandement de l'autorité légitime (j'ai fait feu sur l'ordre de mon supérieur), la légitime défense (j'ai tiré pour me défendre), et l'état de nécessité (j'ai grillé un feu rouge pour transporter une femme qui accouche à l'hôpital) sont rares. Il faut qu'ils soient particulièrement évidents (Ca arrive pour la légitime défense des forces de l'ordre). Sinon, s'agissant d'une appréciation des faits autant que du droit, les juges d'instruction préfèrent, et c'est compréhensible, renvoyer l'affaire à la juridiction de jugement, en principe collégiale, pour qu'il en soit débattu publiquement, toutes les parties réunies. Peut être que la mise en place des collèges de l'instruction changera cela, mais je pense que les juges d'instruction continueront à estimer que leur rôle n'est pas de trancher sur ces questions de fond, mais de fournir à la juridiction de jugement les éléments lui permettant de décider en connaissance de cause.

En revanche, l'irresponsabilité pénale et le défaut de discernement sont généralement établis lors de l'instruction, par des expertises pour la première et le dernier. Renvoyer un dément devant une juridiction de jugement, ou pire encore un jeune enfant, étant un traumatisme inutile, c'est à ce stade de l'instruction que la décision est le plus utilement prise.

Comme vous le voyez, un non lieu n'est pas un couperet qui tombe du ciel, sous forme d'une lettre sèche et brève. Il est rendu à l'issue d'une instruction qui a duré plusieurs mois, que les parties civiles ont pu suivre par l'intermédiaire de leur avocat et sur laquelle elles ont pu agir par des demandes d'actes, et prend la forme d'une ordonnance longuement motivée s'appuyant sur les éléments concrets du dossier dont chacun a pu être contesté. Enfin, ce non lieu peut être contesté par la voie de l'appel, mais si tous les experts ont conclu de la même façon, l'appel est illusoire.

Enfin, dernier point important : un non lieu n'est pas aussi définitif qu'une décision de relaxe ou d'acquittement (Rappel : il s'agit dans les deux cas d'un jugement de non culpabilité ; la relaxe est prononcée par le tribunal de proximité, de police ou correctionnel, l'acquittement par la cour d'assises) : une instruction conclue par un non lieu peut être réouverte en cas de découverte de faits nouveaux, mais seulement par le procureur de la République (à la demande de la victime, par exemple). Seule condition : que la réouverture ait lieu dans le délai de prescription (trois ans pour un délit, dix pour un crime), délai qui court à compter de la date de l'ordonnance de non lieu ou de l'arrêt de la chambre de l'instruction le confirmant.

Ainsi, dans l'hypothèse, soulevée par un commentateur, du simulateur assez brillant pour se faire passer pour un dément auprès d'experts psychiatres et qui bénéficie d'un non lieu, puis sort après quelques mois en hôpital psychiatrique, si on peut établir la simulation (soit que le faux dément s'en vante ouvertement, soit que les médecins de l'hôpital remarquent la supercherie puisque le faux dément n'a plus d'intérêt à continuer à simuler s'il veut sortir), il s'agira d'un fait nouveau pouvant fonder la réouverture de l'instruction. Mais là, on entre plus dans le domaine des fictions de TF1 (où les méchants sont aussi intelligents que méchants et que mauvais acteurs) que dans la réalité.

Notes

[1] ...qui sont les mis en examen et les témoins assistés, terme trompeur car il s'agit dans les deux cas de suspects, et les parties civiles, personne se prétendant directement victimes de l'infraction.

lundi 27 août 2007

La démence, concrètement

Une idée, déjà enterrée en 2003, vient donc de ressurgir comme un serpent de mer : juger les déments, ou pour ne pas caricaturer, organiser un procès public pour que la culpabilité soit symboliquement prononcée, mais la démence constatée et aucune peine prononcée. Pourquoi mobiliser des juges, un procureur, des avocats ? Pour les victimes, à qui le législateur pense tout le temps sous prétexte qu'on n'y penserait jamais.

J'ai repris un billet où j'expliquais ce qu'était la démence dans les textes, et comment elle était constatée. Mais rien ne vaut la pratique.

Une fois n'est pas coutume, je vais donc aller piocher dans des dossiers dans lesquels je suis intervenu, en restant assez vague sur les faits pour que les intéressés ne puissent être reconnus, d'autant qu'il s'agit d'affaires anciennes qui heureusement n'ont pas attiré l'attention de la presse.

Premier cas, une démence qui aboutit à un non lieu.

C'est la soeur de la personne concernée qui avait contacté le cabinet où je travaillais alors. Son frère, traité depuis des années pour schizophrénie, avait commis des vols à main armée, répétés dans un bref laps de temps (une matinée) qui auraient pu virer au drame, mais fort heureusement personne n'avait été blessé, et dans un contexte particulier : des faits identiques commis peu de temps auparavant dans la même ville avaient eux viré au drame et la presse ne parlait que de ça. Je précise qu'il s'était procuré son arme sans la moindre difficulté et en toute légalité dans un magasin de sport d'une chaîne bien connue.

Les faits en eux même faisaient lourdement soupçonner la bouffée délirante, terme médical indiquant les périodes où un schizophrène est en crise et agi de manière irrationnelle, et généralement sans garder le moindre souvenir -d'où l'amalgame dans le langage courant entre la schizophrénie et le dédoublement de personnalité : il n'y a pas dédoublement de personnalité mais un comportement désinhibé, potentiellement dangereux suivi d'amnésie. En effet, il avait agressé des personnes le connaissant fort bien, à visage découvert, et avait tenu des propos incohérents les accusant de comploter contre lui. Il avait été retrouvé chez lui par la police, vivant dans un tas d'immondices, tous les outils et produits de l'infraction posés en évidence à côté de son lit.

Il avait été mis en examen et placé en détention provisoire du fait de sa dangerosité, et une expertise médicopsychologique avait aussitôt été demandée. Très vite, les incidents se sont multipliés en détention, tant une maison d'arrêt n'est pas un endroit approprié pour un schizophrène. Il hurlait la nuit en appelant les gardiens, disant qu'il était menacé et frappé par ses codétenus. Il était régulièrement changé de cellule, mais les incidents se reproduisaient. Le directeur d'établissement mettait cela sous le coup de sa folie manifeste et ne voulait pas le mettre en isolement de peur d'un acte suicidaire. Au moins, les codétenus le surveillaient.

Jusqu'au jour où je suis allé consulter le dossier au greffe. Je débutais à l'époque et avais l'habitude de lire le dossier de A à Z. Y compris la cote C, celle de la détention et du contrôle judiciaire, qui ne contient que les documents administratifs relatifs à la détention provisoire, et une copie des actes judiciaires qui l'ordonnent, qui font doublon avec les pièces dites de fond.

