Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 22 août 2008

vendredi 22 août 2008

Le Monde annonce les lois qui existent déjà

Aliocha ayant déclaré forfait pour défendre son confrère de Rue89; je lui laisse une deuxième chance avec Le Monde. Enfin, lemonde.fr, ce n'est pas la même chose, m'a-t-on précisé (mais lors pourquoi laisser le logo en gothique ?), et à partir d'une dépêche de l'AFP.

Deux décrets du ministère de la justice parus vendredi 22 août au Journal officiel[1] autorisent l'inscription d'un fœtus né sans vie sur les registres de l'état civil. Souhaités depuis plusieurs années par de nombreuses associations, ces décrets viennent combler le vide juridique qui existait en France pour les fœtus de 16 à 22 semaines morts in utero ou après une interruption médicale de grossesse. Ils font suite à la décision de la Cour de cassation, qui, en février, avait jugé, dans trois arrêts, qu'un fœtus né sans vie pouvait être déclaré à l'état civil, quel que soit son niveau de développement.

Argh ! Kryptonite ! Ils ont dit les mots interdits ! « Vide juridique » ! Depuis le temps que je m'échine à expliquer que le vide juridique n'existe pas. Même si aucune loi ne règle expressément la question, il y a tout un corpus de droit commun qui s'applique à toutes les situations, et le juge a l'obligation de trancher toute question qui lui est légalement soumise, sans pouvoir invoquer l'absence ou l'obscurité de la loi !

Et là, en plus, il n'y avait pas de vide juridique, comme je l'expliquais en commentant les arrêts de février dernier :

Afin d'aider les parents à surmonter cette terrible épreuve, la loi [du 8 février 1993, elle a quinze ans, cette loi !] a créé pour les enfants ne remplissant pas ces conditions d'accès à la personnalité juridique l'acte d'enfant sans vie. Sans avoir les conséquences juridiques d'un acte de naissance (il figure sur le registre des actes de décès), il permet aux parents de lui donner un prénom, et de réclamer le corps pour procéder à des funérailles (auparavant, il était traité comme un déchet organique et incinéré avec les amygdales et autres appendices iléo-cæcaux, quand il ne servait pas pour former des étudiants).

Notons que la loi prévoit que l'acte d'enfant sans vie doit être dressé à défaut de certificat médical attestant la vie et la viabilité, sans préjuger de ces faits, qui relèvent de la compétence du juge.

Comme vous le voyez, la loi ne pose aucune condition de développement du fœtus.

Alors, à quoi servent ces deux décrets ?

Le premier décret modifie le décret n°74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille, en rajoutant un article prévoyant la délivrance d'un livret de famille dans l'hypothèse où le couple n'est pas marié (sinon le livret de famille est remis par le maire dès le mariage célébré) et que l'enfant né sans vie était leur premier enfant (sinon le livret de famille leur a été remis à la naissance du premier enfant). Il ne comble pas un vide juridique : il modifie le droit, qui était que jusqu'à présent, les couples dans cette situation n'avaient pas droit à un livret de famille, dont l'intérêt est plutôt limité d'ailleurs. Cet état du droit était plus probablement dû à une négligence du législateur qu'à un choix éclairé, mais il demeure que c'était l'état du droit.

Le second précise simplement que l'acte d'enfant sans vie est dressé sur production d'un certificat médical lui-même dressé conformément aux dispositions d'un arrêté du ministre de la santé. Arrêté qui est publié plus loin dans le même JO, le modèle étant consultable dans la version PDF. Conformément à la jurisprudence de la cour de cassation, la mention de viabilité n'apparaît pas dans le certificat.

Bref, un non-événement, le droit en la matière étant inchangé sauf pour la délivrance du livret de famille à un couple non marié sans enfant. S'agissant de l'âge du fœtus permettant de dresser un tel acte, l'arrêt de février dernier a interprété la loi et cette interprétation reste valable.

Voilà qui méritait une dépêche, et justifiait l'utilisation d'une photo choc qui fera bien plaisir à tous les lecteurs et lectrices ayant vécu un tel drame personnel.

Aliocha, la parole est à la défense.

Notes

[1] Un, deux.

Petite leçon d'histoire du droit à destination de Rue89

Rue89 s'est fendu d'un bref article sans intérêt (ce n'est pas moi, ce sont les lecteurs qui le disent) sur la rentrée des avocats des Pipoles. Les avocats d'iceux ont envoyé des assignations qui attendent au courrier des avocats des publications concernées. Rien de neuf sous le soleil. Je retrouve moi-même mes urgences, il y a juste un peu moins de nichons et plus de préfets, c'est moins glamour (cela dit avec le plus profond respect pour les mamelles de Michel Gaudin).

