Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 12 mars 2009

jeudi 12 mars 2009

Plus belle l'assises (4)

N'étant pas un adepte de la défense de rupture, je n'ai pu claquer la porte de mes audiences et remercie Gascogne de me suppléer. Néanmoins, allons-y pour notre feuilleton quotidien, visible ici, début à 17:24 (temps en minutes et secondes affiché au compteur).

(17:24) : Ça tombe bien, première image, premier commentaire. QUEU-WAH ? Qu'est ce que c'est que ces jurés qui, alors même que les débats ne sont pas clos, consultent des pièces du dossier et d'autres remises par une partie hors du prétoire et hors la présence des avocats ? Et l'oralité des débats ? Surtout que l'album des photos d'enfance n'apporte RIEN au débat sur les faits. Il montre que la victime a été un enfant, et laisse suggérer que c'est cet enfant qu'on a assassiné. J'espère qu'il me manque un élément pour tout comprendre. M. le greffier d'assises ? Vos lumières ?

(18:03) : Grosse erreur du commentateur. Si les familles vont être entendues, c'est que les débats ne sont pas clos. C'est la partie sur les faits qui est terminée, on est passé à la personnalité de la victime, qui fait partie des débats. C'est un moment qui relève plus du sacré que du processus judiciaire. Tuer un salaud est aussi illégal que tuer un saint. Mais en effet, c'est toujours un très mauvais moment pour la défense : outre que toutes les victimes ont tendance à devenir des saints à cette occasion, les jurés réalisent toute la douleur qu'entraîne cette perte. Une vie détruite, une vie qui avait un sens, une histoire, et encore un avenir ; mais aussi la douleur inconsolable de la famille, réveillée au cœur de la nuit par un coup de fil qu'elles n'oublieront jamais. Cela crée forcément une empathie avec les jurés, qui n'est jamais un gage de clémence.

(18:35) : En principe, les témoins et parties ne doivent pas s'adresser directement la parole (le risque de dérapage est trop grand). Tout le monde est censé s'adresser au président. Même en répondant à une question d'un avocat ou de l'avocat général, on doit répondre au président. C'est un mécanisme qui désamorce les réactions agressives (on ne va pas injurier ce pauvre président qui n'a pas posé la question, après tout).

(18:40) : Voilà une autre forme de dérapage. Le sacrifice. L'accusé est accablé par sa culpabilité. Il est sonné, il est à terre, il est K.O. Il est impuissant. Il a reconnu les faits. Il est incapable d'expliquer son geste, il n'a pas les capacités d'analyse, tout simplement les mots pour ça, et ce n'est pas en prison qu'il aura pu bénéficier de l'aide que cela nécessite. Alors, il baisse la tête, terrassé par la honte et l'embarras, par l'incapacité à pouvoir trouver les mots pour répondre. Il est livré en sacrifice à la famille, qui peut lui cracher son mépris à la figure. Cela n'apporte rien à la recherche de la vérité. Cela apporte juste un substrat de vengeance à la famille. Au prix de la dignité des débats et de la justice qui laisse faire. C'est typique du phénomène actuel du tout victimaire. On leur passe tout espérant en vain les satisfaire, car la seule chose qui pourrait le faire, c'est rendre la vie à un mort, et ça, la justice ne sait pas faire. Croyez-vous que cette jeune fille va sortir apaisée du prétoire ? J'en doute. Et alors ce navrant spectacle aura été vain.

Finalement, je pense que l'erreur du commentateur est très révélatrice : le journaliste lui-même ne peut associer cet étrange spectacle aux débats qu'il a suivis jusqu'à présent. Il interprète ce qu'il ne connaît pas et y voit un passage obligé du procès : avant les plaidoiries, on laisse les victimes se défouler.

À la question qu'aurais-je fait, je répondrai que j'aurais demandé au président de prier les parties civiles de ne pas s'adresser à l'accusé mais à la cour, comme il est d'usage.

(19:30) : La justice reprend ses droits. Voici les plaidoiries. Elles ont lieu dans l'ordre suivant : partie civile (victime ou famille de la victime si elle est décédée), ministère public, défense. Un droit de réplique existe, mais est rarement utilisé. La défense doit dans tous les cas avoir la parole en dernier. En avant dernier, puisque c'est l'accusé qui se voit offrir la possibilité de s'exprimer juste avant la clôture des débats. Moment redouté par la défense, j'y reviendrai le moment venu.

(19:37) : Mon excellent[1] confrère Yves Sauvayre à l'œuvre.

