Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 10 avril 2006

lundi 10 avril 2006

La Nemesis du CPE

Bingo.

Voici le texte de la proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active, qui sera le fossoyeur du CPE. Le législateur étant le seul qui jusqu'à présent ne s'était pas ridiculisé dans cette affaire, c'est à présent chose faite. Merci à qui se reconnaîtra pour ce document. Je grasse.


Proposition de loi sur l’accès des jeunes à la vie active

Article 1 :

Dans la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, l’article 8 est remplacé par les dispositions suivantes :

« I - L’article L.322-4-6 du code du travail est ainsi rédigé:
Pour favoriser l’accès des jeunes à l’emploi et à la qualification professionnelle, les employeurs peuvent bénéficier d’un soutien de l’Etat lors de la conclusion, de contrats à durée indéterminée, à temps plein ou à temps partiel :
1° Avec des jeunes gens[1] âgés de seize à vingt-cinq ans révolus dont le niveau de formation est inférieur à celui d’un diplôme de fin de second cycle long de l’enseignement général, technologique ou professionnel ;
2° Avec des jeunes gens âgés de seize à vingt-cinq ans révolus qui résident en zone urbaine sensible ;
3° Avec des jeunes titulaires du contrat d’insertion dans la vie sociale[2] défini à l’article L322-4-17-3 du code du travail.

La durée du travail stipulée au contrat doit être au moins égale à la moitié de la durée du travail de l’établissement[3]. L’aide de l’Etat est accordée pour une durée de deux ans, le cas échéant de manière dégressive.

Ce soutien est cumulable avec les réductions et les allégements de cotisations prévus aux articles L. 241-64. L. 241-13 et L. 241-14 du code de la sécurité sociale ainsi qu’à l’article L. 241-13 tel que visé par l’article L. 741-4 du code rural et aux articles L. 741-5 et L. 741-6 de ce dernier code. Il n’est pas cumulable avec mie autre aide à remploi attribuée par I’Etat. Toutefois, les employeurs embauchant des jeunes en contrat de professionnalisation à durée indéterminée peuvent bénéficier de ce soutien, le cas échéant dans des conditions spécifiques prévues dans le décret mentionné ci-après.

Un décret précise les montants et les modalités de versement du soutien prévu ci-dessus.

II - L'article L.322-4-17-3 du code du travail est ainsi rédigé:
Toute personne de seize à vingt-cinq ans révolus rencontrant des difficultés particulières d’insertion sociale et professionnelle bénéficie à sa demande d'un accompagnement personnalisé sous la. forme d’un « contrat d'insertion dans la vie sociale », conclu avec l’Etat. Ce contrat fixe les engagements du bénéficiaire en vue de son insertion professionnelle et les actions engagées à cet effet, ainsi que les modalités de leur évaluation. L’accompagnement personnalisé est assuré, au sein de l’un des organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L.322-4-17-2, par un référent qui établit avec le bénéficiaire du contrat, dans un délai de trois mois à compter de sa signature, un parcours d’accès à la vie active. Le référent doit proposer à ce titre, en fonction, de la situation et des besoins du jeune, l’une des quatre voies suivantes :

- un emploi, notamment en alternance, précédé lorsque cela est nécessaire d’une période de formation préparatoire ;
- une formation professionnalisante, pouvant comporter des périodes en entreprise, dans un métier pour lequel des possibilités d’embauche sont repérées ;
- une action spécifique pour les personnes connaissant des difficultés particulières d’insertion ;
- une assistance renforcée dans sa recherche d’emploi ou dans sa démarche de création d’entreprise, apportée par l’un des organismes mentionnés au 3ème aliéna de l’article L. 311-1.

Après l’accès à remploi, l’accompagnement peut se poursuivre pendant un an. Les bénéficiaires d’un contrat d'insertion dans la vie sociale sont affiliés au régime général de sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles L 962-1 et L. 962-3 pour les périodes pendant lesquelles ils ne sont pas affiliés à un autre titre à un régime de sécurité sociale.

Un décret fixe les caractéristiques des personnes qui peuvent bénéficier de l’accompagnement, ainsi, que la nature des engagements respectifs de chaque partie au contrat, la durée maximale de celui-ci et les conditions de son renouvellement. »

Article 2 Les charges éventuelles qui résulteraient pour l'Etat de l’application de la présente loi sont compensées par l’augmentation à due concurrence des tarifs visés aux articles 575 et 575A du code général des impôts[4].

La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat[5].


Mon opinion ? Hallucinant. Ce n'est plus de l'acrobatie, c'est de la haute voltige.

Pas un mot n'est dit sur le CPE.

D'accord, on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu. Mais il eût été intéressant de savoir comment s'applique concrètement la disparition de ces contrats, surtout du fait de la technique originale qui est employée.

On "remplace" un article de loi qui se suffisait à lui même par un article qui modifie le Code du travail.

