Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Mot-clé - Garde des Sceaux

Fil des billets - Fil des commentaires

dimanche 17 octobre 2010

Le jour de gloire est arrivé

La nouvelle est tombée jeudi matin. Oh, elle n’a rien de surprenant, on l’attendait depuis longtemps, et je vous en parlais déjà il y a un an, mais ça y est. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France sur la question de la garde à vue.

Il s’agit de l’arrêt Brusco c. France du 14 octobre 2010, n°1466/07.

Alors puisque le mensonge et le déni de réalité est la méthode politique habituelle de ce Gouvernement quand surgit un problème (rappelez-vous : le délit de solidarité n’existe pas, et d’ailleurs, on va le modifier), il est évident que le Garde des Sceaux va nous entonner la chansonnette de “Meuh non, tout va bien, la garde à vue française est conforme à la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentale (CSDH) et à la Constitution, d’ailleurs, on va changer la loi en urgence pour la mettre en conformité”.

Alors voyons ce que dit cet arrêt, démontons les mensonges à venir de la Chancellerie, et voyons ce que propose le projet de loi sur la garde à vue, qui a été révélé par la Chancellerie.

L’arrêt Brusco c. France

Dans cette affaire, le requérant fut condamné pour complicité de violences aggravées, pour avoir payé deux sbires pour “faire peur” au mari de sa maîtresse. Au cours de sa garde à vue dans cette affaire, il fût entendu sous serment comme témoin, et naturellement sans avocat. À cette occasion, il reconnut les faits.

Son avocat souleva devant le tribunal la nullité de ces aveux du fait du serment, mais le tribunal rejeta son argumentation (qu’en droit on appelle exception). Il en fit appel, et la cour confirma entièrement le jugement. Il se pourvut en cassation, mais son pourvoi fut rejeté, quand bien même entretemps, la loi avait été changée pour supprimer cette obligation de prêter serment. Ayant compris combien il était saugrenu d’invoquer les droits de l’homme devant les juges français, il se tourna vers Strasbourg et la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Bien lui en pris, et la Cour condamne la France pour violation de l’article 6, en l’espèce parce que cette prestation de serment violait le droit fondamental de ne pas s’auto-incriminer. En effet, estime la Cour, le fait de lui faire prêter serment de dire toute la vérité, et de le menacer de poursuites en cas de fausses déclaration sous serment (quand bien même ces poursuites eussent été impossibles, puisqu’il n’était pas témoin des faits mais auteur des faits) constituait une pression contraire à la Convention, qui exige que d’éventuels aveux ne puissent être faits qu’une fois l’intéressé parfaitement informé de leur portée et que rien ne l’oblige à les faire.

C’est là que j’attire votre attention, car il est évident que la contre-argumentation de la Chancellerie va jouer à fond sur ce point. Elle dira que M. Brusco ne se plaignait pas de l’absence d’avocat, mais d’une obligation de prêter serment qui a été supprimée par la loi Perben II du 9 mars 2004, et que la Cour ne fait que sanctionner une non conformité de la loi française réglée il y a 6 ans.

Voyons donc ce que dit réellement la Cour. C’est aux paragraphes 44 et 45 (je graisse).

44.  La Cour rappelle que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ils ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention (voir, notamment, Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009, et John Murray, précité, § 45). Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne le respect de la détermination d’un accusé à garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé (voir, notamment, Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, §§ 68-69, Recueil 1996-VI, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 44, CEDH 2002-IX, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-117, CEDH 2006-IX, et O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC] nos 15809/02 et 25624/02, §§ 53-63, CEDH 2007-VIII).

45.  La Cour rappelle également que la personne placée en garde à vue a le droit d’être assistée d’un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu’elle n’a pas été informée par les autorités de son droit de se taire (voir les principes dégagés notamment dans les affaires Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 50-62, 27 novembre 2008, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, §§ 30-34, 13 octobre 2009, Boz c. Turquie, no 2039/04, §§ 33-36, 9 février 2010, et Adamkiewicz c. Pologne, no 54729/00 §§ 82-92, 2 mars 2010).

Ho, bée ma bouche, tombez mes bras, quelle surprise est la mienne ! La Cour insinue que les principes posés par les arrêts Salduz et Dayanan, que mes lecteurs connaissent bien, s’appliqueraient aussi à la France ? Mais pourtant la Chancellerie nous a soutenu exactement le contraire, rappelant même avec morgue que la France n’avait jamais été condamnée pour violation de l’article 6 de la Convention. C’était comme affirmer que le Titanic en train de sombrer était insubmersible, la preuve : il n’avait encore jamais coulé. Sur papier à en-tête d’un ministère de la République.

Eh bien voilà, c’est fait, la France a été condamnée. Comme c’était prévisible, inévitable, inéluctable, tous les juristes le savaient.

Et donc, après avoir rappelé (ou enseigné, en ce qui concerne la Chancellerie, visiblement) ces principes, la Cour les applique au cas de M. Brusco. Et en profite pour enfoncer le clou dans le cercueil de la garde à vue sans avocat.

54.  La Cour constate également qu’il ne ressort ni du dossier ni des procès-verbaux des dépositions que le requérant ait été informé au début de son interrogatoire du droit de se taire, de ne pas répondre aux questions posées, ou encore de ne répondre qu’aux questions qu’il souhaitait. Elle relève en outre que le requérant n’a pu être assisté d’un avocat que vingt heures après le début de la garde à vue, délai prévu à l’article 63-4 du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessus). L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

Là encore, la Chancellerie, gageons-le va nous jouer le couplet de : “il s’agit du régime de garde à vue en vigueur en 1999, c’est-à-dire avant que la loi du 15 juin 2000 ne prévoie l’intervention de l’avocat dès la première heure ; à présent, l’avocat est là dès le début, il peut notifier ce droit de garder le silence”.

