Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 29 mai 2008

jeudi 29 mai 2008

À voir absolument

À vos zapettes, à vos magnétoscopes ou tout ce qui vous permet d'enregistrer la TNT.

Public Sénat diffuse actuellement un documentaire très bien fait sur le contentieux du droit d'asile, intitulé «L'asile du droit», d'Henri de Latour (54'), déjà diffusé sur France 3 le 11 janvier 2008.

Vraiment, il vaut le coup car il fait partie des rares documentaires sur la justice où je retrouve l'ambiance et la réalité du quotidien.

Un bref topo : les étrangers qui demandent l'asile en application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 doivent présenter leur demande à l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). C'est une phase purement administrative et semée d'embûches (l'étranger qui obtient enfin, après un parcours du combattant, et qui implique notamment de remettre son passeport à la préfecture, le formulaire OFPRA a 21 jours, pour le remplir, en français à peine d'irrecevabilité (l'OFPRA ne fournit pas d'interprète traducteur), et le faire parvenir à l'OFPRA à Fontenay Sous Bois. S'ils dépassent le délai, ils sont à jamais privés du droit de demander l'asile.

Le dossier est examiné par les fonctionnaires de l'OFPRA, qu'on appelle Officiers de Protection, et l'étranger est, en principe, convoqué à un entretien avec l'Officier. Les avocats ne sont pas admis à ces entretiens, parce que. Le directeur général de l'OFPRA rend alors une décision qui est notifiée par lettre recommandée AR. Et c'est curieux comme la plupart se ressemblent au mot près : les propos du demandeurs sont confus et contradictoires en ce qui concerne les menaces dont il dit être l'objet et il n'a pas apporté de précisions convaincantes sur les faits précis dont il fait état. Plus, s'il a produit des documents : ils sont insuffisants pour établir les faits en absence de déclarations convaincantes de sa part. J'en ai plein comme ça dans mes dossiers, ce qui est pratique, on peut commencer à rédiger le recours sans avoir la décision.

Si l'étranger parvient à retirer la lettre à son bureau de poste alors qu'il a dû remettre son passeport à la préfecture pour avoir le dossier de demande d'asile[1], il a un délai d'un mois pour saisir la Cour Nationale du Droit d'Asile (CNDA), qui s'appelait jusqu'à il y a peu la Commission de Recours des Réfugiés (CRR) - d'où le nom de domaine internet. C'est pourquoi vous entendrez souvent les avocats parler de “la commission” : c'est la cour, le nouveau nom (qui n'a rien changé sinon peut-être la taille des chevilles de certains de ses juges) n'étant pas encore entré dans les mœurs. Pour être valable, le recours doit être accompagné d'une copie de la décision de l'OFPRA (d'où le gag du recommandé). C'est ce délai, déjà terriblement court, que le très honorable député Ciotti voulait réduire à quinze jours au nom de la tradition d'accueil de la France.

La Cour siège à Montreuil Sous Bois, en Seine Saint-Denis. C'est une juridiction de l'ordre administratif, et celle qui traite le plus de demandes chaque année, battant tous les tribunaux administratifs et même le Conseil d'État.

Le recours est examiné en audience publique, ce sont ces audiences qui sont filmées. L'avocat a pu entrer en scène une fois la décision rendue : il a rédigé le recours, consulté le dossier (c'est la première fois qu'il y a accès), versé des pièces complémentaires (notamment des expertises médicales quand des coups ou des mutilations ont laissé des traces).

Petites particularités de la CNDA : les avocats, vous le verrez, font leurs photocopies eux-même. Les avocats extérieurs à l'Île de France ont droit à une copie du dossier, pas nous, sauf si on vient la faire nous-même. Sékomsa.

Plus contrariant : le recours attaque une décision du directeur général de l'OFPRA. Le personnel de la CNDA est à 95% du personnel de l'OFPRA. Le budget de la CNDA est fourni par l'OFPRA (Ça change au 1er janvier prochain). Les locaux de la CNDA sont payés par l'OFPRA. La cour est composé de trois juges : le président est un juge administratif (Conseil d'État, Cour des Comptes, conseiller de tribunal administratif ou de Cour administrative d'appel, chambres régionales des comptes, juge judiciaire, en activité ou honoraire (comprendre à la retraite). L'un des assesseurs, qui jusqu'en 2003 était désigné par le HCR, organe de l'ONU, est désormais une “personnalité qualifiée nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés sur avis conforme du vice-président du Conseil d'État”. L'autre est un représentant du Conseil de l'OFPRA, nommé par le vice-président du Conseil d'État sur proposition de l'un des ministres représentés au conseil d'administration de l'Ofpra. Ainsi, devant la CNDA, on attaque une décision du directeur de l'OFPRA, présentée par un rapport d'un fonctionnaire de l'OFPRA, devant un juge représentant l'OFPRA, dans des locaux loués par l'OFPRA. Quoi, il y a un problème ? Mais non, nous dit le Conseil d'État (CE, 10 janv. 2003, n°228947, Ensaud c/ Ofpra), car la procédure n'étant pas de nature civile ni pénale, l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui exige un tribunal impartial ne s'applique pas. Le Conseil constitutionnel n'a jamais été saisi de la question lors des dernières réformes en la matière.
Bienvenue dans le droit des étrangers, droit étrange s'il en est.

