Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Greffiers en colère

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mercredi 30 avril 2014

"Ah les greffes ? t'es chirurgienne en fait ?"

Par Anonyme, greffier


Aujourd’hui, lorsqu’on me demande ce que je fais comme métier, j’ai de plus en plus tendance à dire que je suis illustratrice. Ou pilote de chasse. Ou prof. Parce qu’à chaque fois que je réponds “greffière”, la question suivante est : “C’est quoi ?”.
Mine de rien, c’est vexant.

“Je suis étudiante en Droit : scio me nihil scire.”

Il existe un ravin immense entre le Droit et sa pratique. Il y a les codes, et les codes de procédure. Lorsque j’ai passé le concours, j’étais persuadée que je ne l’aurais pas. Lorsque je l’ai eu, je me suis demandée si je devais partir à l’École. Lorsque je suis sortie de l’École, j’ai compris que j’avais mis les pieds dans une maison où il s’agit autant de savoir que de savoir faire. Avec tous les paradoxes que cela implique. Mais je me félicite encore de ce choix.

“Donc tu vas faire juge plus tard ?”

J’ai rencontré durant ma formation des tas de gens surdiplômés. Pas un ne voulait réellement être greffier ; souvent l’on passe le concours pour évoluer ensuite. Mais pas évoluer en tant que greffier ; l’on apprend très vite que nulle évolution n’est possible dans cette profession. Le seul examen professionnel que l’on peut passer est le “B1”. Devenir “greffier premier grade”, c’est rester greffier mais être habilité à exercer certaines attributions de greffier en chef. Et gagner environ 200 euros de plus par mois. Que cela soit clair : greffier en chef n’est pas l’évolution du Pokémon greffier ; c’est un autre métier. Le greffier est garant de la procédure ; il prend les audiences, rédige, notifie, accueille. Le greffier en chef organise les personnels de greffe, monte des services, gère des budgets. Etre greffier et passer greffier en chef, c’est comme être greffier et passer contrôleur du travail, magistrat, ou même inspecteur des finances publiques. C’est passer un autre concours pour exercer une autre profession. On est greffier, on finit greffier. Si on veut évoluer, il faut changer de métier.

Et pourtant, malgré cela, nous exerçons tous avec passion. Une passion qui est absolue en son sens le plus étymologique : déliée de toute autre considération. On ne peut pas être carriériste lorsqu’on est greffier.
Parce que c’est cela, le métier de greffe : on exerce à fond, ou on n’exerce pas.

“Non mais en même temps t’es fonctionnaire, tu vas pas te plaindre”

Pendant mon stage, j’ai appris que les chartes des temps ne sont que des coquilles vides ; on ne prévoit pas la dure d’un audience, on ne prévoit pas les impondérables, on ne prévoit pas l’état du service dans lequel on arrive. Nous avons tous été touchés par le phénomène “Ah tu es la stagiaire ? (variante un poil plus réaliste : “Ah, VOUS êtes les TROIS stagiaires ?”) Ben assieds-toi là et observe ; j’ai pas le temps pour te former”. Ce n’est pas de la méchanceté ou de l’inconscience ; c’est une réalité. Un greffier est souvent seul pour gérer une masse de travail qui en nécessiterait deux ou trois. Alors un greffier avec un stagiaire, c’est mission impossible.

J’ai eu la chance de tomber sur des greffières convaincues de leur mission de service public lors de mon stage. Ce nombre incalculable de greffières qui m’ont dit en riant de profiter de mon statut de stagiaire pour faire 9h-17h, parce que je n’aurais plus jamais l’occasion de faire cela une fois titularisée.

J’ai probablement eu la chance aussi de tomber sur certaines, plus rares, qui se fichent bien qu’un dossier attende 3 mois sur le coin d’une table. Celles-là, ce sont les désenchantées. Celles qui se sont résolues à combattre le mal par le mal : que je fasse une heure de plus, un dossier de plus, une tâche qui ne m’est pas dévolue de plus, je n’obtiendrai jamais de retour. La masse de dossiers en attente derrière sera la même, mon traitement restera le même, l’estime de ma hiérarchie sera la même, ni plus, ni moins.

Que je vous explique un peu le régime des heures supplémentaires chez nous : chaque juridiction possède une charte des temps, c’est-à-dire la durée hebdomadaire de travail (souvent 37 heures et 30 minutes). Toute heure supplémentaire doit être payée, à concurrence d’un certains nombre d’heures autorisées. Au-delà de ce quota, les heures supplémentaires sont du domaine du bénévolat. Logique, en soi : vous ne pouvez pas vous faire du beurre en accumulant les heures supplémentaires, cela doit rester exceptionnel.

Sauf que ces heures supplémentaires sont souvent nécessaires. Si vous êtes en audience, ou en audition, vous ne pouvez pas la quitter ; le magistrat a besoin de vous à peine de nullité.

Il y a aussi ces situations où c’est vous-même que vous pénaliseriez. Je vais vous parler de B.

B. est arrivée dans un très grand TGI[1], où elle a récupéré un cabinet de JE[2] qui n’avait plus de greffier depuis des mois. Plus de greffier dans un cabinet, ce sont des tas d’actes en attente, des dossiers qui s’accumulent. Lorsqu’on récupère un cabinet comme cela, il faut à la fois liquider le passif et traiter l’actif. Seule.

B. a ainsi, pour remettre son cabinet à flot, accumulé 90 heures supplémentaires lors de son premier mois de préaffectation. Le mois suivant, elle a constaté que les heures sur-supplémentaires avaient disparu de son badge. Elle ne sera jamais rémunérée de ces heures. Explications de sa greffière en chef : B. n’avait “pas le droit” de faire tant d’heures.

Mais si B. n’était pas restée jusqu’à parfois 1h du matin dans son TGI, elle aurait probablement aujourd’hui encore des centaines de dossiers en attente. Et en JE peut-être plus qu’ailleurs, des dossiers en attente ce sont des vies en jeu.

Le mois suivant a donc été celui du dilemme : devait-elle poursuivre, ou devait-elle partir à 18h ? Le choix a été vite fait : la première pénalisée si elle réduisait ses horaires, c’était elle. Et après elle, toutes les familles de ses dossiers. Alors elle a continué. J’ai vu B. dans des états impossibles, au bord de l’arrêt maladie, qu’elle ne concevait même pas de prendre ; parce que chez nous les remplaçants n’existent pas. Si vous êtes en arrêt, vos dossiers patientent jusqu’à votre retour. Si votre arrêt se prolonge, ce sont vos collègues des autres cabinets qui se répartissent vos dossiers. En plus des leurs, donc.
B., 10 mois d’ancienneté dans la profession, est à présent dépressive.

Parce qu’au-delà des heures supplémentaires, il y a ce réel problème de fond : même si ces heures étaient rémunérées, on ne saurait s’en satisfaire. Les heures supplémentaires, ce sont les premiers signaux du manque de personnel.
Et le manque de personnel, c’est le premier signal de l’alourdissement des tâches. NdA
Le contentieux augmente naturellement ; c’est un lieu commun que de dire que l’on assiste à une judiciarisation de la société. Mais en plus de cette croissance exponentielle du nombre de dossiers, les greffiers doivent composer avec l’augmentation du nombre de tâches qui leurs sont allouées. Alors lorsqu’on parle - c’est un exemple criant - de donner au greffier des compétences supplémentaires comme le pouvoir de décision en matière de divorce par consentement mutuel, oui, on panique. Parce qu’on ne saura jamais où trouver le temps - pardon, les ETPT[3] d’étudier ces dossiers-là en plus de les traiter.

“Et c’est une bonne situation, ça, scribe ?”

C’est une rengaine que l’on répète avec le sourire : “le greffier n’est pas juge de la recevabilité”. Le greffier n’ pas le pouvoir de décider des suites à donner aux dossiers qu’il traite. Nous attribuer des tâches qui confinent au métier de magistrat, c’est modifier ce statut, c’est aller au-delà du garant de la procédure que nous sommes. Nous avons toutes les compétences universitaires pour exercer ces fonctions (cf. le niveau de recrutement qui atteint désormais Bac+5), sans nul doute. Mais ce n’est PAS notre métier. Si l’on faisait abstraction des obstacles matériels, il faudrait encore être cohérent et procéder à une revalorisation, à un changement de catégorie, puisque nos responsabilités deviendraient équivalentes à celles des magistrats.

Nous ne demandons pas à être magistrats. Nous ne demandons pas même, en l’état, à être comparés à eux. Ma collègue V. l’a si bien dit : nous collaborons avec les magistrats, nous avons autant besoin d’eux qu’ils ont besoin de nous.

La revalorisation dont nous parlons actuellement est bien plus basique que cela : nous demandons, aujourd’hui, la prise en compte de notre juste valeur. Nous ne sommes pas un prolongement du clavier. Nous ne sommes pas des petites mains. Nous avons des compétences, des responsabilités spécifiques, qui méritent une prise en charge spécifique. La preuve : les fonctionnaires de catégorie C faisant fonction de greffiers (“le Canada Dry des tribunaux”) demandent eux-mêmes une revalorisation, parce que cette fonction spécifique qu’ils exercent, à l’instar de la robe qu’ils sont amenés à porter, les distingue des autres fonctionnaires.

Soyons clairs : je touche actuellement 1690 euros par mois. J’ai 5 semaines de congés. Je ne sais pas ce qu’est un treizième mois, je ne sais pas ce qu’est une prime. En fin de carrière, je pourrai espérer toucher un peu plus de 2000 euros.

J’ai été affectée en Île de France ; je vis dans un logement social. Dans le secteur immobilier privé, des propriétaires me demandaient de gagner 3 fois le loyer d’un 20m2, soit environ 2400 euros. L’année dernière, une propriétaire m’a demandé, lorsque je lui ai dit que j’étais fonctionnaire, quel métier j’exerçais exactement. “Greffière”, lui ai-je répondu. “Ah, ce n’est que catégorie B ça, non ?”. J’ai ressenti une infinie tristesse. Non pas pour le ton cruel de cette femme, mais pour le métier dans lequel je m’étais tout juste engagée : j’étais pour la première fois en train de me dire que je faisais un boulot de merde.

Et se dire que l’on fait un boulot de merde non pas parce qu’on ne l’aime pas ou parce qu’il se passe mal, mais simplement parce que les autres vous font sentir que vous êtes petit, invisible, que l’ambition n’est pas pour vous, c’est probablement le pire qui puisse arriver.

Une amie à moi, qui travaille dans le secteur privé, m’a dit un jour : “ton métier, ton poste, sera toujours ce que toi tu en fais”. C’est ce que j’ai voulu en revêtant cette satanée robe dont les manches cachent tant de casseroles. Tous les jours, je me dis que je suis là pour ces gens qui ne savent même pas que j’existe. Des gens qui ne savent pas que si mes collègues et moi disparaissions, des détenus seraient libérés, des enquêtes cesseraient, des enfants seraient laissés aux mains de parents irresponsables, des couples qui ne s’entendent plus devraient rester mariés, des avocats ne seraient plus payés[4], et j’en passe.
Des gens qui, hier, regardaient notre cortège avec mépris et ont crié “à bas la Justice !”.
Des gens qui, hier, n’ont retenu de nous que le fait que nous ayons osé brûler des codes.

Ce soir, je pleure encore de tant d’injustice et d’aveuglement.
Mais ce qui me rassure, c’est que si je pleure, c’est que j’ai encore l’espoir qu’un jour l’on reconnaisse aux greffiers ce sens du service public qui n’existe plus vraiment ailleurs.
Je veux être fière de ma grande robe noire pas pratique et de ma Marianne$$Ce n’est pas Marianne, c’est Junon. NdEolas qui bave.

Mais “tu es jeune, tu es naïve, ça te passera.”

Notes

[1] Tribunal de grande instance, la juridiction de premier degré de droit commun. Il existe 154 tribunaux de grande instance en métropole et sept dans les départements d’outre-mer.

[2] juge des enfants.

[3] Équivalent Temps Plein Travaillé : un greffier n’est pas une personne, c’est un certain nombre d’ETPT en fonction de son poste et de son régime de temps de travail.

[4] le greffier est chargé d’attester la présence de l’avocat rémunéré au titre de l’Aide Juridictionnelle. NdA

Journal des greffiers en colère, c'est parti !

Comme promis, ce journal est mis à la disposition des greffiers qui crient leur colère sur les marches des palais de justice depuis plusieurs semaines. Une journée d’action est prévue pour le 29, je leur laisse donc les clés jusque ce jour là inclus. Vous pouvez donc encore m’envoyer des contributions, vous êtes encore recevables.

Vous allez voir qu’ils ne crient pas seulement leur colère mais aussi leur amour pour leur métier et leur volonté de voir un jour rendu une justice humaine qui peut consacrer à chaque dossier le minimum de temps et de moyen qu’il nécessite. Ce n’est même pas une revendication, c’est une exigence minimale.

Merci à tous les greffiers qui ont répondu à mon appel. Je m’efface sur la pointe des pieds. Vous êtes ici chez vous.

Eolas

Journal d'un justiciable en colère

Par Astrée, greffier en chef


Chacun de nous a été, est, ou sera un jour, un justiciable.

Et je ne veux pas dire par là que chaque citoyen est un délinquant qui s’ignore (ou non).

Simplement un usager du service public de la justice. Car loin des clichés télévisuels, la justice, ce n’est pas simplement : “Accusé, levez-vous !”.

Un divorce ? Tribunal de grande instance. Un licenciement ? Conseil de prud’homme. Un PaCS ? Tribunal d’instance. Une facture impayée ? Juridiction de proximité. Un parent souffrant d’Alzheimer ? Juge des tutelles. Un certificat de nationalité ? Tribunal d’instance. Une entreprise en difficulté ? Tribunal de commerce. Une adoption ? Tribunal de grande instance. Des travaux mal faits ? Tribunal d’instance. Un voisin injurieux ? Tribunal de police. Un mineur orphelin ? Juge aux affaires familiales. Un accident de la route ? Tribunal de grande instance. Une erreur sur votre acte de naissance ? Service civil du parquet. Une renonciation à succession ? Tribunal de grande instance…

Nous sommes tous des usagers de ce service public qu’est la justice.

Aujourd’hui, je ne suis pas un greffier en chef en colère. Je n’ai pas de revendication statutaire, ni salariale. Je ne demande pas de revalorisation, ni plus de considération. Je ne me sens ni méprisée par les magistrats, ni conspuée par les greffiers, ni ignorée par les avocats.

Je suis un justiciable en colère.

Parce que je suis greffier en chef, je sais que c’est le justiciable en moi qui doit être en colère. Et je sais, car je connais le sens du service public des mes collègues de toutes catégories, que chacune des revendications portées devant le ministère de la justice aujourd’hui a pour raison d’être l’envie de servir au mieux le justiciable.

Parce que je suis greffier en chef, je sais que chaque réforme, chaque “arbitrage budgétaire”, chaque “modernisation”, chaque “simplification” va nous faire grincer des dents, tempêter et maudire ce législateur inconscient, non pas parce qu’il nous sort de notre zone de confort, ou fait trembler notre routine de fonctionnaire, mais parce qu’il nous empêche de satisfaire au mieux, dans des délais raisonnables, en des termes clairs notre “client” : le justiciable.

