Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 5 mai 2008

lundi 5 mai 2008

Où l'on reparle de la CRPC

Souvenez-vous : ce blog venait de naître, et le Garde des Sceaux de l’époque était tout heureux de sa trouvaille, le « plaider coupable à la française », pour l’état civil « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », CRPC pour ceux du sérail.

À l’époque déjà, j’expliquais n’avoir ”a priori” rien contre cette nouvelle procédure, qui était loin de la révolution annoncée par ses promoteurs comme de la Géhenne annoncée par ses détracteurs. Je vous invite à relire ce billet pour comprendre le fonctionnement de cette procédure.

On se souvient que son lancement fût accompagné d’un pataquès, la loi ayant oublié de préciser ce qui pour le législateur était un des intérêts essentiels de la réforme : le procureur n’a pas à être présent à l’audience d’homologation. La loi y ayant mis bon ordre le 26 juillet 2005, les audiences d’homologation ont lieu désormais hors la présence du procureur.

Alors, quatre ans plus tard, qu’en est-il ?

Les statistiques du ministère de la justice ne donnent que peu d’informations. Le dernier annuaire statistique publié l’année dernière n’a les chiffres que de 2005, où 27 200 requêtes en homologation ont été présentées, contre 2 187 en 2004, mais s’agissant de l’année d’entrée en vigueur de la mesure pour la dernière, et le pataquès n’ayant été réglé qu’en juillet 2005, ces chiffres ne sont pas révélateurs. Si quelqu’un a des données plus récentes…

Autant de 2004 à 2005, la Chancellerie faisait tout pour que cette procédure soit un succès, autant à partir de 2006, l’intérêt officiel a décru. Le départ de Dominique Perben, père de la réforme, et l’arrivée de Pascal Clément a été le premier virage, les Garde des Sceaux n’étant guère enthousiastes à l’égard des réformes de leurs prédecesseurs, persuadés que la leur sera bien plus brillante. Le deuxième virage a eu lieu en 2007 avec l’arrivée au pouvoir d’une autre tendance de la droite qui ne cachait pas son animosité avec ses prédécesseurs. Bref : la CRPC n’est plus une priorité, et c’est sans doute ce qui pouvait lui arriver de mieux. Dégagée d’impératifs politiques, les parquets sont plus libres de recourir à cette procédure quand elle semble opportune.

Concrètement, les CRPC concernent essentiellement des délits routiers. Je dis essentiellement car tous les dossiers que j’ai eu à traiter en CRPC concernaient des délits routiers, de même que tous les dossiers qui étaient convoqués le même jour. J’aurais tendance à penser à un usage exclusif en la matière mais n’ai aucun moyen de m’en assurer. Les délits routiers concernés sont principalement des conduites sans permis ou malgré l’annulation ou la suspension d’un permis, des conduites en état d’ivresse délictuelles (taux d’alcool dans l’air expiré supérieur à 0,4 mg/l), ou de grands excès de vitesse (>50 km/h) en récidive (le premier n’étant qu’une contravention). Bref : des délits sans victime, même si la procédure prévoit la possibilité pour la victime de se faire indemniser dans le cadre de la CRPC.

Une pratique s’est mise en place dans le silence des textes, avec des variantes selon les tribunaux, mais qui sur l’essentiel ne diffèrent pas. L’avocat a naturellement accès au dossier avant l’entretien avec le procureur. La simplicité des dossiers fait qu’on peut se contenter de les consulter le jour même. L’avocat (dont la présence est obligatoire pour une CRPC ; il y a un avocat de permanence pour assister les prévenus qui le demandent) se rend donc au bureau où le procureur reçoit les prévenus. C’est lui qui fait seul le travail de manutention des dossiers et de rédaction des actes, un greffier étant de nos jours un bien rare et précieux. L’avocat peut aller consulter le dossier dans une pièce à cet usage. S’il voit dans le dossier une nullité de procédure, il doit pour la faire valoir refuser la CRPC et demander la convocation devant le tribunal, seul compétent pour prononcer une telle nullité (art. 385 du code de procédure pénale). Avec à la clef le risque d’une condamnation plus sévère que la proposition de peine. En cas de nullité paticulièrement évidente, le parquet peut aussi décider de classer sans suite, bien sûr, ayant autre chose à faire qu’audiencer des dossiers-Titanic. Le choix tactique doit être fait en accord avec le client, bien entendu. Le reste du travail de l’avocat consiste à vérifier que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis. L’usage est également pour le procureur de laisser dans le dossier un Post-It™ où est inscrit la proposition de peine. C’est un simple gribouillis non signé, mais l’avocat sait d’ores et déjà où il va et peut informer son client de cette future proposition.