L'article 1er de cette proposition de loi pouvait très bien commencer directement par "I - l'article L.322-4-6 du Code du travail est ainsi rédigé : ...". C'est dissimuler l'abrogation avec la même élégance qu'on dissimule la poussière sous un tapis.

Se pose du coup un problème d'application de la loi dans le temps.

L'article 8 est entré en vigueur le 3 avril 2006. Cette loi remplaçant cet article 8 alors que rien ne l'imposait juridiquement, faut-il en déduire que ces nouvelles dispositions entreront en vigueur au 3 avril 2006 ? Dès lors, les CPE seront ils rétroactivement annulés ? Visiblement, il n'a pas effleuré l'esprit de nos députés que quiconque ait pu passer outre l'injonction présidentielle de ne pas appliquer la loi qu'il venait de signer.

Je parlais dans mon billet de ce matin de colifichets. Les députés dépassent toutes les espérances.

Exit le Contrat Première Embauche, voici le contrat "d'insertion dans la vie sociale" (qui inclut sûrement une invitation à Paris Blogue-t-il) qui n'est pas un contrat de travail, ce qu'était le CPE, et qui consiste à se voir désigner un "référent", expression à la mode, qui va proposer dans les trois mois un "parcours d’accès à la vie active".

En quoi consiste ce parcours ? Au début, je pensais au parcours d'accès à la vie active de tous les français : chambre à coucher - WC - salle de bain - cuisine - métro. Mais non.

Là, c'est une perle : c'est soit "un emploi, notamment en alternance, précédé lorsque cela est nécessaire d’une période de formation préparatoire" ; soit "une formation professionnalisante, pouvant comporter des périodes en entreprise". Oui, vous avez bien lu. Soit un boulot avec une formation, soit une formation avec un boulot. Il suffisait d'y penser.

Et pour couronner le tout, un superbe néologisme : une formation professionnalisante, qui n'est ni une formation préparatoire à un emploi (qui est prévue par l'alinéa précédent) ni une formation professionnelle (qui comme son nom l'indique ne suppose pas un contact avec le monde du travail).

C'est officiel : les shadoks sont au pouvoir.

Notes

[1] Jeunes gens, un nouveau concept juridique rempalçant le jeune de moins de 26 ans.

[2] Un jeune titulaire d'un CIVIS fait il ou non parties des "jeunes gens" prévus aux 1° et 2° ?

[3] si quelqu'un comprend cette phrase, merci de me l'expliquer

[4] Traduction : par l'augmentation des taxes sur le tabac, c'est les buralistes qui vont être contents.

[5] Si tel est le bon plaisir du Président de la République, bien sûr.

In memoriam CPE

Ainsi, la nouvelle est tombée : le CPE sera "remplacé" par des colifichets pour l'insertion des jeunes en difficulté. Pas retiré, pas abrogé, remplacé.

Visiblement, l'activité de réflexion politique de ce dimanche a essentiellement consisté en la consultation du dictionnaire des synonymes pour trouver le mot idéal qui apaisera les syndicats, redonnera le goût des études aux jeunes bloqueurs, et défroissera la susceptibilité du premier ministre, dont les talents de poète sont bloqués sur la rime abrogation / démission, rime tout juste suffisante.

Donc, voilà le remède du jour : le CPE sera remplacé. Pas abrogé, remplacé, tout comme la loi a été promulguée mais pas appliquée.

Juridiquement, ça donne quoi ?

N'en déplaise au premier ministre, un remplacement est une abrogation.

Une loi s'applique de son entrée en vigueur [1] à son abrogation.

Cette abrogation peut être expresse ("L'article 8 de la loi du 31 mars 2006 est abrogé"), ou tacite, quand la loi nouvelle est clairement incompatible avec l'ancienne. Le terme remplacement laisse supposer que la loi qui va être votée au pas de charge devrait être rédigé dans cet esprit : "L'article 8 de la loi du 31 mars 2006 est ainsi rédigé", ou "est remplacé par les dispositions suivantes : bla bla bla".

Il demeure que le texte remplaçant l'article 8 actuellement en vigueur l'abroge puisque ce texte ne sera plus applicable. J'insiste sur le "actuellement en vigueur" tant nombre de commentateurs semblent considérer que le texte est d'ores et déjà supprimé (notamment Marie-Eve Malouine, Chef du service politique de France Info). Tant que l'article 8 n'a pas été abrogé, remplacé, ou ce que vous voulez, le CPE reste en vigueur.

Bref, le mot "remplacé" n'est pas du droit, c'est de la communication, et mes lecteurs savent quelle tendresse j'ai pour cette science appliquée au politique. Et je me désole de voir avec quelle docilité il est repris par les journalistes qui n'ont pas l'air de se demander si avec ce mot sorti de son chapeau, le président de la république n'est en train de se payer notre tête une fois de plus.

Quid alors des CPE signés sur des modèles à 10 euros ou des modèles mis à disposition gratuitement sur internet ?