Abordons la question de l’informatique judiciaire : Maître Eolas a évoqué les affres de Cassiopée. Ce dernier a une grande famille : Minos[1], Appi[2], Chorus[3], Ipweb[4] et j’en passe. Ils sont codés avec les pieds, certes. Mais comme toute tare familiale, on s’y fait, on développe des stratégies, on apprend à ne pas appuyer sur la zone sensible.

Le cauchemar de l’informatique judiciaire réside ailleurs. Il se drape de modernisation, d’échanges dématérialisés avec les huissiers, les avocats, les gendarmeries, le trésor, et que sais-je encore. Car au delà du fait qu’ils sont pédifacturés, ces applicatifs ont surtout un terrible point commun : ils fonctionnent via intranet. Or, de débit, nous n’avons point. C’est comme essayer de faire passer un chameau par le chas d’une aiguille.

Le quotidien des greffes au XXIème siècle consiste donc à regarder s’égrener les carrés verts de la barre de chargement. A chaque dossier enregistré, à chaque donnée ajoutée, 10 secondes par ci, 30 secondes par là. Multipliées par 50 dossiers par jour, par 250 jours par an, par 30, 50, 70 fonctionnaires par tribunal, par 500 juridictions… Vous êtes en train de faire le calcul de la lenteur de la justice. Pour moi, fonctionnaire de justice, cela ne change rien. Je ne suis pas payée au nombre de dossiers enregistrés. Pour moi, justiciable, c’est peut-être un mois, deux mois de plus sans récupérer la caution que mon propriétaire refuse de me rendre.

Parlons de la réformite aigüe : maladie dont est manifestement atteint notre législateur et qui consiste à réformer, puis à réformer la réforme, puis à simplifier la réforme de la réforme, puis à moderniser la simplification. Le tout, sans regarder ce qui existe déjà, sans se demander si et comment l’existant est appliqué ou applicable. De préférence en omettant d’abroger les dispositions anciennes et en échelonnant les entrées en vigueur de telle sorte que personne ne sache quel texte est applicable à l’instant T. En pratique, dans les greffes, cela donne quoi ? Exemple : une loi du 26 juillet 2013 réforme la procédure de surendettement. Elle entre en vigueur le 1/01/2014. Le décret d’application (qui explique concrètement comment mettre en œuvre la réforme) est publié le 21/02/2014 (cela fait donc 2 mois que la réforme existe sans être appliquée), les instructions au greffe sont transmises par la chancellerie fin avril. Les logiciels informatiques seront adaptés en juin. Ne fonctionneront pas. Les bugs seront peut-être corrigés en septembre… ou pas.

Et de janvier à septembre, on fait quoi ?

Une bonne âme, généralement le greffier en chef, épluche chaque matin le Journal officiel en ligne, puis tel Sherlock Holmes, remonte la piste du texte modifié. Vous avez déjà vu une loi de simplification ? Cela ressemble à cela :

>“Le code des douanes est ainsi modifié :

1° Au 2 de l’article 103, à l’article 344 et au deuxième alinéa de l’article 468, les mots : « tribunal d’instance » sont remplacés par les mots : « président du tribunal de grande instance » ;
2° A l’article 185, à la fin du 2 de l’article 186, à la seconde phrase du 3 de l’article 188, aux 1 et 3 de l’article 389 et au dernier alinéa du 1 et à la première phrase du 3 de l’article 389 bis, les mots : « juge d’instance » sont remplacés par les mots : « président du tribunal de grande instance »
3°A l’article 361, le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois » ; “

… et cela peut continuer comme cela sur 10, 20 ou 30 pages. A vous de sortir codes et crayons pour trouver ce qui peut bien vous concerner et découvrir que vous venez de vous voir attribuer une compétence nouvelle. A vous de trouver quelle date d’entrée en vigueur s’applique à quel alinéa. À vous d’en rédiger une synthèse que vous diffuserez aux fonctionnaires. A vous de chercher comment mettre en œuvre la loi nouvelle avec le logiciel ancien. À vous d’aller corriger chaque trame de jugement, de convocation, de notification pour l’adapter aux nouveautés, pour corriger les articles cités, les délais, les voies de recours qui ont changé… 15 minutes par trame, multiplié par 15 ou 20 trames, multiplié par 500 juridictions. Pour moi, greffier en chef, c’est une activité comme une autre. Je répare les chasses d’eau, je peux bien bricoler des trames. Pour moi justiciable, c’est deux mois de plus avant que mon divorce soit prononcé.

Les juridictions sont encombrées, ce n’est rien, simplifions. Transférons aux huissiers les appositions de scellés, aux notaires les actes de notoriété, les consentements à adoption, aux préfectures les nationalités par mariage…

Pour moi, greffier en chef, c’est du travail en moins. Les journées sont moins variées, mais je ne m’ennuie pas, j’ai des réformes à mettre en œuvre. Pour moi justiciable, c’est 500 euros de frais de notaire pour un service auparavant rendu gratuitement par le tribunal.

Le système judiciaire est trop complexe, le justiciable n’y comprend rien : simplifions ! Rayons de la carte 250 tribunaux. Une fois qu’il aura compris que le tribunal est trop loin pour que cela vaille le coup d’entamer une procédure, il aura effectivement tout compris.

Terminons par le nerf de la guerre : le budget. Les juridictions sont pauvres. Mes collègues ont donné assez de détails. C’est un fait avéré. On y coupe les post-it en deux, voire en quatre. Considérons que c’est au moins écologique. Chacun a conscience qu’il est nécessaire de faire des économies.

Là où le bât blesse, c’est que moi, greffier en chef, je sais qu’il faudrait plus de moyens, mais je sais aussi pertinemment comment on pourrait faire des économies. Je sais quelles notifications par lettres recommandées, imposées par les textes, sont inutiles (à presque 4,50€ la lettre recommandée, je vous assure que ce n’est pas une paille).

Je sais combien coûte une audience solennelle de rentrée (chaque année, dans chaque juridiction, avec petits fours et invitation du bottin mondain) et combien coûte l’audience d’installation d’un nouveau président, procureur…

J’ignore combien coûtent les nombreuses brochures sur papier glacé qui nous sont envoyées par la chancellerie, mais je sais parfaitement où elles terminent.

J’ignore combien a coûté, en signalétique, panneaux et feuilles à entête la transformation du ”ministère de la justice” en “ministère de la justice et des libertés”, puis le retour au “ministère de la justice”, mais j’ai dans l’idée qu’il y avait là de quoi faire vivre quelques juridictions pendant quelques années.

Et là, ce n’est plus moi, justiciable, mais moi contribuable qui suis en colère.

Alors, si aujourd’hui, moi, greffier en chef, je suis sur les marches du palais de justice, c’est pour que vous, justiciables, bénéficiiez d’un vrai service public de la justice.

Astrée

Notes

[1] Qui gère les décisions rendues par les tribunaux de police et de proximité. Rappelons que Minos a bâti un labyrinthe où il a enfermé un monstre…NdEolas

[2] Application des Peines, Probation et Insertion, qui fait la liaison entre les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation et les juges d’application des peines. NdEolas

[3] Application qui gère les dépenses de l’Etat dans toutes les administrations.NdEolas

[4] Système de traitement des données personnelles dans les tribunaux d’instance et de proximité.NdEolas

Retour de flamme

Par Cyberkek


Je reviens de Paris, je n’aime pas la foule, les mouvements collectifs mais, comme je l’ai dit ailleurs sur ce blog, j’aime l’idée d’une justice digne de ce pays, digne des citoyens qui la composent et qui auront un jour, à un titre ou à un autre, à lui rendre ou lui demander des comptes.

Je sais bien que je suis un salaud de fonctionnaire nanti à un moment où tant de mes concitoyens et de mes proches connaissent des fins de mois difficiles, surtout les trente derniers jours aurait dit Coluche (même si je lui préfère Desproges). Que chacun sache que je ne suis dans la fonction publique que parce que j’ai été élevé par des gens très biens (mes parents en l’occurrence) épris de la notion de service public n’y changera rien. Les esprits fâcheux et les mesquins continueront à croire que notre colère ne s’appuie que sur des revendications salariales.

Que l’on me comprenne bien, l’aumône qui m’est faite ne constitue pas à mes yeux un salaire décent puisque j’ai une haute estime de moi, mais cela n’est rien au regard de ce qui se trame dans la fonction publique : nous attendons tous, lorsque nous nous adressons à un service d’État, que notre cause trouvera une oreille attentive, même si elle a l’honnêteté de nous faire comprendre que notre démarche est déplacée, incongrue, disproportionnée (cochez donc ce qui vous sied).

J’ose espérer que, si je suis malade, je trouverai un médecin, un chirurgien, une infirmière à même de prendre en charge ma détresse. Il en est de même de notre justice et des personnes qui y concourent, personnel de greffe, magistrats, avocats, etc. Je ne fais pas, au final, de distinguo entre professions libérales et fonctionnaires dès lors que nous avons tous conscience de concourir à un même bien général. Et je conchie ceux qui s’attribue ces oripeaux pour d’autres fins.

Or, l’on voudrait faire croire, au nom d’une politique qui n’a de libérale que l’économie (et je ne vise aucun parti en particulier), qu’une rentabilité peut se faire sur le principe d’une baisse des moyens d’exercer. Qui peut dire combien de personnes malades, combien d’infractions au code de la route, combien de couples devant se séparer composeront les cohortes des mois à venir ?

Qui souhaite voir sa fin de vie allégée par des bricolages « parce qu’on a plus les ressources », son divorce sans cesse repoussé « parce qu’on a plus de budget imprimante », sa sécurité mise en attente « parce qu’on a pas les effectifs pour intervenir » ?

J’ai, salaud parmi les salauds de nantis, fais grève et manifesté aujourd’hui, non pas pour moi, ni pour mes collègues, mais pour mes concitoyens. Et si vous avez des doutes, je ne peux rien y faire si ce n’est vous considérer d’un air désolé, et regretter que ce bien commun, cette maison commune que nous avons, génération après génération, contribué à construire, vous souhaitiez la laisser à l’abandon.

Cyberkek

mardi 29 avril 2014

J'aime mon métier

Par Bobcat


J’aime mon métier. Il est vrai qu’à la loterie de l’affectation, j’ai été un peu déçue d’échouer à un poste à haute teneur administrative, le secrétariat de la Première Présidence d’une Cour d’appel, ce n’est pas vraiment le poste dont on rêve quand on passe le concours. J’ai néanmoins la chance de travailler au sein d’une équipe sympathique, dynamique et supervisée par une GEC[1] compréhensive et des magistrats agréables, compétents, qui se sont tout de suite attachés mon respect et mon estime. Alors j’aime mon métier.

Depuis le début de la mobilisation, je lis les articles qui parlent de nous et de notre profession, et même si j’avais conscience de faire partie du côté obscur du métier (non seulement, nous portons une robe noire mais en plus nous sommes dans l’ombre. Greffier ninja!), je ne m’attendais pas à lire certains commentaires désobligeants proposant de supprimer notre profession de “gratte-papier” et de nous remplacer par des logiciels de reconnaissance vocale.

La méconnaissance que le grand public peut avoir de notre métier est particulièrement blessante quand on sait que le greffe est en première ligne face au justiciable. Le greffe est le premier contact du public avec la justice et pourtant, rares sont ceux qui savent vraiment ce que fait un greffe. Non, nous ne sommes pas limités à de la prise de note même si c’est souvent l’impression que nous donnons. Non, nous ne faisons pas que des photocopies même si nous passons tellement de temps devant le photocopieur que nous avons tendance à lui parler pour l’encourager à aller plus vite quand nous nous croyons seuls.

Nous sommes fatigués (j’ose m’inclure, vous comprenez, je suis solidaire de mes collègues même si je ne suis pas encore abîmée par le métier). Fatigués d’essuyer les plâtres, fatigués d’avoir l’impression de compter pour des nèfles, fatigués de ne pas être estimés à notre juste valeur alors que tous les jours nous sommes des milliers à nous casser la chute de reins pour que le fauteuil roulant de la Justice roule un peu plus loin malgré tous les bâtons qu’elle se met elle-même dans les roues.

J’ai peu d’espoir que notre mobilisation des ces derniers temps nous obtienne quoique ce soit. Mais si nous ne faisons pas entendre nos voix, personne ne le fera pour nous.

Alors je fais grève aujourd’hui, même si je suis venue travailler parce que les deux tiers des urgences devaient être traitées avant mercredi et même si je repasserai sans doute ce soir, histoire de vérifier que tout est bien carré.

Et je vais aller manifester tout à l’heure en robe parce que j’aime mon métier. J’aime mon métier, je trouve ça immensément gratifiant de faire partie de ce rouage de la démocratie. J’en tire une grande satisfaction et un incommensurable honneur. C’est peut-être un peu ridicule de dire ça, mais j’aime mon pays et ça me fait plaisir de me dire que grâce à moi, à ma maigre participation, ma nation peut exercer son droit régalien de rendre la Justice. C’est aussi très idéaliste, mais que voulez-vous, je suis (encore) jeune et l’idéalisme est ma prérogative.

Bobcat

Note

[1] Greffier en chef. NdEolas

J'ai fait un pacte avec la justice

Par un bébé greffier arrivé à maturation


J’ai fait un pacte avec la justice : Parcours d’Accès aux Carrières Territoriales de l’Etat

J’ai fait un pacte avec la justice, qui m’a sauvé la vie ce 3 septembre 2007, jour de mon affectation en tant que catégorie C dans une prestigieuse cour d’appel. J’avais 20 ans et j’ai tout plaqué pour monter à Paris

Pas de parcours universitaire, pas de bac en poche, juste une furieuse envie de faire quelque chose de ma vie ; ça y est on m’avait enfin donné ma chance !

Pour moi le monde judiciaire (même si je n’y connaissais strictement rien à l’époque) était un monde où j’avais la sensation d’apporter quelque chose aux autres.

J’ai travaillé quelques années dans un service visiblement évité par tous et où on m’avait placée : et oui ! petite dernière arrivée oblige : Apostille[1] ! Quel doux mot. J’en avais des joujoux , des beaux tampons ! Quelques centaines de justiciables par jour, deux personnes au guichet, le public énervé par l’attente. Ce fut difficile mais pas sans émotions.

Ainsi, lorsque cette femme ayant, au bout de quelques années d’attente enfin obtenu l’adoption de sa petite fille, vint nous voir les yeux rouges pleins de larmes une plante dans les bras pour nous dire : « j’ai quelque chose à vous annoncer, nous avons ramené notre petite fille mais mon mari n’a pas survécu à un crash d’avion en allant la chercher… » C’est ce jour là que j’ai tout compris.

J’ai fait plusieurs autres services et puis, un jour, j’ai enfin eu les années d’ancienneté requises pour passer ce fameux concours de greffier en interne.

