Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 15 juillet 2009

Appel dans l'affaire Halimi : la faute de MAM

Ainsi, à la demande de la famille d'Ilan Halimi, le Garde des Sceaux a demandé au parquet de faire appel du verdict dans l'affaire Fofana. Cela a surpris plusieurs de mes lecteurs qui m'ont écrit pour me dire leur étonnement face à cette ingérence du pouvoir politique dans les affaires de la Justice.

C'est qu'évidemment, à force d'entendre les politiques esquiver toute question qui les dérangent ayant trait avec la justice en invoquant la séparation des pouvoirs et une mystérieuse prohibition de commenter l'action de la justice, on est surpris quand, l'opportunité politique l'exigeant, ils s'en affranchissent avec la même vigueur qu'ils l'invoquaient la veille.

Le Garde des Sceaux est tout à fait dans son droit. Ce qui ne veut pas dire qu'elle a raison.

Rappelons donc les règles de l'appel en matière criminel.



Première règle : l'appel n'est possible qu'une fois.

La loi prévoit qu'une cour d'assises d'appel statue alors, la différence étant qu'elle est composée d'un jury de 12 jurés au lieu de 9, les règles de majorité pour les votes de culpabilité changeant aussi (8 voix en première instance, 10 voix en appel, mais le seuil reste strictement le même : deux tiers des voix). Le verdict de la cour d'assises d'appel ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation. Ça aura son importance dans notre affaire, vous allez voir.



Deuxième règle : chacun fait appel pour ce qui le concerne.


Il y a trois parties (au sens de partie prenante, acteur) au procès : deux obligatoires et une facultative.

À tout seigneur tout honneur, le ministère public, sans qui on ne serait pas là. C'est lui qui est à l'origine des poursuites, et si l'affaire vient pour être jugée, c'est que l'instruction a renforcé sa conviction de la culpabilité de l'accusé. À l'audience, il est l'avocat de la société, qui seule a le droit de punir, doit se protéger des individus dangereux et sanctionner les comportements contraires à la loi. D'où son titre d'avocat général, par opposition à l'avocat particulier qu'est celui de la défense. Son rôle est de démontrer la culpabilité et de requérir la peine qui lui semble adaptée à la gravité du crime. Ce dernier point relève de sa totale liberté de parole. Là aussi, cela aura son importance. Évidemment, si les débats révèlent l'innocence de l'accusé, rien n'interdit à l'avocat général de requérir l'acquittement, et il est même de son devoir de le faire (Ce fut le cas lors du procès de Richard Roman en 1992, qui a vu un avocat général, Michel Legrand, qui porte bien son nom, initialement convaincu de la culpabilité de Roman, requérir l'acquittement après le spectaculaire effondrement du dossier à l'audience).

La défense ensuite, incarnée d'abord par l'accusé, et ensuite par son avocat. L'avocat de la défense est le contradicteur de l'avocat général. Selon les affaires, sa stratégie peut être soit de viser l'acquittement, en démontrant l'innocence ou du moins en instillant le doute dans l'esprit de la Cour, soit, si les faits sont établis et reconnus, de proposer une peine qui naturellement mettra en avant la réinsertion de l'accusé sur les considérations purement répressives.

Enfin, éventuellement, la partie civile, qui est la victime ou, dans le cas où celle-ci est décédée, ses héritiers (c'est le cas ici : Ilan Halimi étant décédé sans enfants, ce sont ses parents qui sont ses héritiers). Elle demande l'indemnisation de son préjudice, et pour cela doit comme indispensable préalable démontrer la culpabilité. Il n'est pas d'usage que la partie civile s'aventure sur le terrain de la peine à prononcer, prérogative du parquet, mais ce n'est pas formellement interdit.

Je dis que la partie civile est une partie éventuelle car rien ne l'oblige à se constituer partie civile, et parfois, il n'y en a tout simplement pas (ex : trafic de stupéfiant criminel).

Le parquet peut faire appel sur la culpabilité et la peine (article 380-2 du CPP). Son appel ne vise qu'à renverser un acquittement ou à l'aggravation de la condamnation. Si seul le parquet est appelant, le mieux que puisse espérer la défense est la confirmation pure et simple. C'est un appel a maxima.

Le condamné peut faire appel (un acquitté ne peut pas faire appel de son acquittement). Cet appel vise à la diminution de la peine voire à l'acquittement. Si seul le condamné fait appel, le pire qu'il puisse lui arriver est la confirmation pure et simple; C'est un appel a minima. (article 380-6 du CPP)

La partie civile peut faire appel des dommages-intérêts qui lui ont été accordés. Si seule la partie civile fait appel, l'appel est jugé par la chambre des appels correctionnels (art. 380-5 du CPP). La partie civile peut faire appel d'un acquittement, mais si le parquet ne fait pas appel, l'accusé est définitivement acquitté, il ne peut faire l'objet d'une peine. La chambre des appels correctionnels peut toutefois constater que l'infraction était constituée et prononcer des dommages-intérêts.

L'usage veut que le parquet fasse systématiquement appel quand le condamné fait appel, afin de donner à la cour d'assises d'appel les plein-pouvoirs : aller de l'acquittement jusqu'à la peine maximale. De même, quand le parquet fait appel, l'accusé se dépêche de faire un appel incident afin de pouvoir espérer voir sa peine réduite en appel.

Cet appel provoqué par l'appel de l'autre partie s'appelle un appel incident, par opposition à l'appel principal. L'appel principal doit être formé dans les 10 jours de la condamnation (art.380-9 du CPP), l'appel incident, dans un délai de cinq jours à compter de l'appel principal (art.380-10 du CPP). Ce délai de cinq jours est indépendant et peut expirer au-delà des dix jours de l'appel principal ; exemple : j'ai un client condamné le 1er du mois — C'est un exemple bien sûr, dans la vraie vie, il aurait été acquitté—, je peux faire appel principal jusqu'au 11, comme le parquet. Si je fais appel le 11, le parquet a jusqu'au 16 pour faire appel incident.

La décision du parquet de faire appel se prend en interne. Elle est toujours concertée car ce n'est pas une décision à prendre à la légère : l'avocat général, mécontent du verdict, ne peut aller former un appel ab irato, sous peine de se retrouver convoqué chez son chef le procureur général qui va lui chanter pouilles. De manière générale, les appels d'une condamnation sont très rares. Le parquet a tendance à considérer que la Cour savait ce qu'elle faisait en prononçant telle peine, et qu'il n'a pas à imposer sa vision des choses au jury populaire qui n'est autre que le peuple souverain. Il n'en va autrement que si un acquittement a été prononcé alors que le parquet est convaincu de la culpabilité (le parquet n'aime pas les erreurs judiciaires...) ou qu'il y a une disproportion telle entre la gravité des faits et la légèreté de la peine qu'il estime qu'un appel est nécessaire.

Autant dire que dans cette affaire, les probabilités d'un appel spontané du parquet étaient nulles.

MAM avait-elle le droit de demander au parquet de faire appel ?

Oui. Elle tire ce pouvoir de l'article 5 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.   

Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre.

C'est à dire qu'on peut tout à fait imaginer que dans cette affaire, l'avocat général conclure l'audience d'appel en disant que les peines prononcées en première instance lui paraissent satisfaisantes et demander à la cour de les confirmer.

Alors, si tout cela est conforme au droit, d'où vient mon chagrin ?

Il se situe sur le terrain non pas du droit mais politique, ce qui réjouira mon ami Authueil, dévoré d'angoisse à l'idée que je ne pense qu'en juriste.

C'est qu'en agissant ainsi, MAM ne s'est pas comportée en garde des sceaux, mais en valet des victimes, s'inscrivant dans la droite ligne de sa prédécesseuse, les robes Dior en moins.

L'action publique ne doit pas être inféodée aux déceptions des victimes. Elle en est autonome, et ce n'est pas pour rien. Ce n'est pas la victime qui demande la punition, c'est la société. La victime est dépouillée de son droit de vengeance depuis que tout citoyen a renoncé à son droit de se faire justice à lui même, et plus largement de recourir à la violence, en confiant le monopole de la justice à l'État, en charge de la protection des citoyens. Et la société doit garder son droit de dire à la victime : non, ça suffit. Ce n'est pas lui faire violence, et je crois même que c'est le plus souvent pour son bien. Car il est des cadeaux faits avec la meilleure volonté du monde qui sont en fait des cadeaux empoisonnés. Et ici, nous risquons d'en avoir un triste exemple.

Ainsi, l'instruction donnée au parquet est de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions du parquet. Philippe Bilger, dont mes lecteurs savent l'estime non feinte que je lui porte, rougira de la confiance qui lui est ainsi portée, puique ses réquisitions sont pour la Chancellerie l'Alpha et l'Oméga, en ce qu'elle estime que la Cour s'est nécessairement trompée chaque fois qu'elle ne les a pas suivies. Passons cependant sur l'incohérence consistant à ne pas tenir compte du fait que le même avocat général s'estime satisfait du verdict. Il serait bon de se tenir à jour, place Vendôme.

Mais personne ne semble s'être interrogé sur les conséquences de ce choix.

Il signifie que, sauf à ce qu'il fasse appel, Youssouf Fofana ne sera pas présent en appel (enfin, si : il viendra comme témoin), de même qu'une bonne moitié des accusés (13 sur 27). C'est donc l'ombre du premier procès qui sera rejouée.

De plus, les 13 accusés concernés vont tous faire appel incident (ils n'ont rien à perdre et tout à gagner à le faire). Et les absents ayant toujours tort, ils vont pouvoir à l'envi charger Fofana pour se décharger de leur fardeau de la culpabilité. Et un accusé provocateur comme Fofana ayant tendance à enfoncer ses co-accusés, il est parfaitement possible que les peines soient réduites en appel. La défense a un coup à jouer et elle le jouera. Je ne dis pas que cette tactique sera mensongère ou trompeuse : si ça se trouve, certains accusés ont réellement été enfoncés par Fofana, dont l'absence leur permettra d'être jugés plus équitablement, et condamnés plus légèrement.

La mère de la victime semble considérer comme une évidence qu'un procès en appel lui donnera satisfaction, considération qui semble chez certain l'emporter sur toute autre. Croyez-vous qu'un échec en appel allégera sa douleur ? Car ce nouveau verdict sera définitif : pas de nouvel appel, pas de désistement pour revenir à la première décision. Il ne restera que le pourvoi en cassation pour faire annuler le verdict, mais uniquement si le droit n'a pas été respecté (or le quantum de la peine est une question de pur fait que la cour de cassation se refuse à examiner). Et c'est MAM qui en portera la responsabilité.

Demeure ensuite la question du huis clos. Deux des accusés étant mineurs au moment des faits, le huis clos était de droit à leur demande (art. 306 du CPP) . Et l'un d'entre eux est concerné par l'appel (il a été condamné à 9 ans quand le parquet en requérait... 10 à 12) : donc l'appel aura lieu à huis-clos, alors qu'il aurait suffit de ne pas faire appel de sa condamnation pour obtenir la publicité des débats. Pour un an de différence entre les réquisitions et la peine. Voilà ce qui se passe quand un ministre agit dans la précipitation médiatique.

Là où l'affaire tourne à la farce, c'est quand l'avocat de la partie civile rêve à voix haute d'une modification de la loi pour permettre la publicité des débats (encore une fois, voyez à quoi elle tient ici...). Voici que la victime demande qu'on fasse appel pour elle et qu'on change la loi par la même occasion. Je passerai sur le fait que l'avocat en question était l'avocat du RPR dont le garde des sceaux fut la dernière présidente, car je me refuse à croire qu'en République, des choix publics tinssent à ce genre de considération. Mais je tremble quand même que ce souhait soit suivi d'effet, deux députés qu'on ne peut soupçonner d'être indifférents à l'opinion publique ayant déposé une proposition de loi dans ce sens (Messieurs Barouin et Lang). Si le législatif aussi se met à jouer les larbins des victimes, il ne reste que le judiciaire pour garder la tête froide.

Je me contenterai donc de regretter que ce ministre ait raté sa première occasion de se comporter en vrai Garde des Sceaux plutôt qu'en valet des victimes, ait manqué de réfléchir avant d'agir, et que visiblement personne dans cette affaire ne se soit interrogé à la Chancellerie pour savoir ce qu'on avait à reprocher à ce procès, remarquablement conduit de l'avis général par une formidable présidente, Nadia Ajjan, et ce qui leur permettait d'estimer que leur opinion valait mieux que celle de neuf jurés et trois juges qui ont assistés aux 29 jours de débat et ont délibéré trois jours durant pour fixer ces peines, très légèrement inférieures aux réquisitions du parquet (à croire que les plaidoiries de la défense servent à quelque chose...).

La mémoire d'Ilan Halimi méritait mieux que ce cirque.

lundi 13 juillet 2009

Les procédures pénales d'exceptions vivent-elles leurs dernières heures ?

Je n'ose y croire, tant j'en ai rêvé, mais là, la cour européenne des droits de l'homme semble sonner le glas d'un aspect parmi les plus scandaleux de la procédure pénale française, qui pourtant n'en manque pas.

Par un arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 (Requête no 36391/02), la Grande Chambre de la Cour a condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable pour une loi qui refusait l'accès à un avocat au stade de l'enquête de police en raison de son objet qui, vous l'aurez deviné puisqu'il permet de porter atteitne aux droits de l'homme sous les applaudissements de l'opinion publique, est de lutter contre le terrorisme. 

En l'espèce, c'est un mineur kurde, soupçonné d'avoir ourdi deux odieux attentats terroristes, en l'espèce avoir participé à une manifestation du Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation illégale (qui est bel et bien une organisation terroriste violente), en soutien au chef de ce parti, Abdullah Öcalan, incarcéré depuis 1999,  ET d'avoir accroché une banderolle sur un pont ainsi rédigée : "Longue vie à notre chef Apo", Apo ("Tonton" en kurde) étant le surnom d'Öcalan.

Comme vous le voyez, c'est presque aussi grave que d'abîmer des caténaires de la SNCF.

 Après six mois de détention provisoire, il fut déclaré coupable sur la base de ses déclarations en garde à vue (faites sans avoir pu bénéficier du conseil d'un avocat), quand bien même il les avait rétractées par la suite (sur le conseil de son fourbe avocat, ce pire ennemi de la vérité, de l'ordre public et de l'autorité de l'État) et condamné à 4 ans et six mois de prison, ramenés à 2 ans et demi et raison de sa minorité. 

Je passe sur la procédure d'appel qui n'était pas non plus conforme aux standards de la Convention.

Les passages de l'arrêt qui ont retenu mon attention en ce qu'elles peuvent concerner la France sont ceux-ci. Après avoir rappelé que la Cour veille à ce que les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soient effectifs et concrets, la Cour affirme que (j'ai ôté les références jurisprudentielles pour alléger le texte ; les gras sont de moi) : 

54. La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (...). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé. Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu'elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…). La Cour prend également note à cet égard des nombreuses recommandations du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants-NdA) soulignant que le droit de tout détenu à l'obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements. Toute exception à la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.


