Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Magistrats en colère

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jeudi 23 octobre 2008

Et la PJJ ?

Par Antoine, éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), auxiliaire du juge des enfants chargé de la mise en place et du suivi des mesures d'assistance éducative et de l'encadrement des jeunes suivi par le juge.


Educateur à la PJJ, je tiens à commencer par vous remercier de la haute idée que vous vous faites de notre travail («...indispensables auxiliaires des juges des enfants. Ils sauvent des milliers de destins de jeunes mineurs chaque année ; et des vies aussi ,sans doute »). Car enfin, par les temps qui courent, on en vient à se demander à quoi l'on sert.

Je m'explique.

Alors que la PJJ est, depuis quelques années, entraînée dans une mutation sur fond d'instrumentalisation politicienne de la délinquance des mineurs, mutation accélérée par les derniers gouvernements, disons depuis 2002, notre identité est menacée et nos moyens, à mon sens, s'éloignent des besoins. Pour faire simple car le sujet est vaste et complexe, le traitement actuel de la question de l'enfance délinquante fait peu de cas des problèmes de fond qui y sont liés et, en particulier, la souffrance de ces jeunes, leur difficulté d'insertion sociale et professionnelle tout en nous transformant petit à petit en simples agents de contrôle social.

La création des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs coûtent très cher en personnels, en moyens matériels, en ressources financières et, n'en déplaise à la propagande, se font au détriment des dispositifs existants, déjà largement insuffisants.

Cette politique autoritaire sur le fond autant que sur la forme est certainement vouée à l'échec et les récentes affaires de suicide de mineurs en détention, au lieu d'être considérés comme des signaux d'alarme, ne servent qu'à l'accélerer un peu plus. C'est de l'inconscience et de l'irresponsablilité.

Je crains que le problème ne dépasse l'inconséquence pourtant patente de notre ministre mais m'associe de tout coeur à toute forme de résistance à son action.

Vous m'excuserez de ne pas argumenter d'avantage mon propos (cela nécessiterait de longues explications du contexte, des exemples, etc.) mais sachez que, pour être tous les jours au contact de ces gamins et pour connaitre leur douleur, je suis indigné par le manque d'humanisme et d'humanité dans laquelle on engage la PJJ.

Semaine classique dans un tribunal

Par la Biscotte, juge d'instruction… entre autres. Les notes de bas de page sont d'Eolas.


Lundi après-midi, audience correctionnelle à juge unique... 34 dossiers à juger, moyenne habituelle…

Petit calcul : l'audience commençant à 13h30, mettons 20 mn par dossier tout compris (exposé des faits, audition du prévenu, éventuellement de la victime, de son avocat, réquisitoire du parquet, plaidoierie de la défense), ça nous mène à.... euh...680mn, donc euh.. plus de 11h d'audience ? Finir à minuit et demi, ça va pas être possible là…

Bon, tant pis, je vais renvoyer des dossiers d'office : les gens seront pas contents d'être venus et d'avoir attendus pour rien, mais je ne peux décemment pas continuer à les juger passé une certaine heure…

Hein ? La circulaire Lebranchu fixant la durée maximale des audiences à 6h ? Bah oui, mais vu le stock des dossiers en attente et le manque de magistrats et greffiers, si je l'applique concrètement cette circulaire, je vais me faire appeler Arthur par ma hiérarchie (mais gentiment hein, je suis indépendante ! et ce sera aussi gentiment inscrit dans mon dossier…) Passons…

Mardi : CRPC[1], aussi appelée “ plaider coupable ”. C'est nouveau ça, plus d'audience, ça se passe en catimini entre le procureur et le prévenu, puis devant le “ juge homolagateur ”…à savoir bibi.

Bon, les peines proposées sont pas celles que j'aurais appliquées à l'audience, mais bon, si je refuse d'homologuer trop de peines, ça va repartir dans le circuit classique des audiences correctionnelles (voir plus haut). Bon, puisque le prévenu est d'accord pour cette peine, homologuons…

Tiens, une loi va sortir pour permettre au juge homologateur de fixer une peine moins lourde que celle proposée par le parquet…

Euh...ils nous réinventent l'audience correctionnelle là ?? La publicité et le débat en moins…

Passons…

Mercredi : l'instruction (et oui, c'est ma fonction principale).

Bon, étant arrivée en poste au moment de l'affaire Outreau, on peut pas dire que je suis vraiment sereine mais bon…

En même temps, plus ça va, moins le procureur en ouvre, des informations judiciaires[2]. Faut dire, ça coûte cher l'instruction, et on a plus d'argent !

Bon, les affaires sont quand même jugées, hein, mais beaucoup plus vite, on va dire. C'est vrai que le problème, c'est qu'à l'audience, les juges ont un peu de mal à savoir réellement ce qui s'est passé, les policiers n'ont pas eu le temps de faire les vérifications, y'a pas eu de confrontations, et on sait rien de la personnalité du prévenu et de sa victime.

