Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

dimanche 24 août 2008

dimanche 24 août 2008

Les publicistes ont de l'humour

Heu… Enfin, qui ne fait rire qu'eux, mais c'est déjà ça.

Je vous propose cette petite vidéo réalisée par des étudiants en droit qui feraient mieux de réviser à la B.U.

Un rapide mot d'explication tout de même. Le droit administratif français est un droit prétorien, c'est à dire né de la jurisprudence. Le législateur n'avait d'yeux que pour les juges judiciaires (les juges auxquels vous pensez tout de suite, qui portent la robe, mettent des innocents en prison, et ressemblent à des petits pois), tremblant au souvenir de l'ancien Régime, renversé grâce à leur révolte. Les révolutionnaires n'ont pas fait preuve de gratitude, redoutant que la même mésaventure leur arrive, et n'ont eu de cesse, de tenir le pouvoir judiciaire en laisse, tendance qu'ils ont laissé en héritage à leurs descendants, nos gouvernants actuels.

Leur premier geste fut d'interdire aux juges judiciaires de mettre leur vilain nez dans les affaires de l'État. Interdiction qui subsiste encore à ce jour.

Néanmoins, l'administration devant respecter la légalité, il a fallu instaurer une autorité jugeant de la légalité des actes de l'administration. Le législateur ne faisant rien, ou pas grand chose, c'est le juge administratif suprême, le Conseil d'État, qui a pris les choses en main.

Et le droit administratif français est né de toute une série d'arrêts fondamentaux (auxquels vient s'ajouter une sélection des décisions du Tribunal des Conflits, qui ne tranche que la question de savoir si telle ou telle question relève du juge judiciaire ou administratif sans trancher la question ; les arrêts du Conseil d'État sont notés CE, les décisions du Tribunal des Conflits TC), compilés dans l'ouvrage les Grands Arrêts de la Jurisprudence Administrative, dit le GAJA, ouvrage aussi important que le Code civil pour un étudiant en droit, et cauchemar des étudiants de deuxième année comme des candidats à l'ENA.

Le héros de cette saynète voyage dans le temps et tente ainsi de prévenir les événements qui vont donner lieu à certains de ces grands arrêts.

Son premier voyage le fait rencontrer monsieur Nicolo, qui pour autant que je sache est toujours vivant. Monsieur Nicolo est un habitué du Conseil d'État, qui avait demandé l'annulation des élections européennes du 18 juin 1989 au motif que les électeurs des DOM TOM avaient pu voter alors qu'ils ne sont pas situés en Europe. Le recours en lui même n'avait aucune chance, mais le Conseil d'État a saisi cette occasion pour renverser sa jurisprudence dite “des semoules” (CE 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France) selon laquelle il refusait d'examiner la conformité de la loi à un traité (CE 20 oct. 1989, Nicolo)

Son deuxième voyage le mène en Côte d'Ivoire, au bord de la lagune Ébrié. La nuit du 5 au 6 octobre 1920 (il y a une erreur dans la vidéo, la scène étant tournée de jour), le bac dit d'Éloka, un des bacs qui traverse cette lagune pour éviter d'avoir à en faire le tour, chargé de 18 personnes et de quatre automobiles, sombre brutalement. Un indigène se noie, et les quatre automobiles sont retirées de l'eau gravement endommagées. C'est l'une de ces automobiles, et non l'indigène noyé, qui est à l'origine du procès. Ah, le doux temps des colonies… La société commerciale de l'Ouest Africain, propriétaire d'une de ces voitures, va demander en justice réparation de son préjudice. Elle va saisir en référé le président du tribunal de Grand Bassam. Je ne me souviens plus si le tribunal va se déclarer incompétent ou si c'est l'administration qui va contester la compétence du juge judiciaire, toujours est-il que le tribunal des conflits va devoir trancher. Et le 22 janvier 1921, le Tribunal des Conflits jugera que même si ce bac remplissait une mission de service public, son activité était de nature industrielle et commerciale et relevait de la compétence du juge judiciaire. La lecture de cet arrêt m'a rappelé une scène d'un film de Tarzan, la version en noir et blanc avec Johnny Weismuller. Une colonne avance sur un sentier escarpé. Un porteur noir trébuche et tombe avec son chargement dans le vide avec un cri déchirant. Les explorateurs se précipitent et regardent, impuissants, le vide. « Qu'est ce que c'était ?» demande l'un d'eux qui n'a rien vu de ce qui s'est passé. « C'était les médicaments » répond l'autre avec un visage grave.
Voici une photo du Bac d'Éloka datant de 1908, dégoté par l'irremplaçable Professeur Rolin.