Une petite pause ici. Le droit français a été mis en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme par la loi du 4 janvier 1993 en prévoyant que tout gardé à vue a droit a l'assistance d'un avocat. La loi, comme effrayée de sa propre audace, a toutefois prévu que ce droit se résumait à un entretien de trente minutes sans que l'avocat ait accès au dossier. Un changement de majorité s'étant produit en mars de la même année, une loi du 24 août 1993 va repousser l'intervention de cet avocat à la 21e heure de garde à vue, parce que sékomsa. Cela permettait de tenir éloigné ce gêneur dont la tâche, non mais je vous demande un peu, consiste à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. En juin 2000, la loi a enfin permis à l'avocat d'intervenir dès le début de la garde à vue. Mais là encore, changement de majorité en 2002 et en mars 2004, une loi revient sur ce point en repoussant l'intervention de l'avocat à la 48e heure en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de délinquance organisée.

Je rappelle que des affaires comme celles de Julien Coupat ont été traitées selon cette procédure d'exception, de même que la plupart des gardes à vue des délits de solidarité qui n'existent pas : la dame arrêtée à son domicile pour avoir rechargé des téléphones mobiles d'étrangers a été interpellée pour aide au séjour en bande organisée. Quand bien même l'affaire va probablement aboutir à un classement sans suite, elle n'a pas eu droit à l'assistance d'un avocat pendant ses 14 heures de garde à vue. 

Permettez à l'État de s'affranchir des libertés fondamentales en matière de terrorisme ou de délinquance organisée, et ne vous étonnez pas qu'un jour, il vous accuse d'un de ces faits pour s'affranchir d'avoir à respecter les vôtres.

Donc, l'intervention de l'avocat est repoussée de 48 heures dans trois série de cas. Systématiquement. Revenons-en à notre arrêt de la Cour.

55.  Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (…), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandisMagee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.

Arrêtez-moi si je me trompe (mais pas selon la procédure de délinquance organisée s'il vous plaît) : la cour dit qu'elle veut bien qu'on repousse l'intervention de l'avocat, mais elle doit avoir lieu en tout état de cause avant le premier interrogatoire de police, sauf à ce que des circonstances particulières au cas d'espèce (et non une règle de procédure générale appliquée systématiquement) font qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

Or les procédures françaises d'exception repoussent à la 48e heure cette intervention de l'avocat, systématiquement, et des interrogatoires du suspect ont bien évidemment lieu pendant ce laps de temps. C'est même le but : obtenir des aveux avant qu'un baveux vienne lui dire de se taire.

Conclusion logique : les procédures française d'exception ne sont pas conformes à la Convention européenne des droits de l'homme. Toutes les personnes qui ont avoué des faits dans ce laps de 48 heures peuvent demander une indemnisation pour violation de leurs droits, et la révision de leur procès (art. 626-1 du CPP) si elles ont été condamnées sur la base de ces aveux, car leur procédure est présumée avoir porté une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense.

Peut-être vois-je midi à ma porte car depuis 2004, où j'ai participé aux manifestations des avocats contre ce volet de la loi Perben II, je suis convaincu que cette procédure est contraire aux droits de l'homme. Je lirai donc avec intérêt tout point de vue contradictoire visant à démontrer que je me trompe.

Car si tel n'est pas le cas, le 27 novembre 2008 fut une belle journée pour les droits de l'homme.

dimanche 12 juillet 2009

BatMam et Robin

Par Dadouche




Il n'aura pas échappé à nos lecteurs, toujours très informés de la chose publique, que nous avons un nouveau Garde des Sceaux.
Michèle Alliot-Marie a en effet été nommée Ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés.

Et comme on n'est pas trop de deux pour s'occuper des Libertés (surtout quand on est en charge des prisons), il lui a été adjoint un Secrétaire d'Etat, Jean-Marie Bockel.
Si nous avons connu dans un passé récent des Secrétaires d'Etat aux programmes immobiliers de la Justice ou aux droits des victimes, le Secrétariat d'Etat auprès du Ministre de la Justice et des Libertés est (à ma connaissance) une nouveauté[1].

On attendait donc avec impatience de connaître le domaine de compétence du Secrétaire d'Etat.

C'est un décret paru hier qui nous renseigne.
Enfin, si on peut appeler ça renseigner.

En effet, l'article 1er de ce texte dispose que " M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la justice, remplit toute mission et assure le suivi de tout dossier que lui confie le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, auprès duquel il est délégué.".

Qui pourrait se traduire par "il fera ce qu'on lui laissera faire"

Ce n'est pas sans précédent.
Si George Kiejman, Ministre Délégué auprès du Ministre de la Justice dans le gouvernement de Michel Rocard avait en 1990 des attributions précises, telles que l'élaboration du nouveau code pénal, son successeur Michel Sapin, membre du gouvernement d'Edith Cresson, avait une fiche de poste aussi élaborée que celle du nouveau Secrétaire d'Etat.

Lequel Secrétaire d'Etat aurait déclaré "Je serai transversal mais pas transparent".

Sera-t-il le Robin de BatMam ? Ou Bernardo, le docteur Watson, Sancho Pança, Mini Me, Sganarelle, Q, Tinkerbell, Christian de Neuvillette, Han Solo (voire Chewbacca), Ron Weasley, Samwise Gamgee, Obélix ou Victoria Silvstedt ?[2]

L'avenir nous dira comment fonctionnera ce nouveau couple...

Notes

[1] même si nous avons déjà connu des Ministres Délégués auprès du Ministre de la Justice

[2] après avoir dans un premier temps mis en note de qui ces personnages sont les sidekicks ou fidèles seconds, je me suis dit qu'il valait mieux laisser chercher (enfin, c'est pas très compliqué)... Ca occupera ceux qui sont en vacances et ça distraira ceux qui sont au boulot

vendredi 10 juillet 2009

Faut-il se chauffer au gaz pour être juge en Virginie occidentale ?

Lors de sa récente session, la Cour suprême a rendu un arrêt important changeant de manière spectaculaire sa position sur la très délicate question de l'indépendance de fait des juges élus.

Les juges exercent en démocratie le troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire : celui de trancher un différend selon la loi. Cette mission essentielle en démocratie suppose deux qualités essentielles : l'indépendance, et la compétence.

En démocratie, trois systèmes de désignation sont envisageables : la désignation par l'autorité publique (les modalités peuvent varier de la désignation discrétionnaire au concours, en passant par la désignation ratifiée), l'élection, et le tirage au sort.

La France a recours à un panaché des trois systèmes. La majorité des juges administratifs et judiciaires sont désignés par l'autorité publique sur la base d'un concours (c'est un décret signé par le président de la République en personne qui leur confère leurs fonctions ; Chirac pour Gascogne, Dadouche, Sub lege libertas, Paxatagore et Lulu, René Coty pour Anatole). Certains de ces juges sont désignés par l'autorité publique sans concours (les “sur titre” ; par exemple, Rachida Dati n'a jamais passé le concours d'accès à l'ENM— mais la plupart des “sur titre” sont de très bons magistrats ; citons aussi les membres du Conseil constitutionnel, nommés discrétionnairement par les trois présidents de la République, du Sénat et de l'Assemblée nationale). Les conseillers prud'hommes sont élus par les salariés et les employeurs, de même que les juges de commerce le sont par les commerçants. Le jury d'assises est quant à lui tiré au sort parmi le corps électoral.

Ce dernier système peut surprendre, mais il est selon Montesquieu le plus démocratique puisqu'il respecte l'égalité des chances (même si dans tous les systèmes de droit, le tirage au sort est toujours tempéré tant par des restrictions pour l'accès au tirage —conditions d'âge et de probité— que par une influence sur le tirage —droit de récusation d'un juré tiré au sort.

La désignation par l'autorité publique se fait en principe sur un critère de compétence technique. C'est le cas du concours, mode de désignation au mérite par excellence, mais aussi de la nomination par le pouvoir politique, qui si elle est encadrée par des contre-pouvoirs peut être satisfaisante. Ainsi les juges à la Cour Suprême des États-Unis sont-ils désignés par le président des États-Unis mais avec ratification par le Sénat ; les plus hauts postes de magistrats français sont soumis à l'avis (pour le parquet) ou à l'accord (pour le siège) du Conseil Supérieur de la Magistrature, ce qui rend particulièrement scandaleux le coup de force qui viendrait de se produire pour muter un procureur général, j'y reviendrai dans un prochain billet.

Notons que les nominations au Conseil constitutionnel n'étaient soumises à aucun contrôle ni contre pouvoir jusqu'à la révision constitutionnelle de juillet 2008, ce qui était une carence à mon sens mais a permis d'éviter la politisation du Conseil. On verra ce que donnera la nouvelle procédure, qui n'a pas encore eu à s'appliquer (les prochaines nominations sont pour février 2010 avec le départ d'Olivier Dutheillet de Lamothe, Dominique Schnapper et Pierre Joxe.

Aux États-Unis, qui vont nous occuper, 39 des 50 États de l'Union ont recours partiellement ou totalement à l'élection des juges et procureurs généraux. C'est donc un sujet sensible, qui reflète la méfiance traditionnelle du peuple américain envers l'État, et qui a ainsi voulu garder la mainmise sur la désignation de ceux chargés de dire le droit.

L'invonvénient d'un tel système de désignation est qu'il se politise forcément. Les campagnes électorales pour élire tel juge ne sont pas toujours compatibles avec la dignité inhérente à la fonction, et l'argument de la promesse de sévérité (promesse tenue, les États-Unis ont un taux d'incarcération dix fois supérieur au nôtre) est un des plus porteurs. Se pose aussi la question de l'indépendance du juge, dont la campagne est financée par des gens susceptibles un jour d'être justiciables devant lui. Or un principe constitutionnel aux États-Unis est celui du procès équitable, le due process of law.

Or la position de la Cour suprême a toujours été de dire que le juge ne doit pas voir son impartialité remise en cause à la légère : il prêtent serment de respecter la loi et la Constitution, et doivent bénéficier d'une présomption d'honnêteté. De fait, deux cas seulement constituent selon elle une situation objective où le juge doit se récuser : quand le juge a un intérêt financier dans le litige —Tumey v. Ohio, 273 U. S. 510, 523 (1927)— et quand le juge statue sur un délit d'audience (contempt of court) dont il a été la victime directe —Mayberry v. Pennsylvania, 400 U. S. 455 (1971). Ces décisions ont d'ailleurs été reprises dans des lois fédérales depuis lors. En dehors de ces cas, le demandeur en récusation doit prouver la partialité (bias) du juge, ce qui est très difficile, d'autant plus que généralement, il faut bien le dire, les juges se déportent volontiers quand ils estiment ne pas être neutres.

Intéressons-nous à présent à l'industrie du charbon en Virginie occidentale.

Ah, Charleston[1], ton univers impitoya-able. Un géant du charbon y règne sur les Appalaches : Massey Energy®, sous la forme de sa succursale locale :A. T. Massey Coal Co., Inc. Massey est le 4e producteur de charbon des États-Unis avec 40 millions de tonnes par an (vous voyez que le réchauffement de la planète a de beaux jours devant lui), et le premier de la région des Apalaches. Face à Goliath, quatre David : Hugh Caperton, Harman Development Corp.,Harman Mining Corp., et Sovereign Coal Sales (que j'appellerai Caperton tout court, comme la Cour Suprême). Quatre petits exploitants de mines de charbon qui vont tous faire faillite à cause selon eux de manœuvres déloyales et illicites de Massey.

Si en France, tout finit par des chansons, aux États-Unis, tout finit par des procès. Et pour cause : ça marche. Le géant se prend la pierre judiciaire en plein front. En août 2002, un jury déclare A.T. Massey coupable de comportements commerciaux déloyaux et illicites et le condamne à payer à Caperton 50 millions de dollars. En juin 2004, la cour d'appel rejette le recours de A.T. Massey par un arrêt cinglant qui établit formellement sa culpabilité. Massey forme un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême de l'État de Virginie Occidentale.

Or fin 2004 se tenaient les élections judiciaires à la Cour Suprême : le juge sortant était l'Honorable Justice McGraw, candidat à sa succession. Son principal adversaire était l'avocat Brent Benjamin.

Le Groupe Massey va décider de soutenir le candidat Benjamin, farouche partisan du libre marché. Et quand je dis soutenir, je dis soutenir. Outre les 1.000 dollars, don maximum au candidat selon la loi de Virginie Occidentale, Massey va faire un don de 2.500.000 $ à une association qui s'opposait à McGraw et soutenait Benjamin. Le nom de l'association est, pour la petite histoire « Pour le Bien des Enfants ». En fait, c'était plutôt pour le bien des mineurs.

Et pour faire bonne mesure, Massey va dépenser 500.000 $ en courriers et campagnes diverses appelant à faire des dons pour Benjamin. Hypocrisie de la législation américaine : on ne peut donner plus de 1000 dollars à un candidat mais on peut dépenser 500.000 $ pour encourager les gens à lui faire des dons plafonnés à 1000 $ chacun. Sachant que les comités de soutien des deux candidats ont dépensé à eux deux 2.000.000 $, Massey va dépenser 3 millions pour soutenir un candidat.

Qui sera élu avec 53,3% des votes. Ramené au nombre de suffrages exprimés, cela fait 8 dollars par vote pour Massey.

Une fois Brent Benjamin devenu Justice Benjamin, Massey forme son pourvoi en cassation en octobre 2005. Aussitôt, Caperton dépose une requête en suspicion légitime à l'encontre du Justice Benjamin, lui demandant de se déporter, le demandeur étant son principal soutien financier. En avril 2006, le Justice Benjamin rejette cette requête, s'estimant tout à fait impartial.

Et en novembre 2007, la cour suprême annule le jugement, par trois voix contre deux. Trois voix, dont celle de Benjamin : son vote fut donc décisif. Dans l'opinion dissidente du Justice Albright, cosignée par le Justice Cookman, on peut lire ces lignes impitoyables “Non seulement l'opinion de la majorité ne repose sur aucun fait établi ou un précédent jurisprudentiel, mais elle est fondamentalement injuste. Malheureusement, la justice n'a été ni honorée ni servie par la majorité". Ambiance. ”

Caperton n'en démordant pas, il porte son affaire devant la Cour Suprême.

