Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 18 septembre 2007

mardi 18 septembre 2007

Je serais parlementaire de l'opposition...

... plutôt que de faire dans la surenchère verbale devant le premier micro qui traîne, j'irais lire avec intérêt le blogue de Diner's Room. Dire de l'amendement de Thierry Mariani qu'il est contraire aux valeurs de la République est une formule creuse. Dire qu'il est juridiquement absurde et inapplicable, c'est plus exact, et en plus, c'est un poil humiliant.

Maljournalisme à Libération : la tradition continue

Je m'étais promis de laisser un peu Libé en paix, mais là, ils me cherchent.

Relater un litige juridique porté au procès est un exercice difficile quand on n'est pas juriste soi même, je le conçois très bien et ai les yeux de Chimène pour ceux qui se frottent à l'exercice. Tant qu'ils le font de bonne foi.

Parce que quand la bonne foi laisse place au parti pris, et la tentative d'explication aux propos de comptoir, c'est le lecteur qu'on insulte.

Démonstration avec cet article de Renaud Lecadre, dans le numéro daté du 18 septembre 2007 : La justice tord le droit pour sauver un avocat, sous titrée : La cour d’appel d’Aix et la Cour de cassation sont revenues sur une décision sanctionnant fortement Me Lombard.

D'emblée, on en déduit qu'un tribunal de grande instance a condamné fortement mon confrère Paul lombard, mais que cette condamnation a été réduite ou annulée (la lecture de l'article apprend qu'elle a été réduite) par la cour d'appel d'Aix en Provence, confirmée en cela par la cour de cassation. Bref, la sévérité des juges du premier degré tempérée par les juges du second degré, approuvés en cela par la cour de cassation. C'est d'une banalité affligeante.

Le corps de l'article essaie néanmoins d'en faire un scandale judiciaire, au point qu'on en arrive à se demander si l'auteur a un compte à régler avec l'avocat marseillais ou est ami avec les plaignants. Jugez vous-même (les gras sont de moi, les italiques sont d'origine).

Une boulette d’avocat empoisonne la justice française depuis un quart de siècle. Commise par Me Paul Lombard, elle pèse plusieurs millions d’euros. La magistrature semble s’être mobilisée pour sauver ce ténor du barreau de Marseille. De l’art de compliquer à plaisir une procédure judiciaire d’une simplicité biblique.

Une telle entrée en matière est un monument en soi. Vous n'avez pas encore UN élément d'information, mais déjà, on vous met dans le crâne que l'avocat a commis "une boulette", que cette affaire "empoisonne la justice française" et que la magistrature "se mobilise pour sauver" cet avocat, "compliquant à plaisir" une procédure "d'une simplicité biblique".

Alors, cette procédure d'une simplicité biblique, de quoi s'agit-il ?

En 1983, une discothèque des Bouches-du-Rhône, Le Pénélope, est détruite par le feu. Ses exploitants sont couverts par une assurance. L’assureur Allianz rechigne à les indemniser, prétextant un sinistre d’origine ­criminelle.

Le prétexte fera long feu, mais les tauliers du night-club doivent entre-temps recourir à un avocat, le célèbre Me Lombard.

N'y aurait-il pas une possibilité pour que l'intervention "entre-temps" de l'avocat soit la cause de l'abandon de la thèse criminelle ? Non, le "prétexte" a fait long feu tout seul, tant on sait que la Vérité triomphe toujours toute seule, que les assurances sont enclines à reconnaître spontanément leurs torts, et que les discothèques des Bouches-du-Rhônes sont sujettes à la combustion spontanée.

[L'avocat] s’emmêle les crayons : il lance un référé, procédure d’urgence, en vue d’obtenir une ­provision avant que le litige ne soit définitivement tranché ; puis omet de lancer une procédure au fond, laissant passer le délai de prescription - à dix-neuf jours près… Résultat : les ­propriétaires du Pénélope ont certes pu se faire indemniser au titre de la perte ­d’ex­ploi­tation (460 000 francs), mais pas au titre de la réparation des ­dégâts matériels, bien plus conséquents.

Que les lecteurs qui ont compris cette procédure d'une simplicité biblique lèvent le doigt.

C'est bien ce que je pensais. Moi même, avec ces quelques éléments, j'ai du mal.

Nous étions en présence d'un fait couvert par un contrat d'assurance : on appelle cela un sinistre. Le sinistré a demandé à son assurance de l'indemniser du dommage qu'il a subi. L'assurance a refusé sa garantie, car visiblement elle ne couvrait que les incendies accidentels et non les incendies criminels (ce qui en soi est étonnant).

