Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 6 mai 2008

mardi 6 mai 2008

Mes lecteurs sont formidables (2)

… et le second apport est dû à une de mes Taupes®, qui m'a fourni des documents statistiques internes au ministère de la justice sur la CRPC, plus récents que ceux que j'ai pu trouver.

On y apprend que sur les 181 tribunaux de grande instance (TGI) existant à ce jour, le nombre de tribunaux n'utilisant pas cette procédure est passé de 62 à 15 (ce chiffre fluctue selon les mois, des petits tribunaux pouvant n'avoir aucune affaire en CRPC pendant de longues périodes). D'octobre 2004 à décembre 2007, 126 839 affaires ont été traitées en CRPC dont 97% sur convocation (le prévenu est libre et a le temps de préparer sa défense) et 3% sur déférement (le prévenu est en état d'arrestation et est amené directement du commissariat au procureur) soit 3 808 dossiers.

Des affaires terminées sur cette période, 88,1% se terminent par une peine homologuée. Parmi les échecs, 7,1% s'expliquent par la non comparution du prévenu, 2% par un refus de la peine par le prévenu, et 2,8% par un refus d'homologation par le juge.

Le nombre d'affaires nouvelles progresse régulièrement sur 2007, hormis les mois d'été où ce nombre chute brutalement (5 668 affaires nouvelles en juin 2007, 2 757 en juillet, 1 357 en août, 6 046 en septembre).

Le TGI pionnier en la matière est celui de Lyon, qui en 2004 a à lui seul audiencé la moitié des affaires. Il en reste le premier utilisateur parmi les “gros”[1] TGI devant Paris (1 508 CRPC à 1 446). Quand on sait que Dominique Perben est depuis mars 2004 vice-président du Conseil Général du Rhône et conseiller général de Lyon (6e canton), on comprend mieux.

Le champion de France 2007 est un poids moyen : le TGI de Grasse, avec 1 692 dossiers.

Ce sont les moyens et petits tribunaux qui ont le plus recours à la CRPC : depuis septembre 2007, elles représentent plus de 10% des poursuites correctionnelles engagées par ces tribunaux.

À titre indicatif, le nombre de “réponses pénales” pour des délits (suites données à une plainte, ou à la constatation d'une infraction par la police) est en 2007 de 1 226 255.

42,2% de ces réponses sont des alternatives aux poursuites (médiation, rappel à la loi, injonction thérapeutique, composition pénale). Cela laisse 708 247 poursuites dont 500 328 sont portées directement devant le tribunal correctionnel, 30 398 donnent lieu à une instruction, 58 208 concernent des auteurs mineurs et vont au juge des enfants, et 51 000 en CRPC.

Le taux de classement sans suite est passé en 10 ans de 45% à 20%. Si je ne mets pas en doute l'acharnement au travail des parquetiers, la vraie explication à cette baisse spectaculaire est due au gouvernement Jospin, qui en 1998 a modifié le mode de calcul de ce taux, en passant du taux d'affaire dont l'auteur n'est pas identifié au taux d'affaires dont l'auteur identifié n'est pas poursuivi (résultat : taux 1998 : 45,9% ; taux 1999 : 34,9%).

Notes

[1] Les “Gros” sont : Lyon, Paris, Toulouse, Bobigny, Evry , Bordeaux, Pontoise, Versailles, Lille, Nanterre, Marseille, Créteil.

Mes lecteurs sont formidables (1)

Deux compléments à mes deux derniers billets, fournis par mes lecteurs.

Le premier concerne les avoués.

Mon confrère Polynice use de son droit de réplique sur son propre blog. Voici un point de vue contraire au mien sur l'utilité des avoués.

La défense devant avoir la parole en dernier, je reprends ici le riche commentaire de Billy Bud, lui même avoué, qui répond aux arguments les plus souvent soulevés. Il était perdu au fin fond des commentaires et mérite d'être élevé au rang de billet tant il apporte au débat et par respect pour le temps que maître Bud y a consacré.


Je voudrais en liminaire remercier Eolas pour son billet qui a le mérite de présenter la fonction d’avoué, qui en a bien besoin, de façon simple et claire.