Mais bon, le type reconnaît les faits, il est en récidive, il encourt 3 ans de peine plancher, les juges sont un peu coincés là.

Et puis moi, je suis dans un tribunal qui n'a pas eu la chance d'être “ pôle de l'instruction ”, ça veut dire que je ne m'occupe plus des affaires criminelles.

Les enquêteurs sont pas ravis, leur juge d'instruction se trouve maintenant à plus de 100 km d'eux. Pas facile pour travailler en équipe sur ce coup-là…

Les victimes ne sont pas ravies non plus : elles ont pas les moyens de payer le train pour être entendues par le juge d'instruction.

Le juge en question est pas ravi non plus : il avait déjà un cabinet surchargé, et maintenant il doit s'occuper de mes dossiers en plus !

Passons…

Jeudi : Rachida Dati sur France 2. Je sais bien que je ne devrais pas regarder mais bon… Et je ne suis pas déçue, la nausée est à la hauteur du discours de la Garde des Sceaux.

Que de mensonges, que de démagogie, c'est du grand art ! Et ça fonctionne, hélas…

A l'entendre, tout va bien, sa politique pénale est formidable, et nous autres, pauvres magistrats, ne savons que nous plaindre, et refusons de nous moderniser !

Bah, moi, je voudrais bien me moderniser ! Par exemple, quand mon fax est tombé en panne, j'ai tout de suite alerté le greffier en chef pour en avoir un nouveau. Bon, je l'ai eu, j'ai juste dû attendre 4 mois (pour info, le fax à l'instruction, c'est vital, pour recevoir notamment les demandes de mise en liberté des détenus).

Passons…

Vendredi : Comparutions immédiates.

Là, c'est la justice expéditive : en 48 h de moyenne, le type passe de la case arrestation à la case prison, sans toucher 20 000 francs ! Les victimes ont rarement le temps de se préparer (quand elles ont eu la chance d'être prévenues de l'audience), et le tribunal dispose que de très peu d'infos sur le prévenu.

Aïe, il est en récidive, d'où peine plancher applicable.. 3 ans de prison, ça fait beaucoup, non, pour un vol de CD à Carrefour avec un copain ?

Le pauvre substitut est quand même obligé de la requérir, il n'a pas envie d'être convoqué place Vendôme, sinon !

Hein? Le suicide du mineur incarcéré ? Bah oui, là, il aurait fallu être moins sévère apparemment.

C'est quoi déjà les symptômes de la schizophrénie ?

Passons…

Ou plutôt non, tiens, ne passons pas, ça fait un bail qu'on passe, et c'est de pire en pire !

Jeudi, j'irai manifester avec les collègues.

Si l'actualité est calme ce jour-là, on aura peut être quelques échos dans la presse.

Notes

[1] Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité.

[2] Synonyme d'instruction judiciaire.

Un magistrat du tribunal de grande instance d'Annecy

Des locaux inhumains dans une ville à taille humaine.

Pas de possibilité d'ouvrir une fenêtre! Il faut un laisser-passer pour y circuler[1] ; des salles d'audience à l'accoustique… aléatoire ; des moquettes dans les bureaux, bonjour les allergies ! Des ascenseurs qui s'arrêtent, des lumières qui s'éteignent après 21h........

Et j'en passe.......

Notes

[1] Le nouveau tribunal de grande instance de Pontoise fonctionne sur ce principe là, au nom de la « sécurité ». Idéal pour tuer un palais et e nfaire un endroit aussi froid qu'une morgue. Note d'Eolas.

Monsieur F.

Par T.I., seul juge d'un petit tribunal d'instance


Je voudrais tout d’abord remercier l’hôte de ces lieux, Maître Eolas.

En ouvrant les colonnes de son blog aux juges, il leur fait un cadeau inestimable.

Il leur offre la parole pour parler d’eux, y en a que cela intéresse, paraît-il..

J’ai longuement réfléchi aux termes de ma contribution : quoi écrire qui ne rebute pas les lecteurs de ce blog, quoi dire sur les conditions d’exercice de ce métier qui ne soit pas tout de suite pris pour du corporatisme parce que l’on défend la nécessaire indépendance du juge, car taper sur l’arbitre n’a jamais arrangé les choses même si cela soulage les supporters.

Comment s’exprimer sur les évolutions législatives récentes, sur les peines planchers qu’il nous faut bien appliquer, comment faire comprendre la difficulté de dire le droit, d’appliquer la loi en fonction des individus que l’on a devant nous, comment faire partager aux lecteurs de ce blog, cette évidence : ceux que l’on jugent sont nos semblables, des hommes et des femmes avec leurs histoires particulières, qu’il faut prendre en compte et non des monstres qu’il faut exclure de la société.

Alors comme décidément, je ne sais pas parler de moi, je vous invite à entendre l’histoire de Monsieur F.