Quand une assurance refuse sa garantie, c'est au juge de trancher si le sinistre est ou non un événement couvert par le contrat. Le procès pouvant être long, la loi prévoit la possibilité de demander une provision, c'est à dire si l'obligation de l'assureur n'est pas sérieusement contestable, on peut par une procédure spéciale et rapide, le référé, demander à ce que l'adversaire soit condamné immédiatement au paiement d'une somme que le juge fixe à ce qu'il estime être le minimum de ce que le tribunal prononcera. Si le juge estime qu'effectivement, dans cette affaire, se pose une contestation sérieuse, il refusera d'accorder la moindre somme.

L'avocat en cause saisit le juge des référés et obtient le paiement d'une provision, ce qui semble indiquer que la contestation de l'assureur n'était pas sérieuse (ce qui doit être résumé par le journaliste comme "le prétexte a fait long feu", car entre informer le lecteur et faire un jeu de mot, le journaliste doit toujours choisir le second.

Mais en droit des assurances, le délai de prescription est très court : il est de deux ans. La procédure en référé a interrompu le délai, qui court à nouveau. Il semblerait donc que l'avocat n'ait pas engagé une action devant le tribunal pour faire juger l'intégralité du préjudice dans les deux ans suivant l'ordonnance de référé, ayant laissé passer ce délai de 19 jours nous apprend l'article (car seuls les détails insignifiants méritent d'être portés à la connaissance du lecteur, dans l'hypothèse ou aucun jeu de mot n'est possible).

Or si de manière générale nous avons en tant qu'avocat une simple obligation de moyens, c'est à dire que nous sommes tenus de faire de notre mieux sans jamais être tenu à garantir un résultat, il n'en va pas de même pour les aspects procéduraux. Nous devons saisir le tribunal comme Dieu le code de procédure l'ordonne, et ce dans les délais qu'il prescrit. Laisser s'écouler un délai est une faute, sauf à ce que l'avocat puisse fournir des justifications puissantes (par exemple, il avait indiqué en temps utile à son client que faute d'être payé de ses honoraires, il n'engagerait pas l'action en justice). Le délai, c'est le cauchemar de l'avocat.

Ici, la faute (laisser courir le délai de prescription) a causé à son client un dommage : il est déchu du droit de demander à être indemnisé des dégâts à son établissement soit la somme de 5 millions de francs. Conséquence, son avocat doit l'indemniser de ce préjudice. C'est pourquoi nous avons tous une assurance professionnelle obligatoire (votre serviteur est ainsi couvert jusqu'à plus de trois millions d'euros de dégât par dossier). Concrètement, l'assurance de l'avocat se substitue à l'assurance de la discothèque.

Vous voyez ici l'avantage de recourir aux services d'un avocat : s'il se plante, vous avez la certitude d'être couvert.

D'où nouveau procès, le propriétaire de feu la boîte de nuit (il n'y a pas de raison que seuls les journalistes fassent des jeux de mots dans leurs articles) contre son ancien avocat et son assurance.

Reprenons notre lecture.

Faute lourde ou légère ? En 1996, le tribunal de Marseille condamne Me Lombard et l’assureur de son cabinet d’avocat, Axa, à verser 5 millions de francs de dommages et intérêts - 12 millions avec les pénalités de retard - à l’ancienne boîte de nuit. Avec ces attendus saignants : Me Lombard, «praticien expérimenté et de renom», a «manifestement commis une lourde négligence», «failli à son devoir le plus élémentaire de conseil». Humiliation suprême, il est condamné à rembourser les frais judiciaires engagés contre lui-même par ses anciens clients…

Là encore, je ne comprends pas une chose : pourquoi le tribunal parle-t-il de l'obligation de conseil de l'avocat, alors que laisser s'écouler un délai (on dit "faire péter un délai" entre nous) relève de l'obligation de diligence ? Las, ce n'est pas dans l'article que je trouverai une explication. Quant à "l'humiliation suprême" dont se délecte le journaliste, il s'agit tout simplement de l'application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, qui est une règle d'équité et non d'humiliation, ces considérations n'ayant pas leur place dans un prétoire.

