Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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General

Parce qu'il y a des billets qui restent généraux.

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jeudi 6 mars 2008

6 choses

Bon. Je hais les chain mails, j'exècre les billets sur le mode du "machin m'a tagué, je repasse à bidule", mais là, je suis fait. Ceteris Paribus m'a tagué en premier, Versac remet ça. Comme dit Jules, une fois, la pudeur dicte de retenir sa plume. Deux fois, cela devient du snobisme.

Je ne puis décevoir un futur premier ministre et un futur président de la République sans compromettre mon futur poste de Garde des Sceaux.

Donc pour la SEULE ET UNIQUE fois de l'histoire de ce blog, voici donc un billet de commande : 6 choses sans intérêt sur moi.

1- Je n'aime pas le chocolat. Pas du tout. Ce n'est pas une allergie, je déteste ça, et je détecte la moindre molécule dans ce que je mange (même un vermicelle en chocolat dans de la chantilly). Je dois faire un blocage à la théobromine (ce qui expliquerait la constance de mon humeur de chien en commentaires).

2- J'ai déjà fait du vélo dans le palais de justice de Paris.

3- J'ai passé ma maîtrise de droit en même temps que j'ai fait mon service militaire. J'ai fini le second aviateur 1e classe et la première avec mention.

4- Je ne supporte pas l'inaction forcée. Je panique à l'idée de prendre le train ou l'avion sans avoir rien à lire ou ne pas pouvoir écrire. Pendant mes classes, j'avais toujours le Code de procédure pénale dans la poche de mon treillis. Je l'ai même potassé dans un abri anti-atomique, en tenue NBC[1], masque à gaz sur la tête.

5- J'ai horreur de faire la queue. Il n'y qu'une chose dont j'ai encore plus horreur : ceux qui doublent dans les queues. Généralement, une file d'attente suffit à me faire rebrousser chemin. Illustration : je voulais m'inscrire en histoire à la fac (pour faire du journalisme). Mais il y avait une file d'attente démesurée. Alors qu'il n'y avait pas la queue pour s'inscrire en droit.

6- Je sais tirer la Guinness dans les règles de l'art, y compris dessiner un trèfle dans la mousse.

Et je refile le tag, comme on dit en français à Dadouche, Gascogne, Fantômette, Lulu, Parquetier, Ed, Lincoln, X. le conseiller de TA s'il me lit encore, Zythom, Augustissime, et Clems, ci-dessous en commentaire, et à tous ceux qui le veulent tiens, pour faire connaissance. Un peu de frivolité n'a jamais fait de mal (N'oubliez pas : des choses qu'on ne connaît pas de vous et qui n'ont aucun intérêt).

Et que ce soit clair : ce n'est plus jamais la peine de me refiler ce genre de chaînes. Je n'y répondrai plus jamais.

Notes

[1] Nucléaire-Bactériologique-Chimique

mercredi 27 février 2008

Un coup porté à la liberté d'expression sur internet

Le coup est d'autant plus rude qu'il viendrait d'un confrère, Sylvie Noachovitch. Vous la connaissez peut-être si vous êtes insomniaques le vendredi soir : c'est une des avocates qui officie sur le plateau de l'émission de Julien Courbet ou des gens se font crier dessus au téléphone pendant qu'une vieille dame pleure en gros plan.Photo de SYlvie Noachovitch affichant son plus beau sourire

Cette consœur, outre sa carrière d'avocate et d'animatrice télé souhaite embrasser une carrière politique. Candidate malheureuse aux élections générales contre Dominique Strauss Khan dans la 8e circonscription du Val d'Oise (Cantons de Garges-lès-Gonesse Est, Garges-lès-Gonesse Ouest, Sarcelles Nord-Est, Villiers-le-Bel) en juin 2007 et à nouveau lors des élections partielles de décembre 2007 face à François Pupponi, à la suite de la démission du député élu, nommé à la présidence du FMI, elle brigue à présent la mairie de Villiers-le-Bel.

Et à l'occasion de la campagne qui s'annonce, elle semble avoir décidé de faire un grand ménage sur internet, pour ôter des billets qui ne lui étaient pas favorables. C'est ainsi que deux blogueurs au moins, Luc Mandret et Florian du blog RagZag, ont reçu un courrier électronique de mise en demeure d'avoir à retirer deux billets remontant à juin 2007 et faisant état de propos qualifiés de racistes qui auraient été tenus par ma consœur lors de la réunion d'un jury littéraire auquel elle participait.

Ce courrier, dont j'ai pu me procurer une copie, semble émaner de Sylvie Noachovitch en personne (je dis bien semble, il n'est pas revêtu d'une signature numérique). En tout cas l'auteur affirme être cette personne, et l'intéressée a confirmé sur Lepost.fr être à l'origine de ces démarches. Mais le fait que Lepost.fr publie cette information tend à me faire douter de sa véracité. Et son contenu ne fait qu'ajouter à mon trouble.

Ce courrier se veut une démonstration juridique, citation de jurisprudence à l'appui que :

la liberté d'expression n'est pas absolue, elle connaît des limites.

Je ne puis qu'acquiescer face à l'évidence.

Ces limites sont le nécessaire respect des droits et de la réputation d'autrui.

Là, je me racle la gorge. Pas plus que la liberté d'expression, le respect des droits et de la réputation d'autrui ne sont absolus. La loi doit arbitrer entre ces deux valeurs quand elles entrent en conflit.

Sur le plan civil, il est possible d'obtenir la cessation du trouble illicite dit l'auteur de ce courrier; et d'invoquer l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, en citant uniquement le 3e paragraphe. Je me permets de citer le texte dans son intégralité, il a, comment dirais-je ? Plus de saveur :

1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

L'auteur ne semble avoir retenu que l'aspect limitation, sans avoir relevé que ces limitations sont elles même limitées : elles doivent être expressément prévues par la loi du pays signataire dudit Pacte.

Et voici que la même confusion est commise lors de la citation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le premier paragraphe est oublié, alors qu'il me semble assez pertinent en la matière :

Article 10 - Liberté d'expression 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

L'auteur du courrier en question n'a cru utile que de recopier cette partie :

2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Vous aurez remarqué que là aussi, cette limitation doit être prévue par la loi du pays signataire.

Après ce passionnant rappel des sources internationales du droit, nous devrions voir arriver enfin les références de droit interne qui démontrent à l'évidence que notre impétrante est dans son bon droit.

La première est l'article 9 du Code civil.

Chacun a droit au respect de sa vie privée.

Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.

Suit une abondante jurisprudence sur cet article 9. Mais hélas, encore un oubli : l'expéditeur a oublié de préciser en quoi la vie privée de Sylvie Noachovitch était en cause ici, s'agissant de propos qui ont été tenus lors de la réunion d'un jury littéraire, portant sur la proportion de noirs et d'arabes dans la circonscription où elle était alors officiellement candidate, au peu d'appétence à la sensualité que ceux-ci provoquait chez elle, et à la sérénité que devait selon elle en tirer son mari quant à un éventuel adultère. Certes, sa fidélité d'airain à son légitime époux relève indiscutablement de la vie privée, mais en l'espèce, c'est Sylvie Noachovitch qui avait abordé le sujet, et sous forme d'une boutade ; en outre ce n'est pas ce point qui avait retenu l'attention des blogueurs mais plutôt les conclusions éventuelles à tirer de cette faible appétence revendiquée.

Je passe de la même façon sur le paragraphe sur la caricature, qui est juridiquement exact mais hors sujet, puisqu'il n'y avait aucun caricature dans le billet objet des foudres de ma consœur.

La deuxième référence est pénale, et me voici sur mes terres (et sur celles de ma consœur, puisqu'elle invoque le droit de la presse dans ses activités dominantes) : ma consœur ou celui qui prétend l'être invoque le délit de diffamation publique.

Il rappelle dans un premier temps la définition du délit :

Article 29 Al. 1er de la loi du 29 juillet 1881 : "Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés".

L'auteur ajoute ensuite que l’article 35 bis du même texte fait peser sur l’auteur de la diffamation une présomption de mauvaise foi, ce qui est exact. « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

Et il en déduit : « Autrement dit, il incombe au prévenu d’invoquer sa bonne foi en apportant la preuve de la vérité des faits diffamatoires ».

Patatras. Une vilaine confusion entre l'exception de bonne foi et l'exception de vérité. Ce qui est d'autant plus dommage qu'elle est de nature à induire en erreur le destinataire de ce courrier quand manifestement le but de l'expéditeur était de l'informer de bonne foi. Car ce sont deux choses différentes.

L'exception de vérité (article 35) consiste à apporter la preuve des faits diffamatoires, selon une procédure rigoureuse prévue à l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881, tandis que l'exception de bonne foi (article 35bis) permet au diffamateur d'échapper aux poursuites en apportant la preuve qu’il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait (c'est la formule employée par la jurisprudence, mes lecteurs s'en souviendront grâce à l'affaire Monputeaux commentée en ces pages en leur temps, dans lequel le tribunal a bien distingué l'offre de preuve, écartée, et l'exception de bonne foi, accueillie).

D'où mon doute de plus en plus grand sur la maternité de ma consœur de ce courrier : une avocate qui intervient habituellement en droit de la presse ne pourrait faire cette confusion, et encore moins ne voudrait-elle donner sciemment des informations erronées pouvant induire en erreur son interlocuteur, fût-il un adversaire potentiel : notre déontologie s'y oppose.

Surtout que les choses ne s'améliorent pas quand on lit juste en dessous : En cas de diffamation publique, l’auteur peut être condamné à 1 an de prison et/ou 45 000 euros d’amende. Ma consœur, elle, n'aurait pu ignorer que la loi du 15 juin 2000 a supprimé les peines d'emprisonnement pour la diffamation (article 90, III).

Ma confusion est à son comble quand l'auteur conclut en affirmant que la phrase « cette dame Noachovitch est une jeanne-foutresse » constituerait le délit de diffamation publique. Il n'aurait pas échappé à une avocate connaissant le droit pénal de la presse qu'une telle affirmation est une injure et non une diffamation, faute d'imputation d'un fait précis.

Enfin et surtout, l'auteur ignore l'article 65 de la loi, qui prévoit que les délits de presse comme la diffamation ou l'injure se prescrivent par trois mois ; or s'agissant de billets remontant aux élections générales de juin 2007, le délit était prescrit depuis belle lurette, et les poursuites en justice, au civil comme au pénal, se serait immanquablement heurté à une fin de non recevoir d'ordre public.

Bref, il n'y a pas d'atteinte à la vie privée, et les propos diffamatoires et injurieux que l'auteur pensait avoir relevé étaient en tout état de cause atteints de prescription.

Las, le charabia du courrier a impressionné ces deux blogueurs peu férus de droit et ils ont préféré mettre hors ligne les billets mis en cause.

Pour l'atteinte à la liberté d'expression, c'est trop tard. Mais j'invite ma consœur à se préoccuper du tort considérable à sa réputation que peut lui faire la personne qui manifestement se fait passer pour elle en envoyant des courriers électroniques signés de son nom qui sont aussi erronés en droit que malhonnêtes intellectuellement.

Après tout, je ne pense pas que les électeurs de Villiers-le-Bel pourraient accorder leur confiance à une candidate s'ils croyaient qu'elle pourrait user de telles méthodes.


PS : Merci de garder un ton aussi respectueux que le mien en commentaires.

mardi 1 janvier 2008

Maitre Eolas vous cause dans le poste

Demain 2 janvier, sur France Inter, dans l'émission Service Public à 10 heures, j'aurai le plaisir d'être invité aux côtés d'une consoeur pour un émission sur le thème du divorce, histoire de commencer l'année sur une tonalité optimiste. On parlera -un peu- du projet de réforme, du déroulement de la procédure, du problème des honoraires et de tout ce que les auditeurs et les animateurs trouveront opportun.

Quelqu'un veut un autographe d'Olivia Gesbert ?

Site de l'émission.

lundi 31 décembre 2007

A tous mes lecteurs

Dernier billet de l'année 2007 pour vous souhaiter, qui que vous soyez, où que vous soyez, un excellent réveillon, et une bonne et heureuse année 2008 : puissiez-vous ne pas avoir besoin de mes services, ou les trouver dans le cas contraire.

Une pensée pour tous ceux qui ce soir veilleront sur notre fête pour qu'elle soit paisible : les policiers et gendarmes qui sont de service en tout premier lieu, car ils sont au front.

Les procureurs de permanence qui vont passer leur réveillon à répondre au téléphone pour aiguiller les clients des premiers vers les diverses procédures adéquates.

Mes confrères de permanence-garde à vue, qui iront sillonner les cellules des commissariats qui se remplissent dès les premières heures de l'année de gens à qui il faut expliquer que si, trois coupes de champagne et quatre verres de vin, même quand on mange en même temps, ça dépasse le seuil légal. Et ceux qui vont les récupérer en comparution immédiate ou en CRPC demain ou après demain.

Les médecins des urgences qui vont récupérer ceux qui vont se battre, ceux qui vont se faire battre, ceux qui vont se prendre un bouchon de champagne dans l'oeil, ceux qui auront rencontré ceux qui ont pris le volant parce que trois coupes de champagne et quatre verres de vin, etc.

Les pompiers, qui vont éteindre les voitures, ramasser les comas éthyliques, et voler au secours de ceux qui en ont besoin.

Eux ne seront pas à la fête.

Quant à vous, revenez chez vous en vie, je vous attends sur mon blog l'année prochaine.

dimanche 30 décembre 2007

Dans la hotte du Père Noël

Je voudrais vous signaler trois ouvrages qui constituent selon moi un must-have pour un avocat pénaliste. Les vieux routards connaîtront sans doute, surtout pour le premier d'entre eux, mais pour les petits jeunes, ils viennent tous les trois de sortir et sont à jour, profitez-en.