(20:00) : Ouch. Excellente et terrible image que celle de l'abattoir. C'est le genre d'image qui fait mouche — Si j'ose dire.

(20:12) : Ou les avocats se sont entendus pour qu'un seul plaide (douteux, surtout si la télé est là), ou on nous a zappé le reste de la défense. C'est dommage. Je cite donc le reste du casting de la partie civile : mon excellent (quoique etc.) confrère François Saint-Pierre, et mon tout aussi excellent (et tout aussi etc.) confrère Gaël Candela. EDIT : le quatrième larron est mon cher (car parisien) confrère Patrick Klugman, avocat entre autres de SOS Racisme.

(20:24) : Effectivement, le procureur général Jean-Olivier Viout est un habitué des assises. Un vrai orateur, comme il y en a peu du côté du parquet. Cela lui permet de faire passer avec conviction des messages absurdes. Un meurtre simple serait pire qu'un meurtre aggravé par mobile raciste ? Donc, si le mobile raciste avait été reconnu par l'acusé, vos réquisitions eussent été plus modérées ? Allons, monsieur le procureur général… Pourrais-je me permettre d'ajouter que le mépris de la vie de l'autre est un élément relativement fréquent dans les affaires d'homicide volontaire ?

(21:08) : Présenter des réquisitions très sévères (25 années sur 30 maximum) comme un minimum à la sagesse, c'est habile. Et redoutable avec un tel parquetier. Je salue le talent.

(21:35) : Intéressantes considérations sur la fixation de la peine par un parquetier. C'est un des aspects les plus difficiles de la fonction, que la plupart des avocats esquivent lâchement en se contentant d'en appeler “à la clémence” de la juridiction, ce qui ne veut pas dire grand'chose et n'aide guère le juge. C'est l'expression de la liberté du parquetier à l'audience, qui doit être totale. Ce qui pour moi exclut que je reproche à un parquetier le contenu de ses réquisitions, sur ce point du moins (qu'il présente une interprétation erronée des faits ou de la loi, et c'est autre chose).

(21:36) : ALLEZ LA DÉFENSE ! ALLEZ LA DÉFENSE ! Quoi, je suis de parti pris ? (À la manœuvre et dans l'ordre d'apparition à l'écran : mes excellents (oui, quoique vous savez quoi) confrères Hervé Banbanaste et Frédéric Lalliard).

(21:59) : Les jurés votent d'abord sur la culpabilité sous forme de questions. Quand il y a des circonstances aggravantes, elle font l'objet de questions spéciales. Il peut aussi y avoir des questions subsidiaires, qui deviennent sans objet si on a répondu oui à une question précédente. Par exemple, si l'intention homicide était contestée (ce qui n'est pas le cas ici) :

1° Monsieur Jean-Marie Garcia est-il coupable d'avoir volontairement ôté la vie à Chaïb Zehaf ?

2° Subsidiairement, monsieur Garcia est-il coupable d'avoir exercé sur Chaïb Zehaf des violences volontaires ayant entraîné la mort sans l'intention de la donner ?

3° Ces faits ont-ils été commis en raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ?

Si la cour et le jury répondent oui (par huit voix au moins) à la première question, la seconde est sans objet. Si la cour et le jury répondent (par cinq voix au moins) non aux questions 1 et 2, la 3 est sans objet et c'est l'acquittement.

Ici, la défense se bat sur le terrain de la circonstance aggravante de racisme. Mais il me semble que le parquet ne la soutient pas, et que BHL a beaucoup fait pour l'écarter. Mais le parquet a fait comprendre à la cour et au jury qu'ils peuvent aller très haut dans la sévérité sans s'embarrasser de la question douteuse du racisme…

(22:08) : Invoquer l'alcoolisme n'est pas un super argument de défense, même pour écarter une circonstance aggravante. Cela révèle une dangerosité tenant à un état où la volonté de l'accusé joue un rôle : il sait qu'il est dangereux quand il a bu, et boit quand même, en étant armé. Ça ne va pas plaire aux jurés qui fréquentent des débits de boisson…

(22:16) : Là encore, il manque un bout. Le président a lu la liste des questions auxquelles la cour et le jury vont répondre (qui à l'époque où il n'y avait pas d'appel a donné lieu à un très abondant contentieux). Puis il a lu l'adresse aux jurés, un magnifique texte, superbement écrit à l'époque napoléonienne. Ce texte est également affiché dans la salle des délibérations.

La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs :“ Avez-vous une intime conviction ?”.