J’ai vu Monsieur F. pour la première fois lors d’une audience de conciliation avant saisie des rémunérations.

Il avait contracté un crédit pour acheter des meubles, il venait de s’installer dans un nouveau logement.

Il travaillait en qualité de chauffeur de bus, pour la compagnie de transports municipaux, un emploi stable et sûr, un salaire de 1500 €, marié, deux enfants à charge, 5 et 2 ans, me dit-il avec de la fierté dans la voix.

Il peut payer à hauteur de 150 € par mois, l’huissier de justice est d’accord.

Il est sorti, soulagé d’éviter la saisie, droit comme un i, la tête haute.

Je l’ai revu en surendettement.

Il a eu un troisième enfant, a voulu changer de voiture, a pris un crédit bail pour un véhicule dit familial.

Il n’est pas arrivé à respecter les mensualités ni du premier prêt ni du crédit auto ni de tous les autres, sollicitant la mise en place de mesures recommandées, contestées par un des créanciers.

Puis, je l’ai vu en audience civile, son propriétaire demandait son expulsion pour impayés de loyer, il a perdu son travail me dit-il, il n’a pas pu faire face.

Sa femme l’accompagnait, un regard inquiet, avec son dernier né.

Un jour d’été, en audience correctionnelle, en comparution immédiate, la porte s’est ouverte sur Monsieur F., menotté, tenu à la laisse[1]. par les policiers d’escorte.

Il comparaissait pour tentative de vol, en récidive : une dame cherchait des billets au distributeur, il les a arrachés.

A son casier, figurait déjà une condamnation pour abus de confiance[2].

Il donnait des tickets périmés aux clients de son bus qui payaient en espèces, gardant ainsi l’argent du voyage.

Son employeur, la régie municipale, l’a licencié pour faute grave, sans indemnité.

Il avait la tête baissée, pas rasé, sortant de garde à vue, avec des habits fripés, ne contestait pas l’infraction, ne disant pas grand chose.

J’ai croisé pour la dernière fois Monsieur F, dans le couloir glacial du Tribunal, il m’a tiré par la manche, « je suis convoqué, je voulais vous donner ceci », me dit-il en me tendant un papier, amaigri, les yeux fuyants, le dos voûté, aussitôt enfui.

C'était une lettre destinée à mon collègue juge aux affaires familiales.

Sa femme venait de le quitter et demandait le divorce.

Notes

[1] Il s'agit d'une paire de menottes reliée à une chaîne d'environ 50 cm, tenue par l'escorte, qui a l'air de promener le prisonnier en laisse. NdEolas

[2] La loi assimile, pour la récidive, les délits de vol, d'extorsion ,de chantage, d'escroquerie et d'abus de confiance (art. 132-16 du Code pénal). Ici, l'abus de confiance constitue le premier terme de la récidive, le vol, le second. Les peines planchers sont applicables, Monsieur F. encourt 6 ans de prison, avec un plancher d'un an minimum. NdEolas.

« Je suis un très très vieux petit juge dans un très très grand palais…»

Par Désiré.


Je suis un très, très vieux petit juge dans un très, très grand palais.

Je laisse à mes jeunes collègues le soin de vous décrire par le menu l'indigence de nos conditions matérielles et nos longues parfois très longues nuits de folie quand à 1 heures du matin vissés sur nos fauteuils (un grand mot) depuis la veille 14 heures nous pensons qu'il faudrait vite en terminer, histoire de pouvoir voler (vilain mot) deux heures de sommeil avant de recommencer à 9 heures du matin…

Non tout cela serait presque anecdotique, voire misérabiliste, voire corporatiste de la part de nantis…

En ce jour béni du 23 octobre, le vieux, très vieux juge qui tout les jours rend la justice « au nom du peuple français » pousse un cri :« STOP ! ».

Nous ne pouvons plus être jetés en pature aux médias mais surtout à ce peuple français pour tout et n'importe quoi : quand nous ne mettons pas en prison, quand nous mettons en prison, alors que nous faisons uniquement notre travail.

Chaque justiciable, chaque citoyen qui a eu un jour afffaire à la justice a pu avoir l'occasion de s'en plaindre (ne serait ce que pour un divorce difficile, ou un PV de stationnement contesté).

J'en suis bien conscient et je suis prêt à fournir toute explication utile, voire en cas de bévue à en assumer les conséquences.

Mais si au gré de la vox populi (s'agit-il bien d'elle d'ailleurs?) et pour lui… plaire, je dois passer des nuits à répondre à d'autres juges (nos bœufs-carottes sont aussi des juges) voire à produire des attestations de bonne conduite à mon ministère, je pense que la coupe va être pleine.

Une société a les juges qu'elle mérite et le vieux, très vieux juge songe à la retraite…

La Justice, "une conception bâtarde"?