Et là, j'ai vu avec horreur qu'une erreur de transcription avait été faite sur l'acte d'écrou. Au lieu de "vol avec violences", qualification retenue au moment de la mise en examen, la nature des faits indiquée était "viol avec violences". Un i qui faisait de notre client un "pointeur", un criminel sexuel, ce qui le désignait pour les autres détenus comme un sous homme, et en faisait un objet perpétuel de menaces et de violences. J'ai aussitôt alerté le juge d'instruction qui a pris contact avec le directeur d'établissement.

Il s'est avéré que la mention de viol avec violence avait, d'une façon ou d'une autre, filtré du greffe. Notre client disait être là pour braquage, et ses codétenus ont cru qu'il cachait la véritable raison de son incarcération pour éviter d'être un pointeur. Il était donc réellement menacé de mort par ses codétenus, et sans doute frappé la nuit, mais le directeur d'établissement mettait ses hurlements sous le compte de ses crises de schizophrénie.

Il a été aussitôt placé à l'isolement, jusqu'à ce que quelques semaines plus tard l'expertise confirme la schizophrénie évolutive et conclue à l'abolition du discernement. Aucune de ses victimes ne s'était constituée partie civile, sachant à qui elles avaient à faire, un non lieu a été rendu et une hospitalisation immédiate a eu lieu, le patient consentant à son hospitalisation.

Depuis, j'ai gardé l'habitude de lire les dossiers intégralement, même les cotes détention...

Deuxième cas, une démence qui va jusqu'au procès.

Une fois n'est pas coutume, j'étais du côté de la partie civile (ce qui m'arrive plus souvent que je ne le dis). Il s'agissait d'un viol sous la menace d'une arme. Il y avait eu expertise psychiatrique qui avait confirmé là aussi la schizophrénie, mais exclu que les faits aient été commis lors d'une bouffée délirante, le mis en examen se souvenant fort bien des faits et pouvant les raconter de manière détaillée. C'était un colosse, SDF, qui prenait son traitement quand il s'en souvenait et fumait du cannabis, ce qui a des effets dévastateurs chez un schizophrène. Mon premier contact fut lors d'une confrontation dans le cabinet du juge d'instruction.

Ma cliente, qui était en dépression depuis les faits, était terrifiée à l'idée de le revoir. Elle ne fut pas déçue.

Le mis en examen est arrivé escorté par trois gendarmes, visiblement la première ligne de l'équipe de rugby de l'escadron. Une escorte ordinaire est d'un seul gendarme, ce qui est suffisant pour ramener à la raison n'importe quel excité en le plaquant au sol avec une clef de bras irréprochable. Je l'ai vu faire sous mes yeux, c'est impressionnant de vitesse d'exécution.

Dans le cabinet du juge, il y avait trois sièges (le mis en examen avait renvoyé son avocat commis d'office). J'étais donc assis à côté de cette masse, son seul rempart entre lui et ma cliente. Du coin de l'oeil, je le voyais hocher sans cesse la tête, les yeux exorbités qui roulaient dans tous les directions, sa bouche formant régulièrement une moue suivie d'un rictus. J'ai remarqué par la suite que ce sont des symptômes de la schizophrénie, avec une voix anormalement forte ; je ne sais si c'est la maladie où les médicaments qui en sont la cause, mais ils sont toujours présents.

Chaque fois qu'il ramenait ses pieds sous sa chaise, je voyais les trois gendarmes se ramasser, prêts à bondir.

La confrontation s'est passée dans une certaine tension. Tout allait bien, puisqu'il reconnaissait tous les faits, même les plus sordides, quand, sur un détail sans importance du récit (l'ordre dans lequel deux gestes anodins avaient été faits), il est parti en vrille. Il a traité ma cliente de menteuse, l'a insulté avant de conclure "Je regrette de ne pas l'avoir tué quand j'avais mon couteau sur sa gorge". Le juge a aussitôt mis fin à la confrontation. Ma cliente était à ramasser à la serpillière après ça, et presque sans métaphore.

L'expertise concluant à l'altération du discernement sans abolition, il n'y a pas eu non lieu, et c'est allé au procès. Il a fallu que ma cliente revienne, le revoie, raconte son calvaire en public. Elle s'en est tirée formidablement, grâce entre autre à mon confrère de la défense qui a été extraordinaire d'humanité et de délicatesse sans rien céder à son devoir défendre son client, mais ce procès, qui a duré deux jours, a été un martyre pour elle. Tout son travail pour sortir de sa dépression a été réduit à néant par la confrontation, et par l'audience qui s'est tenue un an plus tard.

Voilà ce que c'est que de juger un fou, loin de mon dessin se moquant de l'absurdité de l'idée. Vouloir faire ce procès pour les victimes, parce qu'elles le réclament, c'est risquer de leur faire un cadeau empoisonné. Elles courent après une chimère, l'espoir que l'audience leur apportera un soulagement, que les mots "vous déclare coupable" auront un effet thaumaturgique sur leur souffrance. La vérité est que c'est très rare. Cela arrive seulement dans le cas où le prévenu ou l'accusé (rappel : prévenu = poursuivi pour un délit ou une contravention devant le tribunal correctionnel, le tribunal de police ou la juridiction de proximité) , accusé = poursuivi pour un crime devant la cour d'assises) manifeste à l'audience un remord sincère, et manifeste ses regrets avec l'accent de la vérité, j'ajouterais à la condition que la victime soit prête à accorder son pardon, car refuser des excuses n'est pas une façon de tourner la page.

Une telle hypothèse est rare. Et je redoute fort que cette réforme, si elle voyait le jour, ferait du mal à bien des victimes avant d'en apaiser un tant soit peu une seule.

vendredi 24 août 2007

Rediffusion : l'irresponsabilité pénale pour démence

Ceci est la reprise d'un billet du 23 mars 2005, qui a repris une certaine actualité tant le débat sur le procès des déments pour faire plaisir aux victimes revient périodiquement sur le devant de la scène. C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.


L'acquittement récent de Michel Perroy a de nouveau mis la question délicate de l'irresponsabilité pénale sur le devant de la scène.

Un petit point sur l'irresponsabilité pénale me paraît nécessaire, tant l'acquittement de quelqu'un qui a frappé sept personnes à coups de couteau, dont un enfant de 5 ans, a de quoi causer un émoi dans l'opinion publique.

Le Code pénal prévoit des cas où une personne qui a commis une infraction prévue et réprimée par la loi n'est pas pénalement responsable, c'est à dire doit être acquittée si c'est un crime, relaxée si c'est un délit ou une contravention, ou bénéficier d'un non lieu dès l'instruction. Ces cas sont limitativement énumérés aux articles 122-1 à 122-8 du Code pénal.

Il s'agit dans l'ordre du Code : de la démence, de la contrainte, de l'erreur inévitable sur le droit, l'autorisation de la loi et le commandement de l'autorité légitime, la légitime défense, l'état de nécessité, la minorité de 10 ans.

