Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 20 septembre 2007

jeudi 20 septembre 2007

La nausée

Je suis dans une colère noire. Il faut que je me retienne, tant les mots qui me viennent à l'esprit sont violents pour qualifier ce que les députés ont fait ce matin, à 2h10. Et quand je lis les mots qu'a eu le rapporteur de ce projet de loi, Monsieur le député Mariani, j'en ai des nausées.

Ha, tout le monde n'avait d'yeux que pour le test ADN, avec des belles formules à gauche, "les heures les plus sombres de notre histoire", la filiation est-elle seulement biologique, alors même que notre droit n'a jamais intégré cette notion.

Pendant que tout le monde dissertait doctement, l'assassin attendait son heure. Il portait un nom qui pourrait prêter à sourire : l'amendement 69. Et à l'heure où l'hémicycle se vide, après une suspension de séance qui est une invitation à ne pas revenir, il est revenu et a frappé.

L'Assemblée a décidé, oh, trois fois rien. Le délai de recours contre les décisions de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), qui accorde ou refuse l'asile politique, a été réduit d'un mois à quinze jours.

Ha, décidément, ce Maître Eolas, quel adepte des effets de manche ! Il essaye de nous faire passer quinze jours comme étant le socle de la démocratie, penserez-vous.

Croyez-vous ?

Allons voir un peu comment ça se passe, concrètement.

La plupart des demandeurs d'asile présentent leur demande dès leur arrivée en France ; sur Paris, c'est à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, en se présentant à la police aux frontières (PAF). Comme je l'avais déjà narré en son temps, l'hospitalité de la France se manifeste par un enfermement immédiat dans les ZAPI. Un premier examen sommaire a lieu pour tenter de déterminer si sa demande n'est pas manifestement infondée. Si elle n'est pas infondée, l'étranger reçoit... un laisser passer lui permettant de présenter sa demande d'asile à l'OFPRA (dans un délai de 20 jours, sinon, c'est définitivement irrecevable). En Français, la demande, bien sûr. Avec des preuves en prime. Le dossier fait 16 pages.

Si elle est considérée comme manifestement infondée (et c'est le ministre de l'intérieur qui décide, bientôt le ministre de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement), il est "réacheminé" dans les conditions que vous savez.

Actuellement, la défense de ces étrangers connaît une embellie. La France ayant été condamnée par un arrêt du 24 avril 2007 de la cour européenne des droits de l'homme pour absence de recours suspensif à cette décision ministérielle (oui, la France a été condamnée par la cour européenne des droits de l'homme pour les règles en vigueur en matière d'asile, elle est pas belle, la patrie des droits de l'homme ?), les juges des libertés et de la détention de Bobigny libèrent systématiquement les demandeurs d'asile qui leur sont présentés au bout de quatre jours pour qu'ils puissent bénéficier de la procédure normale. Ca ne durera pas, l'un des objets de l'actuel projet de loi étant de prévoir un recours suspensif - sans que l'étranger soit libéré de la ZAPI, bien entendu.

Quand un étranger se trouve sur le territoire français, il peut donc présenter sa demande à l'OFPRA. Il doit remplir un dossier et fournir des preuves des faits qu'il allègue. D'ailleurs, j'en profite pour tancer les divers groupements terroristes ou de guerilla du monde entier : pensez à faire des attestations d'oppression à vos victimes, ça rendrait bien service à l'OFPRA qui a une âme d'enfant et se refuse à voir le mal où que ce soit et croit que quand on lui raconte des horreurs, c'est en fait une bonne blague.

La procédure devant l'OFPRA n'est pas juridictionnelle mais administrative. Le demandeur d'asile est reçu seul par un Officier de Protection (c'est le nom des fonctionnaires de l'OFPRA) qui va lui poser des questions précises sur son récit, pour s'assurer de sa crédibilité. On a donc un étranger, qui neuf fois sur dix ne parle pas français (il y a un interprète, bien sûr...) qui est interrogé par un fonctionnaire, représentant de l'autorité. Souvent, dans son pays, ce type de personnage a le pouvoir de vie et de mort sur vous, au sens propre. En outre, ils savent que cette personne a entre ses mains la clef de leur avenir, de leur liberté et parfois de leur sécurité. Autant dire qu'ils sont détendus, à l'aise, et volubiles. Tout silence ne sera pas imputé à l'intimidation de la situation mais au mensonge et à l'invention.

