Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 25 septembre 2019

La condamnation de Sandra Muller dans l'affaire #BalanceTonPorc

— Ah, cher maître, comme je suis bien aise de vous retrouver en ces lieux.

— Ma chère lectrice ! Je ne puis en croire mes yeux tellement est grande ma joie de vous revoir. J'ai craint que votre serviteur ayant laissé les lieux en jachère, vous ne l'ayez abandonné à votre tour, jetant à jamais sur ce blog d'un voile d'obscurité qui l'eût enlaidi.

— Cher maître, rassurez-vous, je suis fort bien en ces lieux, et ce n'est pas parce que vous fûtes resté un temps coincé dans les toilettes que l'envie de partir me fût venue.

— J'implore votre pardon pour ce retard. Je n'arrivais pas à ouvrir la porte : un institut bloquait le passage.

— Mais on ne peut faire entrer un institut dans des toilettes, maître !

— Je le sais mais il m'a fallu aller jusqu'en cassation pour le faire admettre. Mais n'anticipons pas. Je vous retrouve comme je vous ai laissée : l'œil brillant de colère et la poitrine soulevée d'indignation. Dites-moi tout : d'où vient votre courroux ?

— De chez vous, comme toujours, enfin de la justice, dont vous êtes l'auxiliaire. Elle a ce jour rendu un jugement condamnant lourdement Sandra Muller, pour diffamation, à cause d'un tweet.

— Je sais ce que ça fait, je compatis. Et quel tweet !

— LE tweet, maître, celui qui a lancé en France le hashtag équivalent à l'anglophone #MeToo, à savoir #BalanceTonPorc. Sur Twitter, les réactions à la nouvelle ont été, qu'elles soient approbatives ou désapprobatrices, plutôt modérées et équilibrées. Je plaisante, bien sûr.

— Je suis ravi de voir que votre ire ne vous fait point départir de votre humour.

— Bien que je doute que vos explications parviendront à faire passer cette décision pour acceptable à mes yeux, j'aimerais néanmoins les avoir, pour être certaine de mon opinion, ou le cas échéant en changer.

— Vous fîtes bien. Celles et ceux que les faits intéressent et aiment en prendre connaissance pour se faire leur opinion avant de prendre position publiquement trouveront toujours un havre ici. Voyons ensemble ce que dit réellement cette décision.

— Je vous ois. Vous connaissant, j'ai pris la liberté de vous préparer du thé.

— Un gyokuro Hiki, en hommage au Japon qui accueille la coupe du monde de rugby : vous êtes parfaite. Première précision importante pour notre affaire, il s'agit d'un jugement de la 17e chambre civile. C'est donc un jugement civil, et non pénal. La 17e chambre, spécialisée dans les affaires de presse, a en effet deux sections, une correctionnelle, qui juge les poursuites pénales pour injure et diffamation, et une chambre civile, qui ne juge que des poursuites civiles selon les règles du code de procédure civile.

— Et comment une affaire va-t-elle devant l'une plutôt que l'autre ?

— C'est le choix du plaignant. Ce choix est fait au moment où il lance la procédure, et est en principe irrévocable. Ici, Éric B., visé par le propos en cause, a choisi d'assigner au civil plutôt que de citer au pénal. Les raisons de l'un ou l'autre choix sont subtiles, et relèvent aussi bien de considérations de pur droit que d'opportunité stratégique. Je serais incapables de les donner avec certitude. Je pense que ce qui a pu être un des critères déterminants est la discrétion de la procédure : la procédure civile de droit commun s'appliquant, la représentation par avocat est obligatoire et la procédure est écrite. Cela évitait une audience pénale publique, où les parties et la presse sont présentes, et qui bénéficie d'une large publicité, ce qui peut être désastreux en cas d'échec, demandez à Denis Baupin.

— J'aime autant éviter. Quelle est la conséquence pour Sandra Muller que cette procédure soit civile ?

— Deux avantages : d'une part, elle n'est pas condamnée pénalement et ne peut plus l'être. Quoi qu'il arrive, elle n'aura pas de casier judiciaire. D'autre part, la procédure civile respecte, elle, l'égalité des armes : la défense peut demander au même titre que le demandeur que son adversaire soit condamné à prendre en charge tout ou partie de ses frais d'avocat ; au pénal, c'est impossible.

— Le jeu de dupe dont vous parlez sans cesse ?

— Disons que je constate qu'au pénal, on ne me parle d'égalité des armes que pour donner au procureur le droit d'appel en matière criminelle, ou pour revendiquer pour la victime le droit de faire appel de l'action publique. Quand je demande que le prévenu ou l'accusé bénéficie d'un droit ouvert aux autres parties au procès, on me répond "équilibre de la procédure."

— Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos porcs. Quelle était l'argumentation du demandeur ?

— Eric B. poursuivait en réalité deux personnes : Sandra Muller d'une part, et la société ABSM, éditrice de la Lettre Audio, puisque c'est sur le compte Twitter de cette société que le propos funeste a été publié. Il estimait que Sandra Muller a agi en tant que représentante de la société ABSM.

— Et quel était le propos litigieux ?

— Deux tweets enchaînés le 13 octobre 2017, en réaction à l'affaire Weinstein qui venait d'éclater à la suite de la publication d'un article du New York Times. Le premier disait :

#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends

Quatre heures plus tard, elle publiait ce second tweet (les noms propres ont été supprimés par mes soins, eu égard à la décision rendue) :

“Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.” Eric B. ex patron de E. #balancetonporc

C'est ce deuxième tweet, mais lu à la lumière du premier, qui était poursuivi comme diffamatoire. Éric B. a estimé que ce tweet lui imputait la commission du délit de harcèlement sexuel au travail, délit distinct du harcèlement sexuel de droit commun. Or imputer un délit est une diffamation, ce point ne fait plus discussion depuis longtemps.

— Et la défenderesse ?

— Les défenderesses, chère lectrice, puisqu'il y en avait deux : la journaliste et sa société. Elles ont déployé tout l'éventail classique des moyens de défense en la matière, sauf un, qui sera peut-être leur salut en appel. Mes lecteurs habitués connaissent un peu le droit de la diffamation, et se souviendront que le premier moyen de défense est l'exception de vérité : si la personne poursuivie pour diffamation prouve la vérité du fait, elle est immune et impune.

— Mais diffamer n'est donc pas imputer un fait mensonger ?

— Pas du tout, et les personnes qui poursuivent en diffamation, ou surtout font savoir à sors et à cris qu'elles vont poursuivre en diffamation quitte à ce qu'il y ait trop loin de la coupe aux lèvres, le savent et en jouent. Non, la diffamation n'est pas la calomnie. On peut diffamer en disant la vérité, car diffamer est imputer un fait contraire à l'honneur et à la considération. Peu importe qu'il fût vrai. Ainsi, si je dis que Raoul Vilain a tué Jaurès, je le diffame : je le traite de meurtrier. Et pourtant c'est vrai, nonobstant son acquittement par les assises, puisqu'il revendiquait ce geste.

— Et l'exception de vérité ?

— Il fallait tout de même protéger la presse. Ainsi, si la presse publie un article imputant des faits diffamatoires, comme par exemple la révélation qu'un maire de la région parisienne frauderait le fisc (je sais, l'hypothèse est absurde), il ne faudrait point que ledit maire pût obtenir une condamnation pour diffamation. Mais la preuve de la vérité est enserré dans des conditions de forme rigoureuses : la principale étant qu'elle doit être produite dans les dix jours de l'assignation.

— Pourquoi un délai si bref ?

— L'idée de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse était qu'un journal qui publie l'imputation de tels faits se doit d'avoir les preuves sous le coude. S'il doit faire une enquête a posteriori pour réunir les preuves de ce qu'il a publié, c'est qu'il a été téméraire dans ses accusations, et c'est ce que l'on souhaitait sanctionner. De plus, l'idée du législateur était que le procès se tînt promptement pour que le jugement sanctionne la publication alors qu'elle est encore fraîche dans la tête du lecteur. Cet objectif a été oublié depuis longtemps en tout cas à Paris, la 17e chambre étant totalement engorgée (mais à Créteil ou Fontainebleau, on obtient des jugements dans des délais beaucoup plus conformes à l'esprit de la loi).

— Et qu'arguait-elle au titre de la preuve de la vérité des faits ?

— Que les propos en question ont bien été tenus, parce qu'Éric B. a reconnu les avoir tenus et a présenté ses excuses ; que Sandra Muller en parlant de harcèlement ne faisait pas allusion au délit de harcèlement sexuel au travail, faute de lien de subordination entre elle et Éric B., et que le mot harcèlement était utilisé dans son acception courante et non juridique.

— Et que répliquait le demandeur ?

— Que la preuve des propos qu'il avait tenus n'était pas rapportée, et qu'aucun délit de harcèlement n'était prouvé que ce fût le délit spécial de harcèlement sexuel au travail, ou le délit de droit commun de harcèlement sexuel, qui suppose la répétition du comportement, or le propos qui lui est imputé n'avait été ténu qu'une seule fois.

— Et qu'en dit le tribunal ?

— A titre liminaire, je n'ose dire préliminaire, il rappelle le contexte : le 5 octobre 2017, le New York Times publie son enquête sur l'affaire Weinstein. Le 12, le Parisien publie le premier article sur cette affaire. Le 13, Sandra Muller publie les deux tweets ci-dessus. Puis le tribunal donne son interprétation du tweet.

Au vu de ces éléments et dans ce contexte très particulier, le premier tweet de Sandra MULLER fait référence à Harvey WEINSTEIN et à l’affaire en cours en employant le mot “porc” et en commençant par “toi aussi”. Il invite d’autres femmes que celles qui ont déjà témoigné à ce sujet à dénoncer des faits de harcèlement sexuel au travail. Le second tweet, en reprenant le #balancetonporc, renvoie nécessairement au premier, publié de surcroît quelques heures auparavant.

Dans le contexte spécifique de l’affaire WEINSTEIN, et compte tenu de l’emploi des mots “toi aussi” et des termes très forts de “porc” et de “balance”, qui appellent à une dénonciation, ainsi que des faits criminels et délictuels reprochés au magnat du cinéma, le tweet de Sandra MULLER ne peut être compris, contrairement à ce que soutient la défense, comme évoquant un harcèlement au sens commun et non juridique.

Dans la mesure où Sandra MULLER n’écrit pas qu’Eric B. était son supérieur hiérarchique, que le terme “au boulot”, dans une société où le travail indépendant est devenu très développé, n’implique pas nécessairement d’être salarié et où il est notoire que Sandra MULLER est une journaliste indépendante, l’imputation pour ce tweet n’est pas celle d’un harcèlement sexuel au travail au sens de l’article L. 1153-1 du code du travail.

Le tweet litigieux impute à Eric B. d’avoir harcelé sexuellement Sandra MULLER. Il s’agit d’un fait précis, susceptible d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, et réprimé par l’article 222-33 du code pénal, qui, dans sa version en vigueur au moment du tweet, réprime :

- le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante,

- le fait, même non répété, assimilé au harcèlement sexuel, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

Ensuite, le tribunal rappelle les conditions d'efficacité de la preuve de vérité :

Pour produire l’effet absolutoire prévu par l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée et leur signification diffamatoire.

L’offre de preuve ne comporte aucun jugement pénal définitif condamnant Eric B. pour harcèlement sexuel envers Sandra MULLER. Par conséquent, elle n’est pas parfaite, complète et corrélative à l’imputation diffamatoire et la demanderesse échoue dans son offre de preuve.

