Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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dimanche 17 octobre 2010

Le jour de gloire est arrivé

La nouvelle est tombée jeudi matin. Oh, elle n’a rien de surprenant, on l’attendait depuis longtemps, et je vous en parlais déjà il y a un an, mais ça y est. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France sur la question de la garde à vue.

Il s’agit de l’arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010, n°1466/07.

Alors puisque le mensonge et le déni de réalité est la méthode politique habituelle de ce Gouvernement quand surgit un problème (rappelez-vous : le délit de solidarité n’existe pas, et d’ailleurs, on va le modifier), il est évident que le Garde des Sceaux va nous entonner la chansonnette de “Meuh non, tout va bien, la garde à vue française est conforme à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentale (CSDH) et à la Constitution, d’ailleurs, on va changer la loi en urgence pour la mettre en conformité”.

Alors voyons ce que dit cet arrêt, démontons les mensonges à venir de la Chancellerie, et voyons ce que propose le projet de loi sur la garde à vue, qui a été révélé par la Chancellerie.

L’arrêt Brusco c. France

Dans cette affaire, le requérant fut condamné pour complicité de violences aggravées, pour avoir payé deux sbires pour “faire peur” au mari de sa maîtresse. Au cours de sa garde à vue dans cette affaire, il fût entendu sous serment comme témoin, et naturellement sans avocat. À cette occasion, il reconnut les faits.

Son avocat souleva devant le tribunal la nullité de ces aveux du fait du serment, mais le tribunal rejeta son argumentation (qu’en droit on appelle exception). Il en fit appel, et la cour confirma entièrement le jugement. Il se pourvut en cassation, mais son pourvoi fut rejeté, quand bien même entretemps, la loi avait été changée pour supprimer cette obligation de prêter serment. Ayant compris combien il était saugrenu d’invoquer les droits de l’homme devant les juges français, il se tourna vers Strasbourg et la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Bien lui en pris, et la Cour condamne la France pour violation de l’article 6, en l’espèce parce que cette prestation de serment violait le droit fondamental de ne pas s’auto-incriminer. En effet, estime la Cour, le fait de lui faire prêter serment de dire toute la vérité, et de le menacer de poursuites en cas de fausses déclaration sous serment (quand bien même ces poursuites eussent été impossibles, puisqu’il n’était pas témoin des faits mais auteur des faits) constituait une pression contraire à la Convention, qui exige que d’éventuels aveux ne puissent être faits qu’une fois l’intéressé parfaitement informé de leur portée et que rien ne l’oblige à les faire.

C’est là que j’attire votre attention, car il est évident que la contre-argumentation de la Chancellerie va jouer à fond sur ce point. Elle dira que M. Brusco ne se plaignait pas de l’absence d’avocat, mais d’une obligation de prêter serment qui a été supprimée par la loi Perben II du 9 mars 2004, et que la Cour ne fait que sanctionner une non conformité de la loi française réglée il y a 6 ans.

Voyons donc ce que dit réellement la Cour. C’est aux paragraphes 44 et 45 (je graisse).

44.  La Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray, précité, § 45). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII).

45.  La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010).

Ho, bée ma bouche, tombez mes bras, quelle surprise est la mienne ! La Cour insinue que les principes posés par les arrêts Salduz et Dayanan, que mes lecteurs connaissent bien, s’appliqueraient aussi à la France ? Mais pourtant la Chancellerie nous a soutenu exactement le contraire, rappelant même avec morgue que la France n’avait jamais été condamnée pour violation de l’article 6 de la Convention. C’était comme affirmer que le Titanic en train de sombrer était insubmersible, la preuve : il n’avait encore jamais coulé. Sur papier à en-tête d’un ministère de la République.

Eh bien voilà, c’est fait, la France a été condamnée. Comme c’était prévisible, inévitable, inéluctable, tous les juristes le savaient.

Et donc, après avoir rappelé (ou enseigné, en ce qui concerne la Chancellerie, visiblement) ces principes, la Cour les applique au cas de M. Brusco. Et en profite pour enfoncer le clou dans le cercueil de la garde à vue sans avocat.

54.  La Cour constate également qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

Là encore, la Chancellerie, gageons-le va nous jouer le couplet de : “il s’agit du régime de garde à vue en vigueur en 1999, c’est-à-dire avant que la loi du 15 juin 2000 ne prévoie l’intervention de l’avocat dès la première heure ; à présent, l’avocat est là dès le début, il peut notifier ce droit de garder le silence”.

À cela, plusieurs choses à dire. À vous mes confrères, d’abord. J’espère que vous avez ouï la Cour. À toutes vos interventions en garde à vue, vous devez dire au gardé à vue qu’il a le droit de garder le silence, et lui conseiller d’en user d’abondance, faute de pouvoir être assisté d’un avocat. Je ferai un billet entier sur le droit de garder le silence, tant il est une pierre angulaire de la démocratie, et étranger à notre procédure pénale, je vous laisse en tirer vos conclusions. Mais je suis certain que la plupart d’entre vous ne le disent pas. C’est une erreur, c’est même une faute.

À vous mes concitoyens ensuite. Si le ministère ose tenir cet argument, il vous faudra user à son encontre de lazzi et de quolibets. Car c’est l’actuelle majorité qui a fait en sorte, par la loi du 24 août 1993, de revenir sur l’intervention de l’avocat dès la première heure votée par la loi du 4 janvier 1993. Et c’est la même majorité qui, par la loi Perben I du 9 septembre 2002, est revenue sur la notification du droit de garder le silence faite au gardé à vue, en application de la loi du 15 juin 2000. Par deux fois, l’actuelle majorité a voté une loi qui a bafoué la Convention européenne des droits de l’homme. Qui a bafoué vos droits. Dire que rien n’empêche l’avocat de suppléer à sa forfaiture à présent qu’il peut venir dès le début de la garde à vue serait un monument de cynisme. Je parie sur son inauguration prochaine.

À vous mes lecteurs enfin. Lisez bien ce que dit la Cour dans ce §54.

L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

L’article 6 de la Convention exige que l’avocat puisse assister le gardé à vue lors de toutes ses dépositions. Ite Missa Est. Il n’y a rien à ajouter. Tout est dit. Repose en enfer, garde à vue à la française.

Le projet de réforme, ou : continuons à violer la Convention, nous ne serons plus là quand la sanction tombera

Dans un pays respectueux du droit en général, ou professant une faiblesse pour les droits de l’homme, le pouvoir législatif se ferait un devoir de voter promptement une loi nous mettant en conformité avec ces principes. C’est par exemple ce qu’a fait la Turquie, et avant même d’être condamnée par les arrêts Salduz et Dayanan. Dès que les autorités turques ont compris, elles se sont mises en conformité en 2005 (les arrêts sont tombés fin 2008).

En France, on fera à la française. C’est à dire qu’on fera voter une loi qui tentera de contourner cette décision. Les droits de l’homme sont chez nous trop précieux pour fréquenter les commissariats sales et vétustes.

Voici ce que contient le projet de loi pondu (pour être poli ; il n’y a pas que les œufs qui sortent du cloaque) par la Chancellerie.

