Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 17 mars 2008

lundi 17 mars 2008

Glasnost

Par Dadouche



Depuis quelques jours, les petites souris des tribunaux (il paraît qu'à Bobigny ce sont de gros rats) entendent à tout bout de champ parler de "transparence".

Interrogatif : « est-ce que la transparence est sortie ? »
Faussement détaché : « Des nouvelles de la transparence ? »
Aigri : « Ils se sont endormis sur la transparence ou quoi ? »
Prétentieux : "j'ai eu des infos, il paraît que la transparence est pour demain"

Non, il ne s'agit pas d'allusions à la maigreur diaphane de la Princesse aux Petits Pois (dont on se demande comment elle va tenir le coup entre la mairie et le ministère si elle ne passe pas de toute urgence à 3000 calories par jour).

LA Transparence, comme l'équinoxe ou les soldes, revient deux fois par an (parfois plus, mais ce sont de mini transparences). C'est le projet de mutations de magistrats proposé par la Chancellerie, ensuite soumis à l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour aboutir à des nominations par décret du Président de la République. Pour plus de références textuelles, voir notamment ici et

Elle concerne toutes les nominations de magistrats à l'exception des postes relevant du pouvoir de proposition du CSM (Premier Président de la Cour de cassation, Premier Président de Cour d'appel, président de TGI, conseiller et conseiller référendaire à la Cour de cassation) ou pourvus en Conseil des ministres (Procureur Général près la Cour de cassation, Procureur Général près d'une Cour d'appel).

Rappelons que pour les magistrats du siège l'avis du CSM doit être conforme. C'est à dire que si le CSM émet un avis non conforme, la nomination ne peut avoir lieu.
Pour les magistrats du Parquet, l'avis du CSM ne lie pas la Chancellerie, qui peut donc « passer outre » un avis défavorable.
On a ainsi pu récemment observer des mutations en plusieurs temps :
1 - proposition de nomination à un poste du siège (au hasard, président de chambre à la cour d'appel de Paris) sur la transparence de printemps (parue en mars pour nomination en septembre)
2 - avis non conforme
3 - proposition de nomination à un poste du parquet d'un niveau équivalent (au hasard, avocat général à la cour d'appel de Paris) sur la transparence d'hiver (parue en novembre ou décembre pour nomination en février)
4 - avis défavorable
5 - nomination « passant outre » l'avis défavorable.

Rappelons également que les magistrats du siège sont inamovibles. Ceux du Parquet un peu moins (surtout les Procureurs Généraux). Les magistrats du siège ne peuvent donc être nommés sans leur consentement à une affectation nouvelle, même en avancement.

Plusieurs mois avant la date prévue, les magistrats qui souhaitent une mutation s'entraînent au Loto en cochant des cases sur un formulaire recensant pour chaque grade tous les postes existants (juge d'instance à Mont de Marsan, juge d'instruction à Saint Nazaire, substitut du procureur général à Bourges, conseiller à la cour d'appel de Versailles, etc...).
Compte tenu du fait que certains magistrats s'obstinent encore et toujours à avoir une vie privée, un petit espace est prévu pour préciser si la demande de mutation est liée à celle d'un autre magistrat voire pour écrire en tout petit quelle raison impérieuse vous pousse à vouloir être absolument nommé au TGI de Framboisy. Certains poussent l'audace jusqu'à faire un courrier d'accompagnement développant les raisons de leur choix.

Puisque tout le monde fait ses demandes en même temps, il n'y a par hypothèse aucune information sur les postes susceptibles de se libérer, sauf celles glanées ça et là auprès de copains d'autres juridictions.
Chacun à sa méthode : juste les postes dont on a envie, juste ceux dont on a besoin, juste ceux sur lesquels on pense avoir une chance en fonction des précédentes transparences détaillées (pour ce terme, voir plus bas), au pif, le plus possible pour en avoir au moins un, le moins possible pour être sûr de ne pas avoir celui sur lequel on sera le seul postulant parce que personne ne veut y aller. C'est selon le degré d'optimisme, de rationalité ou de désespoir de chacun.

Quand tout le monde a transmis sa grille dûment cochée en espérant décrocher le gros lot, une opération mystérieuse commence au bureau des mouvements de la Chancellerie : l'élaboration de la transparence.

Les fantasmes les plus fous circulent sur les techniques employées : un logiciel malveillant qui devine précisément quel était votre dernier choix et vous l'attribue, la technique ancestrale de l'escalier (on jette tout sur les marches et on prend en premier ce qui surnage), un copinage éhonté (j'ai été en poste avec quelqu'un qui est de la même promo que l'ancienne voisine de bureau de la sous chef du bureau des mouvements).
En réalité, c'est plus vraisemblablement un travail de bénédictin pour arriver à élaborer une réaction en chaîne qui peut avoir des conséquences d'amplitude nucléaire.
Illustration :
Si Gascogne décide de rejoindre Paris pour ergoter à loisir avec Eolas sur les grandeurs et décadences de la garde à vue, il va bien falloir nommer quelqu'un sur son poste. Coup de bol, Lincoln est candidat. Oui mais Lincoln est au Parquet. Et il n'y a plus des masses de candidats au Parquet. Si on nomme Lincoln, on va mettre qui à sa place ? Probablement un auditeur de justice sortant de l'ENM. Problème, Lulu a aussi demandé le poste de Gascogne, et elle a plus d'ancienneté que Lincoln. Et elle, son poste a été demandé par plusieurs personnes. Donc on va mettre Lulu. Mais comment choisir celui qui va la remplacer ? Sont en lice Lincoln, Dadouche et Parquetier. Problème : ils sont tous de la même promo. Comment on choisit ? Parquetier a demandé 75 postes dans toute la France, dont certains vacants sur lesquels il est le seul candidat (juge d'instance à Rocroi, il faut vraiment vouloir quitter le Parquet à tout prix...) On va pas gâcher quand même. Donc, une fois Parquetier expédié à Rocroi, restent deux candidats. Lincoln a précisé dans sa demande qu'il cherche à se rapprocher à moins de 100 kilomètres de sa douce pour avoir enfin l'espoir de partager avec elle autre chose que des week-ends SNCF. Dadouche ne fait pas état de telles contraintes. Exit Dadouche, qui garde une chance sur d'autres postes.