Chacune de ces causes d'irresponsabilité fait l'objet de cours entiers en deuxième année de fac de droit, et je ne vais pas m'y substituer.

La démence a été définie ainsi par le Code pénal : il s'agit d'un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli le discernement de la personne. En somme, la personne n'était pas consciente au moment de ses actes. Elle ne conserve généralement aucun souvenir de ce qu'elle a fait.

Comment cette démence est-elle établie ?

Si c'est le juge qui décide, il ne se fie pas au baratin à la plaidoirie de la défense. Il y a une expertise médico-psychologique (c'est à dire psychiatrique), qui est ordonnée par le juge d'instruction s'il est saisi, sinon par le président de la juridiction de jugement. Il peut décider d'une contre-expertise si une des parties le demande, voire de recourir à un collège d'experts : trois experts rencontrent la personne poursuivie séparément, puis se réunissent pour mettre en commun leurs observations et parvenir à une conclusion commune.

Les experts ne sont pas livrés à eux même et ne se voient pas déléguer la puissance de décider. Ils répondent aux questions que leur pose le juge et sont tenus par cette mission.

Ils doivent dire si le prévenu/mis en examen était, au moment des faits, atteint d'un trouble psychique ou neuro psychique ayant aboli son discernement et s'il est aujourd'hui accessible à la sanction pénale, c'est à dire comprend-il le sens de la punition qu'on se dispose à lui infliger ?

L'expert expose ses conclusions qui sont argumentées et étayées, mais rarement catégoriques. C'est un travers d'expert fréquent dans les domaines relevant de la psyché humaine d'être très prudents dans leurs conclusions, ce qui laisse toujours une place à discussion dans le prétoire.

Mais au-delà de la science psychiatrique et de ses limites inhérentes, à l'heure du choix, on en revient toujours au même mécanisme fondamental : l'intime conviction du juge. Ou des juges, dans l'affaire de Bordeaux.

Ici, les 12 juges, trois juges professionnels et neuf jurés tirés au sort, ont estimé, en leur âme et conscience, qu'au moment des faits, Michel Perroy était atteint d'un trouble ayant aboli son discernement, trouble que l'expert a qualifié de "bouffée anxiodélirante".

Dans le cas d'une cour d'assises, les délibérations ont lieu aussitôt après la clôture des débats, "sans désemparer". Magistrats et jurés s'assoient dans la salle des délibérations et discutent longuement avant de passer au vote sur la culpabilité. Un vote sur la culpabilité doit être acquis par 8 voix au moins sur les 12 (on ne dit jamais le nombre de voix : l'arrêt précise simplement qu'il a été répondu "oui" par huit voix au moins, pour préserver le secret des délibérations).

En l'espèce, au moins 5 des 12 personnes ont estimé, à l'issue des débats que Michel Perroy n'était pas conscient de ses actes, qu'il a effectivement été atteint d'un tel trouble ayant aboli son discernement, et que dès lors, une réponse pénale est inadaptée.

Cela choque souvent l'opinion publique, qui ne comprend pas qu'un individu qui s'est précipité couteau à la main sur 7 personnes du village où il exerçait la noble profession de boucher, soit finalement impune. Le soupçon de comédie apparaît toujours, d'excuse facile, de naïveté de la justice.

Cela relève du cliché ou de l'imagination romantique d'écrivains. Il faudrait être un incroyable acteur pour tromper un voire plusieurs experts psychiatres, et en outre maîtriser la science psychiatrique pour être crédible, ce qui est au-dessus des humbles moyens d'un boucher fut-il girondin. De plus, bénéficier d'une irresponsabilité pénale pour raisons psychiatriques aboutit très souvent à une hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique, pour une durée indéterminée. Les faits révèlent en effet une dangerosité certaine et incontrôlable. Si un expert peut parfois être catégorique sur la réalité du trouble, il ne le sera JAMAIS sur l'absence de risque de réapparition de celui ci. Vol au dessus d'un nid de coucou, ça vous dit quelque chose ?

Enfin, l'irresponsabilité pénale n'entraîne pas l'irresponsabilité civile. Un fou doit réparer les conséquences de ses actes et indemniser ses victimes (article 489-2 du Code civil).

vendredi 19 janvier 2007

Petit vademecum à l'usage des jurés d'assises (3)

Nous en arrivons maintenant au jugement proprement dit.

Une fois l'accusé interrogé sur son identité et le jury constitué, les avocats des parties civiles se lèveront et déclareront se constituer partie civile au nom de leurs clients respectifs. Si la défense soulève une irrecevabilité de constitution de partie civile, elle est réglée immédiatement par la cour seule (les trois magistrats). Puis les débats commenceront.

Ils vont commencer par une longue lecture par le greffier, celui de l'ordonnance de mise en accusation. Il s'agit de l'acte, rédigé par le juge d'instruction, qui fait la synthèse de ce qu'il a pu établir au cours de l'instruction et qui, selon lui, fait résulter contre l'accusé des charges suffisantes d'avoir commis le crime pour lequel il est jugé. Cette lecture peut être fastidieuse si le greffier le lit avec la même conviction qu'une liste des courses, et pourtant elle est très importante.

D'où mon premier conseil, qui est valable pour toute l'audience : prenez des notes. Ca vous évitera la narcose due à la monotonie, et quand vous serez dans la salle des délibérés, vous n'aurez pas le droit de consulter le dossier. La cour vous fournira du papier en quantité illimitée, alors lâchez-vous. Une page par événement, que vous numéroterez et daterez avec l'heure, avec en haut de la première page, écrit en gros, l'intitulé « Accusé », « Dr Machin, expert », « Victime »... Ca vous aidera à vous y retrouver. Si un passage vous semble important, marquez un astérisque dans la marge pour le retrouver par la suite.

Une fois cette lecture terminée, l'audience se déroulera en deux temps. L'ordre n'est pas immuable, il aura été fixé par le président en accord avec l'avocat général et les avocats des parties. Car il se passe des choses dans votre dos. Les avocats, l'avocat général et le président se concertent. Il est d'usage que tous se retrouvent dans le bureau du président avant l'audience pour se présenter, se saluer et se mettre d'accord sur le déroulement de l'audience, les témoins de dernière minute, etc.

Les deux temps sont : les faits, et la personnalité.

Les faits :

L'accusé sera interrogé sur ce qu'il a fait, ou prétend avoir fait ; la partie civile, si elle est encore de ce monde, racontera sa version, puis les éventuels témoins, qui ont attendu en dehors de la salle d'audience dans une pièce à cet effet, viendront à leur tour raconter ce qu'ils ont vu. Les policiers ou gendarmes ayant procédé à l'enquête sont également convoqués, du moins l'officier de police judiciaire qui dirigeait l'enquête, et les éventuels experts ayant procédé à des expertises sur les faits (l'expert balistique pour l'arme, l'expert biologiste sur l'ADN, j'ai même vu une fois un expert acoustique pour démontrer que l'un des témoins ne pouvait pas ne pas avoir entendu un coup de feu...).