Son troisième l'emmène sur les lieux d'un drame. M. Guerrero, recherché par la police, prend en auto-stop Mlle Motsch, qui était pourtant fort jolie. Le véhicule arrive à un barrage de police, que M. Guerrero force. La police ouvre le feu, blessant Mlle Motsch. Celle-ci demande réparation, mais à qui ? Un barrage de police est une mesure de police administrative : ce serait donc le juge administratif. Nenni, répond le Tribunal des Conflits le 5 décembre 1977 : l'opération s'était transformée en police judiciaire dès lors qu'il s'agissait d'appréhender une personne ayant commis une infraction (refus d'obtempérer, coups et blessures volontaires sur agent de police…).

Le quatrième l'emmène à Morsang-Sur-Orge, riante commune de l'Essonne, où l'on sait s'amuser ; ainsi, le 25 octobre 1991, était prévu dans une LA discothèque de la ville un spectacle dit « de lancer de nain ». Le maire de la ville prit un arrêté interdisant ce spectacle comme contraire à la dignité humaine (sans qu'il soit précisé si la dignité perdue était celle du projectile ou du public riant à ce spectacle). Le Conseil d'État jugera légal cet arrêté le 27 octobre 1995, ajoutant la dignité humaine parmi les composants de l'ordre public (qui sont en outre la sécurité, la tranquillité et la salubrité).

Le cinquième le ramène en mars 1909, à l'occasion d'une grève des Postes. Le gouvernement d'alors prit 600 mesures de révocation à l'encontre des grévistes. L'un de ces révoqués, dénommé Winkell, exerça un recours contre cette décision, que le Conseil d'État rejeta, relevant que la grève ayant porté atteinte à la continuité du service public, la sanction était justifiée. Autre temps, autre mœurs.

Le sixième voyage le conduit dans l'exotique Indre-et-Loire en 1948, quand plusieurs fonctionnaires vont se mettre en grève pendant une semaine, dont M. Dehaene, chef de bureau, qui sera sanctionné d'un blâme. Blâme confirmé par le Conseil d'État le 7 juillet 1950, qui précisera toutefois que le droit de grève des fonctionnaires est licite (il a été reconnu par la Constitution de 1946, il faut dire) mais qu'il ne peut avoir pour effet de compromettre l'exercice de la fonction préfectorale. Bref, le droit de grève n'est pas absolu et illimité.

Le septième et dernier voyage le ramène à Bordeaux, au début de la décennie 1870. Agnès Blanco, cinq ans et demi, vient de se faire renverser par un wagon de la manufacture des tabacs exploitée en régie par l'État. Son père va demander réparation au tribunal civil, mais le Tribunal des Conflits jugera le 8 février 1873 que la responsabilité de l'État relève de la juridiction administrative. C'est l'arrêt donnant naissance au droit administratif moderne. Notre étudiant étant arrivé trop tard, il va achever la petite fille à coups de pelle, commettant ainsi un meurtre aggravé, relevant de la compétence du juge judiciaire et empêchant ainsi la naissance du droit administratif moderne.

Mais le vide juridique n'existe pas, comme le découvre à la fin notre étudiant, et surtout rien ne peut faire disparaître le droit fiscal en France. La morale est sauve.

Si vous avez ri en regardant cette vidéo, vous saurez que vous êtes un publiciste.

Pour en savoir plus sur l'hostilité de l'exécutif à l'égard des juges, voyez ce billet de Fantômette.

Sur la séparation des ordres administratifs et judiciaire, voyez ce billet de votre serviteur.

Merci à Xa pour le lien vers la vidéo.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« août 2008 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
123
45678910
11121314151617
18192021222324
25262728293031

Contact