— En somme, le tribunal n'eût accepté l'offre de preuve que si Éric B. avait été condamné pour harcèlement sexuel antérieurement au tweet litigieux. En somme, le message est "poursuivez ou taisez-vous" ?

— L'interprétation stricte du terme "harcèlement" par le tribunal entraine une interprétation stricte de l'exception de vérité. À suivre le tribunal, les femmes qui voudraient dénoncer un comportement inapproprié d'un homme à leur encontre devront veiller à ne pas utiliser de terme pouvant avoir une connotation juridique.

— Je sens que Sandra Muller aura déjà bien des choses à dire en appel. Soulevait-elle un autre moyen de défense ?

— Bien sûr. Le deuxième moyen classique : la bonne foi. Qui en matière de presse, n'est jamais présumée, même au pénal.

— Qu'est-ce que la bonne foi, en la matière ?

— Sans débat sur la véracité ou non des faits, la personne poursuivie est immune si elle établit quatre éléments cumulatifs : qu'elle a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’elle s’est conformée à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant précisé que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos. Le tribunal ajoute un paragraphe supplémentaire :

Ces critères s'apprécient également à la lumière des notions "d'intérêt général" s'attachant au sujet de l'information, susceptible de légitimer les propos au regard de la proportionnalité et de la nécessité que doit revêtir toute restriction à la liberté d'expression en application de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de "base factuelle" suffisante à établir la bonne foi de leur auteur, supposant que l'auteur des propos incriminés détienne au moment de les proférer des éléments suffisamment sérieux pour croire en la vérité de ses allégations et pour engager l'honneur ou la réputation d'autrui et que les propos n’aient pas dégénéré en des attaques personnelles excédant les limites de la liberté d’expression, la prudence dans l'expression étant estimée à l'aune de la consistance de cette base factuelle et de l'intensité de l'intérêt général.

— Houla, c'est un peu obscur.

— Oui, j'ai connu la 17e plus claire. D'autant que cette irruption de l'article 10 de la CEDH dans la bonne foi, alors qu’elle constitue un moyen totalement distinct dans ses conditions me surprend quelque peu. Pour résumer, le tribunal indique qu'il va examiner si Sandra Muller pouvait croire en la vérité des propos au vu des éléments dont elle disposait et que ses propos n'ont pas dégénéré en attaque personnelle.

— Mais le demandeur avait reconnu les faits !

— Il avait reconnu avoir tenu des propos déplacés, on y reviendra : mais le tribunal a estimé que le tweet n'imputait pas à Éric B. d'avoir tenu les propos en cause mais lui imputait de s'être rendu coupable d'un délit de harcèlement, et surtout les excuses d'Éric B. sont postérieures à la publication, alors que la bonne foi s'apprécie au moment de la publication et non sur des éléments postérieurs à icelle.

— Mais cela change tout pour la défenderesse !

— C'est peu de le dire. Voici ce que dit le tribunal :

S’agissant du premier critère de la bonne foi, en pleine affaire Weinstein, médiatisée internationalement et ayant permis la libération de la parole de femmes victimes, et dans une société française où les femmes ont eu le droit de vote en 1944, les maris ont cessé d’être appelés “chefs de famille” dans le code civil en 1970, l’égalité salariale entre hommes et femmes n’est pas atteinte, le viol conjugal a été reconnu par la jurisprudence à partir de 1990 et plusieurs plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes ont été adoptés, la question des rapports entre hommes et femmes, et plus particulièrement des violences sous toutes leurs formes infligées aux femmes par des hommes, constitue à l’évidence un sujet d’intérêt général.

— Ça commence bien, même si on se demande ce que vient faire ce rappel historique abrégé du retard de la France en matière d'égalité homme/femme.

— Ça continue plutôt bien.

S’agissant du critère de l’animosité personnelle, si le demandeur verse des éléments ayant trait à la déception voire à la colère de Sandra MULLER en raison du refus d’Eric B. de s’abonner à sa lettre entre 2004 et 2008, puis en 2012, ces pièces ne démontrent pas une animosité personnelle au sens du droit de la presse, qui s’entend d'un mobile dissimulé ou de considérations extérieures au sujet traité, ces attestations évoquant des faits anciens et sans commune mesure avec l’imputation diffamatoire.

— Pas d'animosité personnelle donc. Où le bât va-t-il blesser ?

— Sur le sérieux de l'enquête, ou ici le sérieux de la base factuelle, et la prudence dans les propos.

S’agissant des critères de base factuelle et de prudence dans les propos, alors même que, vivement interpellée par tweet, Sandra MULLER répondait avoir la preuve irréfutable de ce qu’elle affirmait, force est de relever que :

- le message du 12 juillet 2016 dans lequel elle indique les propos que lui aurait tenus Eric B. (”j’adore les femmes a gros seins viens avec moi Je vais te faire jouir toute la nuit”) ne comprend pas les mêmes propos que ceux qu’elle lui prête dans le tweet litigieux,

— Le tribunal chipote, là, non ?

— Il n'a pas fini de chipoter :

- si elle écrit dans un message du même jour à Eric B. “Qui est allé trop loin en me harcelant tellement en me manquant tellement de respect que j’ai du appeler le dir com de Orange pour Faire Bouclier ?”, Eric B. répond à ce message “ C’est marrant. Tu ne changes pas. Toujours aussi énervée et rancunière. Au fond, tu ne m’a jamais pardonné de ne pas m’être abonné et tu es prête à écrire n’importe quoi !”, contestant ainsi le harcèlement allégué,

— Le tribunal voit dans cette réponse une contestation des faits ?

— Oui. Ça ne m'est pas aussi manifeste qu'au tribunal.

— Mais la reconnaissance des faits par Éric B. ?

— Nous y arrivons.

- Eric B., dans une tribune au Monde, a reconnu avoir, lors d’un cocktail dans une soirée, tenu des propos à Sandra Muller qu’il a qualifiés de “déplacés” et a affirmé regretter (pièce 24 en défense),

- il a précisé lors d’une interview sur Europe 1 (pièce 25 en défense) avoir dit à la journaliste “lors d’une soirée arrosée” : “t’as de gros seins, tu es mon type de femme” une fois, avoir “été lourd”, avoir “mal agi” puis après que Sandra Muller lui aurait dit “stop”, avoir ajouté “sur un ton ironique : “Dommage je t’aurais fait jouir toute la nuit” et avoir présenté des excuses le lendemain,

- aucune des attestations produites en défense n’évoque la tenue par Eric B. des propos rapportés par Sandra Muller ou de propos proches de ceux-ci ni d’un quelconque harcèlement à son encontre.

Le tribunal en déduit que :

Alors même que l’emploi du terme harcèlement évoque une répétition ou une pression grave, les pièces produites en défense n’établissent aucune répétition des propos qu’Eric B. lui aurait tenus - ni même d’ailleurs qu’il lui ait précisément tenus les propos allégués - ou d’une quelconque attitude susceptible d’être qualifiée de harcèlement envers Sandra Muller, au sens de l’article 222-33 du Code pénal.

Aussi, quel qu’ait pu être le ressenti subjectif de Sandra Muller à la suite de paroles d’Eric B., qui ont pu entrer en résonance avec une agression subie par la journaliste, la base factuelle dont elle disposait était insuffisante pour tenir les propos litigieux accusant publiquement le demandeur d’un fait aussi grave que celui du délit de harcèlement sexuel et elle a manqué de prudence dans son tweet, notamment en employant des termes virulents tels que “porc” pour qualifier le demandeur, l’assimilant dans ce contexte à Harvey Weinstein, et “balance”, indiquant qu’il doit être dénoncé et en le nommant, précisant même ses anciennes fonctions, l’exposant ainsi à la réprobation sociale ; elle a dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, ses propos dégénérant en attaque personnelle.

Le sort de Sandra Muller est dès lors scellé, il ne reste plus qu'à chiffrer ses condamnations.

Compte tenu de l’ensemble des éléments de la cause, du retentissement exceptionnel mondial qu’ont eu ces deux tweets, Eric B. étant devenu connu comme le “premier porc” du mouvement international “balance ton porc”, des justificatifs relatifs à l’état psychologique d’Eric B., en “état dépressif majeur” depuis avril 2018, sous antidépresseurs, anxiolytiques et bénéficiant d’un suivi régulier et à l’isolement social subi à la suite de ces faits, ainsi que du préjudice de réputation établi notamment par la pièce 19, il convient de condamner in solidum - dans la mesure où il s’agit d’une instance civile et où la solidarité ne se présume pas- les défenderesses à lui verser la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi, incluant le préjudice de réputation.

En outre s'y ajoutent deux réparations dites en nature : l'obligation de supprimer ledit tweet, et de publier sur le compte Twitter de la lettre Audio ainsi que dans deux journaux le communiqué suivant : Par jugement du 25 septembre 2019, le tribunal de grande instance de PARIS (chambre civile de la presse) a condamné Sandra MULLER pour avoir diffamé publiquement Eric BRION, en diffusant sur ce site le 13 octobre 2017 un tweet sous le #balancetonporc, le mettant en cause. (Je laisse le nom puisqu'il figure en toutes lettres dans le communiqué édicté par le tribunal, par respect pour la décision).

Pour le plaisir, je ne résiste pas à reproduire ci-dessous les exigences précises du tribunal, ce qui fera sourire les utilisateurs de Twitter et suffira à lui seul à justifier l'appel annoncé de ce jugement :

Dit que ce communiqué, placé sous le titre “PUBLICATION JUDICIAIRE”, devra figurer en dehors de toute publicité, être rédigé en caractères gras de taille 12, en police “Times New Roman”, être accessible dans le délai de quinze jours à partir de la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et de manière continue pendant une durée de deux semaines, soit directement en intégralité sur le premier écran de la page d’accueil du compte Twitter https://twitter.com/LettreAudio, soit par l’intermédiaire, depuis ce premier écran, d’un lien hypertexte portant la mention “PUBLICATION JUDICIAIRE” en caractères gras, noirs et d’un centimètre, sur fond blanc,"

Si quelqu'un sait comment faire apparaître sur la page d'accueil d'un compte Twitter une mention en Times New Roman grasse de taille de police 12, ou d'un lien hypertexte mesurant 1 cm de hauteur même sur les écrans de smartphone, je suis preneur.

S'y ajoutent 5000 euros de frais de procédure divers, dont le coût du constat d'huissier, et naturellement les honoraires de l'avocat, qui ne sont à mon avis que partiellement couverts.

— Je suffoque de rage. Sandra Muller a dénoncé quelqu'un qui a reconnu avoir eu un comportement inapproprié, et même franchement grossier à son égard, et elle doit lui payer 20.000 euros ! Ne me dites pas que vous approuvez ce jugement ?

— Chère lectrice, ce jugement est critiquable, et il sera critiqué, par la seule voie que permet la loi : l'appel. Comme je vous l'ai dit, la défense aura du grain à moudre devant la cour, mais je me garderai de prédire sa victoire. Si cela vous rassure, elle a un avocat qui, quelle que soit la discourtoisie dont il a cru devoir faire preuve à l'égard de votre serviteur, demeure incontestablement un excellent avocat, et même un des meilleurs de France. Le tribunal a eu la sagesse de ne pas assortir sa décision de l'exécution provisoire, donc l'appel en suspendra tous les effets. Néanmoins, le tribunal soulève dans sa décision des points non dénués de toute pertinence. Sandra Muller a été victime de quelque chose que je connais bien et que je me garderai de lui reprocher : la précipitation sur Twitter. De celle qui vous fait écrire "institut" au lieu de "pacte", ou employer des mots maladroits, comme le verbe "balancer" et le mot "porc" (ou le mot caca, soit dit en passant). À titre personnel, je comprends l'argument disant que l'important n'est ni le verbe ni le nom mais le comportement dénoncé. Pour tout dire, j'y adhère, pour ce que ça vaut. Le problème avec l'emploi de mots violents pour dénoncer un comportement violent tellement entré dans les mœurs qu'on ne le remarque plus quand on n'est pas celle qui le reçoit, c'est qu'il offre un boulevard aux personnes se demandant si elle n'ont pas un jour été elles-mêmes un porc balançable pour détourner le sujet en surjouant l'indignation sur le vocabulaire employé pour dénoncer le comportement. Et on y a eu droit dans les mois qui ont suivi, à l'indignation vertueuse des exégètes du mot balancer, avec points Godwin à la clé.