Le Gouvernement propose la création d’une audition libre, qui serait le principe, et la garde à vue, l’exception. Qu’est-ce qu’une audition libre ? Pas une garde à vue. Donc, aucun des droits attachés à la garde à vue ne s’appliquent à l’audition libre, à commencer par l’assistance d’un avocat, et naturellement le droit de garder le silence. Brillant, n’est-ce pas ? Et comme ce régime est destiné à devenir le droit commun, dans le baba, la Cour européenne des droits de l’homme !

Vous avez encore des doutes ? Vous ne pouvez croire à ce degré de cynisme ? Constatez vous même. Voici ce que dire le futur Code de procédure pénale (CPP). Je graisse.

Art. 62-2. - La personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, présumée innocente, demeure libre lors de son audition par les enquêteurs. Elle ne peut être placée en garde à vue que dans les cas et conditions prévus par les articles 62-3, 62-6 et 63.

«Art. 62-3. - La garde à vue est une mesure de contrainte prise au cours de l’enquête par laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs pour l’un des motifs prévus par l’article 62-6. 

La formule que j’ai graissée est exactement celle de l’actuel article 63 du CPP définissant le cas dans lequel la garde à vue est possible.

L’article 62-3 qui exige pour la garde à vue que l’infraction soit passible d’emprisonnement n’apporte absolument rien, contrairement à ce qu’affirme l’exposé des motifs, puisque c’est déjà le cas : article 67 en vigueur du CPP.

Voyons donc ce fameux article 62-6, qui expose les cas dans lesquels on pourra recourir à la garde à vue.

« Art. 62-6. - Une personne ne peut être placée en garde à vue que si la mesure garantissant le maintien de la personne à la disposition des enquêteurs est l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 

« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République aux fins de mettre ce magistrat en mesure d’apprécier la suite à donner à l’enquête ;

« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ; 

« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction. »

Vous noterez que le 2° permet de recourir à la garde à vue pour n’importe quelle affaire. Il suffit que le procureur de la République n’ait pas encore pris de décision sur les suites à donner, ce qui est systématiquement le cas, puisque c’est la prise de cette décision qui met fin à la garde à vue. Donc arbitraire total.

La notification des droits se trouve au futur article 63-1 :

« Art. 63-1. - I. - La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits :

« 1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;

« 2° De la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

« 3° De ce qu’elle bénéficie des droits suivants :

« - droit de faire prévenir un proche et son employeur conformément aux dispositions de l’article 63-2 ;

« - droit d’être examinée par un médecin conformément aux dispositions de l’article 63‑3 ;

« - droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat conformément aux dispositions des articles 63-3-1 à 63-4-2.

Ainsi, en audition libre, non seulement on ne vous dit pas que vous avez le droit fondamental de vous taire, mais vous n’aurez pas droit à un avocat pour venir vous le dire, et vous n’aurez même pas le droit de savoir la nature des faits qu’on vous soupçonne d’avoir commis, alors même qu’il existe des des raisons plausibles de soupçonner que vous avez commis ou tenté de commettre une infraction, mais en plus, contrairement à la garde à vue, l’audition libre n’est pas limitée dans le temps.

Bref, la chancellerie a réussi cet incroyable exploit de sortir une proposition de loi à la suite d’une déclaration d’inconstitutionnalité de la garde à vue et d’une condamnation de la France par la CEDH sur ce même régime de la garde à vue qui en fait revient à durcir le régime de la garde à vue. Faut-il haïr les droits de la défense…

Naturellement, ce nouveau régime n’est pas conforme à l’article 6 de la CSDH. Une nouvelle condamnation est inévitable si ce torchon acquerrait force de loi. Ce qui avec le Parlement servile que nous avons tient de la formalité. Qu’en dira le Conseil constitutionnel ? Je ne sais pas, mais sa non-décision sur la loi sur la Burqa a refroidi mes ardeurs à le voir comme garant des droits fondamentaux.

Alors si cette cochonnerie de projet de loi devait passer, retenez d’ores et déjà ce principe, et faites passer le mot : libre audition, piège à con. Si des policiers vous proposent une audition libre, acceptez, puis dites que vous décidez librement de ne faire aucune déclaration et de ne répondre à aucune question, et que vous allez partir librement, après leur avoir librement souhaité une bonne fin de journée. Si les policiers vous menacent alors de vous placer en garde à vue, vous saurez que cette proposition d’audition libre n’avait pour seul objet que de vous priver de vos droits. Vous voilà en mesure de les exercer. Vous les avez bien eus.

Pas un mot sans un avocat à vos côtés.

Et maintenant ?

Que faire dès aujourd’hui ?

L’attitude de la Chancellerie est claire. Il n’y a rien de bon à attendre de ce côté. Alors, baïonnette au canon, c’est dans le prétoire que la bataille doit avoir lieu.

Contrairement à la décision du Conseil constitutionnel de juillet dernier, cet arrêt est immédiatement invocable en droit interne. Vous devez déposer des conclusions dans tous les dossiers où votre client a été entendu en garde à vue, en demandant la nullité des PV où ses propos ont été recueillis, au visa de l’article 6 de la CSDH. En comparution immédiate, cela peut suffire à démolir le dossier. Au besoin, si votre client est d’accord, portez l’affaire devant la CEDH. Vous connaissez les conditions : épuisement des voies de recours interne, puis introduire la requête dans le délai de 6 mois.

Pour reprendre le mot du bâtonnier Marc Bonnant, du barreau de Genève (Mise à jour) de mon confrère Bertrand Périer, aujourd’hui, en France, le meilleur ami des libertés n’est ni le juge, ni la Chancellerie : c’est le TGV Est.

mercredi 5 mai 2010

Gardes à vue : et si on se passait d'une loi ?

Saluons une heureuse initiative du parquet de Grenoble, dont le vice-procureur, a décidé d’autoriser une avocate à assister son client au cours de la garde à vue, c’est-à-dire d’être présente lors de l’interrogatoire, et de pouvoir faire des observations et poser des questions, en fin d’interrogatoire dans cette affaire, mais c’est un début.

Capitulation du ministère public face aux avocats ? Ce serait flatteur pour nous, mais il n’en est rien. Le souci principal, et à mon avis fondé, exprimé par le vice-procureur (interrogé par l’AFP) est la validité des procédures. La jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme en la matière est parfaitement claire, et la condamnation de la France apparaît inéluctable. De plus en plus de juridictions annulent des auditions effectuées en garde à vue sans l’assistance d’un avocat. C’est un risque que la sagesse exige de ne pas prendre. Si ça se fait au profit des droits de la défense, tout le monde est content.

Et quand je dis tout le monde, c’est tout le monde. Je profite de mes permanences garde à vue pour prendre mon bâton de pélerin et en parler avec les Officiers de Police Judiciaire (OPJ) que je rencontre. Et je constate que l’opposition à ce changement manifesté par certaines organisations syndicales n’est pas partagée sur le terrain. L’inéluctabilité de cette évolution est bien comprise, les OPJ sachant lire la Convention et les arrêts de la CEDH. Eux. Les seules réserves que j’entends, et je les comprends, sont que cette assistance ne doit pas nuire à l’avancée du dossier. À nous avocats de nous rendre disponibles. Je sais que ce sera difficile pour les petits barreaux (petits par le nombre d’avocat les composant s’entend). La question de la rémunération de l’avocat commis d’office dans ce cadre se pose aussi. Mais il s’agit là de questions pratiques d’organisation.