En 1997, la cour d’appel d’Aix-en-Provence reprend les choses en main. La boulette professionnelle est certes confirmée, mais requalifiée en «négligence pouvant avoir pour origine une conviction erronée» : la «faute commise par Me Lombard, pour être patente, n’était cependant pas grossière», pas même «absurde ou désespérée»… Avant de réduire par deux les dommages et intérêts, la cour d’appel a dû phosphorer : l’issue de la procédure qu’il aurait dû initier, «n’étant pas certaine d’aboutir», Me Lombard n’a «donc fait que perdre à ses clients une chance d’obtenir satisfaction».

Le Pénélope était pourtant assuré à 100 %, il était donc sûr d’être remboursé pour peu que son assureur eût été correctement assigné. La Cour de cassation a validé la réduction par deux, au motif «qu’une instance n’est jamais certaine». On ne saurait mieux dire que la justice est une loterie.

Et on ne saurait mieux dire que l'auteur ne sait ni ne comprend de quoi il parle. Passons sur la confusion entre réduction et division : la cour n'a pas réduit la somme due à 4.999.998 francs mais à 2.500.000.

Qu'a décidé la cour ? Ce que le journaliste met clairement sur le compte du copinage entre les conseillers et le célèbre avocat, c'est une transformation du lien de causalité.

Pour qu'une faute oblige à réparer un dommage, il faut que la faute ait causé le dommage. Le problème se pose de savoir parfois de savoir quel aurait été le dommage si la faute n'avait pas été commise. Par exemple, un médecin tarde à diagnostiquer un cancer qui emporte son patient. Comment être sûr que si le médecin avait diagnostiqué plus tôt, le patient eût été sauvé ? Il est des cancers qui ont un taux de mortalité élevé dès lors que leur développement atteint le point où ils sont identifiables.

Et il en va de même avec les actions en justice : qu'est ce qui permet d'être sûr que si l'action en justice avait été introduite dans les délais, l'assurance aurait été condamnée à payer cinq millions de francs ?

Pour éviter que face à une impossibilité de déterminer avec certitude un préjudice qui lui est certain dans son principe, la victime se retrouve sans rien, la jurisprudence a inventé la théorie de la perte de chance. Reprenons l'exemple du patient. Un expert médecin examinant le dossier va estimer que si le cancer avait été diagnostiqué dès la première visite, le patient aurait eu 80% de chance de vivre. La découverte tardive a réduit ses chances de survie à 10%. Son préjudice se calcule donc comme étant égale à 80-10=70% de la réparation de son décès s'il avait été causé par la faute exclusive du médecin. Les 30% restant représentent la probabilité que diagnostiqué à temps et soigné dans les règles de l'art, il serait mort néanmoins, ce qui n'est pas le résultat d'une faute, mais la part de la fatalité. Le préjudice est constitué par l'augmentation des chances de décès, qui elle est certaine. Et il y a aléa médical comme il y a aléa judiciaire. Ce qui ne veut pas dire que la justice est une loterie, cela veut dire qu'on ne peut savoir à l'avance le résultat d'un procès.

C'est cette théorie qu'a appliqué la cour d'appel. Elle a étudié le dossier, et estimé qu'en l'état, il y aurait eu une chance sur deux pour que le propriétaire soit débouté de sa demande de prise en charge du sinistre. Soit que le contrat ne couvre pas ce type de sinistre, soit qu'il y ait un doute sérieux sur la réalité du caractère accidentel du sinistre.

Ce que le journaliste balaye négligemment d'un "Le Pénélope était pourtant assuré à 100 %". Parce que vous connaissez beaucoup de contrats d'assurance qui vous assurent à 50% d'un sinistre ? "Si votre maison brûle, je vous en rembourse la moitié, si vous êtes handicapé à vie, je vous indemnise vos matinées" ? Ou alors, mais je n'ose le penser, ce journaliste est assuré "au tiers" pour sa voiture et croit qu'il s'agit d'une fraction, alors que cela désigne les tiers, soit les personnes autres que le conducteur...

Des lecteurs, j'entends des lecteurs de mon billet, pourraient se poser des questions : comment diable les juges d'Aix ont-ils pu dire qu'il y a aléa judiciaire, alors qu'ils sont juges, qui plus est les juges qui auraient eu à juger l'affaire si elle avait été introduite à temps, et qu'ils avaient les éléments du dossier sous les yeux ? Ils n'avaient qu'à faire le procès qui aurait dû être fait, l'assureur de l'avocat étant condamné à la place de l'assureur de la discothèque.