Quand on sait qu'une transparence peut comporter 8 à 900 mouvements, soit 10 % du corps, sur des postes dont certains suscitent plusieurs dizaines de candidatures et d'autres presque aucune, on réalise le casse-tête que ça peut être.

Après beaucoup de rendez-vous sollicités par des magistrats avides de mobilité, de coups de téléphone fiévreux d'autres tout aussi avides mais moins courageux qui veulent savoir en quelle position ils sont pour tel poste, d'instructions venues d'en haut pour faciliter telle ou telle nomination et une quantité respectable de paracétamol, le mouvement est prêt.

Sauf que. Il doit être approuvé par les plus hautes instances du Ministère (voire plus haut pour certains postes sensibles). Donc on attend, on réajuste, on fignole, on rechange tout.

Enfin, la transparence est prête. Généralement avec une semaine à un mois de retard sur la date prévue. Dans les juridictions, la pression monte. Les tasses de café volent. Les petits livres rouges sont déchiquetés. On attend.

Ceux qui espèrent bouger consultent intranet toutes les trois minutes.
A peu près tous les abonnés de Thémis, la liste de discussion professionnelle, vérifient leurs mails quinze fois par jour.
Jusqu'à ce qu'Elle tombe.
Et là tout s'arrête. On appelle ceux qu'on connaît qui sont dessus. On la regarde d'un oeil distrait parce qu'on a rien demandé. On la scrute pour calculer avec combien de postes vacants la juridiction va se retrouver. On prend des nouvelles des copains de promo perdus de vue (tiens, Michel et Isabelle partent l'un en Bretagne, l'autre outre-mer, il y a du divorce dans l'air). Ou on s'en fout.

Et puis on attend la transparence détaillée. Celle qui comporte non seulement la liste des nominations projetées, mais aussi la liste de toutes les candidatures, par ordre d'ancienneté, pour chaque poste.
Les rumeurs ancestrales chuchotent que c'est de là que vient le terme de transparence : c'est la transparence des candidatures.

Pour les déçus, c'est l'heure des calculs. Recours ou pas recours ? Telle est la question.
Chaque magistrat peut en effet faire des observations qui sont transmises au Conseil Supérieur de la Magistrature. En général, c'est pour faire valoir qu'on méritait (ou nécessitait) plus que le petit camarade d'être nommé à ce poste précis.

Le recours est une arme à double tranchant : le Conseil, convaincu par les observations, peut rendre un avis défavorable ou non conforme, mais il n'a pas de pouvoir de substitution. C'est à dire qu'il ne peut pas proposer en lieu et place la nomination de l'observant.
Résultat, le partant ne part plus, alors que son remplaçant arrive, et que celui qu'il devait remplacer, lui, s'en va. C'est le bordel. On imagine l'accueil réservé quelques mois plus tard à l'observant qui aura finalement réussi à se faire nommer sur un poste resté vacant à cause de lui par les collègues qui se seront répartis le boulot...

Et l'attente recommence, avec son cortège de dilemmes cornéliens (avertir ou pas les enfants qu'on va déménager ? le conjoint doit-il commencer tout de suite à prospecter pour un nouveau boulot ? faut-il s'inscrire tout de suite au stage de changement de fonctions du mois de juin ? Est-ce qu'on pourra écluser les piles avant de partir ? Le pot de départ, je le fais avant ou après l'avis du CSM ? A partir de quand je peux décemment appeler mon presque prédécesseur pour me renseigner sur le service qu'il a ? est-ce que les collègues vont accepter que je pose mes vacances en août ?)

D'abord, on attend l'avis du CSM, qui a plein de boulot et doit examiner tous les dossiers des proposés (et en principe des observants).

Ensuite, on attend le décret, qui peut seul officialiser la nomination. Et ça peut prendre longtemps, très longtemps.

Voyons l'exemple du calendrier de la transparence pour une prise de poste en septembre 2007 : date limite des candidatures mi-novembre 2006, transparence le 1er mars 2007, avis du CSM le 22 juin, décret de nomination le 18 juillet.

A l'heure qu'il est, on attend toujours celle qui devait « tomber » le 15 mars au plus tard promis juré craché.

C'était le billet nécessaire du professeur Dadouche dans la rubrique : c'est quoi la vraie vie d'un magistrat ?.
De prochaines leçons porteront sur la technique du découpage de post-it en huit, les joies de l'assemblée générale et la variabilité selon les fonctions du concept de « service allégé ».
Et bientôt, une réflexion sur l'influence de la composition du CSM sur l'indépendance de la magistrature compte tenu de son pouvoir en matière de nomination.


Dernière minute : Ca y est, ELLE est tombée pendant ma quinzième relecture anti-faute de frappe.

Mes félicitations à tous ceux qui y figurent. Ma sympathie à ceux qui espéraient y figurer.

Et dédicace spéciale à celui qui passe du côté obscur de la Force...

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