Car au-delà de cette première, qui montre bien que la République ne s’écroule pas en laissant un avocat faire son travail, cette affaire révèle un point intéressant. Il n’est nul besoin d’une loi pour appliquer les exigences de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (de son vrai nom Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et Libertés Fondamentales). Il n’y a pas à changer d’un iota le code de procédure pénale (CPP) pour appliquer la jurisprudence Salduz et Dayanan.

En effet, que dit le CPP ? C’est l’article 63 qui définit la garde à vue.

Article 63 :

L’officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l’enquête, placer en garde à vue toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il en informe dès le début de la garde à vue le procureur de la République.

La personne gardée à vue ne peut être retenue plus de vingt-quatre heures. Toutefois, la garde à vue peut être prolongée pour un nouveau délai de vingt-quatre heures au plus, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne gardée à vue.

Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la garde à vue, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.

Pour l’application du présent article, les ressorts des tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil constituent un seul et même ressort.

Pas un mot sur l’avocat. Celui-ci apparaît à l’article 64-4, au titre des droits associés à la mesure de garde à vue, dont la notification est obligatoire (art. 63-1) :

Article 64 :

Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.

Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

L’avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien. Il est informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.

À l’issue de l’entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l’avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.

L’avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.

Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents.

Si la personne est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 4°, 6°, 7°, 8° et 15° de l’article 706-73, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de quarante-huit heures. Si elle est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 3° et 11° du même article, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de soixante-douze heures. Le procureur de la République est avisé de la qualification des faits retenue par les enquêteurs dès qu’il est informé par ces derniers du placement en garde à vue.

Fermez le ban.

L’interprétation actuelle de cet article, et qui, reconnaissons-le, était clairement la volonté du législateur quand cet entretien a été institué en 1993, est que cet entretien constitue le seul contact autorisé avec l’avocat. Tout ce que la loi ne prévoyait pas expressément était interdit : pas d’accès au dossier, pas de présence lors des interrogatoires et confrontations.

Mais sans changer une virgule à ce texte, on peut aussi se rappeler que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, pose dans son article 5 que

La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Donc dès lors que la loi n’interdit pas cette présence, elle ne devrait pouvoir être empêchée, d’autant plus qu’elle s’appuie sur les exigences des droits de la défense.

Il suffit donc d’interpréter cet article 63-4 comme prévoyant un droit à un entretien confidentiel, limité à 30 minutes en raison des délais de garde à vue (24 heures, renouvelables une fois), qui ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la défense, mais sa simple mise en place, l’avocat pouvant assister aux interrogatoires, à charge de l’OPJ de le prévenir en temps utile quand un tel interrogatoire va avoir lieu pour lui permettre de se rendre sur place immédiatement.

On objectera qu’il s’agit là d’aller très loin dans l’interprétation littérale, pour donner au texte un sens différent de celui voulu par le législateur. Certes, je reconnais la force de l’argument. Mais il n’est pas invincible. Si l’esprit de la loi est contraire à la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, quand sa lettre l’est, c’est la lettre qu’il faut appliquer. On applique la loi en vigueur aujourd’hui, et non la volonté du législateur d’il y a 17 ans.

D’ailleurs, nombreux sont les parquets qui acceptent la présence de l’avocat lors de la comparution devant le procureur qui notifie une comparution immédiate après avoir recueilli les déclarations du prévenu (art. 393 du CPP). Or cet article est clair sur la chronologie :

En matière correctionnelle, après avoir constaté l’identité de la personne qui lui est déférée, lui avoir fait connaître les faits qui lui sont reprochés et avoir recueilli ses déclarations si elle en fait la demande, le procureur de la République peut, s’il estime qu’une information n’est pas nécessaire, procéder comme il est dit aux articles 394 à 396.

Le procureur de la République informe alors la personne déférée devant lui qu’elle a le droit à l’assistance d’un avocat de son choix ou commis d’office. L’avocat choisi ou, dans le cas d’une demande de commission d’office, le bâtonnier de l’Ordre des avocats, en est avisé sans délai.(…)

La loi est diaphane : le procureur reçoit les déclarations, puis seulement alors on permet à l’avocat d’entrer en scène, toutes les possibilités d’obtenir des aveux d’un type sans défense étant épuisées. Notons au passage que cet entretien, où des déclarations sont recueillies hors la présence de l’avocat est manifestement contraire à la jurisprudence Salduz et Dayanan. Bien des parquets (pas à Paris, hélas) permettent à l’avocat d’assister à cette comparution. Comme quoi, la loi est susceptible d’aménagements favorables aux droits de la défense, et il est évident qu’aucun tribunal n’annulera un procès verbal de comparution immédiate dressé en présence de l’avocat, tout simplement parce qu’il n’en résulte aucun grief pour la défense, au contraire même.

Alors, amis parquetiers, je vous propose de ne pas attendre que le législateur, trop occupé à se pencher sur comment les femmes doivent s’habiller pour se préoccuper d’un détail comme les droits de l’homme et ceux de la défense, qui sont un peu les mêmes, et de faire une interprétation restrictive de l’article 63-4 : il ne porte que sur l’entretien confidentiel et non le principe des droits de la défense qui exige l’assistance d’un avocat. Mettons nous à jour de la jurisprudence de la CEDH. On pourrait ainsi, dès aujourd’hui, faire progresser les droits de la défense. On aura quand même besoin de la loi, pour dire qu’on a bien eu raison de faire ainsi (mais ça, on le sait déjà), et pour prévoir l’indenisation des avocats commis d’office. Mais ça, c’est de l’intendance, elle suivra.

Chiche ?

mardi 20 avril 2010

IPC

Bien souvent, c’est une personne que vous venez tout juste de rencontrer. Vous êtes de permanence, et la grande loterie judiciaire a fait atterrir ce dossier sur votre bureau, qui en l’occurrence est une simple table dans la galerie de l’instruction. Les avocats choisis sont assez rares, tout simplement parce que bien des avocats n’ont pas fait en sorte d’être joignables sept jours sur sept, ou même quand ils donnent un numéro de portable à leur client, ce numéro est consciencieusement enregistré dans la mémoire du téléphone, qui se trouve à la fouille, donc inutilisable.

Ah, petite incise. À bas la technologie. Apprenez par cœur les numéros de portable de votre compagne/compagnon-époux/épouse, de votre maman, de votre frère, de votre meilleur ami et de votre avocat, qui est aussi une sorte de meilleur ami. Car si un jour vous vous retrouvez en garde à vue, et statistiquement, vous avez chaque année pas loin d’une chance sur soixante, vous aurez besoin de connaître ces numéros sans avoir accès à la mémoire de votre portable.

Donc, ça tombe sur vous.

Votre client est déféré, c’est à dire qu’il sort de garde à vue, et va être présenté à un juge d’instruction en vue de sa mise en examen, ce qu’on appelle en procédure pénale l’interrogatoire de première comparution, ou IPC.

Bonne nouvelle : les droits de la défense peuvent enfin s’exercer. Mauvaise nouvelle : vous n’avez pas le temps de les exercer. Merveilles de la procédure pénale française.