L'audience commence par la lecture du rapport fait par un officier de protection attaché à la CNDA, puis l'avocat a la parole pour exposer les arguments en faveur du recours. Le président posera des questions à l'étranger, dialogue qui tourne souvent court si l'étranger baragouinant le français a cru pouvoir se passer d'interprète, ou parfois à cause du niveau lamentable de certains interprètes (j'ai eu un interprète en anglais à qui je devais souffler les mots, un autre que mon client ne comprenait pas, et un confrère me racontait qu'une fois, l'interprète faisait partie du personnel de l'ambassade du pays que fuyait le réfugié). L'affaire est mise en délibéré, l'audience dépasse rarement les dix minutes.

Un étranger débouté perd son droit au séjour et devient expulsable vers son pays d'origine. S'il a un élément nouveau à présenter qui n'était pas connu lors de la première audience, il peut demander le ré-examen de sa demande.

J'arrête ici car j'ai déjà été trop long, en vous laissant quelques chiffres : l'OFPRA a été saisie de 29.937 demandes en 2007 dont 23.804 de premières demandes (contre des pics à 60.000 en 1989 et 2005 : nous pouvons nous réjouir, le monde est en train de devenir un paradis, assurément, car je ne peux croire que les réformes législatives en la matière visent à décourager les demandeurs d'asile, pas en France, monsieur).

L'OFPRA accorde le statut de réfugié à 11,6% des demandeurs (3401 en 2007). Ce taux passe à 29,7% après passage devant la CNDA, qui accorde 61,3% des statuts de réfugiés (c'est marrant, quand on permet à un avocat d'intervenir, ça marche mieux, on dirait). La CRR a été saisie de 30477 dossiers en 2007. Le taux de recours est proche des 90%.

Les nationalités obtenant le plus l'asile sont les nationalités malienne (les femmes essentiellement fuyant le risque d'excision), érythréenne, rwandaise, et éthiopienne. Seuls ces pays ont un taux d'accord supérieur à un dossier sur deux. 130.926 personnes bénéficient de la protection de la France au titre de réfugiés.

De ce documentaire, je retiens tout particulièrement deux scènes poignantes : la première, un requérant attend l'affichage des délibérés. Il cherche mais ne comprend rien au listing, qui indique simplement “rejet” si l'appel est rejeté ou “annulation” si la décision de refus de l'asile est annulée et donc que le statut de réfugié est accordé. Une personne l'aide et lui dit “rejet”. Le visage de l'étranger rayonne, il dit merci à tout le monde, à la caméra. L'homme qui l'a aidé revient et lui dit que non, rejet, c'est pas bon. La détresse qui se lit alors sur le visage est difficile à supporter. Le cadreur s'y attardera d'ailleurs beaucoup trop longuement à mon avis. La pudeur n'est pas un obstacle à la vérité.

La deuxième, un requérant des pays de l'est vient de lire son résultat, avec son avocat : Annulation. Il est désormais réfugié et bénéficie de la protection de la France. Sonné par le bonheur, il en titube presque. Son avocat lui dit de prévenir sa famille mais il explique qu'il n'a plus de crédit sur son téléphone. Qu'importe, lui dit son avocat, je vous prête le mien. Et ils se rendent au greffe, une grande salle où les avocats peuvent consulter les dossiers et s'entretenir avec leur client avec l'aide de l'interprète fourni par la Commission. La caméra les suit, il appelle sa famille et on le voit parler une langue que je ne saurais déterminer, irradiant de bonheur. À la table d'à côté, une jeune avocate essaie de consoler un Africain qui a vu sa demande rejetée, alors qu'il a perdu toute sa famille dans des tueries. L'avocate est très inquiète d'un geste désespéré de son client et refuse de le laisser partir. Elle finira même par le prendre dans ses bras comme une petite fille embrasse son grand-père. Les allers-retours de la caméra d'une table à l'autre sont un moment très fort et très dur.

Voici les prochaines diffusions :

Le vendredi 30 mai à 16h30, le samedi 31 mai à 14h00 et le dimanche 1er juin à 09h00. La diffusion des samedi 31 et dimanche 1er sont suivis d'un débat, à 14h55 et 09h55 respectivement, qui est visible gratuitement sur le site de Public Sénat (pas le documentaire qui ne leur appartient pas).

Et pour vous mettre en bouche, voici un extrait (le son n'est pas très bon, je n'y suis pour rien), où l'on voit mon confrère Gilles Piquois et sa gouaille inimitable plaider pour un Kosovar de la Drenica (prononcer Drénitsa, c'est de l'albanais). La charmante jeune fille brune, qui siège non loin de mon confrère et s'entraîne au pen twirling est le rapporteur. La deuxième séquence, la mise en abîme, figure dans cet extrait. Elle commence à 6:08.

Lundi, j'ouvrirai un billet pour discuter de ce documentaire.