Ensuite, le président fait retirer l'accusé (qui, même libre, ne peut plus quitter les lieux) et invite le chef du service d'ordre à faire garder les issues de la chambre des délibérations, dans laquelle nul ne pourra pénétrer, pour quelque cause que ce soit, sans autorisation du président.

Il conclut par ces mots : « L'audience est suspendue ».

Commence alors une longue et terrible attente.

Et ici commence aussi la vôtre, jusqu'à demain pour la suite et la fin.

Notes

[1] Quoique provincial.

Défense de rupture

Par Gascogne


Ainsi donc, Yvan Colonna a décidé, en accord avec ses avocats, je n'en doute pas une seule seconde, de ne plus comparaître à son procès et de "renvoyer" ses défenseurs, sans doute à mieux se pourvoir. Le président d'audience, en application de l'article 317 du CPP, a commis d'office ces mêmes avocats, comme l'y autorise la jurisprudence de la Cour de Cassation[1], et ceux-ci ont bien entendu refusé de faire droit à cette réquisition, les rendant théoriquement passibles de poursuites disciplinaires, le constat d'huissier établi semblant d'ailleurs avoir cette utilité...

Le motif en est que la Cour a eu l'outrecuidance de refuser à l'accusé une mesure d'instruction complémentaire, à savoir la reconstitution des faits qui lui sont reprochés (si tant est que l'on puisse reconstituer des faits avec quelqu'un qui ne les reconnaît pas...).

Ce caprice était d'autant plus prévisible que c'est une défense de rupture qui a été choisie par Yvan Colonna dés le premier jour du procès, mélangeant aggressions et insultes, notamment envers le président d'audience, qui ne peut réagir sous peine de s'entendre encore plus accusé de partialité. Et ce dans le plus grand silence de la place Vendôme, qui ne souhaite pas intervenir avant la fin du procès "pour ne pas que cette intervention se retourne contre le corps judiciaire" (je vous assure que je n'invente rien).

Il est d'autant moins excusable que dans une société démocratique, et je n'ai aucun doute sur le fait que la notre en soit encore une, le refus d'une décision judiciaire se conteste par les voies de recours, et par elles seules.

En l'occurrence, il est tout de même étonnant de jouer les vierges effarouchées alors que, outre le fait que sa fuite n'a pas facilité l'instruction préparatoire du dossier, au sein de laquelle les mesures de reconstitution prennent généralement toute leur place, l'accusé avait lui même refusé de participer à cette mesure d'instruction prononcée lors de son premier procès, ce qui avait contraint la Cour d'Assises de l'époque à se transporter en Corse, à grands frais sans bénéficier de la participation du client des demandeurs...

Autres temps, autres moeurs, me direz vous, et vous aurez bien raison. A ceci près que les éléments nouveaux manquent quelque peu pour expliquer le changement d'avis de l'accusé. Les molles dénégations des condamnés définitifs, qui ne risquent dés lors plus rien à changer leurs versions, ne peuvent être mises en avant, puisque ces revirements ont déjà eu lieu en première instance. De plus, la demande de reconstitution avait déjà été présentée une semaine auparavant, et rejetée par la Cour. Il ne s'agit donc que d'un prétexte de plus pour se faire passer pour le martyr qu'il me semble très loin d'être.

La défense répliquera sans doute qu'elle n'a pas le choix face à la partialité du président d'audience. Ce serait un pieux mensonge. Les procédures de récusation existent. Les donner actes aussi. Et s'il s'avérait que la partialité d'un juge n'est pas le fruit de la seule imagination de l'accusé, la Cour de Cassation en tirerait toutes les conséquences.

Lorsque l'on n'a que peu à dire sur le fond, on attaque la forme. Lorsque la forme est difficile à combattre, on donne dans la rupture et le procès médiatique. Lorsque l'on fait en sorte, en toute connaissance de cause, qu'un procès ne puisse se dérouler dans la sérénité, c'est que l'on rejette les règles de fonctionnement d'une justice démocratique. Peut-être est-ce finalement cela le but ultime des quelques nationalistes exacerbés qui applaudissent dans la salle, voire qui hurlent sur les bancs de la défense, peu important le sort final de l'accusé qui ne sera qu'un pion dans un débat politique.

Et quand je pense que cela donne à nouveau des idées de réformes au plus haut lieu, vous comprendrez le regard désabusé que je porte sur ce procès qui n'a pourtant rien d'extraordinaire, si ce n'était qu'il s'agit tout de même de la mort d'un homme dont on parle finalement bien peu...

Notes

[1] Crim. 19/02/86, 23/11/94

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