Qui va se déchirer à son tour mais, par un vote de 5 contre 4, donner raison à Caperton. L'argument central est le suivant : même si aucun élément ne permet d'affirmer la partialité du Justice Benjamin, il existe ici une telle probabilité de partialité (probability of bias) qu'il aurait dû se récuser. la femme de César ne doit pas être soupçonnée même si elle n'a rien à se reprocher : il en va de même de ses juges. À l'argument de l'atteinte de la confiance publique dans les juges et le risque de raz-de-marée de recours en récusation Caperton, le Justice Kennedy, qui a rédigé l'Opinion de la Cour réplique que non, il s'agit d'un cas d'espèce eu égard aux circonstances extrêmes (un soutien “disproportionné” du demandeur)

Le Chief Justice Roberts, dissident, s'étouffe d'indignation, soutenu en cela par le bloc conservateur de la cour : les Justice Scalia, Alito, et Thomas (les usual Suspects). Le Chief Justice Roberts ne parvient pas à accepter cette décision ne reposant pas sur des critères objectifs (contrairement à Tumey ou Mayberry) mais sur l'appréciation du juge. Il soulève dans son opinion dissidente (page 28 et suivantes du pdf) 40 questions que cet arrêt laisse selon lui irrésolues. Certaines sont pertinentes (par exemple : et si le litige portait sur un enjeu de 10.000 $, soit bien moins que le soutien financier de la campagne, peut-on soupçonner Massey d'acheter son juge ?), tandis que d'autres sont teintées de mauvaise foi par une reductio ad absurdum classique : par exemple : “Et si un juge est élu sur une promesse de sévérité envers le crime, doit-il se récuser de toute affaire criminelle ?” ; et pourquoi pas l'obliger à se chauffer au gaz pour juger une entreprise de charbon (d'où le titre du billet).

Les règles objectives dégagées par la Cour dans ses arrêts Tumey et Mayberry ont été reprises dans des textes de loi, ce qui montre au passage le respect à la limite de la crainte révérencielle du législateur américain envers le juge, tandis que le législateur français vote sans vergogne des lois pour contourner les objections du juge, fût-il constitutionnel (Rétention de sûreté, HADOPI 2…). Gageons que cette fois, le législateur américain se gardera bien de s'aventurer sur ce terrain glissant.

Alors, Caperton, révolution jurisprudentielle ou cas d'espèce sans lendemain ?

Prochain épisode : les anti-inflammatoires permettent-ils de voir des jeunes filles nues ?

Notes

[1] Qui est comme tout le monde le sait la capitale de la Virginie Occidentale.

jeudi 9 juillet 2009

Du remue-ménage

Certains d'entre vous ont pu le vivre en direct, il y a eu de grosses coupures cet après midi, mais ca y est, la mue est faite : mon blog tourne sous Dotclear 2.

Concrètement, vous ne verrez aucune différence, et c'est le but. La carrosserie reste la même, c'est le moteur qui a changé. Et celui-là ne cale plus en côte. Pour ceux qui en ont marre de mes périphrases : en principe, fini les erreurs 503 à répétition dès que les lecteurs se bousculaient au portillon. Le blog devrait tenir la charge : j'ai un serveur dédié qui fonctionne à l'urine de cycliste, un logiciel débuggé au napalm et une bande passante qui pourrait télécharger un porte-avion.

Le site devrait s'afficher encore plus rapidement chez vous, surtout parce que j'ai enlevé des enjoliveurs qui consommaient beaucoup de ressources pour pas grand chose : le top des commentateurs, les billets les plus commentés.

Il faut que je m'habitude à la nouvelle interface, qui ne va pas me faciliter la vie sur iPhone, que j'explique à mes commensaux comment entrer dans leur nouvelle demeure, bref, je suis un peu en rodage, mais tout devrait bientôt reprendre un rythme normal.

Prochain chantier à la rentrée : le changement de carrosserie. Le thème actuel a été bricolé en express par Kozlika, que Saint PHP la bénisse, mais j'ai conscience que son minimalisme confine à la mocheté, il n'était pas fait pour durer deux ans et demi.

Je vais passer à un graphisme en deux colonnes, une grosse à gauche pour les billets, une petite à droite pour le menu. Graphiquement, ce sera sobre et élégant ; je fais sous-traiter ça par un geek dans un sweatshop à l'autre bout du monde qui travaille pour une bouchée de pain pour une boîte française installée dans un paradis fiscal (j'ai bien suivi, François ?). Pas de Flash®, toujours pas de pub, bref, le fond plus que la forme, comme d'habitude.

Merci de m'indiquer toute anomalie que vous pourriez rencontrer : la chasse aux bugs est ouverte. Et on dit bravo et merci à Rémi.

mercredi 8 juillet 2009

Les cinq erreurs d'Authueil

Mon ami Authueil reproche souvent aux juristes leur côté pinailleur. Je m'en voudrais de lui donner tort et vais relever cinq erreurs dans son dernier billet, dans lequel il exprime son approbation de la décision d'un proviseur ayant soumis la réinscription d'un lycéen en terminale dans son établissement à l'engagement de sa part de ne pas se livrer à nouveau à un blocage comme il l'avait fait plus tôt dans l'année scolaire pour des motifs politiques.

À titre de prolégomènes, je tiens à signaler que, au-delà de la cause politique qui les a motivé, je n'ai aucune sympathie pour les bloqueurs, que ce soit de fac, de lycée ou de maternelle. C'est une méthode illégale, violente, et une voie de fait d'une minorité qui impose par la force ses décisions à une majorité. C'est à mes yeux inadmissible. Et ne venez pas me parler de démocratie. J'ai assisté à des “ AG ” en amphi : outre le fait qu'un amphi ne contient qu'une patite portion des étudiants, la démocratie y est aussi spontanée qu'en Corée du Nord.

Donc je désapprouve ce qu'a fait ce lycéen.

Néanmoins je suis en désaccord avec Authueil sur 5 points.

Ce lycéen a 17 ans, il n'a plus d'obligation scolaire, s'il veut intégrer un établissement scolaire, il doit en accepter les règles.

Je note sur un coin de papier son âge. Nous avons affaire à un mineur. Un grand mineur, mais un mineur quand même. Je m'en servirai plus tard. Mais le fait qu'il ait dépassé l'âge de l'obligation scolaire est sans la moindre pertinence. Il n'a plus l'obligation de se scolariser, mais il en conserve la liberté, que le Code de l'éducation élève au rang de droit :

Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté.

Article L.111-1, qui, mes lecteurs l'auront deviné, est le premier article du code (quand je parlerai "du code" dans ce billet, ce sera le Code de l'éducation).

15 ou 17 ans, l'élève a autant de légitimité à vouloir suivre des études, et l'État doit lui en fournir les moyens.

De même, l'obligation scolaire (art. L.131-1 du Code de l'Éducation), de six à seize ans, ne dispense pas d'accepter les règles d'un établissement scolaire sous prétexte que l'élève n'a pas le choix d'être là. Tout établissement a un règlement intérieur qui s'impose aux élèves et aux enseignants. Et ce quel que soit leur âge (là, je pense surtout aux élèves) et leur capacité de compréhension des règles (là, je pense plus aux ados qu'aux maternelles).

Bref, l'argument de l'âge est inopérant dans le sens de la démonstration d'Authueil. Vous allez voir, il va même plutôt dans le sens contraire.

Vu qu'il a allègrement violé le règlement intérieur, et l'a clairement montré en devenant un représentant du mouvement, on peut comprendre les craintes du proviseur sur les risques de récidive. Qui trouverait à y redire s'il s'agissait d'un élève violent et isolé qui perturbe la vie du lycée par son indiscipline ? Pourquoi, parce que ces faits se seraient déroulés dans le cadre d'une action politique, il devrait être absout ? Une perturbation reste une perturbation et on peut très bien manifester et avoir une activité politique sans bloquer un établissement.

Sur ce dernier point, je suis d'accord (bon pour pinailler jusqu'au bout, je dirai qu'on ne le peut pas, mais qu'on le doit). Mais ça s'arrête là. Le proviseur a des craintes ? Je lui recommande la verveine. Il y a des voies de droit pour sanctionner un élève. Et le chantage à la réinscription ne fait pas partie de cet arsenal (article R.511-13 du Code). Car le proviseur n'a pas le pouvoir de sanction : il appartient au conseil de discipline (art. R.511-20 et s. du Code) qu'il saisit et préside (ce qui au passage n'est pas conforme à la convention européenne des droits de l'homme qui exige la séparation des autorités de poursuite et de jugement). En exerçant ce chantage à la réinscription, le proviseur usurpe les prérogatives du Conseil de discipline, dont la composition vise précisément… à limiter le pouvoir coercitif du proviseur.

Bref, pour sanctionner une violation de la loi par l'élève, le proviseur viole la loi. Les enseignants sont censés donner l'exemple, pas le suivre, non ?

On est au lycée pour suivre des cours et si on est pas content de son lycée, on peut en changer, voire le quitter si on a l'âge requis. Rien à voir donc avec le monde du travail.

Premier point : on est au lycée pour suivre des cours. Non. Pour draguer des filles (ou se faire draguer si on est une fille) et rigoler avec les potes/copines.

Ensuite, je pourrais dire qu'on est dans une entreprise pour travailler, et si on n'est pas content de sa boîte, on peut en changer voire prendre sa retraite si on a l'âge requis. Bref, sur ces éléments de comparaison, ça ressemble un peu au monde du travail, le lycée.

En fait, la différence essentielle, car elle existe, ce que les “ syndicats ” d'élèves ne comprennent pas, est ailleurs. Étudier n'est pas un métier, sauf pour Bruno Julliard, et l'élève n'a pas de contrepartie directe à son travail. Il en tire une instruction qui lui permettra plus tard d'accéder à des métiers pointus et donc mieux rémunérés. Le contrat de travail est un contrat d'échange direct : travail contre salaire. Cette relation existe d'ailleurs entre l'enseignant et l'Éducation Nationale, même si le statut est différent (l'enseignant est souvent un fonctionnaire). L'élève est l'usager d'un service public. Il jouit d'une prestation de service : l'enseignement et la mise à disposition des locaux. La seule chose qu'il doit est son assiduité et un comportement conforme au règlement intérieur. C'est là qu'on voit qu'en effet, le lycée et le monde du travail, ça n'a rien à voir.

Quand les salariés manifestent pour des raisons de politique générale, ils ne bloquent pas pour autant leurs entreprises. Ils prennent une journée (de RTT, de congé, de grève...) et vont se joindre à la manif, sans empêcher leurs collègues non grévistes d'aller au travail si ça leur chante.

En théorie. Les piquets de grève ne sont pas une légende. Oh, c'est illégal, bien sûr, comme séquestrer les patrons. Ou bloquer les lycées. Invoquer la différence des comportements est ici erroné puisque les deux comportements sont similaires. ce qui n'est pas un hasard : les lycéens et étudiants singent les moyens de lutte des ouvriers d'usines menacées de fermeture (quand bien même les études qu'ils suivent visent à s'assurer qu'ils n'entreront pas dans la même carrière que leurs glorieux aînés prolétaires).

Il doit y avoir des limites. Ce proviseur a eu le courage d'en poser, qui m'apparaissent très raisonnables, puisque rien n'empêchera le lycéen d'avoir des activités politiques dans l'enceinte de l'établissement. On lui demande juste de ne pas perturber la scolarité de ses petits camarades, ce qui est la moindre des choses.

Non, ce proviseur a au contraire manqué de courage. Il y a des limites, prévues par la loi. À lui de l'appliquer. Il aurait dû lancer une procédure disciplinaire contre tous les élèves bloqueurs, et ce dès le début du blocage. Pour leur permettre de présenter leur défense, de se faire assister de la personne de leur choix, y compris un avocat (art. D.511-32 du Code), et de comprendre que persévérer dans leur attitude les exposerait à un renvoi temporaire ou définitif et à une plainte au pénal, bienvenue dans la vraie vie. Car là aussi, rien n'est plus propice au passage à l'acte que la certitude de l'impunité que donne le nombre d'une part et la couardise des autorités d'autre part.

Au lieu de cela, après avoir plié l'échine sur le moment, signant un aveu de faiblesse[1], il emploie un moyen déloyal et illégal. Il attend que l'élève en question soit isolé, et le prend à la gorge administrativement en détournant ses pouvoirs (le proviseur ne tire d'aucun texte le droit de juger l'opportunité des réinscriptions). Sachant que l'élève en question est mineur, donc censé être plus protégé par la loi, on peut s'interroger sur la véritable vertu pédagogique. En outre, son engagement de bien se tenir (qui est de nature civile) est nul car obtenu par la violence (art. 1111 du Code civil —c.civ— : c'est signe ou tu n'auras pas d'établissement l'année prochaine), est lésionnaire pour le mineur (art. 1315 c.civ : il ne peut que lui nuire) et n'a aucune base légale dans le code de l'éducation.

Enfin, il y a une certaine absurdité de demander à un élève ayant violé le règlement intérieur de s'engager à le respecter sous peine de sanction… sanction qui n'a pas été prise quand le règlement intérieur a été violé.

Bref, une mesure illégale, inefficace et qui déshonore celui qui la prend. Vous l'aurez compris, je ne partage pas l'enthousiasme d'Authueil face à cette mesure. Le pinaillage des juristes, pour qui la fin ne justifie jamais les moyens, que ce soit un blocage de lycée ou de réinscription, en fait de bien sinistres personnages.


PS : Je ne l'avais pas vu, mais Jules le dit mieux que moi.

Notes

[1] Si cette politique du roseau lui a été imposée par la voie hiérarchique, l'administration refusant toute confrontation, ma critique reste la même, mais se transmet par la voie hiérarchique au ministre.

Ces gens sont des menteurs

À écouter, à podcaster (iTunes, Lien RSS), l'émission Les Pieds Sur Terre du 6 juillet 2009, diffusée sur France Culture, qui revient sur le fameux délit de solidarité, celui dont le ministre qui ne devrait pas exister nie l'existence. Pauline Maucort et Olivier Minot sont allés interviewer des gens qu'on a arrêté, placé en garde à vue, et oui, pour certains poursuivis et condamnés pour avoir aidé un étranger en situation irrégulière. Des acteurs, sans doute.

Écoutez leurs élucubrations, c'est drôlement bien inventé et joué, tous ces détails : ils sont forts ces menteurs.

Car bien sûr qu'Éric Besson dit vrai.

JAMAIS en France la police aux frontières ne viendrait embarquer à 7 heures 45 du matin une dame qui recharge des téléphones portables en l'accusant d'un délit qui n'existe pas commis en bande organisée. AUCUN policier n'aurait la désarmante naïveté de lui dire avoir été gentil d'attendre 7 heures du matin, la procédure ouverte selon la loi Perben II pour délinquance organisée permettant une perquisition à toute heure de la nuit —art. 706-89 du code de procédure pénale (CPP), sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD)—, et écartant l'avocat, ce gêneur qui rassure les dames en garde à vue : art. 706-88 du CPP al. 6 : l'avocat n'est autorisé qu'à partir de 48 heures de garde à vue, soit bien plus que le nécessaire pour boucler une procédure pour trois portables, même si le policier tape les PV avec deux doigts), et d'en rajouter une louche en disant que vraiment, ils sont super sympas de ne pas lui avoir défoncé sa porte ni de ne pas l'avoir menotté (Oui, c'est à 15'10). C'est qu'elle a oublié de dire merci, cette ingrate.