À cela, plusieurs choses à dire. À vous mes confrères, d’abord. J’espère que vous avez ouï la Cour. À toutes vos interventions en garde à vue, vous devez dire au gardé à vue qu’il a le droit de garder le silence, et lui conseiller d’en user d’abondance, faute de pouvoir être assisté d’un avocat. Je ferai un billet entier sur le droit de garder le silence, tant il est une pierre angulaire de la démocratie, et étranger à notre procédure pénale, je vous laisse en tirer vos conclusions. Mais je suis certain que la plupart d’entre vous ne le disent pas. C’est une erreur, c’est même une faute.

À vous mes concitoyens ensuite. Si le ministère ose tenir cet argument, il vous faudra user à son encontre de lazzi et de quolibets. Car c’est l’actuelle majorité qui a fait en sorte, par la loi du 24 août 1993, de revenir sur l’intervention de l’avocat dès la première heure votée par la loi du 4 janvier 1993. Et c’est la même majorité qui, par la loi Perben I du 9 septembre 2002, est revenue sur la notification du droit de garder le silence faite au gardé à vue, en application de la loi du 15 juin 2000. Par deux fois, l’actuelle majorité a voté une loi qui a bafoué la Convention européenne des droits de l’homme. Qui a bafoué vos droits. Dire que rien n’empêche l’avocat de suppléer à sa forfaiture à présent qu’il peut venir dès le début de la garde à vue serait un monument de cynisme. Je parie sur son inauguration prochaine.

À vous mes lecteurs enfin. Lisez bien ce que dit la Cour dans ce §54.

L’avocat n’a donc été en mesure ni de l’informer sur son droit à garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer avant son premier interrogatoire ni de l’assister lors de cette déposition et lors de celles qui suivirent, comme l’exige l’article 6 de la Convention.

L’article 6 de la Convention exige que l’avocat puisse assister le gardé à vue lors de toutes ses dépositions. Ite Missa Est. Il n’y a rien à ajouter. Tout est dit. Repose en enfer, garde à vue à la française.

Le projet de réforme, ou : continuons à violer la Convention, nous ne serons plus là quand la sanction tombera

Dans un pays respectueux du droit en général, ou professant une faiblesse pour les droits de l’homme, le pouvoir législatif se ferait un devoir de voter promptement une loi nous mettant en conformité avec ces principes. C’est par exemple ce qu’a fait la Turquie, et avant même d’être condamnée par les arrêts Salduz et Dayanan. Dès que les autorités turques ont compris, elles se sont mises en conformité en 2005 (les arrêts sont tombés fin 2008).

En France, on fera à la française. C’est à dire qu’on fera voter une loi qui tentera de contourner cette décision. Les droits de l’homme sont chez nous trop précieux pour fréquenter les commissariats sales et vétustes.

Voici ce que contient le projet de loi pondu (pour être poli ; il n’y a pas que les œufs qui sortent du cloaque) par la Chancellerie.

Le Gouvernement propose la création d’une audition libre, qui serait le principe, et la garde à vue, l’exception. Qu’est-ce qu’une audition libre ? Pas une garde à vue. Donc, aucun des droits attachés à la garde à vue ne s’appliquent à l’audition libre, à commencer par l’assistance d’un avocat, et naturellement le droit de garder le silence. Brillant, n’est-ce pas ? Et comme ce régime est destiné à devenir le droit commun, dans le baba, la Cour européenne des droits de l’homme !

Vous avez encore des doutes ? Vous ne pouvez croire à ce degré de cynisme ? Constatez vous même. Voici ce que dire le futur Code de procédure pénale (CPP). Je graisse.

Art. 62-2. - La personne à l’encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, présumée innocente, demeure libre lors de son audition par les enquêteurs. Elle ne peut être placée en garde à vue que dans les cas et conditions prévus par les articles 62-3, 62-6 et 63.

«Art. 62-3. - La garde à vue est une mesure de contrainte prise au cours de l’enquête par laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs pour l’un des motifs prévus par l’article 62-6. 

La formule que j’ai graissée est exactement celle de l’actuel article 63 du CPP définissant le cas dans lequel la garde à vue est possible.

L’article 62-3 qui exige pour la garde à vue que l’infraction soit passible d’emprisonnement n’apporte absolument rien, contrairement à ce qu’affirme l’exposé des motifs, puisque c’est déjà le cas : article 67 en vigueur du CPP.

Voyons donc ce fameux article 62-6, qui expose les cas dans lesquels on pourra recourir à la garde à vue.

« Art. 62-6. - Une personne ne peut être placée en garde à vue que si la mesure garantissant le maintien de la personne à la disposition des enquêteurs est l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

« 1° Permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ; 

« 2° Garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République aux fins de mettre ce magistrat en mesure d’apprécier la suite à donner à l’enquête ;

« 3° Empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

« 4° Empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;

« 5° Empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ; 

« 6° Garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction. »

Vous noterez que le 2° permet de recourir à la garde à vue pour n’importe quelle affaire. Il suffit que le procureur de la République n’ait pas encore pris de décision sur les suites à donner, ce qui est systématiquement le cas, puisque c’est la prise de cette décision qui met fin à la garde à vue. Donc arbitraire total.

La notification des droits se trouve au futur article 63-1 :

« Art. 63-1. - I. - La personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits :

« 1° De son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;

« 2° De la nature et de la date présumée de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

« 3° De ce qu’elle bénéficie des droits suivants :

« - droit de faire prévenir un proche et son employeur conformément aux dispositions de l’article 63-2 ;

« - droit d’être examinée par un médecin conformément aux dispositions de l’article 63‑3 ;

« - droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat conformément aux dispositions des articles 63-3-1 à 63-4-2.

