Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 31 août 2009

lundi 31 août 2009

Oui, on peut tuer ses parents et toucher l'héritage

La presse (Le Midi Libre du moins) se fait l’écho d’une affaire assez extraordinaire qui se déroule actuellement dans le Gard, avec un formidable conflit entre le droit et la morale, cette dernière, comme d’habitude, allant sortir vaincue. 

Le résumé a de quoi faire bondir : un homme qui a tué ses deux parents, dans des conditions assez horribles qui plus est, a saisi la justice contre son frère pour demander sa part d’héritage, et il l’a obtenue (devant le tribunal de grande instance : l’affaire est en appel, mais je doute que la cour juge autrement, vous allez voir pourquoi). Cet héritage va d’ailleurs lui servir en partie à payer les dommages-intérêts qu’il doit à son frère pour avoir tué… ses parents. 

Et oui, c’est tout à fait légal. 

Comme, pour des raisons que j’ignore, les sites de presse en ligne (et Le Post, que je me refuse à mettre dans cette catégorie) adorent visiblement avoir des dizaines de commentaires de gens indignés, les explications juridiques font défaut dans l’article. Comme j’aime le Midi et que j’aime être libre, j’aime le Midi Libre et vais donc voler au secours de ses lecteurs égarés, en édifiant les miens au passage. 

La question ici n’est pas de droit pénal mais de droit des successions. Le droit des successions prévoit comment le patrimoine d’un mort passe à celui d’un vivant, et détermine qui est ce vivant. Cette opération juridique est instantanée et automatique, au moment du décès. En ancien droit, on disait le mort saisit le vif. Vous voyez que Resident Evil n’a rien inventé que les juristes ne connaissaient déjà. 

Le droit des successions, cauchemar des étudiants de M1, définit des ordres de successeurs, sachant que dès qu’un ordre est représenté, c’est à dire qu’une personne y figure, les ordres suivants sont exclus de la succession. Les représentants d’un même ordre sont en revanche traités sur un pied d’égalité. Ces ordres sont fixés à l’article 734 du Code civil : il s’agit

1° des enfants et de leurs descendants ;
2° des père et mère ; les frères et soeurs et les descendants de ces derniers ;
3° Les ascendants autres que les père et mère ;
4° Les collatéraux autres que les frères et soeurs et les descendants de ces derniers. 

Notons que le 2e ordre est une révolution pour les juristes, puisque depuis Napoléon, les ascendants constituaient un ordre supplantant les collatéraux. Ou en français moderne, les frères et soeurs ne touchaient rien si un des parents ou grand-parents au moins était encore en vie. La grande réforme des successions de 2001 a créé cet ordre mélangeant les père et mère (et eux seuls) et les frères et soeurs. 

Dans notre affaire, les deux parents décédés laissaient deux fils : le premier ordre étant représenté, les suivants sont donc exclus. Les deux frères sont en principe traités sur un pied dégalité. Le Code civil a mis fin définitivement au droit d’aînesse, qui donnait la succession au mâle premier né, excluant les soeurs et les frères puînés, qui cherchaient leur salut dans les Ordres religieux ou dans le métier militaire (les fameux régiments de cadets), le second permettant d’arriver au paradis plus vite mais moins sûrement que le premier. Les parents pouvaient altérer quelque peu cette égalité par testament, mais certainement pas déshériter (on dit plutôt exhéréder) un de leurs fils. 

Dans notre affaire, aucun testament n’a porté atteinte à ce principe d’égalité. Donc, au décès de leurs parents, les deux frères avaient vocation à receillir chacun pour moitié la succession de leurs parents. 

Néanmoins un problème se pose ici. Un des héritiers n’est autre que celui qui est la cause de la succession. Le code civil prévoit cette hypothèse par la règle de l’indignité successorale. 

L’article 726 du Code civil dispose en effet que : 

Sont indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

Vous voyez que le Code civil pose des conditions strictes. Il doit y avoir condamnation d’une part, et d’autre part elle doit être criminelle, c’est à dire prononcée par une cour d’assises ET dépasser les dix ans de prison (sinon, c’est une peine correctionnelle). Donc seuls deux crimes entraînent automatiquement l’indignité successorale : le meurtre (et l’assassinat, auxquels la jurisprudence ajoute l’empoisonnement), et les violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, à condition que la peine soit d’au moins onze ans de réclusion criminelle. 

