Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 11 mars 2008

mardi 11 mars 2008

Vous avez du courrier

Histoire de détendre un peu l'ambiance après la foire d'empoigne sous mon précédent billet, voici un courrier que j'ai reçu hier dans ma boîte e-mail.

Je tenais à vous le faire partager. Ainsi que ma réponse.


Cher Maître,

Journaliste pour l'émission people décalée Paparanews produite par Cauet et diffusée à partir d'avril sur Virgin 17, j'aimerais beaucoup vous interviewer en tant qu'expert juridique sur le sujet des « peoples qui ne portent pas de culotte ».

Les questions tourneront autour des peines qu'on encourt éventuellement à se balader sans culotte, est-ce que l'on peut considérer cette pratique comme de l'exhibitionnisme ? etc.

Le reportage fera également appel à d’autres experts (gynécologue, journaliste people…) qui nous parleront des éventuels risques sanitaires encourus par cette pratique ainsi que les raisons qui poussent certains peoples à sortir sans culotte.

Vous trouverez ci-dessous un pitch de l’émission pour vous donner une idée du style du programme.

Par conséquent, j’aimerais beaucoup, si vous en êtes d’accord, m’entretenir au téléphone avec vous en vue de préparer la future interview qui pourrait avoir lieu jeudi 13 avril à votre convenance.

Dans l’attente de votre réponse et vous en remerciant par avance,

Cordialement,

Sandrine B.

Tel : ...

Journaliste BeAware - Paparanews

Paparanews

Le pitch

Plus loin, plus drôle, plus cash, plus trash, telle est la promesse de Paparanews, le seul magazine d’information people réalisé en deux versions :

Une version soft, interdite au moins de 10 ans, pour la journée.

Une version hot, interdite au moins de 16 ans, pour la nuit.

Présenté sous la forme d’un JT incarné par une animatrice, venue d’un autre monde, Paparanews revisite l’actualité people de façon décalée et franchement hors normes

Paris Hilton est-elle une vraie salope ?

Y a-t-il des risques sanitaires liés au fait que les people ne portent pas de culottes ?

Pourquoi n’a-t-on pas de Britney Spears en France?...

Peut-on devenir people rien qu’en montrant ses fesses ?

Des questions essentielles auxquelles Paparanews s’efforcera de répondre avec la rigueur et le sérieux que les téléspectateurs de Virgin17 sont en droit d’attendre.


Chère Sandrine,

C'est avec une certaine fierté que j'ai lu votre courrier m'apprenant que ma réputation n'était plus à faire en tant qu'expert juridique sur le sujet des « peoples qui ne portent pas de culotte ». Je savais qu'en prenant ce sujet audacieux pour mon mémoire de DEA, et ce malgré les réserves de mes professeurs d'alors sur la modestie de l'apport doctrinal prévisible, je m'attelais à un problème juridique essentiel pour les générations postérieures et que cela m'ouvrirait les portes des rédactions les plus prestigieuses. J'en ai à présent la confirmation.

C'est donc avec plaisir que j'aurais été, littéralement, pendu à vos lèvres sur ce thème que je qualifierai de fondamental, à tout point de vue. Je pense avoir d'ailleurs des théories que je me permettrais de qualifier d'originales, voire d'iconoclaste, sur la question de "Paris Hilton est-elle une vraie salope ?" que j'aurais été ravi de faire partager à mes concitoyens au milieu d'un aréopage d'experts au moins aussi renommés que moi.

Malheureusement, vous avez eu la louable prudence de m'avertir que ces questions allaient être traitées avec "rigueur" et "sérieux". Et vous avez raison, ce sont des sujets qui ne méritent ni l'amateurisme, ni l'approximation. Et là, je suis contraint à décliner votre offre. Clairement, je redoute trop de ne pas, comment dire ? Être à la hauteur de l'émission. Voilà. Le mot clef est celui-là. Hauteur.

Notamment, sur la question de "Peut-on devenir people rien qu’en montrant ses fesses ?", je ne saurais rivaliser avec l'expertise de votre patron.

Ce n'est donc que ma lâcheté qui m'oblige, le cœur en lambeaux, à décliner. Et en plus, je dois vous avouer que je ne vous mentirais si je vous promettais que je regarderai votre émission.