Ainsi, en audition libre, non seulement on ne vous dit pas que vous avez le droit fondamental de vous taire, mais vous n’aurez pas droit à un avocat pour venir vous le dire, et vous n’aurez même pas le droit de savoir la nature des faits qu’on vous soupçonne d’avoir commis, alors même qu’il existe des des raisons plausibles de soupçonner que vous avez commis ou tenté de commettre une infraction, mais en plus, contrairement à la garde à vue, l’audition libre n’est pas limitée dans le temps.

Bref, la chancellerie a réussi cet incroyable exploit de sortir une proposition de loi à la suite d’une déclaration d’inconstitutionnalité de la garde à vue et d’une condamnation de la France par la CEDH sur ce même régime de la garde à vue qui en fait revient à durcir le régime de la garde à vue. Faut-il haïr les droits de la défense…

Naturellement, ce nouveau régime n’est pas conforme à l’article 6 de la CSDH. Une nouvelle condamnation est inévitable si ce torchon acquerrait force de loi. Ce qui avec le Parlement servile que nous avons tient de la formalité. Qu’en dira le Conseil constitutionnel ? Je ne sais pas, mais sa non-décision sur la loi sur la Burqa a refroidi mes ardeurs à le voir comme garant des droits fondamentaux.

Alors si cette cochonnerie de projet de loi devait passer, retenez d’ores et déjà ce principe, et faites passer le mot : libre audition, piège à con. Si des policiers vous proposent une audition libre, acceptez, puis dites que vous décidez librement de ne faire aucune déclaration et de ne répondre à aucune question, et que vous allez partir librement, après leur avoir librement souhaité une bonne fin de journée. Si les policiers vous menacent alors de vous placer en garde à vue, vous saurez que cette proposition d’audition libre n’avait pour seul objet que de vous priver de vos droits. Vous voilà en mesure de les exercer. Vous les avez bien eus.

Pas un mot sans un avocat à vos côtés.

Et maintenant ?

Que faire dès aujourd’hui ?

L’attitude de la Chancellerie est claire. Il n’y a rien de bon à attendre de ce côté. Alors, baïonnette au canon, c’est dans le prétoire que la bataille doit avoir lieu.

Contrairement à la décision du Conseil constitutionnel de juillet dernier, cet arrêt est immédiatement invocable en droit interne. Vous devez déposer des conclusions dans tous les dossiers où votre client a été entendu en garde à vue, en demandant la nullité des PV où ses propos ont été recueillis, au visa de l’article 6 de la CSDH. En comparution immédiate, cela peut suffire à démolir le dossier. Au besoin, si votre client est d’accord, portez l’affaire devant la CEDH. Vous connaissez les conditions : épuisement des voies de recours interne, puis introduire la requête dans le délai de 6 mois.

Pour reprendre le mot du bâtonnier Marc Bonnant, du barreau de Genève (Mise à jour) de mon confrère Bertrand Périer, aujourd’hui, en France, le meilleur ami des libertés n’est ni le juge, ni la Chancellerie : c’est le TGV Est.

mardi 15 juin 2010

Prix Busiris pour Michèle Alliot Marie

C’est fièrement que l’actuel Garde des Sceaux a repris le flambeau de sa fonction, qui a vocation à la propulser au pinacle des primés du Busiris.

Rappelons que le prix Busiris récompense un mésusage éhonté et intentionnel du droit dans un discours politique, et se définit comme un propos juridiquement aberrant, si possible contradictoire, et prononcé de mauvaise foi dans un but d’opportunité politique. En somme, invoquer le cache sexe du droit pour cacher les parties honteuses de la politique.Michèle Alliot-Marie, bien décidée à montrer que les Basques ne laisseront pas les Auvergnats comme Brice Hortefeux ou Rachida Dati monopoliser les prix Busiris

En ce jour, c’est donc avec plaisir que l’Académie Busiris décerne à Madame Alliot-Marie, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés (je suppose qu’on est ministre des libertés comme on est ministre du travail pour s’occuper du chômage…) un deuxième prix Busiris pour les propos tenus ce matin sur France Inter, dans la matinale animée pour quelques jours encore par Nicolas Demorand, que je salue au passage.

Le ministre était interrogé sur la réforme de la procédure pénale, qui est enterrée comme tout le monde le sait sauf le Garde des Sceaux. Elle annonce que la réforme va être saucissonnée en quatre ou cinq morceaux, dont certains ne devraient pas pouvoir être votées avant la fin de la législature, mais ça ne veut pas dire que la réforme est enterrée, c’est juste qu’elle ne va pas être votée. Ces morceaux seraient : les principes généraux dont la garde à vue, l’enquête, les juridictions de jugement et l’exécution des peines.

Le prix Busiris n’est pas là mais une analyse rapide s’impose. Le premier volet va sans nul doute être présenté car le gouvernement a parfaitement conscience que le système français de garde à vue viole la Convention européenne des droits de l’homme, même s’il ne l’admettra jamais, fût-ce sous la torture. Les autres volets, j’en doute, car le deuxième inclut la suppression du juge d’instruction (j’y reviendrai car c’est là que se niche le Busiris). Et surtout, s’agissant des voies d’exécution, je ferai observer à la Garde des Sceaux qu’elle a fait adopter par le parlement une grande réforme en la matière, promulguée le 24 novembre 2009 (Loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire). 100 articles tout de même ; on se demande ce qui a été oublié pour qu’on ait trouvé 300 articles de mieux sept mois plus tard. Pour ceux qui croyaient que le législateur s’était calmé…

Le prix Busiris porte sur la question de la suppression du juge d’instruction. Voici le verbatim, dressé par le greffier en chef de l’Académie Busiris. Les propos en italiques entre parenthèses sont des commentaires de votre serviteur.


