Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 3 septembre 2007

lundi 3 septembre 2007

Préparons nous à être champions du monde

Non, ce billet ne parlera pas d'athlétisme, mais de rugby. La coupe du monde commence vendredi et durera jusqu'au 20 octobre.

J'ai déjà exprimé en ces lieux l'enthousiasme que provoque chez moi ce sport, et j'espère que ce sera l'occasion pour ceux d'entre vous qui ne le connaissent pas de le découvrir, car c'est un sport spectaculaire, haletant, avec parfois des fins de partie d'un suspens à la limite du soutenable. Et le tout dans un esprit de fête dans le public à des années lumières des ambiances délétères de certains matchs de football européens.

Je compte donc reprendre mes billets sur les drapeaux de nos adversaires pour leur rendre hommage et se cultiver au passage.

Mais j'ai parfaitement conscience que le principal obstacle pour que des néophytes découvrent ce sport est la complexité des règles.

Voilà où se situe le lien avec le thème habituel de ce blogue : les règles d'un sport, c'est du droit. Et ici, elles ont connu la même évolution, toutes proportions gardées, avec notre droit, à savoir une complexité par empilage de textes, car elles doivent concilier deux intérêts parfois divergents : la fluidité et le caractère spectaculaire du jeu (ou dit autrement : le plaisir des spectateurs) d'une part, et de l'autre la sécurité physique des joueurs. Car le rugby est un sport de contact, et la poussée de croissance des joueurs ces quinze dernières années (mais que mettent-ils dans les céréales, dans l'hémisphère sud, se demanderait Candide ?) a rendu encore plus nécessaire ces règles de sécurité. N'oublions jamais Max Brito, joueur de l'équipe de Côte d'Ivoire, qui lors du match ayant opposé son équipe aux Iles Tonga, a fini paralysé.

Et je vous propose un défi pour un juriste : vous expliquer l'essentiel des règles en moins de dix minutes de lectures. Les fioritures et subtilités vous seront expliquées au cours des matchs, la tradition étant que les commentaires soient toujours assurés par un journaliste sportif assisté d'un ancien international (c'est ainsi qu'on appelle les joueurs ayant revêtu le maillot de l'équipe de France) qui connaît les règles comme sa poche. Pour le reconnaître, c'est simple : c'est lui qui a le plus fort accent du sud.

C'est parti.

Le match se joue en deux mi temps de 40 minutes chacune. L'équipe qui a marqué le plus de points a gagné.

Les points se marquent au pied ou en marquant des essais. Un essai, qui est la façon reine de marquer des points, consiste pour un joueur d'une équipe à porter le ballon au-delà de la ligne de fond du terrain de jeu, appelée ligne d'essai, et de la poser dans la zone d'en-but en exerçant une pression de haut en bas (on parle d'aplatir un essai). Si l'arbitre estime que le joueur avait perdu le contrôle de la balle avant que cette pression ne soit exercée, l'essai sera refusé. L'essai vaut cinq points.

Au pied, on peut marquer des points en passant d'un coup de pied le ballon entre les poteaux en forme de H situés au centre de la ligne d'essai, au dessus de la barre transversale. Cela peut être fait à trois occasions.

Après un essai, l'équipe qui a marqué peut tirer un coup de pied au niveau du point où l'essai a été marqué. Un essai en coin est donc difficile à transformer, un essai entre les poteaux étant une formalité à transformer. Il y a donc une incitation à marquer le plus au centre possible, ce qui est plus difficile. Et c'est pourquoi vous verrez parfois des joueurs continuer à courir dans la zone d'en-but pour essayer d'obliquer vers les poteaux, afin de faciliter le travail du botteur. Symboliquement, lors d'une transformation, l'équipe qui a encaissé abandonne le terrain aux adversaires et se regroupe dans son en-but. La transformation donne deux points ; un essai transformé vaut donc en tout 7 points.

En cours de jeu, une équipe peut tenter de faire passer la balle entre les poteaux. On appelle cela un drop, car le joueur lâchera (en anglais to drop) la balle qui devra toucher le sol avant d'être frappée. C'est une façon de profiter d'une domination passagère en face des poteaux, quand l'équipe pense qu'elle n'aura pas le temps où les moyens de franchir la défense pour aller à l'essai. La finale de la coupe du monde de 1995 (Afrique du Sud 15 - Nouvelle Zélande 12) s'est réglée à coups de drops.