Notes

[1] L'OFPRA refuse de remettre une copie de la décision à l'étranger tant que l'AR non réclamé n'est pas revenu, ce qui implique que le délai de recours est généralement expiré.

Festival de prétoire ou l'art de plaider

Par Gascogne


Puisque l'on m'y invite, que la période s'y prête, et qu'une attaque en piqué sur les présidents d'audience ne pouvait rester sans réponse, quand bien même j'en partage l'essentiel au fond, voici la remise des prix, après délibération intensive du jury, concernant les plus belles plaidoiries ou effets de manche entendus ici ou là :

- L'épitoge de la mise en scène est décernée à : l'ensemble des avocats dont l'intervention en garde à vue permet un changement complet de comportement du mis en cause. Celui qui ne connaissait même pas la plaignante d'un viol, se souvient miraculeusement qu'il a bien eu une relation sexuelle avec elle, mais qu'elle était consentante. Celui qui commençait à reconnaître les faits, crie à la pression et au complot des plaignants. A l'inverse, celui qui était enferré dans ses contradictions se met à reconnaître les faits.

- L'épitoge du meilleur scénario à ces avocats qui déforment les déclarations faites en interrogatoire par leurs clients, par le biais de questions, afin de tenter de faire coller celles-ci avec leur ligne de défense : "vous avez indiqué tout à l'heure à monsieur le juge que vous connaissiez bien la victime, mais ne vouliez-vous pas plutôt dire que vous ne la connaissiez pas ?".

- L'épitoge du meilleur acteur à l'avocate pénaliste qui, changeant de magistrat, change d'attitude, et s'indigne du comportement du juge d'instruction, qui, horresco referens, n'a pas procédé à l'interrogatoire de son client avant le passage devant le juge des libertés et de la détention (cet interrogatoire est interdit, sauf accord du déféré après garde à vue, afin qu'il puisse préparer sa défense), ou encore de tel autre qui à l'audience dénonce la reconnaissance des faits par sa cliente devant le juge d'instruction, alors qu'elle ne reconnaissait pas les faits en garde à vue, cette reconnaissance n'ayant pourtant eu lieu que suite à une demande d'entretien supplémentaire du collaborateur de la récipiendaire, qui, agacé d'avoir fait tant de kilomètres pour un dossier de faible importance, a demandé une suspension en disant au juge qu'il se faisait fort d'obtenir immédiatement des aveux circonstanciés de sa cliente.

- L'épitoge "Un certain regard" pour cet avocat qui s'étonne d'une qualification criminelle dans le cadre d'une tentative de meurtre, puisque "la victime n'est pas morte", ou encore qui plaide le sursis à l'emprisonnement devant le tribunal de police. Attribuée également, par décision spéciale du jury, à cet avocat qui écorche sans arrêt le nom de son client, et qui lui attribue en cours de plaidoirie le nom de la victime.

- L'épitoge spéciale pour l'ensemble de son oeuvre à cet avocat qui ne sait pas plaider sans éructer ni invectiver tantôt les magistrats professionnels, tantôt les jurés, qui ne peuvent visiblement qu'être des "connards" pour avoir condamné son client.

- Enfin, celle que tout le monde attend : l'épitoge d'or...(roulement de tambours et longues secondes de silence) : attribuée à cette avocate d'une grande ville, fort connue, venant plaider devant la cour d'assises d'une petite ville, un dossier où la question de la responsabilité pénale de son client est posée, les psychiatres n'étant pas d'accord entre eux, et qui, après une plaidoirie très fine de son collaborateur sur la personnalité de l'accusé, dit aux jurés qu'elle aurait préféré avoir neuf psychiatres face à elle, mais que ce n'est malheureusement pas le cas, et que ce n'est certainement pas neuf jurés de ce beau département (rural, aurait-elle sans doute voulu ajouter), qui vont contredire par leur décision ce que des professionnels de la psychiatrie ont indiqué dans leur rapport.

Le jury ne pouvait pas terminer son oeuvre sans vous faire part de ces quelques perles et maladresses, non récompensées par un prix, mais qui méritent d'être citées :
- L’avocat de la défense : "Nous sommes ici devant une Cour d’Assises, nous ne sommes pas là pour faire du droit."
- Me D. : "Monsieur le Président, vous savez ce qu'est la dépendance alcoolique."
- Me B. : "Je vous demande de prononcer contre mon client une amende assortie d'une mise à l'épreuve."
- Me A. à propos des déclarations de sa cliente : "Ça paraît tellement énorme comme mensonge que ça pourrait être la vérité".
- Me C. avocat de la défense : "Les faits sont malheureusement reconnus..."
- Me T. partie civile : "Les faits sont établis puisqu'ils ne sont pas reconnus."
- Me O. : "Si par extraordinaire vous n'entriez pas en voie de condamnation..."
-Me E., défendant un homme poursuivi pour avoir attaqué un autre à la machette, trois doigts sectionnés : "Monsieur le président, il va vous falloir trancher…"

Et pour que la magistrature ne soit pas en reste, prix spécial du jury pour ce parquetier :

- Le procureur, à un prévenu s'appelant M. LACROTTE : "Vous savez ce qui vous pend au nez, M. LACROTTE."

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