Ces ouvrages s'adressent aux praticiens professionnels. Pour les étudiants (sauf les auditeurs de justice et les élèves-avocats, qui ne sont plus tout à fait des étudiants), tournez les talons et allez lire les traités qui décortiquent la matière. Ici, on a affaire à des livres qui tiennent dans la poche et peuvent remplacer avantageusement un Code à l'audience.

Le premier intéressera indifféremment avocats et magistrats. Il trône sur le bureau de bien des procureurs à l'audience et des trois est le seul qui mérite l'épithète d'indispensable.Couverture du guide des infractions

C'est le Guide des Infractions de Jean-Christophe Crocq, qui est magistrat (Editions Dalloz, 9e édition, 46 euros[1]). La nouvelle édition a réussi l'exploit de contenir plus d'informations en réduisant de taille, grâce à l'emploi du papier "Bible" du même type de celui utilisé dans les Codes. La nouvelle édition passe au bi-chrome rouge et noir, ce qui ajoute à sa lisibilité.

C'est un mémento des infractions prévues par le droit français qui, s'il n'est pas exhaustif, tend à l'être, et regroupe en un seul volume les infractions des différents codes (code pénal, code de la route, code de la santé publique, code de commerce, etc.) et lois autonomes (loi de 1881 sur la presse...), en mentionnant les peines principales et complémentaires encourues par les personnes physiques et morales, les particularités procédurales (juge unique, régime de la presse), et si la tentative est punissable ou non. Les définitions sont données sous la forme devant figurer dans les citations en justice, et il y a même le numéro NATINF[2] pour les procureurs.

Et ce n'est pas tout. Le livre s'ouvre sur un très long chapitre sur les poursuites pénales, qui constitue un mémento très complet de la procédure pénale, depuis l'enquête de police au déroulement de l'audience, avec un chapitre sur le droit des victimes et comment former une demande en dommages-intérêts en cas de préjudice corporel lourd (avec la nomenclature Dintilhac expliquée) dont la lecture devrait être obligatoire dans les CRFPA. Il est extraordinairement complet et à jour des lois du 5 mars 2007.

Couverture du guide de la défense pénale Le second s'adresse plus spécifiquement aux avocats. Il s'agit du Guide de la défense pénale de mon confrère François Saint-Pierre, éminent pénaliste s'il en est (Editions Dalloz, 5e édition, 42 euros). C'est un mémento de l'avocat en charge de la défense. Une bonne prise en main nécessite une première lecture in extenso, tandis que les deux autres ouvrages sont faits pour être consultés ponctuellement pour trouver l'information que l'on cherche. Il présente les droits de la défense en six chapitres (le droit à un avocat, le droit de connaître l'accusation, le droit de contester l'accusation, le droit de contester la légalité de l'accusation, le droit de contester le jugement et le droit de contester le juge), sous forme de droits-actions, c'est à dire en présentant les enjeux pour l'avocat et précisant comment il peut agir pour faire valoir ces droits.

La procédure pénale est en effet comme une locomotive sur des rails. Seule la présence de l'avocat est nécessaire, pas son action (contrairement à la procédure civile, ou l'avocat est le machiniste), et un avocat passif comme une vache dans son champ ne gênera pas le déroulement de la procédure, au contraire : la locomotive roulera tranquillement vers la condamnation. L'avocat pénaliste doit être actif, pour faire dérailler la locomotive (c'est la nullité de la procédure, ou le non-lieu, la relaxe ou l'acquittement obtenus contre les réquisitions du ministère public) ou l'aiguiller vers une autre destination (c'est à dire une peine différente de celle requise par le parquet). J'arrête ici ma métaphore ferroviaire, mais ce qu'il faut en retenir est qu'un avocat avec des lacunes en droit pénal pourra se donner l'illusion d'être partie au procès alors qu'il n'en sera que spectateur. Et ce livre donne les outils pour être acteur. Chaque chapitre rappelle les textes applicables (code de procédure pénale, mais aussi ordonnance de 1945 sur les mineurs), cite quelques arrêts de référence, pose les règles de droit positif et en prime, pose les débats en jeu sur le thème du chapitre, l'auteur allant même jusqu'à glisser des suggestions de réforme dont la pertinence nourrit la réflexion.

Il se construit sur un rappel historique de la procédure pénale, qui montre avec une tragique acuité comment tous les progrès des droits de la défense ont été immanquablement rapportés par une loi postérieure, ou grandement neutralisés par la jurisprudence, les seuls progrès récents et durables étant dus à la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme. Ca fait du mal à lire, mais paradoxalement, c'est aussi très sain pour se rappeler à quoi sert un avocat de la défense. Quelques dérives dans la pratique par certains magistrats instructeurs (pas tous, loin de là, dieu merci !) sont dénoncées avec pertinence, et je vous encourage à lire le chapitre sur l'abus de droit que constitue la garde à vue de suspects dans le cadre d'une instruction (§112.7), et le paragraphe « Choses vues : exemples de faux en écritures judiciaires » (§434.7), dont je confirme la véracité, en ayant été témoin moi-même. Le ton n'est pas du tout polémique, et le respect de l'auteur pour les magistrats ne fait aucun doute, ce qui le rend tout particulièrement légitime à dénoncer certains comportements anormaux bien qu'hélas trop rentrés dans les mœurs (comme les enquêtes de personnalité ordonnée lors d'une instruction hors la présence de l'avocat sans qu'aucun texte ne l'autorise).

Couverture du guide des peinesEnfin, le troisième, lui, s'adresse plus aux magistrats, mais devrait intéresser aussi les avocats pénalistes. Il s'agit du Guide des peines, de Bruno Lavielle, Michaël Janas et Xavier Lameyre, tous trois magistrats (Editions Dalloz, 4e édition, 42 euros). Retour à un ouvrage technique, une compilation de fiches pour trouver rapidement tous les renseignements dont on a besoin. C'est un ouvrage pour les juges d'applications des peines, mais la matière s'étant considérablement judiciarisée depuis la loi Perben II, l'avocat a un rôle de plus en plus important à y jouer, et dieu sait qu'un dossier d'aménagement de peine bien monté par un avocat, qui saura réunir les éléments pertinents, en tout cas bien mieux que la famille désemparéed'un détenu contactée par le SPIP, et qui soutiendra sa demande et répliquant s'il le faut aux objections du ministère public lors du débat contradictoire devant le JAP, a de bien meilleures chances d'aboutir. Le livre décrit toutes les peines, y compris les peines complémentaires ou alternatives, avec leurs modalités pratiques d'exécution, et rappelle à quelles infractions elles s'appliquent (c'est donc le complément du Guide des infractions, qui fait la liste des peines prévues par infractions), et reprend tous les éléments utiles pour les mesures d'aménagement pouvant être prononcées. Un avocat n'ayant pas pour le moment de formation en droit de l'application des peines au cours de sa formation professionnelle, c'est à lui de se prendre en main. La matière doit être étudiée par un ouvrage technique complet (en l'occurrence, je ne connais pas mieux que le Droit de l'application des peines de Martine Herzog-Evans, Editions Dalloz, collection Dalloz Action, 78 euros [3]), mais une fois les bases acquises, le guide présente l'avantage d'être synthétique et complet, et d'être plus transportable. Là aussi, malgré son aspect technique, la réflexion d'ensemble n'est pas absente, et le blues du JAP que constitue le chapitre 04 (« Où s'arrêteront nos peines ? ») est d'une richesse que je recommande par sa réflexion sur la politique pénale récente.


Full Disclosure : Je me suis acheté ces trois ouvrages, comme je me suis acheté les éditions antérieures, dont je ne connais pas les auteurs personnellement. Je n'ai pas d'actions chez Amazon, et ne touche aucun revenu de par ces liens. L'un des auteurs de ces ouvrages a eu la gentillesse de me contacter pour m'offrir un exemplaire de son livre, ce dont je le remercie encore, mais j'avais prévu de vous parler de ces trois excellents livres depuis longtemps.

Notes

[1] Oui, je sais.

[2] Chaque infraction se voit attribuer un numéro de nomenclature afin de faciliter le traitement statistique. Le meurtre est le 5169, le viol est le 1115, le vol le 7151...

[3] Oui, je sais.

samedi 8 décembre 2007

Le sourire du week end

Rien à voir avec le droit, mais voici une vidéo qui fera rire les trente ans et plus (et tout particulièrement Zythom).

Voici un pastiche de la série 24 heures : et si 24 heures se passait en 1994 ? Ca vous rappellera de bons souvenirs... J'ai adoré.

jeudi 6 décembre 2007

Solidarité et émotion

Juste un mot, avant un silence respectueux, pour le Cabinet Gouet-Jenselme, victime d'un colis piégé aujourd'hui, qui a coûté la vie à une personne et blessé plusieurs autres. Je suis choqué, ému, et de tout cœur avec eux.

NB : Les commentaires seront fermés au premier débordement.

jeudi 4 octobre 2007

Vous avez du courrier

Philippe Bilger écrit à Rachida Dati et donne une leçon de diplomatie et de subtilité. Il maîtrise l'art de critiquer en paraissant flatter, qui n'est pas de la fourberie ou de l'hypocrisie, mais simplement une grande habileté doublée d'élégance, car rien ne porte plus qu'un reproche enrobé d'un compliment, tant que l'un et l'autre sont justes.

Quelques exemples ?

Comment exprimer sa désapprobation d'un projet du ministre :

Votre politique, celle qui est mise en oeuvre et celle que vous annoncez, puis-je vous dire que je l'approuve totalement. Je tiens pour rien mes réticences sur telle ou telle fusée intellectuelle lancée par le président de la République et dont la validité est, pour le moins, à vérifier. Par exemple, la comparution des personnes déclarées irresponsables devant les cours d'assises. Je ne crois pas que les familles de victimes seraient davantage consolées et je suis certain que l'Etat de droit y perdrait.

Sa réticence face à la volonté du ministre de nommer de préférence des femmes procureurs généraux :

Vous avez manifesté votre désir de nommer plus de femmes à des postes importants de responsabilité. Je n'y vois que des avantages si on ne tombe pas dans le travers qui a permis, parfois, l'hégémonie virile: reléguer la compétence au second plan. Peut-on vous suggérer d'adopter des méthodes moins brutales? Est-il ainsi indispensable, pour la bonne administration de la justice, de "virer" quelques mois avant sa retraite un procureur général respecté?

Sa désapprobation de la convocation d'un procureur par le Garde des Sceaux :

Peut-être êtes-vous en train de songer que ce magistrat sur lequel, par l'entremise de son procureur général, vous avez une autorité, exagère, qu'il dépasse les limites et que votre existence de garde des Sceaux ne le regarde en rien.

Voilà à mon sens comment on peut dire ce qu'on veut en respectant l'obligation de réserve.

Quand je vous dis que les avocats tremblent quand Philippe Bilger va requérir, vous comprenez maintenant pourquoi.

(Merci de réserver vos commentaires sur le fond de cette lettre au blog de son auteur).

mercredi 12 septembre 2007

Etat des lieux

Le quartier disciplinaire d'une prison, c'est "le mitard" dans le jargon des prisonniers.

Dans le jargon de l'administration et des juristes, c'est un confinement en cellule disciplinaire, défini comme

le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu'il doit occuper seul. La sanction emporte pendant toute sa durée la privation d'achats en cantine prévue à l'article D. 251 (3º) ainsi que la privation des visites et de toutes les activités sous réserve des dispositions de l'article D. 251-1-2 relatifs aux mineurs de plus de seize ans. Toutefois, les détenus placés en cellule disciplinaire font une promenade d'une heure par jour dans une cour individuelle. La sanction n'emporte en outre aucune restriction à leur droit de correspondance écrite.

Cette sanction, la plus lourde que peut prendre l'administration pénitentiaire, est d'une durée maximale de 45 jours pour les fautes du premier degré (il y a trois degrés, le premier étant le plus grave, le deuxième intermédiaire et le troisième le moins grave).

Elle est prise par une formation disciplinaire, la commission de discipline, le "prétoire" en jargon des prisonniers. Elle est présidée par le directeur d'établissement ou son délégué, avec deux assesseurs qui sont des gardiens. Le dossier fait quelques pages, intitulées "rapport d'incident", écrit par un des gardiens qui est souvent la victime des faits reprochés. Le prisonnier est invité à exposer ses explications, son avocat s'il en a un est entendu, et la décision est rendue après un bref délibéré. L'audience a lieu à l'intérieur de la prison, c'est le seul cas où nous sommes admis dans la zone de détention pour les prisons où les parloirs des avocats sont à l'écart, soit les prisons les plus récentes (Fleury Mérogis, Nanterre...), les plus anciennes n'ayant pas anticipé la nécessité d'éloigner les regards indiscrets (La Santé, Fresnes).

C'est expéditif, c'est le moins qu'on puisse dire.

Et le saviez-vous ?

Jusqu'en 1995, ces décisions étaient qualifiées par le juge administratif de "mesures d'ordre intérieur" non susceptibles de recours devant le juge de la légalité. Qui faut-il applaudir, Edouard Balladur ou Alain Juppé ? Aucun des deux, c'est le Conseil d'Etat, par deux arrêts, Hardouin et Marie (17 février 1995) qui a mis fin à ce scandaleux état de fait. Certes, le recours est porté devant la juridiction administrative, qui jugera en deux ans, soit bien après que les 45 jours auront été purgés, mais le référé administratif permet d'obtenir rapidement la suspension d'une mesure dont la légalité serait douteuse.

J'ai mieux.