EN AUCUN CAS en France un religieux de 78 ans ne serait placé en garde à vue pour avoir transporté dans le coffre de sa voiture les bagages d'une famille qu'il accompagnait… acheter des billets de train. Jamais un policier n'aurait l'idée saugrenue de demander à un frère rédemptoriste pourquoi il vient en aide à des démunis[1].

COMMENT IMAGINER qu'en France, un citoyen soit arrêté pour avoir hébergé chez lui l'homme dont il était amoureux, et soit pour un soupçon de ces faits attaché à un mur pendant 17 heures ? C'est dangereux, un homo amoureux, mais quand même… Qui oserait croire qu'un procureur général fasse appel de la relaxe qui va suivre, et qu'une cour d'appel, fût-ce celle de Nîmes, même si celle de Douai l'a déjà fait, le condamne effectivement à 1000 euros d'amende, croyant utile d'ajouter que cet hébergement se faisait manifestement en contrepartie de faveurs sexuelles ? Au fait, monsieur le juge, votre femme, elle vous paye un loyer ?

Non, c'est trop gros.

Heureusement que le ministre du fifre et du pipeau est là pour rétablir la vérité, la Pravda ayant depuis longtemps failli à cette mission d'édification du peuple.

Une superbe fiction, donc, mise en scène par Véronique Samouiloff.

Mais pourquoi donc n'arrivè-je pas à applaudir ?

Notes

[1] La réponse se trouve à l'article premier des Constitutions de la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur : “ Son but est de continuer le Christ Sauveur en annonçant la Parole de Dieu aux pauvres, selon ce qu'il a dit de lui-même: «Il m'a envoyé évangéliser les pauvre» ” ; “Elle s'acquitte de cette tâche avec un élan missionnaire qui la porte vers les urgences pastorales en faveur des plus délaissés, surtout des pauvres, à qui elle s'efforce d'apporter la Bonne Nouvelle.” Ça signe la bande organisée.

mardi 7 juillet 2009

De l'art délicat de donner des leçons à qui n'a pas appris les siennes

Un fait divers a fait quelque peu ricaner sur le web, une forme d'arroseur arrosé, internet tenant parfois d'une cour de récréation où on aime à rire aux dépens d'autrui (c'est toujours mieux comme métaphore que la plomberie).

Même si vous pourrez facilement retrouver le nom des protagonistes, puisqu'il est sans intérêt pour ma démonstration et que je ne souhaite pas exposer plus avant le dindon de la farce, je vais utiliser des pseudonymes.

Géronte est un étudiant en informatique. Ce jour là, il doit passer un contrôle de connaissance (il ne s'agit pas d'un examen visant à la délivrance d'un diplôme, la chose a son importance) portant sur sa maîtrise d'un logiciel très (trop ?) utilisé sur internet. Le sujet tombe, et là, c'est le blanc. Chaque exercice noté implique l'utilisation d'une technique dont il n'arrive pas à se souvenir.

Mais il découvre qu'il peut se connecter à internet depuis sa salle d'examen (l'examen a forcément lieu sur un ordinateur), quand bien même l'école avait dit avoir pris ses précaution pour que ce soit impossible.

Il lance donc un appel au secours demandant de l'aide et promettant une récompense.

Scapin, spécialiste de ce programme du fait de sa profession de graphiste indépendant, lui répond et lui propose son assistance. Géronte lui expose sa difficulté et lui propose de faire les exercices à sa place, contre une rémunération de 100 euros.

Scapin tombe alors le masque et exposant qu'il n'a ni besoin d'argent, ni peur du paradoxe, lui demande 300 euros faute de quoi il téléphonera à son école pour révéler la triche en cours, capture d'écran de leurs échanges à l'appui. Géronte croit à une plaisanterie de quelqu'un ayant changé d'avis, et conclut l'échange par le sommet de la péroraison cicéronienne en rhétorique contemporaine : un ;-) .

Mais Scapin était sérieux. Il a appelé l'école, qui se dispose à prendre des sanctions contre cet élève.

Internet est un théâtre, et le poulailler s'esclaffe de la Farce de Scapin sur ce pauvre Maître Géronte.

Un seul ne rit pas à l'orchestre : votre serviteur. Il ne peut s'empêcher d'être amer dans cette saynète, où Scapin mérite peut-être plus les coups de bâton que Géronte.

Géronte a voulu tricher, c'est certain. La fraude à un examen est un délit depuis la loi, toujours en vigueur, du 23 décembre 1901, puni de 3 ans de prison et 9000 euros d'amende ; mais seulement si l'examen est un concours d'accès à la fonction publique ou vise la délivrance d'un diplôme délivré par l'État, outre des sanctions disciplinaires d'interdiction provisoire de se présenter aux examens et concours (je n'ai pas retrouvé la référence des textes, si quelqu'un peut m'éclairer, je mettrai à jour). En dehors de ces cas, la fraude expose l'élève a des sanctions disciplinaires prononcées par son établissement pouvant aller jusqu'au renvoi.

Ici, il s'agissait d'un contrôle de connaissance, interne à l'établissement. Le délit n'était donc pas constitué, mais la faute disciplinaire, oui.

Foulant au pied tous mes principes, je mets un instant ma robe pour plaider gratuitement (Argh ! Je brûle ! Je brûle !) que ce que Géronte a fait est EXACTEMENT ce qu'un professionnel aurait fait à sa place : chercher de l'aide sur internet. Internet est un paradis pour informaticien (il y a même des femmes nues, d'ailleurs, c'est dire si la ressemblance est poussée), et quiconque a un souci peut trouver promptement du secours dans les forums spécialisés. La solidarité existe, et le mot de communauté prend ici tout son sens. J'en sais quelque chose y ayant eu assez recours pour rustiner mon blog (au fait, Rémi, ça avance, cet upgrade ?). Professionnellement, ce n'est pas tricher : c'est aller chercher l'information, disponible gratuitement, à charge de revanche. De fait, si Géronte n'avait pas voulu frimer en précisant qu'il était en examen, mais avait simplement demandé de l'aide, il l'aurait très probablement trouvée, sans qu'on lui pose de questions. Cela n'annule pas la triche mais en atténue la gravité. D'autant que face à cet échec, il a finalement rendu copie blanche, ou son équivalent en informatique (disque dur formaté ?). Géronte mérite une sanction, mais plutôt de l'ordre de l'avertissement.

Tournons nos yeux vers Scapin.

Qu'a-t-il fait ? Dénoncer un tricheur n'est pas répréhensible en soi. La dénonciation fut un sport national avant d'avoir mauvaise presse mais reste légale (bon, de là à la qualifier d'acte républicain, il faut pas exagérer, sauf à être un spécialiste de la chose).

Mais auparavant, il y a eu cette parole malheureuse : “ ce qui serait encore mieux, ce serait 300 euros pour que je ne téléphone pas tout de suite à l'école en leur balançant les photos et le résumé du chat qu'on vient d'avoir.

Et là, le juriste ne peut s'empêcher de s'exclamer : « 312-10 ! »

Code pénal, article 312-10 : Le chantage est le fait d'obtenir, en menaçant de révéler ou d'imputer des faits de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d'un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d'un bien quelconque.

Le chantage est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.

Le fait de tricher à un contrôle est bien de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération du tricheur. Peu importe que le fait soit illicite et avéré : le chantage n'a pas à porter sur des faits licites ou mensongers : on peut parler de jurisprudence ancienne puisqu'il en a déjà été jugé par la chambre criminelle de la cour de cassation le 4 juillet 1874.

Et, découvrant que Scapin a bel et bien prévenu l'école, le juriste s'écrie derechef : « 312-11 ! »

Code pénal, article 312-11 : Lorsque l'auteur du chantage a mis sa menace à exécution, la peine est portée à sept ans d'emprisonnement et à 100.000 euros d'amende.

Le poulailler ne rit plus, et interpellant l'orchestre, lui objecte : mais la loi sanctionne le fait d'obtenir les fonds, et là, Géronte n'a pas voulu payer, Scapin n'a rien obtenu !

Ce à quoi le juriste, décidément imperméable à l'humour, rétorque : « 312-12. »

Code pénal, article 312-12 : La tentative des délits prévus par la présente section est punie des mêmes peines.

La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur (article 121-5 du Code pénal). Ici, la circonstance indépendante de la volonté du maître chanteur est que la victime du chantage n'a pas payé, qu'elle ait préféré subir les conséquences de sa fraude ou n'ait pas pris la menace au sérieux.

Tourner en ridicule les tricheurs, pourquoi pas ? Encore qu'avec l'internet, donner le nom de la personne est le condamner à une infamie perpétuelle, ce qui est disproportionné, surtout pour une simple interrogation écrite.

Mais commettre un délit à cette occasion me semble être une curieuse façon de se poser en donneur de leçon.


(PS : Merci de ne pas citer les noms des protagonistes de cette affaire, le message serait immédiatement supprimé dans son intégralité, je ne vais pas m'amuser à faire de la correction).

lundi 6 juillet 2009

Les ternes vitres de la République

Alassane T. est mauritanien, il a 46 ans. Il habite Orléans, où il est laveur de vitres. Depuis 6 ans, il se rend une fois par mois au commissariat de police d'Orléans pour en nettoyer les carreaux. On l'y connait, on le salue et on le laisse circuler librement dans les bureaux.

Un jour, un policier lui demande ses papiers. Pourquoi ? C'est toute la question, vous allez voir. Alassane, bien embêté, lui avoue qu'il est sans papier. S'ensuit la procédure standard : garde à vue pour séjour irrégulier, arrêté de reconduite à la frontière avec placement en centre de rétention pour 48 heures, classement sans suite de la procédure pour séjour irrégulier, la routine.

Au bout des 48 heures, notre laveur de carreau étant toujours là, le préfet doit saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation du placement en rétention pour 15 jours max. C'est à cette occasion enfin et à cette occasion seulement que l'étranger, assisté d'un avocat, pourra faire valoir ses arguments sur la légalité de la procédure ayant abouti à sa situation. Ça vous paraît dur ? Il y a pire encore, vous allez voir.

À cette occasion, son avocat soulève la nullité du contrôle d'identité initial. Un classique.

Un policier ne peut pas demander ses papiers à qui il souhaite selon son envie. C'est l'article 78-2 du code de procédure pénale. J'en avais déjà parlé ici, je vous renvoie à cet article pour les règles applicables.

Le commissariat d'Orléans n'est pas, après vérification auprès de l'IGN, à moins de 20 km d'une frontière : la frontière la plus proche, le périphérique sud, est à 120 km de là. Le procureur de la République n'avait certainement pas pris des instructions de procéder à des contrôles d'identité dans l'enceinte du commissariat pour rechercher des sans-papiers. Ne restait donc que le contrôle spontané. Il fallait donc établir qu'un laveur de carreau en train de laver des carreaux comme il le fait depuis 6 ans à cet endroit a une attitude constituant une raison plausible de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu'il se prépare à commettre un crime ou un délit, ou qu'il est susceptible de fournir des renseignements utiles à une enquête en cas de crime ou de délit, ou enfin qu'il fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Brisons tout de suite le suspens : le préfet n'y est pas parvenu.

Le juge des libertés et de la détention annule le contrôle d'identité, au motif que “ le fait de venir laver les vitres d'un commissariat n'est pas une raison plausible de soupçonner que le laveur de vitres a commis ou tenté de commettre une infraction ”. Face à une telle motivation solide comme le granit, le parquet, qui a le sens de la pudeur, ne fait pas appel. Le contrôle d'identité était illégal : le policier n'avait aucun droit de demander ses papiers à Alassane. On peut s'offusquer de ces étrangers qui ne respectent pas la loi, mais à la condition de s'offusquer au moins autant quand ce sont les policiers qui le font, sous peine de perdre sa cohérence.

Le contrôle étant nul, la garde à vue qui l'a suivi aussi, puisqu'elle n'a plus de raison d'être. Et le placement en rétention, qui en découle logiquement. Alassane est remis en liberté.

End of story, justice est faite ?

Pas du tout.

Si vous avez suivi, vous avez dû tiquer. Le contrôle est d'identité est nul, la garde à vue aussi, le placement en rétention aussi… Mais quid de l'arrêté de reconduite à la frontière ?

Eh bien il reste parfaitement valable. Conséquence logique et absurde de la séparation des autorités administratives et judiciaires : le juge judiciaire, en charge de la liberté individuelle, a annulé tout ce qui a porté atteinte à la liberté d'Alassane. Mais sa situation administrative ne regarde que le juge administratif, qui est saisi d'un recours totalement autonome, sur la légalité de cet arrêté. Peu lui importe à lui dans quelles circonstances cet arrêté a été pris, même si c'est à l'occasion d'une violation de la procédure pénale à l'origine. Le préfet avait-il le droit d'éloigner Alassane, ou celui-ci peut-il invoquer des circonstances qui imposent sa régularisation ? Telle est la seule question qui intéresse le juge administratif. Il n'avait pas le droit de le priver de liberté ? Peu importe. Le juge judiciaire a déjà tranché la question.

Le tribunal administratif d'Orléans,s'il a été saisi[1], a dû statuer depuis longtemps : le contrôle d'identité a eu lieu le 10 juin, la notification de l'arrêté a dû avoir lieu le 11, recours déposé le 13 au plus tard (oui, c'est un samedi, et alors ?), le tribunal a dû statuer le 16 juin au plus tard, l'article L. 512-2 du CESEDA imposant au juge administratif un délai de 72 heures pour statuer sur le recours (même si ce délai, contrairement au délai de recours de 48 heures, n'est pas sanctionné : le juge peut statuer au-delà des 72 heures sans conséquences pour le dossier). Quelqu'un a des infos ?

Car si le tribunal a estimé que l'arrêté de reconduite à la frontière était valable, le séjour illégal d'Alassane prendra[2] fin grâce à une procédure illégale.

Un partout, match nul.

Notes

[1] Le recours doit impérativement être déposé dans les 48 heures de la notification.

[2] Je dois à la Vérité et à la Cour des comptes d'ajouter ici un peut-être, tant le taux d'exécution des reconduites à la frontière est bas, et en diminution constante ; je me flatte d'y être un peu pour quelque chose.

vendredi 3 juillet 2009

« Sarkozy je te vois » : Prévenu, je te relaxe

Épi­lo­gue de l’affaire de la célè­bre saillie : « Sar­kozy je te vois » : le juge de proxi­mité de Mar­seille a relaxé l’ensei­gnant pour­suivi pour tapage diurne inju­rieux.

Le juge de proxi­mité a estimé dans son juge­ment que si le pro­pos pou­vait être “ mala­droit et déplacé ”, il “ ne revêt pas de carac­tère inju­rieux ”, ce qui relève en effet de l’évi­dence, mais pas tant que ça visi­ble­ment puis­que l’offi­cier du minis­tère public avait requis la con­dam­na­tion à 100 euros d’amende.

L’avo­cat du pré­venu a déclaré à la presse que « le juge de proxi­mité est suf­fi­sam­ment décrié pour que cette fois, on puisse lui ren­dre hom­mage, c’est avec beau­coup d’à pro­pos et de matu­rité qu’il a motivé son juge­ment ».