Chaque déposition suit le même schéma : le président pose les questions qu'il souhaite, demande aux jurés s'ils ont des questions à poser, généralement en leur demandant de la lui transmettre par écrit pour éviter toute déclaration malheureuse contraire au devoir d'impartialité, puis demande à l'avocat des parties civiles, puis à l'avocat général, puis à l'avocat de la défense s'ils ont des questions à poser. L'étiquette impose de ne pas s'adresser directement à la personne à la barre, car nous sommes censés demander au président de poser la question. Le code de procédure pénale prévoyait autrefois que les questions devaient être posées ainsi. Ce n'est plus le cas mais la pratique reste et cela évite un ton trop virulent avec un expert hésitant ou un témoin récalcitrant. Ca donne ceci :

« Monsieur le président, pourriez vous demander au témoin s'il a vu l'accusé l'arme à la main ? », le président disant au témoin : « Veuillez répondre, je vous prie. » Ca, c'est la vieille école. Plus simplement, ça peut aussi donner :

« Monsieur l'expert pourrait-il nous dire si la blessure révèle à quelle distance le coup a été tiré ? »

Toutes les personnes entendues sont censées s'adresser directement au président, et seront rappelées à l'ordre si elles se tournent vers une des parties. La disposition de certaines salles, comme les petites assises de Paris ou la 3e section, font que les avocats sont derrière la personne à la barre, et s'adresser directement à elle revient à tourner le dos à la cour, ce qui est grossier, et gêne l'acoustique. De même, elles ne doivent jamais s'adresser directement à l'accusé. Les débats doivent se dérouler dans la dignité. Les explosions sont rares, mais quand elles se produisent, elles sont violentes.

La personnalité :

La encore, témoins et experts vont se succéder. Les témoins seront les proches de l'accusé ou de la victime : les parents, s'ils sont vivants et connus, les amis, mais aussi les assistants sociaux, les éducateurs, tout ceux qui auront des éléments à apporter pour connaître l'accusé, d'après le président, le parquet ou un des avocats.

Les experts seront au nombre de deux : l'enquêteur de personnalité, psychologue de formation, qui expliquera ses valeurs, ses motivations dans la vie, les expériences passées ayant influé sa personnalité ; et l'expert médico-psychologique, psychiatre de formation, qui de son côté recherchera si une pathologie mentale a influé son comportement, et quels sont les traits psychiques marquants de sa personnalité (personnalité narcissique, paranoiaque, voire perverse). D'autres experts peuvent être cités, notamment si une contre expertise a été demandée.

Je vous assure qu'à la fin de cette partie, vous n'aurez jamais connu quelqu'un aussi bien, pas même vous-même. C'est une mise à nu terrible : vous saurez tout de lui. A quel âge a-t-il eu son premier rapport sexuel (même s'il est jugé pour meurtre et non pour viol), ses complexes, ses obsessions, ses blessures secrètes.

Une fois tout le monde entendu, le président donnera lecture de pièces du dossier qu'il estime utile de porter à la connaissance du jury, et demandera aux parties, ministère public inclus, quelles pièces non citées il souhaite entendre lire aux jurés. C'est un moment important, car une fois les débats clos, le dossier ne sera plus touché, et ne suivra pas la cour dans la salle des délibérés.

La cloture des débats.

Le président déclarera enfin les débats clos. Après une courte suspension d'audience pour permettre au jury de se rafraîchir (il y en aura eu d'autres, notamment pour déjeuner), la parole sera donné aux avocats des parties civiles, puis à l'avocat général pour ses réquisitions, et après une nouvelle suspension d'audience, à l'avocat de la défense pour sa plaidoirie.

La partie civile souhaitera démontrer la culpabilité de l'accusé, et porter la parole de la victime. Elle ne suggérera pas de peine, tout au plus indiquera espérer de la sévérité ou au contraire de l'indulgence. Et tentera par avance de démonter les arguments les plus probables de la défense.

L'avocat général parle au nom de la société qui poursuit l'accusé. Sa parole est libre. Il peut très bien requérir un acquittement si les débats l'ont convaincu de l'innocence, ou tout simplement l'ont fait douter de la culpabilité. Le plus souvent, il démontrera la culpabilité et évaluera la dangerosité de l'accusé, la conclusion de ce raisonnement étant une proposition de peine. C'est une simple proposition, qui ne vous liera pas. Vous pouvez aller au-delà, la seule limite étant le maximum prévu par la loi, et le minimum, qui est d'un an, ou de deux si la réclusion criminelle à perpétuité est encourue.

L'avocat de la défense prendra enfin à son tour la parole. Ecoutez-le attentivement. C'est peut être moi. Selon le dossier, il tentera soit de démontrer l'innocence, ou à tout le moins que la culpabilité n'est pas prouvée, ou si elle l'est vous rappellera tout ce qui a été apporté aux débats qui milite en faveur de l'indulgence, de l'espoir de réinsertion, de l'opportunité d'une peine légère.

Ne commettez pas l'erreur de la plupart des jurés : prenez des notes pendant ces plaidoiries et réquisitions. Vous en aurez aussi besoin lors du délibéré. Notez les arguments-lefs, les points forts, les moments où vous vous dîtes : "Là, il a raison, c'est important" ou au contraire "Ca ne tient pas parce que...". Les autres auront besoin de ces éléments pour se décider.

Les parties civiles et le parquet peuvent demander au président de répliquer, mais l'avocat de la défense aura toujours la parole en dernier.

Le silence vient de retomber sur le prétoire. le président va se tourner vers l'accusé pour lui dire ces célèbres mots : "Accusé, levez-vous". Il lui demandera s'il a quelque chose à ajouter. C'est un moment de terreur pour l'avocat de la défense car ce sont ces mots que vous allez emporter dans la salle des délibérés.

Puis le président déclarera les débats clos. Il ordonnera que le dossier de la procédure soit déposé entre les mains du greffier, et ne gardera avec lui que l'ordonnance de mise en accusation. Cela a pour but d'assurer l'oralité des débats devant la cour d'assises.

Le président donnera ensuite lecture des questions qui vont être posées au jury. Ce sont sur ces questions et elles seules que vous délibérerez. Les parties peuvent demander par voie de conclusions que telle ou telle question soit posée, ou qu'elle soit formulée différemment. La cour statue seule (les trois juges uniquement) sur ces conclusions. Elles commencent toutes par : "L'accusé est-il coupable d'avoir...". Vous n'avez pas idée du casse tête juridique que peut être la rédaction de ces questions, et la loi prévoit que vous soyez tenu à l'écart. Sachez qu'on en fait des thèses et que la jurisprudence de la cour de cassation est volumineuse. Avant l'appel criminel (qui remonte à 2001 seulement), la formulation des questions était le principal socle d'un pourvoi en cassation. Des têtes dépendait que telle ou telle formulation. Si les faits peuvent faire l'objet de plusieurs qualifications, des questions subsidiaires sont posées.