Par Jojo, ancien assistant de justice affecté à un parquet de la grande couronne parisienne.


Avertissement d'Eolas : Ce billet vous propose de méditer sur les propos d'un magistrat en une période plus troublée de notre histoire. L'origine et l'auteur de ce texte sont donnés dès le début ; mais d'ores et déjà, je précise, pour ne pas parasiter la lecture, que l'auteur de cette contribution n'a absolument pas l'intention d'effectuer ou d'insinuer un quelconque parallèle entre les circonstances historiques d'alors et d'aujourd'hui ; mais de constater qu'il est des pressions et des résistances à cette pression depuis fort longtemps.


Extrait d'un rapport[1] du procureur général d'Alger du 3 décembre 1940 au représentant du gouvernement[2].

« IV - Indulgence due au manque de hardiesse des poursuites.

Cette partie de la critique de la Justice est la plus délicate à exposer, et les remèdes à proposer sont d'ordre essentiellement politique et même constitutionnel.

Nous vivons sous le régime de la séparation des Pouvoirs ; le pouvoir judiciaire devrait, en principe, être totalement indépendant des deux autres pouvoirs. Qu'est-ce que cela signifie? Que le magistrat devrait avoir une situation morale et matérielle telle qu'il n'aurait rien à redouter ni à attendre des autres pouvoirs de l'Etat ; et que tout changement, avancement, décoration, ne devrait pas être le fait d'un autre des trois Pouvoirs.

La réalité est toute autre ; depuis longtemps le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont pénétré dans le domaine judiciaire qui ne garde que théoriquement son indépendance. Je ne crois pas qu'aucun magistrat ait jamais pu accepter de poursuivre ou de ne pas poursuivre, de condamner ou d'absoudre à la suite d'un ordre reçu. Un magistrat juge, il n'obeit pas.

Je crains, par contre, que l'intrusion de plus en plus grande du pouvoir administratif dans le judiciaire n'ait incité, indirectement, certains magistrats à une circonspection excessive. Il ne fallait pas d'"histoire", le moindre faux pas, même assorti de la plus absolue probité morale, était imputé à faute à un magistrat instructeur ; les inculpés de marque trouvaient pour les défendre des voix puissantes et haut placées.

Le remède à trouver est d'ordre essentiellement politique, au sens le plus grand et le plus noble de ce mot. Il ne peut être question dans ce court rapport, d'effleurer même le problème.

Qu'il me soit permis de dire cependant qu'à mon sens deux seules conceptions doivent rester en présence, et que c'est entre elles qu'il faut choisir :

1° Ou bien on maintiendra le principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire, en en faisant une réalité absolue et en écartant soigneusement du magistrat toute pression directe ou indirecte, d'où qu'elle vienne.

2° Ou bien on "intégrera" complètement la Justice dans le Gouvernement de la Nation, et elle deviendra une Administration comme les autres, dirigée et animée par le Pouvoir Central.

Mais ce qui ne doit plus subsister, c'est la conception bâtarde qui existait depuis trop longtemps : celle d'une justice théoriquement indépendante, mais qui, en fait souffrait de l'intrusion à peine voilée de l'exécutif et du législatif, et qui dépendait d'eux trop souvent.

Quelque soit le statut de la Justice de demain, j'estime que le point essentiel de son organisation est celui de son recrutement. Il est indispensable que le magistrat ait des connaissances générales fort étendues, et qu'il ait la "foi" dans sa fonction.

Jadis il pouvait suffire, pour être magistrat, d'être un bon juriste ; ce n'est plus suffisant ; le magistrat ne doit pas s'abstraire de la Société, et doit avoir le cerveau assez riche de pensées et de culture pour pouvoir comprendre et juger sainement les problèmes divers que posent les grandes transformations sociales et économiques du Monde moderne ; la vie, en effet, n'attend pas, c'est à la pensée juridique à savoir la suivre. (...) »

Notes

[1] L'oroginal de ce document est conservé aux Archives Contemporaines Nationales, site de Fontainebleau.

[2] Il s'agissait du Général Maxime Weygand, Délégué général du Gouvernement en Afrique française.

Un juge des enfants

Par Justice, juge des enfants, en charge des dossiers de mineurs en danger (Assistance éducative, placement en foyer,…) et de mineurs délinquants (il préside le tribunal pour enfants qui seul peut prononcer des peines d'emprisonnement — qui coquin de sort sont parfois les mêmes. Il exerce ses fonctions dans un tribunal de taille moyenne.


Je suis Juge des Enfants. Merci d'offrir votre blog comme espace de discussion à l'occasion de notre journée de mobilisation.

Je crois que vous avez bien résumé la situation :

- les magistrats manifesteront non pas pour des avantages quelconques mais pour garantir leur statut indépendant, c'est à dire garantir au citoyen l'accès à une justice juste et équitable car à l'abri des pressions de toute sorte.

