Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 12 mars 2008

mercredi 12 mars 2008

Maintenant, ils sont au complet

Il y a des nouvelles insignifiantes en apparence, mais qui sont lourdes de symbole. Lazare Ponticelli Lazare Ponticelli, le dernier poilu, est mort aujourd'hui. Il n'y a plus de mémoire vivante qui garde le souvenir du bruit, de l'odeur, de l'image des tranchées en couleur.

Une page se tourne. Mais grâce à Libération, nous pouvons encore partager ses souvenirs : il a été interviewé par le journal qui a mis en ligne quatre extraits de son récit.

C'est à écouter ici. Absolument. Car le malheur naît de l'oubli.

Ha, oui, sur son nom. Lazare Ponticelli est né italien. Il avait immigré en France avec sa famille pour fuir la misère de son pays. Il s'est engagé volontairement à 16 ans pour se battre pour un pays qui n'était pas encore le sien. C'était une autre époque.

Le malheur naît de l'oubli.

Et dans cette attente

Par Fantômette


L’impression d’attente commence immédiatement, dès l’arrivée aux portes de la prison.

Patiemment, quoique un peu frissonnante, car il est tôt et j’ai laissé mon manteau dans ma voiture, pour ne pas qu’il m’encombre en détention, je toque du doigt sur une vitre si épaisse et fumée, que non seulement je ne distingue pas mon interlocuteur, mais j’ignore même s’il s’en trouve un qui me fait face. Je ne vois que mon propre reflet.

Je toque une nouvelle fois, ma robe d’avocat roulée en boule sous le bras, le dossier des détenus que je viens défendre, dans la main. Check list : mon stylo, ma carte professionnelle, ma désignation d’office…

J’ai le temps de vérifier une troisième fois depuis ce matin, que tout est en ordre.

Une voix désincarnée, un peu artificielle, sort d’un petit haut-parleur qui crachote.

- Oui ?
- Fantômette. Je suis l’avocat de permanence pour la commission de discipline de ce matin.

J’agite ma commission d’office et mon permis de communiquer en direction de l’endroit où je situe à peu près mon interlocuteur. Encore un moment d’attente silencieuse. Un léger ‘clic’ sur ma gauche m’indique que la porte d’entrée – la première – vient de se déverrouiller. Je découvre enfin l’agent de l’administration pénitentiaire, qui s’adresse à moi.

- Bonjour, Maître. Vous avez votre désignation ? Votre carte professionnelle ?

Je présente les documents demandés, que je glisse dans un petit tiroir de métal, qu’il ouvre de mon côté, puis referme soigneusement, avant de l’ouvrir du sien. Il les consulte attentivement, et les range dans un petit casier en bois, avant de me tendre un badge plastifié qui indique « Avocat ».

- Vous avez un téléphone portable ? Une clé USB ?

Ces objets sont interdits en détention. Je secoue la tête négativement. Mon téléphone est resté dans la voiture, avec mon sac.

Je dépose mon dossier, ma robe, mon stylo et le badge dans une caisse en plastique que je place sur le tapis roulant pour les passer aux rayons x. J’avance sous le portique de métal, comme sous le regard d’un sphinx. Silence. De l’autre côté du portique, je récupère ma robe en vrac, les dossiers, le stylo, et le badge que j’accroche soigneusement à ma veste.

Je patiente à une autre porte, qui se débloque soudainement, et me retrouve de nouveau à l’extérieur. Une brève marche m’amène dans les locaux administratifs de la maison d’arrêt, où je me signale à l’accueil.

- Bonjour. Fantômette, avocat de permanence pour la commission de discipline.
- Bonjour, Maître. Je vais leur signaler que vous êtes là.

Le milieu carcéral est un milieu criblé de règles, où même les règles de courtoisie font l’objet d’une attention pointilleuse. Ainsi, en prison, tout le monde se dit bonjour. Je salue courtoisement toutes les personnes que je croise : surveillants, détenus, éducateurs, personnel administratif. Je franchis une troisième porte, après avoir sonné au bouton d’appel et patienté encore. Greffe judiciaire.