Nicolas Demorand : Est-ce que le juge d’instruction sera supprimé ?

Michèle Alliot-Marie : Oui, parce que là, nous sommes dans une obligation européenne. Je vous le disais tout à l’heure, l’obligation européenne, c’est d’avoir un procès équitable (Sur ce point, c’est tout à fait exact : c’est l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dite convention européenne des droits de l’homme, CSDH). Le principe du procès équitable, c’est notamment que celui qui mène l’enquête n’est pas celui qui porte un jugement sur cette enquête. Et aujourd’hui, avec le juge d’instruction, nous avons un juge qui à la fois mène l’enquête et est juge de l’enquête. Donc même si ça ne concerne aujourd’hui que 3 ou 4% des enquêtes, nous ne sommes pas en conformité avec le droit européen.


Les bruits que vous entendez, ce sont les mâchoires des juges d’instruction et conseillers de chambres de l’instruction qui me lisent qui viennent de tomber sur leur clavier avant de rouler par terre.

Si je puis me permettre de souffler un conseil à madame le garde des Sceaux, avant de réformer le Code de procédure pénale, il peut être judicieux de le lire.

Le propos juridiquement aberrant est ici double : le juge d’instruction serait juge de l’enquête, et son existence serait contraire au droit européen.

D’une part, le juge d’instruction n’est pas juge de l’enquête. Le juge de l’enquête s’entend de celui qui juge de la légalité de celle-ci, et qui au besoin annule les actes faits en violation de la loi. Or l’article 170 du Code de procédure pénale donne compétence à la chambre de l’instruction, et à elle seule, pour prononcer cette nullité.

En toute matière, la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, être saisie aux fins d’annulation d’un acte ou d’une pièce de la procédure par le juge d’instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté.

C’est une question-piège classique en oral de procédure pénale (n’est-ce pas, amis étudiants qui planchez ?). Si le juge d’instruction estime qu’un acte de l’instruction est nul, que ce soit un acte de l’enquête de police (un interrogatoire de garde à vue fait avant notification des droits par exemple), voire un de ses propres actes (un acte d’enquête sur des faits dont il n’est pas saisi), il doit demander à la chambre de l’instruction de les annuler, il ne peut en aucun cas le faire lui-même. Ce même droit appartient au procureur, et aux parties (mis en examen, partie civile), et même au témoin assisté qui n’est pas partie à l’instruction au sens strict.

Le seul acte qui échappe (relativement) à la compétence de la chambre de l’instruction est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, puisque le mis en examen devenu prévenu par l’effet de cette ordonnance ne peut pas la contester devant la chambre de l’instruction ; mais il peut le faire devant le tribunal correctionnel, second juge de l’enquête, puisqu’il peut annuler cette ordonnance (et renvoyer le dossier au juge d’instruction, art. 385 du CPP) et même à son tour ordonner des mesures d’instruction supplémentaires s’il estime l’instruction insuffisante.

Un reproche qui peut être fait au système actuel est de porter directement ce contentieux devant la cour d’appel, faisant perdre un degré de juridiction. On peut imaginer un recours en nullité de l’instruction en première instance devant un juge du tribunal, un JLD par exemple. Mais il est faux de dire que le juge d’instruction est juge de l’enquête, faute de pouvoir juridictionnel sur ce point.

On pourrait objecter que le juge d’instruction juge de l’opportunité d’effectuer tel ou tel acte, puisqu’il peut refuser d’effectuer un acte demandé par une des parties. À cela je répondrai que dans ce cas, le juge d’instruction ne juge pas l’enquête mais mène l’enquête en décidant de l’utilité d’un acte. Ce refus peut d’ailleurs être contesté devant la chambre de l’instruction, qui en cas d’annulation du refus peut même décider de confier l’enquête à un autre juge d’instruction (art. 207 du CPP). Les officiers de police judiciaire agissant en enquête de flagrance ont ce même pouvoir, en encore plus absolu puisqu’ils ne peuvent pas être saisis par le suspect ou la victime d’une demande d’acte dont il pourrait être fait appel. Faut-il supprimer les officiers de police judiciaire ?

D’autre part, dire que le droit européen exigerait la suppression du juge d’instruction est aussi faux qu’une prévision de déficit en France.

La cour européenne des droits de l’homme vient même de dire exactement le contraire le 29 mars 2010 dans l’arrêt Medvedyev c. France rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire dite du “Winner” dont je vous avais parlé ici.

Rappelons que dans cette affaire, la France avait d’abord été condamné pour avoir placé en garde à vue à leur arrivée à Brest des marins déjà confinés à leur bord depuis 13 jours, la Cour ayant estimé que le parquet n’était pas une autorité judiciaire au sens de la Convention apte à contrôler la légalité de cette mesure. En appel devant la Grande Chambre, la France a obtenu que cette condamnation soit annulée, en démontrant qu’en réalité, il n’y avait pas eu de garde à vue, mais que les marins avaient été directement présentés… à un juge d’instruction, qui lui, est une autorité judiciaire apte à contrôler de la légalité d’une mesure de garde à vue.