J’ai obtenu ce concours avec l’aide de beaucoup de personnes, qui m’ont apporté leurs connaissances, leur savoir, leur aide et leur soutien. Oui, comme me le disait une collègue ce métier fait rencontrer des personnes avec qui l’on partage beaucoup de choses.

Une fois ce concours obtenu, à 25 ans, j’ai fait (comme l’a dit Max) “la potiche, le stagiaire, le TÉKITOI” pendant 18 mois…18 mois où je suis restée passionnée, mais parfois désespérée aussi …

- déçue quand on m’a annoncé qu’évoluer dans sa carrière c’était bien mais que l’ancienneté ne serait reprise qu’aux deux tiers…

- agacée quand, à une réunion lors de mon dernier passage à l’école, on nous annonça qu’il n’était pas possible de permettre aux greffiers, en pré-affectation sur leur poste, de récupérer leurs heures supplémentaires, qu’ils ne donneront pas officiellement l’autorisation d’en faire, parce que, vous comprenez, sinon les 18 mois de formation ne seraient pas justifiés, qu’elle passerait à 1 an et que par conséquent la revalorisation de notre statut/indice ne pourrait se faire !

- dubitative, quand notre ministre nous annonça en personne à l’école que notre revalorisation sera reconsidérée en 2015… quand je vois le résultat aujourd’hui….justice du 21e siècle…

J’ai intégré le service de l’instruction en région parisienne pour ma première affectation en tant que greffier, je suis passionnée par ce service, comme Wonderwoman l’a si bien expliqué, cette multitude de compétences et de rapports humains et à la fois passionnant et émotionnellement difficile, mais je ne regrette en rien mon choix.

Mais je suis fatiguée quand je vois quel combat c’est d’être greffier stagiaire dans ce genre de service où les heures ne se comptent pas et où il est impossible de se les faire payer et presque impossible de les récupérer…

Aujourd’hui, titularisée depuis peu, j’ai 27 ans et cela fera 7 ans en septembre que je suis fonctionnaire de la justice ; 7 ans mais mon point d’indice n’a que très peu évolué et mon salaire a augmenté d’à peine 100 euros…

Je n’ai pas perdu cette passion pour ce métier et je continue toujours de l’aimer autant et d’y passer une grande partie de mon temps au détriment de ma vie privée parfois.

Toutes ces histoires entendues, ou ces photos sordides vues, m’ont parfois brisée mais m’ont toujours donné envie de continuer parce qu’un greffier (ou autre) passionné, c’est un bon greffier!

Alors oui je suis en colère : j’ai fait un pacte avec la justice un jour, j’ai promis cette année là en 2007 devant un jury de m’investir plus que jamais si elle me donnait ma chance.

Je suis en colère parce que j’ai tenu ma promesse et fait plus encore.

Je suis en colère parce qu’ils sont avec moi des milliers à le faire, des C jusqu’aux A.

Et que je ne supporte plus d’entendre “il faut faire des efforts”. Ces efforts nous les faisons, tous les jours mais je ne suis pas certaine du tout, qu’en face, on les voie, les apprécie ou les considère.

Je vous remercie Maître pour ce si bel hommage, et pour cette opportunité d’expression.

Loin de moi la prétention d’avoir une aussi belle plume que certains mais je souhaitais vous faire partager cette expérience peu commune qu’est le contrat-Pacte.

Note

[1] L’apostille est une procédure de légalisation simplifiée, prévue par la Convention de La Haye du 5 octobre 1961. C’est une authentification normalisée d’un acte judiciaire français afin d’assurer aux autorités d’un Etat étranger lui aussi partie à cette Convention que le document est bien authentique, afin qu’il puisse produire des effets juridiques dans ce pays étranger. Très utilisé en matière d’adoption internationale notamment. NdEolas

lundi 28 avril 2014

Moi, Maxime F., 25 ans, greffier, passionné…

Par G.I. Max, un greffier (presque) idéal…


Je suis un greffier travaillant dans un service correctionnel, titulaire depuis peu, et comme le maître des lieux offre son blog comme tribune pour s’exprimer j’aimerais décrire ma (très brève) expérience. Partager des moments de vie du greffe, qui ont fait que si je suis en colère aujourd’hui, la passion (naissante) est restée intacte. Il y a 3 étapes dans la vie de greffier. La première c’est la découverte, celle où tout est possible, tout est émerveillement, des robes d’audiences au langage si particulier. C’est la période de scolarité puis de stages. Puis vient la routine, où s’installe le train-train quotidien, où les audiences deviennent notre lot quotidien et l’on n’y fait plus attention. Dans la majorité des cas, ça s’arrête là. Mais parfois un événement change la donne, le simple battement de cil d’une greffière en chef ou un mail anodin. Oui, parfois, un petit rien peu tout faire basculer. C’est cette histoire que je veux vous conter.

Épisode 1 : La découverte

Tous les fonctionnaires ont vécu la même chose. Chaque carrière commence par une liste. Une simple liste. Et un classement. Les réactions diffèrent. Certains se disent : « Ah bon, j’avais passé ce concours moi ? » quand d’autres fondent en larmes car c’est l’aboutissement de longues années d’études. Moi je n’étais ni dans l’une, ni dans l’autre situation. J’étais juste heureux d’avoir réussi un concours que je pensais avoir sérieusement loupé. A cause d’un oral où je ne fus pas des plus brillants, ayant confondu Perrault avec Pergaud (oui, c’est une honte, je sais).

Vient ensuite le temps de la scolarité. Quelques semaines à l’école, pour apprendre les bases de son futur métier. Puis quelques mois de stages en juridiction pour voir qu’en fait, ce n’est pas du tout ce que l’on a appris à l’école.

De ces stages, je retiendrai avant tout des rencontres magnifiques, des histoires touchantes aussi. Et pour bien commencer, à peine arrivée dans la boutique, le stage découverte, celui que l’on fait pendant 2 semaines, en tout, tout début de scolarité. Dès le premier jour, je me suis retrouvé dans le grand bain quand à midi, avec ma compagne d’infortune nous avons eu l’honneur de manger avec des stagiaires plus anciens (appelés aussi en juridiction « bébé greffier » ou « TéKiToi ») qui nous ont dépeint un tableau des plus horribles. « Les stages c’est l’enfer vous verrez ». « Et puis elle, c’est la pire, vous allez souffrir ». OK, je pleure tout de suite ou je peux finir mon steak frite ?

Mais plus le temps a passé et plus je me suis dit que ça n’était pas si mal. Alors certes, il y a eu des jours “plante verte”, où je suis resté dans mon coin, n’osant signaler ma présence. D’autres jours bouches trous, où j’ai fait le boulot que personne ne voulait (mais bon, c’est le métier qui rentre).

Et puis il y a cette audience au correctionnelle qui ne veut pas finir, la greffière qui reçoit un appel pendant la pause, personne ne peut aller chercher ses enfants à l’école, et ils sortent dans 10 minutes. Il reste une quinzaine de dossiers, on n’est pas sorti avant au moins 20 heures. Et dans son malheur elle me propose de m’en aller, parce que je suis en stage. « Heu, non je vais rester, si je peux t’aider ». Au final, elle aura trouvé quelqu’un et on aura fini à 21 heures. Parce que, oui, ça bosse dans les greffes, mine de rien.

En près de 7 mois, j’ai vu des collègues débordé(e)s, pour qui l’arrivée du TéKiToi était vécu comme une véritable bouée de sauvetage. J’ai d’ailleurs parfois craint d’être séquestré (c’est ça d’être un TéKiToi efficace). Mais j’ai aussi vu des collègues parler avec passion d’un métier qu’elles aiment. Et puis il y a aussi ces histoires, ce jeune homme en HO (hospitalisations d’office pour les non-initiés) qui craque en pleine audience et fait ressortir tout ce qu’il avait enfui en lui depuis de trop longues années, les regards qui se croisent avec la greffière, les larmes qui commencent à monter, et se dire qu’il faut se ressaisir. Ou alors cet enfant qui dans la confidence d’un cabinet du juge des enfants avoue qu’il préfère vivre avec son père, parce que maman elle ne lave jamais mes vêtements, que ça sent pas bon chez elle, lui qui réussit à nous faire rire en demandant comment on devient juge parce que ça doit être bien de pouvoir avoir un grand bureau. Bref, rapidement les stages sont finis et on choisit notre poste.

Épisode 2 : La routine

Pour moi, ça sera le service correctionnel d’un tribunal de province, en gros des audiences pénales. Le choix que je voulais, c’est parfait. Et puis avoir son propre bureau, il n’y a rien de mieux. Même si, comme on est le dernier arrivé, ce n’est pas le plus enviable des bureaux dont on hérite. Bref, après quelques semaines d’adaptation (et un retour express à l’école, pour revoir ses amis et, éventuellement être formé sur son futur poste) je suis complètement installé. Mes nouveaux collègues sont, pour certains devenus des amis. Et je commence même à former mes premiers stagiaires, dont certain(e)s nous abreuvent de questions.

Viens ensuite la première audience, celle qu’il faut prendre tout seul, comme un grand. Le réveil est difficile le matin, la nuit a été courte et les papillons qui volent et virevoltent dans le ventre, la gorge qui se serre plus les minutes avancent avant que le magistrat n’arrive et que les débats soient ouverts. Et puis plus les audiences s’enchaînent, moins on angoisse. Certes, il y a toujours un peu d’appréhension, mais la confiance s’installe peu à peu, et je prends le rythme.

Et la routine s’installe. Une audience, des jugements à « mettre en forme », à faire signer, puis l’audience à exécuter. Inlassablement. Il y a aussi le courrier à traiter. Et puis il y a les gens. Quand une audience finit à 22 heures, un justiciable resté jusqu’au bout, me dit : « Finalement, ça bosse les fonctionnaires ». Un jeune délinquant qui rentre avec ses amis (complices ?), dans le bureau et qui me dit qu’en fait je fais juste des copies et des tampons, c’est pourri comme boulot. Et l’un de ses amis qui lui dit : « T’es ouf ou quoi, ils font pleins d’autres choses, wesh le greffier, j’ai pas raison? ».

Après 6 mois d’apprentissage sur mon poste, arrive enfin le moment de la titularisation. Ça y est, je ne suis plus un bébé greffier, plus un TéKiToi. Je suis devenu un grand, l’espace d’un week-end seulement. Et la vie continue. Certaines audiences où l’on finit tard et les magistrats qui nous abandonnent à la fin, nous laissant seul avec les prévenus pour la plupart devenu condamnés à qui l’on doit remettre des papiers, faire signer des notifications, expliquer la peine ou sa mise en œuvre et les fameux droits fixe de procédure, et bien souvent écouter les reproches, si ce n’est les insultes, voir les menaces. Certaines histoires cocasses comme celle de ce voleur du dimanche qui se ballade en survêtement jaune fluo avec une grosse boite à outils orange flashy en plein jour pour voler des autoradio et qui ne comprend pas comment on a bien pu le reconnaître. D’autres beaucoup plus touchantes, comme celles de ce garçon qui a pris le volant et qui n’aurait pas dû, de l’alcool, une dispute avec sa petite amie, une vitre brisée, un virage un peu serré, un arbre et son meilleur ami à jamais envolé. Lui totalement effondré, et dans la salle d’audience, chacun retient ses larmes (ou pas d’ailleurs, une justiciable victime dans une autre affaire de l’audience éclate en sanglots) quand l’avocate de la défense lit la lettre d’excuse que le prévenu à écrit aux parents de la victime. Et la famille de ce jeune homme qu’il faut rassurer à la fin de l’audience, à qui il faut expliquer que non, votre fils n’ira pas en prison, la peine aménageable. Essayer de trouver les mots, alors qu’à 26 ans seulement, je ne sais pas vraiment quoi dire. Et leur souhaiter bonne chance pour la suite. Personne à qui raconter cette histoire, le soir, en rentrant dans mon petit appartement. Bref, le lot du quotidien.

Épisode 3 : Le changement

Depuis le début je savais que le ministère de la justice c’était pas vraiment le jackpot. Qui n’a pas vu à la fac que la France est 37ème sur les 43 pays du conseil de l’Europe en matière de budget de la justice, qui manque de moyens financiers et humains. Et puis mon père, qui, me demandant mon salaire me fait remarquer que j’ai le même indice que les contrôleurs des douanes, alors que j’ai été recruté à bac + 2 quand ces derniers le sont niveau bac. Et lorsque lors d’une rencontre avec des lycéens, un jeune me demande mon salaire. Et qu’il me répond : « Ouais, en fait c’est nul, genre tu dois faire de longues études pour être moins payé qu’un éboueur, moi je préfère arrêter l’école et ramasser des poubelles, en plus t’es dehors et pas enfermé dans un bureau »…

Alors oui, il aura suffit d’un mail en provenance d’Agen pour avoir envie de faire bouger les choses, pour se dire qu’il y en a marre de subir, qu’il faut se battre. Parce que bosser pendant 42 ans (jusqu’à 68 ans pour moi, au mieux) dans ces conditions, ça ne sera pas possible. Si certains font ce métier par défaut, ou en attendant mieux, d’autres le font avec passion, malgré les difficultés. C’est pour nous, pour eux, pour vous aussi, oui, vous qui nous lisez et qui subissez les conséquences. Les retards parce que l’on manque de temps, toujours, de matériel, parfois. Les délais qui se rallongent, les tribunaux qui s’éloignent et vos problèmes qui restent quelquefois sur le bord de la route, vous attendant à côté. C’est pour cette raison que je ferai grève le 29 avril. J’aime mon métier, et j’aimerai que l’on me le rende bien (enfin un peu, même pas beaucoup, mais un peu quoi…)…

samedi 26 avril 2014

Je ne suis pas une potiche

Par Famalice, greffière à l’application des peines.

Les greffiers, depuis un mois, dans les journaux et ici-même depuis une semaine ont tellement bien parlé de ce métier je ne voudrais pas répéter ce qui a déjà été dit. Je m’arrêterais donc sur des exemples de moments qui, en 20 ans de carrière, m’ont « chiffonnée »…

Arrivée au greffe de l’instruction à 8 heures pour pouvoir travailler tranquillement car, bien évidemment, le greffier d’instruction n’a pas que les interrogatoires et auditions, il y a tout ce qui va avant et après. Mais, le magistrat n’arrivant qu’à 11 heures, il a assez d’énergie pour terminer sa journée plus tard que moi. Ça m’énerve

Faire un transport de nuit, se coucher à 4 heures du matin, et être obligée d’ouvrir à la même heure le greffe le demain matin. ça m’énerve

Etre de grande semaine instruction c’est à dire de permanence donc travailler 2 semaines non stop y compris le week end, cela ne pose de problème à personne, ça m’énerve

Que votre magistrat ne prenne pas de congés et ne veuille aucun autre greffier que vous, qu’il paraisse normal à votre greffier en chef que vous fassiez de même, ça m’énerve

S’exploser le genou sur les marches du palais de Paris, être forcée de continuer à prendre les PV la jambe allongée sur une chaise et aller à l’Hôtel-Dieu tout seule, ça m’énerve

La formule « copie de l’entier dossier » quoi qu’il arrive alors que le dossier est consultable au greffe et que dans certaines procédures les ¾ du dossier n’ont aucun intérêt. Ça m’énerve

Je suis énervée également lorsqu’un avocat qui assistait déjà la personne en première instance n’a pas demandé de copie et le fait devant moi en appel sous prétexte que je ne râlerais pas (paraît que je suis gentille) et bien évidemment 4 jours avant l’audience alors qu’il est avisé de celle ci depuis 2 mois. Ça m’énerve

Pendant l’audience que le Président ne se rende pas compte qu’il y a trop de bruits et que je n’entends rien pour prendre ma note d’audience : ça m’énerve

Que les avocats viennent me poser des questions pendant que je prends mes notes. Ça m’énerve

Que l’audience continue lorsque j’ai besoin de m’absenter pour régler un problème. Ça m’énerve et j’acte dans mes notes.