Il demeure, est j'espère ne pas subir votre ire de ce chef, que dans ce genre de circonstances, il peut aisément se produire un phénomène de bouc émissaire, où, dès qu'une personne sera pointée du doigt, elle se prendra une avalanche d'opprobre et d'attaques qui en sont pas sans rappeler par leur disproportion les Animaux malades de la peste de La Fontaine. Éric B., cela semble acquis, s'est comporté avec Sandra Muller comme un gougnafier fini lors d'une soirée professionnelle où l'on se doute qu'il n'a pas carburé qu'à l'eau de Vittel. Sandra Muller ne prétend jamais, à aucun moment qu'il serait allé au-delà des paroles, jusqu'à un acte physique transgressant la loi pénale (ce en quoi je diffère avec l'analyse du tribunal qui voit dans les propos l'imputation du délit de harcèlement sexuel). Or Éric B. semble avoir subi en répercussion une mise au ban comme s'il avait commis des faits similaires à ceux imputés à Harvey Weinstein, par un déshonneur par association, alors que les faits sont sans commune mesure, on doit cette vérité aux victimes du producteur américain. Cela semble avoir préoccupé le tribunal, qui a choisi la voie de la sévérité pour dissuader les dérives.

— Je ne suis pas convaincue mais je comprends votre position. Au fait vous disiez qu'un moyen n'avait semble-t-il pas été soulevé qui pourrait changer bien des choses en appel ?

— En effet. Il ressort du jugement, qui est le seul document dont je dispose, que si l'exception de vérité et la bonne foi ont bien été soulevés, un moyen autonome tiré de l'article 10 de la CEDH, lui, ne l'a pas été.

— Et que dit cet article ?

— C'est l'article de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) qui protège la liberté d'expression. Or la cour européenne a une vision très libérale (rappel : ce n'est pas un gros mot) de cette liberté, qui devient quasi absolue dès lors que l'on touche à un débat d'intérêt général. La cour exige que plus l'intérêt du propos est général, plus la liberté d'expression soit large, frôlant l'absolu en matière politique. C'est un moyen autonome dans le sens où il n'a pas à se conformer aux conditions restrictives du droit interne liées à l'exception de vérité ou de bonne foi. Si le débat est d'intérêt général, le propos doit être protégé, peu importe qu'il soit excessif dans son expression. Spoiler alert : je dois beaucoup à cet article.

Or ici, le tribunal ne semble pas avoir été saisi expressément d'un argument disant : vu l'intérêt général de la dénonciation du comportement inapproprié que les femmes subissent au quotidien dans leur milieu professionnel, la liberté d'expression protège le propos. Le tribunal enferme l'article 10 dans les conditions de la bonne foi. Je pense qu'un argument d'appel invoquant l'article 10 de la CEDH de manière autonome aura de bonnes chances de triompher. Cela dit avec toutes les réserves du commentateur qui n'a que la décision et pas le détail des écritures des parties.

— Maître, merci de ces lumières. J'attendrai donc le résultat de l'appel.

— Par pitié, n'attendez pas si longtemps pour revenir.

— Promis, maître, à une condition : que vous n'attendiez pas si longtemps pour publier un nouveau billet.

— Le coup est rude, chère lectrice, mais régulier. Vous avez ma promesse en retour.

mardi 22 octobre 2013

L'affaire Leonarda

La France s’est cette semaine prise de passion pour le droit des étrangers, ce qui ne peut que me réjouir, tant cette discipline est largement ignorée du grand public, ce qui, nous allons le voir, est parfois mis à profit sans la moindre vergogne par nos dirigeants pour se défausser de leurs responsabilités.

Afin de vous éclairer et de vous permettre de vous faire une opinion étayée sur cette affaire, qui est d’une banalité affligeante pour tout avocat en droit des étrangers, voici les faits tels que j’ai pu les reconstituer, ce que dit la loi, et, ce qui est toujours les plus intéressant dans ce type d’affaire médiatisée, ce qu’elle ne dit pas, et enfin, car on est chez moi, mon avis, que vous n’êtes pas obligé de partager ni même de lire.

Leonarda est une jeune fille de 15 ans, scolarisée dans le joli département du Doubs, en France-Comté. Elle n’est pas, d’un point de vue juridique l’héroïne de cette affaire, mais plutôt une victime collatérale. Le vrai protagoniste est son père, Resat D….

Resat D… donc est né au début des années 70 (1973-1974 semble-t-il) au Kosovo, dans une famille Rrom.

Kosovo, terre de contraste et d’aventures

Le Kosovo (carte ci jointe, source Here.com, colorisation par votre serviteur) Image_1.pngest un territoire de la taille d’un département français, qui affecte en gros la forme d’un losange de 100 km de côté. Situé à la pointe sud de la Serbie, il est l’alpha et l’oméga de la guerre, ou plutôt des guerres qui ont déchiqueté la Yougoslavie dans les années 90. C’est en effet au Kosovo, à Gazimestan, que le 28 juin 1989, Slobodan Milošević craqua l’allumette qui allait incendier les Balkans, dans un discours prononcé pour le 600e anniversaire de la bataille de Kosovo, ou bataille du champ des merles, qui vit les armées du prince Lazar de Serbie anéanties par celles du sultan turc Mourad Ier (qui furent elles aussi quasi anéanties bien que deux fois supérieures en nombre). Cette bataille est un symbole très important pour la nation serbe, son acte de naissance, ce qui fait du Kosovo le berceau des Serbes.

Le Kosovo était une des deux provinces autonomes de la République de Serbie (l’autre étant comme tout le monde le sait la Voïvodine au nord du pays), partie intégrante de la Yougoslavie, fédération de six Républiques. Il faut savoir que les citoyens yougoslaves avaient tous, outre la citoyenneté yougoslave, qui n’avait de sens qu’à l’extérieur des frontières, une nationalité (c’est le terme officiel, narodnosti) différente, inscrite sur leur carte d’identité. Tous les Yougoslaves étaient à l’intérieur du pays soit Slovènes (catholiques), Croates (catholiques), Musulmans (oui, c’était une nationalité ; le terme de Bosniaque est synonyme), Serbes (Chrétiens orthodoxes), Monténégrins (chrétiens orthodoxes), ou Macédoniens (Chrétiens orthodoxes, mais pas les mêmes que les Serbes et Monténégrins). Outres ces “nationalités”, reconnues dans la Constitution yougoslaves comme partie constituante de la Yougoslavie, d’autres minorités ethniques étaient parfaitement identifiées du fait qu’elles parlaient leur propre langue, principalement (il y en avait plus de 20 différentes) les Albanais (qui n’étaient pas citoyens de l’Albanie voisine mais bel et bien des Yougoslaves albanophones), musulmans, les Hongrois (idem, en hongarophone), catholiques, et les Rroms (qui parlent le romani).

Note importante sur les Rroms de Yougoslavie : ils vivaient là depuis des siècles, étaient sédentaires depuis leur arrivée, et adoptaient la religion de la République qu’ils habitaient et apprenaient outre le romani, la langue officielle de l’endroit. Cette note s’adresse tout particulièrement aux ministres de l’intérieur qui osent sortir des conneries du genre les Rroms sont culturellement incapables de s’intégrer. Quina vergonya, Manuel, quina ignorància.

Vous comprenez désormais le sens du mot “balkanisation”. Mélangez tous ces peuples dans des proportions variables, excitez les haines nationalistes et religieuses, et vous obtenez un cocktail explosif qui a détonné en 1990.

Le Kosovo, en 1989, était un berceau déserté. Il faut dire que le Kosovo, c’est beau, mais c’est pauvre. Très pauvre. La partie la plus pauvre de Yougoslavie. Les Serbes ont donc émigré dans la riche Serbie voisine, ne laissant qu’une population minoritaire dans les grandes villes, le pays restant parsemé de villages à population quasi-exclusivement serbe, seule la pointe nord du pays demeurant à majorité serbe. La majorité (on parle ici de 90% de la population) est Albanaise et de religion musulmane. Les Serbes, à la veille de la guerre, représentaient 6% de la population. Les Rroms, 2,3%. Le régime de Milošević avait une politique simple : partout il y a des serbes, c’est la Serbie, sauf au Kosovo où c’est la Serbie même où il n’y a pas de Serbes. Et ça a pété en 1998-1999. La guerre a pris fin à la suite d’une campagne de bombardements par l’OTAN qui ont frappé le territoire serbe (même Belgrade a été bombardée) et la retraite de l’armée yougoslave en juin 1999. Le territoire a d’abord été administré par l’ONU, jusqu’à peu après sa proclamation d’indépendance en février 2008, où l’UE a pris le relais, indépendance qui n’est toujours pas reconnue par plusieurs pays (citons la Russie, la Chine et l’Inde, ce qui couvre déjà la moitié de l’humanité) et contestée encore à ce jour par la Serbie.

Le symbole de cette partition est la ville de Mitrovica (prononcer Mitrovitsa), coupée en 2 par un pont qui n’est pas vraiment celui de la concorde. Au nord, les Serbes du Kosovo, qui outre Mitrovica sont dans les villes de Zveçan, Zubin Potok et Leposavić, et refusent encore et toujours l’indépendance (ils boycottent les élections et la participation y est nulle), et au sud, les Albanais. Au milieu coule l’Ibar, et la haine. À Mitrovica, les voitures n’ont pas de plaques d’immatriculation, pour ne pas se faire caillasser par ceux de l’autre côté. Et entre ces deux communautés qui se haïssent, Albanais et Serbes, les Rroms. Ils sont haïs par les Albanais, qui ne leur pardonnent pas d’avoir été du côté des troupes serbes lors de la guerre (ils ont été victimes de pogroms pendant la guerre), et méprisés par les Serbes, qui se replient sur leur communauté et les rejettent comme des éléments extérieurs, d’autant plus qu’au Kosovo, ils sont majoritairement musulmans. Que ce soit clair : les discriminations vécues au quotidien par les Rroms au Kosovo sont certaines et avérées. Mais elles ne sont pas suffisantes pour fonder une demande d’asile sans faits précis et personnels. On va y revenir. Et c’est là que se retrouve aujourd’hui Resat D… et ses enfants, qui découvrent à cette occasion le Kosovo, terre de contrastes et d’aventure.

Aujourd’hui, le Kosovo est le 145e pays au monde en PIB/habitant, 45% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, 17% en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Malgré son statut de paradis fiscal : tranche d’imposition la plus élevée : 10% ; impôt sur les sociétés : 10%. Et la monnaie est l’euro. Comme quoi.

Donc notre ami Resat est né au Kosovo à l’époque de l’ex-Yougoslavie. Cela semble à peu-près établi. Il en est parti, ce point est certain. C’est après que ça se gâte. Toujours est-il qu’en janvier 2009, il est heureux en ménage et arrive en France avec 5 enfants ; un 6e viendra égayer encore cette famille par la suite. Peu de temps après son arrivée en France, il a présenté une demande d’asile en même temps que sa compagne.