Le nombre de commentaires auxquels je souhaite réagir est très élevé, je ne citerai donc pas chacun des intervenants, mais essaierai de répondre à tous de façon synthétique.

Je précise que mon approche de la question sera en premier lieu motivée par l’intérêt du justiciable ainsi que celle des magistrats.

1. Le coût

La critique essentielle, sinon unique, articulée à l’encontre des avoués est leur coût unanimement décrété comme trop élevé.

Force est cependant de constater que jamais je n’ai lu d’exemple précis sur ce point, ni ici, ni dans les attaques régulières du Conseil National des Barreaux.

Ainsi que l’a fort justement rappelé le maître des lieux, la rémunération des avoués est soumise à tarif institué par le décret du 30 juillet 1980 qui a subi de menues modifications depuis lors.

Je ne dis pas que ce tarif est parfait, loin de là, je pense même que la profession d’avoué gagnerait énormément à le rendre plus lisible, mais il ne mérite tout de même point d’être voué aux gémonies comme c’est souvent le cas.

En substance, la rémunération de l’avoué est calculée proportionnellement à la plus forte condamnation prononcée soit par le Tribunal, soit par la Cour.

Dans certains cas, impossibilité d’évaluer l’intérêt du litige en argent, en cas de divorce par exemple, absence de condamnation ou émolument supérieur à 5.400 € HT, l’avoué de l’appelant établit un bulletin d’évaluation soumis au contrôle de la Chambre de sa Compagnie, puis au magistrat ayant jugé l’affaire qui vérifie si au regard de l’importance et de la difficulté de l’affaire, l’émolument paraît justifié.

De façon quasi systématique, l’état de frais fait en outre l’objet d’une vérification par le greffe.

Mais, concrètement me direz-vous, et vous aurez raison, il coûte combien l’avoué ?

Si la plus forte condamnation prononcée est de 15.000 € … l’émolument de l’avoué est de 591,60 € HT.

Hors aide judiciaire, inférieure devant la Cour pour l’avoué que pour l’avocat (!), je mets tous les participants à ce blog au défi de trouver un avocat moins onéreux pour pareil dossier.

Certes, ainsi qu’il a été vu, la rémunération peut atteindre et même dépasser 5.400 € HT.

Toutefois, pour atteindre ce niveau, il faut que les condamnations prononcées soient au moins égales à 1.370.000 € ; nous sommes donc loin d’un dossier ordinaire et là encore, mais je puis me tromper, je doute que les honoraires de l’avocat, même en cas de perte du procès, soient véritablement inférieurs.

D’autre part, dans 95 % des cas, la partie succombante est condamnée aux dépens, c’est à dire que sauf insolvabilité totale de l’adversaire, le gagnant d’un procès en appel n’aura à payer que son avocat.

Il appert donc que si votre dossier est bon, votre avoué ne vous coûte pour ainsi dire rien.

Pour autant, il peut parfois coûter à votre avoué pour peu qu’il y passe du temps, ce qui arrive, alors que l’intérêt du litige est modéré, sinon dérisoire – et je vous arrête de suite, oui, les avoués passent régulièrement du temps sur les petits dossiers, non rentables donc, qui, puisqu’ils viennent devant la Cour en dépit du faible montant des condamnations, sont très contentieux et suivis de près tant par les avocats correspondants que par les clients en personne.

Je ne vais pas pour autant soutenir que les avoués sont à plaindre, mais je pense qu’il est aisé de comprendre que pareil système ne peut fonctionner, c’est à dire être suffisamment rentable, que si d’autres dossiers sont rémunérateurs.

Il s’agit donc d’une certaine façon de mutualiser le coût du procès en appel ce qui n’est possible qu’en limitant le nombre d’offices par Cour.

Je sais bien que l’époque ne s’y prête pas forcément, mais il faut prendre conscience qu’il s’agit véritablement d’un choix de société : doit-on ou non permettre à chacun le libre accès à la justice et notamment au second degré de juridiction ce que seul l’actuel système permet ?

En effet, contrairement à l’idée largement répandue, sans doute en raison de son apparente simplicité, la suppression du (sur)coût de l’avoué dans le procès d’appel n’aboutira pas à une baisse du coût d’une procédure d’appel pour le justiciable.