Qu’on me demande de faire des zoom avec la télécommande de la visioconférence alors que je prends mes notes. Ça m’énerve. J’ai bien essayé d’avoir un œil sur mon stylo et l’autre sur l’écran mais sans succès.

Que la visioconférence ne fonctionne pas ou fonctionne mal et que toute la Cour se retourne vers moi comme si j’en étais responsable : ça m’énerve

Lorsqu’à la fin de l’audience, le président discute avec ses conseillers et le ministère public comme si je n’étais pas là : ça m’énerve.

Lorsque toujours devant moi il demande à ses conseillers et à l’avocat général s’ils veulent manger un petit bout quelques part et pas à moi : ça m’énerve

Entendre un magistrat délégué syndical me demander naïvement : je n’ai pas bien compris ça sert à quoi un greffier : ça m’énerve mais alors beaucoup beaucoup ( non je ne lui ai pas fait manger son code mais ce n’était pas loin)

et le gros gros truc qui m’énerve c’est lorsque des magistrats se demandent pourquoi on manifeste alors que :

Je suis le greffier de la chambre de l’application des peines. La chambre dont tout le monde se fiche. Elle ne concerne que des condamnés, pas de délais à respecter ou si peu donc si je devais me cantonner à mes tâches :

  • j’attends que les dossiers d’appel arrivent

  • j’attends que le président et l’avocat général viennent les voir pour me donner une date d’audience

  • je convoque

  • je vais à l’audience

  • je mets en forme les délibérés

  • je notifie les délibérés

  • je range le reliquat dans les cartons

La réalité : les décisions du juge de l’application des peines sont exécutoires par provision c’est à dire que les personnes libres et condamnés à de l’emprisonnement peuvent aller en détention même si elles ont fait appel. Il s’agit souvent de peines courtes, l’appel devient facilement sans objet. Alors oui ce sont des condamnés mais il y a des textes à respecter. Le législateur a estimé que ces personnes ont droit de faire appel et les textes doivent être respectés, c’est ça être garant de la procédure aussi. Ce que je fais en réalité :

  • dès réception de la déclaration d’appel je me jette sur le logiciel national pour voir la situation de l’intéressé pour savoir si je dois demander le dossier en urgence. Il m’est arrivé d’audiencer un dossier bien avant de recevoir le dossier à l’aide de 3 logiciels nationaux qui me permettent de récupérer pas mal d’informations et de plusieurs appels téléphoniques au greffier du JAP, au greffe des maisons d’arrêts et au conseillers d’insertion et de probation.

  • à l’arrivée des dossiers, je mets de côté les appels irrecevables, sans objet, les désistements, je prépare les réquisitions et une fois celle ci signées l’ordonnance : ça permet de gagner du temps car„,tant que cela n’est pas fait même si ce sont des décisions qui ne paraissent pas importantes, tant que l’irrecevabilité ou le désistement n’est pas constaté, la situation de la personne ne sera pas définitive et il ne pourra bénéficier des réductions de peine, ne pourra pas faire réétudier sa situation avec son nouveau projet. J’ai connu un détenu qui est sorti en « sortie sèche » parce que l’appel ne m’était pas parvenu. Lorsque la détention m’a fait part du problème, avec les réductions de peines auxquelles il aurait eu droit il aurait pu sortir 1 mois plus tôt. Je n’ai pas demandé le dossier mais ai demandé au parquet général de signer un ordre de libération.

  • Je décide de l’urgence des dossiers et les audiences seules. Je ne vois aucun magistrat ni du parquet ni du siège qui vient consulter les nouveaux dossiers.

  • Je vais à l’audience bien évidemment

  • je ne mets pas en forme les décisions sinon je peux vous assurer que la plupart d’entre elles reviendraient pour difficulté d’exécution. Je rédige souvent le rappel des faits et le par ces motifs car sinon les arrêts se termineraient par : confirmation ou infirmation. C’est un peu léger pour faire exécuter un arrêt. Dès que j’ai connaissance de la décision je dois souvent regarder ce qu’il va advenir du condamné. Certains vont sortir rapidement en libération conditionnelle. Je contacte souvent le SPIP pour avertir afin que, sans dévoiler la décision avant la date, ils puissent organiser la sortie au cas où. Il y a aussi les placements sous surveillance électronique. Et non, mesdames et messieurs les magistrats, le bracelet ne pousse pas autour de la cheville dès la date prévue. Il faut contacter la personne chargée de la pose, voir une date de disponibilité car cette personne est souvent seule pour tout un département.

Et alors le pompon : une décision de semi-liberté probatoire à une libération conditionnelle sans durée de semi-liberté et date de fin de libération conditionnelle. Ben oui ça va pousser aussi tout seul sur mon traitement de texte puisque je ne mets qu’en forme les décisions. A la question posée au magistrat : combien de temps la semi-liberté, la réponse n’a été qu’un haussement d’épaule indiquant que ce n’était pas vraiment son problème. Nous avons tout décidé seules avec la conseillère d’insertion et de probation (CIP). Je suis souvent en rapport avec les CIP et heureusement. Si je n’arrive pas à travailler en équipe avec certains magistrats ce n’est pas le cas avec les SPIP (Service Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, là où travaillent les CIP) avec qui j’ai démêlé beaucoup de situations.

Bref non je ne suis pas une secrétaire, je suis obligée de prendre beaucoup d’initiatives et de responsabilités (ce que je vis également quand je fais des remplacements au service d’exécution des peines) et j’en suis fière. Mais s’il vous plaît ne demandez plus : à quoi ça sert un greffier parce que…CA M’ENERVE !!!!!

jeudi 24 avril 2014

Fière d'être greffier

Par Finger in the noz


Comme tous mes collègues, je prends mon clavier et exprime à mon tour ma consternation.

Permettez-moi de vous narrer un morceau de mon histoire d’ « amour » avec la justice…

Je suis rentrée au sein du ministère il y a maintenant 21 ans avec seulement un BEPC en poche, mon travail n’est pas toute ma vie mais une bonne partie d’elle. J’ai grandi dans tous les sens du terme au sein de cette administration, j’ai rencontré des gens extraordinaires qui m’ont aidé, entouré et même parfois cajolé, j’ai été la « môme caca » et je suis devenue une professionnelle passionnée par son métier, motivée et fière d’appartenir désormais à ce corps de greffiers !

… mais boudiou que c’est dur de travailler avec l’élite de la nation que sont les magistrats et avec les avocats qui connaissent tout mais qui passent leur temps à nous solliciter sur telle ou telle procédure !

Rendez vous compte que lorsque je tiens mon audience tous les mardis, les avocats dits de l’extérieur, se présentent comme de coutume au tribunal… oups pardon… aux magistrats, qu’ils serrent la main et s’arrêtent à mon niveau ! Le jour où j’ai pris le bouillon et que j’ai osé dire en audience que si vous considérez que le greffier ne méritait pas qu’on lui serre la main alors que ma main est propre et honorable, c’est que vous considérez messieurs et mesdames les avocats, ainsi que les magistrats, que je ne fais pas partie de la composition du tribunal et qu’à ce titre je n’ai aucune raison d’assister à l’audience ! En dehors du fait que je suis passée pour une hystérique, il n’y a eu aucune réaction ! je suis bien entendu restée en audience à contre cœur (c’est mon métier !), mais ça prouve que le respect n’est pas à la portée de tous et ne s’apprend pas dans les bouquins !

Là où ma naïveté a atteint son paroxysme, c’est de voir la réaction de certains magistrats dont j’étais convaincue qu’ils seraient les premiers à me/nous soutenir. Je ne fais pas le procès des magistrats (ce serait un comble pour un greffier) et je me suis toujours refusée de comparer des choses qui, à mon sens, ne sont pas comparables ; mais certaines réactions me choquent et m’attristent beaucoup. Moi qui croyais être reconnue en tant acteur important dans les rouages de la justice… la chute est brutale !

Pas plus tard qu’hier , et après avoir rappelé à un magistrat péteux que je n’étais pas sa secrétaire mais greffier des services judiciaires et qu’à ce titre j’organisais mon greffe comme je l’entendais et avec les moyens mis à ma disposition (monsieur se plaignait que ces jugements ont été mis en forme avec un jour de retard…), je me suis entendue dire par mon président de chambre à qui je narrais l’incident qu’il était vrai que je n’étais pas sa secrétaire attitrée mais plutôt la secrétaire du greffe ! les bras m’en sont tombés ! Que voulez vous répondre à ce genre d’ignorance ?

Bref, je ne vais pas détailler le « corvéable à merci » des fonctionnaires de justice car ce serait une redite. J’ai toujours su qu’un jour les fonctionnaires de justice se rebelleraient. Alors ne lâchons rien, ce qui se passe en ce moment est historique, jamais les fonctionnaires de justice n’ont autant effrayé par notre conviction et surtout notre grande solidarité !

Chers collègues ce pouvoir de bloquer cette grande machine qu’est la justice nous l’avons et peu importe le mépris des uns et des autres, on sera entendu j’en suis certaine !

Me EOLAS un grand merci à vous.

Laissez moi exercer mes futures fonctions et donnez moi les moyens de les exercer !

Par Chaton en chef

Nous parlons greffier, nous parlons adjoint, faisant fonction de greffier ou non. Mais nous parlons peu des greffiers en chef, directeurs de greffe et chefs de greffe (greffier faisant fonction de greffier en chef)

La rue en parle peu, la réforme elle même en parle peu…

Je ne suis qu’un chaton (*) parmi les greffiers en chef, tout juste stagiaire et bien loin de la titularisation. Pourtant, je ne pense pas être un chaton au sein des services judiciaires. Il y a un peu plus de dix ans de ça, je foulais pour la première fois le sol d’un TGI en tant qu’adjoint administratif. J’ai ensuite été faisant fonction de greffier durant quelques années puis greffier, avant de réussir à intégrer ce corps de catégorie A. J’ai connu des juridictions de taille plus ou moins importantes, du sud au nord et d’ouest en est du territoire national.

J’avais d’ailleurs déjà laissé mon empreinte sur ce blog, lorsque le maitre des lieux l’avait ouvert à la grogne du monde judiciaire. C’était un 23 octobre, on était en 2008, et la colère grondait déjà. Depuis, elle n’a jamais été réellement apaisée, elle a juste été étouffée.

Je ne me permettrai pas de parler au nom de tous les greffiers en chef de France, débutant dans ces fonctions, je ne parlerai que selon mon expérience personnelle.

Le greffier en chef, élément méconnu du monde judiciaire, être humain placé entre le marteau et l’enclume, chair à canon confronté aux assauts des magistrats d’un côté, des fonctionnaires de greffe de l’autre, quelques fois des auxiliaires de justice voire directement de la Chancellerie, placée en embuscade. Et croyez bien, que chacun tire à balles réelles et parfois (souvent?) sans coup de semonce !

Fonctions méconnues, oui.

Apostrophez une personne choisie au hasard dans une rue ( et même à la sortie d’un palais de justice), demandez lui ce qu’est un magistrat, elle vous répondra. Demandez ensuite ce qu’est un greffier, elle hésitera et vous répondra vaguement que c’est la secrétaire du juge, la dame qui est assise à côté de lui et qui écrit pendant l’audience. Elle sera bien éloignée de la réalité mais aura au moins le mérite de connaitre son existence. Demandez lui enfin ce qu’est un greffier en chef. Elle vous regardera avec de grand yeux ronds, un air ahuri, haussant les épaules avec dans le regard ce vide de celui à qui l’on vient de demander de nous expliquer la théorie de la relativité…

Mais, je ne pourrais blâmer cette personne, puisque moi même, avant de faire un pas dans ce corps, je ne savais réellement en quoi consistaient ces fonctions. Comme beaucoup de greffiers et adjoints, je contestais les décisions prises par mon supérieur hiérarchique direct, autour de la machine à café, les critiquais à grands coups d’arguments que je pensais irréfutables.

Désormais, je comprends… Du moins, je commence à comprendre…

Mais qu’est ce qu’un greffier en chef au fond?

Quoi de mieux, pour répondre à cette question, que de citer son statut particulier :

Article 2 du Décret n°92-413 du 30 avril 1992 portant statut particulier des greffiers en chef des services judiciaires

« Les greffiers en chef ont vocation à exercer des fonctions administratives de direction, d’encadrement et de gestion dans les juridictions. Ils ont également vocation à exercer des fonctions d’enseignement professionnel. Des missions ou études particulières peuvent leur être confiées.

Les fonctions de direction peuvent s’exercer notamment à la direction d’un greffe ou d’un service administratif de greffe ainsi qu’à l’Ecole nationale des greffes.

Les fonctions de gestion peuvent comprendre notamment la gestion des personnels, la gestion des moyens matériels, la gestion financière et budgétaire, la gestion de l’informatique, la gestion de la formation, la coordination de ces différentes fonctions dans les services administratifs régionaux.

Les fonctions d’enseignement peuvent être exercées à l’Ecole nationale des greffes ou dans les juridictions.

Les greffiers en chef ont vocation à assister le juge dans les actes de sa juridiction, dans les conditions prévues par le code de l’organisation judiciaire, le code du travail et les textes particuliers. »

Ceci ne vous éclaire pas d’avantage? Je serai donc plus synthétique : un greffier en chef dirige, encadre, gère , parfois enseigne et peut avoir certaines activités juridictionnelles. Ces missions, il les exerce sous l’autorité ou sous le contrôle des chefs de cour (premier président et procureur général des cours d’appel), de juridiction (président et procureur de la République des tribunaux de grande instance) ou des magistrats délégués à l’administration du tribunaux d’instance.

Voilà en quoi, il est placé entre le marteau et l’enclume : il dirige des fonctionnaires de greffe mais est soumis à l’autorité hiérarchique de magistrats.