L’asile, procédure de contrastes et d’aventures

Tout étranger (j’entends par étranger ressortissant d’un pays extérieur à l’UE : les citoyens de l’Union ne peuvent plus être regardés véritablement comme des étrangers) qui entend venir s’installer en France doit préalablement demander la permission à l’État. Cette permission prend la forme d’un visa (un autocollant sécurisé apposé sur une page du passeport). Ajoutons qu’un simple visa, dit “visa Schengen” est en principe insuffisant : il faut un visa spécial, dit “long séjour”. Ces visas sont délivrés par les consulats, après un questionnaire simple : “êtes-vous un footballeur de haut niveau ?”. Si la réponse est oui, le visa est accordé ; sinon il est refusé.

Plus sérieusement, mais à peine, l’État est libre de donner l’entrant à qui il souhaite sur son territoire. C’est un pouvoir discrétionnaire qui ne connait que peu d’exceptions où l’État est obligé de délivrer le visa, qui tiennent au fait que l’étranger souhaitant venir a des liens familiaux en France. Une exception particulière est le droit d’asile.

En effet, le droit d’asile dépend d’une convention internationale, la Convention de Genève du 28 juillet 1951, signée au lendemain de l’invention du point Godwin, et alors que l’Europe devait gérer des déplacements de population se comptant en millions dans des pays ravagés. Dieu merci, de ce fait, le droit d’asile est donc à l’abri de la folie du législateur. La France a l’obligation de recevoir et d’étudier toute demande d’asile, la Convention lui laissant une grande liberté sur la procédure, et c’est là que le législateur joue pour restreindre le plus possible ce droit en imposant des délais de plus en plus brefs, en imposant aux demandeurs des obligations de plus en plus difficiles à tenir : ainsi, le demandeur a de nos jours 21 jours et pas un de plus, une fois le dossier de demande obtenu de la préfecture (ce qui vaut les travaux d’Astérix), pour que le dossier arrive à l’OFPRA, rempli en français, à ses frais en cas de besoin de traduction, y compris des pièces justificatives. Si ce délai est raté d’un jour, la demande ne sera pas examinée et le demandeur devra en présenter une nouvelle (l’OFPRA ne considère pas cette irrecevabilité comme un rejet) mais il bascule sur une procédure accélérée moins protectrice (la procédure prioritaire, PP, qui mériterait un billet à elle toute seule).

Quand ces obstacles procéduraux sont franchis, généralement avec l’aide d’associations dévouées et efficaces, le dossier est examiné par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides. Longtemps dépendant du ministère des affaires étrangères, il a été confié au ministère de l’immigration de sinistre mémoire, avant, à la disparition de celui-ci, d’être reversé au ministère de l’intérieur, montrant que l’asile est désormais perçu sous le seul angle de l’immigration, alors qu’il traite bien de problèmes internationaux.

L’examen de cette demande prend la forme d’un entretien avec un agent de l’OFPRA, qu’on appelle Officier de Protection (OP). Cet entretien fait l’objet d’une transcription rédigée sur le champ par l’OP lui-même, et portera autant sur les faits fondant la demande que sur des questions visant à s’assurer de la réalité des allégations du demandeurs, notamment de sa provenance. L’OP cherche, schématiquement à répondre à deux questions : les faits sont-ils établis ? Et si oui, rentrent-ils dans le cadre de l’asile, à savoir : le demandeur craint-il avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et ne peut-il ou, du fait de cette crainte, ne veut-il se réclamer de la protection de ce pays ? Si la réponse est à nouveau oui, le statut de réfugié lui est accordé. Il est placé sous la protection de l’Office, et au-delà, de la France, qui lui délivrera tous les actes d’état civil dont il aura besoin, et y compris un titre de voyage lui permettant de circuler dans les pays signataires de la Convention de Genève sauf celui dont il vient. Un réfugié rompt définitivement tout lien l’unissant à son pays d’origine.

En cas de rejet de la demande, le demandeur dispose d’un délai d’un mois pour exercer un recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA), anciennement la Commission de Recours des Réfugiés. C’est un recours juridictionnel où l’assistance d’un avocat est enfin possible.

Tant que la demande est examinée, que ce soit par l’OFPRA ou devant la CNDA, le demandeur a un droit au séjour, qui ne peut pas lui être refusé sous prétexte qu’il serait entré illégalement ou même frauduleusement, à savoir avec des faux papiers. Conjugué avec la fermeture progressive et continue des autres voies d’immigration légale, cela pousse à ce que l’asile soit utilisé par des candidats à l’immigration pour obtenir une possibilité de rester en France. Cette fraude à l’asile justifie les lois restreignant de plus en plus ce droit, au nom de la lutte contre la fraude, et la pompe est amorcée. Que dans le tas, des vrais réfugiés soient pris dans la nasse et se voient refuser l’asile auquel ils ont droit est une conséquence que nos dirigeants ont envisagé, et répondu par un haussement d’épaule. Sachez qu’à ce jour, deux tiers des demandes d’asile sont accordées par la CNDA en appel, un tiers seulement par l’OFPRA. C’est un vrai signal d’alarme.

Pendant l’examen de sa demande, le demandeur d’asile a un droit au séjour, une couverture maladie, et pas le droit de travailler. Ce droit lui a été retiré par une loi de 1991. Déjà pour lutter contre la fraude et le chômage. J’en ris encore. À la place, le demandeur perçoit une allocation temporaire d’attente, qui lui est supprimée s’il est logé dans un centre d’accueil des étrangers (CADA). Oui. La solution trouvée par le gouvernement Rocard a été d’interdire à des travailleurs aptes de travailler, de les contraindre à l’oisiveté, et de leur verser une allocation. L’idée a dû sembler excellente car personne n’est revenu dessus. Et au passage, on peste sur ces étrangers venus ne rien faire et toucher des allocs. Ubuesque.

Cette situation n’étant pas tenable à moyen terme, l’administration accepte d’examiner les demandes d’autorisation de travail des demandeurs d’asile dont le dossier est pendant à l’OFPRA depuis un an ou en cas d’appel devant la CNDA. Leurs demandes sont traitées comme celles de tout étranger, ce qui suppose de produire une promesse d’embauche assortie de l’engagement par l’employeur de payer une taxe pour l’embauche d’un étranger de l’ordre d’un mois de salaire si l’autorisation est donnée, et avec tout ça le préfet peut malgré tout refuser si la situation de l’emploi le justifie, c’est à dire s’il estime qu’un Français (ou ressortissant de l’UE ou autre étranger en situation régulière) pourrait occuper ce poste. Je n’ai pas de statistiques nationales, mais mes clients concernés se sont tous vu opposer un refus (échantillon non représentatif car très faible).

Un débouté du droit d’asile dispose d’une voie de recours extraordinaire : le réexamen. Le réexamen permet à un demandeur débouté de faire état de faits nouveaux, survenus ou découverts postérieurement à la décision de rejet : l’existence de faits nouveaux est une condition de recevabilité de la demande. Le réexamen ne donne aucun droit au séjour, ni au travail ni à l’allocation temporaire d’attente. La demande de réexamen est d’abord étudiée par l’OFPRA, qui peut décider de reconvoquer le demandeur (c’est rarissime) ou rejeter sur dossier, ce rejet pouvant à nouveau être porté devant la CNDA, qui peut, et elle ne s’en prive pas, rejeter la demande sans audience. Il n’y a pas de limite au nombre de réexamens qu’on peut demander puisque ce réexamen ne donne aucun droit.

Revenons-en à notre ami Resat.

Arrivé en France, il présente une demande d’asile. Rrom Kosovar, il y a gros à parier que son récit prétendait qu’il habitait le Kosovo quand la guerre a éclaté en 1998. Les Rroms qui arrivent à établir qu’ils étaient au Kosovo en 1998-1999, et tout particulièrement à Mitrovica d’ailleurs, et l’ont fui à ce moment se voient en règle générale accorder l’asile. Leur retour au Kosovo est inenvisageable : ils sont vus comme des collaborateurs des Serbes, leur maison a été détruite ou saisie et les rancœurs sont encore vives. L’info a circulé, mais les OP connaissent très bien la situation au Kosovo et l’historique de la guerre. L’Office n’a pas été convaincue par le récit de Resat, et on sait à présent, de l’aveu du principal intéressé, que c’était à raison. Sa demande est donc rejetée. Il saisit la CNDA d’un recours, examiné en audience publique où il peut s’expliquer devant 3 conseillers, probablement assisté d’un avocat. Le rejet est confirmé. Il va demander un réexamen, qui sera rejeté par l’OFPRA, les faits nouveaux qu’il invoquait étant soit pas vraiment nouveaux, soit pas vraiment établis. La CNDA ne semble pas avoir été saisie d’un recours contre ce rejet.

Une fois la première demande rejetée définitivement, le demandeur d’asile devient étranger de droit commun.

Être étranger en France, vie de contrastes et d’aventure.

La loi, en l’espèce le Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA), prévoit que tout étranger majeur, pour pouvoir demeurer en France au-delà d’un court séjour, couvert par un simple visa, doit être muni d’un titre de séjour délivré par l’Etat, pris en la personne de son représentant dans le département, le préfet (à Paris, qui en a plusieurs, le préfet de police). Ce titre de séjour s’appelle carte de séjour si elle a une durée d’un an, et carte de résident si elle est valable 10 ans. La carte de résident, le Graal des étrangers, assure un droit au séjour quasi-définitif, puisqu’elle est renouvelable de plein droit sauf accident. Les demandeurs d’asile sont censés se voir délivrer une carte de séjour temporaire (en fait un simple récépissé qui a valeur identique mais coûte moins cher à fabriquer : c’est un bout de carton imprimé sur une imprimante à aiguilles (bienvenue en 1980) avec un coup de tampon.

Note importante : un mineur n’est jamais en situation irrégulière et ne peut faire l’objet d’une mesure de reconduite. L’administration le fait quand même, pour ne pas séparer les familles, ce qui est un chouïa schizophrène tout de même puisque c’est elle qui prend la décision qui conduit initialement à séparer les familles.

On dit que le droit est compliqué ; le droit des étrangers en la matière est simple. L’ État est toujours libre de délivrer un carte de séjour à qui il veut sans avoir à s’en expliquer auprès de quiconque. La décision de délivrer un titre de séjour n’est jamais illégale, et on se demande d’ailleurs qui aurait qualité pour l’attaquer. La réciproque est aussi vraie : l’État est libre de refuser un titre de séjour à qui il veut, et use abondamment de ce droit depuis 25 ans. Mais ici il existe des exceptions, et dans certaines circonstances, l’État est obligé de délivrer un titre de séjour. Ces exceptions sont de plus en plus réduites, parce que… non, en fait, il n’y a pas de raison valable. Le prétexte le plus couramment invoqué est la lutte contre le chômage. 25 ans de durcissement continu de la réglementation des étrangers n’ont pas empêché le chômage d’atteindre des niveaux records, mais plus ça rate, plus à la longue ça a de chances de marcher, n’est-ce pas ?

Citons comme cas où l’État est dans l’obligation de régulariser : être parent d’un enfant français ; être le conjoint d’un Français (et là encore des obstacles ont été mis, car un Français qui épouse un étranger n’est plus un Français, c’est un suspect), l’étranger très gravement malade, l’étranger arrivé très jeune en France (la simple minorité ne suffit pas) ; et surtout la catégorie fourre-tout : si le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale tel que protégé par la Convention européenne des droits de l’homme, revoilà ma grande copine.