- les magistrats ne sont pas habitués à ces manifestations qui toutefois, faut-il le rappeler, se multiplient, signe d'un profond malaise dans la Justice.

Personnellement, je trouve désormais dérisoire de se montrer uniquement devant notre palais de justice pendant quelques minutes alors que les attaques contre notre statut sont de plus en plus fréquentes. J'attends des actions plus symboliques et de plus grande ampleur, à la hauteur des attaques incessantes dont nous sommes l'objet ...

La justice n'est pas parfaite. Ses erreurs, ses quelques dysfonctionnements parfois ne doivent pas cacher la mission essentielle qui est la sienne au quotidien et qu'elle remplit de manière satisfaisante.

La justice se trompe alors il faudrait sanctionner le juge, entend-on régulièrement.

Il faut bien comprendre que le régime disciplinaire ou de responsabilité du juge ne peut pas être le même qu'un chef d'entreprise, d'un médecin ou d'un fonctionnaire.

Evidemment, si la faute est grossière, je suis le 1er à dire qu'elle mérite sanction. Mais qu'est-ce qu'une erreur grossière par rapport à une décision motivée qui va être infirmée (c'est à dire réformée) par une Cour d'Appel ? ou une décision qui va être "jugée" au regard d'éléments appris postérieurement ? Nous voyons déjà qu'il y a matière à interprétation et que le risque est grand de vouloir sanctionner un juge dont la décision aura uniquement été "cassée" par une juridiction supérieure, en raison d'un autre raisonnement juridique (de droit ou de fait).

Croyez bien que nous nous sentons extrêmement responsables de nos décisions et que certaines nous hantent des jours voire des mois entiers.

Je suis juge des enfants et tous les jours je dois trancher : dois-je laisser l'enfant dans sa famille ou dois je le retirer à ses parents ? Tous les jours, je suis confronté à des situations inédites et douloureuses. Jamais je ne peux reprendre une même décision. Je dois écouter, peser les arguments des uns et des autres et prendre une décision. Je vois des gens de bonne foi ; je vois aussi souvent des gens qui mentent. Comment parfois faire la différence ?

C'est votre boulot, allez vous dire ? C'est exact mais c'est ici que vous allez comprendre que l'erreur est possible. Je suis juriste, pas voyant.

Je me souviens particulièrement de cette petite fille de 8 ans qui m'affirmait avoir été maltraitée par sa mère, en donnant des détails (il y a quelques mois, on aurait dit qu'elle était "crédible"). Son père lui même fournissait des photographies montrant les blessures de sa fille, qu'il avait récupérée un week-end pour son droit de visite. Il demandait son placement.

Je n'ai pas placé l'enfant chez lui parce que beaucoup de détails me semblaient troublants. Quelques jours plus tard, j'apprenais finalement que tout avait été "monté" par le père. Les photos étaient falsifiées. La petite fille si sincère avait menti.

J'ai pris un risque considérable mais calculé. Je n'ai pas pris une décison sur un coup de tête par un instant de folie. Non, j'ai pesé tous les éléments (forcément très partiels en plus) qui m'étaient fournis, j'ai beaucoup réfléchi et j'ai statué.

Si demain, parce que les attaques dont nous sommes l'objet continuent, si notre responsabilité s'accroie (notamment avec la saisine du CSM par les citoyens), il y a un risque évident pour que, dans une telle situation, chacun se "couvre".

La décision évidente (vue de l'extérieur) et la moins risquée pour moi était le placement chez le père ...

Si jamais je m'étais trompé, si jamais un drame s'était produit après ma décision, comment aurais je pu en effet m'expliquer ? J'aurai pu m'expliquer évidemment mais mes explications n'auraient pas été entendables quand on voit comment des commissions d'enquête entendent les magistrats ! On m'aurait dira "comment ça, vous n'avez pas placé cet enfant alors qu'elle vous disait qu'elle était maltraitée par sa mère et que son père vous montrait des photos" ?

Tout ceci pour dire combien rendre une décision est complexe et que la responsabilité du juge doit être très finement réfléchie, sous peine de la rendre dépendante : dépendante du politique, dépendante de l'émotionnel, dépendante des apparences, etc.

Ceci est un exemple personnel mais chaque magistrat peut donner le sien, en fonction de ses fonctions : c'est le cas du juge d'instruction, du juge de la liberté et de la détention, du juge d'instance, du JAF etc.

Je terminerai en évoquant cette affaire de Metz : un mineur se suicide en prison. C'est un drame.

Mais comment peut-on imaginer un seul instant que l'Inspection Générale des Services (qui dépend directement du Politique) aille interroger le Juge qui a rendu la décision ! Pourtant, cela est arrivé. C'est anormal.

Premièrement, une décision rendue par un tribunal pour enfants est rendue par un juge des enfants (le président) mais également par deux assesseurs (non professionnels). Alors, il va falloir commencer sérieusement aussi à s'interesser à eux puisque la loi ne nous laisse pas le choix. Nous devons (comme pour les Cour d'Assises) juger avec des non professionnels. Eux aussi sont responsables.