En tout cas, je vous félicite de porter haut le flambeau du métier de journaliste. Vous devez être fière de vous.

Quant à moi, je suis et demeure à jamais

Votre très humble et très dévoué serviteur.

Eolas.

Pas indispensable

Ce n'est pas facile d'être juge administratif dans le cadre des recours en droit des étrangers.

Le préfet du département (à Paris, le préfet de police) a un large pouvoir d'appréciation quand il décide d'accorder ou non un titre de séjour, ou de prendre ou non une mesure d'éloignement forcée. Or plus l'administration a un large pouvoir d'appréciation, moins le juge en a un. Ce n'est en effet pas au juge de se substituer au préfet. Il limite son contrôle à la pure légalité de l'acte, c'est à dire si les formes ont été respectées (l'acte doit être motivé, signé par une personne ayant pouvoir de le faire, etc...) et si sur le fond, l'étranger ne se trouvait pas dans une situation ou en réalité le préfet n'avait pas d'autre choix que de le régulariser.

Et ces situations sont rares. De plus en plus rares au fil des lois en la matière, qui se succèdent à un rythme effréné : les dernières grandes réformes, qui ont bouleversé des pans entiers du droit ont la matière, résultent des lois des 27 novembre 2003, 24 juillet 2006, et 27 novembre 2007.

Le dernier bastion du contrôle un peu plus poussé du juge, c'est le droit à mener une vie privée et familiale normale, garanti par l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, adoptées dans le cadre du Conseil de l'Europe, qui soit dit en passant n'a rien à voir avec l'Union Européenne (la Russie, la Suisse et la Turquie font partie du Conseil de l'Europe, et depuis longtemps).

Cet article interdit en toutes matières à un État de porter une atteinte disproportionnée à la vie privée d'un individu ; et cette ingérence doit être prévue par la loi, constituer une mesure qui, dans une société démocratique, être nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Procéder à l'éloignement forcé d'un étranger porte forcément atteinte à sa vie privée, puisqu'il est chassé de l'endroit où il vit. Mais cette atteinte (qui est bien prévue par la loi, en l'occurrence l'article L.511-1 du CESEDA) n'est pas forcément en soi disproportionnée. Vous voyez donc qu'ici, un vrai débat peut s'engager avec le juge administratif, puisque nous sommes dans un contrôle de proportionnalité de la mesure, qui permet au juge de substituer son appréciation à celle du préfet.

La jurisprudence encadre toutefois strictement ce contrôle. Il faut que l'atteinte soit manifestement disproportionnée. Si elle ne l'est pas, le juge doit l'accepter, en rejetant le recours présenté par l'étranger contre la décision du préfet.

Et le juge administratif est légaliste à l'extrême. Le cœur reste au vestiaire, seule la loi a droit de cité dans la salle des délibérés.

Malgré tout, je pense que certaines décisions doivent être difficiles à prendre.

Le 29 juin dernier, la Cour administrative d'appel de Lyon a ainsi validé l'éloignement d'un ressortissant croate qui avait fait l'objet, le 10 mars 2005, d'une interdiction du territoire de trois ans (il s'agit d'une peine prononcée par un tribunal correctionnel : l'étranger en question avait donc commis un délit, mais ce n'est pas ce qui motivait la décision de reconduite à la frontière du préfet de l'Ain). Le requérant, âgé de dix-neuf ans, était entré irrégulièrement en France le 27 juillet 2006, pour y rejoindre son fils, âgé de deux ans, hospitalisé pour une leucémie.

La cour a jugé que si l'état de santé du jeune enfant nécessitait la poursuite de son traitement en milieu hospitalier en France, et qu'il était établi que son père venait souvent à son chevet, alors que la mère de l'enfant étant incarcérée en Espagne, et qu'aucun autre membre de la famille de l'enfant ne résidait en France, il était néanmoins licite pour le préfet de l'Ain d'ordonner la reconduite à la frontière du père de cet enfant, car, je cite : « ladite présence ne revêt pas un caractère indispensable ».

C'est vrai.

Pour qu'un enfant de deux ans meure, il n'est « pas indispensable » que son père, sa seule famille en France, soit là pour lui tenir la main.

C'est en France.

C'est en 2007.


Le texte de la décision.

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