Et pour illustrer ces fonctions, j’aimerais simplement citer quelques propos émanant de greffiers en chef titulaires, et captés au gré de ma formation initiale :

« Vous verrez, le quotidien d’un DG (directeur de greffe), c’est l’application à chaque instant de la Loi de Murphy, la théorie de l’emmerdement maximum !Vous arrivez chaque matin avec plein de projets pour votre journée et vous repartez chaque soir en prenant conscience que vous n’avez pu absolument rien faire de ce que vous aviez prévu… »

« Le principe des demandes budgétaires ? C’est simple : listez moi tout ce dont vous avez besoin et je vous expliquerai comment vous en passer! »

« En tant que DG, j’ai l’impression d’être un couteau suisse… »

« Le but est de faire mieux avec moins… »

Faire mieux avec moins

Voilà qui résume parfaitement le fonctionnement actuel des services judiciaires : des dotations budgétaires toujours moindres et une demande constante et croissante de rapidité, d’efficacité, d’efficience, d’amélioration et … d’économie!

A titre d’exemple, le TGI au sein duquel je suis actuellement affecté s’est vu accordé une enveloppe diminuée de 100 000 euros par rapport à celle allouée pour l’année précédente… sur un budget de fonctionnement de l’ordre de 400 000 euros ! Là, ça coince… On sait d’ores et déjà qu’en cours d’année, on ne pourra plus payer. Le but n’est même plus de boucler l’année budgétaire mais bel et bien de repousser la date de cessation de paiement…

Et nous devons chaque jour travailler dans ces conditions. Et ce budget ne vise que les dépenses obligatoires, inéluctables, celles découlant des nécessités de fonctionnement de base de la juridiction (électricité, chauffage, eau, entretien… bref ce que dans la vie quotidienne, tout à chacun nommerait les « charges fixes ») Dans ces conditions, toute demande de crédit supplémentaires est superflue. Et un greffier en chef doit chaque jour expliqué aux fonctionnaires pourquoi le photocopieur irréparable ne sera pas remplacé ; aux magistrats pourquoi leur fauteuil bringueballant ne sera pas remplacé ; aux chefs de juridiction pourquoi les archives qui encombrent les couloirs et bureaux ne seront pas déménagées ; aux experts pourquoi leurs honoraires ne seront pas payés cette année ; aux avocats pourquoi ils n’auront pas de copies du dossier réclamé depuis des mois, faute de CD-Rom ; aux fournisseurs pourquoi leur facture ne sera pas payée dans le délai légal de 30 jours ; aux chefs de cour, pourquoi nos charges à payer (dettes contractées par l’Etat en année N mais payée en N + 1) augmenteront encore en 2015…

A titre d’exemple, l’année dernière, nous avons cessé de payer les frais postaux à compter de… mars…

En France, on n’a pas de pétrole, en France, on n’a pas plus d’argent, en France, on a des idées, mais de mauvaises idées… Et cette réforme sur la justice du 21ème siècle en est une supplémentaire.

Je ne n’appesantirai pas sur toutes ses facettes. D’autres le feront bien mieux que moi. En revanche je m’attarderai sur le grand méconnu de cette réforme qu’est le greffier en chef.

Elle réorganise, elle refont, elle mutualise. Elle modifie le canevas judiciaire, repense le « maillage » du territoire, réussit l’exploit de démontrer et nous faire croire que le regroupement de toute juridiction au sein d’un (ex) tribunal de première instance permettra une meilleure justice de proximité. Elle crée un nouveau corps hybride, mi greffier, mi magistrat : le greffier juridictionnel. Corps auquel seraient, semble t’il, également dévolues les attributions juridictionnelles incombant aujourd’hui statutairement aux greffiers en chef (délivrance des certificats de nationalité française, vérification des comptes de tutelles, vérification des dépens…), dans le but de les recentrer dans leurs missions premières de direction, encadrement et gestion. Mais le but caché, nous le connaissons tous : la suppression pure et simple du corps de greffier en chef et la création d’un corps commun d’administrateur civil du ministère de la justice, tout droit issu des IRA et ne connaissant du fonctionnement des juridictions que ce que tout citoyen lambda en connait : Le greffier ? C’est le secrétaire du juge ?

Quant à la création d’un TPI par département avec chambres détachées sur les anciens lieux de justice du ressort (TI, CPH), il aura à sa tête un directeur de greffe, semble t’il.

Mais ensuite ?

Actuellement, la plupart des greffes de juridictions (CA, TGI, TI, CPH) sont dirigés par un greffier en chef – directeur de greffe, lequel est assisté par d’autres greffiers en chef en fonction de la taille de cette juridiction (taux d’encadrement préconisé de 1 greffier en chef pour 20 fonctionnaires)

Prenons un département lambda : il y aura a minima un TGI, un TI, un CPH et, a fortiori, 3 postes de greffier en chef. Prenons ce même département après réforme : il y aura un TPI et 2 chambres détachées et, a fortiori, 1 poste de greffier en chef gérant le TPI et les chambres détachées… Si ce n’est pas là l’éradication programmée du corps des greffiers en chef, ça en a l’odeur et la couleur…

Bref, le corps des greffier en chef n’est pas seulement touché par cette réforme, il est menacé dans son existence même!

J’ai choisi d’entrer dans les services judiciaires. J’ai choisi de gravir les échelons un à un, de connaître des trois corps composant sa hiérarchie. J”ai choisi de devenir greffier en chef, non pas tout autre corps de catégorie A de la fonction publique d’Etat, non pas un corps d’administrateur civil, mais bel et bien celui des greffiers en chef! J’ai choisi d’exercer ces missions et aucune autre mais je veux les exercer sereinement, je veux avoir les moyens de diriger, encadrer, gérer, enseigner et exercer les attributions juridictionnelles qui me sont dévolues !

Oui, je suis greffier en chef stagiaire et oui, je suis en colère !

(*) En argot, le terme greffier désigne un chat.

mercredi 23 avril 2014

Sans légende 2

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Le "printemps des greffes" ; quoi d'autre ?

Par Leonidas


Quitte à aborder le quotidien du greffier, autant le faire sans ambages mais en termes mesurés et volontairement distanciés et généraux, en ayant bien à l’esprit que chacun garde quoiqu’il arrive son vécu et son parcours.

Pour ma part, je suis greffier depuis bientôt douze ans ; j’ai travaillé tour à tour dans une des plus importantes juridictions de France en terme de volume de contentieux et d’effectifs, puis dans deux autres structures que l’on dirait “à taille humaine”.

Outre qu’il m’a permis la plus belle rencontre qui soit puisque ce fut ma compagne, l’exercice de ce métier aurait à certains égards les aspects d’un voyage initiatique, tout restant relatif par ailleurs.

Il me faut préalablement préciser que jamais je n’ai eu l’impression d’être privilégié, parce que la réussite à un concours m’a fait entrer dans un corps régi par les droits et les obligations d’un statut, et parce qu’en France la fonction publique est de carrière et non d’emploi.

Donc, puisqu’il faut l’évoquer, travailler en juridiction, c’est tout d’abord, et ce en matière procédurale car c’est le coeur du métier : la responsabilité. Avec toutes les conséquences que cela implique. Du fait de mes passages dans divers services de la chaîne pénale et civile, j’ai apposé ma signature sur des centaines de documents, procès-verbaux, jugements, arrêts, dans lesquels étaient en jeu tour à tour l’innocence ou la culpabilité, la liberté, la réparation des préjudices, sans oublier la tenue des débats en audience publique ou en cabinet. Rappelera-t-on que la sanction de l’authenticité dont nous sommes les garants, c’est le crime de faux en écriture publique ? Ceci dit, n’être pas décisionnaire, puisque c’est le magistrat qui l’est, seul ou en collégialité, serait-ce donc ramener de telles fonctions à si peu de chose, ou bien par trop ignorer d’autres corps de métiers et leur faire ombrage, ce qui n’est pas l’objet de ce propos ?

C’est également la connaissance des circuits de procédure qui s’impose à nous, et l’application des règles qui leurs sont propres. Une manière élégante de faire état de l’activité législative appliquée au travail de greffe, au gré des réformes adoptées et des alternances politiques, serait de dire que lesdits circuits n’ont cessé d’être affinés ; mais les décrire par des termes tels que “complexifiés”, sinon “alourdis”, ne serait en rien exagérée. On peut sans doute parler d’études d’impact à chaque projet ou proposition de loi, je ne pense pas qu’un agent du greffe quel qu’il soit, en ait jamais vu la couleur.

Mais évoquer les circuits procéduraux est une chose. La gestion des flux, leur traitement et leur intégration au sein desdits circuits, c’en est une autre, mais les deux sont inséparables. C’est que, qu’on y voie ou non un stigmate de notre époque, la contraction du temps est inévitable en juridiction. Les exigences tenant à la tenue de dossiers biens ficelés et la masse irréductible de ceux-ci, mis en rapport avec ce temps qui souvent vient à nous manquer, représente à mon sens une contradiction – je n’ose dire une schizophrénie.

Contraction du temps, alors qu’il est d’évidence que le temps judiciaire n’est pas, et ne doit pas être, ce temps médiatique auquel nous sommes tous exposés – et ça, le justiciable ne le comprend pas, mais comment lui en vouloir ?

Contraction du temps, encore, alors que ce qui ressort de l’aspect purement matériel de notre office, c’est tout ce qu’on veut, sauf de la fluidité. L’accueil du public, le téléphone, la case courrier qui déborde, le fax à surveiller, le stock de jugements ou d’arrêts à dactylographier et/ou à exécuter, de convocations ou citations à envoyer, l’application qui rame ou qui plante, le toner à remplacer, le papier qui manque, l’interprète en langue rare à trouver, les délais-couperets à respecter, tout le monde connaît ça.

Je n’aborde pas la disponibilité, bien qu’ayant toujours constaté qu’une audience correctionnelle en TGI ne commençant qu’à 13h30 ou 14h00 ne pouvait que devenir tardive au bout du compte. Je n’aborde pas le progrès qu’apporte la numérisation ; s’il est des entreprises qui ont réalisé le zéro papier, par chez nous la dématérialisation s’est ajoutée à un traitement déjà lourd des dossiers papiers, traitement qui n’en perdure pas moins. Je n’applaudis vivement en matière civile que la communication procédurale par voie électronique, quoique mes collègues civilistes diront que le circuit long dit “Magendie” est synonyme de rallongement des délais d’audiencement. Je n’aborde pas les mutations sollicitées et pas toujours accordées, les difficultés pour se loger que connaissent les mutés et les débutants en sortie d’école, le coût de la vie et bien d’autres choses.

Au fond, on touche ici à la nature même de la façon dont un greffe travaille. Tout pourrait se résumer à la manière dont la réception des flux en amont est organisée et répartie – dans un cadre législatif et procédural contraint, dans un cadre budgétaire contraint, dans un cadre immobilier contraint, et avec cet aléatoire qu’est parfois la gestion des ressources humaines. Ces flux, qui les maîtrise ? Qui en effet peut prédire le nombre d’infractions qui seront commises demain et nécessitant une garde à vue puis un défèrement, la saisine d’un juge d’instruction, d’un JLD, ou d’une juridiction de jugement, ou bien le nombre de licenciements qui seront contestés, de mesures de protection des majeurs à mettre en oeuvre, de divorces, d’hospitalisation d’office, de situations de surendettement… ?

La réponse est simple : personne.

Et pourtant ! C’est de la manière d’appréhender ce traitement que tout dépend. Ce qui importe, n’est-ce pas la réponse que nous devons donner à ces faits sociaux, à celles et ceux qui attendent cette réponse, et dont va découler l’organisation structurelle à adopter en ce sens ? Un greffe, à tout prendre, c’est au moins deux chaînes, civile et pénale. Or, par définition, une chaîne, c’est une division du travail, donc un cloisonnement – et ça peut être un travers, car la tentation est forte que tous les acteurs deviennent opposés. Qu’on me permette une digression – divagation serait plus exact : si nos actuelles émissions télévisées dites de cuisine confondent allègrement, à travers la perfection supposée d’un plat, exaltation du terroir, compétition effrennée, convivialité boboïsante, et satisfaction psychorigide du client glorifié, un greffe ne saurait se réduire à cela ni exister par et pour lui-même ou pour ses membres, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit. De tout cela, le justiciable se moque bien, car ce qui lui importe, c’est la réponse que chacun, quel que soit son niveau de responsabilité, doit contribuer à lui apporter.

Comment ne pas voir que tout cela ne sont que des évidences ? Mais ce sont surtout des fondamentaux, et nous avons certainement besoin de les redécouvrir. Recentrer chaque corps de métier sur la nature même de sa fonction ne peut être qu’un avantage. S’il faut pour une fois pêcher par simplicité, il ne faut pas s’en priver : une bonne fois pour toutes, la décision judiciaire, c’est le magistrat ; la mise en état, c’est le greffier ; la gouvernance, c’est le greffier en chef. Alors bon, obtenir pour le greffier un statut de catégorie A avec une revalorisation de son traitement, oui, pourquoi pas, mais pour tout le monde sans distinction, et ce n’est pas ce qui coûtera le plus cher.

Mais ce n’est qu’un aspect du problème.

Leonidas

Mon métier, c'est greffier

Par lapetiterobenoire


Votre billet a pour mérite, outre la compassion et la bienveillance, de rappeler ce qu’est la profession de greffier : son rôle en tant que GARDIEN de la procédure et AUTHENTIFICATEUR des actes judiciaires. Un greffier n’a nullement besoin d’un magistrat pour chaque jour remplir sa mission, mais un magistrat ne peut rien faire sans son greffier !

Et effectivement il n’existe pas de lien de subordination entre l’un et l’autre, les deux bien que fonctionnaires s’apprécient dans deux corps séparés[1] dont les différences salariales ne cessent d’augmenter tant le corps de greffier est oublié.

Mais mon propos ne saurait comparer les uns par rapport aux autres. Comme partout, il s’agit d’une question de compétence. Et je suis en colère car je suis compétente et cette dernière est sans cesse bafouée, salie, oubliée, disgraciée.

J’exerce depuis plus d’une décennie, je suis diplômée d’une maîtrise en droit privée, mon entourage amical est constitué de pléthore d’avocats, de juristes d’entreprises, de quelques notaires, magistrats et professeurs ou maîtres de conférence en faculté de droit, de politiciens et de fonctionnaires d’Etat ou de collectivités territoriales. Et oui, nous sommes pour la plupart issus de même promotions, nous n’avons simplement pas intégrés les mêmes troisièmes cycles ou obtenus les mêmes diplômes ou examens.

Mes fonctions m’ont amenées à exercer en tant que greffier de cabinet (instruction, enfants, affaires familiales), greffier des Prud’hommes, greffier polyvalent au tribunal d’instance (nationalité, PACS, ordonnances pénales …), greffier administratif responsable de la gestion budgétaire. J’ai comptabilisé l’utilisation de seize logiciels pour lesquels le greffier se forme la plupart du temps sur le terrain avec le bon vouloir de ses collègues.

Je fais le choix de changer de service en moyenne tous les trois ans, délai essentiel à ma motivation d’exercer ce métier que j’aime et qui m’épuise. C’est une décision difficile car non sans conséquences.