La décision est envoyée par lettre recommandée à l'étranger, le délai court de la réception de la lettre recommandée ou de la date de première présentation si la lettre n'est pas retirée (cela a son importance...).

Cette décision est très courte (une page), l'essentiel tenant en deux paragraphes : le résumé des faits allégués par l'étranger et les motifs de l'acceptation ou du rejet de la décision.

Cette décision peut faire l'objet d'un recours juridictionnel devant une juridiction ad hoc, la Commission de Recours des Réfugiés[1] (elle siège à Montreuil, en Seine Saint Denis, 35 rue Cuvier), c'est à dire qui sera examiné en séance publique (allez-y, les audiences ont lieu le matin et l'après midi, c'est instructif), par un collège de trois personnes, l'étranger pouvant être assisté d'un avocat qui aura accès au dossier de l'OFPRA.

Le délai de recours est actuellement d'un mois. Le recours doit être écrit (en français) et motivé, sous peine d'être rejeté d'office et sans audience. Il s'agit de contester la décision de l'OFPRA en apportant les preuves que l'Office estime avoir fait défaut (preuves qu'il faut parfois se faire envoyer depuis le pays étranger), et d'invoquer la jurisprudence de la Commission et du Conseil d'Etat en la matière, recherches qui prennent du temps. Ajoutons que si votre client ne parle pas français, les frais d'un interprète ne sont pas pris en charge par l'aide juridictionnelle. Il faut se débrouiller avec les amis, et avec la formidable solidarité qui existe dans les communautés d'exilés.

Enfin et surtout, le recours ne peut être fait que par lettre recommandée avec avis de réception. Vous ne pouvez vous présenter au secrétariat de la Commission avec votre recours : il sera refusé. Vous êtes tributaire de la Poste, donc le délai d'acheminement se décompte du délai effectif de recours.

Hé bien ce délai de recours va être ramené à quinze jours, acheminement postal compris. Cela signifie que votre client, du jour où il reçoit la lettre, va devoir vous en avertir, vous apporter la décision de l'OFPRA (le recours est irrecevable s'il n'est pas accompagné de cette décision), vous allez devoir rédiger le recours, expliquer en quoi l'OFPRA s'est trompée, apporter des preuves qui n'ont pas été soumises à l'OFPRA, et l'envoyer à temps pour que la commission le reçoive. Votre client ayant souvent une domiciliation postale, s'il laisse s'écouler le délai de présentation qui est de quinze jours, le délai de recours aura expiré sans même qu'il ait eu connaissance de la décision (malheur aux hospitalisés et à ceux qui oublient de passer relever leur courrier).

Bref, des centaines de recours, peut être parfaitement fondés, seront rejetés d'office car non reçus dans le délai. Ha, le délai, quelle merveilleuse invention. Quand vous ne pouvez pas supprimer un droit car il relève des droits de l'homme, enfermez le dans un délai très bref. Et l'Etat est le roi quand il s'agit de se prémunir des recours contre ses décisions. Voyez vous même.

Un épicier est en conflit avec un fournisseur sur la qualité de ce qu'il lui a apporté. Après un premier procès, il aura un mois pour faire appel. S'il perd en appel, il aura deux mois pour faire un pourvoi en cassation.

Un délinquant ou un criminel condamné (c'est l'Etat la partie poursuivante) a dix jours pour faire appel. S'il est à nouveau condamné en appel, il a cinq jours pour se pourvoir en cassation. Un condamné à mort avait 5 jours pour faire un pourvoi, un épicier, deux mois.

En matière d'étrangers, c'est encore mieux.

Un arrêté de reconduite à la frontière est pris contre vous ? Vous avez 48 heures pour former un recours, écrit, motivé, devant le tribunal administratif. Qui aura 72 heures pour statuer. Sachant que dans la majorité des cas, vous êtes privé de liberté dans un centre de rétention. Et si tel est votre cas, vous serez conduit au bout de deux jours devant le juge des libertés et de la détention qui va décider de votre maintien ou non en rétention pour quinze jours de plus. S'il vous y maintient, le délai d'appel est de... 24 heures. A la minute près. Recours écrit, en français, et motivé : vous devez expliquer en quoi le juge s'est trompé. Votre appel sera jugé dans les 48 heures.