Qu’il me soit per­mis de dis­con­ve­nir.

Si la relaxe me sem­blait en effet s’impo­ser, le juge n’avait pas à ména­ger la chè­vre et le chou en con­ve­nant que le pro­pos était mala­droit et déplacé.

Rap­pe­lons le pro­pos : “ Sar­kozy, je te vois ”. Mala­droit ? Déplacé ? Et en quoi ? Les juge­ments de valeur sont dépla­cés dans un juge­ment en droit. Un pro­pos viole la loi ou ne le viole pas, le juge n’a pas à jouer les arbi­tres des élé­gan­ces. Bien sûr, il y a des excep­tions (en droit, il y a TOU­JOURS des excep­tions). Quand un pro­pos a cho­qué l’opi­nion publi­que mais ne tombe pas sous le coup de la loi, le tri­bu­nal peut recon­naî­tre que le pro­pos pou­vait cho­quer, est con­tro­versé, va con­tre une thèse offi­cielle, etc. Il suf­fit de lire les juge­ments de relaxe dont ont pu béné­fi­cier Jean-Marie Le Pen ou Dieu­donné. Mais même en ce fai­sant, il ne porte pas vrai­ment de juge­ment de valeur mais cons­tate une évi­dence et situe un con­texte.

Dans notre affaire, le pro­pos n’a cho­qué per­sonne. Je ne con­nais per­sonne qui ait approuvé ces pour­sui­tes, pas même Fré­dé­ric Lefèb­vre, ce qui n’est pas peu dire. Aucune pré­cau­tion ver­bale ne s’impo­sait.

Vou­loir donc ména­ger la chè­vre et le chou me paraît donc ici mala­droit et déplacé. Une relaxe un peu plus cin­glante aurait eu ma pré­fé­rence. Parce que la liberté d’expres­sion le vaut bien.

mercredi 1 juillet 2009

Les pompiers de New Haven sont-ils plus sages qu'une vieille dame hispanique ?

Je sais que ce titre est mystérieux de prime abord. Mais laissez-moi vous l'expliquer en inaugurant une nouvelle rubrique (qui se caractérisera pas des titres aussi incompréhensibles de prime abord que celui-là). Le droit comparé est en fac de droit une matière noble et prestigieuse. Comprendre : personne ne prend cette matière.

Et c'est dommage car étudier des systèmes de droit différents du nôtre est passionnant. Tout particulièrement le pays du droit que sont les États-Unis(sauf pour la Chine, pour qui c'est la France[1]).

L'actualité juridique de ce pays n'ayant rien à envier à la nôtre, je parlerai régulièrement dans ma rubrique Iou Héssé de ce qui se passe là-bas et dont on ne parle pas assez ici. Mes lecteurs antiaméricains pourront arrêter là leur lecture et se remettre au boulot, et ainsi grâce à moi augmenter leur productivité et obtenir une promotion après avoir fait péter leurs objectifs.

Et commençons tout de suite en parlant de Sonia Sotomayor.

Sonia Sotomayor, 55 ans tout juste, est née à New York, dans le Bronx, d'une famille portoricaine. Après des études à Princeton et Harvard, elle est aujourd'hui juge à la 2e cour d'appel fédérale (qui couvre le Connecticut, l'État de New York, et le Vermont). Elle a été nommée par le président Obama pour siéger à la Cour Suprême des États-Unis en remplacement du Justice[2] David Souter, qui a pris sa retraite hier, après avoir laissé une dernière mine pour son successeur. Sonia Sotomayor et son sourire carnassier - image Wikipedia

Aux États-Unis, la nomination des juges est une affaire politique, et celle des juges à la cour suprême une affaire suprêmement politique. Ho, ne vous gaussez pas. Je vous montrerai bientôt qu'il en est désormais de même en France, à ceci près qu'aux États-Unis, on respecte la loi pour ces nominations.

Le président désigne librement son candidat, qui doit être approuvé par le Sénat (article 2 de la Constitution). La nomination est à vie, soit jusqu'à ce que le Justice prenne sa retraite (Option Souter) ou décède agrippé à son siège (Option Rehnquist). Le nombre de juges à la cour suprême est fixé à neuf depuis 1869. Ha, et pour faire pleurer les petits pois, le salaire des Justice est de 12 370 euros mensuels, 13 000 euros mensuels pour le Chief Justice. Je pense qu'on est aux environs du double de notre Chief Petit Pois.

Ordoncques, le président Obama a désigné comme candidate à la succession de Souter Sonia Sotomayor, une femme hispanique, à la carrière brillante et à la réputation sans tache. L'opposition républicaine s'est donc empressée de tâcher de la tacher. Cela peut paraître terriblement mesquin ; mais en fait, oui, ça l'est. Et les démocrates ont montré qu'ils n'avaient rien à envier aux républicains à ce petit jeu, même si rares sont les nominations qui n'aboutissent pas. La dernière en date est le fiasco Harriet Meiers en 2005, qui avait contre elle de ne pas avoir d'expérience de juge, de ne rien connaître au droit constitutionnel, et pas grand chose au reste du droit, et pour elle d'être la grande qualité d'être la copine du président. Qui a dit “ Rachida ” ?

Aussitôt la candidature de Sotomayor annoncée, les Républicains se sont jetés sur sa carrière et l'ont passé au peigne fin pour trouver la preuve de ce qu'elle n'était pas à la hauteur du poste. La pêche fut maigre : d'une part, une déclaration lors d'un discours à Berkeley en 2001, où elle semblait considérer qu'une femme hispanique ferait un meilleur juge qu'un homme blanc[3]. Ce propos fut même qualifié de raciste. D'autre part : sa position dans une affaire Ricci v. DeStefano.

Et c'est ici qu'arrivent nos pompiers du Connecticut.

La ville de New Haven, berceau de la faculté de Yale (il faudra un jour que je vous raconte la vie d'un étudiant en droit à Yale : j'ai fait pleurer les petits pois, je vais aussi faire pleurer les étudiants français), a un service de pompiers. Jusque là, tout va bien. Il faut savoir que la loi fédérale américaine engage la responsabilité de toute autorité publique qui fait de la discrimination, volontairement ou non (Civil Rights Act de 1964). Un mode de sélection qui a pour effet même non voulu de discriminer selon la race ou le sexe engage la responsabilité de l'autorité. Et là-bas, c'est pas l'euro symbolique, c'est plutôt le million de dollar symbolique.

En novembre et décembre 2003, la ville de New Haven a organisé un concours pour accéder aux grades de lieutenant (chef d'une caserne) et capitaine (chapeautant plusieurs casernes et siégeant dans les conseils décisionnaires). Les concours se passent en un écrit (60%de la note) et un oral (40% de la note). Sont reçus sur la liste de promotion les candidats qui atteignent 14/20 (70 sur 100 aux États-Unis). Sachant que la loi laisse libre choix dans la liste, à ceci près qu'il faut toujours prendre un des trois premiers par ordre de classement (Rule Of Three). C'est à dire que si Alceste, Bonaventure, Calliste , Désiré et Enguerran sont respectivement 1er, 2e, 3e , 4e et 5e au concours, l'autorité peut promouvoir qui elle veut entre Alceste, Bonaventure et Calliste. Ce n'est qu'une fois un de ceux-ci promus qu'elle pourra envisager de promouvoir Désiré, qui figurera parmi les trois premiers de la liste. Enguerrand ne pourra espérer de promotion qu'une fois un de ceux-là promu à son tour. Et on peut être premier de la liste et ne jamais être promu.

118 candidats se présentent pour 8 places de Lieutenant et 7 de capitaine. Pour avoir un espoir de promotion, il faut donc être respectivement dans les 10 et 9 premiers. Les résultats tombent, et il s'avère qu'aucun noir n'est admissible à la promotion, même avec le tempérament de The Rule Of Three. Les juristes de la mairie alertent le maire démocrate John DeStefano Jr qu'il existe un risque de procès des candidats noirs évincés pour discrimination. Le maire décide que le fait qu'aucun noir n'ait été reçu révèle que le processus de sélection était discriminatoire, et annule le concours.

Mais au pays des procès, on n'échappe à son destin, et ce sont des pompiers blancs qui vont faire un procès pour discrimination, faisant valoir qu'ils ont réussi le concours et qu'on leur refuse leur promotion parce qu'ils sont blancs. Le principal plaignant est Franck Ricci, pompier depuis 11 ans, frappé de dyslexie, qui a payé 1000 dollars un lecteur pour lui enregistrer les cours sur cassette faute de pouvoir les retenir par la lecture, qui a abandonné son deuxième travail pour se consacrer au concours et a travaillé comme un fou pour finir 6e sur 77. D'où le nom de l'affaire : Ricci v. DeStefano.

Le 28 septembre 2006, le juge fédéral Janet Bond Arterton donne raison au maire de New Haven pour la raison suivante : il n'y a pas eu discrimination, car personne n'a été promu.

Le 15 février 2008, la 2e cour d'appel fédérale rejette l'appel de Ricci par une décision non motivée rendue par une section (panel) de trois juges, dont Sotomayor. Un des juges de la cour trouvant que c'est un peu court va demander que l'affaire soit examinée par tous les 13 juges assemblés (en anglais on dit en banc, oui, c'est du français). Face à cette demande, la section va retirer sa décision non motivée et va rendre à la place un arrêt motivé et commun (en anglais per curiam, oui, c'est du latin) par opposition à un arrêt signé par le rédacteur (en France, tous les arrêts sont rendus per curiam, et en plus, il n'y a pas d'opinions dissidentes). La motivation faisait huit phrases, ce qui pour la cour de cassation est beaucoup (ses arrêts font une phrase) mais aux États-Unis est peu. Pour la sous-section, le jugement est sensé, équilibré, et il n'y a pas de bonne solution, désolé m'sieur Ricci. La motion visant à une révision en banc est rejeté 7 voix à 6, ce qui révèle que le sujet faisait débat. Deux juges minoritaires vont demander à la cour suprême de se saisir de l'affaire, ce qu'elle va faire.

Et ce lundi 29 juin, dernier jour de travail du Justice Souter (mais je dois à la justice de signaler que Souter a rendu une opinion dissidente), la cour a rendu son arrêt Ricci v. DeStefano. Par 5 voix contre 4, elle casse l'arrêt de la 2e cour d'appel et dit qu'il y a eu discrimination à l'encontre des candidats blancs, faute pour la ville de New Haven de pouvoir démontrer avec une base solide de preuve (strong basis of evidence) que si elle n'avait pas fait l'acte reproché (annuler le concours), elle aurait engagé sa responsabilité selon le Civil Rights Act de 1964.

Voici une première occasion de réflexion sur les mérite et dérives de la discrimination positive. Faut-il annuler un concours sous le prétexte qu'aucun candidat issu des minorités ne l'a réussi, sans qu'on soit sûr que c'est la façon dont le concours a été organisé qui a provoqué ce résultat disparate ? Pour le moment, la tradition française s'y oppose absolument, ne serait-ce que parce que la loi interdit de répertorier la race ou l'origine ethnique des candidats (ce qui fera dire aux partisans de la discrimination positive que c'est un moyen de cacher la discrimination) et que le classement final est déterminant pour les admissions (on ne peut pas sauter un candidat pour prendre le suivant).

Et pour en revenir à Sotomayor, elle a désormais un caillou dans la chaussure : la cour suprême a, deux semaines avant son audition par le Sénat (qui commence le 13 juillet) déclaré qu'une décision qu'elle a rendue (c'est une décision per curiam, qui l'engage donc au même titre que ses deux collègues) violait la loi. Si en France, quand on est préfet, on a une médaille et une promotion pour cela, aux États-Unis, ça fait tache.

En soi, ça ne justifie pas un rejet par le Sénat. Mais sa position est moins solide. Les républicains vont l'attaquer à fond sur le problème racial, rappelant ses propos de 2001 et l'accusant d'être une raciste anti-blanc (reverted racist). Elle ne pourra pas se permettre le moindre faux pas. Sotomayor a du talent et du répondant et elle ne joue jamais la défensive mais toujours l'offensive. Les débats promettent d'être passionnants.

Prochain épisode : faut-il se chauffer au gaz pour être juge en Virginie occidentale ? (Rien que pour le titres qu'il me permet, j'adore le droit américain)

Notes

[1] En Chinois, France, 法國, se dit Fǎ guó, le pays du droit et États-Unis, 美國, se dit Měi guó, le beau pays. Rien à voir avec la déclaration des droits de l'homme et le Grand Canyon, le Chinois traduit en prenant un mot à la sonorité proche, de préférence flatteur. France = Fa, avec un a trainant qui descend vers les graves avant de remonter vers les aigus (cliquez pour le son). America = Mei (cliquez pour le son). Guó veut dire pays et clôt la plupart des noms de pays.

[2] Le titre de Justice désigne aux États-Unis un juge à une cour suprême, que ce soit d'un État ou la fédérale. Le président d'une cour suprême s'appelle le Chief Justice, et c'est autrement plus la classe que Premier Président de la Cour de cassation.

[3] « Je m'attends à ce qu'une femme latina ayant de la sagesse avec la richesse de ses expériences aboutirait plus souvent qu'à son tour à une meilleure décision qu'un homme blanc qui n'aurait pas vécu cette vie. (I would hope that a wise Latina woman with the richness of her experiences would more often than not reach a better conclusion than a white male who hasn't lived that life).

Si Éric Besson n'existait pas, il ne faudrait pas l'inventer

Ça sent la peine plancher pour Éric.

Souvenez-vous. Sur France Inter, le 24 juin, Éric Besson est interpellé par Frédéric Pommier lors de sa revue de presse au sujet d'une affaire jugée à Rodez concernant un ressortissant guinéen, en situation régulière, poursuivi pour aide au séjour (le fameux délit de solidarité) pour avoir hébergé un compatriote sans papier ce qui ressemblait furieusement au délit dont Éric Besson assure avec l'aplomb d'un Mohammed Said al-Sahhaf qu'il n'existe pas.

Rappelons-nous la réponse catégorique du ministre :

Décidément, Éric Besson n'a pas de chance avec les journalistes.

C'est de Cédric Mathiot, journaliste à Libération (que je félicite pour son article : de la belle ouvrage), que va venir le coup de grâce. Il va mener son enquête et son article pulvérise les affirmations d'Éric Besson.

Voici ce qu'il a découvert.

Monsieur F. est bel est bien poursuivi devant le tribunal de Rodez pour aide au séjour irrégulier, consistant à avoir hébergé chez lui un de ses compatriotes sans papiers. Les faits ne sont pas “ beaucoup plus larges ” comme l'affirmait Besson : c'est le seul délit figurant à la prévention, et c'est donc bien pour celui-là que cinq mois de prison avec sursis ont été requis contre lui. Il n'est pas poursuivi pour quoi que ce soit d'autre. En France, on peut donc bien finir entre quatre murs pour avoir offert un toit.