Exemple de question : A est accusé d'avoir tué B. Le fait qu'il ait acheté l'arme du crime la veille laisse supposer une préméditation. Afin de faire passer le meurtre pour un crime crapuleux, il aurait également volé le portefeuille de la victime qui contenait mille euros, portefeuille qu ia été retrouvé chez A.

Première question : L'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à B ?

Deuxième question : S'il a été répondu oui à la première question, a-t-il agi avec préméditation ?

Troisième question : L'accusé est-il coupable d'avoir frauduleusement soustrait le portefeuille de B ?

S'il est répondu oui à la première question, A est déclaré coupable de meurtre et encourt trente ans de réclusion. S'il est répondu oui aussi à la 2e question, il est déclaré coupable d'assassinat et encourt la perpétuité. S'il est répondu oui à la troisième, il encourt trois ans d'emprisonnement, ce qui est un détail s'il y a déjà eu un ou deux oui.

On peut aussi ajouter des questions sur les causes d'irresponsabilités, ce qui change la formulation :
Exemple pour la légitime défense.

Première question : L'accusé a-t-il oté la vie à B. ?

Deuxième question : L'accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article 122-5 du code pénal selon lequel n'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte. ?

une fois que tout le monde est d'accord avec les questions ou a émis ses réserves, le président prend une dernière fois la parole. C'est pour moi un des moments les plus forts de l'audience. Il va dire qu'avant que la cour ne se retire, la loi lui fait l'obligation de lire cette instruction, qui est affichée en gros caractère sur les murs de la salle des délibérations.

C'est pour moi un des plus beaux textes qu'ait produit la langue française : c'est la définition même du travail du juge. Admirez la précision des termes employés, la beauté de la langue. Quand on lit le J.O. aujourd'hui, on a honte pour les parlementaires.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?"

Si l'accusé est prisonnier, il ordonnera à l'escorte de le retirer de la salle d'audience. S'il est libre, il lui enjoindra de ne pas quitter le palais de justice pendant le délibéré. Le service d'ordre y veillera. En effet, les décisions de cour d'assises sont immédiatement exécutoires et l'accusé libre condamné sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Il invitera le chef du service d'ordre à garder les issues de la salle des délibérations dans laquelle nul ne pourra pénétrer, pour quelque cause que ce soit, sans l'autorisation du président.

"L'audience est suspendue" conclura-t-il, avant de se lever avec la cour et le juré et d'aller dans la salle des délibérés. Les jurés supplémentaires iront au secret dans la salle des témoins à présent vide, au cas où un des jurés devait être remplacé. Cela n'arrive jamais, et les pauvres ont eu droit à tous les débats, attendront des heures isolés sans qu'à la fin quiconque leur ait demandé leur avis. Voilà pourquoi je vous disais de prier de ne pas être juré supplémentaires.

Les délibérations.

Vous allez vous retirer, les neuf jurés et les trois juges, dans la salle des délibérations. Vous la connaîtrez déjà : c'est là que vous serez réunis lors des suspensions d'audience. C'est même là que vous laisserez vos manteaux. Généralement, un petit buffet est installé : café, boissons, sandwiches, car les délibérations prennent du temps.

La loi ne prescrit aucune organisation particulière : c'est le président qui décide du déroulement. Généralement, chacun est invité à donner ses impressions et à poser les questions qu'ils souhaitent au président. Exceptionnellement, si la consultation du dossier se révélait nécessaire, le président ordonnerait que le dossier soit amené dans la salle des délibérations, et ferait entrer les avocats et l'avocat général. Il ouvrirait le dossier devant eux, consulterait la pièce en question, et le dossier serait rapporté au greffe, tandis que les avocats et l'avocat général quitteraient la salle. Il leur est interdit de prendre la parole, ils ne sont là que pour constater quelles pièces sont consultées. En pratique, c'est rarissime.

Une fois que chacun s'est exprimé, le président fait procéder au vote. Chaque juré prend un bulletin marqué du cachet de la cour, où est écrit "En mon âme et conscience, ma réponse est : ...". Il écrit dessus "oui" ou "non", et remet le bulletin plié dans une urne. Une fois les douze bulletins déposés, le président décompte les voix sous la surveillance de tous. Chacun peut vérifier les bulletins. Pour toute décision défavorable à l'accusé (y compris qui refuse une cause d'irresponsabilité), il faut une majorité de huit voix au moins.

Pourquoi huit ? Car si les trois magistrats votent dans un sens défavorable, il faudra en plus la majorité absolue du jury (5 voix sur neuf). Si les trois magistrats votaient au contraire en faveur de l'accusé, pour contrebalancer leur vote, il faudrait que tout le jury sauf un juré vote dans un sens contraire (huit voix sur neuf), donc qu'il y ait une quasi unanimité de leur part. C'est une pondération des votes.

Chaque vote n'a lieu qu'une fois, sauf si des réponses sont contradictoires, auquel cas il faut revoter. Après chaque vote, les bulletins sont immédiatement brûlés (dans certaines cours d'assises modernes, les architectes n'ayant pas prévu de cheminée, les bulletins sont passés à la broyeuse ; il faudra que je soumette ça un jour à la cour de cassation).

Si une culpabilité a été voté, les délibérations ont lieu sur la peine. Une nouvelle discussion a lieu, et chacun peut proposer la peine qui lui semble adéquate. La peine s'adopte de la même façon ("en mon âme et conscience, ma réponse est : X années") à la majorité absolue, donc 7 voix au moins ,sauf si c'est le maximum qui est proposé, auquel cas il faut huit voix au moins.

Si au bout de deux tours de scrutin, aucune majorité ne se dégage, la peine proposée la plus haute est écartée, et on revote. Et à chaque tour de scrutin, la peine la plus haute est écartée, jusqu'à ce qu'une majorité absolue se dégage.

Si la peine prononcée est de cinq ans ou moins, la cour peut voter sur le point d'accorder ou non un sursis. Elle peut également voter des peines complémentaires prévues par la loi, mais c'est rare en cours d'assises. De même, la cour peut voter pour savoir si la peine aura l'exécution provisoire, ce qui implique l'arrestation immédiate de l'accusé libre.

Une fois que toutes les questions auront été traitées et la peine votés (une seule peine est votée quel que soit le nombre de chefs d'accusation, qui couvre l'ensemble des faits retenus), le président fait informer le greffier de ce que le verdict va être rendu.