Enfin, une équipe qui a subi une faute volontaire bénéficie d'une pénalité, qu'elle peut jouer de différentes façons, l'une d'entre elles étant de frapper un coup de pied arrêté pour le passer entre les poteaux. Pendant longtemps, une spécialité de la France était de commettre de telles fautes face à ses poteaux, surtout quand l'Angleterre jouait. Cela s'est payé par sept années sans battre l'Angleterre, jusqu'en petite finale de coup du monde 1995 (19-9). La pénalité réussie vaut trois points. On appelle les coups de pieds à trois points (drops et pénalités) des "buts", souvenir du fait que le rugby descend du football.

Un temps de jeu se déroule ainsi : l'équipe qui a la balle progresse vers l'en-but adverse jusqu'à ce que le porteur de la balle soit plaqué (ou qu'il marque un essai, bien sûr). Il doit alors aussitôt lâcher la balle. Un regroupement se forme, ses partenaires protégeant la balle pendant qu'un autre s'en saisit et la passe aux autres membres de l'équipe pour qu'ils reprennent la progression.

Le porteur de la balle ne va pas toujours jusqu'au contact : il peut passer la balle à un partenaire (toujours en arrière) avant d'être plaqué (auquel cas il ne doit pas l'être, le plaquage à retardement est une faute punie d'une pénalité : seul le porteur de la balle peut être touché), il peut aussi s'en débarrasser d'un coup de pied, soit visant uniquement à faire reculer les adversaires quitte à leur rendre la balle, soit en tapant dans l'espoir de la récupérer lui-même, par un coup de pied rasant (un coup de pied "à suivre") ou en parabole, qui monte haut mais progresse peu (une "chandelle").

Le jeu continue jusqu'à ce qu'une faute soit sifflée ou que la balle sorte de l'aire de jeu par le côté, une "touche".

La touche se joue au niveau où la balle est sortie du terrain, sauf si elle sort directement d'un coup de pied sans toucher le terrain, auquel cas la touche est jouée de là où le coup de pied a été frappé. Exception à l'exception (je vous disais qu'on baigne en plein droit) : si le coup de pied a été tiré dans une zone située entre la ligne d'en-but de l'équipe et une ligne tracée à 22 mètres (la "ligne des 22") : c'est une zone où les règles favorisent quelque peu la défense, et il y a tout intérêt parfois à se débarrasser de la balle en l'envoyant loin en touche, ce qui permet à une équipe aux abois de se regrouper et d'éloigner le danger. Les deux équipes s'alignent à cinq mètres du bord, un joueur de l'équipe n'ayant pas envoyé le ballon en touche la lance entre les deux lignes qui vont tenter de la récupérer. L'avantage de l'équipe qui lance la balle est qu'elle sait si le lancer va être en profondeur, ou destiné aux premiers joueurs, ce que l'autre équipe découvre lors du lancer.

Une faute involontaire est sanctionnée d'une mêlée. Huit joueurs de chaque équipe (les plus gros gabarits, qui portent le numéro 1 à 8 au début du jeu) forment un dôme, et l'un des joueurs, le demi de mêlée (n°9) lance la balle dans les pieds de ses partenaires, qui vont tenter de progresser en faisant reculer la mêlée adverse, et si elle reste inamovible, feront sortir la balle par l'arrière où elle sera saisie et passée à la main comme après un regroupement. L'avantage pour l'équipe qui bénéficie de la mêlée est qu'en principe, elle va conserver la balle et relancer le jeu alors que huit des plus gros joueurs adverses seront temporairement immobilisés : cela laisse de la place pour passer. Ca ne marche pas à tous les coups, loin de là, puisque l'équipe adverse est en nombre identique : la mêlée donne un petit avantage, car elle sanctionne une faute involontaire. La faute involontaire la plus classique est "l'en avant", souvent prononcé "ininvin" par le commentateur ancien rugbyman : la balle a échappé des mains du porteur et progressé vers l'en-but adverse.

Une faute volontaire est punie d'une pénalité. La pénalité laisse un choix à l'équipe qui en bénéficie. Elle peut tenter de tirer un coup de pied à l'endroit où la faute a été commise pour le passer entre les poteaux et marquer ainsi trois points. Elle peut la jouer à la main : l'équipe pénalisée recule de dix mètres, l'équipe qui bénéficie de la pénalité se replace à sa guise, et le jeu reprend quand la balle, posée au point où la faute a été commise, est ramassée. C'est le signe d'une équipe dominatrice, ou aux abois en fin de partie quand elle est menée, qui préfère tenter l'essai, trois points ne les sauvant pas. Enfin, l'équipe bénéficiant de la pénalité, si elle est trop loin pour tenter de la placer entre les poteaux, peut envoyer d'un coup de pied la balle en touche : la touche est jouée normalement, sauf que l'équipe bénéficiant de la pénalité garde la possession de la balle. On parle de "pénaltouche".