Éric Besson invoque une autre affaire principale dont l'affaire d'immigration illégale n'était qu'incidente. Là encore, c'est inexact.

Monsieur F. exercerait la noble profession de devin (bien qu'il le nie farouchement, et la suite des événements semble indiquer qu'il n'a guère de compétences dans ce domaine). Depuis la dissolution du Commissariat au Plan, cette profession ne peut plus être exercée qu'à titre libéral. Santé, travail, argent, retour de la femme aimée : il aurait pu travailler pour l'Élysée, il maraboute en Aveyron. Mais monsieur F. ne déclarerait pas son activité (C'est ce qu'on appelle une activité occulte) et fait l'objet d'une enquête préliminaire diligentée par le parquet du tribunal voisin, Millau, pour travail dissimulé. À l'occasion d'une perquisition chez lui dans le cadre de l'enquête pour travail dissimulé, les policiers ont constaté la présence d'un Guinéen sans papiers. Ils en ont dressé procès verbal et ont transmis au parquet du domicile de monsieur F., conformément à l'article 19 du code de procédure pénale. C'est ce qu'on appelle une procédure incidente par rapport à la procédure principale. Les termes ne concernent pas l'importance des faits mais l'ordre chronologique. Sur une procédure principale de conduite sans permis, on peut ouvrir une procédure incidente pour meurtre. La procédure incidente peut être jointe à la principale si les faits sont liés, ou vivre sa vie propre. C'est précisément ce qui va se passer : le parquet de Rodez va citer monsieur F. pour aide au séjour irrégulier. Quant à l'affaire de travail dissimulé, le dossier est toujours sur le bureau du procureur de Millau qui n'a pas encore pris de décision. Monsieur F. n'est pas pour le moment poursuivi pour ce délit.

Bref, le seul délit que l'on reproche à monsieur F. pour le moment est le délit de séjour irrégulier, le fameux délit de solidarité qui n'existe pas. Ré-écoutons Éric Besson.

« Ce que je dis, c'est qu'il n'y a pas de particulier condamné en France pour avoir hébergé un étranger en situation irrégulière».

Le tribunal de Rodez, visiblement pas au courant, rendra son délibéré le 22 juillet.

Besson en Pinocchio, Eolas en Jiminy Cricket sur son nez le réprimandant en vain. S'il continue à récidiver, se dit Eolas, ce pantin finira en plancher pour sa peine.

mardi 30 juin 2009

I like to move it move it !

Dites adieu aux erreurs 503, mon blog va changer de plate forme pour passer à Dotclear 2, ce qui devrait mettre fin aux instabilités en cas d'afflux de visiteurs (Overkill, mon serveur, étant entraîné par Lance Armstrong et Richard Gasquet, il est tout à fait capable de faire face à cet afflux). Cela devrait se traduire par une fermeture provisoire des commentaires, et sans doute une demi-heure d'indisponibilité le temps que la peinture sèche. Mais je ne sais pas quand, ça dépend de mon esclave Rémi, qui ne veut pas sortir de son cachot malgré mes coups de fouet. Allez, tous ensemble, on encourage Rémi.

Vous ne verrez aucun changement sur le coup, c'est fait exprès, ça viendra plus tard.

Pour vous faire patienter, voici l'origine du titre, et un rappel de pourquoi il ne faut pas regretter les années 90.

Une terrible leçon

Il s'appelle Vamara Kamagaté (kamagaté est son nom de famille). Il est ivoirien, SDF, sans papiers, mais en France depuis 20 ans, il traîne à Paris. Il a établi ses pénates du côté de Bastille. Oh, ce n'est pas un SDF discret et poli. Il se fait remarquer quand il est ivre en insultant les femmes qui passent.

Elle s'appelle Alexandra G. Elle est étudiante en médecine. Son petit ami est policier à Paris, et ne s'intéresse pas assez à elle à son goût.

Un soir de février 2008, elle lui raconte qu'elle a été agressée le 6 février précédent dans la rue, par un homme noir d'une soixantaine d'années pourtant un bob sur la tête. Après l’avoir injuriée, il l’aurait saisie par le cou, aurait passé sa main sous ses vêtements pour lui pincer les seins avant de passer sa main au niveau de ses hanches en lui rentrant les doigts dans les côtes des deux côtés, en la pinçant, puis de mettre sa main dans sa culotte sous son jean et de lui frotter le sexe avec la main, et enfin de la repousser en hurlant.

Le 25 février 2008, son compagnon la conduit sur son lieu de travail pour prendre sa plainte. Munie d'une réquisition à cet effet, elle se rend aux Urgences Médico-Judiciaires pour qu'un certificat médical établissant les violences soit établi. Là, mesdames et messieurs les magistrats, j'attire votre attention : un certificat médical lui est délivré, ne relevant pas de doléances physiques mais un état de stress post-traumatique majeur avec une ITT[1] de dix jours, tout en relevant une « rumination psychologique » et des « antécédents victimologiques ».

L'enquête est rondement menée. La police fait passer l'info qu'on recherche « un SDF africain d’âge mûr ». Muni de cette description détaillée, le bureau de coordination des opérations signale qu'il a ça en magasin, au centre de rétention de Vincennes. Vous l'avez deviné, c'est Vamara Kamagaté. 46 ans, c'est moins que 60, mais il est noir et a un chapeau : son compte est bon.

On présente la photo de Monsieur Kamagaté au milieu de huit autres à Alexandra G., qui l'identifie en précisant être « pas absolument formelle » mais précisant reconnaître sa casquette rasta, « très caractéristique ». Vamara Kamagaté est extrait du centre de rétention et placé en garde à vue 28 heures, pendant lesquelles il nie absolument les faits.

La procédure est transmise au parquet, le rapport de synthèse précisant que le « bonnet noir » du suspect aurait été identifié par la victime et que « quelques incohérences [dans les déclarations de Monsieur Kamagaté] étaient toutefois relevées, mettant en évidence sa vision particulière de la vérité ». Retenez bien cette dernière phrase.

Le parquet estime en avoir assez pour une comparution immédiate, et notre ivoirien est jugé le 8 mars 2008 par la 23e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, pour agression sexuelle, violences suivies d’une incapacité totale temporaire de plus de huit jours, injures publiques envers un particulier en raison de sa race, de sa religion ou de son origine, et infraction à la législation sur les étrangers. Si tel est le cas, et ma source est fiable, il y avait une superbe double nullité, la procédure de comparution immédiate n'étant pas applicable à un délit puni de six mois d'emprisonnement sauf flagrance (art. 395 du CPP), et on était là un mois après les faits, ce qui exclut la flagrance (art. 53 du CPP), et elle est en tout état de cause inapplicable aux délits de presse, ce qu'est l'injure raciale (art. 397-6 du CPP).

Malgré ses dénégations à l'audience, il est déclaré coupable pour le tout et condamné à 18 mois d'emprisonnement avec placement en détention, et trois ans d'interdiction du territoire, accessoirement en violation de l'article 131-30-1, 3° du code pénal faute de motivation spéciale. La victime ne se présente pas à l'audience mais est représentée par un avocat. Elle obtient 3000 euros de provision sur dommages-intérêts, l'affaire étant renvoyée sur intérêt civils pour qu'une expertise évalue son préjudice, susceptible d'être pris en charge par la Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infraction (faits d'agression sexuelle, art. 706-3 du CPP).

Monsieur Kagamaté ne fait pas appel. Justice est faite.

Sauf que.

Sauf que voilà, Alerxandra G. a tout inventé. Tout.

Le 14 mai 2008, rongée par le remord (elle croyait, naïve, que M. Kamagaté ne pouvait se faire condamner sur une accusation fantaisiste), elle écrit une lettre que son avocat transmet au tribunal exposant qu'elle avait bien été victime d'une telle agression, mais à l'âge de 13 ans, agression dont elle avait le sentiment qu’elle n’avait pas été suffisamment prise en compte par ses parents, puis à la fin de ses études secondaires, elle avait été victime d’un viol qu’elle avait gardé secret, et que, « fréquentant un policier, elle avait été touchée de sa réaction face à l’agression dont avait été victime une de ses amies » et du coup que, traversant une crise d’angoisse, elle lui avait déclaré qu’elle s’était fait agresser et lui avait en réalité décrit ses agressions antérieures.

Le parquet fait diligenter une enquête qui établit qu'en effet, tout le récit était inventé. Merveilleuse police qui à la demande, établit dans la même affaire, la culpabilité puis l'innocence. C'est la polyvalence des services. Voilà le problème : la vision particulière de la vérité de monsieur Kamagaté, c'est juste la vérité, en fait. On dissertait hier sur “ qu'est ce que la vérité ?” Voilà. C'est ça.

Problème : monsieur Kamagaté n'a pas fait appel. On se demande d'où vient son peu de confiance dans la justice. La condamnation est donc définitive.

C'est le garde des Sceaux de l'époque, Rachida Dati (il aura fallu qu'elle parte pour que je trouve enfin une raison de lui rendre hommage…) qui débloquera la situation en saisissant la Commission de révision de la cour de cassation, seule habilitée à revenir sur une condamnation définitive. Vamara Kamagaté pouvait le faire lui-même, mais pour des raisons que j'ignore, il n'a semble-t-il pas été informé par son avocat d'alors, qui n'est pour rien dans la procédure de révision. C'est l'avocat de la partie civile et le président du tribunal qui ont lancé la procédure grâce au Garde des Sceaux. C'est la même commission qui a statué dans l'affaire Seznec. (NB : paragraphe mis à jour.)

Et le 24 juin dernier, la cour de révision a cassé le jugement du 8 mars 2008 et renvoyé l'affaire pour être à nouveau jugée devant la 23e chambre. Pourquoi juger à nouveau ? Dame ! Il reste le séjour irrégulier. Car même si eu égard à sa situation, 20 ans de séjour en France, il a droit à une carte de séjour (art. L.313-14 du CESEDA), il n'a pas demandé cette carte, ce qui suffit à constituer le délit.

Cette affaire ne doit pas être l'occasion de pointer du doigt tel ou tel magistrat. C'est facile, c'est commode, et ça ne change rien. Vous voyez à quoi je fais allusion. Dans cette affaire, le président qui a prononcé la condamnation a aidé l'avocat de M. Kamagaté mise à jour :d'Alexandra G. à lancer la procédure de révision. C'est la moindre des choses ? Mais rien ne l'y obligeait.

Ce qu'il faut en tirer, c'est une grande leçon pour nous tous, du monde judiciaire.

Dans cette affaire, il y avait un certificat médical des UMJ qui arrêtait 10 jours d'ITT. Sur la base d'un récit imaginaire. La religion du certificat médical est pernicieuse dans le prétoire. Il faut prendre ce document avec des pincettes : ce n'est pas une preuve, c'est un document d'un médecin, pas d'un haruspice, qui dit : “ si ce récit est vrai, alors l'ITT est de… ”, et même quand il constate des blessures, il ne peut garantir que ces blessures aient été causées comme le déclare la victime. À trop vivre dans une société victimaire, où on n'a pas assez de larmes à verser sur leur épaule, on oublie que les victimes mentent, calculent, ont des intérêts, ou simplement soif d'attention. Bref, elles sont terriblement humaines.

Le témoignage de la seule victime ne peut, ne doit JAMAIS être considéré comme suffisant pour emporter condamnation. Un certificat des UMJ ne peut pas suppléer à l'absence de preuves objectives ou de témoignages fiables. Et quand on est avocat, qu'on a un SDF alcoolique qui traite les femmes de salope quand Bacchus lui ouvre les bras, qui n'est peut-être pas sympathique et sent la vinasse, et qui dit qu'il est innocent et parle de victime qui ment et de police complice, il faut se demander s'il n'y a pas un fond de vérité. Je n'aurais pas la prétention d'affirmer que, si monsieur Kagamaté était entré dans mon box de la section P12 parquet ce jour-là, j'aurais réalisé que j'avais affaire à un innocent.

Un innocent condamné, c'est une défaite pour tout le monde.

Et cette affaire sera maudite jusqu'au bout, puisque je lis dans Libération :

Pendant ce temps, Vamara Kamagate est en prison. Il y restera au total six mois, sans que personne ne l’informe de la procédure qui s’est enclenchée. «Un matin, les surveillants sont venus me chercher et ils m’ont dit : vous sortez.» Seul devant les portes de Fresnes, un papier qu’il ne sait pas lire à la main, il regagne son ancien quartier, où, enfin, un travailleur social lui explique ce que «révision» veut dire.

Laissons le mot de la fin à Monsieur Kamagaté :

« La justice, c’est humain, ça peut se tromper comme tout le monde ».

Monsieur Kamagaté, je suis profondément désolé de ce qui vous est arrivé. Puisse ce modeste billet aider à rétablir votre honneur.

Notes

[1] Incapacité totale de travail, l'unité de mesure des blessures en droit pénal.

lundi 29 juin 2009

A l’ombre de la justice en pleurs

par Sub lege libertas


Comme un poverello de bronze voûté dans les plis d’airain d’une bure cardinalice vert-de-grisée, son visage surgissait esquissé, marqué des douleurs du monde, les yeux creux protégeant le regard intérieur illuminé de sa foi, un sourire ébauché. Jean Roulland avait pétri son Cardinal Liénart dans la force du bronze comme un serviteur du Christ s’arrachant à la glèbe d’Adam.

Il n’offrait pas un piédestal au buste de ce prélat couvert d’honneur qu’il était, ce chevalier de la Légion d’honneur sur le champ de bataille des mains de Pétain en 1917, grand officier en 1962 des mains de De Gaulle, l’autre lillois immense. Qu'elle fut honnie cette statue du Cardinal Liénart, sculptée par Jean Roulland et érigée en 1988 à Lille près de l’Hospice Comtesse, à deux pas du Tribunal ! Le fut-elle seulement par le modernisme de sa représentation ou à cause de la modernité de cette figure essentielle du Lille, de la France, du XXe siècle ?

Dérangeant ce prince d’Eglise à 46 ans qui allait, geste alors incroyable, saluer Roger Salengro, maire franc-maçon et socialiste de Lille après son sacre d’évêque du lieu. Surprenant ce pasteur qui encouragea les prêtres-ouvriers, l’action sociale des catholiques. Déconcertant ce docte moderne qui lors du Concile de Vatican II oeuvra pour faire entendre - en latin tout de même - les réformateurs.

Il faut croire que 36 ans après sa mort, il déplaît encore pour qu’un jour en 2007, on ait retiré sa statue du square de l’Hospice Comtesse, parce que son socle s’érodait. Et pour qu'il disparaisse des mémoires, sa statue ne parut plus nulle part, remisée loin des regards,[1] le socle arasé. Pas une rue ne le célèbre comme les abbés Aerts, Bonpain et Cousin, dont je ne diminue pas le mérite et la mort héroïque. Mais enfin pourquoi cet ecclésiastique qui fréquentait Roger Salengro, est-il en effigie personna non grata dans la ville de Martine Aubry ? Pourtant, on n’est pas à ce point laïcard à Lille comme on le rappelle par ici.