Et chers concitoyens, admirez avec quel cynisme le Gouvernement vous ment puisque voilà ce que le même Gouvernement, représenté devant la Cour notamment par l’adjoint du directeur des Affaires civiles et des grâces (DACG) au ministère de la Justice, et le chef du département des Affaires contentieuses au ministère de la Justice, donc autant vous dire que ce dossier est passé par le bureau du Garde des Sceaux lui-même, voilà ce que ce Gouvernement disais-je à soutenu devant la Cour (je graisse) :

§ 114. Le Gouvernement estime, s’agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, que si la Cour a jugé qu’un procureur ou un autre magistrat ayant la qualité de partie poursuivante ne pouvait être considéré comme un « juge » au sens de l’article 5 § 3, une telle hypothèse ne correspond aucunement au juge d’instruction. Ce dernier est un juge du siège, totalement indépendant, qui a pour mission d’instruire à charge et à décharge sans pouvoir, ni exercer des actes de poursuite, ni participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites. En outre, le juge d’instruction français surveille toutes les mesures privatives de liberté prises dans les affaires dont il a la charge et il peut y mettre fin à tout moment, qu’il s’agisse de garde à vue ou de détention provisoire. S’il doit saisir le juge des libertés et de la détention lorsqu’il envisage un placement en détention provisoire, il dispose en revanche de tout pouvoir pour remettre une personne en liberté ou la placer sous contrôle judiciaire. Le Gouvernement rappelle que la Cour a déjà jugé que le juge d’instruction remplit les conditions posée par l’article 5 § 3 (A.C. c. France (déc.), no 37547/97, 14 décembre 1999).

Ce qu’effectivement la Cour admet sans difficulté dans l’arrêt (§128) : « les juges d’instructions (…) sont assurément susceptibles d’être qualifiés de “ juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ” au sens de l’article 5 § 3 de la Convention. »

Oui, chers amis, vous avez bien lu. Devant la Cour, le Gouvernement sait, références jurisprudentielles à l’appui, que le juge d’instruction est conforme au droit européen. Au micro de France Inter, il vous dira exactement le contraire pour justifier sa réforme.

Voilà qui établit la mauvaise foi, puisque Michèle Alliot Marie sait qu’elle ment, et l’opportunité politique, puisque la réalité juridique est foulée au pied pour prétendre qu’une réforme est une nécessité alors qu’il ne s’agit que d’un choix politique non assumé.

En conséquence, le prix Busiris est attribué à Madame le Garde des Sceaux, au son des tambours et des vuvuzelas.


Annexe : le corpus delicti. Les propos primés sont à la sixième minute.

mardi 30 mars 2010

And there is no Winner

La Cour européenne des droits de l’homme statuant en Grande Chambre (qui est la formation d’appel de la cour) a rendu hier son arrêt Medvedyev c. France, dans l’affaire dite du “Winner”, du nom du navire cambodgien arraisonné par la marine française au large du Cap-Vert dans le cadre de la lutte contre le trafic international de stupéfiants. Et oui, je sais, Medvedyev n’est pas un nom cambodgien ; ce sont les joies du droit maritime, où marins et navires n’ont jamais la même nationalité (les marins du bord étaient ukrainiens, roumains, grecs et chiliens).

Le problème soulevé par les requérants était leur privation de liberté treize jours durant, confinés à bord de leur navire sous la garde de la marine française, avant leur arrivée à Brest où ils seront placés en garde à vue, Si la privation de liberté que constitue la garde à vue n’était pas contestée en soi (l’absence de l’avocat n’ayant malheureusement pas été soulevée), restait cette détention 13 jours durant. L’article 5 de la CSDH stipule en effet ceci :

Article 5 – Droit à la liberté et à la sûreté

§1 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

§2 Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

§3 Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

§4 Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

§ 5 Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.

On se souvient qu’en première instance, la cour européenne des droits de l’homme avait précisé, alors même que le débat ne portait pas sur ce point, que la garde à vue française ne satisfaisait pas aux conditions de l’article 5 car cette privation de liberté n’était pas placée sous la surveillance de l’autorité judiciaire (je vous rappelle qu’en effet, un gardé à vue n’a AUCUN moyen légal de saisir un juge de sa situation : il ne pourra la contester qu’une fois cette mesure terminée, et encore, seulement s’il est poursuivi), car selon elle le parquet français ne saurait être une telle autorité au sens de la Convention faute pour ledit parquet d’être indépendant.

Autant dire qu’à la veille d’une réforme de la procédure pénale faisant du parquet le moteur unique des poursuites, c’était un caillou dans la chaussure du Garde des Sceaux, un caillou de la taille d’un pavé, même. Cet arrêt de grande chambre était donc attendu impatiemment.

Et il faut bien le dire, on en est un peu pour ses frais. La grande Chambre ne dit pas un mot sur la question, mais n’en pense pas moins vous allez voir, tout en confirmant la solution de première instance : la détention en mer de 13 jours viole l’article 5§1 de la Convention faute de base légale à une telle privation de liberté (bref, la France s’est livrée à un acte de piraterie…) mais une fois arrivés à Brest, la détention ne viole pas l’article 5§3. C’est sur les raisons de cette absence de violation que cet arrêt est néanmoins intéressant, car d’une part, la cour adresse un message discret mais clair à la France, et surtout, surtout l’argumentation déployée par le Gouvernement français est d’un cynisme qui laisse pantois. Vous allez voir, il fallait oser.

La différence de raisonnement des deux formations se situe sur un pur élément factuel, une preuve qui n’avait pas été apportée en première instance.

En première instance en effet, la cour avait décidé que le moment où la privation de liberté redevenait légale était la présentation au juge d’instruction, après deux jours de garde à vue sous la surveillance du parquet, estimant que le placement en garde à vue dont avaient fait objet les marins ne satisfaisait pas aux exigences de la Convention, car “le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion : comme le soulignent les requérants, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié” (Arrêt Medvedyev I, §61).

En appel, le Gouvernement va apporter un élément nouveau qui change tout : en fait, dès le jour de leur arrivée à Brest, les marins ont été présentés à des juges d’instruction (Arrêt Medvedyev II, §19 et 127) entre huit et neuf heures après l’accostage. Note pour le Gouvernement : une audience devant la CEDH, ça se prépare.