Voilà, vous savez l'essentiel. Un mot encore sur le maul : il arrive que le porteur de la balle, saisi par un adversaire, reste debout. Auquel cas ses partenaires vont se lier à lui pour pousser et continuer la progression, tandis que d'autres joueurs adversaires vont se lier pour bloquer la progression. La balle doit être sortie du maul dès qu'il cesse de progresser ou s'effondre, sinon, l'équipe en défense bénéficie d'une mêlée.

Le reste vous sera expliqué au cours des matchs par les commentateurs.

Pourquoi ne pouvez-vous qu'aimer le rugby ?

Parce que le rugby est un sport collectif par essence. Le meilleur joueur du monde n'est rien sans ses 14 compagnons. Pas d'individualités ni d'ego dans ce sport. Il y a une beauté dans le sacrifice symbolique du jeu : quand un joueur tombe, un autre surgit et reprend le combat.

Vous noterez aussi une différence essentielle avec le football dans l'arbitrage. Dans le football, l'arbitre est silencieux, siffle et sanctionne. Il est souvent contesté, du coup, sa décision n'étant pas toujours comprise par les joueurs. Au rugby, l'arbitre ne cesse de parler aux joueurs. Il avertit sans cesse, et commente pour les joueurs qui ne voient pas. Il dira à ce joueur qu'il est mal placé, sommera tel autre de lâcher la balle, avertira que la mêlée tourne sur elle même, ce qui est interdit. Si l'incident ne se règle pas très vite, il sifflera la faute. Qui ne sera jamais contestée. De plus, il existe la règle de l'avantage : la faute n'est pas sifflée si l'équipe adverse peut tirer profit de la situation de jeu. Imaginons qu'après un en-avant, un joueur adverse ramasse la balle et court marquer un essai : faut-il siffler et donner une mêlée à la place à son équipe ? Le jeu ne s'interrompt que si c'est nécessaire.

Le suspens fréquent : il vient de ce système de points, finement calculé. Un essai non transformé est contrebalancé par deux buts à trois points, mais pas un essai transformé. Des remontées spectaculaires peuvent avoir lieu, et un match n'est jamais gagné avant le coup de sifflet final.

Enfin, dans ce sport, quand un joueur italien tombe, il se relève immédiatement et reprend le jeu. Ca repose.

Deux exemples qui sont des souvenirs inoubliables.

Le 1er mars 1997, lors du Tournoi des Cinq Nations (devenu depuis 2000 les Six Nations, tournois annuel qui oppose chaque année à la fin de l'hiver les équipes d'Angleterre, d'Ecosse, du Pays de Galles, d'Irlande, d'Italie et de France), la France affrontait l'Angleterre chez elle, à Twickenham. A la mi temps, la France était menée 20 à 6. Et soudainement, renversement de situation (la France est souvent brillante dans les 20 dernières minutes de ses matchs), la France remonte, Christophe Lamaison réalise un Full House, c'est à dire marque des points de toutes les façons possibles (1 essai, 2 transformations, une pénalité et un drop), et la France gagne 23 à 20. Pour la petite histoire, l'Ecosse recevait l'Irlande au même moment. Quand le speaker a annoncé dans les hauts parleurs que l'Angleterre avait été vaincue, le public, écossais et irlandais confondus, ont acclamé l'exploit du XV de France.

Le 31 octobre 1999 (les amateurs de rugby ont la chair de poule à la mention de cette date), en demi finale de la coupe du monde de rugby, la France affronte les All Blacks de Nouvelle Zélande. Elle était donnée archi perdante, et c'est ce qui l'a sauvée. Elle est allée jouer sans pression, crânement. Ca a mal commencé, il faut le dire. La Nouvelle Zéalnde avait un joueur exceptionnel, Jonah Lomu, dont la carrière a pris fin prématurément pour des problème rénaux. Jonah Lomu, 1m96, 120kg, une fois lancé, ne pouvait pas être arrêté. C'était impossible. Et puis, le déclic. Si les Néo Zélandais sont un mur infranchissable, il faut passer au dessus. Les joueurs ont réussi à perturber le jeu des All Blacks, à les faire douter, et à aligner les points face à des Blacks totalement perdus.