Ce n'est pas si simple. Ce procès était un procès en responsabilité civile d'un avocat, pas un simulacre visant à faire échec à une prescription. Les avocats de l'assurance n'étaient pas les mêmes (oui, ça peut faire une différence, nous ne sommes pas interchangeables), les mesures d'expertise qui auraient été ordonnées dans le premier procès n'étaient plus possibles, bref aucune certitude n'était permise dans ce dossier. Si tel avait été le cas, la cour aurait condamné l'avocat à prendre en charge l'intégralité du sinistre.

Bref, en appel, l'assurance de l'avocat a réussi à démontrer que le procès que voulait intenter le propriétaire était tout sauf gagné.

La cour n'a pas "tordu le droit", elle l'a appliqué, mais le reconnaître aurait privé le journaliste d'un autre jeu de mot pour son titre, et ça, c'était pas possible, quitte à tordre la déontologie journalistique et à commettre un délit passible de six mois de prison. On est à Libé, quoi.

Mais une autre question doit ici vous assaillir...

Si la cour d'appel a statué en 1997, la cour de cassation a dû rejeter le pourvoi il y a longtemps... [Mise à jour : c'était le 4 avril 2001]Pourquoi reparler de cette affaire ?

C'est la fin de l'article qui nous l'apprend. Le propriétaire partiellement débouté a pris goût à la procédure et a porté plainte pour faux en écriture contre... la cour d'appel et la cour de cassation, ou je suppose, les juges ayant siégé dans ces affaires. Rien que ça. Pourquoi ? Parce que le récit des faits dans les arrêts de ces deux juridictions ne convient pas aux plaideurs déboutés, qui estiment que puisque ce récit est inexact, c'est qu'il est faux, hé bien les juges ont donc commis intentionnellement un faux en écritures publiques. Dans un arrêt de justice, ce qui rend les juges l'ayant commis passibles de la cour d'assises et de quinze années de réclusion criminelle. Et accessoirement, étant un crime, se prescrit par dix ans.

Il s'agit ici de l'action d'un plaideur qui cherche à contourner l'autorité de la chose jugée, c'est à dire à remettre en cause ce que les juges ont définitivement décidé sous prétexte que ça ne l'arrange pas, en les accusant d'avoir sciemment fondé leur décision sur des faits faux. Par quérulence, il s'attaque pénalement aux juges qui ne lui ont que partiellement donné raison, sous entendant que s'ils ont statué ainsi, ce ne peut être que par malhonnêteté. Ce faisant, c'est l'indépendance de la justice qu'il attaque. On peut trouver cela condamnable, la prudence voulant qu'à tout le moins on se distancie de cette initiative qui repose sur une théorie pour le moins audacieuse : les juges auraient sciemment risqué quinze ans de réclusion criminelle pour ne pas que de l'argent qui n'est pas à eux lui soit remis, et afin de sauver (partiellement) la réputation d'un avocat, comme si la réputation d'un avocat tel que Paul Lombard, avec la carrière qu'il a eu et la qualité de ses oeuvres pouvait en quoi que ce soit être atteinte par un sinistre lié à une prescription civile...

Hé bien pour l'auteur de l'article, c'est tout le contraire. Après avoir bu sa honte cul sec, voici sa conclusion objective et impartiale.

Sans se désemparer, les patrons du Pénélope viennent d’attaquer la cour d’appel d’Aix et la Cour de cassation pour faux en écriture (sic). Initiative hardie, visant à contourner la sacro-sainte «autorité de la chose jugée». Certains écrits des hauts magistrats relèvent pourtant d’une véritable réécriture de l’histoire. La plainte des propriétaires du Pénélope mériterait d’être examinée, ne serait-ce que pour la beauté du geste. En avril, le juge Le Gallo a refusé de l’instruire, au motif que cela reviendrait à «permettre à tous les plaideurs mécontents d’une décision rendue à leur encontre de saisir le juge pénal pour faux intellectuel». La cour d’appel d’Aix va statuer aujourd’hui sur un faux qu’elle est présumée avoir commis elle-même, sans que la Cour de cassation n’y voit malice. Pour l’amour du droit, on repassera.

L'amour du journalisme, lui, est mort depuis longtemps. De honte.


PS : Full disclosure : je ne connais pas personnellement Paul Lombard, je n'ai jamais eu de dossier où il intervenait. Je ne connais aucune des parties à cette affaire, et pour ceux qui croient que seul le corporatisme me fait voler au secours de mon confrère, je ferai remarquer que dans cette affaire, le plaignant aussi avait un avocat, et que le même corporatisme devrait m'interdire d'insinuer que son client n'avait pas entièrement raison. Alors merci de vous garder de ce genre d'arguments, qui ont une curieuse tendance à la désintégration spontanée.

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