Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 13 septembre 2006

mercredi 13 septembre 2006

Si ça c'est pas de la galanterie

Fin d'audience de comparution immédiate. L'horloge marque déjà vingt deux heures bien passées, la plupart des avocats sont partis, les bancs du public sont déserts à l'exception d'une jeune fille habillée comme pour aller en boîte, il ne reste qu'à juger les derniers dossiers. C'est au tour de Médi[1], qui visiblement est assez agacé d'être là. Son avocate lui fait signe de se calmer, mais il n'en a cure.

La présidente donne lecture de la prévention : violences conjugales ayant entraîné dix jours d'incapacité totale de travail. Il y a récidive du fait d'une précédente condamnation à un mois avec sursis, antérieure à la loi de décembre 2005 sur la récidive.

La présidente a sa mine des mauvais jours quand elle décrit les faits. Tout a commencé par une dispute sur le fait que Médi ne cherchait pas de travail et se contentait des indemnités ASSEDIC (à peine plus que le RMI) ce qui le faisait vivre aux crochets de Madame. Le ton est monté très vite et très haut, des deux côtés. Madame aurait reçu une première gifle et aurait alors tenté de mettre Monsieur dehors. La nature ayant mal réparti la masse musculaire, l'éviction s'est révélée impossible. Passant au plan B, Madame décide de partir chez sa mère, ce que Monsieur refuse.

Las, les femmes sont sournoises et n'en font qu'à leur tête. Après avoir feint la soumission, tandis que Monsieur est occupé ailleurs, elle prend la poudre d'escampette. Monsieur la rattrape promptement et lui offre en vrac noms d'oiseaux et coups, dérangeant ainsi le juste repos du voisinage, qui appelle la maréchaussée.

A l'arrivée de la police, Monsieur reconduit Madame au domicile conjugal en usant d'une méthode originale, la traction capilaire agrémentée de menaces de mort.

La police lui explique que pour conduire quelqu'un quelque part de force, il est plus adéquat de le menotter et de l'embarquer dans un véhicule avec gyrophare, et joint le geste à la parole. Le procureur a décidé de renouveler la démonstration du commissariat au palais, et le voici devant nous à cette heure tardive.

Madame est allée aux UMJ qui ont relevé des ecchymoses au visage, au bassin et aux jambes rendant la marche et la station debout pénible, et des plaies superficielles au cuir chevelu pour une ITT de dix jours.

La présidente se tourne vers le prévenu pour s'enquérir de ce qu'il a à dire.

"C'est faux, M'dame".

Je vois son avocate baisser la tête.

"Ha, c'est faux ? Vous ne l'avez pas frappée ?"

"Si, mais pas comme elle dit, la police. Je ne lui a pas donné de coup de pied, juste un balayette"

"Une... ?" demande la présidente

"Une balayette. (Geste horizontal du bras) Pour la faire tomber."

"Monsieur veut dire un balayage, Madame le président" précise le procureur d'une voix frôlant le zéro absolu.

"Merci, Monsieur le procureur. Et pas de coup de poing ?"

"Non, juste des gifles. Je donne pas des coups de poing à une femme."

"Ha, juste des gifles."

La greffière bondit sur son stylo et inscrit cette déclaration sur les notes d'audience. Je vois ma consoeur courbée sur ses notes porter la main à son front, comme si elle était très concentrée sur ses notes.

La présidente se tourne vers le procureur : "Si ça c'est pas de la galanterie".

Elle revient au prévenu.

"Donc vous lui avez porté des gifles, reprend la présidente en relisant le certificat médical, parce que Madame voulait aller voir sa mère ?"

"Non, M'dame, mais elle m'a mal parlé, elle m'a manqué de respect."

"Ha, demande la présidente, avec un rictus qui n'annonce rien de bon, vous considérez donc qu'elle l'a mérité ?"

"Ben ouais, qu'est ce que vous vouliez que je fasse ?"

Un silence tombe sur la salle. Tous les yeux sont braqués vers lui, même ceux des gendarmes, d'habitude si détachés, à deux exceptions près : son avocate, toujours abîmée dans la relecture de ses notes. Elle a les joues d'un joli rouge. Et Madame, assise impassible sur le banc des parties civiles, les yeux dans le vide, droit devant elle.

"Vous pouvez vous asseoir. Madame, levez-vous."

Madame se lève et va à la barre. Elle prend aussitôt la parole.

"Je voudrais dire que je retire ma plainte."

La présidente la regarde, interloquée.

"Vous retirez votre plainte ?"

"Oui. C'est pas grave ce qui est arrivé, c'est entre lui et moi, je veux pas qu'il aille en prison."

La présidente a abandonné le ton compatissant qu'elle réserve d'habitude aux victimes.

"Qu'il aille en prison ou pas n'est pas de votre ressort, mais de celui du tribunal. Quant au fait que vous retiriez votre plainte, cela ne met pas fin aux poursuites, qui sont exercées par le procureur. Mais à titre personnel, permettez moi de vous dire que les violences conjugales ne sont jamais anodines et sont rarement isolées. En refusant de voir les choses en face, c'est vous que vous mettez en danger."

La victime garde les yeux baissés et son visage fermé. Médi, dans le box, arbore un sourire satisfait.

La présidente abrège l'interrogatoire de la victime, qui n'a rien à déclarer.

Le procureur se lève et explose. Ses premiers mots sont contre le prévenus, mais les plus durs sont pour la victime, qui par son attitude soumise accepte les violences qu'elle subit, et aux yeux du prévenu accepte ses torts en le dédouannant complètement.

"Effectivement, rien ne vous oblige à vous constituer partie civile, mais peu importe, l'action publique n'est pas soumise à la condition d'une plainte préalable. Si vous ne voulez pas vous protéger, le parquet vous protégera malgré vous. Je demande dix mois de prison, fermes en raison du risque de réitération révélé par la récidive et de l'inconscience que montre le prévenu à la gravité des faits et bien sûr maintien en détention".

Ma pauvre consoeur se lève comme si sa robe pesait une tonne. Elle ne lit pas ses notes : je devine que son client n'a pas tenu compte un seul instant de ce qu'elle lui avait dit au cours de leur entretien sur les propos à éviter. Elle s'appuie sur son seul bâton, la victime qui refuse de se constituer partie civile, ce qui tend à limiter la gravité apparente de l'infraction, et plaide pour un sursis avec mise à l'épreuve et obligation de soin psychologiques.

Le prévenu n'a rien à ajouter. Sans doute ce qu'il a dit de plus intelligent.

Sept mois ferme, révocation du sursis automatique, donc huit mois en tout, maintien en détention.

Du banc du public, Madame envoie un baiser de la main au prévenu.

Notes

[1] Il va de soi que les prénoms ont été changés.

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