Histoire de terminer sur un frisson, et une illustration de ce que je vous ai expliqué, voici les points marqués lors de ce match, commentaires en Anglais. Les Français jouent en bleu, les néo zélandais en noir.

Dans l'ordre : Course de Dominici, plaqué à quelques mètres de la ligne d'en-but. Un regroupement, la balle ressort rapidement, et essai de Lamaison. Notez comme il oblique sa course afin d'aplatir entre les poteaux : c'est lui qui doit tirer la transformation après.

Essai de Lomu sur une charge que cinq défenseurs ont été impuissants à arrêter (l'essai part d'un regroupement, passe à un joueur qui transmet à Lomu qui avait anticipé et était déjà à pleine vitesse).

Touche de l'équipe de France, qui est dans ses 22 mètres. Elle récupère la balle, tente un mole qui ne progresse pas. Elle ressort la balle, et s'en débarrasse d'un coup de pied. L'arrière (n°15) des All Blacks commence une course avec Jonah Lomu. Jonah Lomu, qui n'est pas encore à pleine vitesse, évite le choc avec les Français en rendant la balle à son partenaire, franchit la ligne française, récupère la balle de son partenaire, et est lancé : essai.

Série de regroupements français, en face des poteaux, qui font reculer les All Blacks. Lamaison est alors en position idéale pour un drop.

Encore un regroupement français. Un joueur néo zélandais commet une faute dans le regroupement, l'arbitre signale une pénalité (bras levé en diagonale vers le camps français qui en bénéficie) mais laisse jouer l'avantage. Lamaison repasse un drop. La pénalité ne sera pas sifflée. Si Lamaison avait raté son drop, la France n'ayant pas tiré avantage de la situation, Lamaison aurait pu retirer son coup de pied quasiment du même endroit.

Regroupement français quelque peu chahuté. Galthié sort la balle, et voyant un espace vide dans la défense All Black, tape une chandelle, que Dominici suit. Le rebond de la balle (le ballon ovale rend ces rebonds imprévisibles) est providentiel et Dominici à pleine vitesse n'a qu'à tendre le bras pour l'attraper, et court marquer l'essai. La France repasse devant au score.

Maul français qui progresse (du jamais vu face aux Blacks dans cette coupe du monde), finalement arrêté à cinq mètres de la ligne d'en-but des Blacks. La balle est alors ressortie, passe à Lamaison, qui tire une chandelle d'une précision de tireur d'élite, que Richard Dourthe va aplatir dans le dos des All Blacks qui ne s'attendaient pas à ce que les Français passent au dessus.

Mêlée, introduction néo zélandaise. Ils conservent la balle, font une série de passe pour lancer une attaque de l'autre côté du terrain. Un des joueurs néo zélandais lâche la balle. Christophe Lamaison tape la balle qui file au ras du sol (coup de pied à suivre). Deux français s'élancent : le premier est Olivier Magne, qui porte un casque (merci à bertrand en commentaires de m'avoir rappelé qui c'était), et relance la balle d'un coup de pied tandis que le joueur le plus rapide de l'équipe, le "lévrier palois" Philippe Bernat Salles rattrape la balle et aplatit l'essai. Le renversement a été si rapide qu'il n'y a aucun joueur adverse dans la trajectoire. Notez quand même que Wilson, l'arrière néo zélandais était sur le point de rattraper Bernat Salles, surtout du fait que ce dernier devait ralentir pour ramasser la balle, mais quand même, quel sprint...

Série de regroupements néo-zélandais tous près de l'en-but français. La balle part vers l'autre côté du terrain, ce côté étant trop occupé. Wilson reçoit la balle et alors qu'il se prépare à la passer, voit un trou dans la défense qui le mène droit entre les poteaux. Grosse erreur défensive française.

Mais c'est trop tard et le match se termine sur le score de 43 à 31 (le résumé ne montre ni les transformations - toutes réussies pour la France, 2 sur 3 pour les néo zélandais- et les pénalités - 4 pour la Nouvelle Zélande, 3 pour la France).

La France n'a jamais gagné la coupe du monde, mais a joué deux fois la finale (1987, perdue face à la nouvelle Zélande, 1999, perdue face à l'Australie). Cette fois, c'est la bonne.

A vendredi pour le début des hostilités.

Ajout 14h30 : on me signale en commentaire la très bonne page faite par TV5 qui explique en image les règles principales. C'est très clair et bien fait.

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