Un passage [Depuis rectifié] m'avait fait froncer le sourcil gauche :

Cet automne, les tribunaux donneront raison -ou tort- à ces « people » qui poursuivent la presse en vertu de l’article 9 du code civil. Depuis leur rédaction par les juristes de Bonaparte en 1803, ces quelques lignes, que de nombreux avocats savent par cœur, stipulent que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Je passe sur l'usage inapproprié du verbe stipuler qui permet de faire juriste sauf aux yeux des juristes : stipuler veut dire promettre, seul un contrat peut stipuler (ou un traité international, qui est un contrat entre États souverains) ou la faute d'accord à people, le pluriel en anglais prenant aussi un S sauf pour les adjectifs qui sont invariables[1].

C'est l'irruption des juristes de Bonaparte qui me laisse pantois. Et la date aussi.

Le Code civil, de son petit nom Code Napoléon (c'est encore son nom officiel, même s'il n'est plus employé) est entré en vigueur le 21 mars 1804, soit deux siècles et trois semaines avant mon blog, tous les juristes savent cela. S'il est exact de parler de Bonaparte (ce n'est qu'en décembre de cette même année que le Premier Consul Bonaparte deviendra Napoléon Ier), pourquoi 1803 ?

Ce d'autant plus (et là c'est mon sourcil droit qui se soulève) que l'article 9 du Code civil, tous les juristes le savent aussi, a été créé par la loi n°70-643 du 17 juillet 1970 tendant à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens, article 22. Sans être agrégé d'histoire, je puis vous assurer sans crainte de me tromper que Napoléon Bonaparte n'avait cure des nichons des célébrités publiées à la Une des magazines, du fait de son mépris pour la vie privée des citoyens autant que du fait que la photographie n'avait pas encore été inventée.

Donc pourquoi 1803 ?

La lumière m'est venue de Légifrance. Non que ce site ait quoi que ce soit à m'apprendre sur l'article 9. Mais les mentions sous le numéro d'article sont manifestement à l'origine de l'erreur d'Augustin Scalbert.

Créé par Loi 1803-03-08 promulguée le 18 mars 1803
Modifié par Loi 1927-08-10 art. 13
Modifié par Loi n°70-643 du 17 juillet 1970 - art. 22 JORF 19 juillet 1970
Modifié par Loi n°94-653 du 29 juillet 1994 - art. 1 JORF 30 juillet 1994

Ces mentions sont fort utiles pour les juristes qui doivent faire face aux complications nées de l'application de la loi dans le temps. Elles informent des dates de création et de modification des textes afin que nous puissions le cas échéant aller chercher la version en vigueur au moment des faits nous intéressant.

La première mention est la loi du 18 mars 1803 (17 Ventôse An XI), première des 36 lois qui ont promulgué les 36 titres du Code civil des Français. Promulgué mais pas mis en vigueur, ce qui n'aura lieu que d'un bloc en mars 1804.

La deuxième mention est celle de la loi du 10 août 1927, qui va abroger l'article 9. En effet, l'article 9 original ne portait pas du tout sur la vie privée mais sur la nationalité française. Relisons-le, ça fait rêver.

Tout individu né en France d'un étranger pourra, dans l'année qui suit sa majorité, réclamer la qualité de Français ; pourvu que, dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d'y fixer son domicile, et que dans le cas où il résiderait en pays étranger, il fasse sa soumission de fixer en France son domicile, et qu'il l'y établisse dans l'année, à compter de l'acte de soumission.

Aujourd'hui, naître en France ne donne droit au séjour ou à la nationalité que si on y réside ensuite au moins huit années et également au jour de la demande. Le droit Napoléonien, ce dictateur belliciste, était plus libéral envers les étrangers que le nôtre. Cherchez l'erreur.

Ce n'est donc qu'en 1970 qu'un nouvel article 9 prendra la place laissée vacante, mais son contenu n'a aucun rapport avec l'article 9 original.

Légifrance ne distingue pas : pour lui, le Titre Premier du Code civil a été créé par une loi de mars 1803, le hiatus de 1927 à 1970 n'a aucune importance.

Et voilà comment un journaliste voulant épater la galerie se mélange les pinceaux en laissant entendre à ses lecteurs que le droit de la presse people remonte au Consulat.

Concluons en redressant une injustice. Les « juristes de Bonaparte » ont un nom. Ils sont quatre, qui ont rédigé l'essentiel du Code civil. Ils méritent d'être cités : François Denis Tronchet, Jacques de Maleville, Jean Étienne Marie Portalis et Félix Julien Jean Bigot de Préameneu. En ces temps de législation biodégradable, leur travail subsiste après deux siècles. Ce qui en droit équivaut à l'éternité.

Notes

[1] Mise à jour : au temps pour moi, People est déjà un mot pluriel et ne prend donc pas de S. Pan sur le bec d'Eolas.

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