Deuxièmement, que demande-t-on comme explications au juge ? Pourquoi il a rendu cette décision ? Ce n'est pas possible ! Le juge n'a pas à fournir d'explication sur sa décision, qui est contestable par la voie de l'appel. Et encore moins à des agents dépendant directement du Politique.... Par ailleurs, les audiences ont lieu à huis clos et le secret des délibérés est absolu.

L'indépendance de la justice est en danger et nous le percevons (nous professionnels) depuis quelques mois.

Je ne suis pas sûr que le citoyen s'en aperçoive ; c'est pour cela que nous nous mobilisons [aujourd'hui] ...

Bonjuuuuur

Par Ondiraitlesud, vice-présidente de tribunal de grande instance, présidente de chambre correctionnelle.


Merci, Maître Eolas, de nous avoir ouvert votre blog....ou la boîte de Pandore ?

Je ne vais pas vous dire tout ce j'ai sur le coeur ; nous, magistrats, avons l'habitude de nous censurer, la loi nous l'impose. Toutefois, quelques observations en passant......

Trente ans, mesdames et messieurs, que j'exerce cette profession, les mains dans le cambouis.

Je ne perdrai pas mon temps à dire que je travaille beaucoup ; il y en a sans doute qui croient que je m'amuse, à présider des audiences correctionnelles interminables dans une petite (ou moyenne) ville de province.

A moi, cette ville paraît minuscule, entre les délinquants du cru, toujours les mêmes, les notables locaux, que je cotoie très peu, les journalistes de la grande presse régionale, et très peu de boutiques ouvertes après 19 heures.

Je n'insisterai pas non plus sur le machisme ambiant, les réflexions, le manque de considération.

Par exemple, tenez.... de la part des forces de l'ordre..le moindre substitut est appelé avec déférence : "Monsieur le Procureur". Moi, on me salue d'un vague bonjour, quand je passe dans les couloirs, les bras chargés de dossiers. Bonjuuuur.

Les plus polis, finalement, ce sont les délinquants ; les plus attachants aussi, peut-être ? (enfin, n'exagérons pas).

L'ordre règne ici, les gens n'hésitent pas à laisser leur porte ouverte, et se plaignent ensuite d'avoir été cambriolés ; De même, ceux qui laissent chéquier, carte bleue, papiers d'identité dans leur véhicule. Nous aurions moins de travail si vous étiez plus prudents, chers concitoyens.

Un bon moyen de combattre la délinquance et limiter la récidive, non ?

Bonjuuuur à tous.

mercredi 22 octobre 2008

Mobilisation du 23 octobre : le compteur.

À la suite de mon invitation de vendredi à écrire des textes destinés à être publiés ici le 23 octobre, pour permettre aux magistrats de témoigner de leur exercice au quotidien et de dire directement aux citoyens ce qui ne va pas selon eux, je crée un billet-compteur pour vous informer d'où on en est. Parce que pour le moment, on est loin de la mobilisation.

Le compteur est donc, à l'heure de ce billet, de 6 contributions.

Magistrats, êtes vous timides ? Résignés ? Timorés ? Ou tout va-t-il pour le mieux dans la meilleure des justices ?

Mises à jour à suivre.


Compteur à 40 billets.

J'ai un code rouge qui me tombe dessus, le compteur ne sera pas réactualisé avant ce soir.


52 billets, score final.

Je me reconnais pleinement dans le ras le bol de Lulu…

Par Z_Julien, juge d'instance


Je me reconnais pleinement dans le ras le bol de Lulu et je voudrais ajouter ma touche personnelle ; je suis magistrat moi aussi.

Concrètement je suis seul comme magistrat dans mon tribunal d'instance et pour dire le besoin de justice auquel je dois répondre (parce que c'est cela qui prime) j'indique simplement que j'ai la charge de plus 1300 dossiers de tutelles et que j'examine à l'audience plus de 1200 affaires civiles chaque année c'est à dire que j'ai autant de décisions à rédiger et à rendre (que Gaetan B se rassure, je tape mes décisions moi-même comme la quasi unanimité de mes collègues magitsrats !) ; je n'évoque donc pas l'activité pénale, les injonctions de payer ou les saisies des rémunérations.

Ces données correspondent grosso modo au double de la charge moyenne d'un juge d'instance.