D’abord le choix des postes est limité car les postes « tranquilles » c’est à dire sans contraintes horaires essentiellement ne sont jamais vacants longtemps. Ensuite, ma notation annuelle évolue moins vite quelque soit mes compétences puisque bien évidemment il est coutume de ne pas gratifier un nouveau arrivé sur un poste qui ne peut que progresser les années suivantes, et les notes maximums sont limitées (il existe un pourcentage définit par l’administration). Enfin, demander si rapidement un changement de service ou une mutation m’ a constamment été souligné par la plupart de mes chefs de services au motif que cela caractérisait une certaine instabilité ! Quel rapport avec la compétence 

Alors OUI je suis en colère et OUI nous sommes en colère. Cela fait plus d’une décennie que les candidats au concours de greffier, rappelons le recrutés à BAC+2, sont surdiplômés. Cela signifie qu’ils ont de plus en plus la compétence de s’adapter rapidement aux réformes et de les appliquer de manière très performante. Cela signifie qu’ils savent dire NON, non au magistrat qui motive sa décision sur des arguments non transcrits sur note d’audience, non au greffiers en chef qui refusent d’être souples sur les horaires, non aux avocats qui demandent des faveurs dépassant les compétences du greffier, non au justiciable qui fait piquet dans un bureau pour obtenir un jugement non rendu.

Tous ces NON, moi greffier je les dit et redit toujours avec le sourire. Tout ceci pour un salaire que je ne trouve pas dérisoire eu égard à la misère humaine mais scandaleux eu égard aux contraintes de ce métier.

Bref, je suis un greffier en colère, mais un greffier qui aime son métier.

Note

[1] Rien de sexuel. NdEolas

Contribution

Par Crazy Bear, greffier de juge d’instruction dans un cabinet spécialisé en délinquance organisée

On vote pour choisir et payer un service : il est donc inutile de se plaindre du manque de moyen. Allons au moins au zoo comme nous y convie notre hôte.

Quoi qu’en dise mes consœurs et confrères “le greffier juridictionnel” n’est pas exactement une réalité partout. 

Pour ma part, je n’ai pas fonction de “nègre” et m’efforce simplement de faire mon boulot “d’assistant du magistrat”. Je laisse le mien tisser sa toile, il n’a pas besoin de moi pour éditer une commission rogatoire, et je lui mâche son travail jusqu’à un certain point. Aller chercher d’initiative par exemple les cotes qu’il lui faut dans un dossier de quelques tomes pour répondre à une demande ne me paraît pas excéder ce rôle d’assistance. Que l’on sache, motiver une décision de rejet ou un refus quelconque nécessite de prendre le temps de se pencher sur le dossier si l’on prétend ne pas donner au demandeur l’impression que l’on se fout de sa gueule. Ce temps nous manque. Et on le gagne comme on peut : faire le sourd quand il le faut et laisser les uns et les autres changer d’avis ; indiquer encore à un avocat de différer sa demande de mise en liberté parce que tel parquetier est de permanence, cela qui veut dire : “s’oppose”, “appel” et “référé-détention” contre la future ordonnance de remise en liberté. Trouver le “bon” juge, ça relève peut-être du chien truffier mais le greffe s’épargne ainsi quelques suppléments.

Nos journées ne consistent pas à attendre le doigt sur la couture du pantalon les ordres du chef, ce que notre juge n’est pas. Nos semaines durent 38 heures 30 selon les chartes des temps des tribunaux et libre à nous d’aller au delà des 7 heures 40 dues journellement. C’est selon. Une ouverture d’info tardive, l’exécution d’un mandat soumis aux embûches de la route, du rail ou de l’air ou encore une reconstitution de nuit et vous voilà à finir à 20 heures ou aux alentours de 4 heures du matin (on sait vaguement l’obligation de respecter un délai de 11 ou 12 heures entre la fin du service et la reprise). 

L’élasticité de l’emploi du temps ne nous rebute pas et si nous avions toute latitude pour récupérer ces heures-là il n’y aurait pas motif à se plaindre. Seulement, on en fait pas mal au titre de tout un tas de tâches périphériques, qui relèvent d’un pur travail d’exécution et puis aussi il faut bien le dire grâce à un logiciel taré (n’en déplaise à quelques collègues isolées, le module instruction de Cassiopée ne répond que très partiellement à nos attentes) : mon cabinet étant tout à fait comparable à celui de ma collègue utilisant Cassiopée, elle totalise 130 heures quand je n’en ai qu’une petite vingtaine en utilisant l’ancien logiciel. 

Tu fais des heures ? Vas-y Poupette ! On te les payera (mais pas toutes)… Tu n’arrives pas à prendre tes jours de congés ? Mets-les sur ton compte épargne temps. Ton compte épargne temps est plein ? Je rachète tes jours (avec des queues de cerise). Le malaise on le trouve ici. L’encadrement, de bon ou de mauvais gré, fait fi, très largement, de la distinction entre emploi de B et emploi de C et demande aux greffiers (comme aux faisant-fonction) de plus en plus de tâches d’exécution. Ainsi de la dématérialisation des procédures. C’est peut-être moderne mais cela suppose toutes une série de gestes qui eux ne sont pas du tout dématérialisés. Et qui prennent du temps. Dans un cabinet d’environ 90 dossiers, délivrer une copie numérisée dans un délai d’une semaine, c’est à dire de disposer d’un double à jour conforme à l’original papier, ça suppose d’y consacrer deux heures par jours, 1/5ème du temps de travail hebdo. La seule question qui vaille pour nos gestionnaires est : “comment allez-vous dégager le temps nécessaire pour “participer” à la numérisation ?”. N’ayez pas l’outrecuidance de retourner la question et demander comment notre gestionnaire entend s’y prendre pour nous permettre de récupérer votre dû : il ne faut jamais pincer cette corde-là chez votre chef sous peine de le fâcher. 

On manque de catégorie “C” mais ça n’empêche pas - en guise de politique salariale - les promotions de C en B. Je ne sais pas si faire faire un boulot de “C” par un “B” est un emploi efficace de la ressource, l’un et l’autre n’étant pas payé au même tarif, mais les gestionnaires ne se gênent pas pour développer quotidiennement une conception bouchère de l’organisation. Plus frénétiquement d’une année sur l’autre avec la réduction des crédits. De quoi on se mêle ?Que chacun reste dans son bac à sable. Je veux bien. Mais est-ce trop demander de condescendre à s’intéresser aux finalités des fonctions des uns et des autres ? Ce management à la con ne veut pas comprendre seulement que les nouveaux, “bac plus 4 ou 5”, ne s’impliquent pas au delà de ce qu’ils peuvent en retirer en contrepartie. 

Et arrêtons de répéter comme un mantra qu’on peut “faire mieux avec autant”. Pas du tout. On donne juste le change pour ne pas faire pauvre. Faut-il recevoir “‘hommage” de l’Assemblée Nationale et de la Garde des Sceaux au personnel des greffes comme un encouragement à pendre nos gestionnaires ?


Fonctionnaires des greffes, parlons-en

Par Cyberkek, greffier correctionnel


Bien, on nous propose une réforme “ambitieuse” pour la justice du XXIème siècle… Et si déjà, au moins, il était possible de travailler au XXème?

Parce que nous sommes aujourd’hui considérés plus comme des serfs dociles que des techniciens du droit, not’bon maître. D’aucuns murmurent que l’on aurait vu nos représentants nationaux nous flatter l’encolure il y a peu, ça soulage un peu les escarres du joug…

Parce qu’il y a pénurie de plumes d’oie et de lampes à pétroles et que nous devons partir au petit matin, après une audience tardive la veille, afin d’éviter que nos enfants ne nous voient voler leurs feuilles de dessins où il reste un verso utilisable…

Parce que nous travaillons gratuitement à permettre aux magistrats de rendre justice au nom du peuple français et que même cette gratuité, nous dit-on, est déjà trop chère payée…

Parce que nous n’avons plus le temps d’audiencer, de mettre en forme, d’exécuter les décisions alors qu’il nous reste les vitres à faire, les seaux à vider après la pluie, les murs de cartons d’archives à maçonner et panser les plaies des collègues qui ont eu le malheur de rencontrer un justiciable exaspéré par notre lenteur…

Parce que, même si nos compétences procédurales importent peu, nous serons tenus pour responsables des erreurs qui viendraient à se produire car, n’oublions pas, nous sommes de dangereux laxistes qui faisons rien qu’à saborder le travail des services de police pour relâcher dans la nature de dangereux multirécidivistes…

Parce qu’enfin, nous sommes si omniprésents à tous les stades de la procédures que l’on ne nous voient même plus.

Allez, je caricature, c’est souvent le cas quand le ridicule de cette situation vous prend à la gorge.

Mais quand même, ne pas considérer le greffier comme un collaborateur compétent du juge, c’est avant tout entériner la désuétude de notre système judiciaire et les conséquences pour les citoyens qui attendent une réponse des tribunaux à leurs déboires. Ce qui est mauvais pour la démocratie.

Mais quand même, ne pas reconnaître que les décisions prises en assemblée générale des fonctionnaires sont conditionnées au bon vouloir des magistrats chefs de juridiction et non à l’aval de notre hiérarchie, c’est aussi mauvais pour la démocratie. Il suffit de voir comment s’atteint péniblement le quorum des dites assemblées, parfois en allant rameuter quelques bonnes volontés dans les bureaux, sur les directives des chefs de cour.

Mais quand même, ne pas comprendre que notre statut de fonctionnaire collaborateur des magistrats garantit aussi l’indépendance de ces derniers, c’est encore mauvais pour la démocratie.

Mais quand même :

Vous connaissez de nombreux emplois où, au sortir de votre formation, une fois votre affectation connue, les saisies immobilières dans mon cas, vous n’avez pas droit à une formation complémentaire sur vos attributions parce que « la procédure des saisies, c’est trop complexe » ?

Vous connaissez de nombreux emplois où vous attendez plusieurs semaines après votre prise de fonction pour obtenir les moyens techniques et informatiques de faire ce pour quoi vous êtes plus ou moins bien formés ?

Vous connaissez de nombreux emplois où vous commandez les tampons nécessaires à vos fonctions (« Marianne », « extrait des minutes », formule exécutoire, etc.) et obtenez votre mutation deux ans plus tard sans en avoir vu un seul ?

Vous connaissez de nombreux emplois où vos commandes de papeterie sont, par principe, divisées par deux, au mieux, des fois que vous souhaitiez les utiliser pour rendre à vos enfants les feuilles volées plus haut ?

Vous connaissez beaucoup d’emplois où vous vous retrouvez à faire tout, et parfois n’importe quoi, sauf ce qui est votre métier, et où l’on ne vous reconnaît même pas cette polyvalence ?

Vous connaissez beaucoup de secteurs d’activité où votre réputation de mauvais payeur va bientôt vous interdire d’avoir recours à la poste, aux médecins ou aux interprètes ?

Vous connaissez des secteurs d’activités qui servent autant d’argument électoraliste et populiste au point de fragiliser l’ensemble d’un système patiemment élaboré ?

Le résultat de tout ça, c’est le rang enviable du « pays des droits de l’Homme » à la CEDH.

Le résultat, c’est le citoyen qui en paie le prix.

Le résultat, c’est notre exaspération aujourd’hui.

Once Upon a Time

Par Anonyme


Entrée dans les greffes non pas par vocation de l’administratif mais du judiciaire, cela fait environ trois ans (missions de vacataire comprises) et trois juridictions que je suis dans ce domaine. Après une licence en droit, un concours et 18 mois de formation… bienvenue dans une juridiction parisienne !

Comme vacataire, y compris en région parisienne, j’ai pu être confrontée à diverses situations, dont certaines complètement déroutantes (du style la collègue faisant fonction si peu respectée par une magistrate qu’elles ne s’adressaient plus la parole et communiquaient par post-its interposés ou alors quatre bureaux se partageant une agrafeuse).

A mon arrivée, encore stagiaire, j’ai découvert Jimminy Pointeuse, outil censé nous permettre de réguler nos heures, en nous empêchant de dépasser le cota prévu dans la chartre des temps. En écoutant l’ENG (qui reste notre supérieur hiérarchique jusqu’au jour de notre titularisation), le stagiaire ne doit pas faire plus de 35 heures par semaine. Euh oui m’dame sauf que, comment vous dire, si je suis en audience, à 16 heures, je me vois mal expliquer au Président que ca y est il faut suspendre l’audience parce que vous comprenez l’Ecole a dit que je ne devais pas faire plus de 35 heures ! Tant pis, j’en ferai plus, après tout mes collègues sont déjà surchargées entre ma formation et leurs propres audiences à gérer et le greffe à faire tourner. Elles ont bien essayé de m’épargner mais il y a un moment où avec la meilleure volonté du monde, plus d’un miracle par jour, ce n’est pas envisageable…

Les heures ne se comptent pas, pour personne et nous nous sommes trouvées dans la situation classique de l’écrétage des heures. Mes collègues sont montées au créneau en indiquant que c’était inadmissible de perdre quasiment une semaine d’heures par mois, qu’elles ne pourraient jamais les récupérer en raison des nécessités du service. Finalement, même dans la fonction publique, le stagiaire reste un bénévole, c’est pas que j’ai un peu l’impression de me faire avoir mais tout comme un peu quand même ….

Les mois se passent et j’ai pu constater ce que “manque de moyens” voulait dire ! Ne pas avoir d’encre pendant deux ou trois semaines au point que la chef de service soit obligée de récupérer celle d’une GEC partie à la retraite parce que là le magistrat a refusé de signer la minute et qu’il faut bien trouver une solution parce qu’il y a appel dans le dossier.

Et puis zut ! Quel agent n’a pas sa trousse personnelle parce qu’il n’y a plus de fournitures dans son tribunal ? Qui n’a pas connu la pénurie de papier au milieu de l’année (la pénurie d’encre étant perpétuelle) ? Je me souviens que nous avons eu de grosses pluies l’année dernière et qu’il pleuvait DANS la salle d’audience PENDANT celle-ci. Ni une ni deux, une demande d’intervention est faite et le lendemain, nous nuos retrouvons avec…une poubelle grand format dans ladite salle pour récupérer les précipitations. Les petites soeurs sont placées dans la régie et dans le couloir parce que tout de même ce serait vraiment bête de mettre le feu au TGI ! Ces poubelles sont restées des jours entiers (avec les odeurs) ! Belle image pour le pauvre justiciable qui vient chercher la copie de son jugement.

Les juridictions tiennent sur des bricolages et la bonne volonté de leur personnel. Les GEC sont ce qu’ils sont mais s’ils n’ont pas les moyens d’agir, ils ne peuvent pas faire de miracle. Les ordinateurs de service plantent, les prises ne fonctionnent plus et il y a urgence, deux délibérés sont en cours. La GEC est avisée et fait une demande d’intervention. Les agents se présentent donc pour… changer les ampoules  ! Nous sommes parfois restés deux jours sans informatique (mais avec des ampoules toutes neuves) à cause d’une mauvaise communication et d’un manque d’agents techniques pouvant intervenir.