Jusqu'en 2000, le détenu n'avait pas droit à l'assistance d'un avocat. Les prétoires étaient alors des moments de grande tension, les détenus, livrés à eux même, souvent intellectuellement limités, ayant le sentiment de n'avoir pas voix au chapitre, ce qui n'était pas absolument faux, d'après le récit d'une consoeur ayant effectué un stage à Fleury lors de sa formation d'élève avocat. Faut-il applaudir Lionel Jospin de ce progrès des droits de la défense ? Ce serait injustifié. Ce progrès est un accident législatif. Le gouvernement Jospin a fait voter une loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Cette loi prévoyait dans son article 24, toujours en vigueur, que toute personne faisant l'objet d'une décision individuelle qu'elle n'a pas sollicité et qui a le caractère d'une sanction, peut se faire assister d'un avocat. Les débats parlementaires montrent que le législateur n'avait à l'esprit que les commissions de discipline des fonctionnaires. Mais la loi ne distinguant pas, les avocats ont exigé son application aux "prétoires" des prisons. Le gouvernement a dans un premier temps estimé que non, ce texte ne s'appliquait pas aux prétoires, parce que ce n'était pas ce que le législateur avait à l'esprit. Certes, mais c'est ce qu'il a écrit. Il faudra un avis du Conseil d'Etat le 3 octobre 2000 pour le gouvernement se rende à l'évidence et réalise sa terrible erreur: sans avoir fait exprès, il avait fait progresser les libertés.

France, pays des droits de l'homme... On nous rebat tellement les oreilles avec cette formule qu'on n'en oublie de se demander si la réalité y correspond.

Et une cellule disciplinaire, concrètement, c'est quoi ?

Grâce à Rue 89, qui fait état d'une expertise judiciaire ordonnée par le tribunal administratif de Versailles, nous apprenons des détails qui donnent la nausée. Chaque cellule mesure en moyenne 8,21m² chez les hommes et 7,59m² chez les femmes (ben quoi, elles sont plus petites que les hommes, non ?), lit et toilettes comprises. La surface de déambulation, c'est à dire là où le prisonnier peut se tenir debout et marcher fait en moyenne 4,15m², c'est à dire inférieure aux normes réglementaires pour les chenils (5 m², arrêté du 25 octobre 1982). La luminosité y est de 7 à 30 lux. Pour lire, la norme est de 300. Notons que le code de procédure pénale précise que les prisonniers au mitard conservent le droit de recevoir et d'écrire des lettres. Manifestement, cela n'inclut pas celui de les lire. Les prisonniers sont confinés dans ces cellules 23 heures par jour. Ils ont droit à une promenade d'une heure, dans des cours spéciales où ils sont seuls, de 20 à 30m², ces cours étant en réalité des pièces couvertes par des barreaux grillagés, qui sont inondées les jours de pluie rendant la promenade impossible (vous vous souvenez du temps de ce mois d'août ?). Le prisonnier n'ayant pas le droit de "cantiner" c'est à dire de se procurer des produits en les payant auprès de l'administration pénitentiaire, ils n'ont même pas de cigarettes.

Et pour ceux qui espéraient qu'au moins, ce sont des endroits propres et confortables, voyez les photos réalisées par l'expert. Pour ceux qui ont des doutes, le filet d'eau de la 6e photo, qui sort du mur vers les toilettes, oui, c'est la douche.

Un particulier qui logerait quelqu'un dans ces conditions encourrait cinq années d'emprisonnement (les peines initiales de deux ans ont été portées à cinq par la loi sur la sécurité intérieure du précédent ministre de l'intérieur...). Mais l'Etat est pénalement irresponsable, alors il peut se permettre.

C'est en France. C'est au XXIe siècle.

Et pour ceux qui ont un coeur désespérément sec, et qui estiment qu'il n'y a pas à pleurer sur le sort de délinquants et criminels qui ne savent pas bien se tenir en prison, une petite suggestion. Prenons un de ces mauvais garçons, au comportement violent. Enfermez le 45 jours dans un tel cul de basse fosse. Imaginez vous 23 heures d'affilée avec 4,15m² pour marcher, dans des conditions où si vous mettiez un chien, vous seriez vous même un délinquant ; ce pendant 45 jours.

Et pensez au jour où ce type va sortir de prison, peine purgée. Vous croyez qu'il sera calmé, assagi, devenu citoyen modèle, ayant mûri par cette expérience ? Le jour où vous le croiserez, j'espère que tel sera le cas.

Dans le doute, puisque vous n'avez pas pitié des autres, ayez pitié de vous.

mercredi 22 août 2007

Démagogie ordinaire

Notre président bien aimé a décidé de prendre le taureau par les cornes et de montrer qu'il réagit immédiatement à l'affaire de l'enlèvement suivi du viol de ce garçonnet à Roubaix. Je ne citerai pas son nom, et je suis outré que la presse répète à l'envie son prénom, cite le nom de son père (qui est donc aussi le sien) à l'occasion de sa réception à l'Elysée et utilisent abondamment sa photographie, qui n'avait été diffusée que dans le cadre du plan Alerte-Enlèvement. Merci de la part de cet enfant qui grâce à la presse et à internet qui n'oublie rien, portera cette croix toute sa vie. Merci de ne pas citer son nom dans vos commentaires.

Je passerai rapidement sur les annonces : c'est de bonne guerre, quand l'opinion publique est choquée par un fait divers aussi horrible, il faut montrer compassion (recevoir les parents, dire qu'on se met à leur place...) et réaction pour faire croire que ça n'arrivera plus jamais. On n'est pas obligé non plus laisser le boulevard de la démagogie à l'opposition.

Ceci dit, l'annonce de « l'ouverture d'un hôpital fermé » devrait en soi suffire à tout un chacun à se convaincre de ce qu'il est en présence de démagogie, ou que Pierre Dac est resuscité et a pris le pouvoir.

Mais dans la retranscription de la conférence de presse où ces mesures ont été annoncées, un passage m'a fait sourire, du sourire de Bearmarchais : pour ne pas avoir à en pleurer.

Un journaliste présent pose, comme première question après ces annonces :

Cela s'accompagne-t-il de moyens supplémentaires pour la justice ?

Vous savez que c'est mon dada. Au moment où j'ai lu cette question, le Ciel m'en est témoin, je me suis dit : « Tiens ? Comment va-t-il enrober le fait qu'il n'y aura pas un centime de plus pour la justice ? »

La réponse se trouve quelques lignes plus bas (je graisse).

LE PRESIDENT – Je viens d'annoncer qu'un hôpital dédié aux pédophiles sera ouvert à Lyon en 2009. J'ai demandé à Roselyne BACHELOT [ministre de la santé, NdA] de prévoir un autre établissement pour les détenus psychiatriques de façon à renforcer considérablement le suivi psychiatrique des détenus. Mais, en l'occurrence, ce n'était pas une question de moyens. Cette personne qui sort, tout le monde sait que c'est dangereux, qu'elle est dangereuse. Ne me dites pas que l'on n'avait pas les moyens de suivre un homme de cette nature. On ne peut pas tout mettre sur la question des moyens. On ne peut pas tout mettre sur la question de la fatalité. La vérité, c'est que les uns disent : « la peine a été exécutée, il était donc libre ». Les autres, la famille, me disent « que faisait le prédateur dehors » ?

Admirez que le manque de moyen devient assimilé à la fatalité, le « On n'a pas les moyens de le faire » à « On ne peut rien y faire ». C'est pratique : contre le premier, il faut de l'argent, contre le second, de la volonté. Et comme la volonté, ça ne coûte rien, l'Etat en a à revendre. Et quand ce n'est pas suffisant, il y a autre chose qui ne coûte rien : une loi.

C'est mon rôle de chef de l'Etat de tirer les conséquences d'un vide juridique qui fait que des hommes de cette nature, des individus de cette nature, on ne peut pas dire que l'on les remet en liberté uniquement parce qu'ils ont fait leur peine. (...)

C'est vrai ça, si on remet les gens en liberté sous le prétexte fallacieux qu'ils ont terminé leur peine, où va-t-on ?

On ne peut pas simplement dire aux contribuables : il n'y a pas assez de dépenses, il n'y a pas assez d'argent, il n'y a pas assez de moyens. Parce que, en l'occurrence, les moyens étaient suffisants pour dire que cet homme était dangereux.(...)

Il suffisait de le demander au président de la République, en fait.

Et donc :

La Garde des Sceaux proposera un texte qui sera examiné par le Conseil des ministres dans les toutes prochaines semaines, passera au Conseil d'Etat, et sera défendu devant le Parlement au mois de novembre, au plus tard.

Fermez le ban.

PS : Pour préciser ma position avant que qu'on ne m'applique la même méthode : je ne dis pas que ce n'est qu'une question de moyens. Mais elle est centrale, toujours, dans tous les dysfonctionnements constatés de la justice. Les détentions provisoires anormalement longues, ce sont des juges qui doivent traiter de front une centaine de dossiers à la fois, et des expertises qui innocentent qui sont retardées pour des raisons budgétaires. La récidive, c'est aussi un manque d'encadrement des détenus, l'impossibilité matérielle de leur consacrer assez de temps pour leur trouver une formation professionnelle, préparer leur sortie pour qu'ils aient d'autres solutions que de réitérer leur comportement pour vivre.

Et en l'espèce, gageons sans risque que la suite révélera que la loi a été appliquée, sans les moyens d'assurer son effectivité, notamment au niveau de la surveillance dont il faisait l'objet.

Donc, il faut changer la loi. Puisqu'on n'a pas les moyens de les surveiller (ils sont 6000, c'est beaucoup, pour un pays qui n'est que dans les dix premières puissances économiques mondiales et qui n'a que 5 millions de fonctionnaires...), il ne faut plus les libérer, quand bien même ils auraient effectué leur peine.

La lettre de cachet, c'est pas cher, il ne faut même pas la timbrer.

samedi 18 août 2007

L'affaire de la "consonnance israélite" du nom de famille

- Le bonjour cher maître...

- Ma lectrice ! Quelle joie m'étreint de vous voir. Une crainte me poignait sans cesse que vous ne trouvassiez point ma nouvelle demeure. Fi de ces vilaines Chimères : ce blogue est désormais illuminé par votre présence.

- Si votre adresse a changé, vous êtes assurément le même : à peine arrivè-je que vous me cueillez au coeur d'un compliment et à la tête d'un imparfait du subjonctif. Si je n'étais pas toute tourneboulée, je me serais sans doute pâmée.

- Vous savez que je ne saurais souffrir tout trouble qui dérange un si doux visage. Désignez moi le vilain, que je le chasse céans.

- Ha, voilà qu'à présent je redoute d'abuser de votre bonté d'âme...

- Impossible. J'ai vendu la mienne au moment de prêter serment. Parlez, parlez, de grâce...

- hé bien soit. Figurez vous que je ne puis me remettre d'une terrible mésaventure survenue à une de mes concitoyennes.

- Qu'a-t-elle fait ?

- Rien : ou plutôt si : elle est née.

- Cela arrive à des gens très bien.

- Mais elle est née juive en Algérie.

- Si le monde n'était pas si déréglé, le premier devrait être indifférent et le second un bonheur.

- Elle vit en France depuis fort longtemps, probablement, si vous m'en croyez, depuis le début des années 60...

- 1962, pour être précis.

- Aujourd'hui, elle a voulu faire renouveler sa carte nationale d'identité... Et voilà qu'à la mairie, on lui demande la preuve qu'elle est française.

- Preuve qui ne peut être faite que d'une façon : par un certificat de nationalité française délivré par le greffier en chef du tribunal d'instance.

- Ha ! Voilà donc pourquoi elle dirige ses pas vers le tribunal d'instance de son domicile. Et là, on lui demande de produire une liste de pièces pour prouver cette nationalité, et parmi celles-ci, un acte établissant sa religion. Surprise par cette exigence, elle en demande la cause. Et savez-vous ce qu'on lui répondit ?

- Las ! je ne le devine que trop...

- Parce que son nom aurait une « consonance israélite » ! En France, en 2007 ? 102 ans après la séparation de l'Eglise et de l'Etat, 66 ans après les lois antisémites de Vichy ! Je suis outrée ! Que dis-je, hors de moi !

- Ces élans de générosité bouillonnante ne vous rendent que plus attachante à mes yeux. Mais je vais néanmoins prendre le risque de ramener un peu de calme dans ce tumulte pour vous expliquer les causes de cette demande, et vous rassurer quelque peu en vous expliquant que cette demande n'a rien à voir avec les deux événements que vous citiez à l'instant. mais n'est que l'héritage d'un pompeux brouillon qui n'a de cesse aujourd'hui que de saccager demain, croyant bien faire pourtant.

- De qui parlez vous ?

- Mais de ma Nemesis : du législateur.

- Ha ça mais... Vous avez converti mon ire en curiosité, vous êtes un thaumaturge ! Je suis toute ouïe.

- Fort bien. Quelques prolégomènes toutefois. Le droit de la nationalité est un droit qui a ses spécificités. La nationalité est un phénomène instantané aux effets perpétuels. Du jour où vous êtes français, vous ne cessez jamais de l'être.

- Jamais ?

- Le droit est la science des exceptions. Il en est trois, mais tellement rares surtout pour les deux premières que vous souffrirez que je les traite par une simple note de bas de page[1]. Mais le principe demeure : français un jour, français toujours. Ce qui peut aussi se lire : français toujours, à condition d'avoir été français un jour.

- Je vous suis.

- Depuis 1994, en application des lois Pasqua, la carte nationale d'identité est devenue sécurisée. A cette occasion, la loi a décidé d'en profiter pour vérifier que celui qui la réclame est bien français. En effet, beaucoup d'anciens habitants des colonies avaient obtenu des titres d'identité qui étaient renouvelés sur simple présentation du précédent sans autre vérification, et leurs enfants étaient eux même considérés comme français, et se considéraient français. Cette situation, pour des raisons qui m'échappent, a paru brutalement insupportable au législateur qui a décidé qu'on vérifierait à cette occasion la nationalité de tous ses citoyens ; car rien ne révèle plus une démocratie saine que la méfiance des élus envers son peuple. Et si le prix à payer était que des personnes, se croyant sincèrement français et en exerçant tous les attributs depuis leur enfance, se voient brutalement déchus de leur citoyenneté, hé bien, on ne fait d'omelette sans casser les oeufs. Après tout, à l'époque, le nettoyage ethnique était à la mode dans d'autres pays d'Europe.

-Vous me faites frémir. Mais comment prouve-t-on que l'on est français ?