Les droits de la défense s’exercent car vous avez accès à l’entier dossier de la procédure, depuis le moment où l’enquête a démarré jusqu’au moment où le procureur a dit au policier de mettre fin à la garde à vue et de lui amener l’intéressé pour lui faire ses compliments. Vous allez pouvoir vous entretenir avec votre client, théoriquement confidentiellement, en pratique, chaque étage n’ayant qu’un ou deux local adapté, sur un banc de la galerie, avec le gendarme mobile assis à côté de votre client qui vous écoute avec autant d’intérêt que lui, parfois plus parce que lui au moins a eu une nuit de sommeil et une douche avant de venir. Ça peut surprendre, mais c’est un usage ancien au palais, et les gendarmes, qui sont des gens d’honneur, ne répètent pas ce qu’ils ont entendu. Même si parfois, on aimerait bien, tant les déférés sont meilleurs dans cet entretien à voix basse que face au juge d’instruction où ils sont tétanisés par la peur.

Vous n’avez pas le temps de les exercer car le législateur nous a fait un cadeau empoisonné. Jusqu’en 2004, le statut de la personne déférée n’était encadrée par aucun texte. Il y avait privation de liberté, mais par pure pratique judiciaire. La cour de cassation n’y trouvait rien à redire. Avec une autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles (art. 63 de la Constitution) qui ne trouve rien à redire à une privation de liberté sans texte, en violation de la convention européenne des droits de l’homme, la liberté a-t-elle besoin d’ennemis ?

La loi Perben II a créé un statut pour cette privation de liberté entre le moment où la garde à vue prend fin et le moment où le déféré comparaît devant un magistrat, qu’on appelle rétention judiciaire : l’article 803-3 du CPP précise qu’il doit s’écouler un délai maximal de vingt heures entre ces deux moments, la comparution se faisant soit devant le juge d’instruction si instruction il y a, sinon devant le procureur de la République. À ce sujet, amis juristes, l’arrêt Medvyedev semble remettre en cause ce système, puisque le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire au sens de la Convention. Je ne suis pas sûr que la rétention hors instruction soit conforme à l’article 5 de la Convention.

La jurisprudence est sévère : tout dépassement de ce délai rend la privation de liberté illégale et impose une remise en liberté immédiate, toute mesure postérieure, fût-ce de placement sous contrôle judiciaire (qui est une liberté surveillée) étant nulle. Du coup, ce délai sera invoqué pour vous demander de vous dépêcher, le juge finissant par procéder d’autorité à l’interrogatoire de première comparution. Certains juges d’instruction jouent le jeu des droits de la défense et font un IPC symbolique pour interrompre le délai : ils constatent l’identité du déféré, celle de son avocat, notifient qu’ils envisagent de mettre en examen pour les faits visés au réquisitoire introductif le saisissant, puis, constatant que le déféré souhaite s’entretenir avec son avocat, suspend l’IPC, le délai de vingt heure étant valablement interrompu. Puis l’interrogatoire reprend quand l’avocat s’estime prêt. C’est une pratique respectueuse des droits de la défense, mais elle n’est pas systématique, et devient de plus en plus rare avec l’avancement de l’heure.

Vous avez donc fort peu de temps pour vous imprégner d’une procédure parfois volumineuse, qui peut couvrir des mois d’enquête. Et le diable se cache dans les détails. Le document essentiel à ce stade est le rapport de synthèse, rédigé par l’officier de police judiciaire (OPJ), qui résume tout le dossier. Problème : son rédacteur est partie prenante au dossier, son résumé ne peut prétendre à l’objectivité, quelle que soit l’honnêteté intellectuelle de l’OPJ. Et des erreurs peuvent s’y glisser, qui seront immanquablement reprises par le juge.

Ainsi, lors d’un dossier récent, le juge d’instruction a retenu comme vérité d’évangile que le déféré, de nationalité étrangère, n’avait pas d’attaches familiales en France, puisque le rapport de synthèse le disait. Quand mon client expliquait que si, et d’ailleurs, il avait donné l’adresse de son frère chez qui il logeait, le juge d’instruction l’a accusé de mentir. Il a fallu que je mette sous le nez du juge le procès verbal d’audition où figurait cette information, ainsi que les noms et adresses de ses sept frères et sœurs, tous français, pour que le juge réalise que le rapport de synthèse était peut-être bâclé (je vous rassure, ça n’a pas empêché ce client de finir en détention, avec une ordonnance du JLD motivée sur l’absence d’attaches familiales, la chambre de l’instruction ayant confirmé la détention après avoir écarté ce motif erroné mais surabondant. J’aime mon métier.)

Voilà le tour de force que nous impose cet exercice : parcourir à toute vitesse 300 pages d’informations, retenir celles qui sont pertinentes, et être capable de les retrouver en quelques secondes si besoin est. Bien plus qu’apprendre par cœur des centaines d’articles de code (ça, c’est la partie facile), le métier d’avocat, c’est ça.

Autre document essentiel sur lequel nous nous jetons avidement, c’est le réquisitoire introductif. C’est le document qui saisit le juge d’instruction et limite sa saisine : il doit instruire ces faits mais ne peut instruire que ces faits. C’est ce qu’on appelle la saisine in rem. Le juge d’instruction n’est pas tenu par la qualification donnée par le parquet (il peut requalifier une escroquerie en extorsion, par exemple) mais il est tenu par la description des faits. C’est surtout à la fin de ce réquisitoire que figureront les lignes qui sonnent comme les trompettes de l’apocalypse pour l’avocat : les réquisitions de placement en détention provisoire. C’est ce qui fait que l’IPC va être une simple formalité ou un combat.

Car le déféré a un choix, qui va lui être proposé par le juge d’instruction. Une fois que le juge lui a notifié qu’il envisage de le mettre en examen, il lui propose de se taire (car le droit de se taire est le premier des droits de la défense, il faudra que je lui consacre un billet), de faire des déclarations que le juge reçoit, ou de répondre à ses questions. Si une remise en liberté est acquise, c’est simple : moins on en dit, mieux on se porte à ce stade. Le déféré (qui n’est pas encore mis en examen) sort de garde à vue, il est épuisé, stressé, vulnérable. Ce ne sont pas des conditions adéquates pour se défendre. Donc pour le moment, il se tait, rentre chez lui, et reviendra dans quelques jours, frais, dispos et lucide, pour un interrogatoire qui sera digne de ce nom.

Mais si la détention se profile, c’est un dilemme pour l’avocat. Si le déféré se tait, c’est donner un argument en or au parquet (j’allais dire au juge des libertés et de la détention, lapsus révélateur, vous verrez dans la deuxième partie) pour demander la détention : le risque de collusion avec ses complices et de pression sur les témoins. Il est tentant de lui dire d’accepter de répondre aux questions du juge, pour couper l’herbe sous le pied du parquet. Avec le risque qu’avec un client épuisé et un juge d’instruction découvrant parfois le dossier, cela tourne à la catastrophe. Il n’y a pas de bon choix. C’est la responsabilité de l’avocat, parce que ne nous leurrons pas, c’est lui qui fera le choix, le client s’en remettra totalement à lui.