Il faut se rendre compte que se battre pour trois trombonnes et deux stylos bleu c’est assez usant, fatiguant et je dirai même que cela nuit à la qualité du service rendu au justiciable. Parce que oui, notre mission première est de le renseigner, même si parfois il nous crie dessus, il nous insulte, nous menace ou se montre carrément violent (de bonnes bases en sport de combat devraient être enseignées à l’ENG). Il faudrait peut-être que la Chancellerie se rende compte que nous ne traitons pas QUE des dossiers, nous faisons beaucoup de relationnel parce qu’informer un justiciable, ca prend du temps. Lui expliquer pourquoi il a reçu tel papier, l’écouter sans pour autant le laisser aller dans son envie de vous raconter que si si il est innocent et que c’est une erreur judiciaire et que “vous vous en foutez vous de toutes façons que je perde mon boulot et mes gosses”, à la longue ça a tendance à vous mettre un peu le moral dans les chaussettes !

Nous aussi nous voyons tout un tas de choses pas drôles. Par exemple, les Assises, ce n’est pas comme dans “Faites entrer l’accusé”, c’est tout sauf romantique, ce sont les faits les plus graves, des vies brisées, des gens qui viennent raconter, souvent en pleurs, leur histoire et entendre toute la journée ces récits, parfois c’est très dur et certains dossiers marquent plus que d’autres. J’ai souvenir d’une jurée qui m’a demandé si un soutien psychologique était mis en place pour les jurés (euh…comment vous dire madame, déjà que nous n’avons pas de quoi acheter des stylos…alors un soutien psychologique…).

Aujourd’hui, on nous explique qu’il faut mutualiser les moyens (ecore faut-il en avoir), que la création du TPI permettrait au justiciable une meilleure lisibilité juridictionnelle, que l’on pourrait créer un “Greffier Juridictionnel”. Pour ma part je pense que le TPI ne permettra rien sinon de faire pire avec encore un peu moins, parce qu’il ne faut pas rêver, des moyens il n’y en aura pas plus, au contraire ! Si la Chancellerie veut se donner les moyens de ses ambitions, qu’elle recrute et vite et beaucoup ! L’annonce de l’arrivée en juridiction de 1000 greffiers comme une bulle d’oxygène montre le sens de la formule de nos dirigeants. D’accord, 1 000 greffiers, mais pour combien de départs à la retraite ?

Je suis issue d’une promo dans laquelle la majorité de mes collègues avait pour ambition de passer l’ENM (souvent ratée trois fois en externe) ou le concours des douanes ou autre. Bref, pas mal d’entre eux multiplient les concours A dans toutes les administrations. Certes tous ne vont pas réussir mais pour beaucoup ce sera le cas. Une fois leur concours en poche, ils quitteront les greffes pour d’autres aventures, ce qui fera d’autres postes à pourvoir en plus des départs à la retraite non remplacés.

A trop tirer sur la corde, elle finit par céder. J’ai vu des collègues être arrêtées pour dépression parce qu’elles n’en pouvaient plus, j’en ai vu une qui perdait ses cheveux par poignées, une juge qui faisait office de JAP-JAF-JI et qui “empruntait” un greffier pour ses audiences. Il existe une véritable souffrance au travail dans la justice et personne ne l’entend (dans certains tribunaux, la médecine de prévention tient plus de la légende administrative que de la réalité).

Les GEC ne peuvent pas travailler parce qu’ils sont aussi en sous-effectifs et doivent gérer trois fois plus de services que normalement le temps de pourvoir au remplacement des effectifs manquants (remplacement légèrement hypothétique mais bon, après on va dire que je fais du mauvais esprit).

Il faut se battre pour tout, argumenter pour le moindre stylo et si l’on devait comptabiliser le temps perdu je crois que l’on en viendrait aux larmes. Alors oui, j’aime beaucoup mon travail, j’aime beaucoup mon service parce que nous sommes une très bonne équipe très soudée et que nous travaillons avec des magistrats qui sont conscients des moyens (ou plutôt de l’absence de moyens) avec lesquels nous essayons de faire tenir les choses mais maintenant, un peu de considération ne serait pas de trop.

On ne se rappelle de l’existence du greffier que lorsqu’une erreur est commise. Soit dit en passant, dans le cas où la décision est signée du greffier ET du magistrat, la responsabilité est partagée mais non, ce sera de la faute du greffier qui a mal fait son travail. Et lorsque l’on fait l’ouverture du 20 heures sur une remise en liberté parce que ceci ou parce que cela, on se rappelle généralement à ce moment-là que l’on existe. J’ai souvenir d’une remise en liberté d’un homme parce que l’arrêt de la chambre de l’instruction indiquait “infirme” au lieu de “confirme” et les journalistes avaient tout de suite stigmatisé une “erreur de la greffière” (qui était un homme à cette époque) mais jusqu’à preuve du contraire, la relecture se fait à deux !

Plus récemment, j’ai pu entendre “ben ils ne pouvaient pas acheter de l’encre pour mettre dans le fax” ? Ce sont des petites phrases comme celles-ci qui montrent qu’il serait peut-être bon de faire connaître la réalité des conditions de travail des agents. Un peu de respect.

Nous sommes une profession (j’engloble tous les agents sans distinction de catégorie) qui oeuvre pour l’usager du service public. Parfois, nous sommes mis en cause publiquement (la joie éprouvée à l’écoute de l’avocat qui s’en prend à vous en pleine audience pour se courvir – tiens il se souvient que j’existe – parce qu’il sait que nous ne parlerons pas). Personnellement, je l’ai vécu alors que je savais, ainsi que les magistrats, que je n’avais pas commis d’erreur mais mine de rien, le public lui, a pu se dire que j’étais incompétente – ca fait toujours plaisir. Alors on ne se vexe plus (non ca c’est pas vrai, j’ai juste fait des progrès pour ne plus montrer mon envie de le fouetter avec des AFM ).

Notre profession est méconnue, à nous aussi de la faire connaître. Il m’est arrivée de discuter avec des enquêteurs qui pourtant, après 12 de service, ne savaient toujours pas à qui s’adresser pour avoir un jugement ni qu’elles étaient les possibilités d’opportunité des poursuites. Bon ben, on va prendre 10 minutes et un café et on va en parler, ca sera toujours ca !

Aujourd’hui, nous méritons d’être reconnus à notre juste valeur et aussi surprenant que cela puisse paraître, nous sortons enfin de l’ombre … 

Un jour à l'instruction

Par Wonderwoman


NB : on parle ici non pas de l’instruction publique donnée dans les écoles, mais de l’instruction judiciaire, c’est à dire, une enquête judiciaire approfondie sur un crime ou délit confiée à un juge enquêteur, le juge d’instruction. NdEolas

Idée reçue : un fonctionnaire ne travaille que de 8h à 12h00 et de 13h30 à 17h00. Si seulement !

7h30 : Arrivée au tribunal. Dans mon bureau, le fax est déjà plein à craquer. Des interpellations ont eu lieu la veille dans un gros dossier de stups, et 6 personnes ont été placées en garde à vue. Les défèrements sont prévus aujourd’hui, la journée promet d’être mouvementée. J’ai 1h30 avant l’ouverture au public pour travailler dans le calme et avancer le plus rapidement possible… Cassiopée me voilà ! Création, fusion, modification, impression… ça avance ça avance.

9h00 : premiers coups de fils et premières intrusions dans mon bureau. La famille de détenus me harcèle pour savoir quand vont être délivrés leur permis de visite, un avocat rentre pour me demander comment avance son dossier, le greffier en chef nous interrompt pour savoir si je ne peux pas remplacer une collègue absente à une audience, un autre avocat déboule pour consulter un dossier et le téléphone sonne, c’est l’accueil qui annonce que mon rendez-vous de 9h30 est arrivé !

9h30 : interrogatoire avec un type dédaigneux qui réfute l’irréfutable, preuve vidéo à l’appui « non non je ne me suis pas enfuis… », alors qu’il court comme un lapin sur la vidéo surveillance…

11h30 : fin d’interrogatoire. Le fax est de nouveau plein à craquer, les gardes à vue avancent, la juge fait le point au téléphone avec les enquêteurs sur le nombre de personnes présentées le soir même. Il y a encore tout le courrier à trier et à traiter. Zut ! Le parquet a encore oublié de me rendre ses réquisitions pour une demande de mise en liberté qui expire aujourd’hui ! Me voilà partie à l’étage chercher le substitut qui a oublié de me redonner mon dossier ! Une fois les réquisitions en main, je redescends et rappelle à ma juge qu’il faut motiver son ordonnance de saisine dans l’urgence… Il y a tout le courant à gérer en même temps, modification de contrôle judiciaire, ordonnance de règlement, permis de visite, délivrance d’attestation de fin de mission pour les avocats, demande de copie…

12h30 : ouf ! Enfin un peu de répit, je sors de mon bureau pour aller déjeuner. Je croise le juge des libertés et de la détention (JLD)qui m’annonce qu’il y a un débat, « Quand ? » dis-je innocemment, « Maintenant » répond-il. Évidemment ! Le Parquet a encore oublié de prévenir la greffière… Bon je déjeunerai plus tard… Escorte, avocat, détenu, substitut, JLD, débat, délibéré, décision… Celui-là ira en détention jusqu’à l’audience de comparution immédiate, pas de suspens quand on sait qu’il n’a pas de domicile fixe, question garantie de représentation il y a mieux…

13h30 : je déjeune finalement sur mon clavier en préparant les défèrements de l’après-midi.

14h00 : les premières escortes arrivent avec leur procédure, il faut que je m’assure que chacun à choisi un avocat, et si ce n’est pas le cas, je dois secouer l’ordre des avocats pour qu’il m’en trouve un immédiatement… Les enquêteurs se dirigent vers le bureau de la juge pour lui faire le point sur les déclarations des gardés à vue, pendant que je jongle avec les avocats qui veulent lire la procédure, le téléphone qui continue de sonner et le courrier qui doit partir impérativement avant mes interrogatoires de l’après midi. La photocopieuse en plein régime, je me mets en mode « certifié conforme le greffier ».

14h30 : le premier mis en cause peut entrer, tout le monde est prêt. « Je choisis de me taire » Parfait ! L’interrogatoire ira plus vite. Et de 2, et de 3… les escortes défilent avec leur gardé à vue. Pour certains ils ressortent libres sous contrôle judiciaire, pour d’autres direction le JLD qui va statuer sont son sort. Mais comme dans une petite juridiction les greffiers sont multi-tâches, la greffière de l’instruction est aussi la greffière du JLD. Il devra donc attendre qu’on ait fini nos défèrements à l’instruction.

18h00 : Enfin, les 6 mis en cause sont passés devant le juge d’instruction. Direction le bureau du JLD. Le juge - « Acceptez vous que le débat se déroule aujourd’hui ou souhaitez-vous un débat différé ? » Le mis en examen - « Je souhaite une débat différé ». C’est parti pour une incarcération provisoire de 4 jours maximum le temps que son avocat ait le temps de préparer sa défense. Une plaie pour la greffière qui devra faire extraction et convocation dans l’urgence pour que les services de la pénitentiaire prévoit le transfert de détenu dans les temps voulus pour le débat différé… Les autres mis en examen défilent, ce sera mandat de dépôt pour certains et contrôle judiciaire pour d’autres.

20h00 : je sors du débat, je retourne dans mon bureau qui est plein à craquer des procédures de garde à vue qu’il faudra que je côte demain à mon arrivée, juste après avoir fait l’extraction en urgence pour le détenu qui a demandé un débat différé.

20h30 : j’arrive chez moi dans mon petit studio vide… Car la réalité est bien là, les premiers postes « choisis » par les greffiers sortis d’école sont souvent très éloignés de leur famille. Le célibat géographique est connu de chacun et de chacune… Ce qui engendre double loyer et doubles charges, sans compter les frais d’essence et d’autoroute pour rentrer auprès des siens le week-end.

Et je suis loin de toucher les 2400€ par mois annoncés par M. WALLS comme étant le salaire moyen des fonctionnaires !

Alors pourquoi se dévouer autant me direz-vous ?

Parce que le poste de greffier à l’instruction est passionnant, enrichissant et épanouissant.

On résume souvent le métier de greffier à un métier de bureau. Mais pas un jour je suis restée assise devant mon écran d’ordinateur ! D’abord, j’adore ce métier pour sa diversité. Chaque jour est différent de la veille. Les dossiers ont toute une spécificité. Avec le temps, on connaît les mis en examen, les victimes, quand l’un ou l’autre nous appelle, on sait tout de suite répondre à leurs interrogations. En arrivant le matin, j’ai beau planifié ce que j’ai à faire, il y a toujours un imprévu, ce qui pimente ma journée. D’autant que ma double fonction Instruction-JLD me promet des débats impromptus au milieu de la journée. Et puis il y a les reconstitutions : convoquer les principaux mis en examen et victimes pour « rejouer » la scène selon les différentes versions ! Alors dit comme ça, ça paraît sympa, mais le travail du greffier est primordiale, car si le juge se « contente » d’interroger chacun, le greffier doit et noter les déclarations des uns et des autres, et noter précisément où la personne déclare s’être trouvée au moment des faits, à quel moment elle dit y être allée…Un peu comme un roman au final ! Et tout ça dans des conditions plus qu’inconfortables : pas question d’avoir un bureau ou de chaise au milieu d’un bois ! La reconstitution c’est ausi l’occasion de débarquer dans un restaurant pour la pause déjeuner avec une quinzaine de gendarmes en uniforme !

J’adore ce métier, ensuite et surtout pour les relations humaines que j’ai pu créer. Avec la juge surtout. L’instruction c’est un binôme juge-greffier. Soit ça passe, soit ça casse ! Après quelques semaines à s’apprivoiser l’une l’autre, nous voilà un binôme efficace, et au bout de quelques mois, plus besoin de se parler pour se comprendre, un simple regard suffit. En interrogatoire, grâce au double écran, je peux même lui écrire des blagues pour la faire sourire, le tout le plus discrètement possible, évidemment. Une réelle complicité c’est installée entre nous. Il faut dire que l’on passe plus de temps au travail qu’avec nos conjoints respectifs, il y a donc plutôt intérêt à bien s’entendre ! On fonctionne réellement à deux, je suis son pense bête notamment quant aux délais impératifs à respecter sans quoi notre tête de réseau de trafic de stupéfiants sort de prison prématurément ! Et la juge est là quand j’ai des coups de bourre. Je me souviens du jour où j’ai du envoyer 80 ordonnances de règlements en lettre recommandée, elle m’a aidée à mettre le tout sous pli… loin de sa fonction de magistrat ! Qu’est ce qu’on a pu rigoler toutes les deux ! Parce qu’il faut se le dire, les dossiers à l’instruction c’est loin d’être le pays des bisounours, entre les agressions sexuelles, les trafics de stupéfiants, les homicides involontaires, les escroqueries de grande ampleur… Il faut savoir décompresser !

Mon bureau, concomitant à celui de ma juge, est rarement vide… Toujours un enquêteur pour venir faire le point sur une enquête ou pour venir chercher sa commission rogatoire. Toujours un avocat pour venir consulter un dossier, ou déposer des demandes. Ma machine à café au sein de mon bureau a aidé à dépasser le simple rapport de travail, et nos relations sont devenues quasi-amicales, et cela a beaucoup facilité le travail au quotidien à l’instruction ! Finalement, certains ont pris l’habitude de venir simplement par sympathie et quand le temps nous le permet, on papote autour d’un café.