- Bonjour. Fantômette, l’avocat de permanence pour la commission de discipline.
- Bonjour. Il y a une commission de discipline ce matin ?

J’opine du chef.

- M. Malandrin a demandé à être assisté d’un avocat.
- Bien. J’appelle le chef de détention, il va venir vous chercher.

Malgré le chemin parsemé de portes déjà parcouru, je ne suis pas encore à proprement parler entrée en détention. Je n’y entrerai pas seule. Je patiente sagement, assise dos au mur, que le chef de détention, ou un surveillant envoyé par ses soins, vienne me chercher et m’emmène au quartier disciplinaire, où siège la commission[1].

- Bonjour, Maître.
- Bonjour.
- On y va.

Quartier des détenus. Quel que soit le temps qu’il fait à l’extérieur, il y règne toujours une certaine obscurité. Les détenus installent des cartons ou du papier journal devant les barreaux des fenêtres et puis, de toute façon, il y a peu de fenêtres.

Nous avons à nouveau franchi des portes, des grilles, monté des escaliers, franchi de nouvelles portes, de nouvelles grilles.

Il est encore tôt. La commission siège à partir de 8h30, et je suis arrivée en avance. Nous croisons des détenus, peu nombreux à cette heure-ci. Ils nous saluent, jettent un coup d’œil rapide à la robe que j’ai toujours sous le bras, et que je n’enfilerai qu’arrivée devant la salle d’audience. Je reste dans le sillage du surveillant.

Arrivés enfin au quartier disciplinaire, on me fait signe de m’installer dans le poste de surveillance aux épaisses parois vitrées et au mur constellé de notes de service. En face, la salle où siégera la commission. Une dizaine de mètres carrés, une table sur une estrade pour la commission, un poste informatique à droite, un bureau d’écolier à gauche, pour la défense.

Un trait sur le sol, face à l’estrade, fait office de barre virtuelle.

L’attente, à nouveau, que l’on amène le détenu, qu’il passe à la fouille. Puis, je le reçois dans une autre petite salle dont je referme soigneusement la porte. A mon tour de me faire attendre, et la commission m’attendra, sans s’impatienter.

L’affaire de M. Malandrin est très banale. Il est accusé d’avoir insulté un surveillant qui le pressait de rentrer dans sa cellule. Le surveillant a établi un compte-rendu d’incident (oui, ça s’appelle un CRI), qu’il a transmis au chef de détention. Ce dernier a décidé de poursuivre, au vu des éléments rapportés, comme de sa propre petite investigation. C'est la première fois que M. Malandrin est convoqué devant la commission disciplinaire. Les faits sont à peu près reconnus.

Je dis à peu près, parce que… :

- En fait, ça ne s’est pas exactement passé comme ça. Je vais vous expliquer. J’étais juste en train de boire un verre d’eau, tranquillement. Et là le surveillant…

Je n’ai toujours pas bien compris pourquoi, mais je l’ai souvent constaté, « ce qui s’est vraiment passé » conservera de toute façon la même qualification au regard du règlement intérieur de la prison et fera encourir la même sanction disciplinaire au détenu.

- Vous me dites que vous n’auriez jamais utilisé... hum... autant de mots ? Vous vous souvenez de ce que vous lui avez dit exactement ?
- Ah oui, très bien. Je me suis énervé. Je l’ai traité de pauvre con, ça oui, ça c'est exact. Mais le reste non, jamais.
- Vous comprenez que de toute façon, on vous reproche de l’avoir insulté, et entre autre de l'avoir traité de pauvre con. C’est ça qui est interdit, vous le savez bien. On peut rectifier les faits si vous voulez devant la commission, mais une insulte reste une insulte, ça ne changera rien pour vous.
- Ah si, ça change. Sinon, ce n’est pas la vérité. On peut pas les laisser dire ce qu’ils veulent.

Sinon, où va-t-on effectivement.