Une fois ces déclarations faites ou non, ou les questions posées et les réponses notées au procès-verbal, le juge d’instruction notifie sa décision : soit mise en examen, soit placement sous statut de témoin assisté. Dans ce second cas, c’est Noël : ce statut rend impossible tout placement en détention provisoire et même tout contrôle judiciaire. C’est la liberté assurée. Le code de procédure pénale ne permet pas dans ces cas là d’embrasser le juge d’instruction, malheureusement.

Si c’est une mise en examen, il enchaîne aussitôt avec sa décision sur la liberté : remise en liberté pure et simple (rare, puisque le statut de témoin assisté suffirait alors), placement sous contrôle judiciaire, ou saisine du juge des libertés et de la détention en vue d’un placement en détention provisoire.

Rappelons en effet que depuis la loi du 15 juin 2000, ce n’est plus le juge d’instruction qui décide du placement en détention provisoire, cette décision étant confiée à un autre juge. C’est donc une procédure à deux étages : pour aller en détention, il faut que deux juges soient d’accord : le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention. C’était insupportable, et le législateur est vite revenu sur ce moment de folie respectueuse de la liberté et de la présomption d’innocence : depuis la loi Perben II du 9 mars 2004, le parquet peut passer outre le refus du juge d’instruction de saisir le juge des libertés et de la détention, si les faits sont de nature criminels ou punis de dix ans d’emprisonnement (art. 137-4 du CPP). On se retrouve donc avec des mis en examen incarcérés contre la volonté du juge d’instruction en charge du dossier. Comme vous le voyez, la suppression du juge d’instruction est un processus en marche depuis longtemps.

Quand la nouvelle tombe, pendant que le mis en examen (ça y est, il l’est) signe les procès verbaux, le greffier décroche son téléphone pour avertir le greffe du JLD qu’il y a un dossier qui arrive, tandis que l’avocat commence déjà à cogiter sur les arguments à faire valoir.

Il sait d’ores et déjà que c’est une sale journée.

La suite au prochain épisode : le JLD.

samedi 1 août 2009

Francis Szpiner et moi devons-nous être poursuivis disciplinairement ?

C’est cette bonne ques­tion que relève mon excel­lent con­frère Fran­cis Szpi­ner, qui me donne l’occa­sion de vous faire un billet sur la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire des avo­cats.

D’abord un peu de théo­rie, avant de voir un exem­ple pra­ti­que.

Les avo­cats dont Fran­cis Szpi­ner et moi fai­sons par­tie, prê­tons ser­ment au tout début de notre exer­cice, (Prê­tons seu­le­ment, car selon le mot de Tal­ley­rand, nous n’avons qu’une parole, c’est pour ça que nous som­mes obli­gés de la repren­dre), devant la cour d’appel (À Paris, c’est devant la 1e cham­bre, tous les mer­credi à 1 heu­res, au pied de l’esca­lier Z)..

Le texte de notre ser­ment est :

Je jure, comme avo­cat, d’exer­cer mes fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité.

Arti­cle 3 de la loi n°71-1130 du 31 décem­bre 1971 por­tant réforme de cer­tai­nes pro­fes­sions judi­ciai­res et juri­di­ques.

Les avo­cats l’aiment, ce ser­ment, C’est notre devise, et il est rude­ment bien tourné. Il figure sur les pages d’accueil de pas mal de bar­reaux ; par exem­ple : Tours, Mont­pel­lier, Gap, Poi­tiers

Il est quand même plus classe que celui des magis­trats, sans vou­loir les vexer :

“Je jure de bien et fidè­le­ment rem­plir mes fonc­tions, de gar­der reli­gieu­se­ment le secret des déli­bé­ra­tions et de me con­duire en tout comme un digne et loyal magis­trat.”

Arti­cle 6 de l’ordon­nance n°58-1270 du 22 décem­bre 1958 por­tant loi orga­ni­que rela­tive au sta­tut de la magis­tra­ture.

Nous jurons d’être indé­pen­dants, ils jurent d’être fidè­les et loyaux. Tout un sym­bole de cette indes­truc­ti­ble méfiance des deux autres pou­voirs à l’égard du troi­sième qui fait tant de mal à la Répu­bli­que.

Nos obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques ne se résu­ment pas au “DCIPH”[1] de notre ser­ment. D’autres se trou­vent au décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 rela­tif aux règles de déon­to­lo­gie de la pro­fes­sion d’avo­cat qui fixe ce que nous appe­lons “les prin­ci­pes essen­tiels” de la pro­fes­sion.

L’avo­cat exerce ses fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité, dans le res­pect des ter­mes de son ser­ment. Il res­pecte en outre, dans cet exer­cice, les prin­ci­pes d’hon­neur, de loyauté, de désin­té­res­se­ment, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie. Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de com­pé­tence, de dévoue­ment, de dili­gence et de pru­dence.

L’arti­cle 4 et 5 rap­pel­lent en outre que nous som­mes tenus au secret, sous réserve des droits de la défense (Le secret pro­fes­sion­nel ne peut nous inter­dire de révé­ler des élé­ments favo­ra­bles à notre client).

 ces règles s’en ajou­tent une pro­fu­sion d’autres, plus tech­ni­ques, sur la con­fi­den­tia­lité des cor­res­pon­dan­ces entre avo­cats, la prise de con­tact avec la par­tie adverse, les suc­ces­sions d’avo­cats, les con­flits d’inté­rêts, les hono­rai­res, les com­mis­sions d’office, etc. C’est une dis­ci­pline juri­di­que à part entière sur laquelle on écrit des codes et même des trai­tés.

Ces règles, sur­tout, sont sanc­tion­nées. L’avo­cat vio­lant une de ces règles peut être pour­suivi devant la juri­dic­tion dis­ci­pli­naire, sur laquelle je vais reve­nir, et être frappé d’une sanc­tion dis­ci­pli­naire. Ces sanc­tions sont, selon la gra­vité : 1° L’aver­tis­se­ment ; 2° Le blâme ; 3° L’inter­dic­tion tem­po­raire, qui ne peut excé­der trois années ; 4° La radia­tion du tableau des avo­cats, ou le retrait de l’hono­ra­riat (art. 184 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). L’aver­tis­se­ment, le blâme et l’inter­dic­tion tem­po­raire peu­vent com­por­ter la pri­va­tion, par la déci­sion qui pro­nonce la peine dis­ci­pli­naire, du droit de faire par­tie du con­seil de l’ordre, du Con­seil natio­nal des bar­reaux, des autres orga­nis­mes ou con­seils pro­fes­sion­nels ainsi que des fonc­tions de bâton­nier pen­dant une durée n’excé­dant pas dix ans. L’ins­tance dis­ci­pli­naire peut en outre, à titre de sanc­tion acces­soire, ordon­ner la publi­cité de toute peine dis­ci­pli­naire (même arti­cle).

À Paris, cette peine com­plé­men­taire de pri­va­tion du droit de faire par­tie du Con­seil de l’Ordre est qua­si­ment sys­té­ma­ti­que­ment pro­non­cée avec les sanc­tions autres que la radia­tion.