- Pour prouver que l'on est Français, il faut donc remonter dans la ligne de ses ancêtres jusqu'à établir le fait qui attribue la nationalité française. Le plus simple est la naissance en France d'un parent né en France, qui s'établit par la production des actes d'état civil.

- Jusque là, c'est simple.

- Or ici se pose le problème des populations vivant en Algérie sous domination française. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, tout ce qui vivait en Algérie n'était pas français. C'est là le propre d'une situation coloniale. Le fait de naître dans l'Algérie française de parents nés en Algérie française ne faisait pas de vous un français. Comme quoi, l'Algérie française était algérienne avant d'être française... On peut distinguer trois populations, pour simplifier. D'une première part, les européens venus s'installer en Algérie, les colons proprement dits, pudiquement désignés comme "population relevant du droit commun". Ceux là étaient français en arrivant, le sont restés et l'étaient donc encore en revenant.

- Pas de difficulté donc.

- Aucune, pas plus que pour la deuxième population : les "d'origine musulmane". Ceux là étaient soumis à un statut dit "de droit local", par opposition au "droit commun" des européens. Le "droit local" était appelé l'indigénat avant le 1er juin 1946.

- C'est à dire ?

- Je ne dirais même pas citoyen de seconde zone, car ils n'avaient pas les droits civiques et politiques, et n'étaient donc pas citoyens. De fait, ils n'étaient pas français, quoique fort bienvenus à prendre les armes sous le drapeau et à offrir leur poitrines aux balles allemandes qui n'ont jamais pris la peine de tenir compte des différents statuts.

- Y avait-il une autre catégorie ?

- Oui, celui des juifs d'Algérie, environs 37.000 personnes en 1960. Ceux-ci, étant sur place lors de l'arrivée des Français puisque venus d'Espagne (d'où leur nom de Sépharades, "Espagnols" en hébreu) au 15e siècle. Au début, ils furent soumis au "droit local". Mais en 1870, Adolphe Crémieux, ministre de la justice, et grand protecteur des juifs, l'étant lui-même, promulgua un décret donnant la nationalité française aux juifs d'Algérie et les soumettant au droit commun, sauf à ce qu'ils y renoncent. Première funeste intervention du législateur : cette discrimination a jeté les graines de la discorde entre ces deux populations, qui se muera en haine le moment venu. Ce décret fut rétroactivement abrogé par le régime de Vichy, avant que De Gaulle ne rendît aux juifs d'Algérie leur nationalité en 1945. Nouvelle intervention brouillonne, mais celle-ci s'explique par les circonstances historiques. Sauf que la ségrégation antérieure est rétablie comme si de rien n'était. Puis vint l'indépendance.

- Que se passa-t-il à ce moment ?

- Les "droits locaux", c'est à dire les arabes et kabyles devinrent algérien, sauf ceux qui firent une reconnaissance de nationalité française. Cela recouvre surtout les Harkis. Les algériens pouvaient donc devenir français par simple déclaration jusqu'au 21 mars 1967, où ce dispositif a été abrogé. Les "droits communs" restèrent français.

- Et les juifs ?

- Le décret Crémieux en avait fait des "droits communs", sauf ceux ayant renoncé à ce statut (qui n'avait pas que des avantages) et les juifs du M'Zab, qui en étaient exclus.

- Pourquoi ?

- Problème de rédaction. Un pompeux brouillon, vous dis-je. Ainsi, un juif d'Algérie a toutes les chances d'être français. L'administration, qui n'est pas si sourcilleuse, présume qu'un juif d'Algérie est Français puisque c'est le principe. A condition... d'être juif, puisque c'était la condition pour bénéficier du décret Crémieux.

- D'où cette étrange demande ?

-Absolument. Par cette demande, le greffier souhaitait avoir la preuve que la requérante, née en Algérie de parents nés en Algérie, était bien juive, ce qui implique que ses parents l'étaient eux-même, ou au moins l'un d'entre eux, et étaient donc français par application du décret Crémieux.

- Et si elle ne le peut ou ne le veut ? Deviendra-t-elle apatride ?

- Nenni, c'est impossible. En France, nul ne naît ni ne devient apatride. Elle serait présumée issue de parents "de droit local", donc algérienne, sauf à ce qu'elle puisse prouver que ses parents ont souscrit à une déclaration de reconnaissance de nationalité, mais l'hypothèse est absurde car selon toute vraisemblance, ses parents étaient bien de droit commun donc n'avaient aucune raison de souscrire une telle reconnaissance ; soit d'établir qu'ils ne se sont pas vus reconnaître cette nationalité ni aucune autre postérieurement au 3 juillet 1962, auquel cas ils seraient devenus français par application de l'article 1er de la loi 66-945 du 20 décembre 1966, nationalité dont elle aurait hérité. Vous voyez bien qu'établir sa judaïté était la solution la plus simple pour elle comme pour le greffier.

- La plus simple, sans doute, mais pas la moins traumatisante !

- Assurément. Le droit se veut une science détachée de la morale et des considérations sentimentales qui vicient le raisonnement ; il demeure qu'un peu de diplomatie et de pédagogie sont souvent bienvenus. L'incident qui a suivi est assurément regrettable, et à mettre sur le compte de l'agacement de l'agent qui voit jaillir un Point Godwin alors qu'il ne fait que se conformer à des directives sur lesquelles il n'a aucune prise, et qu'il serait probablement bien incapable d'expliquer. Las, quand des esprits brillants, à même de comprendre et d'expliquer, préfèrent adopter la position de la dénonciation vertueuse, on comprend que la raison a défailli depuis longtemps.

- Une dernière question si vous le permettez...

- Madame, je suis votre plus dévoué serviteur.

- Et si en fait cette dame était descendante de Français, juifs ou non, venus s'installer en Algérie après sa conquête par la France ?

- Il eût suffi qu'elle remontât à son premier ancêtre né en France de parent né en France, l'état civil lui aurait permis de le retrouver aisément et sa religion n'eut pas été en cause.

- Mais il n'empêche... Alors que la Constitution interdit de distinguer selon la race ou la religion, alors que les discriminations sont prohibées, est-il acceptable que l'on somme quelqu'un de prouver sa religion sous peine d'être déchue de sa nationalité ?

- Je vois que votre derrière question n'était que rhétorique. Mon bon voisin Jules, baron de Diner's Room répond à votre question par la négative ; et il demeure que ces textes, qui seraient sans nul doute anticonstitutionnels aujourd'hui, ont été en vigueur et ont produit des effets de droit qui se perpétuent jusqu'à aujourd'hui, quand bien même ces textes seraient désormais abrogés. Cet effet de droit est dans notre cas l'acquisition de la nationalité, qui se transmet aux enfants. La nécessité de remonter à l'ancêtre français impose de ressusciter des textes peu glorieux.

- Nulle résurgence de l'antisémitisme ou de la xénophobie ici ?

- Non. Simplement, mais ce n'est guère plus glorieux, l'impossibilité de tourner enfin la page de la décolonisation. Au lendemain de celle ci, la France faisait tout pour que les anciens habitants des pays coloniaux restent français (c'est la possibilité de souscrire une reconnaissance de nationalité) ; puis quand cette option est devenue séduisante lorsque ces pays sont devenus des pays de satrapes corrompus, les lois permettant ce retour ont été abrogées, sans doute avec un esprit revanchard : "Ha vous avez voulu être indépendant, hé bien, dansez maintenant". Attendez trente ans, exigez que tout le monde justifie de sa nationalité et vous avez ce triste résultat. Nous cueillons aujourd'hui les semis empoisonnés du législateur d'hier.

Notes

[1] Il s'agit des hypothèses prévues aux articles 23-7, 23-8 et 25 du code civil : le français qui se comporte comme le national d'un pays étranger, le français qui continue d'occuper un emploi dans un service public étranger ou une organisation nationale où la France n'est ni partie ni représentée ce malgré l'injonction que lui aura fait le gouvernement de quitter cet emploi, et le français qui a acquis cette nationalité (par déclaration ou naturalisation) qui commet un crime contre l'Etat ou se livre à du terrorisme dans les dix années qui suivent.

jeudi 16 août 2007

Commentons les commentaires

Je teste actuellement un "pleuguine" pour Dotclear, "Comback", par Jihem, du blog Bleu Citron.

Il me permet de répondre à un commentaire en insérant en dessous un texte qui n'est pas comptabilisé comme un commentaire, et dont je peux modifier la couleur et l'encadré.

Concrètement, ça donne cela :

Pour moi, cela simplifie ma tâche de réponse : jusqu'à présent, répondre impliquait d'éditer le commentaire, et de taper ma réponse en langage HTML. Je sais, c'est pas le langage informatique le plus compliqué, mais taper <p></p> à chaque extrémité de paragraphe est toujours plus long que taper sur Entrée.

Pour vous, ça change quelques choses :

Tout d'abord, mes réponses n'apparaissent plus dans le fil RSS des commentaires. Je suis en train de voir si ça peut être modifié aisément. J'ai la prétention de croire que mes réponses intéressent forcément ceux qui s'intéressent aux commentaires.

Chaque billet a un fil RSS propre qui inclut les réponses, mais les réponses n'apparaissent pas accolées au commentaire auxquelles elle font écho dan l'agrégateur. La seule différence est une astérisque qui apparaît devant l'intitulé, pour indiquer qu'il s'agit d'une réponse.

Enfin, ceux qui sont abonnés au fil RSS bricolé par Tortue Cynique qui n'affiche que les commentaires auxquels je réponds ne liront plus mes réponses : ce fil RSS détecte les billets que j'ai édités, or ave cce nouveau système, je ne touche plus au commentaire.

Bref, ça me simplifie la vie, c'est censé être plus clair pour qui lit les commentaires directement sur le site, mais pour les lecteurs par agrégateurs, ça n'est pas pratique.

Que fais-je ? Je passe au nouveau système ? Je reviens à l'ancien ?

Pour la présentation actuelle : oui, rouge sur fond bleu, ce n'est pas idéal, mais ça, ça se change facilement. Si vous avez des suggestions...

NB : pour tester, je ne répondrai aux commentaires sous ce billet que via Comback.


Mise à jour au 16 août : Je pense adopter le modèle suivant : "Réponse d'Eolas" (il faut penser aux nouveaux arrivants qui ne savent pas que je réponds aux commentaires. Avant, je signais chacune de mes réponses. Si Dotclear le fait à ma place, c'est tant mieux), toujours en rouge pour garder le côté maître d'école, avec une barre en marge à gauche pour rendre le commentaire aisément repérables pour ceux qui font défiler rapidement la page pour repérer les commentaires auxquels il a été répondu. C'est ce qui s'affiche actuellement.

Les modifications que je souhaite apporter, mais que je ne sais pas coder (je suis un littéraire, bien que le droit soit une science) :

- rapprocher la réponse du commentaire. Actuellement, la réponse apparaît deux lignes en dessous du commentaire auquel elle fait écho mais une ligne au dessus du commentaire suivant. Ca peut être source de confusion. L'inverse serait mieux.

- décaler la réponse vers la droite pour que la barre soit dans le prolongement de la marge du commentaire, afin qu'il y ait une belle continuité dans les numéros des commentaires, que brise actuellement mes réponses.

Ci dessous une image ou j'entoure en bleu ce qui me pose problème.

Amis geeks et codeurs, c'est à vous. On est le 16 août, ne me faites pas croire que vous avez du boulot.

lundi 6 août 2007

Les Espagnols savent faire de la pub

Enfin, je peux déballer mes cartons. De mon (trop) bref séjour Plus Ultra, je vous ai ramené deux souvenirs, deux publicités espagnoles que j'ai trouvées excellentes.

La première est la publicité annonçant le tirage exceptionnel du 15 août de la loterie de la ONCE, l'Organisation Nationale des Aveugles Espagnols, organisation caritative fondée en 1938, au lendemain de la guerre civile. Elle tire ses fonds de l'organisation d'une loterie dont les vendeurs sont aveugles ou mal voyants, qui gagnent ainsi un salaire et bénéficient d'une couverture maladie et d'une retraite. Certains vendent assis sur une chaise dans la rue, mais de plus en plus des kiosques verts leur servent de bureau de vente. Aujourd'hui, la ONCE fournit du travail à plus de 40.000 aveugles et handicapés de la vue. Cette loterie s'appelle el Cupón ; et chaque été, un gros lot est mis en jeu. Depuis plusieurs années, la ONCE a pris le parti de faire des publicités humoristiques pour rajeunir son image. Et celle de cette année est dans cette lignée.

Le thème est simple. Cette année, le gros lot est de 20 millions d'euros. C'est le plus gros Extra de verano (Extra de l'été) qu'il y ait jamais eu. Comme les anglicismes sont à la mode aussi de l'autre coté des Pyrénées, les publicitaires ont choisi de s'en moquer. Ils annoncent le prix le plus heavy (prononcé rébi) ; or heavy en espagnol, c'est le hard rock. Et voilà le thème du spot : les hard-rockeurs à la plage. Si vous avez des amis qui étaient fans de hard rock dans les années 80-90, ils vont adorer. Regardez plusieurs fois le spot, il y a plein de détails (notamment le feu pour piéton...). Musique : Europe, The Final Countdown.

Deuxième publicité, encore plus créative : la Renault Mégane. La réglementation européenne interdit désormais de faire de la publicité pour les voitures en vantant leur vitesse, ou leur puissance. Ca limite les possibilités. La sécurité, ça ne marche pas trop, car on n'a pas envie de rappeler au client qu'il risque de mourir au volant de la voiture qu'on veut lui rendre. La ruse digne de Tartuffe est désormais de parler du plaisir de conduire, de dire qu'en fait, plus la route est mauvaise, plus on s'amuse. En France, Peugeot nous a infligé son lamentable et irritant GPS qui donne une mauvaise route pour Genève. Voilà ce que Renault Espagne a trouvé. Les sous titres sont en Anglais. Musique de Giorgio Moroder, tirée de la chanson "Never Ending Story", 1984, paroles de Keith Forsey, interprétée par Limahl.

