Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 23 août 2010

lundi 23 août 2010

Mise à jour sur l'affaire Bettencourt

— Bonjour, Raymond.

— Hi ! C’est vous, Maître ? Quelle peur vous m’avez faite ! Je croyais que vous étiez en vacances.

— En vérité, je le suis, mon petit Raymond. Mais avec un jet privé, on peut toujours faire un saut au bureau en rentrant de la plage.

— Et que me vaut l’honneur de votre visite ?

— D’abord, m’assurer que tu ne passes pas tes journées au cabinet à regarder en boucle Les Yeux Dans Les Bleus.

— C’est que vous connaissez mon goût pour la Science-fiction…

— Et ensuite, pour faire un point sur l’affaire Bettencourt, qui fut l’objet de notre première discussion. Billet dont la relecture est ici recommandée.

— Je m’en souviens. Mais pourquoi revenir au cabinet toutes affaire cessantes, et si je puis me permettre de rajouter en maillot de bain et tongs, en plein mois d’août, alors que vous n’attendiez rien de nouveau avant plusieurs mois ?

— C’est qu’il sera dit que rien ne sera normal dans cette affaire. Alors que j’ai pour ma part des appels qui languissent devant la Cour de la rue Carnot depuis bientôt un an, celle-ci a été audiencée le 17 août dernier. Si tu veux mon avis, Raymond, il n’y a pas que mon jet privé qui a été sollicitée de retour de la plage, puisque la Dream Team était au complet.

— À savoir ?

— Olivier Metzner pour la partie civile n°1, Françoise Bettencourt-Meyers, qui est à l’origine du procès. Georges Kiejman pour la partie civile n°2, Liliane Bettencourt, qui ne veut pas du procès. Et Hervé Témime pour le prévenu, François-Marie Banier, qui attend que les parties civiles n°1 et 2 aient réglé leur différend pour savoir ce qu’il advient de lui.

— C’est méritoire de leur part, même si je crois savoir qu’aucune des parties ne bénéficie de l’aide juridictionnelle.

— C’est certain. Cette audience a une vertu, c’est qu’elle m’a permis de faire le point sur l’état procédural du dossier, qui soulevait beaucoup d’interrogations, si tu t’en souviens.

— Dans le doute, rafraichissez-moi donc la mémoire.

— Louable prudence. Tu te souviens qu’à l’approche de l’audience devant le tribunal, prévue le 1er juillet, des enregistrements de conversations surprises entre la principale intéressée, Liliane Bettencourt, et diverses personnes, ont été rendues publiques par la presse.

— Certes.

— Devant cet élément nouveau, dont l’origine illicite était indifférente à leur recevabilité comme preuve, la présidente du tribunal a décidé d’un supplément d’information qu’elle s’est confiée à elle-même, ce qui est tout à fait légal, malgré l’opposition du parquet, qui se proposait de procéder lui-même à une enquête.

— Sans toutefois que la présidente ne fixât une nouvelle date d’audience.

— Ce qui était le nœud du problème juridique. Le parquet a aussitôt fait appel de ce jugement, ainsi que l’avocat de la partie civile n°2, un peu plus tard.

— Appel que vous estimiez immédiatement recevable, et donc dessaisissant la juge.

— Absolument. Deux précautions valant mieux qu’une, et l’erreur et moi partageant le fait d’être humains, le parquet a en outre déposé une requête en examen immédiat de cet appel. Mais pas la partie civile n°2.

— Formalité qui n’est exigée que dans les hypothèses où l’appel n’est pas immédiatement recevable, puisque le tribunal n’a pas statué au fond.

— Exactement. Or on a appris peu de temps après que le président de la chambre des appels correctionnels de Versailles, celui-là même que je me languis tant de voir pour mes dossiers, avait rejeté cette requête.

— Pour quel motif ?

— Voilà bien le problème. Il n’a pas à donner de motif à ce refus. Une simple mention « rejet » avec sa signature suffit. Je ne savais pas pourquoi il a refusé, ce qui a provoqué une situation fort rare.

— Laquelle ?

— J’ai douté de moi. Ce refus signifiait-il : « je rejette cette requête qui est infondée puisque l’appel est immédiatement recevable », ce qui était mon opinion, ou « je rejette cette requête car j’estime que le tribunal doit vider sa saisine, c’est-à-dire aller au bout et juger cette affaire », ce qui m’aurait contredit. J’étais dans les affres de l’incertitude jusqu’à l’annonce de cet audiencement augustin.

— Car il démontrait que vous aviez raison ?

— Eh oui, mon Raymond, car c’est bien l’appel de la partie civile n°2 qui était audiencé en même temps que celui du parquet, ce qui démontre que la cour a implicitement adopté une position identique à la mienne : l’appel était immédiatement recevable, de droit.

— L’affaire Bettencourt a donc été jugée ?

— Non, rassure-toi. Je te rappelle que l’appel ne peut porter que sur ce qui a été jugé. Or ici, la seule chose que le tribunal a décidé est de procéder à un supplément d’information. La cour a donc examiné l’appel sur ce supplément d’information.

— Ah, oui ! Si elle estime que le tribunal a eu raison, elle lui fera retour du dossier. Sinon, elle devra évoquer, et c’est à dire, juger l’affaire.

