Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 18 avril 2014

vendredi 18 avril 2014

Le législateur est-il un être doué de raison ?

La nouvelle juridique de la semaine colportée par les médias était donc que le Code civil cessait de considérer les animaux comme des meubles mais leur reconnaissait le statut d’être doué de sensibilité. Les commentaires journalistiques étaient des variations autour du thème “Ah ben quand même il était temps, LOL mais qu’ils sont bêtes ces juristes, ils ne savent pas faire la différence entre un chat et une chaise”. Et pendant ce temps, les juristes se tapaient la tête contre leur bureau.

Car dans cette affirmation, tout était faux. Des études très poussées, sur des cohortes de milliers de juristes de tous sexe, âge, et nationalité, ont démontré que, même ivres, 105% des juristes savaient faire la différence entre un chat et une chaise (marge d’erreur : 5%).

Pour comprendre ce qu’il en est réellement — le présent s’impose car l’état du droit n’a pas changé d’un iota cette semaine — allons faire un tour dans le monde fascinant du droit.

Rappelons en guise de prolégomènes que le droit est la science qui s’intéresse au rapport des hommes (au sens d’être humain naturellement) entre eux. Robinson seul sur son île déserte vit sans droit. Pas par choix, parce qu’il n’en a pas besoin. Mais qu’arrive Vendredi, et arrive le droit.

La démarche du juriste est un travail de qualification qui peut se résumer ainsi : face à une situation appelant une solution juridique, il va suivre un cheminement qui va l’amener à plusieurs embranchements où il devra choisir le bon pour, une fois arrivé au bout, connaitre avec certitude la règle de droit applicable. L’interprétation de la règle de droit et son application au cas précis (on dit l’espèce) est la deuxième partie du rôle du juriste, mais ici elle ne nous intéresse pas. Allons donc à l’embranchement premier, ce qu’on appelle la suma divisio en droit : la grande distinction première. Pour un juriste, il n’existe que deux grandes catégories juridiques : les personnes, et les biens. Les premiers sont sujets de droit, les seconds, objets de droit.

Engageons nous brièvement sur le chemin des personnes. Nous voici à un nouvel embranchement. D’un côté les personnes physiques, de l’autre, les personnes morales. Les personnes physiques sont les êtres humains, de la naissance, à condition d’être né vivants et viables, à la mort ; les personnes morales sont des créations de la loi, des entités auxquelles la loi donne la qualité de sujet de droit. Citons l’Etat et ses émanations (régions, départements, communes), les sociétés  commerciales, les associations à but non lucratif dite “Loi 1901”. Les personnes ont un patrimoine, peuvent passer des contrats, et agir en justice. Depuis 20 ans, elles peuvent même être pénalement condamnées. Depuis 1848, les deux catégories sont étanches. On ne peut passer de l’une à l’autre. Avant, c’était le cas, par l’esclavage, qui faisait passer l’être humain du statut de personne au statut de bien (l’affranchissement lui faisait effectuer le chemin inverse).

Le chat n’étant ni une personne physique, faute d’être humain, ni une personne morale, faute de la moindre moralité, c’est nécessairement dans la catégorie des biens qu’il se situe. Attention, le vocabulaire juridique est précis. Un bien n’est pas une chose. Une chose est forcément un bien, mais la réciproque n’est pas vraie.

Et nous voilà devant une nouvelle suma divisio, contenue à l’article 516 du Code civil : “Tous les biens sont meubles ou immeubles”. Les mots meubles et immeubles n’ont pas le même sens en droit que dans le langage courant. Un immeuble est un bien qui ne peut pas se déplacer, un meuble est un bien qui peut se déplacer aisément. Ce que vous appelez un meuble, le juriste l’appelle un meuble meublant. Ce que vous appelez un immeuble, le juriste l’appelle immeuble d’habitation. Ça peut vous paraitre redondant ; sachez que pour lui ça ne l’est nullement.

L’immeuble par nature, c’est la terre, le terrain, le lopin de terre. Et ce que vous construirez dessus, qui y est donc attaché. Quand vous achetez une maison, en fait, vous achetez un terrain qui contient une maison. Lisez l’acte notarié, vous verrez. La loi étend la qualité d’immeuble à toute une série de biens qui sont pourtant des meubles. La lecture de ces articles du Code civil fleure bon la France rurale des années 1800, quand le Code a été rédigé. Sont ainsi immeubles par destination, c’est à dire par l’usage qui leur est attribué, les récoltes pendantes par les racines, les fruits des arbres non encore recueillis, les tuyaux servant à la conduite des eaux, les ustensiles aratoires, les semences données aux fermiers ou métayers, les pigeons des colombiers, les lapins des garennes, les ruches à miel, les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes, les ustensiles nécessaires à l’exploitation des forges, papeteries et autres usines et les pailles et engrais.