Cette catégorie de carte de plein droit est une fausse catégorie de carte de plein droit, car elle laisse une large marge d’appréciation à l’administration : y a-t-il ou non atteinte disproportionnée au droit à la vie de famille ? Mais c’est le seul moyen sur lequel on peut contester l’appréciation du préfet dans le cadre d’un recours (j’y reviens).

La préfecture du Doubs, département où réside la famille D…, est informée par la CNDA que la requête de Resat D… a été rejetée, et refuse le renouvellement du titre de séjour en tant que demandeur d’asile. Comme elle en a la faculté (ce n’est JAMAIS obligatoire mais en pratique quasi systématique), elle a assorti son refus de renouvellement du titre de séjour de Resat D… d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). C’est un ordre de quitter le territoire sous un délai d’un mois, qui, s’il n’est pas respecté, permet à l’administration de l’exécuter de force, au besoin en privant temporairement l’étranger de liberté (jusqu’à 45 jours). Il y a des cas où l’administration peut passer directement au stade de l’exécution forcée, notamment quand une précédente OQTF n’a pas été exécutée.

Quand le refus est assorti d’une OQTF, l’étranger peut, dans ce délai d’un mois, exercer un recours suspensif (ce qui n’est pas la règle en matière de recours administratif) et qui doit être jugé dans un délai de trois mois (ce qui n’est pas la règle en matière de recours administratif). Ce délai de 3 mois et la générosité des préfectures à délivrer des OQTF conduit à l’engorgement des tribunaux administratifs qui les examinent, et a pour résultat que d’autres contentieux pourtant très importants, comme l’urbanisme, les permis de construire, la fiscalité, la responsabilité de l’Etat ou la fonction publique mettent des années à être jugés. Question de priorité.

Si ce recours est rejeté, un appel peut être formé devant la cour administrative d’appel, mais ce recours est de droit commun : il n’est pas suspensif et met des mois et des mois à être jugé. Il n’empêche pas une reconduite à la frontière, même si en pratique, les préfets préfèrent attendre que les recours soient expirés. C’est le cas ici : Resat D… a exercé un recours contre l’OQTF, qui a été rejeté, a fait appel, qui a été rejeté lui aussi. Il est temps ici de s’attarder un peu sur le fonctionnement très particulier du contentieux administratif.

Le contentieux administratif, contentieux de contrastes et d’aventures.

On a beaucoup entendu dans l’affaire Leonarda qu’il fallait respecter les décisions de justice. Cet argument n’a aucun sens ici. Aucune décision de justice n’a ordonné l’expulsion (je devrais dire la reconduite à la frontière mais zut) de Leonarda, ni même de son père.

Tout acte de l’administration peut en principe être attaqué devant le tribunal administratif dans le cadre de ce qu’on appelle un recours en excès de pouvoir, qui vise à demander au juge d’annuler cet acte, et de tirer au besoin toutes les conséquences de cette annulation. Le tribunal est saisi par une requête, écrite et motivée, c’est à dire expliquant les griefs juridiques soulevés contre l’acte en question. Principe essentiel du contentieux administratif : le juge se contente de répondre aux arguments soulevés par le requérant. À de rares exceptions près, il ne peut pas soulever de lui-même un argument oublié par le requérant et qu’il trouverait pertinent. Si vous exercez un recours contre un acte administratif illégal, mais que vous ne soulevez pas le bon argument, votre recours sera rejeté. En outre, selon la nature des actes, le contrôle que peut exercer le juge est variable : plus l’administration est libre, plus le contrôle du juge se relâche. Et en matière de droit des étrangers, l’administration est totalement libre d’accepter ou de refuser. Le juge se contente de s’assurer que le préfet n’a pas commis ce qu’on appelle une erreur manifeste d’appréciation (c’est le terme juridique pour dire “epic fail”), mais en aucun cas il ne substitue son appréciation du dossier à celle du préfet. Ce qui explique un taux de rejet très élevé.

Dans cette affaire, c’est le préfet du Doubs qui a décidé de refuser un titre de séjour à Resat D… et lui seul. Le juge administratif a juste estimé que les arguments soulevés par Resat D… contre cette décision n’étaient pas fondés.

Voilà pourquoi il est inexact d’invoquer l’autorité de décisions de justice : c’est une décision administrative et rien d’autre, qui est aussi légale que l’aurait été la décision contraire, et rien n’empêchait à tout moment l’administration de changer d’avis et de délivrer un titre de séjour, sans même qu’elle ait à s’en expliquer.

Nous en étions là avec notre ami Resat : en 2011, le voilà débouté définitivement de l’asile, avec à la clé une OQTF soumise au juge administratif qui n’a pas estimé que les arguments soulevés contre cette décision administrative étaient pertinents. Plus rien ne se passera dans ce dossier à ce stade : la famille D… demeure en France malgré l’OQTF, les enfants en âge d’être scolarisés le sont.

C’est Resat D… lui même qui va briser ce statu quo en prenant l’initiative de demander la délivrance d’un titre de séjour “à titre exceptionnel et humanitaire”, en application de la circulaire Valls de novembre 2012.

Ah, les circulaires. Un mot là dessus.

Les circulaires, droit de contrastes et d’aventure.

Que les choses soient claires. Le droit a deux sources, et deux sources seulement : la loi, et le règlement, c’est à dire les décrets. La loi est votée par le Parlement (Sénat et Assemblée nationale) et le pouvoir réglementaire appartient au Premier ministre (art. 21 de la Constitution). Loi et décrets, c’est tout. La loi peut déléguer les détails pratiques au décret (ce sont les fameux décrets d’application, qui ne sont pas systématiques contrairement à une croyance répandue), et le décret peut à son tour déléguer les menus détails à des arrêtés ministériels, c’est à dire à un acte pris par un ministre agissant seul. Les circulaires ne sont PAS des sources du droit.

Prenons un exemple imaginaire : une loi est votée qui décide d’instaurer un permis de troller. Elle fixe les conditions pour en être titulaire (il faut passer un examen) et confie au décret le soin de fixer les modalités des épreuves. Un décret est pris qui décide de la nature des épreuves (une épreuve théorique de rhétorique spécieuse, une épreuve pratique sur 4chan) et confie aux préfets le soin de délivrer les permis, et renvoie à un arrêté ministériel du ministre de l’intérieur le soin de fixer le modèle du permis et le service qui a la charge de les fabriquer. Un arrêté est pris qui fixe la matrice du permis de troller et confie sa fabrication à l’Imprimerie nationale.

Une circulaire est une instruction générale donnée par un ministre à son administration. Elle explique le contenu de la loi et comment le ministre entend qu’elle soit appliquée. Bien sûr, c’est un document très intéressant à connaître pour les avocats, puisque c’est le point de vue officiel de l’administration, et s’agissant par exemple de la matière pénale, j’ai pu constater que pour les policiers, la circulaire est parole d’Évangile. Plus même que le code de procédure pénale, je ne vous parle même pas de la Convention européenne des droits de l’homme Il demeure que c’est le point de vue d’un ministre, rien de plus.

En droit des étrangers, la loi disant que l’État fait ce qu’il veut, les circulaires de ministre de l’intérieur ont une grande importance pratique. Elles sont appliquée docilement par les préfectures, ce qui aboutit à la situation suivante : en matière d’immigration, c’est le ministre de l’intérieur qui fait la loi. Situation confortable pour l’exécutif, qui n’a aucune raison de vouloir la changer, d’autant que toute loi sur l’immigration est un sujet sensible où il n’y a politiquement que des coups à prendre. Du coup, ce sont les étrangers qui en payent le prix, soumis à l’arbitraire de l’administration et qui peuvent voir leur situation bouleversée du jour au lendemain en cas d’alternance, sans aucune garantie, puisqu’une circulaire est une feuille de papier signée du ministre. Il n’est que de les lire pour constater d’ailleurs que le ministre se garde bien de dire “vous régulariserez tous les étrangers remplissant les conditions suivantes” mais utilise des périphrases comme “vous examinerez avec bienveillance”, “vous accorderez la plus haute importance à tel critère”. Notons d’ailleurs qu’une circulaire qui irait trop loin et poserait des règles non prévues par la loi serait annulée par le juge administratif, car empiétant sur le pouvoir réglementaire qui n’appartient qu’au Premier ministre.

Résultat : il est inutile de soulever devant le juge administratif le fait que la décision n’est pas conforme aux instructions données par voie de circulaire. Le juge ne contrôle que la conformité au droit (loi et règlement). C’est cet arbitraire qui met en rage les avocats en droit des étrangers, qui voudraient des critères légaux clairs qui permettent un vrai contrôle du juge. C’est ainsi et ainsi seulement qu’on assurera une vraie égalité de traitement. Car la protection que donne une circulaire est de l’épaisseur du papier sur lequel elle est imprimée. C’est un mode d’emploi, rien de plus. Quand on nous parle de “sanctuariser l’école” avec une circulaire, on l’entoure d’une barrière de papier. Seule la loi pourrait vraiment protéger l’école. Une circulaire en la matière tient de la promesse d’alcoolique : j’arrête, jusqu’à ce que je recommence.

Et la circulaire qui fait référence actuellement est la circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière (qui, si elle n’est pas à l’abri de toute critique, est sans doute la meilleure circulaire qu’on ait eu en la matière depuis 10 ans).

Revenons-en une fois de plus à notre ami Resat. Dans le cadre de cette circulaire, il va demander à bénéficier d’une régularisation à titre humanitaire et exceptionnelle (§2.1.4 de la circulaire). Cette demande a été rejetée le 19 juin 2013, refus assorti d’une OQTF. Ce refus est expliqué dans le rapport de l’IGA : si la situation de la famille (en France depuis 4 ans, enfants scolarisés et parlant français) entrait selon l’IGA dans le cadre des régularisations exceptionnelles, le préfet a estimé que le critère de la réelle volonté d’intégration à la société française faisait défaut pour des raisons qu’il détaille et qui ont été abondamment reprises, dressant du sieur Resat un portrait peu flatteur, au point qu’on oublie qu’il n’a jamais été condamné. Le 21 juin 2013, la demande de son épouse est aussi rejetée avec OQTF, sans que la mission de l’IGA n’explique pourquoi, puisque seul Resat était concerné par la mesure de reconduite forcée à l’origine de toute l’affaire.

Visiblement, aucun recours n’a été exercé contre cette OQTF (le rapport de l’IGA ne le mentionne pas) et une reconduite est envisagée par la préfecture du Doubs, qui prononce le 22 août 2013 l’assignation à résidence des deux intéressés, c’est-à-dire l’obligation pour eux de ne pas quitter leur domicile pour que la police puisse les trouver facilement le moment venu. Cette assignation à résidence a été renouvelée le 25 septembre pour 30 jours. Donc une procédure d’éloignement était en cours.

Tout va se précipiter le 26 août 2013 : Resat D… est contrôlé par la police aux frontières (PAF) à la gare de Mulhouse. Il n’a pas de papiers sur lui, mais donne son identité, et la PAF découvre qu’il a déjà fait l’objet d’une OQTF non appliquée en 2011, et qu’il fait l’objet d’une assignation à résidence dans le Doubs, or Mulhouse n’est pas dans le Doubs, c’est un fait. Le préfet du Haut-Rhin décide de prendre des mesures radicales pour pallier cette carence en géographie française et place Resat D… en centre de rétention jusqu’à ce qu’on puisse le reconduire de force à la frontière. Cette décision peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, qui doit statuer dans les 72 heures. Ce recours a été exercé et a été rejeté par le tribunal administratif de Strasbourg (rejet qui compte tenu de la situation de l’intéressé me semble conforme à la jurisprudence en la matière). Le placement de Resat D… en rétention a été prolongé par le juge des libertés et de la détention de Strasbourg, et après deux refus d’embarquer au motif qu’il ne veut pas abandonner sa famille, Resat D… finit par accepter d’embarquer le 8 octobre, sans doute parce qu’il aura reçu des assurances que sa famille le rejoindra.