À ces hypothèses s’ajoutent des indignités facultatives, qui sont prononcés par le juge, à la demande d’un des cohéritiers (ou du ministère public si l’indigne est seul héritier), sachant que le juge peut, au regard des faits, refuser l’indignité (mais pas la prononcer partiellement). 

Ces hypothèses figurent à l’article 727 du Code civil : 

Peuvent être déclarés indignes de succéder :
1° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
2° Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle pour avoir volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner ;
3° Celui qui est condamné pour témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle ;
4° Celui qui est condamné pour s’être volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers ;
5° Celui qui est condamné pour dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
Peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. 

Les deux premiers cas sont la suite logique de l’indignité obligatoire : si la peine est correctionnelle, il faut que le juge y passe. 

Pourquoi me demanderez-vous, chers lecteurs qui ne commentez pas sur les sites de journaux (Dieu vous bénisse) et faites précéder vos opinions de questions pertinentes ? Simplement parce que quand un parricide est condamné à une peine relativement légère, c’est qu’il y a une raison. Et que cette raison peut conduire à écarter l’indignité. Et que le législateur a décidé (c’était sous le Consulat, en des temps plus humanistes qu’aujourd’hui, et ça me poigne de l’écrire) que dans ce cas, le juge devait vérifier les faits. 

Je me souviens d’une affaire d’assises où un fils, mineur âgé de 17 ans, battu et violé par un père alcoolique a tué d’un coup de fusil son père le jour où il s’est rendu compte que ses visites nocturnes allaient désormais dans la chambre de son petit frère de 11 ans. Mérite-t-il d’être indigne ? Non, a dit la cour, qui a prononcé une peine de 5 ans, la partie ferme couvrant la détention provisoire : il a été libéré le soir même. 

Les autres cas d’indignité facultatives concernent des atteintes graves à l’honneur du défunt, qui sont hors sujet ici. 

Revenons-en à notre affaire. Tout se joue sur un détail essentiel hélas absent du titre de l’article : le fils, appelons le Anastase, qui a tué ses parents était dément au moment des faits. Il était atteint de schizophrénie et a eu une bouffée délirante. Des experts psychiatres ont tous estimé qu’il a effectivement agi lors d’une telle bouffée et que dès lors, son discernement était aboli. Cela est confirmé par un détail significatif : les meurtres commis par un dément lors d’une telle bouffée sont d’une violence et d’une horreur extrême. Un malade mental qui décompense n’a plus la moindre inhibition, il est incapable de compassion, et peut faire montre d’un acharnement effrayant. Et c’est le cas ici, ce qui ne facilite pas la compréhension. 

En conséquence, après une courte détention provisoire, le fils en question a été hospitalisé en hôpital psychiatrique, où il est encore. Anastase a bénéficié d’un non lieu pour irresponsbilité pénale, mais, sur demande de son frère, appelons-le Balthazar, il a été condamné au civil (les déments sont civilement responsables : article 414-3 du Code civil) à lui payer 40 000 euros de dommages-intérêts. 

Vous avez deviné : non lieu, donc pas de condamnation pour meurtre, fût-elle correctionnelle. Anastase ne peut en aucun cas être considéré comme indigne. Il a donc droit à la moitié de la succession. C’est la loi. Et il l’a donc demandée. 

Mais une autre question jaillit : comment peut-on être fou au point d’être irresponsable d’un meurtre mais pouvoir agir en réclamation d’une succession ? N’est-ce pas contradictoire ? La réponse est simple. Un fou n’est pas irresponsable. Il est irresponsable pénalement. Il ne relève pas de la sanction pénale, qui a pour objet de punir, de dissuader et de réinsérer. 