Ainsi, comme il a été rappelé dans le billet de Maître Eolas, le travail, quel qu’il soit, de l’avoué ne sera pas fait gratuitement par un avocat qui, a minima, facturerait en sus de ses honoraires, directement ou par le biais d’un de ses confrères constitué, les frais de postulation soumis aussi à un tarif qui prévoit essentiellement un calcul sur le montant des demandes …

L’avoué remplit en outre différentes tâches « invisibles » incombant souvent aux greffes ce qui simplifie leur fonctionnement, diminue leur coût et donc aussi, cette fois de façon indirecte, celui pour le justiciable.

Enfin et surtout, pour en finir avec le coût, quoique je serai amené à y revenir infra, deux comparaisons s’imposent, curieux qui personne n’y ait encore songé ici :

- le coût actuel d’un procès à l’étranger – puisque la France est la seule à avoir des avoués et qu’il faut regarder ce qui fonctionne à l’étranger : au Royaume Uni par exemple, le coût d’un procès représente 3,5 fois l’intérêt du litige … - le coût d’un procès en appel en France dans une Cour dépourvue d’avoués : j’admets ne pas le connaître, mais le commentaire de Avocat à la Cour me laisse à penser qu’il ne diffère guère de celui des Cours où le ministère d’avoué est obligatoire.

Bref - pour ceux qui ont eu la patience de lire jusque là : je plaisante - il me semble erroné, sinon mensonger, de justifier la suppression éventuelle des avoués par leur coût pour le justiciable.

Etant une nouvelle fois précisé que je suis néanmoins favorable à une modification du tarif, je suis ouvert à toute discussion sur ce point qui reviendra nécessairement à plusieurs reprises dans la suite de ma réponse.

2. L’apport pour le justiciable et la justice

L’avoué est donc quasi gratuit me direz-vous, avec ou sans ironie, mais sert-il pour autant à quoi ou qui que ce soit ?

Je ne vais pas revenir sur les aspects déjà défendus par le maître des lieux sauf à apporter quelques menues précisions.

2.1 La première est aussi la principale, elle aurait donc aussi bien pu être la dernière : l’avoué est utile pour peu qu’on l’utilise.

Les clients dits « institutionnels », banques, compagnies d’assurances, mandataires judiciaires, l’ont compris depuis fort longtemps et recourent devant chaque Cour à leur avoué habituel qui, de façon quasi-systématique, rédige les conclusions, assure les éventuels référés ou incidents et ce pour un coût constant.

Dans les dossiers de ces clients, généralement directement adressés aux avoués, l’intervention se limite souvent à des observations sur les écritures s’il y a lieu et aux plaidoiries sur le fond qui sont au demeurant de plus en plus rares, de nombreux magistrats favorisant les dépôts de dossier.

2.2 L’avoué intervient aussi parfois avant même l’inscription d’un appel : il peut conseiller son correspondant, avocat ou client, sur la stratégie à adopter dans un dossier pendant devant le Tribunal dont la décision sera probablement « appelée ».

Il joue le rôle de filtre lorsqu’il déconseille un appel ce qui arrive plus souvent qu’on ne le pense : il suffit pour s’en convaincre de comparer le pourcentage de décisions des Conseils des Prud’hommes faisant l’objet d’un appel avec celui des jugements rendus par les Tribunaux civils ou commerciaux.

2.3 En raison de leur nombre restreint, les avoués sont des interlocuteurs privilégiés des magistrats qui les connaissent, les fréquentent quotidiennement etc …

Ce lien particulier permet un traitement plus efficace des dossiers en particulier lorsqu’ils sont sensibles – sans connivence aucune, je pense que chacun s’accordera sur le fait qu’un auxiliaire de justice « reconnu » aura davantage l’oreille d’un magistrat qu’un autre totalement anonyme lorsqu’il s’agira de négocier une date à bref délai en raison de l’urgence présumée d’un dossier.