Est-ce parce qu’aujourd’hui, il est inaudible de l’entendre dire :

Dans le monde des affaires, qu'est devenue l'honnêteté ? la justice ? Il n'y a plus que le succès qui compte. On poursuit la fortune par tous les moyens, fût-ce au prix de la misère des autres. (1935)

La Sagesse chrétienne rappelle que le profit doit servir au bien commun. Aussi considère-t-elle comme mal faite une société dans laquelle le capital se réserve tous les bénéfices du travail et condamne l'ouvrier à vivre dans des conditions de logement, de subsistance ou d'organisation du travail qui rendent précaire ou même impossible la dignité de sa vie personnelle et familiale. Elle ne peut approuver un état de choses où, selon le mot de Pie XI, "la matière sort ennoblie de l'atelier, tandis que les hommes s'y corrompent et s'y dégradent". (1945)

Composée de chefs, de cadres et d'ouvriers, la société professionnelle doit s'organiser de manière à ce que chacun de ses membres ait vraiment sa place en son sein, non pas une place de machine, mais une place d'homme, non pas une place précaire et instable, comme celle d'un étranger de passage, mais une place de membre actif et considéré comme tel. Chacun concourant pour une part au bien commun de l'entreprise a, par le fait même, son mot à dire, sans qu'on puisse y voir une atteinte à l'autorité du chef d'entreprise. Il est juste que chacun de ceux qui coopèrent à la production par leur travail bénéficient de ses fruits à proportion de leurs services. Tant que l'ouvrier n'aura pas obtenu sa place d'homme libre dans la société professionnelle, la justice ne sera pas satisfaite. Le jour où il l'obtiendra, la paix sociale renaîtra. (1955)

Être juste, c'est un devoir aussi, mais sans la charité la justice oppose les droits beaucoup plus qu'elle ne les concilie. Être prudent, c'est bien, mais sans la charité, de quels calculs intéressés ou mesquins ne s'embarrasse pas la prudence humaine ? Être fort contre le mal est nécessaire, mais dans l'exercice de cette force, si l'on ne fait pas intervenir la charité, comme on risque d'être dur. (1937)

Voilà pourquoi et les magistrats, et les justiciables, et tout à chacun, peuvent pleurer de ne plus passer devant la statue du Cardinal Liénart, quand elle se dressait square Comtesse à l’ombre du Palais de Justice lillois. Voilà pourquoi on veut se souvenir d'Achille Liénart, mais en dehors de Lille. Craignait-on pour l’en bannir, qu’il évoquât trop une certaine idée de la justice ?

Notes

[1] Ce Cardinal errant sans édicule municipal semble, aux dires d'un journaliste perspicace de la Voix du Nord, bizarrement pour un monument public, séquestré par l'autorité ecclésiale.(actualisation du 2 juillet 2009)

Peut-on jamais être innocent ?

À la suite d'un coup de gueule que j'ai piqué sur Facebook, un débat est né sur ce support qui m'a fait réaliser à quel point un malentendu pouvait exister chez certains de mes concitoyens.

J'exprimais ma colère à l'égard du comportement de ceux qui, à l'occasion de la mort d'un artiste mondialement connu, ressortent des accusations sur des tendances perverses à l'égard des mineurs qu'il aurait eues de son vivant. Au-delà de l'inélégance du propos (car il n'y a rien de plus urgent, quand ceux qui aimaient une personne sont encore frappées par le deuil, que de jouer au sycophante sur la dépouille), il pose un problème éthique plus profond. Cette personne non seulement n'a jamais été condamnée, mais en plus, elle a fait l'objet de poursuites pour dix chefs d'accusation qui ont tous aboutis à un acquittement le 13 juin 2005 après six mois de débats. Il avait certes payé 23 millions de dollars pour mettre fin à une première plainte, mais le plaignant de l'époque, devenu majeur, a depuis reconnu avoir menti à l'instigation de son père. Voilà des éléments qui à tout le moins devraient porter à la prudence. Mais non, rien n'y fait.

Il ne s'agit pas de constater une évidence : la force du préjugé. Les avocats savent bien qu'il n'est nul besoin d'étayer une affirmation qui va dans le sens des idées reçues de l'auditoire, quand bien même elle est fausse ; tandis que vous aurez les plus grandes peines du monde à démontrer une vérité qui va contre les préjugés. Essayez de discuter du 11 septembre avec un conspirationniste, et vous comprendrez.

De même, il ne s'agit nullement de disserter sur la réalité ou non des faits imputés au défunt : tout commentaire à ce sujet sera supprimé car hors sujet. On a de l'éducation, ici.

La question que je souhaite développer dans ce billet répond à l'argument suivant, censé réfuter l'acquittement : un verdict de non culpabilité ne voudrait rien dire d'autre que le jury n'a pas estimé que des preuves suffisantes avaient été rapportées, et rien d'autre. Il ne prouve pas l'innocence, mais seulement l'insuffisance des preuves. Ergo : on peut continuer à affirmer que l'acquitté était coupable.

À lire cela, mon sang se glace. Biais d'avocat, direz-vous, et je l'assume, encore que je suis prêt à parier que mon accablement sera partagé par bien des magistrats, fussent-ils du parquet.

Vous imaginez la conséquence ? Les acquittés d'Outreau ne sont donc pas libérés du soupçon (d'ailleurs des rumeurs n'ont pas tardé à courir sur eux aussi, les mêmes causes entraînant les mêmes conséquences), et ce Dreyfus, là, tout de même : il n'y a pas de fumée sans feu. etc., ad nauseam.

Ces mêmes personnes n'auront en revanche aucune prévention sur un verdict de culpabilité. Je doute qu'elles eussent exprimé de telles réserves si le jury de la Haute Cour de Justice de l'État de Californie avait rendu un verdict de culpabilité. Car on pourrait tout aussi bien dire qu'un verdict de culpabilité ne veut rien dire d'autre que le jury a estimé que des preuves suffisantes avaient été rapportées, mais que cela ne veut certainement pas dire que l'accusé est coupable. Curieusement, cet aspect nécessaire de la thèse est moins soutenu.

Dissipons donc ces fadaises. En droit, en tout cas en droit français : quand est-on coupable, quand est-on innocent ?

Le principe est simple : a priori, on est innocent. C'est le sens de la présomption d'innocence.

Aucune juridiction, qu'elle soit française ou américaine, ne rend un verdict d'innocence. Ce serait un non-sens que de déclarer ce qui est déjà. Un jury américain rend un verdict disant coupable (guilty) ou non-coupable (not guilty). Un jury français vote qu'en son âme et conscience, sa réponse est “oui” ou “non” à la question de savoir si X… est coupable d'avoir… (art. 357 du code de procédure pénale, CPP). Il ne vote pas pour savoir si X… est innocent ou s'il y a juste trop de doute. Que l'innocence ait été établi par les débats ou que le jury ait eu un doute, voire que le jury ait voté contre l'évidence (j'y reviendrai), cela revient rigoureusement au même : au dépouillement, il y avait au moins cinq non sur les douze bulletins : on acquitte.

Devant une juridiction correctionnelle, de police ou de proximité[1], un jugement motivé est rendu. Le juge explique les raisons qui ont emporté son intime conviction. Mais dans tous les cas, le dispositif du jugement[2] déclare coupable ou à l'inverse relaxe (ou : renvoie des fins de poursuite). Que le jugement déclare que le prévenu[3] a démontré son innocence de manière irréfutable, ce qui est rare[4], ou que le tribunal relaxe au bénéfice du doute, le résultat est rigoureusement le même : un jugement est rendu qui écarte la culpabilité. Si le parquet ne fait pas appel, ou si c'est la cour d'appel, ne se pourvoit pas en cassation, la décision devient définitive. Il est désormais impossible de poursuivre à nouveau la même personne pour les mêmes faits : les juristes disent non bis in idem pour crâner en latin.

Abordons deux autres hypothèses, qui mettent fin aux poursuites sans pour autant statuer sur la culpabilité.

Tout d'abord, le classement sans suite. Le parquet a en France l'opportunité des poursuites (art. 40-1 du CPP). Il peut décider de classer sans suite toute procédure tant qu'un juge n'est pas saisi. Précision importante : il n'y a pas de désistement en droit pénal français, le parquet ne peut pas “retirer sa plainte” et mettre fin au procès (sauf pour les délits de presse). Environ les trois quarts des plaintes sont ainsi classées sans suite chaque année.

Le classement sans suite n'est pas une décision juridictionnelle. Il n'établit pas l'innocence de la personne visée, et rien n'empêche le parquet de rouvrir les poursuites, tant que les faits ne sont pas prescrits[5]. Le classement sans suite peut être décidé parce que les faits ne sont pas une infraction (une personne va porter plainte contre son plombier qui a mal réparé sa fuite), une alternative aux poursuites a été menée avec succès (convocation devant le délégué du procureur avec indemnisation de la victime), ou qu'un simple rappel à la loi suffit (les faits sont dérisoires et bénins), ou que l'auteur n'a pas été identifié ou les faits établis. Ce n'est pas le parquet qui décide de jeter à la poubelle des dossiers parce que ce sont des feignasses. Je reprocherai tous les péchés du monde au parquet, mais la fainéantise viendra en dernier.

Ensuite, le non-lieu. C'est une décision rendue par un juge d'instruction mettant fin à son enquête sans que quiconque ne soit finalement envoyé devant un tribunal pour être jugé. Ce terme est très mal compris. Il ne signifie pas que les faits n'ont pas eu lieu, mais que, une fois que le juge ayant fait tous les actes permettant la manifestation de la vérité, l'étude globale du dossier conduit à dire qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure (on parle de non lieu à suivre). Soit que les faits soient prescrits, soit qu'ils ne constituent pas une infraction, soit qu'ils n'aient pas été prouvés, soit que l'auteur n'ait pas pu être identifié. Une affaire de meurtre peut se finir en non lieu, alors qu'on sait qu'il y a eu meurtre. Voyez l'affaire Grégory Villemin.

Le non lieu est une décision juridictionnelle (elle est rendue par un juge, et même après un débat contradictoire écrit depuis la loi du 5 mars 2007), mais pas un jugement statuant sur la culpabilité. Le juge d'instruction est neutre, il instruit à charge et à décharge et quand bien même un mis en examen a reconnu les faits, que des preuves objectives corroborent ses déclarations et que les faits ont eu lieu devant des caméras de télévision, il reste présumé innocent quand bien même il est renvoyé devant une juridiction de jugement. Dès lors, puisqu'on n'a pas statué sur la culpabilité, le non lieu met fin aux poursuites, mais pas définitivement. Une réouverture (on dit reprise) de l'instruction est possible tant que la prescription n'est pas acquise. Il faut simplement des charges nouvelles, c'est à dire inconnues lors de la première instruction (art. 189 du CPP). Ajoutons que seul le parquet peut demander cette reprise (art. 190 du CPP).

Il est donc tout à fait loisible de dire qu'un classement sans suite ou un non lieu n'établit pas l'innocence (encore que la lecture de l'ordonnance de non lieu peut dissiper toute incertitude là-dessus).

Mais un acquittement ou une relaxe, si elle n'établit pas nécessairement l'innocence, ne permet plus, une fois devenu définitif, d'établir la culpabilité.

— Et la révision ?

La révision ne marche que dans un sens : reconnaître l'innocence d'une personne définitivement déclarée coupable. Je reviendrai demain là-dessus car la cour de cassation vient de rendre une décision riche d'enseignements pour nous tous, acteurs du monde judiciaire. Il n'y a pas de révision d'un acquittement.

— Mais alors, me demandera-t-on non sans malice, Raoul Villain, l'assassin de Jaurès, est innocent, puisqu'il a été acquitté le 29 mars 1919. Idem pour Henriette Caillaux, qui a pourtant plaidé coupable du meurtre de Gaston Calmette, acquittée le 28 juillet 1914. Ou encore Louis-Anthelme Grégori, qui ouvrit le feu sur Alfred Dreyfus en 1908 lors du transfert des cendres de Zola au Panthéon, lui aussi acquitté bien qu'il revendiquât son geste ? Et peut-on dire que John Wilkes Booth est coupable de l'assassinat de Lincoln, lui qui a été tué lors de son arrestation le 26 avril 1865 ?

Au-delà du fait qu'on peut se demander si on peut vraiment reprocher à quelqu'un de tirer sur un journaliste du Figaro (rhôôô, ça va, je plaisante), notons d'emblée que prendre comme référence des cas exceptionnels d'acquittement contre l'évidence rendues pour des raisons politiques liées à l'époque où elles ont été prises est une démonstration un peu bancale. Toujours est-il qu'après leur acquittement, Villain, Caillaux et Grégori ne pouvaient plus être poursuivis et condamnés pour ces faits. Cependant, affirmer publiquement leur culpabilité ne tombe pas sous le coup de la loi. Outre le fait qu'ils l'admettaient tous quand ils ne la revendiquaient pas, les propos accusateurs, susceptibles d'être diffamatoires, peuvent bénéficier de l'exception de vérité dans les dix années suivant les faits, l'article 35 de la loi de 1881 n'excluant pas les décisions définitives de relaxe et d'acquittement (mais bel et bien les condamnations effacées !). Et au-delà, les historiens sont couverts par l'exception de bonne foi, dont les quatre conditions sont la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que la qualité de l’enquête. Ce pourrait être une définition du métier d'historien. On peut donc affirmer que Villain, Caillaux et Grégori étaient bien coupables et ont été acquittés contre l'évidence, sans sombrer dans la diffamation. En revanche, dire que tel chanteur au nez creux aimait trop les enfants tombe sous le coup de la diffamation, les corbeaux de comptoir colportant ces accusations ne remplissant aucune des quatre conditions de la bonne foi.

Quand à Booth, dire qu'il est coupable de l'assassinat n'a guère de sens. C'est répondre à une question juridique qui n'a jamais été posée, puisque le principal suspect est mort avant d'avoir été jugé et condamné après avoir exposé sa défense. Le sort de Booth échappe aux juristes pour passer aux mains des historiens. Et dire que Booth a tiré sur Lincoln est une vérité historique établie.

En conclusion, une décision définitive de culpabilité ou d'innocence n'interdit pas de dire que l'intéressé est néanmoins innocent ou coupable de ces faits, respectivement. Mais cette décision ne peut être écartée d'un revers de la main en affirmant qu'elle ne veut pas dire grand'chose. C'est une décision de justice. Prise après une minutieuse enquête, un long débat public ou chaque partie a pu exposer ses arguments. C'est une preuve.

Elle peut être combattue, Dieu merci, avec des conséquences juridiques différentes selon le cas (la culpabilité peut être effacée, pas la décision de non culpabilité) mais dans tous les cas dans le but de servir la vérité, au sens de vérité historique, qui dans le long terme surpasse en valeur éthique la vérité judiciaire. Mais elle doit être combattue avec des preuves. Pas avec des insinuations et de la médisance, reposant in fine sur le présupposé que quand on est noir et riche, on est forcément un monstre.