Par contre, si votre enfant est mort dans un hôpital pour une simple appendicite, vous attendrez bien trois ans avant d'avoir une première décision, n'est ce pas ? Il y a des priorités.

Donc, forcément, ce délai de recours d'un mois apparaissait comme une anomalie comparé aux autres. Voilà qui est corrigé.

Mais au fait, ça ressemble à quoi, un attentat au droit d'asile comme celui-là ?

La lecture du compte rendu des débats est hautement instructive. Je graisse. Le rapporteur est Monsieur Thierry Mariani. Le secrétaire d'Etat est Monsieur Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. le Rapporteur – L’amendement 69 vise à réduire à quinze jours le délai autorisé pour introduire un recours devant la CRR lorsque la demande d’asile a été rejetée par l’OFPRA, comme c’est le cas ailleurs en Europe. Le délai actuel d’un mois allonge les procédures et nuit au bon accueil des demandeurs d’asile.

Ha, bon, en fait, c'est fait POUR les demandeurs d'asile. En fait, c'est moi qui vois le mal partout.

M. le Secrétaire d'État - Sagesse.

M. Noël Mamère – Le Gouvernement a raison de ne pas se déclarer favorable à cet amendement qui, sous son allure technique, est en fait de nature très politique, car il réduira davantage les faibles droits de recours des demandeurs d’asile. Vous ne pouvez marchander sur ce délai, souvent crucial. Le Parlement avait d’ailleurs déjà voté contre une telle mesure en 2006. Le droit de recours est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme ; cette mesure le remet en cause.

M. le ministre de l’asile nous disait hier vouloir faire respecter la tradition d’accueil de notre pays et conforter les demandeurs dans leur procédure. J’espère que l’Assemblée aura cette sagesse, comme vous l’y invitez !

M. Serge Blisko – Un droit n’est rien s’il n’est pas effectif. Or, ce droit inaliénable hier encore ne sera plus applicable demain. En effet, le délai en question comprend le temps d’acheminement au greffe – souvent quelques jours – soit un peu moins d’un mois, sans compter qu’il ne s’agit pas d’arriver une minute en retard !

M. le Rapporteur – C’est toujours comme cela, pour les élections comme pour les trains.

En effet, Monsieur le député, ça revient au même. Quand on rate un train, on prend le suivant. Quand on arrive trop tard pour se présenter à une élection, on se présente à la suivante. Quand on arrive trop tard pour présenter son recours, c'est définitivement fini. Mais sinon, c'est tout pareil[2].

M. Serge Blisko – Par ailleurs, le recours ne consiste pas en une simple lettre : il faut étoffer le dossier refusé par l’OFPRA. Il arrive que des pièces nouvelles doivent être fournies, par exemple pour attester la réalité des mauvais traitements subis. Pour les rassembler et les faire traduire, il faut du temps. Autant dire que cette mesure, présentée comme de bon sens, est bien plutôt une chausse-trape, un guet-apens pour ceux qui veulent introduire un recours. Restons-en au délai actuel d’un mois – la loyauté voudrait même que ce délai commence au moment où la lettre informant de la décision de première instance de l’OFPRA est reçue, le cachet de la poste faisant foi.

M. Éric Ciotti – Le groupe UMP est très favorable à cet amendement. La France se caractérise par sa tradition d’accueil des persécutés. Cette vocation doit être réaffirmée, et les dispositions de ce texte y contribuent en renforçant son intangibilité, à laquelle nous sommes, comme vous, attachés. Encore faut-il que les demandes d’asile ne soient pas détournées de leur objet. Or, la procédure est devenue, on le sait, un vecteur d’immigration. Grâce aux mesures adoptées depuis 2003, le délai d’instruction des demandes d’asile est passé de vingt mois à quatorze mois en 2006. La France est le pays européen dont la législation en matière d’accueil est la plus généreuse. Nous nous en réjouissons, mais il faut tendre à l’harmonisation ; en Grande-Bretagne, le délai de recours est fixé à dix jours ; personne ne prétendra que cela en fait un pays au régime liberticide. L’entrée en vigueur, le 1er janvier 2008, de l’aide juridictionnelle aux demandeurs d’asile…

Oui, jusqu'à présent, l'étranger doit payer son avocat et ne bénéficie d'aucune aide pour cela. France terre d'asile, n'oubliez jamais.