La cour estime donc au vu de ces faits nouveaux que ce délai était tout à fait raisonnable, et que l’article 5§3 n’a pas été violé. Mutisme sur le statut du parquet, puisqu’en fait il n’est pas intervenu. Et communiqué triomphal du Garde des Sceaux :

La CEDH dans sa décision ne remet pas en cause le statut du parquet français. Cela met fin aux interprétations que certains ont voulu donner depuis le premier arrêt de la Cour, le 10 juillet 2008.

La Cour rappelle uniquement les principes qui se dégagent de sa jurisprudence s’agissant des caractéristiques que doit avoir un juge ou un magistrat habilité pour remplir les conditions posées par la convention européenne des droits de l’Homme, en matière de détention.

Qu’il soit permis à certains d’objecter que le ministre voit midi à sa porte. Car il est des mutismes fort bavards, et des arguments qui, s’ils permettent de gagner un procès, font perdre en cohérence.

La Cour n’a pas statué sur le statut du parquet puisque la question n’était plus pertinente. Mais néanmoins, le Garde des Sceaux a raison sur ce point, “la Cour rappelle uniquement les principes qui se dégagent de sa jurisprudence s’agissant des caractéristiques que doit avoir un juge ou un magistrat habilité pour remplir les conditions posées par la convention européenne des droits de l’Homme, en matière de détention.”

Et si nous les lisions ensemble, ces principes, puisque la cour prend la peine de les rappeler, comme si elle voulait que le Gouvernement en prenne connaissance avant de, par exemple, changer la procédure pénale, hmm ?

C’est le §124 de la décision. Je me permets de graisser les passages intéressants, à la Chancellerie, on a la vue basse, ces derniers temps.

124. Le magistrat [qui contrôle la légalité de la privation de liberté] doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention (voir, parmi beaucoup d’autres, Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 146 et 149). Concernant la portée de ce contrôle, la formulation à la base de la jurisprudence constante de la Cour remonte à l’affaire Schiesser précitée (§ 31) : « (…) A cela s’ajoutent, d’après l’article 5 § 3, une exigence de procédure et une de fond. A la charge du « magistrat », la première comporte l’obligation d’entendre personnellement l’individu traduit devant lui (voir, mutatis mutandis, Winterwerp précité, § 60) ; la seconde, celle d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention, de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant et, en leur absence, d’ordonner l’élargissement (Irlande contre Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, § 199) », soit, en un mot, que « le magistrat se penche sur le bien-fondé de la détention » (T.W. et Aquilina, précités, respectivement § 41 et § 47).

Je la fais en plus court : la cour dit expressément que la privation de liberté doit être placée sous le contrôle d’un magistrat indépendant de l’exécutif et des parties, ce qui exclut le parquet puisqu’il n’est pas indépendant à l’égard de l’exécutif et quand bien même le serait-il, il sera partie poursuivante au procès pénal contre le gardé à vue, or on ne peut être juge et partie. Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me paraît clair. Le contrôle de la garde à vue par le parquet est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Encore une gifle pour la procédure pénale française. Vous comprenez pourquoi je la qualifie de médiévale ?

Et hâtons-nous de rire de peur de nous mettre à pleurer quand nous lisons l’argumentation du Gouvernement.

Je vous rappelle que le Gouvernement est en train de mettre en route une réforme de la procédure qui va supprimer le juge d’instruction pour confier ses prérogatives au parquet. Cette suppression est acquise, la Chancellerie oppose d’emblée une fin de non recevoir à toute proposition le maintenant en place (c’est ce qu’on appelle une “concertation”, aujourd’hui).

Et pourtant, voilà ce qu’il va soutenir devant la Cour : c’est le paragraphe 114. Attention, c’est d’un cynisme violent.

114 Le Gouvernement estime, s’agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, que si la Cour a jugé qu’un procureur ou un autre magistrat ayant la qualité de partie poursuivante ne pouvait être considéré comme un « juge » au sens de l’article 5 § 3 (Huber précité), une telle hypothèse ne correspond aucunement au juge d’instruction. Ce dernier est un juge du siège, totalement indépendant, qui a pour mission d’instruire à charge et à décharge sans pouvoir, ni exercer des actes de poursuite, ni participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites. En outre, le juge d’instruction français surveille toutes les mesures privatives de liberté prises dans les affaires dont il a la charge et il peut y mettre fin à tout moment, qu’il s’agisse de garde à vue ou de détention provisoire. S’il doit saisir le juge des libertés et de la détention lorsqu’il envisage un placement en détention provisoire, il dispose en revanche de tout pouvoir pour remettre une personne en liberté ou la placer sous contrôle judiciaire. Le Gouvernement rappelle que la Cour a déjà jugé que le juge d’instruction remplit les conditions posée par l’article 5 § 3 (A.C. c. France (déc.), no 37547/97, 14 décembre 1999).

Oui, vous lisez bien. Le Gouvernement ne tente même pas de contester que le parquet ne remplit nullement les conditions posées par la jurisprudence de la Cour. Mais, dit-il triomphalement, pas de problème : en France, on a le juge d’instruction, qui remplit, lui, les conditions exigées par la Convention ! D’ailleurs, la Cour l’a déjà jugé dans un arrêt de 1999. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes judiciaires. Et vous noterez que la cour donne raison au Gouvernement sur ce point en disant qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5§3 du fait de la prompte présentation au juge d’instruction, magistrat indépendant.

En shorter : pour le Gouvernement, le juge d’instruction, contrairement au parquet, remplit les conditions posées la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut donc le supprimer pour le remplacer par le parquet.