S’il a des arguments à faire valoir, l’avocat a un entretien en tête à tête avec le procureur quand il ramène le dossier. L’usage qui s’est instauré est d’éviter ce qui pourrait passer pour une discussion de marchand de tapis devant le prévenu, ce qui permet une discussion plus libre, et ne porte pas atteinte à la dignité de la justice. Je dis “ce qui pourrait passer pour une discussion de marchand de tapis” car ce n’en est pas une. Un avocat qui vient juste essayer de gratter une diminution de peine parce qu’il fait des yeux tristes n’aura guère de succès. Les procureurs veulent des pièces ou des arguments juridiques qui montrent que la proposition initiale n’est pas adaptée. En tout cas, les parquets que j’ai fréquentés dans le cadre de cette procédure n’ont pas une politique du « à prendre ou à laisser », qui aurait été nuisible au succès de cette procédure à mon avis.

Quelques exemples d’argumentations pertinentes dans une CRPC : le prévenu de conduite sans permis produit une inscription à une auto-école montrant qu’il a commencé les cours de conduite (voire a passé le permis), ce qui montre que le trouble à l’ordre public est en voie d’être réparé (ce qui pourrait même se solder par une dispense de peine devant un tribunal). La circonstance aggravante de récidive ne tient pas, car la condamnation qui forme le premier terme n’était pas définitive au moment de l’itération. Le prévenu démontre que la condamnation pourrait nuire de manière disproportionnée à sa carrière et obtient une non inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire. Ces trois exemples (tirés de cas réels) montrent qu’on peut faire valoir des arguments de fait (premier exemple), de droit (deuxième exemple) ou obtenir des aménagements de la peine (troisième exemple). Bref, une CRPC, ça se prépare, et c’est là l’avantage que procure un avocat choisi sur l’avocat de permanence, car si vous arrivez les mains vides, c’est trop tard, il ne peut plus rien pour vous, sauf si vous habitez en face du Palais. Ce qui n’est pas bon signe car en province, c’est généralement l’emplacement de la Maison d’arrêt.

Une proposition définitive de peine émerge de cet entretien, que l’avocat transmet à son client en lui conseillant d’accepter ou de refuser. Un refus met fin immédiatement à la CRPC, et le dossier est ransmis au tribunal pour être jugé, une fois purgé des éléments révélant qu’une telle tentative a eu lieu. Si la proposition est accepté, le procureur remplit à la main les deux documents de la procédure : le procès verbal d’acceptation de la peine, co-signé par le prévenu et l’avocat et la requête en homologation. Ces documents sont pré-rédigés et imprimés, la proposition de peine étant laissée en blanc. Si un délit ou une circonstance aggravante saute, les mentions correspondantes sont simplement rayées par le procureur.

Cette phase a généralement lieu en matinée, l’audience d’homologation se tenant en début d’après midi. En deux heures, un procureur seul peut ainsi traiter de dix à vingt dossiers, ce qui est un grand gain de productivité (une audience correctionnelle traitera au mieux six à dix dossiers dans ce laps de temps, en occupant au moins un juge si ce n’est trois, un procureur et un greffier).

L’audience d’homologation a généralement lieu en début d’après midi. Elle est publique, comme l’a exigé le Conseil constitutionnel. Le public est en fait constitué exclusivement des autres avocats et des autres prévenus, mais cela suffit à exercer un certain contrôle sur les décisions concernant les autres. Le président, en robe (le procureur est en costume civil lors de la phase de proposition de peine), accompagné d’un greffier, constate l’identité du prévenu, rappelle la prévention (c’est-à-dire le délit qui est poursuivi), et la proposition de peine. Il demande au prévenu d’itérer son acceptation, et demande à l’avocat s’il a des observations. Généralement, il n’en a pas, sauf si le président laisse entendre qu’il a des réticences à homologuer, la peine lui paraissant trop clémente (l’hypothèse d’une peine trop sévère est d’école, l’avocat étant là pour conseiller à son client de refuser une telle peine). Le juge rend alors aussitôt une ordonnance homologant la peine ou au contraire refusant l’homologation (je n’ai jamais vu une telle hypothèse), auquel cas le dossier est retourné au procureur pour qu’il saisisse le tribunal compétent.

Mes clients ayant eu à connaître ce type de procédure (qui ont un profil plutôt inséré socialement, la plupart travaillent depuis longtemps) en ont eu une perception plutôt positive (dans la masure où on peut être positif quand on est poursuivi). Ça va relativement vite, la nécessine de l’acceptation par le prévenu et la négociation possible par l’avocat évitent le sentiment d’être pris par une machine qui peut broyer sans s’en rendre compte. L’audience d’homologation fait l’économie d’un ton moralisateur que certains présidents se croient tenus d’adopter et qui peut être profondément humiliant pour le prévenu, les propos du président se résumant à l’énoncé de la prévention, le rappel de la peine, l’indication de l’homologation et les rappels légaux sur les effets du sursis et la possibilité de bénéficier d’un abattement de 20% sur les condamnations pécuniaires en cas de paiement spontané dans le délai d’un mois (une amende de 500 euros plus 90 euros de droit de procédure étant ainsi ramenée à 472 euros tout compris).

En conclusion, mon opinion de départ n’a guère évolué, si ce n’est dans un sens favorable à la CRPC. Une application faite en bonne intelligence en a fait une bonne procédure qui a mon sens satisfait toutes les parties.

Qu’en pensent mes confrères et les magistrats ayant touché à la matière ?

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