La pro­cé­dure dis­ci­pli­naire com­mence par une plainte auprès du Bâton­nier[2] dont relève l’avo­cat, qui est auto­rité de pour­suite. Il peut aussi de lui-même enga­ger des pour­sui­tes, sans plainte de qui­con­que. Le pro­cu­reur géné­ral peut sai­sir direc­te­ment le Con­seil de dis­ci­pline, mais l’usage est pour lui de pas­ser par une plainte auprès du bâton­nier, pour que celui-ci pro­cède à une enquête déon­to­lo­gi­que (art. 187 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). Cette enquête infor­melle vise á éta­blir les faits et à écar­ter les plain­tes infon­dées ou fan­tai­sis­tes (clas­se­ment sans suite), ou voir si une sim­ple admo­nes­ta­tion pater­nelle peut suf­fire si l’avo­cat répare promp­te­ment une erreur vénielle (art P72-2 du règle­ment inté­rieur du bar­reau de Paris). Si l’enquête éta­blit des faits sus­cep­ti­bles de cons­ti­tuer une faute carac­té­ri­sée, le con­seil de dis­ci­pline est saisi par le Bâton­nier. Si le bâton­nier ne sai­sit pas le con­seil de dis­ci­pline, le pro­cu­reur géné­ral peut pas­ser outre et le sai­sir lui-même. Pas de pro­tec­tion cor­po­ra­tiste donc. C’est pré­ci­sé­ment ce qui vient de se pas­ser pour les qua­tre défen­seurs d’Yvan Colonna et les six d’Anto­nio Fer­rara, qui avaient quitté le pro­cès en appel et refusé d’être com­mis d’office par le pré­si­dent de la cour. Les bâton­niers de Paris et de Bas­tia n’ayant pas donné suite, les pro­cu­reurs géné­raux de ces deux cours d’appel ont saisi le Con­seil de dis­ci­pline (J’en pro­fite pour signa­ler au Figaro que le Con­seil de dis­ci­pline de Paris n’est pas com­pé­tent pour tous “les avo­cats du con­ti­nent” mais seu­le­ment ceux de Paris, en l’espèce Patrick Casa­nova Mai­son­neuve et Pas­cal Gar­ba­rini, mes con­frè­res Antoine Sol­la­caro et Gil­les Simeoni étant avo­cats aux Bar­reaux d’Ajac­cio et Bas­tia res­pec­ti­ve­ment et rele­vant du Con­seil de dis­ci­pline de Bas­tia )

La juri­dic­tion dis­ci­pli­naire est le Con­seil de dis­ci­pline, sié­geant au niveau de la cour d’appel (Il doit sié­ger dans la même ville, mais pas for­cé­ment dans les locaux de la cour : art. 193 du décret du 27 novem­bre 1991 ; géné­ra­le­ment, c’est dans les locaux de l’Ordre), com­posé de repré­sen­tant des Con­seils de l’Ordre du res­sort de la cour (Sauf à Paris, vous allez voir), devant lequel le bâton­nier sou­tient l’accu­sa­tion. C’est notre pro­cu­reur, en somme, Il ne par­ti­cipe bien évi­dem­ment pas aux déli­bé­ra­tions. À Paris, les règles sont un peu dif­fé­ren­tes, pour tenir compte de la taille hors norme du bar­reau (la moi­tié des avo­cats fran­çais sont pari­siens). Nous avons notre pro­pre con­seil de dis­ci­pline, divisé en trois for­ma­tions, exclu­si­ve­ment com­po­sés d’avo­cats pari­siens (art. 22-2 de la loi du 31 décem­bre 1971).

L’avo­cat pour­suivi reçoit aus­si­tôt copie de la plainte, des piè­ces qui l’appuient, et du rap­port d’enquête déon­to­lo­gi­que s’il y en a eu une. Il peut se faire assis­ter d’un avo­cat et a accès à une copie du dos­sier,

Dans un pre­mier temps, le Con­seil dési­gne un de ses mem­bres pour ins­truire l’affaire : le rap­por­teur. Il a qua­tre mois pour ce faire, pou­vant être repoussé à six mois en cas de besoin, mais les par­ties doi­vent en être infor­mées.

Car le Con­seil de dis­ci­pline doit sta­tuer dans les 8 mois de sa sai­sine, délai pou­vant être repoussé à un an en cas de besoin. Passé ce délai, la plainte est répu­tée reje­tée, c’est à dire que l’avo­cat est auto­ma­ti­que­ment relaxé. Mais le pro­cu­reur peut faire appel, et c’est même dans le but de lui ouvrir ce droit d’appel que ce méca­nisme existe, pour évi­ter la ten­ta­tion de faire traî­ner un dos­sier embê­tant pour un con­frère (art. 195 du décret du 27 novem­bre 1991).

Il existe un cas de pro­cé­dure accé­lé­rée : lors­que la faute est com­mise à une audience et que le pro­cu­reur sai­sit le Con­seil de dis­ci­pline à la demande de la juri­dic­tion con­cer­née, le Con­seil doit sta­tuer dans les quinze jours (art. 25 de la loi de 1971 modi­fié par la loi du 15 juin 1982). C’est la pro­cé­dure qui a rem­placé les délits d’audience, Avant 1982, la juri­dic­tion pou­vait elle même sta­tuer sur le champ, étant à la fois juge et vic­time. Pour l’anec­dote, un avo­cat pari­sien a été vic­time de cette loi à une audience où il défen­dait un cient con­tre lequel la mort était requise. Il s’appe­lait Robert Badin­ter, et devenu Garde des Sceaux, il fit voter cette loi de 1982.

L’audience est publi­que, et le pro­cu­reur géné­ral peut y par­ti­ci­per s’il est le plai­gnant. La déci­sion est écrite.

Le droit d’appel d’une déci­sion du con­seil de dis­ci­pline appar­tient à l’avo­cat con­damné, au bâton­nier, et au pro­cu­reur géné­ral, qui est tenu informé de tou­tes les pour­sui­tes enga­gées et de la déci­sion ren­due (art. 196 du décret pré­cité).

Alors que l’audience du Con­seil de dis­ci­pline est en prin­cipe publi­que (art. 194 du décret), l’audience d’appel est en prin­cipe à huis clos (art. 16 du décret). Je n’ai pas d’expli­ca­tion de cette dis­po­si­tion qui fait le bon­heur des exa­mi­na­teurs de l’oral de déon­to­lo­gie du Cer­ti­fi­cat d’Apti­tude à la Pro­fes­sion d’Avo­cat (à bon enten­deur, votre bien dévoué).

L’audience d’appel se tient en audience solen­nelle : c’est le pre­mier pré­si­dent qui pré­side, les con­seillers vien­nent de deux cham­bres dif­fé­ren­tes et sont au nom­bre de qua­tre (art. R.312-9 du code de l’orga­ni­sa­tion judi­ciaire) et c’est la robe rouge qui est de rigueur, et à Paris l’épi­toge her­mi­née pour les avo­cats. La pres­ta­tion de ser­ment a d’ailleurs lieu en audience solen­nelle.


Main­te­nant, la pra­ti­que : reve­nons en à Fran­cis et moi.

À tout sei­gneur, tout hon­neur : Fran­cis. Mon excel­lent con­frère, à la suite d’un ver­dict déce­vant à ses yeux, a étalé son blues dans la presse et a tenu des pro­pos déso­bli­geants con­tre, ma foi, un peu tout le monde, votre ser­vi­teur y com­pris, qui ne méri­tait pas cet hon­neur.