Le slogan étant : choisissez le chemin difficile.

Le succès de cette publicité est énorme. Il est difficile de se retenir à la fin de ne pas reprendre "y una marato-o-on...''.

Voilà la réponse idéale : la réglementation est absurde, faisons des pubs absurdes, avec des fées, des super-héros, et des scènes inspirées par le surréalisme espagnol (l'éléphant qui repousse la route, les rochers qui se reproduisent...). Brillant. Absolument brillant.

Ajout : Pour illustrer ce que je dis, voici ce qui se passe quand cette publicité passe dans un festival de films publicitaire. C'est un fantasme de créatif.

jeudi 2 août 2007

Vrac de retour de vacances

De retour après un voyage mouvementé aussi bien à l'aller qu'au retour. Ca sent le procès pour une compagnie aérienne.

Le temps de poser sur mon bureau une tasse de thé fumante, et je vais attaquer la pile de courrier qui m'attend.

Permettez moi donc un simple petit billet en vrac, un peu comme une valise que l'on défait et où rien n'est plus vraiment à sa place.

Tout d'abord, quitte à faire dans le happy few : un merci à Isabelle Goanvic et à son équipe en charge de la rédaction de l'indispensable bulletin d'information de la cour de cassation, pour la nouvelle forme de cette lettre. Les derniers numéros n'étaient disponibles qu'en format PDF, certes dans une présentation très élégante mais d'une consultation en ligne rébarbative. Le numéro 666 (Woe to you, Oh Earth and Sea, for the Devil sends the beast with wrath, because he knows the time is short...) est désormais disponible au format html, ce qui le rend de consultation bien plus aisée. Bravo, et merci.

Ensuite, quelques réponses à des questions posées en commentaires.

Mon ami Frédéric, que je croyais mort depuis 1850, et qui voit si bien ce qu'on ne voit pas, me demande ce qu'est l'escroquerie au Call-Back (Décidément, ce billet est rempli d'angliscismes, blâmez Harry Potter).

Le mécanisme lui même est décrit dans cet article de 20 minutes.

L'escroquerie suppose deux choses : une manoeuvre frauduleuse d'une part, qui entraîne la remise d'une chose par la victime, généralement une somme d'argent. Il s'agit d'une erreur qui a été provoquée, déterminée, par la manoeuvre. Il faut pour cela que la manoeuvre ait été élaborée de telle façon qu'elle puisse induire en erreur. Un simple mensonge est insuffisant : il faut à tout le moins une mise en scène, ou la fabrication d'éléments donnant crédit au mensonge. Le code pénal donne une liste non exhaustive de comportement suffisants à constituer cette manoeuvre frauduleuse : l'usage d'une fausse qualité (se faire passer pour un ingénieur ou un médecin), d'un faux nom, l'abus d'une qualité vraie (un avocat faisant état de sa profession pour donner crédit à une entreprise douteuse), etc. Liste complète à l'article 313-1 du code pénal.

La remise d'une somme d'argent est déterminée par cet appel, cela ne pose pas de problème. Reste la question : s'agit-il d'une manoeuvre frauduleuse ?

Ici, elle consisterait en un appel sur le téléphone portable de la dupe qui affiche comme numéro d'appelant un numéro surtaxé. L'appel est programmé pour ne sonner qu'une fois, empêchant matériellement la dupe de répondre. Celle ci rappelle alors le numéro indiqué pour savoir de quoi il retourne (beaucoup de banques notamment utilisent des numéros en 08...) et se voit débitée de 83 centimes dont 40 sont reversés aux auteurs de la manigance. Là est la formidable astuce de l'escroquerie : le préjudice est minime pour la dupe, qui ne va pas porter plainte pour si peu. L'informatique permettant de réaliser aisément des millions d'appels gratuits car le correspondant ne décroche pas (sauf hypothèse de téléphone éteint basculant sur la boite vocale), c'est un préjudice de 600.000 euros qui a été ainsi réalisé, ce qui permet d'estimer le butin à 290.000 euros, le grand gagnant dans cette affaire restant l'opérateur historique qui a encaissé 310.000 euros sans avoir à les rembourser car il ne fait que porter les appels et n'est pas responsable de l'usage qui en est fait. Je pense que le parquet estime que tant le volume des appels (qui se compteraient en millions selon l'article, bien que les chiffres du préjudice laissent à supposer que seules 720.000 appels auraient été effectivement retournés), que l'astuce visant à ne faire sonner le téléphone qu'une seule fois, montre une élaboration suffisante visant à tromper les dupes caractérisant la manoeuvre frauduleuse. Ca me paraît tenir la route, mais je me réserve le droit d'affirmer le contraire devant un tribunal.

HP (Hewlett Packard ? Hopital Psychiatrique ? Je ne vois pas à quoi d'autre cela pourrait faire allusion...) me demande si l'émission de TF1 "L'île de la tentation" ne relève pas de la prostitution, et que ce type d'émission devrait être interdit, ou si l'histoire narrée est montée de toute pièce, diffusée comme une fiction et non sous le vocable trompeur de "télé-réalité".

Tout d'abord, permettez-moi de vous recommander la lecture de Harry Potter pour agrémenter vos soirées, vous me semblez en avoir besoin.

Ensuite, la prostitution n'est pas illégale en soi. Seuls sont prohibés le racolage[1] et le proxénétisme[2], et par extension, la traite des êtres humains[3] Je suis d'accord sur le fait que faire du racolage un délit quand la prostitution n'est pas en soi illégale est une parfaite hypocrisie, et lors des rares affaires de racolage correctionnel que j'aie vues juger, si la prévenue n'inspirait pas autant la compassion, il y aurait eu de quoi rire en voyant les tours d'acrobatie juridique imposés aux procureurs chargés d'apporter la preuve au tribunal qu'une attitude passive s'interprète sans nul doute comme une incitation à avoir des relations sexuelles en échanges d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération. Il est des passivités qui disent beaucoup.

L'attitude, même très active, des séducteurs et séductrices recrutées par le producteur n'incitent pas à avoir des relations sexuelles en l'échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération de la part des participants à l'émission. Il n'y a pas racolage. Il pourrait y avoir proxénétisme si la production prévoyait une rémunération spécifique en cas de rapport sexuel, mais rien ne laisse à penser que tel soit le cas. Faute de rémunération d'un rapport sexuel, en supposant qu'il y en ait bel et bien, ce qui me paraît douteux quand on sait que le room service apportant le petit déjeuner sera composé d'un cadreur et d'un preneur de son, il n'y a pas prostitution, donc pas proxénétisme.

Enfin, last but not least, pour continuer jusqu'au bout les anglicismes, une nouvelle importante.

Ce blog va déménager ce week end. Après deux ans et demi chez Free, il est temps que je vole de mes propres ailes et passe à un hébergement professionnel dédié, assurant un service plus stable et de meilleure qualité que les pages personnelles de Free, que je remercie et félicite au passage pour avoir fait face à l'impressionnante montée en puissance de ce blog (qui consomme désormais près de 100 Go de bande passante chaque mois, spam compris...).

Les conséquences seront les suivantes :

Vendredi soir, vers 19 heures : fermeture définitive des commentaires ici.

Durant le week end : pendant la migration, ce blog ne répondra plus. Si les dieux de l'Olympe sont avec nous, ça durera un quart d'heure. Mais les dieux de l'Olympe ne sont JAMAIS avec nous.

Une fois le déménagement effectué, l'adresse maitre.eolas.free.fr ne sera plus mise à jour.

L'adresse de ce blog sera définitivement : http://maitre-eolas.fr. Mettez vos liens à jour dès à présent, cette adresse renvoie pour le moment ici.

Les commentaires seront transférés à la nouvelle adresse et ne seront pas perdus. Dès lundi, tout devrait fonctionner sans difficulté et les commentaires seront réouverts dans mon nouveau chez moi.

Sinon, c'est procès. (Message à mon contact chez mon nouvel hébergeur : je plaisante, je plaisante, rendez moi mes bases SQL).

Allez, hop, au courrier.

Notes

[1] Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération : art. 225-10-1 du code pénal.

[2] Le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit : 1º D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ; 2º De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ; 3º D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire : art. 225-1 du code pénal.

[3] le fait, en échange d'une rémunération ou de tout autre avantage ou d'une promesse de rémunération ou d'avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteintes sexuelles, d'exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit : article 225-4-1 du code pénal.

jeudi 19 juillet 2007

L'autre Justice (3)

Dernier volet sur la justice administrative. Après avoir découvert son existence, vu comment elle marche ordinairement et extra-ordinairement, nous allons voir à présent comment elle marche quand l'extraordinaire devient l'ordinaire avec le contentieux des étrangers.

Rappelons brièvement qu'en raison du principe couramment admis que l'Etat a le droit de décider qui entre et reste sur son territoire, les étrangers sont totalement dépendants de l'administration. Principe qui mériterait de temps en temps qu'on s'interroge sur son bien-fondé, tant il a des relents xénophobes et d'Etat policier, mais tenons nous-en au droit.

Pour entrer tout d'abord. En fonction des accords internationaux, certaines nationalités sont soumises à une obligation de visa pour entrer en France, d'autres en étant dispensées pour des courts séjours. Les visas sont délivrés par les consulats, qui relèvent pour peu de temps encore du ministère des affaires étrangères (ils sont sur le point de passer sous la tutelle du ministère de l'immigration, de l'intégration et du codéveloppement). On distingue les visas court séjour, dit visa touristes, qui donnent droit à une entrée sur le territoire et à un séjour de trois mois au plus, et les visas long séjour, qui ont une validité de six mois en général et ont vocation à être transformés en carte de séjour. Des conventions bilatérales dispensent certaines nationalités de visa pour des séjours ne dépassant pas trois mois, le droit européen ayant conduit la France à dispenser les ressortissants historiques de l'Union Européenne de tout titre de séjour.

Le refus de visa donne lieu à un contentieux spécifique, du fait que la décision a été prise à l'étranger et qu'aucun TA ne peut être géographiquement compétent. Il doit d'abord être soumis à la Commissions des Recours contre les Refus de Visa, puis en cas de maintien du refus, le Conseil d'Etat statue en appel.

Une fois entré, le visa vaut titre de séjour jusqu'à son expiration.

Pour rester ensuite. Un étranger qui s'établit en France doit être titulaire d'une carte de séjour, valable un an, ou d'une carte de résident, valable dix ans. Il existe des titres précaires qui régularisent provisoirement un séjour le temps qu'une décision soit prise définitivement par l'administration : certains récépissés de demande de carte de séjour, l'autorisation provisoire de séjour (APS) et le laisser-passer. Ces documents sont délivrés par la préfecture du domicile de l'étranger : il s'agit d'actes administratifs susceptibles de recours devant le TA.

Pour simplifier disons que la préfecture peut délivrer un titre de séjour à qui elle veut. Discrétionnairement. Sauf certaines situations où elle est obligée de le faire.

Voyons à présent en détail quatre hypothèses de saisine du juge administratif, en allant de l'hypothèse la plus ordinaire à la plus Rock n'Roll, vous comprendrez le sens de la métaphore chorégraphique.

Le contentieux ordinaire : la contestation du refus de carte de séjour.

Nous sommes dans l'hypothèse où un étranger sollicite une carte de séjour ou son renouvellement et se la voit refuser, sans que le préfet ne prenne d'autre mesure tendant à un éloignement par la contrainte.

Nous sommes en présence d'une décision administrative, pouvant faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir de droit commun. Le délai de recours est de deux mois, l'affaire fait l'objet d'une mise en état, puis d'une clôture suivie d'une audience avec commissaire du gouvernement. Le problème pour l'étranger étant que ce recours n'étant pas suspensif, il n'est pas en situation régulière pendant ce temps et peut être l'objet d'un contrôle d'identité aboutissant à une exécution forcée (voir ma troisième hypothèse). Eventuellement, en cas de moyen sérieux, un référé peut aboutir à la délivrance d'autorisations provisoires de séjour, mais ne donnant pas le droit de travailler, quand bien même le titre auquel il a droit lui permettrait d'exercer une profession. Etant en situation irrégulière, il n'a pas droit non plus au RMI. Bref, lui et sa famille sont priés de vivre de photosynthèse pendant les deux ans que durera la procédure. Comme la plupart n'y parviennent pas et ont généralement des enfants et un avocat à nourrir, ils travaillent au noir, dans la plus grande hypocrisie.

Un préfecture de la banlieue parisienne s'est faite une spécialité de refuser des titres qu'elle est tenue de délivrer. Quand un recours est exercé, la préfecture ne produit aucun mémoire malgré les mises en demeure que lui envoie le tribunal. Deux ans plus tard, le tribunal administratif annule ce refus et condamne la préfecture à payer des indemnités au titre de l'article L.761-1 du CJA. En une audience, il y a quelques semaines, j'ai vu ainsi 3600 euros de l'argent du contribuable dilapidés en indemnités de procédure, alors qu'il aurait suffit que la préfecture, la veille de l'audience, délivre le titre demandé pour préserver l'argent du contribuable. Le droit des étrangers, c'est aussi ça.

Deuxième hypothèse : le contentieux un peu moins ordinaire : l'Obligation de Quitter le Territoire Français.

La loi du 24 juillet 2006 a créé cette procédure spéciale pour juger rapidement les refus de titre de séjour sans passer par la procédure d'urgence dont je parlerai dans ma troisième hypothèse.

Désormais, le préfet qui refuse un titre de séjour ou son renouvellement peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français (auparavant, c'est une invitation à quitter le territoire français qui en tant que telle ne pouvait faire l'objet d'un recours, mais permettait au bout d'un mois de délivrer un arrêté de reconduite à la frontière, qui lui pouvait faire l'objet d'un recours).