A l'expérience, je me permets d'émettre l'opinion qu'un temps plein de travail permet de traiter normalement et avec diligence cette charge moyenne. C'est normal, un juge est payé par l'Etat pour satisfaire le besoin de justice ... De façon peut-être un peu réductrice, je propose l'image suivante : le juge est un agent de production de décisions de justice qui tendent à la satisfaction de la demande de justice. Les moyens alloués aux cours et tribunaux, qui sont les lieux de production des décisions de justice, doivent tendre à ce que ces décisions soient de bonne qualité, pour que le service attendu soit effectivement rendu, et qu'elle soient rendues dans des délais raisonnables. Pour résumer, on pourrait dire : le besoin de justice crée une demande qui doit être satisfaite par les juges. Cependant le service de la justice remplit une fonction telle qu'il doit échapper au marché et à l'entreprise ; c'est donc un service qui relève traditionnellement et nécessairement de l'Etat car il concourt directement au bien public, à la paix sociale en l'occurrence. En effet, le service de la justice fait prévaloir le droit sur les rapports de force, l'intérêt public sur les intérêts partisans. Ce n'est donc pas un service que l'on peut appréhender comme n'importe quel service marchand pour qui la recherche du meilleur rapport qualité prix est une optique possible.

Telle sont les données que je prends en compte pour faire mon job et ce, au delà de mes compétences juridiques. En ce qui me concerne, ma conscience professionnelle fait que je veux satisfaire l'attente de justice dans les contentieux dont j'ai la charge car si le besoin de justice qu'ils expriment n'est pas satisfait, je sais que les facteurs de désordres et d'injustice vont se multiplier. Par exemple laisser se constituer des stocks de requête en matière de tutelles accroît le risque d'atteintes aux personne vulnérables, laisser se constituer des stocks d'ordonnance pénale accroît le sentiment d'impunité en matière de circulation routière, laisser se constituer des stocks en matière d'impayés locatifs accroît le risque d'explosion des mêmes impayés ...

Donc j'ai conscience qu'il faut satisfaire coûte que coûte la demande de justice ... le problème c'est que les moyens alloués à l'exécution de la mission ne suivent pas et qu'un magistrat lambda doit des fois supporter la charge de travail de deux ... c'est d'actualité pour moi aujourd'hui, mais c'est un risque manifeste pour demain où les magistrats devront avoir une productivité largement supérieure à celle d'aujourd'hui d'une part par ce que certains contentieux explosent, et d'autre part parce que, nous le savons, il n'y aura plus de créations de postes.

Mon impression est la suivante : je fais face en travaillant avec acharnement et les semaines de 50 heures sont un minimum ; je fais face aussi en adoptant des méthodes de travail génératrices de gains de productivité (trames) ; je fais face aussi avec le pis aller de l'aide à la décision qui n'est ni plus ni moins qu'une délégation de la fonction judiciaire à des fonctionnaires (cela dit, elle est nécessairement limitée !)

C'est grâce à cela que je parviens à satisfaire la demande de justice et concrètement à faire quasiment le job de deux magistrats à temps plein.

Et aucun indicateur du fonctionnement de la juridiction n'est en rouge : aucun stock ne se constitue, aucun délibéré n'est tardif. La hiérarchie dirait "tout est ok !"

Mais moi, je me pose deux questions : est-ce que l'on peut attendre de tous les magistrats cela ? est-ce qu'il n'y a pas un coût à ces pratiques productivistes ?

Et j'y réponds.

Non on ne peut pas attendre cela de tous les magistrats car, honnêtement, je frise l'addiction au travail et je ne le souhaite à personne ; la vie de famille existe aussi, le développement personnel aussi et on n'est pas obligé de tout sacrifier pour être un magistrat pertinent dans son boulot !

Et puis il reste la question du coût de cette productivité ?

Ne révons pas ! quand on délègue, la réponse n'est plus individualisée autant que cela serait possible ; nous connaissons, nous, les possibilités offertes par la loi, pas nos auxiliaires qui interviennent en aide à la décision. Ils exécutent nos instructions uniformes qui correspondent à des conduites à tenir dans tels et tels cas !

Ne rêvons pas ! quand on utilise des trames à outrance pour réduire à 30 minutes, le temps moyen d'élaboration d'une décision (c'est déjà pas mal et c'est nécessaire quand on a 1200 jugements à rendre), le processus décisionnel consiste à choisir la solution entre les options proposées dans les trames ... et toute variation augmentant la durée de traitement, on évite de "sortir de la trame" bien sûr. De ce fait on individualise moins en se privant de faire usage de toutes les possibilités offertes par la loi. Mais ce n'est pas tout ! on "sélectionne" aussi les affaires pour lesquelles on va passer deux heures ou plus à rédiger un jugement sur-mesure et de fait le taux ne doit pas excéder 10 %.

Ce que je veux dire, c'est que pour être performant dans un système judiciaire productiviste, j'ai dû délaisser nombre de mes pouvoirs de juges et quand une pile de dossiers a été traitée, je ne me dis pas "c'est un chouette boulot" , je me dis "j'ai fait ce que j'ai pu" avec amertume d'ailleurs car je sens bien que si j'avais pu utiliser tous mes pouvoirs de juge, j'aurai mieux individualiser les réponses, c'est-à-dire qu'elles ne seraient pas systématiques mais choisies pour chaque chef de demandes.