Car du côté du Doubs, ça bouge. Les services préfectoraux ont été informés du départ prochain de Resat D… et organisent le départ de Mme D… en exécution de l’OQTF en cours.

Comme vous voyez, le sort des enfants n’a jamais été véritablement abordé si ce n’est accessoirement. Ils suivent le sort de leurs parents, un peu comme des bagages à main. Et l’administration va payer cher ici ce désintérêt en provoquant la crise médiatique que l’on sait.

Le départ de la famille est décidé pour le 9 octobre. La famille D… n’est pas informée de cette décision, pour éviter qu’elle ne disparaisse et que des soutiens tentent d’y faire obstacle. La police et la gendarmerie (puisque la résidence de la famille se trouve en zone gendarmerie) débarquent à 6h30. Manque de bol, Leonarda n’est pas là. Voilà le grain de sable qui va tout gripper. Le rapport de l’IGA raconte les détail sur comment Leonarda est retrouvée (elle est avec sa classe et participe à une sortie scolaire), comment la police contacte les enseignants accompagnant, ordonnent que le bus s’arrête sur le parking d’un collège situé sur le chemin, où Leonarda est conduite pour attendre la police à l’abri des regards de ses petits camarades. Tout se passe sans heurt, mais l’enseignante qui a dû faire cela est bouleversée et on la comprend. On n’entre pas à l’éducation nationale pour remettre en catimini une de ses élèves à la police pour ne jamais la revoir, alors même qu’elle n’a rien fait de mal et que personne ne le prétend. C’est violent, plus que vous ne pouvez l’imaginer, et l’administration l’a bien compris qui s’efforce de faire ça en catimini.

La famille D… embarque pour le Kosovo, probablement via l’Albanie, et pour le préfet du Doubs, tout est bien qui finit bien, il peut faire une croix sur la page des statistiques de reconduite à la frontière. Sauf que… vous connaissez la suite.

Resat va révéler à la presse qui suit l’affaire du point de vue d’une de ses filles (et d’elle seulement) qu’il a menti sur le fait que sa famille a quitté le Kosovo récemment. Ses enfants seraient en fait nés en Italie sauf le dernier né en France, où ils ont vécu jusqu’à venir en France en 2009. Leonarda et ses frères et sœurs n’ont jamais mis les pieds au Kosovo et ne parlent pas un mot d’albanais ou de serbe.

La question s’est posée de leur éventuelle nationalité italienne. De ce que je sais du droit italien, non, ils ne le sont pas. Pas plus que le droit français, le droit italien ne reconnait le droit du sol pur. Depuis l’importante réforme de 2009, l’Italie a adopté un droit du sol plus résidence, c’est à dire qu’un enfant né en Italie de parents étrangers devient italien à sa majorité s’il y a vécu sans discontinuer, ce qui n’est pas le cas des enfants D… dont aucun n’est majeur. Cette nationalité italienne aurait sauvé la famille D… puisqu’elle aurait donné aux parents le droit de demeurer dans l’Union auprès de leurs enfants, sur le territoire italien, mais avec liberté de circulation.

Une conclusion riche en contrastes et en aventure

La conclusion du rapport de l’IGA est que la loi a parfaitement été respectée, et c’est une antienne qui a été souvent reprise. Et je reconnais volontiers que rien de ce que j’ai pu lire sur cette affaire ne m’a laissé penser qu’une illégalité avait été commise. Mais, car il y a un mais, on l’a vu, la loi dit que l’administration peut faire largement ce qu’elle veut, hormis quelques cas restreints. Dans ces conditions, c’est plutôt difficile de violer la loi. En outre, le rapport omet de se poser une question, qui ne figurait certes pas dans la lettre de mission : toute la procédure de reconduite s’est fondée sur les déclarations de Resat D… : il dit qu’il est kosovar ainsi que sa famille, renvoyons-le au Kosovo. Sauf que la procédure de reconduite résulte d’une décision de refus de séjour qui repose entre autres sur les mensonges de Resat D… Personne ne s’est dit que les seules déclarations de l’intéressé étaient une base un peu légère pour décider d’envoyer sans vérifications 8 personnes dont 6 mineures dans le coin le plus paumé de l’Europe (mais qui a la vertu; étant dépourvu de tout état civil, d’accepter toute personne qu’on lui envoie en disant qu’il est kosovar) ?

En ce qui concerne Leonarda, il est faux de dire que la loi a été respectée puisque son sort n’a jamais été examiné dans cette affaire. Elle est une victime collatérale de l’expulsion de son père, mais n’était pas en situation irrégulière en France et n’a violé aucune loi.

De même qu’il est incorrect d’invoquer l’autorité des décisions de justice, aucun juge n’ayant décidé ni du refus de séjour ni de la procédure de reconduite, ni de ses modalités. Tout ce qu’a dit la justice est que Resat D… n’a pas démontré l’illégalité de ces décisions. Ni plus ni moins. Et l’administration était libre de prendre, en toute légalité, la décision d’accorder une autorisation de séjour à la famille D… C’est un choix de l’État, pris par son représentant, le préfet : qu’il l’assume.

Un mot sur l’affaire elle-même, sur le phénomène médiatique qu’elle est devenue. La question des enfants scolarisés doit être prise à bras-le-corps et tranchée courageusement. Soit on ne veut plus les expulser, et je n’aurais rien contre, et dans ce cas il faut fixer les conditions de régularisation de leur famille. Soit on ne le veut pas et on assume les interpellations devant les caméras. Le faire honteusement, en catimini, en serrant les fesses pour que ça ne se sache pas est le signe d’une mauvaise solution. Car des Leonarda, il y en a des centaines.

L’exécutif a été ridicule dans cette affaire et je ne vois pas comment il aurait pu plus mal la gérer. Mais ce qui me choque le plus est de voir une jeune fille de 15 ans livrée en pâture médiatique, sans la moindre protection car sa famille n’a aucune expérience en la matière et ne réalise pas ce qui se passe. Ce que j’ai vu ces derniers jours est monstrueux, il n’y a pas d’autre mot : demander à une jeune fille de 15 ans de réagir en direct et à chaud, dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, à une proposition aberrante formulée par le président de la République en personne, qui interpelle une mineure pour lui faire une proposition alors que la loi française dit que seuls ses parents peuvent faire un tel choix, faire de ses moindres mots dits sous le coup de l’énervement une déclaration officielle, lui jeter à la figure un sondage disant que deux tiers des Français (soit 40 millions de personnes) ne veulent pas de son retour (en oubliant de dire que 99,8% des Français ne connaissaient rien à ce dossier ni au droit applicable), est-ce donc cela que nous sommes devenus ? Avons-nous perdu toute décence pour faire ainsi de la maltraitance sur mineur en direct ?

Ah, un dernier mot, ou plutôt un dernier chiffre. Le coût moyen d’une reconduite la frontière a été estimé en 2008, par un rapport de sénateur UMP Pierre Bernard-Reymond, à 20 970 euros par personne. Cette affaire a mobilisé, lisez le rapport de l’IGA, tout un aréopage d’agents publics, de policiers et de gendarmes, et a dû coûter aux finances publiques plusieurs dizaines de milliers euros (je dirais au moins 50 000 euros). Le budget annuel consacré aux reconduites à la frontière est sensiblement identique à celui de l’aide juridictionnelle : un peu plus de 400 millions d’euros.

Détruire la vie de jeunes filles est un luxe qu’on ne peut plus se permettre.

jeudi 5 septembre 2013

Annonce de rentrée

C’est la rentrée (scoop) et sur ce blog aussi.

Des changements sont à prévoir, car le Journal d’un avocat va fêter ses dix ans et un ménage s’impose.

Tout d’abord, je vais relancer le chantier de la rénovation visuelle de ce blog. La déco actuelle date de 2007, une époque où Apple ne fabriquait pas de téléphones et Facebook était réservé aux étudiants, pour notre plus grand bonheur.

Sur le fonctionnement de ce blog, je n’ai clairement plus le temps de lire et surveiller les commentaires. Je peux participer aux débats au début, mais j’ai des obligations professionnelles et personnelles, et quand enfin de journée, 100 commentaires m’attendent, le découragement me prend.

Je n’ai pas pour autant envie de les fermer : ce blog reste un espace de discussion, et les échanges demeurent d’un bon niveau, même si ça dérape sur certains billets. Ils resteront donc non modérés, hormis par quelques mots clés qui déclenchent un ping, et qui n’apparaitront qu’une fois validé, si j’ai le temps. Évitez donc les gros mots et les points Godwin, la plupart des mots clés qui y sont liés entraineront une mise en quarantaine.

Je pense en revanche réduire le laps de temps avant fermeture automatique. Un billet vieillit, et les discussions pourrissent, et se finissent en dialogue entre deux ou trois têtes de mule qui répètent sans cesse la même chose mais veulent avoir le dernier mot. Actuellement, ce délai est de 30 jours. Je pense le réduire à 7 jours, ce qui en contrepartie devrait me permettre de participer jusqu’au bout aux échanges. Qu’en pensez-vous ?

N’accumulons pas les bonnes résolutions de rentrée comme on fait avec celles du nouvel-an, et tenons-nous en là. Si vous avez des suggestions, je suis toute ouïe. Et sinon, comme ça fait longtemps que je n’ai pas cassé les pieds à mes nouveaux amis anti mariage pour tous, je vous prépare rapidement un billet pour démonter la gentille manip des Veilleurs. La loi Taubira sera évidemment un des grands sujets des prochains mois, même si l’ambition qui l’animait au départ semble avoir fondu comme neige au soleil.

Brace yourselves, troll is coming.

vendredi 13 août 2010

Møde d'emploå

Comme chez Ikea, certains billets ont besoin d’un mode d’emploi, ou du moins d’explications détaillées.

Je vais donc revenir sur mon précédent billet, qui est un peu plus profond que les quelques lecteurs trop empressés de crier au point Godwin ont bien voulu le comprendre.

Tout d’abord, point de point Godwin ici.

Le point Godwin est une mauvaise traduction de la loi de Godwin (Godwin’s Law), qui est un axiome sarcastique émis en 1989 par mon confrère Mike Godwin, avocat américain aujourd’hui directeur juridique de la Fondation Wikimedia, et ainsi traduit en Français :

Plus une discussion en ligne dure, plus la probabilité d’une comparaison impliquant les Nazis ou Hitler approche 1.

Rappelons qu’en probabilités mathématique, une probabilité P s’exprime sous forme d’un numéro compris entre 0 (événement impossible) et 1 (événement certain). Une chance sur 2 est une probabilité de 0,5. Multipliez ce chiffre par cent et vous obtiendrez son expression en pourcentage.

Cet axiome mathématique de fantaisie (et pourtant scientifiquement exact) moque le travers des discussions en forum ou sur les blogs où à la longue, les esprits s’échauffent (c’est le moment où il n’y a plus que 2 ou 3 personnes qui s’engueulent) et où l’un d’entre eux, excédé, finira par assimiler ses contradicteurs à des nazis. C’est le signe qu’il est temps de fermer le fil de discussion, ou plus exactement qu’il aurait dû être fermé il y a longtemps.

Sur ce blog, les commentaires de ce type sont détectés par un logiciel perfectionné codé en HTML 7.0, un langage qui n’existe pas encore, pour vous dire s’il est moderne, sur une machine Enigma bien sûr, et se manifeste par l’apparition de ce signal discret. Godwin.png

Ce moment de l’irruption du IIIe Reich est appelé en français le point Godwin, et s’applique aussi à l’invocation de Vichy et du Maréchal Pétain, particularisme local oblige.