C'est un recours soumis à des règles spéciales. Le délai de recours est plus bref : il est d'un mois à compter de la décision (contre deux mois en droit commun). Il est suspensif, ce que n'est pas le recours de droit commun. Le juge a un délai de trois mois pour rendre son jugement, je reviendrai sur ce point. Le tribunal peut, et concrètement le fait toujours, fixer dès la réception de la requête la date de l'audience et de l'ordonnance de clôture. L'audience se tient devant un tribunal de trois juges, et il y a un commissaire du gouvernement.

Mais ce recours emprunte certaines règles au contentieux de droit commun. Ainsi, l'étranger ne peut bénéficier d'un avocat commis d'office ni d'un interprète. Il peut solliciter l'aide juridictionnelle au titre de l'article R.441-1 du CJA qui lui sera refusée au titre de l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 (qui a dit qu'on ne savait pas rire en droit administratif ?).

Le jugement peut être frappé d'appel, selon les règles de droit commun : recours obligatoire à un avocat, pas d'effet suspensif.

Je reviens sur le délai de trois mois imposé par la loi au juge administratif. C'est la dernière idée géniale du législateur pour faire face au problème de l'engorgement des tribunaux administratifs et du temps qu'ils mettent à statuer. Puisque celui qui propose d'augmenter les crédits de la justice est jeté dans la Seine avec des boulets accrochés aux pieds comme s'il avait perdu trois fois son bout de pain dans la fondue[1], il faut trouver des solutions autres, et celle là est brillante : imposer au juge de statuer dans un certain délai. Ca ne coûte rien, et ça marche, car les juges administratifs sont des légalistes psychorigides. Bon, évidemment, quand on ajoute à cela que le ministre de l'intérieur a décidé que l'on expulserait 26000 étrangers par an, la conséquence est prévisible : les juges ne font plus que ça et les autres recours attendront encore plus longtemps. C'est ce qu'on appelle une gestion intelligente et à long terme.

Troisième hypothèse : Le contentieux carrément extraordinaire : la reconduite à la frontière.

Si tu ne viens pas à la préfecture, c'est le préfet qui viendra à toi. Telle est la devise du contentieux de la reconduite à la frontière. L'hypothèse est la suivante : l'étranger a fait l'objet d'un contrôle d'identité qui a révélé son état de sans papier. Informée, le préfet du département prend un arrêté de reconduite à la frontière à son encontre, qui lui est notifié en main propre. L'étranger dispose alors d'un recours spécial, qui se rapproche du référé administratif. Le délai de recours est très court : 48 heures. Ce délai très bref (d'autant que le recours doit être écrit, rédigé en français et motivé) est parfois compliqué par le fait que le client est privé de liberté : voir ci-dessous, l'hypothèse rock n'roll) s'explique par le fait que la préfecture est censée s'assurer de l'exécution de sa mesure. Le tribunal doit statuer dans les 72 heures. Même remarque que ci-dessus. Concrètement, seul le TA de Versailles, qui est le Lucky Luke du contentieux de la reconduite à la frontière, tient le délai : quand vous faxez votre recours aux heures de bureau, vous avez votre récépissé et convocation à l'audience 40mn plus tard, audience qui aura lieu le lendemain. Si vous n'aimez pas les codes rouges, ne faites pas du droit des étrangers. L'audience est à juge unique (mais pas solitaire : comme son ombre le suit le greffier, profession dont je ne dirai jamais assez tout le bien que je pense), sans commissaire du gouvernement. Le préfet est censé envoyer quelqu'un de sa préfecture ou à tout le moins produire un mémoire. Concrètement, à Paris, c'est toujours le cas, et c'est un avocat quand l'étranger est privé de liberté, ce qui explique le taux de rejet des recours très élevé. Nanterre envoie un mémoire, Créteil et Bobigny ne daignent jamais répondre. Le jugement est censé être notifié très rapidement (à Versailles, c'est le jour même). Le jugement rejetant la requête met fin à l'effet suspensif du recours.

Quatrième hypothèse : Rock n'Roll acrobatique.

C'est hélas l'hypothèse la plus fréquente. L'étranger a été contrôlé, et placé en garde à vue le temps que la préfecture prenne un arrêté de reconduite à la frontière. Le préfet décide en outre de le garder au chaud, c'est à dire de le placer dans un centre de rétention administrative (CRA). Qu'est ce qu'un CRA ? Le législateur nous répond par une première pirouette : c'est la loi du 29 octobre 1981 (intégrée depuis dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers etc.) qui nous dit que ce sont des locaux "ne relevant pas de l'administration pénitentiaire". Bref, il se contente de dire ce que ça n'est pas. J'y vois pour ma part un hommage à Magritte : ceci n'est pas une prison, et pourtant, ça y ressemble furieusement. Le droit des étrangers s'est beaucoup inspiré de l'école surréaliste, vous allez voir.

Mais je vous ai vu froncer des sourcils. Je suis fier de vous. "Placé en garde à vue", "privé de liberté"... Ca sent le droit privé, donc la justice judiciaire, n'est ce pas ? Hé oui. Nous entrons dans le triangle des Bermudes du droit. Alors que, apparemment, il s'agit juste d'interpeller un étranger en situation irrégulière et le reconduire dans son pays d'origine (et non chez lui ; chez lui, c'est ici...), nous allons assister à une chorégraphie complexe, fondée sur des mouvements de va et vient sur un rythme endiablé. Démonstration.

Premier mouvement : "vos papiers !".

Ha, la police demande les papiers. Oui, mais à quel titre ? Si c'est dans le cas de réquisitions du procureurs de la république ordonnant à la police de quadriller un secteur défini pendant un laps de temps déterminé, ou que les policiers ont constaté des éléments pouvant laisser à penser que l'étranger était sur le point de commettre une infraction, nous sommes dans de la police judiciaire : articles 78-1 et suivants du code de procédure pénale, texte de droit privé. S'il n'y a rien de tout cela mais que la police s'avise, sur des éléments objectifs (le délit de sale gueule n'étant pas un élément objectif) que l'intéressé est étranger, elle peut lui demander de présenter les documents relatifs à son séjour, conformément à l'article L.611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). C'est une mesure de police administrative. Pourtant, les policiers n'auront même pas changé de képi.

Deuxième mouvement : "Au poste !"

Dans les deux cas, les policiers constatent que l'étranger n'a pas un bout de papier où un fonctionnaire aura appliqué un timbre humide, ce qui est un délit puni de prison jusqu'à un an, qui parfois peut devenir sinon de la prison à vie, du moins de la vie en prison. L'étranger va donc être placé en garde à vue, conformément à l'article 63 du code de procédure pénale. Retour au pur droit privé. Le procureur est informé comme la loi l'exige et feint d'être intéressé par cette affaire.

Simultanément, la préfecture du département est informée de ce qu'un étranger en situation irrégulière a été identifié, puisque c'est elle qui gère les dossiers des étrangers. Un dossier est ouvert à la préfecture. C'est du droit administratif. La police entend l'étranger sur le délit d'infraction à la législation sur les étrangers (I.L.E.), délit pénal, mais pose des questions qui intéresseront surtout la préfecture, par exemple sur sa famille dans son pays d'origine.

Après le cas échéant un renouvellement de garde à vue autorisé par le procureur de la république, le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, ainsi qu'un arrêté de placement en centre de rétention administratif (CRA) pour une durée de 48 heures. Notez le "administratif". Informé de cette situation, le procureur classera sans suite la procédure pour ILE. Fin de la procédure judiciaire. L'étranger est conduit dans le centre de rétention, qui est parfois situé... dans le commissariat (c'est le cas à Bobigny, par exemple).

Troisième mouvement : Deux juges, c'est mieux qu'un..

Récapitulons. Nous avons un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), et un délai de 48 heures pour faire un recours. Nous avons aussi un placement en CRA pour une durée de 48 heures. Là, deux procédures vont avoir lieu en même temps, une administrative où l'étranger sera demandeur, et une judiciaire où il sera défendeur.

La procédure administrative est le recours contre l'APRF. C'est ce que j'explique dans ma troisième hypothèse. L'étranger exerce un recours suspensif qui vise à annuler l'arrêté de reconduite à la frontière. C'est une de ces audiences que je décris dans mon billet Eduardo. l'objet de cette audience est uniquement de juger de la légalité de l'arrêté. Les circonstances de l'arrestation, le juge administratif ne veut pas en entendre parler. C'est de la compétence du juge judiciaire. Ce qui est lourd de conséquence pour les droits de l'étranger, vous allez voir. Le jugement est susceptible d'appel selon la procédure administrative de droit commun, non suspensive.

Mais le préfet, lui, a envie de garder un peu plus longtemps notre ami étranger. Il doit pour cela demander au juge judiciaire le maintien en rétention, pour une durée de 15 jours au plus. C'est le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance qui est compétent. C'est une de ces audiences que je raconte dans Un Juste. L'objet de cette audience est uniquement le maintien de la mesure privative de liberté, et le contrôle de la légalité de la procédure (notification des droits en garde à vue, respect des délais, du droit à un interprète, etc). Le juge peut maintenir l'étranger 15 jours en rétention, dire n'y avoir lieu à maintien en rétention, ou assigner l'étranger à résidence s'il peut justifier d'un domicile ou si une personne en situation régulière ou Français s'engage à l'héberger et fournit des preuves de domicile. Le jugement du JLD peut être frappée d'appel dans un délai de 24 heures. Le recours doit être motivé et peut être envoyé par fax. Si le juge décide de la remise en liberté, le procureur a un délai de quatre heures pour s'opposer à la remise en liberté immédiate. Si le préfet fait appel, l'étranger reste en rétention. COmme on peut voir, la séparation des autorités administratives et judiciaires n'est pas étanche : le judiciaire est bienvenu à se mettre au service du pouvoir administratif. L'appel est jugé par le premier président de la cour d'appel ou un conseiller délégué par lui, généralement dans un délai de 48 heures. Ajoutons qu'il y a des audiences de JLD pour étrangers tous les jours, même le dimanche à Paris (à 8h30...)

Il m'est arrivé une fois d'aller défendre un client qui avait été interpellé dans les Pyrénnées atlantiques. Appelé par téléphone, je forme un recours administratif le lundi soir. Le mardi matin aux aurores, je saute dans un train pour Bayonne pour l'audience devant le JLD à 11 heures. Le JLD ayant prononcé la remise en liberté. Je file à Hendaye récupérer mon client au Centre de Rétention où il devait récupérer ses affaires, et file avec lui à Pau pour l'audience devant le tribunal administratif à 17 heures 30 le même jour. A 18 heures 30, le tribunal rend sa décision : l'arrêté est annulé. Il n'y a plus qu'à prendre le TGV pour Paris, en laissant derrière moi un tas de cendre fumant de ce qui fut cette procédure.

Le TGI de Bayonne étant d'un autre ordre de juridiction que le TA de Pau, les greffes ne pouvaient tenir compte des impératifs de l'autre pour audiencer ces affaires. La loi leur fait interdiction de se parler. Et ce sont les avocats qui trinquent.

Et les droits de l'étranger. Car si vous avez bien suivi, supposons que les policiers commettent une nullité de procédure. Après avoir fait un pur contrôle au faciès, ils s'abstiennent de notifier ses droits à l'étranger, et omettent d'informer le procureur de la garde à vue, et gardent l'étranger 28 heures sans solliciter de renouvellement. La totale. Le JLD, saisi par le préfet, écumera de rage, n'aura pas de mots assez durs pour les policiers, et annulera la procédure, remettant immédiatement l'étranger en liberté sous les applaudissements du parquet.

Mais devinez quoi ? L'APRF reste valable, et l'étranger, victime de voies de fait et même de séquestration arbitraire par la police, pourra malgré tout être interpellé à son domicile et conduit de force dans un avion prêt à décoller. Si un assassin d'enfant était traité ainsi, la procédure partirait à la poubelle. Si c'est un étranger, non. On peut l'arrêter illégalement, il sera reconduit légalement. Avec les compliments de la séparation des autorités judiciaires et administratives.

Voilà un parfait exemple d'embrouillamini que peut causer la séparation des autorités judiciaires et administratives, avec des juges qui statuent sur des points différents sans vouloir savoir de quoi l'autre s'occupe. Il y en a d'autres : les amendes de la circulation, par exemple, relèvent du droit pénal, donc de la justice judiciaire. Mais les pertes de point sont une mesure administrative : le juge judiciaire ne peut pas vous dispenser de la perte de point, sauf s'il vous relaxe.

Si vous êtes contrôlé en état d'ivresse, le préfet pourra suspendre immédiatement votre permis pour une durée généralement de six mois, par un arrêté pouvant être contesté devant le tribunal administratif (art. L.224-7 du code de la route), permis qui vous sera restitué après un examen médical. Puis vous serez convoqué devant le tribunal correctionnel qui pourra, à titre de peine complémentaire (article L.234-2 du même code), vous suspendre à nouveau le permis de conduire, qui ne pourra être contestée que devant la cour d'appel.


Voilà qui clôt ma série sur la justice administrative. Je vous laisse méditer là dessus.

A demain pour un dernier billet avant la fermeture de ce blog.

Notes

[1] Honte à vous si vous ne lisez pas Astérix.

jeudi 5 juillet 2007

Le jugement dans l'affaire Petite Anglaise

Le Conseil de prud'hommes de Paris vient de notifier le texte de son jugement à Petite Anglaise et à son employeur, ce qui fait courir le délai d'appel. En attendant de savoir s'il y aura un deuxième round, voici ce qu'a donné le premier.

Je vous rappelle que le Conseil de prud'hommes statue saisi par Petite Anglaise, en contestation d'une décision de licenciement, qui juridiquement est la résiliation unilatérale d'un contrat. Le litige est strictement circonscrit aux faits contenus dans la lettre de licenciement : seuls ceux-ci peuvent faire l'objet d'une discussion devant le Conseil, et c'est à eux que le Conseil va répondre.

Le Conseil, confronté à des questions juridiques, a voulu faire du droit. Il faut lui rendre cet hommage, quand bien même ses attendus sont parfois d'une rédaction, disons-le, un peu bancale.