Fran­cis Szpi­ner recon­naît avoir usé dans le Nou­vel Obser­va­teur, du doux voca­ble de “con­nards” con­tre des blo­gueurs tenant des pro­pos qu’il a esti­més “effrayants” au cours du pro­cès (ce qui ne me vise mani­fes­te­ment pas puis­que je n’ai parlé de ce pro­cès qu’une fois le ver­dict connu), et ses con­tra­dic­teurs de “bobos de gau­che”, le choix du Nou­vel Obs’ visant sans doute à s’assu­rer que ses cibles le liraient.

La prin­ci­pale cible de l’acri­mo­nie de mon con­frère a été l’avo­cat géné­ral, à qui il repro­che d’avoir “failli à sa mis­sion”, ce qui est mani­fes­te­ment un malen­tendu puis­que cette mis­sion serait, aux yeux de mon con­frère, de sui­vre aveu­glé­ment la posi­tion de la par­tie civile et de requé­rir le maxi­mum pour tout le monde, alors qu’il n’en est rien puis­que la mis­sion de l’avo­cat géné­ral était de requé­rir libre­ment ce que sa cons­cience lui dic­tait après avoir étu­dié le dos­sier et assisté à l’audience. Ce que Phi­lippe Bil­ger fait depuis plus de dix ans à la cour d’assi­ses de Paris.

Emporté par son erreur, mon con­frère a qua­li­fié cet avo­cat géné­ral de “traî­tre géné­ti­que”, pro­pos qu’il a con­fir­més, en pré­ci­sant tou­te­fois qu’ils ne fai­saient nul­le­ment allu­sion à un dou­lou­reux épi­sode fami­lial dont le magis­trat avait déjà parlé, ce que tout le monde avait cru com­pren­dre, mais aux “tra­hi­sons à répé­ti­tion” de ce magis­trat, qui aurait trahi dns un pre­mier temps la par­tie civile, puis son pro­cu­reur géné­ral en décla­rant ce ver­dict “satis­fai­sant” à ses yeux, ce qui aurait mis son supé­rieur en dif­fi­culté lorsqu’il a décidé de faire appel. À ceci près que ce n’est pas son supé­rieur qui a décidé de faire appel, et je doute que cela ait pu échap­per à mon con­frère.

À la suite de ces décla­ra­tions (du moins de leur pre­mière mou­ture, celle du Nou­vel Obs’), le pro­cu­reur géné­ral de Paris a décidé de don­ner à mon con­frère une leçon de loyauté en dépo­sant une plainte con­tre lui auprès du bâton­nier de Paris. Celui-ci a aus­si­tôt fait savoir qu’il avait déjà décidé de l’ouver­ture d’une enquête déon­to­lo­gi­que du fait de ces pro­pos, qui pou­vaient de prime abord sem­bler dif­fi­ci­le­ment con­for­mes aux prin­ci­pes essen­tiels de dignité, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie.

Nous en som­mes au stade de cette enquête (qui sera essen­tiel­le­ment une audi­tion de mon con­frère pour savoir ce qu’il recon­naît voir dit). Vous savez désor­mais la suite : le bâton­nier ren­dra un rap­port com­mu­ni­qué au pro­cu­reur géné­ral puisqu’il est plai­gnant. Si le bâton­nier devait déci­der de clas­ser sans suite ou d’admo­nes­ter pater­nel­le­ment mon con­frère, le pro­cu­reur géné­ral pourra sai­sir direc­te­ment le con­seil de dis­ci­pline. Ce ne sera pas avant sep­tem­bre. Le Con­seil serait-il saisi qu’un rap­por­teur sera nommé et devra ren­dre son rap­port sous qua­tre mois, pro­lon­gea­bles à six, le Con­seil devant sta­tuer sous huit mois, pro­lon­gea­bles à douze. Ce qui fait qu’une éven­tuelle déci­sion tom­bera à peu près au moment du pro­cès en appel.

Pour ma part, je sou­haite à mon con­frère que cette pro­cé­dure dis­ci­pli­naire n’aille pas jusqu’à une sanc­tion. L’amer­tume de la défaite est une épreuve dou­lou­reuse, sur­tout quand elle est média­ti­sée. En effet, mon con­frère espé­rait des pei­nes très sévè­res pour tous les accu­sés, pro­ches du maxi­mum ; ce ne fut pas le cas. L’avo­cat géné­ral a obtenu les pei­nes qu’il avait requi­ses dans la moi­tié des cas, et des pei­nes à peine infé­rieu­res pour l’autre moi­tié, cet écart s’expli­quant notam­ment par le tra­vail de fond des avo­cats de la défense. Qui donc a failli à sa mis­sion, en l’espèce ?

Avoir le sen­ti­ment de ne pas avoir été entendu, alors que le par­quet a eu l’oreille du juge, est hor­ri­pi­lant, je le sais, même quand in fine c’est le par­quet qui avait rai­son. Cela excuse beau­coup à mes yeux les excès ver­baux de mon con­frère à qui j’exprime ma soli­da­rité. D’ailleurs, lui même le dit :

Non, je n’ai rien à me repro­cher. Je regrette en revan­che l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite.

C’est déjà assez vexant pour un avo­cat de ne pas être com­pris par qui que ce soit quand il s’exprime pour en plus lui rajou­ter des sou­cis déon­to­lo­gi­ques.

Enfin, quid de votre ser­vi­teur ?

Mon excel­lent con­frère Szpi­ner me fait l’hon­neur de s’inté­res­ser à mon cas. Sou­cieux de l’éga­lité devant la jus­tice dis­ci­pli­naire, il se demande si je ne devrais pas moi-même faire l’objet des mêmes tra­cas du fait de mes pro­pos où je par­lais de “valet des vic­ti­mes” s’agis­sant du Garde des Sceaux et de “lar­bins” pour deux dépu­tés.

En droit, rien ne s’y oppose. Je m’exprime ici en tant qu’avo­cat, et je ne con­teste abso­lu­ment pas être tenu de ce fait à mes obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques, qui me sui­vent jus­que dans ma vie pri­vée.

C’est en fait que l’accu­sa­tion ne tient pas.

Je n’ai pas traité le garde des sceaux de valet des vic­ti­mes. Mes lec­teurs savent qu’en ces lieux, la plus pro­fonde défé­rence envers le garde des Sceaux en exer­cice est de mise. J’ai dit qu’en agis­sant comme elle l’a fait, c’est à dire en s’empres­sant de défé­rer à l’injonc­tion de l’avo­cat de la vic­time d’ordon­ner un appel sans réflé­chir aux con­sé­quen­ces poten­tiel­les, elle s’est com­por­tée en valet des vic­ti­mes. Ce repro­che n’a de sens que si on sai­sit le corol­laire : c’est que pré­ci­sé­ment, le garde des sceaux n’est PAS le valet des vic­ti­mes et ne doit pas l’être.

Quant aux dépu­tés Baroin et Lang, je ne les ai pas traité de lar­bins : j’ai dit : “Si le légis­la­tif aussi se met à jouer les lar­bins des vic­ti­mes, il ne reste que le judi­ciaire pour gar­der la tête froide.”