Et le fait que le taux d'appel de mes décisions soit vraiment bas (moins de 3 %) ne me rassure pas pour autant ; il traduit plutôt l'idée que mes trames sont assez bonnes et que les motifs stéréotypés qui y figurent suffisent à convaincre le plus grand nombre.

Mon sentiment est que cette logique productiviste peut nous faire perdre notre âme en nous plaçant dans l'optique de la recherche du meilleur rapport qualité-coût ... Or juger ce n'est pas cela !

Il me semble que j'ai fait les bons choix, en tout cas, les meilleurs que je pouvais car il n'est pas question de laisser se constituer des stocks et de ne pas répondre au besoin de justice, mais j'ai de l'amertume : juger c'est autre chose que gérer des flux ! Moi, j'ai l'impression que je traite mes contentieux à l'aune des flux dont ma juridiction a la charge !

lundi 20 octobre 2008

23 octobre

Par Lulu, juge d'instruction et nouveau colocataire à plein temps de ce blog.


Parce que je ne suis pas devenue juge pour ça.

Parce que je suis devenue magistrate pour juger, au nom du peuple français, y compris si cela signifie condamner et envoyer quelqu'un en prison, pas pour entasser six détenus dans une cellule de 14 mètres carrés, où ils devront faire leurs besoins devant les autres.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour répondre aux attentes schizophréniques des citoyens, qui veulent plus de sécurité donc plus de détention provisoire, mais pas d'innocents en prison donc moins de détention provisoire.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux mis en examen détenus dans des dossiers criminels qu'avec un peu de chance et pas d'imprévus, ils seront jugés par la Cour d'Assises dans deux ans. Ou trois.

Parce que je suis devenue juge pour accueillir les justiciables dans des conditions correctes, pas dans des salles d'audience où il pleut les jours de mauvais temps.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux experts qui travaillent soirs et week-end pour déposer leurs rapports à temps qu'ils ne seront pas payés avant l'année prochaine, le budget frais de justice étant épuisé.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour jouer les medium; parce que je ne suis pas capable de deviner si ce justiciable va se suicider ou si ce condamné au comportement apparemment modèle va récidiver.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire le lundi que j'incarcère trop, le mardi pas assez, le mercredi trop... et ainsi de suite en fonction du fait divers du jour et des tendances de l'horoscope.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour faire le dos rond, en espérant que la prochaine fois encore, la tempête médiatique s'abattra sur le collègue du bureau d'à côté.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour que les décisions des juridictions pour mineurs ne soient pas exécutées, faute d'éducateurs pour prendre en charge les enfants.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour refuser de facto aux avocats les copies de dossiers auxquelles ils ont droit, parce qu'il n'y a pas de personnels en nombre suffisant pour faire ces copies.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour mener les audiences correctionnelles à marche forcée afin que le dernier dossier soit examiné avant 22 heures.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour indiquer aux gens, victimes ou prévenus, que faute de fonctionnaires de greffe, les jugements les concernant ne seront pas frappés et signés avant 3 mois (si tout va bien).

Parce que je suis devenue juge pour rendre les décisions que je crois justes, pas pour rendre les décisions les plus susceptibles de me protéger si les choses devaient mal tourner.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour que les peines que je prononce ne soient pas exécutées.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire par un justiciable qu'il n'a pas d'avocat, car il ne peut en payer un et parce qu'il est "trop riche" pour prétendre à l'aide juridictionnelle même partielle.

Parce que je m'angoisse en me demandant si le texte que j'applique est bien le bon, ayant du mal à suivre la valse des textes législatifs et réglementaires.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour dire aux gens qui veulent divorcer qu'ils peuvent prendre date pour dans 6 mois (si tout va bien).

Parce que je suis devenue juge en acceptant d'assumer mes responsabilités, pas pour être moins bien traitée que n'importe quel citoyen si la société veut me demander compte de la façon dont j'ai travaillé.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour m'entendre dire par les services enquêteurs qu'ils ne pourront pousser plus loin cette enquête sur ce gros trafic de stupéfiants, car il n'y pas plus d'argent pour payer les déplacements des enquêteurs.

Parce que je suis devenue juge pour aménager les peines, dans l'intérêt de la société et du condamné, pas pour remettre dehors des gens mal préparés à la liberté au prétexte qu'il faut désengorger les prisons surpeuplées.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour être aimée, mais que je souhaite au moins être respectée, y compris par ceux qui sont chargés de veiller au devenir de l'institution judiciaire.

Parce que je ne suis pas devenue juge pour servir de bouc émissaire à nos politiques, qui préfèrent se défausser sur nous des conséquences dramatiques du budget de misère qu'ils nous votent chaque année.

Parce que j'aime passionnément ce métier.

Et parce que j'en ai assez.

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