Je commence directement aux motifs de la décision, et insère mes commentaires. J'ai substitué aux prénom et nom de la demanderesse son pseudonyme internet par égard pour sa vie privée ; je n'ai pas fait de même pour son employeur car il s'agit d'une personne morale qui, partant, n'a pas de vie privée.


Attendu que d’une part le contrat de travail doit, comme tout contrat de droit commun, être exécuté de bonne foi suivant les dispositions de l’article L.120-4 du Code du Travail et 1134 du Code Civil ;

Attendu que la lettre de licenciement fixe les limites du litige et que le Conseil a examiné les faits ;

Attendu qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement et qu’il doit constater la matérialité des faits allégués comme caractérisant une faute professionnelle invoquée par l’employeur; qu’en énonçant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse sans constater que les faits allégués comme caractérisant la faute professionnelle du salarié étaient établis, au regard de l’article L. 122-14-3 du Code du Travail ;

Oui, il manque un bout à cette dernière phrase. Le Conseil rappelle les règles qu'il va appliquer : le licenciement doit reposer sur des faits précis, articulés et prouvés, et seul le Conseil est compétent pour décider s'il constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Attendu que la lettre de licenciement est suffisamment motivée et répond aux exigences posées de l’article L.122-14-2 du Code du Travail dans la mesure où elle permet au juge du fond de pouvoir vérifier tout à la fois le caractère réel et sérieux des griefs retenus à l’encontre de la salariée pour la licencier ;

Premier point pour Dixon Wilson, la lettre est, en la forme, suffisante. Je l'avais déjà relevé.

Attendu que le blogger (ou blogueur), puisque c'est le nom qu'on lui donne, est bien, au sens de la loi, “éditeur d'un service de communication publique en ligne”. Qu’il est responsable des contenus diffusés et doit s’identifier soit directement en ligne par ce que l’on appelle la “notice légale” soit, s’il s’agit d’un blog non professionnel, auprès de son hébergeur ;

C'est la LCEN, fort bien résumée.

Attendu que la liberté d’expression est un droit fondamental reconnu dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la Science et la Culture (UNESCO), le Pacte international Relatif aux Droits Civils et Politiques, ainsi que dans d’autres instruments internationaux et constitutions nationales; que la FRANCE est assujettie au cadre juridique établi pas les principes de l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'homme que le Conseil réaffirme la teneur de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, lequel stipule que le droit à la liberté d’expression comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières et par n’importe quel moyen de communications ;

Attendu que le Conseil considère l’importance de la liberté d’expression pour le développement et la protection des Droits de l’Homme, le rôle fondamental que lui reconnaît la Commission Européenne des Droits de l'Homme et le plein appui manifesté a l’égard de la création du Bureau pour la liberté d’expression, comme instrument fondamental pour la protection de ce droit ;

Ces paragraphes me plongent dans des abîmes de perplexité. Je crains fort que le Conseil n'ait purement et simplement inventé la première convention citée ; je passe sur l'invocation des constitutions nationales étrangères, qui sont juridiquement inapplicables à l'espèce, pour saluer la réaffirmation solennelle de la teneur de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme par le Conseil de Prud'hommes de Paris, section activités diverses. Pour résumer plus sobrement : le Conseil rappelle que la liberté d'expression est une valeur fondamentale, qu'il entend bien protéger dans les dossiers qui lui sont soumis. Mais le Conseil ne s'arrête pas là.

Attendu que la liberté de la presse est essentielle à la réalisation de l’exercice effectif et total de la liberté d’expression et qu’elle est indispensable au fonctionnement de la démocratie représentative, par l’entremise de laquelle les individus exercent leur droit de recevoir, de diffuser et de rechercher de l’information qu’il est de nature que la liberté d’expression, sous toutes ses formes et manifestations, est un droit fondamental et inaliénable de toute personne qu’elle est également indispensable à l’existence même de toute société démocratique ;

Je ne crois pas que le cabinet Dixon Wilson ait un seul instant prétendu le contraire. J'ai l'impression que le Conseil, lors de son délibéré, qui était à l'époque du procès Charlie Hebdo, n'ait été particulièrement sensibilisé au problème de la liberté d'expression. Fort bien, elle était effectivement en cause ici ; mais précisément le monde du travail est un monde qui impose une limite à la liberté d'expression, notamment en obligeant le salarié à fournir un travail plutôt que recevoir, diffuser et rechercher de l’information. C'est dans la limitation acceptable à cette liberté que se situe le problème, pas dans la proclamation d'une liberté que nul ne conteste.

Attendu que le Conseil se pose surtout la problématique du blogueur, en [la] personne Madame Petite ANGLAISE, vis-à-vis de son employeur, le CABINET DIXON WILSON ; que le Conseil rappelle la rédaction de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen:

- La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ;

Qu’en l’espèce, la loi qui s’applique est la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, avec les adaptations apportées par la LCEN aux spécificités du support informatique ;

Heu, oui, ces adaptations se résumant à substituer à l'expression « communication audiovisuelle » les mots « communication au public par voie électronique » à l'article 23 de cette loi. La LCEN est en fait un texte essentiellement autonome, et non un texte modificateur.

Bon, venons en aux faits. Premier grief : la diffamation et l'injure.

Attendu qu’il est reproché à Madame Petite ANGLAISE d’avoir publié plusieurs articles sur son blog créé en 2004 : www.petiteanglaise.com et de fait d’avoir dénigré le CABINET DIXON WILSON et des membres du personnel en tenant des propos diffamatoires et injurieux ; que d’autant plus, en médiatisant son site à travers plusieurs parutions dans des journaux de presse, notamment celle du 16 février 2006 dans Le Parisien, elle aurait nui à l’entreprise ; que les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont l’injure et la diffamation ; que la diffamation, donc, est définie ainsi comme toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé et que l’injure est toute expression outrageante ne contenant l’imputation d'aucun fait ;

Attendu que le Conseil a pris soin d’examiner d’après les éléments de preuves apportés par les parties si, tout d’abord, les propos tenus dans le blog permettaient soit d’identifier ou soit de rendre au moins identifiable le cabinet DIXON WILSON, que le Conseil constate que le blog était écrit en anglais et que Madame Petite ANGLAISE s’identifiait sur le blog sous le pseudonyme «la petite anglaise» et qu’il n'apparaît à aucun moment le nom du le CABINET DIXON WILSON ni les noms d’aucun salarié que le CABINET DIXON WILSON n’a jamais été visé, ni identifié pendant les deux années de vie du blog avant le licenciement de Madame Petite ANGLAISE ; qu’en prenant, par exemple, même l’article disant :

«''Lorsque ça se passait mal en début d’année j’ai failli créer un blog parallèle secret nommé mon patron est un enculé [a twunt] pour me défouler. Je raconterai ces histoires un jour, quand je ne travaillerai plus pour lui ... »

Je précise que la traduction de twunt par "enculé" a été proposée par le Cabinet DIXON WILSON. On ne saurait les blâmer : ce sont des comptables, pas des littéraires. Mais ils restent débiteurs de la vérité.

Twunt est un néologisme argotique, composé d'un mélange de deux mots grossiers, twat et cunt, qui désignent tous deux l'organe sexuel féminin. Dès lors, le traduire par "enculé" démontre une méconnaissance de l'anglais, de l'anatomie, et de la grammaire, car ils traduisent un génitif par un participe passé.

Cry in shame, o Britannia, for thy sons have turned into illiterates.

Laissons là l'anglais piétiné pour en revenir au français malmené.

Que le Conseil n’a constaté aucun propos diffamatoire ou injure qui porte atteinte à l’entreprise car il n’y a aucun moyen de pouvoir identifier les personnes ; que le Conseil affirme que Madame Petite ANGLAISE n’a fait que relater, sous une certaine forme de romance, sa vie personnelle et parfois professionnelle tout en restant inidentifiable ; que le CABINET DIXON WILSON ne peut prouver l’existence d’aucun préjudice car il n’a appris l’existence de ce blog par un autre salarié, Monsieur P..., qu’en février 2006, soit plus de 2 ans après sa création ;

La diffamation et l'injure supposent en effet que le destinataire soit identifiable, car seul lui peut s'en plaindre. Le fait que deux ans durant, l'employeur n'ait pas été au courant de l'existence de ce blog n'a par contre aucune pertinence pour la diffamation et l'injure ; il en a en revanche pour le grief suivant : le fait que Petite Anglaise ait consacré du temps de travail à son blog.

Attendu qu’il est précisé que Madame Petite ANGLAISE écrivait de chez elle la plupart du temps en dehors des heures qu'elle consacrait à son activité professionnelle;

Mais attendu qu’elle reconnaît explicitement qu’elle a parfois écrit durant ses temps de pause ou dans des moments d’activité très réduite; que le Conseil retient que le CABINET DIXON WILSON n’apporte aucun élément de preuve pouvant démontrer que cela a nui à son travail depuis les deux années d’existence dudit blog ;

Attendu que le Conseil affirme aussi le principe que la sphère privée est séparée de la sphère professionnelle et que Madame Petite ANGLAISE ne peut être punie pour un comportement qu'elle adopte dans sa vie privée ou en dehors de ses heures de travail que son comportement n’a causé aucun trouble au CABINET DIXON WILSON ; que l'article 9 du Code Civil pose le principe du droit de chacun au respect de sa vie privée ;

Attendu que le Conseil ne constate aucune violation [de] l’article 8 du contrat de travail de Madame Petite ANGLAISE concernant la durée légale du travail du fait que la salariée a respecté ses horaires de travail et n’a aucune absence injustifiée ; qu’il ne peut être retenu le fait de consulter un site pendant les temps de pause ou certains moments d’inactivité dus à l’absence de son supérieur hiérarchique en sachant que Madame Petite ANGLAISE était secrétaire bilingue ; que le Conseil ne peut retenir ce motif comme légitime car il est matériellement invérifiable, tout en sachant que la plupart des salariés consultent des sites internet sur leurs lieux de travail ;

Position très sage que celle du Conseil. L'essentiel du "blogage" de Petite Anglaise était fait en dehors des heures de travail : l'employeur n'a rien à y redire, puisqu'il a déjà été démontré que le contenu du blog n'a pas nui à l'employeur. Protection de la sphère privée que la salariée n'a pas mélangé avec la sphère professionnelle. La salariée reconnaît avoir consacré son temps de pause et des moments d'inactivité à son blog. Cela ne lui était pas interdit, car l'obligation de travailler pour son employeur suppose comme corollaire l'obligation pour l'employeur de lui fournir du travail. Si l'employeur ne lui en fournit pas, on ne peut lui reprocher à tort de faire autre chose.

L'employeur invoquait aussi la très savonneuse déloyauté entraînant une perte de confiance. Cet argument est sommairement exécuté.

Attendu que sur la violation de l’article 14 du contrat de travail précisant la clause de conscience, le Conseil ne retient aucun acte déloyal dans l’exécution du contrat de travail de Madame Petite ANGLAISE et que la perte de confiance ne peut justifier un licenciement ;

Enfin, dernier grief, la salariée aurait installé et utilisé des logiciels autres que ceux fournis par l'entreprise, ou les logiciels de l'entreprise à des fins personnelles, en violation du règlement intérieur.

Attendu que le Conseil affirme que l’article 13.24 du règlement intérieur n’est pas applicable au blog de Madame Petite ANGLAISE, dans la mesure où celui-ci concerne l’utilisation des systèmes de courrier électronique, de télécopie ou d’internet dans l’entreprise ; qu’il est donc interdit d’utiliser la messagerie électronique du CABINET DIXON WILSON pour transmettre des messages injurieux, perturbateurs ou offensants ;

Mais attendu que Madame Petite ANGLAISE a toujours utilisé son adresse électronique pour son usage professionnel ; que le Conseil constate que Madame Petite ANGLAISE utilisait le logiciel «CUTE FTP » uniquement à un usage professionnel afin de transmettre certains fichiers et pièces jointes à son patron sur un site web ; qu’il ne peut donc lui être reproché ;

Comme ont dit pudiquement : le moyen manque en fait ; c'est à dire qu'il ne repose sur rien.

Attendu qu’un tel agissement de la part du CABINET DIXON WILSON a causé nécessairement un préjudice à la salariée, préjudice qu’il convient de réparer ;

Le Conseil détermine ensuite les aspects financiers de sa décision, que j'avais indiqués en son temps.

Les parties ont un mois pour faire appel à compter de cette signification. On verra ce que décide Dixon Wilson, Petite Anglaise n'ayant pas à ma connaissance l'intention de le faire.

Pour résumer, cette décision considère qu'un salarié peut parler de son travail sur son blog, même en termes critiques, à la condition que son employeur ne soit pas identifiable. A contrario, on peut en déduire que s'il l'était, le Conseil pourrait considérer qu'il y a une cause réelle et sérieuse, si les propos nuisent à l'entreprise, notamment en étant diffamatoires ou injurieux.

Il peut même bloguer depuis son poste de travail avec le matériel de l'entreprise s'il ne nuit pas à l'employeur en ce faisant : c'est à dire sans le faire passer avant son travail, et dans le respect du règlement intérieur. Donc : sur ses temps de pause, ou dans les phases d'inactivité.

Références de la décision : Conseil de Prud'hommes de Paris, Section activités diverses, chambre 5, 29 mars 2007, R.G. n°F06/08171.

mercredi 6 juin 2007

Soyons clairs

Je souhaiterais faire une mise au point sur une question soulevée en commentaires à plusieurs reprises.

Certains commentateurs, s'ils ne contestent nullement la gravité de l'agression d'hier, se demandent en quoi cette agression serait plus grave qu'une agression identique visant un enseignant, ou une caissière de supermarché. Au nom de l'égalité républicaine, tous les coups de couteaux ne se valent-ils pas, et pourquoi, sous prétexte qu'une personne aurait fait des études de droit, réussi un concours, et porterait une robe, deviendrait-elle ainsi plus digne de protection que ses concitoyens ?