Pour que le point Godwin soit pertinent, il faut donc deux conditions cumulatives : une discussion n’ayant AUCUN rapport avec la période de la seconde guerre mondiale ET une discussion qui dure trop longtemps avec des esprits qui s’échauffent.

Mon billet citant un extrait du JO de 1940, rappelant l’usage que le régime de Vichy avait fait de la déchéance de la nationalité, le point Godwin était inapplicable faute de hors-sujet. De même, quand vous verrez la liste de Schindler, inutile de crier au Point Godwin.

Le point Godwin est en soi une invention très drôle. D’autres points ont été créés pour sanctionner le même phénomène, le point Sarko qui sanctionne l’invocation du président de la République dans des sujets n’ayant rien à voir avec lui, ou le point Lefebvre, du nom du truculent porte-parole adjoint de l’UMP, qui consiste à blâmer “internet” en général pour les actions commises par une personne.

Mais son invocation systématique et dirais-je pavlovienne est nocive. Elle se substitue à la réflexion et à l’analyse. J’aime m’adresser à l’intelligence de mes lecteurs, pas à leurs réflexes. Or pour certains commentaires, l’apport à la discussion se résumait à l’invocation du fameux point, accompagné du rappel que le régime actuel n’est pas le régime de Vichy. Merci du scoop, j’étais pas à jour.

Maintenant, revenons à ce billet.

Comme cela n’aura pas échappé à ceux qui l’ont lu l’esprit calme, je n’y dis pas un mot. Il est composé uniquement de quatre citations, divisées en deux groupes. D’une part, trois citations récentes de MM. Estrosi (qui a donné son titre au billet), Mariani et Hortefeux, visant à justifier par des faux arguments la proposition d’étendre la déchéance de la nationalité française à certains délinquants ayant commis certains crimes. J’entends par faux argument des arguments qui n’en sont pas puisque reposant non sur la Raison mais sur le “Bon sens” qui en est la négation. D’autre part, un décret de décembre 1940 portant déchéance de la nationalité.

Il y avait donc un point commun assez évident, c’était le thème de la déchéance de la nationalité. À tel point que j’ai pu faire le choix du “sans commentaire”, laissant à l’intelligence de mes lecteurs le soin de comprendre le rapport.

Car ce qui était important dans ce décret n’était pas le nom du signataire du décret (qui après tout a signé tous les décrets pris entre juillet 1940 et août 1944), mais le nom figurant dans le dispositif du décret : celui de Charles de Gaulle. Car il s’agit ni plus ni moins de l’homme politique dont se réclament (à tort ou à raison, avec sincérité ou non, c’est un autre débat) des trois hommes politiques. Or il a lui même été victime de cette mesure qui selon nos cerbères du bleu-blanc-rouge ne pose aucun problème parce qu’ils n’en voient pas, et qui serait même désirée par cette mystérieuse France invisible et silencieuse que M. Mariani, de manière encore plus mystérieuse, voit et entend. Cela devrait suffire à mon sens à faire comprendre ceux qui décidément ne voient aucun problème à cette mesure qu’après tout, elle pourrait bien en poser. On pourrait ajouter que confronté à une guerre civile, il n’a jamais eu recours à une telle mesure, même en présence de Français jugés pour trahison, les “porteurs de valise” du réseau Jeanson.

L’Histoire ne sert à rien si on n’en tire par quelques leçons.

Et puisque je vous tiens, la déchéance, parlons-en. Enfin, reparlons-en, j’avais déjà abordé le sujet dans ce billet.

La déchéance de la nationalité existe déjà dans notre droit, à l’article 25 du Code civil.

Elle ne vise que les Français par acquisition, c’est-à-dire nés étrangers et étant devenus Français par quatre année de mariage avec un Français ou qui sont nés et ont résidé en France pendant 5 ans au-delà de ses 8 ans et n’ont pas renoncé à cette acquisition (art.21-7 du Code civil), ainsi que les Français par déclaration et par naturalisation, mais en aucun cas les Français d’origine (pour en savoir plus, lisez ce billet). Ainsi, le président Sarkozy étant Français d’origine par la nationalité française de sa mère, et ne pouvant en outre prétendre à aucune autre nationalité, il ne peut en aucun cas être concerné par la déchéance de nationalité.

La déchéance peut être prononcée par décret dans quatre cas : 1° si l’intéressé est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ; 2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal (ce qui suppose qu’il soit fonctionnaire ou élu, et inclut la concussion, la corruption, et le trafic d’influence, je ne suis pas sûr que tous les élus UMP soient au courant) ; 3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national (ce qui se résume actuellement à l’obligation de recensement et de participer à la journée de préparation à la défense ; l’hypothèse d’une déchéance pour ce motif est peu probable, aucun juge administratif ne laisserait passer pour cause d’atteinte disproportionnée à la vie privée, art. 8 de la CEDH), et 4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de français et préjudiciables aux intérêts de la France, c’est à dire essentiellement à de l’espionnage.

Encore faut-il que cette déchéance ait pour effet de ne pas rendre l’ex-Français apatride, à cause d’engagements internationaux de la France (ce point n’est donc pas modifiable par le parlement) ; il faut donc que l’Etat s’assure au préalable qu’il y ait une nationalité de rechange, premier problème, ce qui, deuxième problème, dépend uniquement de la loi étrangère. Certains pays prévoient en effet que prendre la nationalité d’un autre pays fait automatiquement perdre la nationalité d’origine, et même si généralement, une procédure de réintégration simplifiée et rapide existe, seul l’intéressé peut le demander ; et s’il ne le fait pas, pas de réintégration. Et si pas de réintégration, pas de déchéance possible. Et leurs avocats le savent.

En outre, il faut que cette déchéance intervienne dans les dix ans suivant cette acquisition, et que les faits à l’origine de la déchéance aient été commis avant l’acquisition de la nationalité ou dans les dix ans l’ayant suivi (15 ans pour l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation).

Voilà pour l’Etat du droit actuel (il existe d’autres hypothèses de perte de la nationalité, mais il ne s’agit pas à proprement parler de sanctions, je les laisse de côté).

La proposition de l’UMP consisterait (elle n’a pas encore été formulée avec précision) à étendre la possibilité de déchéance aux auteurs d’assassinat ou de tentative d’assassinat sur des forces de l’ordre. Avec cet argumentaire pointu : “Et pourquoi pas ?”, soutenu par un deuxième argument métaphysique : “Si vous n’êtes pas d’accord, vous êtes complices des tueurs de flic”. Un certain parallèle peut être fait avec le Point Godwin, puisqu’il s’agit d’un faux argument qui vise à étouffer le débat plutôt qu’à le nourrir.

Or la seule question à mon sens qui vaille la peine d’être posée est : la population des Français par acquisition est-elle plus particulièrement susceptible de porter atteinte à la vie des forces de l’ordre (il serait intéressant de demander quelles sont les études qui confirment cet état de fait) et le fait de les menacer de cette déchéance est-elle de nature à les dissuader de passer à l’acte ou de recommencer ? Si la réponse à une de ces questions est “non”, nous sommes en présence d’une mesure inutile, c’est à dire d’une perte de temps du Parlement qui pourrait utilement l’employer à, par exemple et au hasard, à rendre notre procédure pénale compatible avec la Constitution et les droits de l’homme, et pernicieuse car elle tend à stigmatiser certains de nos concitoyens comme étant plus enclins au crime que les autres.

Or rien ne me permet de soupçonner, comme semblent le faire MM. Hortefeux et consorts, que Mme Bruni Tedeschi épouse Sarkozy, française par acquisition, nourrisse des pulsions meurtrières à l’égard des Gardes Républicains. Plus sérieusement, aucune étude n’a établi de lien entre le crime, quel qu’il soit d’ailleurs, et le mode d’acquisition de la nationalité.

Le Canard Enchaîné de cette semaine confirme d’ailleurs que l’exécutif le sait parfaitement et que ce débat ne vise qu’à enferrer l’opposition dans le piège du débat sur l’insécurité, terrain où elle est toujours mal à l’aise.

Le fait que cette politique associant une fois de plus les étrangers et la délinquance soit de fait xénophobe, et par ricochet favorise la xénophobie au sein de la population a de quoi légitimement alarmer les républicains, ce qui inclut des gens de droite, cela va sans dire mais encore mieux en le disant. Et mériterait un peu plus de réflexion critique que des glapissements de ” Points Godwin !”.

mardi 2 décembre 2008

Je disconviens respectueusement

Notre Bâtonnier bien-aimé s'est fendu aujourd'hui d'un communiqué qui, chose rare, me laisse sans voix, ce qui ne m'empêche pas, je ne suis jamais à une prouesse près, de prendre la parole pour disconvenir respectueusement.

Le bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris a estimé mardi que la juge d'instruction, qui a délivré le mandat d'amener à l'encontre de l'ancien directeur de publication de Libération, Vittorio de Filippis, "aurait dû être suspendue". Cette magistrate du tribunal de grande instance de Paris "aurait dû être suspendue par le ministre de la Justice, à l'initiative du Conseil supérieur de la magistrature, en raison de la violence qu'elle s'est autorisée à l'égard d'un journaliste", écrit Christian Charrière-Bournazel dans un communiqué.

Tout d'abord, s'agissant d'un juge d'instruction, magistrat du siège, c'est le Conseil Supérieur de la Magistrature qui prend la décision de suspension, à l'initiative du ministre de la justice (art. 50 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature). Know thy enemy.

Ensuite, cette décision suppose l'urgence. Monsieur de Filippis et son désormais célèbre slip ayant tous deux retrouvé la liberté quelques heures après cette interpellation qui, quoi qu'on en pense sur l'opportunité, était légale, il me paraît difficile d'invoquer une quelconque urgence, l'existence même d'une faute paraissant douteuse.

Qu'il me soit donc permis d'émettre une opinion dissidente et de me désolidariser expressément avec ce communiqué, que je trouve infondé, inopportun, et mâtiné d'un rien d'opportunisme, ce qui me déplaît attendu qu'il est un peu pris en mon nom. Au moins, on aura échappé au point Godwin.

Il regrette qu'"aucune haute autorité de la magistrature ni du Parlement ne (se soit) élevée pour condamner cette méthode digne de la Grèce des colonels ou de l'Espagne du franquisme".

Mais de justesse.

samedi 18 août 2007

L'affaire de la "consonnance israélite" du nom de famille

- Le bonjour cher maître...

- Ma lectrice ! Quelle joie m'étreint de vous voir. Une crainte me poignait sans cesse que vous ne trouvassiez point ma nouvelle demeure. Fi de ces vilaines Chimères : ce blogue est désormais illuminé par votre présence.

- Si votre adresse a changé, vous êtes assurément le même : à peine arrivè-je que vous me cueillez au coeur d'un compliment et à la tête d'un imparfait du subjonctif. Si je n'étais pas toute tourneboulée, je me serais sans doute pâmée.

- Vous savez que je ne saurais souffrir tout trouble qui dérange un si doux visage. Désignez moi le vilain, que je le chasse céans.

- Ha, voilà qu'à présent je redoute d'abuser de votre bonté d'âme...

- Impossible. J'ai vendu la mienne au moment de prêter serment. Parlez, parlez, de grâce...

- hé bien soit. Figurez vous que je ne puis me remettre d'une terrible mésaventure survenue à une de mes concitoyennes.

- Qu'a-t-elle fait ?

- Rien : ou plutôt si : elle est née.

- Cela arrive à des gens très bien.