2.4 D’ailleurs, si l’avoué ne sert véritablement à rien, il faudrait que les avocats m’expliquent pourquoi même les plus virulents d’entre eux à l’encontre de cette profession, font néanmoins appel à elle dans de très gros dossiers où la représentation n’est pas obligatoire – Conseil de la Concurrence, AMF etc …

2.5 L’avoué est un véritable auxiliaire de justice en ce qu’il participe au fonctionnement de sa juridiction.

Cette participation s’est récemment accrue par le biais de la communication électronique en place dans plusieurs Cours et qui s’étendra à l’ensemble d’entre elles dès que l’avenir de la profession sera assuré.

Ainsi, dans les Cours concernées, les déclarations d’appel et constitutions sont aujourd’hui adressées au greffe non seulement au format papier, qui disparaîtra le jour venu, mais aussi par la voie électronique.

L’avantage n’est pas seulement lié à la déforestation : la communication effectuée par les avouées est dite « structurée », c’est à dire que toutes les informations contenues dans la déclaration d’appel, par exemple les copropriétaires appelants, sont directement intégrées dans le dossier informatique de la Cour.

Il ne s’agit point d’un gadget, mais autant de travail de saisie en moins pour les greffiers qui peuvent pendant ce temps travailler à autre chose – le nombre de personnes dans les greffes gérant les déclarations d’appel a été divisé par deux, parfois trois, depuis la mise en place de ce système.

Raison de plus pour supprimer les avoués diront certains puisque à l’heure d’internet, ils sont plus obsolètes que jamais.

Ils auront tout faux.

D’une part, parce qu’en dépit de leurs efforts, et la volonté déterminée du Président Magendie, les avocats ont été incapables à ce jour d’approcher de près ou de loin pareille communication, la leur se limitant à de la consultation de pages html et aucunement la transmission de données, ce n’est cependant pas en raison de leur incompétence en informatique, je vous rassure.

En effet, et d’autre part, le système n’est une nouvelle fois réalisable qu’en cas d’un nombre restreint d’intervenants ne serait-ce que pour des raisons de sécurité.

La communication électronique réelle ne peut sérieusement être mise en place que dans un système intranet.

Or, si demain la profession d’avoué était supprimée, tous les avocats européens pourraient postuler devant toutes les Cours françaises – j’en expliciterai les raisons en fin de post, soit, ouf, bientôt.

Je ne vois donc pas comment, mais je suis à l’écoute de toute démonstration, pourrait être créé un réseau intranet entre les Cours françaises et TOUS les avocats européens dont le nombre fluctue sinon quotidiennement, au moins de façon hebdomadaire – il suffit de se rendre au Palais de Justice à Paris le mercredi pour s’en convaincre, le nombre de prestations de serment hebdomadaires y est impressionnant.

La communication électronique et la dématérialisation de la procédure, soit les objectifs affichés par le Ministère de la Justice lorsqu’il s’agit d’évoquer du bout des lèvres la justice autre que pénale, ne pourront donc exister que pour autant que les avoués soient maintenus.

Les sceptiques me demanderont mais pourquoi la postulation ne pourrait-elle pas être assurée par les avocats de chaque Cour, ce qui, à l’exception notable de Paris et de quelques rares barreaux de province, assurerait un nombre restreint d’intervenants et donc la possibilité d’un intranet ?

C’est la faute à l’Europe !

En effet, il est aujourd’hui strictement interdit de créer des règles favorisant des ressortissants nationaux au détriment des ressortissants extra-nationaux.

Tel serait le cas si la France décidait d’accorder aux avocats français, qui plus est selon des critères géographiques, le monopole de la représentation devant les Cours.

Je ne sais si ces quelques lignes ont pu convaincre ne serait-ce qu’un seul sceptique, le sujet est vaste et mérite plus que « quelques » lignes rédigées entre appels téléphoniques, conclusions, audiences etc … surtout lorsque l’auteur n’a pas le talent de Maître Eolas.

Je finirai pour eux en rappelant une autre règle européenne.

Supprimer la profession et la fonction d’avoué revient aujourd’hui à ouvrir une véritable boîte de Pandore dans la mesure où si en application des règles européennes qui nous gouvernent aujourd’hui, la déréglementation est évidemment possible, revenir en arrière sera strictement interdit.

Certains pays comme le Danemark, dont le système judiciaire n’était pas, fut un temps, éloigné du notre, regrettent amèrement la libéralisation du marché du droit, soit une approche marchande de la justice que je me refuse à accepter pour mon pays.

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