Une injure à surveillant, c’est une faute disciplinaire du 2ème degré. Comme pour les infractions de droit pénal, les fautes disciplinaires sont classées en trois catégories, du 1er degré, le plus grave (exercer des violences physiques à l’encontre d’un membre du personnel, ou d’un détenu, participer à une évasion,...), au troisième degré, (négliger l’entretien de sa cellule, entraver les activités de travail, formation, loisirs, jeter des détritus par les fenêtres…). Pour les premières, les sanctions peuvent aller jusqu’à 45 jours de confinement en cellule disciplinaire. Pour les secondes la sanction ne peut dépasser 15 jours de confinement.

Les poursuites disciplinaires ne sont pas exclusives de nouvelles poursuites pénales. Le cumul des deux procédures n’est pas rare, et il est systématique dans les cas, par exemple, de violences physiques sur un membre du personnel.

La commission de discipline se compose de trois membres, tous trois issus de l’administration pénitentiaire. Elle est normalement présidée par le directeur, ou l’un de ses délégués.

Le Directeur n’a pas plus compris que moi l’intérêt de rectifier les paroles qui ont été réellement prononcées. Il a soupiré, et secoué la tête, et puis soupiré à nouveau, et nous avons compris, M. Malandrin et moi, que ce n’était pas très bien parti.

Du coup, M. Malandrin change un peu son fusil d’épaule, et profite de la présence du Directeur pour se plaindre de n’avoir toujours pas de travail aux ateliers, alors qu’il en a fait la demande il y a longtemps.

- Vous comprenez, M. le Directeur, je serai plus tranquille si je pouvais travailler.
- Vous ne vous y prenez pas de la bonne manière, si ce que vous voulez, c’est une place aux ateliers. Vous pensez peut-être que je vais vous récompenser pour avoir insulté un surveillant qui ne faisait que son travail ?
- En fait, ça ne s’est pas exactement passé comme ça. Je vais vous expliquer…

Moi, j’attends encore, tranquillement. Devant la commission de discipline, comme devant n’importe quelle juridiction pénale, la plaidoire, c'est l’occasion de se pencher très sérieusement et très concrètement sur un objectif à atteindre. Punir, réformer, dissuader. En quoi telle ou telle sanction aidera ou n’aidera pas à atteindre l’un ou l’autre de ces objectifs.

La mise à l’isolement n’est pas la seule sanction possible. Le détenu peut se voir interdire de recevoir des subsides, privé de cantine, confiné en cellule individuelle ordinaire (jamais rencontré en pratique : les cellules ordinaires ne sont que rarement individuelles). Les sanctions peuvent être assorties d’un sursis.

Et puis, peut-être plus devant la commission de discipline que devant n'importe quelle autre juridiction pénale, il faut prendre soin de la parole que notre client nous a confié. J'ai probablement relayé des mensonges devant la commission de discipline. J'ai probablement relayé de la mauvaise foi. Ne pas prendre le risque de s'en rendre coupable, c'est prendre un risque qui me paraît plus grave.

Après m’avoir écoutée, la commission invite le détenu à reprendre la parole. Puis, n’ayant nulle part où se retirer pour délibérer, elle nous fait signe de nous retirer. Ils délibèrent en quelques minutes, et nous rappellent pour rendre leur verdict. Il est raisonnablement clément, 10 jours d'isolement avec sursis. M. Malandrin est invité à signer le procès-verbal d’audition, que je signe également.

Puis, c’est le chemin du retour. Attendre aux mêmes portes, au mêmes grilles, mais ça parait toujours moins long dans ce sens là. Le chef de détention me laisse au greffe judiciaire de la prison, une fois sortie de détention.

- Au revoir, Maître.
- Au revoir.

Nous nous saluons une nouvelle fois, toujours aussi poliment, puis je poursuis ma route, une porte, deux portes, trois portes, la sortie.

Et le parking, presque désert - qui me semble toujours infiniment plus vaste que lorsque je m’y suis garée le matin même.

Notes

[1] Pour une visite guidée du quartier disciplinaire, je vous renvoie à ce billet d'Eolas.

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