— Oui. On peut imaginer que la cour modifie et encadre le supplément d’information et rende néanmoins le dossier au tribunal. C’est théoriquement possible, mais ce n’est pas la pratique de la jurisprudence. Rendre un dossier à un juge qui a été partiellement désavoué par sa cour d’appel est délicat. Le juge en sort forcément affaibli. Et face à trois avocats de cette trempe, cela promet un hallali. Dans l’intérêt de la justice, il faudrait que la cour évoquât dès lors que le jugement est un tant soit peu infirmé.

— Cela suppose que dans ce dossier, l’intérêt de la justice prime en effet.

— Raymond, je te trouve bien cynique et ne puis partager cette vision négative. Je ne doute pas un seul instant que tout le monde n’ait à l’esprit que cet intérêt dans cette affaire.

— À présent, je n’ai plus aucun doute. Et que s’est-il passé à l’audience ?

— Le Nouvel Obs avait dépêché Éric Pelletier et Jean-Marie Pontaut qui nous ont gratifié d’un compte-rendu d’audience exhaustif dont voici la synthèse. Tout d’abord, la parole est donné à l’appelant, soit la partie civile n°2, Liliane Bettencourt, la victime qui ne cesse de dire qu’elle n’est pas victime. Celle-ci demande l’annulation du jugement ayant ordonné le supplément d’information et de tous les actes d’ores et déjà accomplis par la présidente. Dans cette hypothèse, la cour serait obligée d’évoquer, ayant annulé le jugement. Son avocat, Georges Kiejman, a eu des mots très durs pour qualifier la situation « chaotique » régnant à Nanterre.

— Que dit la partie civile n°1 ?

— Françoise Meyers-Bettencourt, fille de la victime qui dit que sa mère est victime sans le savoir, conclut en sens inverse. Le supplément d’information lui semble parfaitement légitime et elle demande que ce dossier retourne au tribunal.

— Son avocat veut donc savoir d’où proviennent ces enregistrements ?

— Non, il le sait fort bien. Tout semble indiquer que c’est lui qui a fourni ces enregistrements à la presse, comme l’a révélé Pascale Robert-Diard sur son blog.

— Alors pourquoi appuie-t-il ce supplément d’information qui risque de le mettre en cause ?

— Je ne puis prétendre être dans le secret des Dieux. Mais de ce supplément peut ressortir des éléments favorables à sa thèse d’une Liliane Bettencourt manipulée. Il faut se souvenir que le principal obstacle qui se dresse devant lui est la recevabilité de son action : sa cliente n’est pas victime directe de l’infraction et va probablement être déclarée irrecevable. Mais si avant d’être ainsi boutée hors du prétoire, elle peut obtenir de la justice qu’elle recherche une preuve qu’elle même est bien en peine de fournir, ce qui a conduit à l’échec de la procédure de mise sous tutelle, elle aura malgré tout gagné l’essentiel.

— À qui la parole ensuite ?

— Au ministère public. Qui va avoir une position fort curieuse.

— Qu’est-ce à dire ?

— N’oublions pas que le parquet de nanterre est appelant : lui aussi demande que le dossier soit évoqué par la cour, et donc définitivement retiré au tribunal.

— Je ne l’oublie pas.

— Pourtant, à en croire les deux journalistes présents, le parquet général (ainsi nomme-t-on le parquet d’une cour d’appel, par opposition à paruqet tout court pour celui d’un tribunal) n’a rien requis dans ses réquisitions.

— Comment ça ?

— Verbatim : « La jurisprudence ne correspond à aucun des cas vous ayant été soumis par Me Kiejman, puis par Me Metzner La jurisprudence, c’est aussi votre décision à venir. » C’est sur cet apophtegme cabalistique que l’avocat général s’est rassis.

— Nous voilà bien avancés.

— C’est ce qu’ont du penser les Conseillers de la cour. Je te rappelle, cher Raymond, que les juges siégeant dans une cour, que ce soit d’appel ou de cassation, prennent le titre de « conseillers », souvenir du temps où les cours d’appel, qu’on appelait Parlement, conseillaient le roi. Cette position en retrait du parquet général tranche avec l’activisme du parquet de Nanterre qui a fait des pieds et des mains pour torpiller ce dossier devant le tribunal. On dirait qu’il n’a pas réussi à communiquer son enthousiasme au parquet général.

— Et enfin, qu’en dit le prévenu ?

— Il se rallie à l’appel de Liliane Bettencourt et à la thèse de son avocat : l’appel est recevable (cela semble d’ailleurs acquis à ce stade) et la cour doit évoquer, cette affaire ne pouvant être jugée sereinement à Nanterre.

— Et qu’a décidé la cour ?

— Elle rendra son arrêt (une cour, cher Raymond ne rend pas des jugements, apanages des tribunaux, mais des arrêts) le 14 septembre prochain. Retour du dossier au tribunal avec sa bénédiction à la présidente Prévost-Desprez pour procéder à son supplément d’information, ce qui serait un camouflet pour le procureur Courroye ? Retour du dossier avec une modification de l’objet de ce supplément, ce qui serait un camouflet pour la présidente ? Infirmation et évocation, ce qui serait une victoire pour le parquet ? J’ai une légère préférence pour cette dernière thèse, car elle est le seul moyen de sortir du cul-de-sac dans lequel le tribunal s’est fourré en ne fixant pas une nouvelle date d’audience, outre le problème de la sérénité de la justice, qui n’existe visiblement pas à Nanterre pour cette affaire.

Je serai bien sûr là pour commenter cette décision et ses conséquences. Maintenant, si tu veux bien m’excuser, cher Raymond, mais j’ai laissé mon Jet privé garé en double file.

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