Et pendant ce temps, il se passe quoi, dehors ?

Dès que vous serez entrés en délibérations, le greffier prendra le numéro de portable des avocats, qui pourront vaquer librement.

L'avocat général ira attendra dans son bureau, qui a un téléphone interne. Tout le monde sait que la délibération durera longtemps (je mettrais une moyenne à deux ou trois heures). L'accusé reste sous garde policière. Les avocats vont se précipiter sue leur téléphone portable afin de répondre aux messages de la journée, donner des consignes et engueuler les collaborateurs. Ils sont là pour ça : pour que leur patron se passe les nerfs sur eux. Pas vrai, chers jeunes confrères ? Puis ils iront se réfugier, si l'heure leur permet, dans un café voisin, sinon ils feront les cent pas dans les couloirs déserts. Pour ma part, je ressens toujours le besoin de m'isoler au moins une heure, le temps de maîtriser l'angoisse, de pouvoir analyser à froid les impressions que j'ai eues, car ma première impression est toujours pessimiste, et la deuxième trop optimiste.

Décrire ce qu'on ressent pendant le délibéré est difficile. C'est puissant, en tout cas : un mélange de peur, d'excitation, des phases d'abattement (j'ai été nul, j'ai oublié de dire ça...) et d'euphorie (le deuxième juré a hoché la tête quand j'ai dit ça, je pense que je l'ai convaincu...). L'adrénaline est là, en tout cas : j'ai les mains qui tremblent, la respiration courte, et je ne peux pas rester en place. C'est une sorte de transe. Et quelle que soit mon angoisse, j'adore ces moments. Les dés sont jetés, il n'y a plus qu'à attendre, le poids de la responsabilité a disparu provisoirement, on est léger, aérien, on a le cerveau qui fonctionne à cent à l'heure, les sentiments se succèdent dans un maelström. On se sent vivant.

Quand je retrouve un état normal, je peux enfin discuter un peu avec mon client, sa famille, avec le greffier aussi, dont les impressions sont précieuses. Avec le service d'ordre aussi. Et même l'avocat général, qui revient quand il pense que le jury a bientôt terminé. Tout le monde est en attente, c'est comme un entracte, ça facilite considérablement le dialogue. Après tout, on a vécu ensemble intensément ces derniers jours, et on est sur le point de se quitter, mais la chute est encore inconnue. C'est une fraternité qui apparaît. C'est généralement dans ces moments là que les familles des victimes et des accusés se parlent, parfois pour la première fois, en tout cas sur un ton apaisé. C'est une atmosphère vraiment extraordinaire.

Puis le moment arrive. Si on est ailleurs, nos mobiles sonnent "Maitre Eolas ? Monsieur Scribe, greffier de la cour d'assises. La cour a fini de délibérer, nous vous attendons". Branle bas de combat, on file vers la salle en enfilant sa robe. Le coeur bat à cent à l'heure, les mains tremblent, c'est reparti.

Quand tout le monde est là, le greffier va informer le président, les mines sont graves.

Le verdict.

La cour fait son entrée, chacun reprend sa place. Les avocats scrutent les jurés qui semblent être devenus des sphynx (ils sont épuisé, il faut dire).

Le président fait entrer l'accusé, et donne lecture des réponses aux questions. A ce stade, seuls les avocats savent ce qu'il en est, car cela donne :

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement oté la vie à X ?', il a été répondu "oui" à la majorité de huit voix au moins..."

Traduction : l'accusé est coupable de meurtre.

Puis le président doit donner lecture des articles punissant ces faits. En pratique, il énumère les numéros et demande à l'avocat de la défense : "Maître, ces articles peuvent-ils être considérés comme lus ?", ce à quoi nous répondons toujours oui, pressés que nous sommes de savoir. La même question est posée à l'avocat général et aux parties civiles, qui sont toujours d'accord aussi.

Et il reprend : "En conséquence, la cour condamne (nom de l'accusé) à la peine de ... années de réclusion criminelle (si la peine est supérieure à dix années, sinon, ce sont des années d'emprisonnement)". A ce moment là, quelqu'un se met toujours à pleurer. Que ce soit la victime si la peine est légère ou la mère de l'accusé si elle est lourde. Parfois les deux pleurent, ce qui est contrariant pour la cour, je suppose.

Si l'accusé est détenu, sa condamnation emporte maintien en détention ; s'il est libre, sa condamnation à de la prison ferme entraîne mandat de dépôt et il est immédiatement interpellé par les policiers ou gendarmes présents.

Bien sûr, il y a une variante.

"A la question 'l'accusé est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à X ?', il a été répondu non par cinq voix au moins. En conséquence, la cour prononce l'acquittement de (nom de l'accusé)."

Bien évidemment, dans ce cas, la cour n'aura pas voté sur la peine. L'accusé est le cas échéant immédiatement remis en liberté.

Aussitôt l'arrêt rendu, le président libérera le jury en le remerciant, et déclarera que l'audience sur l'action publique est levée. Il ajoutera que l'audience sur l'action civile aura lieu dans quelques minutes.

Et après ?

Pour les jurés, c'est terminé. Ils peuvent rentrer chez eux, sous réserve d'être présent au prochain tirage au sort. Mais la cour n'en a pas fini. Il reste la question des dommages-intérêts, qui peuvent dans certains cas être dus même en cas d'acquittement (acquittement pour démence, existence d'une autre source de responsabilité que la faute pénale...). Vous pouvez rester, même s'il est tard, car cela fait partie du dénouement. Et c'est TRES rapide. Et vous verrez, le prétoire est désert.

Cinq minutes plus tard environ, la cour revient, seule, c'est à dire sans le jury. Elle déclare l'audience civile ouverte. L'avocat de la partie civile dépose des conclusions qu'il avait préparé préalablement demandant le prononcé de telle condamnation à titre de dommages-intérêts, outre une somme au titre de l'article 375 du CPP, c'est à dire le paiement des frais d'avocat. L'usage veut que l'on plaide brièvement, tout le monde étant épuisé ; et on est entre juristes : cette audience ressemble beaucoup aux audiences ordinaires. Les demandes sont écrites, on sait de quoi on parle, le vocabulaire est technique. La parole est donnée à l'avocat général, qui dira "je m'en rapporte", comprendre : ... à la sagesse de la cour. Le parquet n'estime généralement pas avoir à intervenir dans les affaires d'ordre privé entre les parties. L'usage veut également que l'avocat de la défense s'en rapporte. Il peut éventuellement contester telle ou telle évaluation lui semblant démesurée, mais l'heure n'est plus aux grandes plaidoiries et la cour a sa jurisprudence.

La cour se retirera pour délibérer et reviendra cinq minutes plus tard avec un arrêt sur intérêt civil qui sera prononcé sur le champ.

le président se tournera alors vers l'avocat général. "Monsieur l'avocat général, avez vous d'autres réquisitions ?". Non répondra l'avocat général.