Cela étant, la lec­ture du Nou­vel Obs m’appre­nant que

Dès le début du pro­cès, Fran­cis Szpi­ner a demandé à son ami[3] le député UMP Fran­çois Baroin de rédi­ger une pro­po­si­tion de loi pour modi­fier la pro­cé­dure (voir enca­dré). «Il me fal­lait une per­son­na­lité de gau­che esti­ma­ble pour que cela n’appa­raisse pas comme une opé­ra­tion par­ti­sane, j’ai pensé à Jack Lang» Ce der­nier a con­senti ;

je cons­tate que si c’était eux que j’avais effec­ti­ve­ment traité de lar­bins, je n’aurais pas for­cé­ment mis à côté.

Je réa­lise cepen­dant avec hor­reur que mes pro­pos à moi aussi peu­vent être mal inter­pré­tés, même par un grand esprit comme mon con­frère. ce qui est signe de grande fati­gue.

Selon la for­mule con­sa­crée, je ne regrette pas ce que j’ai dit mais je regrette l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite par mon con­frère, et je retourne vite à mes vacan­ces.

Notes

[1] C’est notre moyen mné­mo­tech­ni­que pour appren­dre la for­mule du ser­ment.

[2] Rap­pe­lons que le bâton­nier est le pré­si­dent du Con­seil de l’Ordre des avo­cats, élu par ses pairs pour une durée de deux ans.

[3] Et ancien col­la­bo­ra­teur.NdA.

lundi 13 juillet 2009

Les procédures pénales d'exceptions vivent-elles leurs dernières heures ?

Je n'ose y croire, tant j'en ai rêvé, mais là, la cour européenne des droits de l'homme semble sonner le glas d'un aspect parmi les plus scandaleux de la procédure pénale française, qui pourtant n'en manque pas.

Par un arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 (Requête no 36391/02), la Grande Chambre de la Cour a condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable pour une loi qui refusait l'accès à un avocat au stade de l'enquête de police en raison de son objet qui, vous l'aurez deviné puisqu'il permet de porter atteitne aux droits de l'homme sous les applaudissements de l'opinion publique, est de lutter contre le terrorisme. 

En l'espèce, c'est un mineur kurde, soupçonné d'avoir ourdi deux odieux attentats terroristes, en l'espèce avoir participé à une manifestation du Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation illégale (qui est bel et bien une organisation terroriste violente), en soutien au chef de ce parti, Abdullah Öcalan, incarcéré depuis 1999,  ET d'avoir accroché une banderolle sur un pont ainsi rédigée : "Longue vie à notre chef Apo", Apo ("Tonton" en kurde) étant le surnom d'Öcalan.

Comme vous le voyez, c'est presque aussi grave que d'abîmer des caténaires de la SNCF.

 Après six mois de détention provisoire, il fut déclaré coupable sur la base de ses déclarations en garde à vue (faites sans avoir pu bénéficier du conseil d'un avocat), quand bien même il les avait rétractées par la suite (sur le conseil de son fourbe avocat, ce pire ennemi de la vérité, de l'ordre public et de l'autorité de l'État) et condamné à 4 ans et six mois de prison, ramenés à 2 ans et demi et raison de sa minorité. 

Je passe sur la procédure d'appel qui n'était pas non plus conforme aux standards de la Convention.

Les passages de l'arrêt qui ont retenu mon attention en ce qu'elles peuvent concerner la France sont ceux-ci. Après avoir rappelé que la Cour veille à ce que les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soient effectifs et concrets, la Cour affirme que (j'ai ôté les références jurisprudentielles pour alléger le texte ; les gras sont de moi) : 

54. La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (...). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé. Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu'elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…). La Cour prend également note à cet égard des nombreuses recommandations du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants-NdA) soulignant que le droit de tout détenu à l'obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements. Toute exception à la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.


Une petite pause ici. Le droit français a été mis en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme par la loi du 4 janvier 1993 en prévoyant que tout gardé à vue a droit a l'assistance d'un avocat. La loi, comme effrayée de sa propre audace, a toutefois prévu que ce droit se résumait à un entretien de trente minutes sans que l'avocat ait accès au dossier. Un changement de majorité s'étant produit en mars de la même année, une loi du 24 août 1993 va repousser l'intervention de cet avocat à la 21e heure de garde à vue, parce que sékomsa. Cela permettait de tenir éloigné ce gêneur dont la tâche, non mais je vous demande un peu, consiste à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. En juin 2000, la loi a enfin permis à l'avocat d'intervenir dès le début de la garde à vue. Mais là encore, changement de majorité en 2002 et en mars 2004, une loi revient sur ce point en repoussant l'intervention de l'avocat à la 48e heure en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de délinquance organisée.

Je rappelle que des affaires comme celles de Julien Coupat ont été traitées selon cette procédure d'exception, de même que la plupart des gardes à vue des délits de solidarité qui n'existent pas : la dame arrêtée à son domicile pour avoir rechargé des téléphones mobiles d'étrangers a été interpellée pour aide au séjour en bande organisée. Quand bien même l'affaire va probablement aboutir à un classement sans suite, elle n'a pas eu droit à l'assistance d'un avocat pendant ses 14 heures de garde à vue. 

Permettez à l'État de s'affranchir des libertés fondamentales en matière de terrorisme ou de délinquance organisée, et ne vous étonnez pas qu'un jour, il vous accuse d'un de ces faits pour s'affranchir d'avoir à respecter les vôtres.

Donc, l'intervention de l'avocat est repoussée de 48 heures dans trois série de cas. Systématiquement. Revenons-en à notre arrêt de la Cour.

55.  Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (…), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandisMagee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.

Arrêtez-moi si je me trompe (mais pas selon la procédure de délinquance organisée s'il vous plaît) : la cour dit qu'elle veut bien qu'on repousse l'intervention de l'avocat, mais elle doit avoir lieu en tout état de cause avant le premier interrogatoire de police, sauf à ce que des circonstances particulières au cas d'espèce (et non une règle de procédure générale appliquée systématiquement) font qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

Or les procédures françaises d'exception repoussent à la 48e heure cette intervention de l'avocat, systématiquement, et des interrogatoires du suspect ont bien évidemment lieu pendant ce laps de temps. C'est même le but : obtenir des aveux avant qu'un baveux vienne lui dire de se taire.

Conclusion logique : les procédures française d'exception ne sont pas conformes à la Convention européenne des droits de l'homme. Toutes les personnes qui ont avoué des faits dans ce laps de 48 heures peuvent demander une indemnisation pour violation de leurs droits, et la révision de leur procès (art. 626-1 du CPP) si elles ont été condamnées sur la base de ces aveux, car leur procédure est présumée avoir porté une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense.

Peut-être vois-je midi à ma porte car depuis 2004, où j'ai participé aux manifestations des avocats contre ce volet de la loi Perben II, je suis convaincu que cette procédure est contraire aux droits de l'homme. Je lirai donc avec intérêt tout point de vue contradictoire visant à démontrer que je me trompe.

Car si tel n'est pas le cas, le 27 novembre 2008 fut une belle journée pour les droits de l'homme.