Je souhaite faire un sort à cet argument, qui repose sur un point de vue faussé.

Oui, bien sûr, une agression au couteau est un acte grave et intolérable, qui appelle une sanction ferme, peu importe qui en est la victime. L'auteur de cette agression encourt la réclusion criminelle à perpétuité, mais pas parce que la victime est magistrat : c'est le tarif pour toute tentative d'assassinat, si l'instruction devait confirmer l'intention homicide et la préméditation (même si à titre personnel, l'existence de la première me paraît douteuse).

La loi aggrave la répression des agressions sur les magistrats, mais ils sont au milieu d'une liste de personnes que la loi estime dignes d'être particulièrement protégées, qui regroupe les policiers, les avocats, mais aussi les enseignants, les conducteurs de bus, les concierges et les arbitres de foot.

Non, ce qui rend cette agression particulièrement intolérable n'est pas un respect suranné pour la robe ou une solidarité déplacée des gens de justice, qui vivent du jugement des agressions mais ne supporteraient pas de connaître ce que vivent leurs clients.

Nous vivons dans une société qui connaît la paix civile. Demandez à un Yougoslave, à un Algérien, à un Ivoirien, à un Colombien ce que c'est qu'un pays qui ne connaît pas cela, où les institutions publiques sont à ce point en faillite qu'elles laissent les citoyens livrés à eux même.

Cet état de paix n'est pas naturel. Il doit sans cesse être maintenu. Et une société démocratique qui vit en paix suppose un pouvoir et des contre-pouvoirs légitimes, c'est à dire à l'abri des pressions.

On n'imagine pas que le législateur vote des lois sous la menace, ou que le président de la République exerce ses fonctions dans la peur.

Et bien le juge, c'est le détenteur d'une parcelle du troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire. Et ce pouvoir joue un rôle essentiel dans ce maintien de la paix civile, car c'est celui avec lequel le citoyen est le plus directement en contact. Quel que soit le conflit qui vous opposera à votre prochain, ce n'est pas le plus fort de vous deux, ou celui qui pourra se payer des gros bras, ou tirera le mieux avec son arme, qui imposera sa volonté à l'autre. C'est le juge qui tranchera, en appliquant la loi qu'a votée le parlement, et dont l'exécutif assure l'effectivité (notamment en donnant à la justice les moyens de juger).

Lors de la récente élection présidentielle, beaucoup de personnes ont manifesté leur inquiétude vis à vis des pressions que le nouveau président pourrait être tenté d'exercer sur l'autorité judiciaire, en rappelant les propos très durs qu'il a employés à l'égard de magistrats déterminés ("faire payer" tels juges qui avaient remis en liberté une personne qui a récidivé, traiter tel autre, soupçonné d'être trop doux, de "démissionnaire"). Que cette inquiétude soit fondée ou non, elle est saine, car une telle pression serait inacceptable. Et il existe des moyens détournés d'exercer ces pressions : ça peut être une prime réduite au minimum légal, une inscription au tableau d'avancement retardée, une admonestation "amicale" dans le bureau du président à la suite d'une remarque du procureur, etc. Ces pressions, subtiles, et inefficaces sur un esprit fort, sont intolérables dans leur principe même.

Mais ce ne sont que des pressions économiques, menaçant l'évolution de la carrière du magistrat.

Alors que dire de la pression exercée sur la personne du magistrat ? Si au nom de l'indépendance et de l'impartialité, on se scandalise qu'on puisse menacer de ne pas promouvoir un magistrat, comment pourrait-on tolérer qu'un juge craigne pour sa vie au moment de délibérer ? L'affaire d'hier visait à confier un enfant de trois ans à ses grands-parents, sa mère étant impliquée dans des problèmes de stupéfiants, soit qu'elle consomme, soit qu'elle trafique, soit les deux. Il est établi par le témoignage des avocats présents que l'agresseur a exigé du juge qu'il change sa décision avant de le frapper quand il lui a expliqué que sa décision étant prise, elle était irrévocable, mais pouvait être attaquée par la voie de l'appel. Elle visait donc à obtenir de la justice une décision autre que celle qui avait été prise. Serait-il tolérable qu'un juge des enfants décide désormais de laisser des enfants de trois ans dans des familles où ils sont en danger, en pensant "plutôt lui que moi" ? Non, n'est-ce pas ? Cette simple idée est insupportable.

Voilà pourquoi cette agression est d'une gravité exceptionnelle qui la place au-dessus d'une simple agression au couteau. Pas à cause de la personne victime : à cause de la fonction fondamentale qu'exerce celle-ci, sans laquelle il n'y a plus de société, il n'y a plus de République, il n'y a que le chaos et la loi du plus violent.

Et ce qui mue la tristesse en colère, c'est que des agressions contre des magistrats et des greffiers ont déjà eu lieu, ont donné lieu à des signaux d'alarme par la profession, à des promesses du gouvernement, des gesticulations, des plans pompeusement baptisés, qui n'ont pas été tenus. Parce que d'un point de vue comptable, un magistrat agressé coûte moins cher que la sécurisation d'un palais de justice (50.000 euros par an au bas mot).

Le palais de Metz a ainsi eu UN portique magnétique, révélait son procureur, pour cinq entrées, et pas de personnel pour le mettre en oeuvre. Alors que cette simple mesure de sécurité, ridicule comparée à ce qu'on me demande de traverser pour avoir le privilège de m'asseoir dans le siège trop petit d'un avion, empêcheraient la plupart de ces agressions, du moins celles par armes, les plus dangereuses. Voyez ce que disent les magistrats en commentaire : cela traduit la préoccupation de tout ce corps. Quand est-ce qu'un magistrat sera tué dans l'exercice de ses fonctions, en pleine audience ?

Parce que si cela arrive un jour, ce sera trop tard. Le mal sera fait, la peur se sera insinuée. Voyez déjà ce que raconte Juge du Siège, qui nous dit qu'il a dû récemment oter la plaquette portant son nom de la porte de son bureau pour échapper à un justiciable menaçant écumant le palais à sa recherche.

Il y a une vraie urgence ici. J'espère que la Garde des Sceaux l'a effectivement compris.

mardi 5 juin 2007

Ouf

Reuters | 17h28 :

Le magistrat, Jacques Noris, a été opéré à l'hôpital Bon secours de Metz et se trouvait dans un état stationnaire mais ses jours ne seraient pas en danger, dit-on de source syndicale dans la magistrature.

Quelques propos sur l'agression du président du tribunal pour Enfants de Metz

L'agression perpétrée ce matin pose des questions, qui sont nombreuses en commentaires ou par courrier électronique.

Il ne s'agit pas de donner des informations sur cette agression en particulier. Je ne dispose d'aucune source privilégiée, les journalistes feront ici leur travail.

Deux questions sont récurrentes : qu'en est-il de la sécurité dans les palais de justice, et qu'est ce qu'une audience d'assistance éducative, puisque c'est au cours d'une telle audience que l'agression a eu lieu.

  • La sécurité des palais de justice.

La situation est très différente selon les palais de justice. Paris est sans doute la forteresse la mieux protégée. Le palais est une zone sous commandement militaire, confiée à des escadrons de la gendarmerie mobile. Ce sont des unités conçues pour être autonomes et pouvoir se déplacer en tout point du territoire où leur présence est requise et y rester le temps nécessaire, quand bien même elles sont rattachées à une caserne spécifique. Les gendarmes sont des militaires, qui restent dans les salles d'audience jusqu'à la fin, quelle que soit l'heure à laquelle elle se termine. Ils ont une forme physique irréprochable, et toute personne devenant menaçante ou violente à l'audience peut être neutralisée en un rien de temps. Je l'ai vu faire, c'est impressionnant. Enfin, en cas d'incident signalé, une équipe de maintien de l'ordre sera envoyée sur place en un rien de temps.

L'entrée du public est gardée, et toute personne entrant doit passer sous un portique magnétique, et ses affaires doivent passer par une machine à rayons X, comme dans un aéroport. Les mesures de sécurité sont renforcées lors des procès sensibles, que ce soit des terroristes, du grand banditisme, ou toute affaire médiatique.

L'entrée des autres palais est, au mieux, surveillée par un policier, muni d'un portique magnétique et d'un détecteur portable. A Bobigny, ce sont des vigiles privés qui sont chargés de ce filtrage. Nanterre vient d'augmenter ses mesures de sécurité, et désormais, pour accéder au Palais comme à la préfecture, il faut là aussi passer par portiques et détecteurs. Là aussi, ce sont des agents privés qui sont en charge de cette mission. En cas de procès sensibles, un filtrage a lieu aussi devant la salle d'audience.

Dans beaucoup de palais de province, la porte est ouverte, et on peut entrer librement et accéder à la salle d'audience sans le moindre contrôle. Je l'ai constaté au palais de justice d'Amiens, de Châteauroux, des Sables d'Olonne, pour citer des palais de j'ai visités récemment. Et je ne parle même pas des conseils de prud'hommes et tribunaux d'instance, ou aucune surveillance n'est exercée, et généralement aucun policier présent, sauf audience du tribunal de police. Pire encore, dans beaucoup de palais de province, la présence policière cesse en fin de journée, alors même que des audiences sont encore en cours. Ce sont les magistrats eux même qui ouvrent le portail aux escortes repartant vers les maisons d'arrêt, et ferment la porte du Palais en partant.

Les seuls endroits un peu sécurisés sont les bureaux des juges d'instruction et le dépôt, c'est à dire les cellules ou sont laissées les personnes privées de liberté devant comparaître devant un juge ; encore que j'ai vu récemment dans un palais de justice en travaux un détenu simplement encadré de policiers sur le parking du palais, et des bureaux d'instruction situés dans un sous sol où on arrivait par un simple escalier sans surveillance.

J'ignore ce qu'il en est à Metz, et si l'agresseur a dû employer une ruse pour faire entrer son arme ou a pu entrer sans être inquiété.

  • Qu'est ce qu'une audience d'assistance éducative ?

Le juge des enfants a un rôle très étendu. Il n'a pas que la casquette de censeur, en jugeant les mineurs délinquants. Il a aussi la charge de la protection de l'enfance en danger. Notez que ces deux mondes ne sont pas hermétiquement séparés, loin de là.

C'est le juge des enfants qui peut décider du placement d'un enfant hors du foyer de ses parents, s'il s'avère qu'il y est en danger, physique ou moral. Cela va de l'enfant maltraité (vous n'avez pas idée de ce que l'on peut voir dans un cabinet de juge des enfants, il faut avoir le coeur bien accroché) à l'enfant simplement délaissé, du parent violent au malade mental, pas dangereux, mais incapable de s'occuper de lui-même et a fortiori d'un enfant. Le juge, saisi par l'un des parents, le procureur de la République, ou se saisissant d'office à la suite d'un signalement effectué par le milieu scolaire, des assistantes sociales, des médecins, pour ne citer que les cas les plus courants, décide de mesures d'assistances éducatives, qui peuvent aller jusqu'à confier l'enfant à des tiers : soit à d'autres membres de sa famille, ou à des associations d'aide à l'enfance, travaillant avec l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), service du conseil général du département. Ce placement est d'une durée maximale de deux ans, mais peut être renouvelé par le juge, jusqu'aux dix huit ans de l'enfant.

C'est précisément au cours d'une audience de renouvellement d'une mesure de placement chez des tiers (les grands-parents de l'enfant concerné) que l'agression a eu lieu.

Cette audience a lieu en cabinet, c'est à dire dans le bureau du juge. Il s'agit d'affaires concernant la vie privée de mineurs, elles ne sont pas publiques. Chaque partie, y compris l'enfant s'il le désire, peut être assistée d'un avocat, mais ce n'est pas obligatoire. A chaque audience doivent être convoqués : le ou les parents de l'enfant exerçant l'autorité parentale, l'enfant s'il est en âge d'exprimer son avis (Convention internationale des droits de l'enfant oblige), l'ASE, et celui à qui l'enfant est confié. Le cas échéant s'ajoutent les avocats des parties et les tuteurs d'une des parties. Un débat a lieu où chacun fait le point sur le déroulement de la mesure, donne son avis sur sa prolongation, sa modification ou sa fin. Le juge rend ensuite sa décision, généralement immédiatement.

Ajoutons que théoriquement, la présence d'un greffier est obligatoire, mais cela fait longtemps que les juges des enfants n'ont plus de greffier dans leur bureau, faute de personnel.

L'agression a donc eu lieu dans un bureau, où la seule chose qui protégeait le magistrat était sa table de travail. Et un avocat, qui a tenté de s'interposer, à en croire les dernières dépêches Reuters. Il n'y avait pas de policier dans le bureau, il n'y en a jamais dans les cabinets de juge des enfants. Même pour les audiences pénales.

Le budget de la Justice en France représente 2,34% du budget de l'Etat, ce qui inclut les prisons, ce qui nous place en 25e place de l'Union européenne, devant la Slovénie et la Roumanie.

Communiqué de l'Union Syndicale des Magistrats à la suite de l'agression de Metz

Paris, le 5 juin 2007

L'USM apprend avec consternation et révolte l’agression dont vient d’être victime un de nos collègues juge des enfants à METZ, poignardé dans son bureau par un justiciable.

Cet acte d’une violence extrême fait suite à l’agression subie le 31 mai 2007 par une juge des enfants du Tribunal de Montargis, molestée et insultée dans son bureau.

Ces agressions répétées sont malheureusement révélatrices de la situation de la Justice en France.

Sans cesse contestés dans leur action quotidienne, confrontés à une situation matérielle, notamment en matière de sécurité, indigne d’un grand pays, les magistrats se trouvent dans l’incapacité d’exercer leurs missions.

L’USM exige aujourd’hui comme hier après l’intolérable agression subie par une greffière du TGI de Rouen, brûlée vive dans son bureau en septembre 2005, un plan d’urgence de sécurisation des juridictions.

A défaut, l’USM appellera les magistrats à exercer leur droit de retrait, partout ou les conditions de sécurité ne seront pas remplies.

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