Car l’avant projet non négociable soumis pour concertation à condition qu’on soit d’accord sur tout précise dans son futur article 327-8 que c’est bien le procureur et le procureur seul qui aura la haute main sur la garde à vue.

Pour ceux qui avaient des doutes, vous voilà fixés : le Gouvernement sait que sa réforme n’est pas conforme à la Convention européenne des droits de l’homme, mais la passera aux forceps. De toutes façons, quand les condamnations tomberont, les ministres actuels seront loin, et le président de la république siégera au Conseil constitutionnel. En attendant, ce sont vos libertés individuelles qu’on flanque à la poubelle, en vous demandant d’applaudir, puisque c’est pour vous protéger des juges indépendants.





” Tout à coup une porte s’ouvre : entre silencieusement le cynisme appuyé sur le bras de la trahison. Mme Aliot-Marie marchant soutenue par M. Besson ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du Président de la République et disparait. Aliot-marie venait jurer foi et hommage à son seigneur ; la docteure en droit, à genoux, mit les mains qui firent tomber les droits de la défense entre les mains qui étranglèrent le CSM ; le ségoléniste apostat fut caution du serment.”

Maître Eolas, Mémoires d’Outre Blog (d’après Chateaubriand).

mercredi 15 juillet 2009

Appel dans l'affaire Halimi : la faute de MAM

Ainsi, à la demande de la famille d'Ilan Halimi, le Garde des Sceaux a demandé au parquet de faire appel du verdict dans l'affaire Fofana. Cela a surpris plusieurs de mes lecteurs qui m'ont écrit pour me dire leur étonnement face à cette ingérence du pouvoir politique dans les affaires de la Justice.

C'est qu'évidemment, à force d'entendre les politiques esquiver toute question qui les dérangent ayant trait avec la justice en invoquant la séparation des pouvoirs et une mystérieuse prohibition de commenter l'action de la justice, on est surpris quand, l'opportunité politique l'exigeant, ils s'en affranchissent avec la même vigueur qu'ils l'invoquaient la veille.

Le Garde des Sceaux est tout à fait dans son droit. Ce qui ne veut pas dire qu'elle a raison.

Rappelons donc les règles de l'appel en matière criminel.



Première règle : l'appel n'est possible qu'une fois.

La loi prévoit qu'une cour d'assises d'appel statue alors, la différence étant qu'elle est composée d'un jury de 12 jurés au lieu de 9, les règles de majorité pour les votes de culpabilité changeant aussi (8 voix en première instance, 10 voix en appel, mais le seuil reste strictement le même : deux tiers des voix). Le verdict de la cour d'assises d'appel ne peut faire l'objet que d'un pourvoi en cassation. Ça aura son importance dans notre affaire, vous allez voir.



Deuxième règle : chacun fait appel pour ce qui le concerne.


Il y a trois parties (au sens de partie prenante, acteur) au procès : deux obligatoires et une facultative.

À tout seigneur tout honneur, le ministère public, sans qui on ne serait pas là. C'est lui qui est à l'origine des poursuites, et si l'affaire vient pour être jugée, c'est que l'instruction a renforcé sa conviction de la culpabilité de l'accusé. À l'audience, il est l'avocat de la société, qui seule a le droit de punir, doit se protéger des individus dangereux et sanctionner les comportements contraires à la loi. D'où son titre d'avocat général, par opposition à l'avocat particulier qu'est celui de la défense. Son rôle est de démontrer la culpabilité et de requérir la peine qui lui semble adaptée à la gravité du crime. Ce dernier point relève de sa totale liberté de parole. Là aussi, cela aura son importance. Évidemment, si les débats révèlent l'innocence de l'accusé, rien n'interdit à l'avocat général de requérir l'acquittement, et il est même de son devoir de le faire (Ce fut le cas lors du procès de Richard Roman en 1992, qui a vu un avocat général, Michel Legrand, qui porte bien son nom, initialement convaincu de la culpabilité de Roman, requérir l'acquittement après le spectaculaire effondrement du dossier à l'audience).

La défense ensuite, incarnée d'abord par l'accusé, et ensuite par son avocat. L'avocat de la défense est le contradicteur de l'avocat général. Selon les affaires, sa stratégie peut être soit de viser l'acquittement, en démontrant l'innocence ou du moins en instillant le doute dans l'esprit de la Cour, soit, si les faits sont établis et reconnus, de proposer une peine qui naturellement mettra en avant la réinsertion de l'accusé sur les considérations purement répressives.

Enfin, éventuellement, la partie civile, qui est la victime ou, dans le cas où celle-ci est décédée, ses héritiers (c'est le cas ici : Ilan Halimi étant décédé sans enfants, ce sont ses parents qui sont ses héritiers). Elle demande l'indemnisation de son préjudice, et pour cela doit comme indispensable préalable démontrer la culpabilité. Il n'est pas d'usage que la partie civile s'aventure sur le terrain de la peine à prononcer, prérogative du parquet, mais ce n'est pas formellement interdit.

Je dis que la partie civile est une partie éventuelle car rien ne l'oblige à se constituer partie civile, et parfois, il n'y en a tout simplement pas (ex : trafic de stupéfiant criminel).

Le parquet peut faire appel sur la culpabilité et la peine (article 380-2 du CPP). Son appel ne vise qu'à renverser un acquittement ou à l'aggravation de la condamnation. Si seul le parquet est appelant, le mieux que puisse espérer la défense est la confirmation pure et simple. C'est un appel a maxima.