"L'audience de la cour d'assises est levée. Elle reprendra demain matin à neuf heures", sauf si l'affaire est la dernière de la session, auquel cas le président déclarera close la session.

L'affaire est terminée. Les parties ont dix jours pour faire appel si elles le souhaitent. Si l'appel ne porte que sur les intérêts civils, il sera jugé par la chambre des appels correctionnels.

La cour d'assises d'appel.

Depuis le 1er janvier 2001, il est possible de faire appel d'une décision d'assises. La cour d'assises d'appel est désignée par la cour de cassation. La procédure est identique, à quelques différences près :

Le jury est composé de douze jurés au lieu de neuf. Il y a donc quinze personnes qui jugent.

La majorité doit être de dix voix au moins pour une décision défavorable à l'accusé, et non pas huit.



Il faut à présent ôter sa robe, ranger son dossier étalé sur toute la table consacrée aux avocats, pendant que le chef du service d'ordre attend pour fermer à clef la porte de la salle d'audience. On retrouve la famille de son client, quand il en a une, pour discuter de la décision, des suites éventuelles : faut-il faire appel ? Quand sortira-t-il ? Ou au contraire célébrer l'acquittement. Il fait souvent nuit. Des verdicts tombent parfois très tard (deux, trois heures du matin). Cela contribue à cette atmosphère unique de la cour d'assises, quand on traverse le palais désert et silencieux. D'autres affaires nous attendent, mais là, il est l'heure d'aller dormir.

jeudi 14 décembre 2006

L'affaire Seznec, ou la mémoire de Guillaume ne sera pas déchargée (en tout cas cette fois)

La Cour de cassation siégeant comme cour de révision a rejeté aujourd'hui la demande en révision présentée par Marilyse Lebranchu.

Loin de moi l'idée de dire que la Cour s'est trompée ou non. Silas Day-Lewa approuve la décision de la Cour de s'en tenir à un strict légalisme plutôt que de rendre une décision symbolique qui aurait fait plaisir à beaucoup sans faire de tort à personne de vivant.

N'étant pas historien et totalement étranger à cette affaire, je voudrais juste expliquer en quoi consiste cette procédure de révision en vous expliquant ce qui s'est passé et pourquoi il apparaît très difficile d'imaginer une nouvelle requête.

  • La révision n'est pas l'appel.

Un condamné à une infraction allant de la contravention de la 5e classe (1500 euros d'amende maximum, 3000 exceptionnellement en cas de récidive), jusqu'au crime peut faire appel dans les dix jours de la connaissance qu'il a de sa condamnation pour demander à être rejugé par une cour d'appel. Cela me fait penser que la question de cette connaissance par le condamné de sa condamnation mériterait un billet à part entière qui ferait le bonheur des étudiants en procédure pénale et de mes lecteurs curieux.

Notons également au passage que les condamnés pour crime (encourant des peines de 15 ans de réclusion jusqu'à la perpétuité, quand ce n'était pas pire encore) n'ont le droit de faire appel de leur condamnation que depuis la loi du 15 juin 2000. Aussi étonnant que cela paraisse, un condamné à mort n'avait pas droit de faire appel de sa condamnation. Quand on sait qu'il était à Paris un président réputé pour revenir avec une condamnation à mort après trois quart d'heure de délibéré...

Quand la voie de l'appel n'est pas ou n'est plus ouverte, soit que l'infraction est jugée sans appel (contravention de la 1e classe...), soit que la condamnation ait été prononcée en appel, la seule voie de recours restant est le pourvoi en cassation.

La particularité de ce pourvoi est qu'il ne vise qu'à remettre en cause l'application de la loi par la juridiction ayant statué en dernier. On ne peut contester les preuves : elles ont été appréciées souverainement par les juges. Il faut impérativement soulever une violation de la procédure ou une mauvaise application de la loi. La cour de cassation casse, c'est à dire annule la décision, et renvoie l'affaire pour être à nouveau jugée devant une juridiction équivalente (tribunal de police, cour d'appel...) mais naturellement autre que celle ayant statué. En effet, la cour ne peut juger les faits, ce qui suppose d'apprécier à nouveau les preuves. C'est ce qui rend les arrêts de la cour de cassation si intéressants pour le juriste : statuant en droit, ses solutions sont toujours transposables à d'autres affaires. C'est là l'essence de sa mission : unifier l'interprétation du droit. C'est pourquoi il n'y a qu'une seule cour de cassation (Quai de l'Horloge, à Paris 1er).

Quand le pourvoi en cassation est rejeté, la condamnation devient définitive. L'accusé devient coupable, la présomption d'innocence n'existe plus, on est passé à la preuve de la culpabilité. Il faut savoir mettre fin à un procès.

Le président de la République a le droit de grâce, qu'il tient de la Constitution, mais la grâce ne fait que dispenser de l'exécution de la peine, en tout ou partie. Elle ne fait pas disparaître la condamnation.

Néanmoins, il serait insupportable qu'une décision que tout le monde sût fausse ne pût être remise en cause. Cette voie de recours exceptionnelle, donc restrictive, s'appelle la demande en révision.

Le vocabulaire précis est donc : l'appel, le pourvoi en cassation, et la demande en révision.

  • Une voie de recours exceptionnelle.

Cette procédure est régie par les articles 622 à 626 du Code de procédure pénale. Elle n'est ouverte que dans quatre cas.

  1. Pour les seules condamnations pour homicide, si « des pièces propres à faire naître de suffisants indices » (sic) démontrant que la victime serait en vie. La tournure n'est pas très gracieuse. Des pièces ne font pas naître des indices, elles SONT des indices ; ce qu'elles font naître sont des doutes.
  2. Si deux condamnations ont été prononcées condamnant deux personnes différentes pour les mêmes faits. C'est le cas le plus facile, mais devenu quasiment impossible aujourd'hui, puisque cette contradiction démontre nécessairement l'innocence d'un des condamnés.
  3. Si un des témoins ayant déposé contre le condamné est condamné pour faux témoignage pour cette déposition.
  4. Enfin, si se produit ou se révèle un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.

La demande rejetée aujourd'hui relevait de ce quatrième cas : un témoin affirme que la personne que Seznec disait aller voir à Paris avec la victime Quemeneur existait bel et bien, alors que l'enquête initiale avait conclu que c'était une invention de Seznec.

Ce n'est pas tout que ces conditions soient remplies. Encore faut-il avoir qualité pour agir, c'est à dire faire partie des gens que la loi habilite à présenter une telle décision.