- Mais elle est née juive en Algérie.

- Si le monde n'était pas si déréglé, le premier devrait être indifférent et le second un bonheur.

- Elle vit en France depuis fort longtemps, probablement, si vous m'en croyez, depuis le début des années 60...

- 1962, pour être précis.

- Aujourd'hui, elle a voulu faire renouveler sa carte nationale d'identité... Et voilà qu'à la mairie, on lui demande la preuve qu'elle est française.

- Preuve qui ne peut être faite que d'une façon : par un certificat de nationalité française délivré par le greffier en chef du tribunal d'instance.

- Ha ! Voilà donc pourquoi elle dirige ses pas vers le tribunal d'instance de son domicile. Et là, on lui demande de produire une liste de pièces pour prouver cette nationalité, et parmi celles-ci, un acte établissant sa religion. Surprise par cette exigence, elle en demande la cause. Et savez-vous ce qu'on lui répondit ?

- Las ! je ne le devine que trop...

- Parce que son nom aurait une « consonance israélite » ! En France, en 2007 ? 102 ans après la séparation de l'Eglise et de l'Etat, 66 ans après les lois antisémites de Vichy ! Je suis outrée ! Que dis-je, hors de moi !

- Ces élans de générosité bouillonnante ne vous rendent que plus attachante à mes yeux. Mais je vais néanmoins prendre le risque de ramener un peu de calme dans ce tumulte pour vous expliquer les causes de cette demande, et vous rassurer quelque peu en vous expliquant que cette demande n'a rien à voir avec les deux événements que vous citiez à l'instant. mais n'est que l'héritage d'un pompeux brouillon qui n'a de cesse aujourd'hui que de saccager demain, croyant bien faire pourtant.

- De qui parlez vous ?

- Mais de ma Nemesis : du législateur.

- Ha ça mais... Vous avez converti mon ire en curiosité, vous êtes un thaumaturge ! Je suis toute ouïe.

- Fort bien. Quelques prolégomènes toutefois. Le droit de la nationalité est un droit qui a ses spécificités. La nationalité est un phénomène instantané aux effets perpétuels. Du jour où vous êtes français, vous ne cessez jamais de l'être.

- Jamais ?

- Le droit est la science des exceptions. Il en est trois, mais tellement rares surtout pour les deux premières que vous souffrirez que je les traite par une simple note de bas de page[1]. Mais le principe demeure : français un jour, français toujours. Ce qui peut aussi se lire : français toujours, à condition d'avoir été français un jour.

- Je vous suis.

- Depuis 1994, en application des lois Pasqua, la carte nationale d'identité est devenue sécurisée. A cette occasion, la loi a décidé d'en profiter pour vérifier que celui qui la réclame est bien français. En effet, beaucoup d'anciens habitants des colonies avaient obtenu des titres d'identité qui étaient renouvelés sur simple présentation du précédent sans autre vérification, et leurs enfants étaient eux même considérés comme français, et se considéraient français. Cette situation, pour des raisons qui m'échappent, a paru brutalement insupportable au législateur qui a décidé qu'on vérifierait à cette occasion la nationalité de tous ses citoyens ; car rien ne révèle plus une démocratie saine que la méfiance des élus envers son peuple. Et si le prix à payer était que des personnes, se croyant sincèrement français et en exerçant tous les attributs depuis leur enfance, se voient brutalement déchus de leur citoyenneté, hé bien, on ne fait d'omelette sans casser les oeufs. Après tout, à l'époque, le nettoyage ethnique était à la mode dans d'autres pays d'Europe.

-Vous me faites frémir. Mais comment prouve-t-on que l'on est français ?

- Pour prouver que l'on est Français, il faut donc remonter dans la ligne de ses ancêtres jusqu'à établir le fait qui attribue la nationalité française. Le plus simple est la naissance en France d'un parent né en France, qui s'établit par la production des actes d'état civil.

- Jusque là, c'est simple.

- Or ici se pose le problème des populations vivant en Algérie sous domination française. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, tout ce qui vivait en Algérie n'était pas français. C'est là le propre d'une situation coloniale. Le fait de naître dans l'Algérie française de parents nés en Algérie française ne faisait pas de vous un français. Comme quoi, l'Algérie française était algérienne avant d'être française... On peut distinguer trois populations, pour simplifier. D'une première part, les européens venus s'installer en Algérie, les colons proprement dits, pudiquement désignés comme "population relevant du droit commun". Ceux là étaient français en arrivant, le sont restés et l'étaient donc encore en revenant.

- Pas de difficulté donc.

- Aucune, pas plus que pour la deuxième population : les "d'origine musulmane". Ceux là étaient soumis à un statut dit "de droit local", par opposition au "droit commun" des européens. Le "droit local" était appelé l'indigénat avant le 1er juin 1946.

- C'est à dire ?

- Je ne dirais même pas citoyen de seconde zone, car ils n'avaient pas les droits civiques et politiques, et n'étaient donc pas citoyens. De fait, ils n'étaient pas français, quoique fort bienvenus à prendre les armes sous le drapeau et à offrir leur poitrines aux balles allemandes qui n'ont jamais pris la peine de tenir compte des différents statuts.

- Y avait-il une autre catégorie ?

- Oui, celui des juifs d'Algérie, environs 37.000 personnes en 1960. Ceux-ci, étant sur place lors de l'arrivée des Français puisque venus d'Espagne (d'où leur nom de Sépharades, "Espagnols" en hébreu) au 15e siècle. Au début, ils furent soumis au "droit local". Mais en 1870, Adolphe Crémieux, ministre de la justice, et grand protecteur des juifs, l'étant lui-même, promulgua un décret donnant la nationalité française aux juifs d'Algérie et les soumettant au droit commun, sauf à ce qu'ils y renoncent. Première funeste intervention du législateur : cette discrimination a jeté les graines de la discorde entre ces deux populations, qui se muera en haine le moment venu. Ce décret fut rétroactivement abrogé par le régime de Vichy, avant que De Gaulle ne rendît aux juifs d'Algérie leur nationalité en 1945. Nouvelle intervention brouillonne, mais celle-ci s'explique par les circonstances historiques. Sauf que la ségrégation antérieure est rétablie comme si de rien n'était. Puis vint l'indépendance.

- Que se passa-t-il à ce moment ?

- Les "droits locaux", c'est à dire les arabes et kabyles devinrent algérien, sauf ceux qui firent une reconnaissance de nationalité française. Cela recouvre surtout les Harkis. Les algériens pouvaient donc devenir français par simple déclaration jusqu'au 21 mars 1967, où ce dispositif a été abrogé. Les "droits communs" restèrent français.

- Et les juifs ?

- Le décret Crémieux en avait fait des "droits communs", sauf ceux ayant renoncé à ce statut (qui n'avait pas que des avantages) et les juifs du M'Zab, qui en étaient exclus.

- Pourquoi ?

- Problème de rédaction. Un pompeux brouillon, vous dis-je. Ainsi, un juif d'Algérie a toutes les chances d'être français. L'administration, qui n'est pas si sourcilleuse, présume qu'un juif d'Algérie est Français puisque c'est le principe. A condition... d'être juif, puisque c'était la condition pour bénéficier du décret Crémieux.

- D'où cette étrange demande ?

-Absolument. Par cette demande, le greffier souhaitait avoir la preuve que la requérante, née en Algérie de parents nés en Algérie, était bien juive, ce qui implique que ses parents l'étaient eux-même, ou au moins l'un d'entre eux, et étaient donc français par application du décret Crémieux.

- Et si elle ne le peut ou ne le veut ? Deviendra-t-elle apatride ?

- Nenni, c'est impossible. En France, nul ne naît ni ne devient apatride. Elle serait présumée issue de parents "de droit local", donc algérienne, sauf à ce qu'elle puisse prouver que ses parents ont souscrit à une déclaration de reconnaissance de nationalité, mais l'hypothèse est absurde car selon toute vraisemblance, ses parents étaient bien de droit commun donc n'avaient aucune raison de souscrire une telle reconnaissance ; soit d'établir qu'ils ne se sont pas vus reconnaître cette nationalité ni aucune autre postérieurement au 3 juillet 1962, auquel cas ils seraient devenus français par application de l'article 1er de la loi 66-945 du 20 décembre 1966, nationalité dont elle aurait hérité. Vous voyez bien qu'établir sa judaïté était la solution la plus simple pour elle comme pour le greffier.

- La plus simple, sans doute, mais pas la moins traumatisante !

- Assurément. Le droit se veut une science détachée de la morale et des considérations sentimentales qui vicient le raisonnement ; il demeure qu'un peu de diplomatie et de pédagogie sont souvent bienvenus. L'incident qui a suivi est assurément regrettable, et à mettre sur le compte de l'agacement de l'agent qui voit jaillir un Point Godwin alors qu'il ne fait que se conformer à des directives sur lesquelles il n'a aucune prise, et qu'il serait probablement bien incapable d'expliquer. Las, quand des esprits brillants, à même de comprendre et d'expliquer, préfèrent adopter la position de la dénonciation vertueuse, on comprend que la raison a défailli depuis longtemps.

- Une dernière question si vous le permettez...

- Madame, je suis votre plus dévoué serviteur.

- Et si en fait cette dame était descendante de Français, juifs ou non, venus s'installer en Algérie après sa conquête par la France ?

- Il eût suffi qu'elle remontât à son premier ancêtre né en France de parent né en France, l'état civil lui aurait permis de le retrouver aisément et sa religion n'eut pas été en cause.

- Mais il n'empêche... Alors que la Constitution interdit de distinguer selon la race ou la religion, alors que les discriminations sont prohibées, est-il acceptable que l'on somme quelqu'un de prouver sa religion sous peine d'être déchue de sa nationalité ?

- Je vois que votre derrière question n'était que rhétorique. Mon bon voisin Jules, baron de Diner's Room répond à votre question par la négative ; et il demeure que ces textes, qui seraient sans nul doute anticonstitutionnels aujourd'hui, ont été en vigueur et ont produit des effets de droit qui se perpétuent jusqu'à aujourd'hui, quand bien même ces textes seraient désormais abrogés. Cet effet de droit est dans notre cas l'acquisition de la nationalité, qui se transmet aux enfants. La nécessité de remonter à l'ancêtre français impose de ressusciter des textes peu glorieux.

- Nulle résurgence de l'antisémitisme ou de la xénophobie ici ?

- Non. Simplement, mais ce n'est guère plus glorieux, l'impossibilité de tourner enfin la page de la décolonisation. Au lendemain de celle ci, la France faisait tout pour que les anciens habitants des pays coloniaux restent français (c'est la possibilité de souscrire une reconnaissance de nationalité) ; puis quand cette option est devenue séduisante lorsque ces pays sont devenus des pays de satrapes corrompus, les lois permettant ce retour ont été abrogées, sans doute avec un esprit revanchard : "Ha vous avez voulu être indépendant, hé bien, dansez maintenant". Attendez trente ans, exigez que tout le monde justifie de sa nationalité et vous avez ce triste résultat. Nous cueillons aujourd'hui les semis empoisonnés du législateur d'hier.

Notes

[1] Il s'agit des hypothèses prévues aux articles 23-7, 23-8 et 25 du code civil : le français qui se comporte comme le national d'un pays étranger, le français qui continue d'occuper un emploi dans un service public étranger ou une organisation nationale où la France n'est ni partie ni représentée ce malgré l'injonction que lui aura fait le gouvernement de quitter cet emploi, et le français qui a acquis cette nationalité (par déclaration ou naturalisation) qui commet un crime contre l'Etat ou se livre à du terrorisme dans les dix années qui suivent.

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