De deux choses l'une : soit la future loi règle expressément leur sort en édictant les règles qui s'y appliquent, soit elle est muette sur la question. Le mutisme est tentant car toute disposition transitoire ne ferait que pointer du doigt l'horrible vérité : on a bel et bien abrogé le CPE à l'insu de Dominique de Villepin. Si la loi ne dit rien, ce sera aux Conseils de prud'hommes de trancher.

Aventurons nous un peu sur le terrain mouvant de l'extrapolation juridique. Terrain d'autant plus mouvant que nous sommes en matière sociale, ou des règles particulières s'appliquent, puisqu'il est toujours possible de déroger à la loi dans un sens favorable au salarié, mais dans ce sens là seulement.

Le principe est qu'une loi n'est pas rétroactive, sauf si elle le dit expressément. Puisque nous sommes dans une hypothèse de mutisme de la loi, sa rétroactivité est donc à écarter. Je précise qu'en matière pénale, le principe de non rétroactivité est absolu, c'est une protection fondamentale, un des droits de l'homme.

Si une loi n'est pas rétroactive, elle est en revanche d'application immédiate. Donc, à l'entrée en vigueur de cette loi nouvelle, il ne sera plus possible de signer de CPE.

Un CPE signé malgré cette abrogation ce remplacement sera requalifié en CDI de droit commun. Toutefois, si le contrat stipule l'indemnité de 8% en cas de rupture, il y a gros à parier que le CPH l'estimera due en cas de rupture pour cause réelle et sérieuse, puisqu'il s'agit d'une stipulation en faveur du salarié.

Et qu'en sera-t-il des CPE signés AVANT l'abrogation du CPE ? Puisque nous sommes en matière contractuelle, le principe est qu'il y a survie de la loi ancienne pour respecter l'équilibre voulu par les parties. Les CPE signés avant l'abrogation devraient rester valables (je le répète : nous sommes dans l'hypothèse où rien n'est dit dans la loi d'abrogation) jusqu'à l'expiration de la période de consolidation, où ils deviennent des CDI de droit commun. Outre le respect rigoureux des règles d'application de la loi dans le temps, des raisons d'opportunité viennent renforcer cette position : d'une part, les spécificités qui font le CPE ayant une durée de vie limitée à deux ans maximum, tous les CPE finiront par disparaître à brève échéance ; d'autre part, le CPE protège le salarié en cas de rupture en lui accordant une indemnité d'un montant considérable par rapport à un CDI, il n'est pas laissé dans une position désavantageuse par rapport à un salarié ordinaire.

Autre possibilité, plus sévère mais plus simple : au nom de l'ordre public et de l'égalité des salariés, tous les CPE sont immédiatement requalifiés en CDI et les Conseils de prud'hommes refusent d'appliquer les règles du licenciement non notifié (mais appliquent l'indemnité de rupture).

Bref, pour ménager l'ego du premier ministre par l'emploi de termes inappropriés, on ouvre une situation d'incertitude juridique pour les salariés et les employeurs. Le bouquet final est à la hauteur du reste du spectacle.

Mais il y en a qui doivent danser de joie, me direz-vous, ce sont les étudiants et lycéens ? Grâce à leur héroïque obstination à ne pas vouloir étudier, ils sont à l'abri de la "période d'essai" de deux ans et du licenciement non motivé ?

Et bien non, même pas.

Car si le CPE, faute d'estocade législative, aura droit à un déshonorant descabello, son frère jumeau le Contrat Nouvelles Embauches (CNE), lui, se porte comme un charme (400.000 signés pour une création nette de 140.000 emplois, claironne le gouvernement). Et rappelons que le CNE est un CPE qui s'applique à tout âge, moins de 26 ans inclus, pour les entreprises de moins de 20 salariés, c'est à dire là où les syndicats sont souvent absents et où il n'y a parfois aucune institution représentative du personnel (s'il y a moins de 11 salariés). Pour le reste, sa rédaction est identique à celle du CPE[2] : il y a une période de consolidation de deux ans, et la lettre de rupture n'a pas à être motivée.

Le CPE avait un avantage pour les jeunes : il ouvrait la porte des grandes entreprises, où l'emploi est nettement plus stable que dans des petites structures, qui certes recrutent plus, mais sont à la merci du premier retournement de la conjoncture économique.

Les étudiants ont remporté leur victoire d'Ausculum. Bon courage pour le bachotage de ces prochains mois (cette dernière phrase est dépourvue de toute ironie, je suis sincère, ils vont en baver).

Notes

[1] soit le lendemain de sa publication au JO sauf si la loi prévoit une entrée en vigueur repoussée le temps de mettre en place les structures nécessaires, la loi Perben II est un superbe exemple, avec une dizaine de dates d'entrée en vigueur différentes

[2] Voyez vous même : lisez l'article 2 de l'ordonnance du 2 août 2005 et l'article 8 de la loi du 31 mars 2006 : c'est un copier/coller.

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