M. Patrick Braouezec – Vous semblez la regretter…

M. Éric Ciotti – Du tout, c’est une bonne chose, mais cela aura pour effet mécanique d’accroître le nombre de recours, et d’effacer de ce fait le raccourcissement du délai d’instruction des demandes que l’action du précédent ministre de l’intérieur a rendu possible. C’est une autre raison qui nous fait approuver la proposition des rapporteurs.

Mieux dit, ça donne : des demandeurs d'asile sont empêchés d'exercer un recours faute de moyens. Maintenant, ils vont pouvoir le faire. Il faut donc trouver autre chose pour les en empêcher.

M. Étienne Pinte – Je suis très défavorable à cet amendement, qui remet en cause l’un des fondements du droit d’asile. À l’heure actuelle, le délai de quinze jours est insuffisant. Peut-être ne le sera-t-il plus après l’entrée en vigueur de l’aide juridictionnelle, mais nous n’y sommes pas encore, et le fait que les délais d’instruction des demandes aient été réduits à quatorze mois devrait inciter à la prudence. Puis-je vous rappeler la procédure ? Après que l’OFPRA a rejeté une demande d’asile, le demandeur doit prendre connaissance de cette décision, et beaucoup habitent en province. Il leur faudra ensuite trouver un avocat, rédiger un recours et, pour les non francophones, trouver un interprète. On peut, certes, faire référence aux dispositions en vigueur dans d’autres pays, mais la Déclaration des droits de l’homme de 1789 a été rédigée en France, et nulle part ailleurs ! L’asile est une tradition qui fait honneur à notre pays, et cette disposition, qui a suscité la stupeur et l’indignation du Haut Commissariat pour les réfugiés, lui porte une atteinte grave. À Villeurbanne, vous avez, Monsieur le ministre, visité le centre de transit de l’association Forum réfugiés dirigée par mon ami Olivier Brachet : vous avez dit qu’il n’était pas question de « faire du chiffre » à propos des réfugiés et que vous respecteriez le droit d’asile et protégeriez les réfugiés. Ce serait pourtant un très mauvais signe que de réduire à quinze jours le délai de recours.

M. Patrick Braouezec – M. Pinte est votre Jiminy Cricket, Messieurs…

Et pourtant :

L'amendement 69, mis aux voix, est adopté.

L'épitaphe revient à Monsieur Serge Blisko :

M. Serge Blisko – C’est catastrophique !

Vous n'avez pas idée.

Bon sang, que j'ai mal au coeur ce soir.

Notes

[1] Qui va devenir par cette loi la Cour Nationale du Droit d'Asile, CNDA. On apprend à l'occasion des débats que ses moyens ont été diminués, 125 postes ont été supprimés, mais la loi lui donne une sucette, désormais, on l'appellera "cour". Ca ne coûte rien et ça fait réforme...

[2] Paragraphe modifié depuis la première mise en ligne.

La justice s'acharne contre José Bové

La preuve que José Bové est victime d'un complot de la justice est à présent irréfutable. Non seulement elle s'obstine à ne pas le mettre en prison, mais en plus, elle refuse désormais de le juger.

Le tribunal correctionnel de Carcassonne a ordonné sine die mercredi le renvoi du procès de cinq militants anti-OGM dont José Bové, poursuivis pour une action menée en 2006 chez le semencier Monsanto à Trèbes (Aude), et s'est dessaisi du dossier comme venait de lui demander la défense.

"Le tribunal ordonne le renvoi sine die et demande la transmission du dossier au ministère public", a déclaré à l'issue d'un bref délibéré, peu après l'ouverture de l'audience, le président du tribunal Jean-Hugues Desfontaine, sous les applaudissements des personnes assistant à l'audience.

Le procureur de la République Jean-Paul Dupont avait auparavant demandé le renvoi du procès à une date ultérieure, arguant de la proximité du prochain Grenelle de l'environnement, où la question des OGM (organismes génétiquement modifiés) sera examinée en octobre.

Jusqu'où ira ce terrible harcèlement judiciaire ?

Dans une salle d'audience, José Bové sourit à la barre. Le procureur est debout, et déclare, avec un geste d'impuissance : « Désolé Monsieur le Président, il s'avère que la prévention est biodégradable... »

Je précise que la pancarte "Pas d'ADN dans mes tomates" reprend un vrai slogan aperçu dans une manifestation d'anti OGM...

Sur le même sujet, lire l'indignation d'Authueil.

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