Notes

[1] Rappelons que le tribunal correctionnel juge les délits, punis de peines de prison pouvant aller jusqu'à dix ans, le tribunal de police juge les contraventions de 5e classe (punies de 1500 euros, 3000 en cas de récidive), et le juge de proximité juge les contravention des 1e aux 4e classes (punies respectivement de jusqu'à 38 euros, 150 euros, 450 et 750 euros d'amende).

[2] On ne parle pas de verdict devant un tribunal, le verdict ne s'applique qu'à la décision votée et non motivée rendue par une cour d'assises.

[3] Idem : on est accusé que devant la cour d'assises, devaient les autres juridictions pénales, on est prévenu, ce qui explique que je double mes honoraires devant ces juridictions. En effet, un client prévenu en vaut deux.

[4] De fait, j'ai eu une fois un dossier ou j'ai réussi à démontrer de manière irréfutable que mon client était innocent en produisant une série de preuves retraçant l'emploi du temps de mon client à l'heure des faits (bénie soit la société Big Brother). Le tribunal l'a relaxé, mais en se contentant de dire que la preuve de la culpabilité n'était pas rapportée au vu des éléments produits par la défense. Il aurait pu dire que l'innocence était établie, dans cette affaire. Il ne l'a pas fait. Et vous savez quoi ? Je m'en fiche, mais certainement pas autant que mon client.

[5] Les délais de prescription sont en principe de dix ans sans acte de poursuite pour un crime, trois ans pour un délit, un an pour une contravention.

vendredi 26 juin 2009

En effleurant ce rai de lumière d’une porte entrebâillée.

par Sub lege libertas


Etre une femme libérée, tu sais c’est pas si facile. On ne la laisse pas tomber dans l’oubli. Pourtant elle est si fragile, à 34 ans dont quinze ans de réclusion criminelle. Mais il faut toujours qu’elle purge la peine qu’elle a faite, non pas en prison, mais en sortant, à ceux qui veulent qu’elle paie à perpétuité, à mort et même après. Ah si l’on pouvait encore faire un procès à son cadavre, mais elle a, pour l’heure, l’outrecuidance de vivre, de revivre, de survivre.

Ni le sens de la peine, l’amendement de la condamnée, la réinsertion de l’ex-détenue n’y suffiront. Qu’elle ait subi toute sa peine, sans grâce particulière, comme son avocat l’avait prédit aux jurés, leur rappelant que pour son crime, en 43 ans de barre à l’époque, il n’avait jamais vu de libération anticipée, peu importe. Les fils spirituels de Lombroso veillent. C’est dans le sang, les gènes voire. La précaution et son principe chassent la rédemption.

A défaut, le silence s’imposerait par égard à l’irrémissible atteinte subie par les victimes. Non ! La faute doit être exposée à nouveau, son infamie réclame la flétrissure, le marquage à vie, à vif, ravivé. Mieux que le fer sur l’épaule de milady de Winter, le plomb de la presse et ses éclats pixelisés. Le procès virtuel est ouvert. Sa force est dans son infini présent. Il corrige l’imparfait du verdict qui clôt le débat. Faites encore entrer l’accusée, sempiternel impératif futur !

Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu jeter aux chiens le déshonneur lavé d’une femme et finalement sa vie future au prix d’un double manquement de ses accusateurs rémanents aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous. Même la dignité et la liberté recouvrée par la déchue qui se rachète.

Pour avoir malgré tout, malgré vous, parlé aussi de votre libération, je me dois, Mademoiselle, de ne vous souhaiter désormais rien d’autre que l’ordinaire de la vie.


Que ceux qui ne voient pas de qui je parle, entendent seulement de quoi je parle. Les autres aussi, merci.

So bad

Par Dadouche




Un autre adieu.
Définitif.

Il y a longtemps qu'on savait qu'il n'y aurait pas d'autre Thriller.
Qu'on se doutait le King of Pop ne finirait probablement pas plus glorieusement que LE King.
Que le visage du spectre blafard effaçait peu à peu celui du gamin surdoué qui chantait en famille.
Que les images de procès ou de bébé brandi par la fenêtre supplantaient celles de clips incroyables.
Qu'on citait davantage le montant des dettes que le nombre d'albums vendus.

Et pourtant...

Et pour garder le sourire :



Et en plus, ce soir, il y va une Drôle de Dame en moins.

mercredi 24 juin 2009

Prix Busiris à Éric Besson

Ce nouveau gouvernement n’aura pas attendu longtemps : il aura fallu douze heures pour son membre désormais le plus prometteur pour rafler un deuxième prix.

Portrait d'Éric Besson, dont la tête penche légèrement à droite. Photo ministère de l'Oriflamme et des Sarrasins.

C’était ce matin, sur France Inter, au cours de l’excellente (donc bientôt supprimée) revue de presse de Frédéric Pommier.

D’emblée, le journaliste va interpeller le ministre (c’est au moins ça qu’il y a de bien avec un journaliste viré, c’est qu’il perd ses inhibitions ; si vous voulez voir le journalisme que j’aime, Frédéric Pommier en a fait une démonstration ce matin) sur le fameux délit de solidarité-qui-n’existe-pas, avec une question à la limite de l’insolence, mais qui répond à l’insulte à l’intelligence que constitue le déni de réalité du ministre.

Éric Besson ne se laisse pas démonter et montre qu’il a bien préparé ses fiches. En shorter : comment peut-on me reprocher de mentir aujourd’hui puisque Chevènement mentait hier ?

Arrive aussitôt la première citation busirible. Attention, ça va vite, mais c’est un classique : je ne peux pas commenter une décision de justice, propos qui en soit est tellement banal qu’il n’éveille pas l’attention de l’académie, sauf que cette fois, écoutez bien : aussitôt dit cette phrase, que fait le ministre ? Il commente cette affaire.

L’affirmation d’un politique selon laquelle il ne peut commenter une affaire en cours ou une décision de justice est une aberration, et elle est juridique car elle se fonde sur le fait que la loi le leur interdirait (même si ce n’est pas clairement dit ici). Rappelons que juridiquement, il est parfaitement licite de commenter, et même de critiquer une décision de justice. La seule chose que la loi interdit est de jeter le discrédit sur cette décision dans des conditions de nature à porter atteinte au respect dû à la justice ou à son indépendance (art. 434-25 du code pénal). Du reste, il semble me souvenir que toute la classe politique ne s’est pas gênée pour commenter, et ce de manière critique, une bonne part des décisions de justice rendues dans l’affaire dite d’Outreau. Avez-vous entendu UN magistrat dire “ mais vous n’avez pas le droit ” ? Non, et pour cause. La justice est une des prérogatives régaliennes de l’État, elle est rendue au nom du peuple français, publiquement, afin que tout citoyen puisse se rendre compte par lui-même de comment elle est rendue. Ce qui implique le droit de la critiquer. Ce que je fais devant la cour à chaque fois que je fais appel. Et a fortiori un politique a ce droit, lui dont ce serait même le rôle. On peut critiquer. Mais pas d’insulter.

Ici, d’ailleurs, Éric Besson ne se gêne pas pour la commenter aussitôt, par un argument d’autorité en invoquant la position du parquet (qui est partie au procès) et du préfet (qui ne l’est pas et n’est pas censé avoir accès au dossier) : il y aurait plusieurs autres préventions, sans préciser lesquelles. À ce sujet, si des personnes proches du dossier me lisent, pouvez-vous confirmer ou infirmer cette information et me préciser le cas échéant les autres chefs de prévention ?

Affirmation juridiquement aberrante, avec en plus la contradiction immédiate. Je ne m’étendrai pas par pudeur sur la question de la mauvaise foi et de l’opportunité politique. Mais est-ce suffisant pour un Busiris, demanderont les plus orthodoxes d’entre vous ? À ce stade, je dois l’avouer, l’Académicien balance encore. Il ne s’agit pas de galvauder l’Honorable Prix en le donnant à n’importe qui. Enfin, si, à n’importe qui, en l’espèce, mais pas pour n’importe quoi.

Sentant peut-être le prix lui échapper, le ministre va un peu plus tard placer l’estocade. Mais avant, relevons ce passage.

Là-dessus, cela mérite d’être noté, le ministre dit vrai. Ce n’est pas arrivé une seule fois en 65 ans ; mais au moins 29 fois en 22 ans. Et oui, l’État aide des associations qui viennent en aide aux étrangers (citons au hasard le Collectif Respect, ou l’ASSFAM, qui a même perçu des subventions illégales pour pouvoir concourir au marché des centres de rétention, si ça c’est pas de l’aide). Mais le délit n’est pas d’aider des étrangers sans papier (heureusement pour moi), mais d’aider au séjour des étrangers sans papier. Une assistance juridique ne tombe pas sous le coup de la loi, mais héberger pour une nuit, oui : cour d’appel de Douai, arrêt n°06/01132 du 14 novembre 2006, publié par le GISTI.

Et voici donc venir la touche :

Moment de grâce. Reprenons au ralenti et décomposons en trois temps.

1. Le délit de solidarité n’existe pas.

2. Mais dans le cadre des enquêtes pour lutter contre les filières d’immigration clandestine (c’est ÇA, le vrai délit d’aide au séjour), oui, des particuliers, des membres d’association sont interpellés pour être interrogés. 4300 l’année dernière, et le président en veut 5000 cette année, tout ça pour juger 1000 passeurs par an[1].

3. Mais, ça, la loi n’y peut rien, c’est la pratique, la police, la justice, etc. En fait, la police télécharge illégalement les gardes à vue, quoi.

Les 5000 personnes qui connaîtront ces pratiques contre lesquelles la loi ne peut rien cette année pour satisfaire le bon plaisir présidentiel seront interpellées (art. 73 du CPP) et placées en garde à vue (art. 63 et s. du CPP) car il existera à leur encontre une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction passible de prison (art. 67 du CPP), à savoir l’aide au séjour irrégulier (art. L.622-1 du CESEDA), le fameux délit de solidarité. En supposant un instant que le chiffre de 1000 passeurs condamnés soit vrai, cela signifie que quatre personnes sur cinq seront finalement mises hors de cause et ne seront pas poursuivies.

Mettons que chacune de ces gardes à vue pour rien durera douze heures en moyenne, soit la moitié de la durée légale de base de 24 heures. Cela signifie que des innocents passeront en 2009 dans les commissariats de France l’équivalent de 5 ans et demi de privation de liberté pour un délit dont le ministre n’a de cesse de nous répéter qu’il n’existe pas. Et le ministre pour démontrer son point de vue arguera du fait qu’en effet, ces personnes n’auront finalement pas été condamnées, ni même poursuivies !

Face à cela, le cœur de l’Académicien ne peut balancer une seconde. Quand c’est demandé aussi élégamment, refuser le prix Busiris serait discourtois.

Le prix lui est donc décerné, et avec mention “ très déshonorable ” encore.

Notes

[1] Chiffre qui soit dit en passant est manifestement mensonger. Selon l’annuaire statistique de la justice 2009 (pdf, 2 Mo), page 149 du pdf, rubrique 28, le casier judiciaire a enregistré en 2006 5767 condamnations pour la police des étrangers et des nomades, chiffre en tendance baissière (6462 en 2002, 7337 en 2003, 6219 en 2004, 5668 en 2005). 1000 condamnations par an, cela signifierait qu’une personne sur six poursuivies pour infraction à la police des étrangers serait un passeur. Là, déjà, tous les avocats et magistrats qui me lisent comprennent que l’affirmation du ministre est fausse. Cela signifierait donc que trois passeurs seraient condamnés par jour ouvrable en France. Sachant que c’est un délit qui nécessite de longues enquêtes dans un milieu peu enclin à se confier à la police et qu’il faut des semaines de planque pour identifier un passeur, ce chiffre est, soyons poli, fantaisiste, pour le moins.

mardi 23 juin 2009

Au revoir Rachida, bonjour Mam' le Garde des Sceaux

Ça y est, Dati a pris Laporte. En France, tout finit en chanson, comme l'a rappelé très opportunément Dadouche.

Alors, pour continuer la fête de la musique, voici une chanson, sur l'air de l'inoubliable “ couleur menthe à l'eau ”, intitulée Couleur code Dalloz.

Paroles de Maboul CarburoD…Z et Eolas. Musique de Pierre Papadiamandis. Paroles originales d'Eddy Mitchell.


Elle était maquillée
Comme une voiture volée
Mais garée place Vendôme.
Elle rêvait qu'elle posait
Juste pour un bout d'essai
Chez Cartier ou Lancôme.

Elle semblait bien dans sa peau
Ses ongles couleur code Dalloz 
Cherchaient du regard un flash
Le dieu caméra
Et moi, je n'en pouvais plus
Bien sûr, elle ne m'a pas vu
Perdue dans sa mégalo
Moi, j'étais de trop

Elle marchait comme un chat
Qui méprise le p'tit pois
En frôlant l'procureur
La manif' qui couvrait
La réforme qu'elle rêvait
Semblait briser son cœur

Elle en supprimait un peu trop, 
Des postes et des tribunaux, 
L’Elysée est dans sa tête
Toute seule elle répète :
« Les peines plancher, c'est le pied,
« Les marmots, faut les enfermer !»
Perdue dans sa mégalo
Moi, je suis de trop.

Mais Sarko est entré
Et le charme est tombé
Agitant sa Rolex
Ses yeux noirs ont lancé
De l'agressivité
Comme s'ils voyaient un Solex.

La fille aux ongles code Dalloz
A rangé ses Busiris
Et s'est soumise à l'oukaze : 
« À Strasbourg, la Miss ! »
Et moi, je n'en pouvais plus
Elle n'en n'a jamais rien su
Ma plus jolie des gardes des Sceaux
Couleur code Dalloz.

Au revoir, madame le Garde des Sceaux. Je ne peux pas dire que vous me manquerez, mais avouez-le : ensemble, on aura bien rigolé.

Allez, pour la route, une dernière vacherie.

Plâce Vendôme, à l'aube. Gascogne sort les poubelles, en l'occurrence un bac jaune d'où sortent deux jambes fuselées élégamment bottées de Louboutin,ainsi qu'une main gracile tenant encore une flûte de champagne blanc de blanc millésimé. Eolas regarde la scène en fonçant les sourcils : “ la poubelle jaune ? Tu es sûr que c'est recyclable ?” demande-t-il.

Et ma contribution aux chansons d'adieu.

Another turning point, a fork stuck in the road
Time grabs you by the wrist, directs you where to go
So make the best of this test, and don't ask why
It's not a question, but a lesson learned in time

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

So take the photographs, and still frames in your mind
Hang it on a shelf in good health and good time
Tattoos of memories and dead skin on trial
For what it's worth it was worth all the while

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

It's something unpredictable, but in the end it's right.
I hope you had the time of your life.

- page 25 de 90 -

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.