Enfin, mes collègues fonctionnaires. J’ai eu une immense chance de trouver des collègues qui sont devenus mes amis. Nos déjeuners donnent lieu très souvent à des fous rire, et nos longues soirées de célibataires se sont transformées en apéro-cacahuète ensemble !

Voilà pourquoi j’aime tant ce métier : les rapports humains, qu’ils soient avec le juge, les collègues, avec les acteurs extérieurs ou avec les personnes impliquées au dossier…

Ce métier il faut l’aimer pour l’exercer !

WonderWoman

11 ans à BOB

Par une Ch’ti dans le 93


A la sortie de l’ENG[1], j’ai choisi la 2ème juridiction de France (BOB pour les intimes[2]) après avoir déplié une carte routière et suivi du doigt la ligne «autoroute A1» menant directement du domicile parental à cette juridiction que je pensais quitter au bout des 2 années fatidiques.

J’y suis restée 11 ans … Onze belles années de rencontres professionnelles et amicales et de dur labeur.

Premier poste au Parquet – déférés exécution des peines – où, à l’époque, les instructions de défèrement sont données par les 2 greffières du service (cela n’a plus cours depuis longtemps) : grande responsabilité mais aussi grand investissement de notre part et un réel engagement pour faire au mieux le travail malgré la masse : à l’époque 80 à 100 déférés par mois.

Ajoutez à cela la mise en place des mandats d’arrêt européens que nous rédigions ma collègue et moi, l’extension du fichier «FNAEG[3]» qui a fait que les réquisitions m’arrivaient dans les belles caisses grises de la Poste débordantes de feuillets (plusieurs par semaine), les recours en grâce et les réhabilitations à instruire, la rédaction des procès-verbaux suite à interpellation sur mandats, les fiches de recherches …

Après ma permanence téléphonique de 08h30 à 18h00, j’enchaînais souvent jusqu’à 20h00 (je n’avais pas de charge de famille) enfermée dans mon bureau (sans plus de téléphone qui sonne jusqu’à 30 fois par jour) à traiter le courrier ou les réquisitions FNAEG car j’avais enfin mes 2 mains libres pour le faire !

Et les permanences de week-end …. La très grande joie des magistrats de perm qui, réceptionnant les tableaux du prochain week-end, voyaient le nom d’une des greffières de l’éxecution des Peines et qui poussaient des «ouf» de soulagement en sachant qu’en cas d’interpellation sur fiche de recherches, ils n’auraient pas à se «torturer» (j’en ai vu se gratter le cuir chevelu quasi au sang) pour savoir ce qu’il fallait faire du gars. Et de me dire : que c’est dur quand il n’y a pas l’une de vous ! Qu’à cela ne tienne je vais confectionner un classeur de permanence avec tous les types de cas de figure qui peuvent se présenter, les PV vierges mis sur disquette (et oui disquette !) et la marche à suivre de façon précise avec les n° de téléphone des services d’escorte et autres fax qui vont bien : tout ça fait en sus de ma charge de travail déjà bien lourde. (nota bene : même avec ce bel outil, il y avait encore de belles boulettes qui attendaient sur mon bureau le lundi matin ! Exécution des peines : bête noire des magistrats).

Les journées étaient bien remplies et certains week-ends aussi. Et oui, meskéskidis ! Les juridictions fonctionnent 365jours / an. Là où certains de mes collègues de province ne se déplacent que s’il y a du monde, dans les grosses juridictions on se déplace toujours le week-end et on ne part que quand il n’y a plus personne à présenter devant un juge : j’ai souvent fini après 20h avec des «dépôts midi» qui arrivent à 16h00 …

Après 4ans et demi de ce train d’enfer, je change de service et laisse l’exécution des peines à deux autres collègues finalement rejoints par une troisième : il faut dire que le nombre des défèrements dépassent maintenant mensuellement la centaine, la charge de travail s’est encore alourdie avec la création du FIJAIS et même si ce n’est plus mes collègues qui donnent les instructions de défèrements, la charge de travail est pire qu’à mon «époque».

Je m’arrête là car je pourrais remplir encore des pages avec mes autres fonctions et vous quitte, en rendant hommage à mes collègues de BOB (non, le fait que les fax ne fonctionnent pas ne fait pas de vous de mauvais fonctionnaires mais des victimes tout comme les personnes à qui le manque criant de moyens de la Justice française a pu causer du tort et de la peine) et d’ailleurs : on ne nous considère pas alors considérez-vous vous-mêmes ! Nous sommes les piliers de la Justice française au même titre que les magistrats ; sans nous rien ne se fait : Nous ne demandons pas l’aumône, Ne baissons plus la tête et luttons pour une revalorisation de nos statuts et de notre salaire.

PS : j’ai une maîtrise en droit et 14 ans d’ancienneté et je gagne à temps plein 1856€/mois.

Notes

[1] L’Ecole Nationale du Greffe.

[2] Tribunal de grande instance de Bobigny pour les pas intimes.

[3] Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques.

Parcours d'un greffier stagiaire

Par un bébé greffier




Je ne suis qu’une petite stagiaire au tout début de ma carrière, alors forcément je n’ai pas encore l’expérience de tous mes collègues titulaires qui sont en poste depuis des années. Un bébé greffier en quelques sortes.

Actuellement à mi-parcours de ma formation, à mi-chemin de la première période de stages, à deux mois du choix des postes tant attendu et tant redouté à la fois, je souhaitais toutefois faire part de ma petite expérience.



Le parcours de formation des greffiers dure dix-huit mois et comprend une période d’une petite dizaine de semaines de formation théorique à Dijon, à l’École Nationale des Greffes, pendant laquelle intervient la prestation de serment. “Je jure de bien et loyalement remplir mes fonctions et de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l’occasion de leur exercice”. Puis viennent six mois de stage, et ensuite le choix des postes, un stage de un à deux mois dans notre juridiction d’origine sur un poste similaire à celui que l’on aura, et enfin nous migrons dans la juridiction plus ou moins choisie qui nous accueillera pour notre premier poste en tant que titulaire quand les dix-huit mois depuis notre nomination seront écoulés.

A l’occasion des six premiers mois de stages nous avons l’opportunité de passer par différentes juridictions : tribunal d’instance (TI), tribunal de grande instance (TGI), cour d’appel (CA) et conseil de prud’homme (CPH). Au sein de chaque juridiction, généralement, nous visitons les différents services de celles-ci, cela est d’autant plus exact au TI et au TGI du fait de la durée de ces stages (respectivement huit semaines et treize semaines, contre trois semaines pour chacune des deux autres).



A l’occasion des six premiers mois de stages nous avons donc l’opportunité de rencontrer de nombreux greffiers, qui sont depuis plus ou moins longtemps en poste, qui sont plus ou moins passionnés par leur métiers, plus ou moins désabusés.

Il y a ceux qui sont heureux de voir arriver les stagiaires car ils voient en eux la relève. Il y a ceux qui ne sont pas heureux de voir arriver les stagiaires car dans certaines juridictions nous sommes très nombreux, alors forcément les stagiaires défilent et ça prend du temps de tout nous expliquer, de tout nous montrer, en deux mots de nous former. Il y a ceux qui au contraire sont très pédagogues et se font un plaisir de nous apprendre les rouages du métier. Il y a ceux qui accueillent avec plaisir les stagiaires car ils peuvent ainsi apporter une aide significative au service. Il y a ceux qui jettent les cahiers remplis de notes des stagiaires, sûrement parce qu’ils sont un peu aigris. Il y a ceux qui sont très stressés et qui à la moindre difficulté s’en font une montagne, mais au fond cela témoigne d’une grande conscience professionnelle. Il y a ceux qui paraissent désorganisés, mais qui sont en réalité les plus efficaces dans leur service. Il y a ceux qui paraissent désorganisés, et qui le sont effectivement. Il y a ceux qui sont très organisés et il ne faut surtout pas toucher à leurs dossiers, au risque de les perturber sinon gare aux remontrances. Il y a ceux qui sont enclins à déléguer. Il y a ceux qui ne sont pas enclins à déléguer. Il y a ceux qui sont très solitaires. Il y a ceux qui préfèrent le travail d’équipe. Il y a ceux qui sont très expansifs. Il y a aussi les lunatiques, les colériques, les sympathiques, les adorables.

Il y a une multitude de greffiers, autant de personnalités, chacun avec leurs défauts et leurs qualités.



Les stages nous permettent de faire énormément de rencontres, des bonnes et des moins bonnes. Des rencontres qu’on n’oubliera pas parce qu’on a été bien accueilli et qu’on a énormément appris.



Personnellement, au cours de mes stages, j’ai pu observer différents services, certains où ça roulait, d’autres moins.



Il y a des services où il y a de très bons greffiers, mais malheureusement tout ne marche pas comme sur des roulettes, par exemple parce que le président de la chambre exige trop de choses et souhaite changer du tout au tout le fonctionnement de la chambre, cela va forcément impacter les magistrats, ET les greffiers. Devoir changer son organisation et ses méthodes de travail crée des tensions, une pression constante pèse sur les épaules des fonctionnaires et des magistrats. Parfois, il peut arriver aussi que ce soit un greffier en chef qui mette trop la pression à son service, à tel point que c’en est presque du harcèlement moral. Heureusement je ne l’ai vu qu’une fois.



Le manque cruel de considération des greffiers par les magistrats peut également rendre le travail difficile au quotidien. Oui, malheureusement tous les magistrats n’apprécient pas les greffiers à leur juste valeur. Heureusement ce n’est pas le cas de tous. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’en rencontrer plusieurs, des “deux catégories”. J’ai ainsi pu avoir à faire à une juge des enfants qui trouvait inadmissible la présence de stagiaires greffiers dans le public d’une audience de tribunal pour enfants, alors que, rappelons-le, tous les greffiers stagiaires ont prêté serment et sont habilités à assister aux audiences, qu’elles soient publiques, non publiques ou à publicité restreinte. À l’inverse, j’ai rencontré une personne qui était tellement sympathique et qui faisait volontiers la bise aux greffiers du service lorsqu’il arrivait le matin, que j’ai été surprise d’apprendre qu’il s’agissait en fait d’un substitut général. Tout cela pour dire que le manque de reconnaissance du travail des greffiers fait parfois pâtir les services, car sans reconnaissance, au bout d’un moment, il y a moins d’envie de bien faire, de se surpasser pour que tout se passe bien.



Je suis également passée par des services en manque d’effectif. Notamment un qui m’a marqué, car les greffiers y étaient tous sympathiques. Ils m’ont accueillies à bras ouverts. Ils ne rechignaient pas à répondre à mes questions. Ils m’ont expliqués les spécificités de leurs services. Ils m’ont formée. Du coup, en échange de cette formation, j’ai ainsi été en mesure de leur apporter de l’aide, car je pouvais effectuer le même travail qu’eux. Dans ce service j’y suis restée assez longtemps, trois semaines. Ils étaient trois quand il aurait fallu quatre personnes.

Un d’eux m’a d’ailleurs dit “nous on adore avoir des stagiaires car ils nous permettent de suivre le rythme, mais ce qui est dramatique c’est quand ils s’en vont, car on était habitué à un fonctionnement “normal” du service et d’un coup on se retrouve avec une surcharge de travail importante.”

Et en effet le manque d’effectif devient dramatique quand on est confronté à des procédures impliquant de courts délais lourdement sanctionnés. C’est à ce moment là que les greffiers effectuent des heures supplémentaires sans compter, car sans eux toute une procédure pourrait tomber à l’eau.



Un autre exemple de défaillance auquel j’ai été confronté : un problème informatique. Une collègue ne pouvait pas accéder à sa session d’ordinateur depuis la salle dans laquelle se déroule le bureau de conciliation au CPH. Or l’accès à un ordinateur est nécessaire pour effectuer le suivi en temps réel depuis le logiciel, et surtout pour éditer le procès-verbal de conciliation ou de non conciliation ainsi que les bulletins de renvois en bureau de jugement. Les différentes solutions proposées : tout faire manuellement, autant vous le dire tout de suite, ça prend du temps et allonge donc la durée de l’audience qui est parfois déjà très longue ; ou emprunter les codes d’un collègue qui n’est pas confronté à ce problème, et là on défie toutes les règles de sécurité informatique (non divulgation de codes personnels notamment…). Il aura fallu trois semaines pour que le problème soit réglé. Pourquoi autant de temps ? Parce que la personne “experte en informatique” est partie de la juridiction il y a quelques mois et n’a pas été remplacée.



J’ai également pu constater le manque de moyen matériel : il faut parfois batailler pour obtenir des fournitures, que ce soit agrafes, post-it, stylos, côtes pour les dossiers, toners, etc. En parlant de toners, il faut bien sûr les utiliser au maximum, et on se retrouve avec des convocations où on a du mal à lire un mot sur deux car il n’y avait plus assez d’encre.



Tous ces manques de moyens expliquent la colère des greffes. Le manque de reconnaissance quant à nos compétences, nos diplômes de plus en plus élevés, tout le travail que l’on fait, le manque de reconnaissance personnelle, statutaire et indemnitaire expliquent le mouvement actuel.

La Parole aux greffiers

Ce qui est aberrant, c’est un parquetier qui ne signe pas les fiches casier (pour faire inscrire la condamnation au casier judiciaire), par manque de temps… ou par manque d’envie, c’est donc le greffier qui doit la signer.

Ce qui est aberrant, c’est un parquetier qui fait corriger la fiche casier au lieu de faire corriger le jugement sur lequel la fiche casier se fonde. Dans ce cas, la fiche casier ne correspond pas au jugement. Ou pire, c’est un parquetier, qui souhaite faire une rectification d’erreur matérielle et qui lorsque le greffier lui présente le dossier, refuse de la motiver et donc la rectification est abandonnée.

Ce qui est aberrant, ce sont les greffiers qui, à la place du parquetier, donnent les orientations aux policiers (défèrement, notification…) concernant les personnes inscrites au FPR ( Fichier des Personnes Recherchées) qui sont arrêtées.

Ce qui est aberrant, et usant surtout, c’est un greffier qui pose trente six fois la même question à son parquetier et que celui-ci répond à côté de la plaque.

Ce qui est aberrant, ce sont 1500 décisions qui dorment dans un placard en attente d’être exécutées, alors que pendant ce temps là on ajoute des audiences correctionnelles pour rendre encore un peu plus de décisions, en somme faire du chiffre alors que le service Exécution des peines n’est pas renforcé.

Ce qui est aberrant, c’est de rester 2 jours pleins sans informatique (Cassiopé), et donc sans possibilité de pouvoir travailler. C’est arrivé plusieurs fois tout l’été dernier.

La justice va mal, on se demande comment il n’y a pas plus d’erreurs judiciaires !

“Sissi”,
Greffière à l’Exécution des peines (TGI)
21 ans d’expérience dans tous les services au sein de TGI de région parisienne et de province.

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