Le meuble par nature est défini à l’article 528 du Code civil : les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère.

Nous y voilà. L’animal est un bien car il n’est pas un homme, et c’est un bien meuble car il peut se déplacer par lui-même, quand bien même si c’est un chat il n’en aura pas souvent envie. La chaise est aussi un bien meuble. C’est la même catégorie juridique jusqu’à cet embranchement. Mais c’est là que leurs chemins se séparent : la chaise est un meuble meublant, entrant dans la catégorie des choses inanimées (car ne se mouvant pas par elle-même). Le chat, lui, continue sa route juridique sur le chemin des animaux.

Juridiquement, quelles conséquences ? Elles sont assez nombreuses, contentons-nous de l’essentiel et renonçons à l’exhaustif. L’essentiel est sur la possibilité d’appropriation. Un bien peut être objet du droit de propriété, une personne, jamais, en aucun cas. Le statut de meuble ou d’immeuble a des conséquences sur la transmission de ce droit de propriété, c’est pourquoi la loi fait de certains animaux des immeubles, car ils sont attachés juridiquement à un immeuble. Ainsi les pigeons des colombiers et les lapins des garennes, ajoutons les poissons des étangs. Quand vous achetez un terrain où se trouve un étang pour aller pêcher les dimanches électoraux, vous vous attendez à ce que l’étang contienne des poissons. Ils sont à vous, quand bien même ils ne seraient pas comptés et mentionnés dans le contrat de vente. Idem si vous achetez une garenne pour tirer le lapin. À la seconde où il vous vend son terrain, le vendeur perd le droit d’emporter sans votre autorisation le moindre lapin, le moindre poisson, le moindre pigeon. La vente d’un immeuble est enfin soumise à certaines conditions de forme et de déclarations (avec des conséquences fiscales).

Pour un bien meuble, la cession de propriété se fait sans forme et la loi vous dispense d’en garder une preuve formalisée, sauf exception. C’est la règle en fait de meuble, possession vaut titre. Si vous êtes en possession d’un bien meuble, vous n’avez pas à prouver que vous en êtes le propriétaire. C’est à celui qui prétend être le propriétaire de le prouver.

Une fois ceci posé, le statut juridique des animaux et des choses diverge totalement pour le reste. Ainsi, la destruction d’une chose vous appartenant est tout à faite légale en principe, alors que la moindre souffrance infligée à un animal vous expose à la prison (pensez à cette affaire de l’homme qui s’est fait filmer en train de projeter un chaton contre un mur : croyez-vous qu’il aurait été condamné à un an ferme s’il avait lancé une chaise ?) Faire d’un animal de compagnie, car c’est d’eux seuls qu’il s’agit dans l’esprit du législateur, je ne pense pas que M. Glavany, Mme Capdevielle et Mme Untermaier aient envisagé que leur amendement pourrait s’appliquer aussi à un ténia, ce qui est pourtant le cas tel qu’il est rédigé puisqu’il parle de”tout animal”, en faire un bien meuble disais-je vous permet de promener votre chien sans avoir avec vous la facture et d’acheter un chiot sans passer devant le notaire.

Ceci ayant été exposé, qu’a donc voté le législateur cette semaine ?

Un amendement qui introduit dans le Code civil un article 515-14 qui proclame “Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels”, outre une série de modifications textuelles qui visent à bien distinguer les animaux des choses inanimées, ce qu’on fait très bien depuis Napoléon, merci.

C’est à dire une vérité d’évidence sans conséquence juridique dans la première phrase, et une proclamation du droit existant depuis 2 siècles dans la seconde. Oui, vous avez bien lu, cet amendement dit expressément que les animaux demeurent des biens.

D’autant que le Code rural dispose dans son article L.214-1Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce”. Oui chers lecteurs, vous ne rêvez pas, le législateur a voté une loi qui existe déjà. Je vous confirme ce que votre intuition vous souffle : voter deux fois une loi n’en fait pas une super-loi ou une über-loi. Ça en fait juste un pléonasme.

Voici donc ajouté au Code civil un article qui n’apporte rigoureusement rien à l’état du droit tel qu’il est depuis deux siècles.

Il manque la cerise sur le gâteau. La voici.

Cet ajout d’un article inutile qui crée une catégorie sans effet a été introduit dans le cadre d’une loi de simplification du droit.

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