Il s'agit :

  1. Du condamné lui même, ou de son représentant légal s'il est mineur ou sous tutelle ;
  2. S'il est mort, par conjoint, ses enfants, ses parents, ses légataires universels ou à titre universel ou par ceux qui en ont reçu de lui la mission expresse. On pense au célèbre « Réhabilitez-moi ! » lancé par Ranucci à son avocat au moment d'être emmené vers la guillotine. Cette liste est exhaustive : Denis Seznec, petit-fils de Guillaume, ne peut pas présenter lui-même de demande en révision ; seule sa mère pouvait.
  3. Le Garde des Sceaux, en tout temps. C'est donc Marilyse Lebrachu qui avait, à la demande de Denis Seznec, signé la demande le 30 mars 2001.
  • Une procédure en deux temps.

La demande est adressée à la commission de révision de la cour de cassation. Elle est composée de cinq magistrats de la cour, dont le président est impérativement choisi au sein de la chambre criminelle, celle qui juge tous les pourvois en matière pénale.

Cette commission a des pouvoirs d'enquête et joue un rôle de filtrage. Elle peut interroger les parties prenantes et les témoins, ordonner des expertises ou des investigations policières. Une fois ses investigations terminées, et les observations des avocats et du ministère public ouïes au cours d'une audience qui peut être publique si une partie le demande, elle peut rejeter la demande, rejet qui n'est pas susceptible de recours, ou saisir la chambre criminelle statuant comme cour de révision. Il s'agit de la chambre criminelle en entier, soit pas moins de trente trois conseillers. Cette décision s'appelle un avis, puisqu'elle ne juge pas mais dit que la commission est d'avis qu'il y a lieu de saisir la cour de révision.

C'est ce qui s'est passé le 11 avril 2005, au cours d'une audience publique à la demande de Denis Seznec, lors de laquelle l'avocat général avait clairement pris partie pour une révision du procès, allumant les plus grands espoirs chez les héritiers de Seznec.

Une fois la cour de révision saisie, elle peut à son tour procéder aux mêmes mesures d'enquête. Concrètement, elle désigne un conseiller rapporteur, qui s'occupe du travail et dirige les débats lors de la délibération. Ce conseiller était Jean-Louis Castagnède, qui présidait la cour d'assises de Bordeaux lors du procès Papon.

Quand le dossier est en état d'être jugé (on dit « en état » tout court), une audience a lieu où le demandeur en révision peut présenter ses observations en personne ou par avocat, ainsi que la victime si elle le souhaite, et bien sûr le ministère public.

Cette audience est publique. Elle s'est tenue le 5 octobre dernier.

La cour met ensuite sa décision en délibéré. La décision est prise par les trente trois magistrats.

  • A quoi peut aboutir une demande en révision ?

La cour de révision peut tout d'abord rejeter la demande. C'est l'hypothèse la plus simple : circulez, il n'y a rien à innocenter.

Elle peut au contraire décider que la demande était fondée. Là, deux possibilités s'ouvrent à elle.

S'il est encore possible d'organiser un débat contradictoire, c'est à dire où toutes les parties pourront à nouveau faire valoir leur argument, l'affaire est renvoyée devant une juridiction de même nature que celle ayant statué. On revient alors à une situation proche de la cassation de la décision sur pourvoi.

Si ce n'est pas possible, du fait du décès des parties, d'une amnistie, de la démence d'une partie, ou autre, la cour juge l'affaire au fond dans sa décision. Elle annule les condamnations qui lui paraissent injustifiées, ou si les intéressés sont décédés, elle « décharge la mémoire des morts ».

Aujourd'hui, la cour a choisi la première branche de l'alternative : elle a rejeté la demande.

  • Et maintenant ?

Ayant moi même un peu de sang breton, je suis têtu comme une mule. Je ne doute pas dès lors que les héritiers de Guillaume Seznec, plus bretons que moi, ne soient encore plus obstinés et continueront leur combat.

Mais les obstacles sont difficiles à surmonter, et vous les connaissez désormais, cher lecteurs.

D'une part, il faudra trouver des éléments nouveaux au sens d'inconnus par la cour d'assises du Finistère qui a jugé l'affaire le 4 novembre 1924. La demande nouvelle pourra s'appuyer sur les éléments déjà soumis à la cour lors de cette demande, mais il en faudra d'autres. 82 ans après les faits, cela sera très difficile.

D'autre part, il faudra convaincre le Garde des Sceaux de présenter la demande, seul lui pouvant désormais le faire.

Vous voilà désormais équipés pour lire le (très long) arrêt de la chambre criminelle du 14 décembre 2006, affaire n°05-82.943, arrêt n°5813.

Vous verrez, maintenant que vous avez les armes pour décoder la procédure, ça se lit comme un roman policier.

mardi 8 août 2006

DADVSI : précision importante

Je reviens sur le constat un rien surpris que je faisais plus tôt sur le fait que le contournement de MTP via un programme dédié à cet effet n'était pas pénalement sanctionné, ergo autorisé de fait.

Des commentateurs éclairés ont attiré mon attention sur le fait qu'il a été annoncé lors des débats parlementaires que ces agissements seraient pénalement sanctionnés par un décret qui en ferait une contravention.

Donc cette impunité, qui est tout à fait réelle et effective pour le moment, risque de disparaître bientôt.

Il s'agirait d'une contravention de 4e classe, passible de 750 euros d'amende (maximum là aussi) PAR infraction constatée.

La qualification de contravention règle le problème de l'élément intentionnel, qui en matière contraventionnelle est quasiment inexistant (l'élément intentionnel est présumé et ne disparaît qu'en cas de démence ou de force majeure).

Je surveille le J.O., mais je doute que ces décrets soient pris avant la rentrée. Parfois, il faut les attendre plusieurs années. De plus, les mésaventures constitutionnelles du texte ont peut être refroidi les ardeurs répressives du ministre de la culture...

mardi 29 mars 2005

Irresponsabilité pénale : la démence

L'acquittement récent de Michel Perroy a de nouveau mis la question délicate de l'irresponsabilité pénale sur le devant de la scène.

Un petit point sur l'irresponsabilité pénale me paraît nécessaire, tant l'acquittement de quelqu'un qui a frappé sept personnes à coups de couteau, dont un enfant de 5 ans, a de quoi causer un émoi dans l'opinion publique.

Le Code pénal prévoit des cas où une personne qui a commis une infraction prévue et réprimée par la loi n'est pas pénalement responsable, c'est à dire doit être acquittée si c'est un crime, relaxée si c'est un délit ou une contravention, ou bénéficier d'un non lieu dès l'instruction. Ces cas sont limitativement énumérés aux articles 122-1 à 122-8 du Code pénal.

Lire la suite...

mercredi 3 novembre 2004

Le piratage privé est-il légal en France ? Suite et fin

Dans une deuxième partie, le jugement va rappeler qu’il existe un droit de copie prévu par l’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle : l’auteur ne peut s’opposer, une fois son œuvre divulguée, à ce que soient réalisées des copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective.

Lire la suite...

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.