Le punir n’a aucun sens : il n’était pas lui même quand il a agi. Cela reviendrait à punir un innocent. Dissuader est ici absurde : on ne dissuade pas une bouffée délirante. Enfin, résinsérer… Par pudeur, je passerai sur la qualité des soins susceptibles d’être donnés en prison. Disons pour faire un élégant euphémisme que la prison n’est pas l’endroit idéal pour soigner une maladie mentale.

Mais il reste responsable civilement. Et si on l’a jugé responsable à hauteur de 40 000 euros à l’égard de son frère, encore faut-il luigarantir le plein accès à son patrimoine afin de payer ses dettes. Balthazar est particulièrement malvenu à faire un procès en dommages-intérêts à Anastase puis à lui dénier par la suite une action visant à lui permettre de payer ce qu’il lui doit. Ce même si de fait, il avait recueilli (illégalement) l’intégralité de l’héritage et que du coup, il va devoir donner à son frère ce que son frère lui doit. 

J’ajoute qu’un schizophrène n’est pas en bouffée délirante continuelle. Beaucoup de schizophrènes mènent une vie à peu près normale, pour peu qu’ils aient un traitement adéquat qvec le suivi nécessaire. Le juge des tutelle d’Uzès a d’ailleurs refusé le placement sous tutelle d’Anastase. Et eût-il été placé sous une telle mesure que son représentant légal aurait pu lui même faire valoir les droits de son pupille. 

Je n’accuse pas Balthazar d’être malhonnête. Il s’est fourvoyé en se laissant guider par son bon sens et sa morale sur les terres du droit, qui n’est pas un châtelain très tolérant. J’en veux pour preuve la solution qu’il propose : le fils ayant dépêché ses parents ayant deux enfants, il est d’accord pour que ceux-ci reçoivent la succession, mais il se refuse à l’idée que ce soit son frère. Et là, il joue de malchance. La loi en vigueur aujourd’hui propose une solution : celui qui renonce à une succession n’en exclut plus ses descendants. Elle passe à la géneration suivante sans jamais être entrée dans son patrimoine. Mais la succession des malheureux parents s’est ouverte en 2000. À l’époque, renoncer à une succession excluait les descendants du renonçant. Ce jusqu’au 1er janvier 2007. Et comme je vous l’ai dit au début, une succession est instantanée. Le patrimoine quitte le mort avec son dernier soupir et entre aussitôt dans celui des héritiers avant même qu’ils n’apprennent la nouvelle. Donc, si son frère renonçait à la succession, il excluerait ses neveux, ce qu’il ne souhaite pas. Terrible impasse juridique. Une solution possible serait qu’Anastase fît immédiatement une donation à ses enfants, contre renonciation de Balthazar à demander ses 40 000 euros. 

Las, je redoute que la situation ne vire ici au tragi-comique. Il y a gros à parier que Balthazar, face à l’insolvabilité supposée de son frère hospitalisé pour une durée indéterminée, ne se soit fait payer ces 40 000 euros par le Fonds de Garantie des Victimes d’Infraction, qui est tenu d’indemmniser les actes commis même par des irresponsable pénaux (article 706-3 du CPP qui dit que les faits doivent avoir le caractère matériel d’une infraction). Aujourd’hui, c’est le Fonds qui doit probablement demander à Anastase de rembourser cette somme, par son action dite récursoire. Anastase n’ayant pas de fortune, il a donc demandé à toucher son héritage pour payer cette dette. Et il doit demander sa part… à son frère Balthazar, qui était son créancier et est devenu son débiteur. Corneille, réveille-toi, tu as un autre chef-d’oeuvre à écrire. 

Je ne vois donc pas comment la cour d’appel de Nîmes pourrait juger différemment que le tribunal de grande instance et faire autrement que droit à l’action d’Anastase. 

Cela dit, je confesse ne pas connaître tous les tenants et aboutissants du dossier, et sur le plan du droit, alors que je n’imaginais pas un renversement du jugement de la mariée non vierge de Lille, la cour d’appel de Douai m’a donné une leçon, non pas de droit mais de realpolitik

Si après ça, il y en a encore qui doutent que droit et morale soient distincts, je ne peux plus rien faire pour vous.

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« août 2009 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
12
3456789
10111213141516
17181920212223
24252627282930
31

Contact