Le condamné peut faire appel (un acquitté ne peut pas faire appel de son acquittement). Cet appel vise à la diminution de la peine voire à l'acquittement. Si seul le condamné fait appel, le pire qu'il puisse lui arriver est la confirmation pure et simple; C'est un appel a minima. (article 380-6 du CPP)

La partie civile peut faire appel des dommages-intérêts qui lui ont été accordés. Si seule la partie civile fait appel, l'appel est jugé par la chambre des appels correctionnels (art. 380-5 du CPP). La partie civile peut faire appel d'un acquittement, mais si le parquet ne fait pas appel, l'accusé est définitivement acquitté, il ne peut faire l'objet d'une peine. La chambre des appels correctionnels peut toutefois constater que l'infraction était constituée et prononcer des dommages-intérêts.

L'usage veut que le parquet fasse systématiquement appel quand le condamné fait appel, afin de donner à la cour d'assises d'appel les plein-pouvoirs : aller de l'acquittement jusqu'à la peine maximale. De même, quand le parquet fait appel, l'accusé se dépêche de faire un appel incident afin de pouvoir espérer voir sa peine réduite en appel.

Cet appel provoqué par l'appel de l'autre partie s'appelle un appel incident, par opposition à l'appel principal. L'appel principal doit être formé dans les 10 jours de la condamnation (art.380-9 du CPP), l'appel incident, dans un délai de cinq jours à compter de l'appel principal (art.380-10 du CPP). Ce délai de cinq jours est indépendant et peut expirer au-delà des dix jours de l'appel principal ; exemple : j'ai un client condamné le 1er du mois — C'est un exemple bien sûr, dans la vraie vie, il aurait été acquitté—, je peux faire appel principal jusqu'au 11, comme le parquet. Si je fais appel le 11, le parquet a jusqu'au 16 pour faire appel incident.

La décision du parquet de faire appel se prend en interne. Elle est toujours concertée car ce n'est pas une décision à prendre à la légère : l'avocat général, mécontent du verdict, ne peut aller former un appel ab irato, sous peine de se retrouver convoqué chez son chef le procureur général qui va lui chanter pouilles. De manière générale, les appels d'une condamnation sont très rares. Le parquet a tendance à considérer que la Cour savait ce qu'elle faisait en prononçant telle peine, et qu'il n'a pas à imposer sa vision des choses au jury populaire qui n'est autre que le peuple souverain. Il n'en va autrement que si un acquittement a été prononcé alors que le parquet est convaincu de la culpabilité (le parquet n'aime pas les erreurs judiciaires...) ou qu'il y a une disproportion telle entre la gravité des faits et la légèreté de la peine qu'il estime qu'un appel est nécessaire.

Autant dire que dans cette affaire, les probabilités d'un appel spontané du parquet étaient nulles.

MAM avait-elle le droit de demander au parquet de faire appel ?

Oui. Elle tire ce pouvoir de l'article 5 de l'ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.   

Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. A l'audience, leur parole est libre.

C'est à dire qu'on peut tout à fait imaginer que dans cette affaire, l'avocat général conclure l'audience d'appel en disant que les peines prononcées en première instance lui paraissent satisfaisantes et demander à la cour de les confirmer.

Alors, si tout cela est conforme au droit, d'où vient mon chagrin ?

Il se situe sur le terrain non pas du droit mais politique, ce qui réjouira mon ami Authueil, dévoré d'angoisse à l'idée que je ne pense qu'en juriste.

C'est qu'en agissant ainsi, MAM ne s'est pas comportée en garde des sceaux, mais en valet des victimes, s'inscrivant dans la droite ligne de sa prédécesseuse, les robes Dior en moins.

L'action publique ne doit pas être inféodée aux déceptions des victimes. Elle en est autonome, et ce n'est pas pour rien. Ce n'est pas la victime qui demande la punition, c'est la société. La victime est dépouillée de son droit de vengeance depuis que tout citoyen a renoncé à son droit de se faire justice à lui même, et plus largement de recourir à la violence, en confiant le monopole de la justice à l'État, en charge de la protection des citoyens. Et la société doit garder son droit de dire à la victime : non, ça suffit. Ce n'est pas lui faire violence, et je crois même que c'est le plus souvent pour son bien. Car il est des cadeaux faits avec la meilleure volonté du monde qui sont en fait des cadeaux empoisonnés. Et ici, nous risquons d'en avoir un triste exemple.

Ainsi, l'instruction donnée au parquet est de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions du parquet. Philippe Bilger, dont mes lecteurs savent l'estime non feinte que je lui porte, rougira de la confiance qui lui est ainsi portée, puique ses réquisitions sont pour la Chancellerie l'Alpha et l'Oméga, en ce qu'elle estime que la Cour s'est nécessairement trompée chaque fois qu'elle ne les a pas suivies. Passons cependant sur l'incohérence consistant à ne pas tenir compte du fait que le même avocat général s'estime satisfait du verdict. Il serait bon de se tenir à jour, place Vendôme.

Mais personne ne semble s'être interrogé sur les conséquences de ce choix.

Il signifie que, sauf à ce qu'il fasse appel, Youssouf Fofana ne sera pas présent en appel (enfin, si : il viendra comme témoin), de même qu'une bonne moitié des accusés (13 sur 27). C'est donc l'ombre du premier procès qui sera rejouée.

De plus, les 13 accusés concernés vont tous faire appel incident (ils n'ont rien à perdre et tout à gagner à le faire). Et les absents ayant toujours tort, ils vont pouvoir à l'envi charger Fofana pour se décharger de leur fardeau de la culpabilité. Et un accusé provocateur comme Fofana ayant tendance à enfoncer ses co-accusés, il est parfaitement possible que les peines soient réduites en appel. La défense a un coup à jouer et elle le jouera. Je ne dis pas que cette tactique sera mensongère ou trompeuse : si ça se trouve, certains accusés ont réellement été enfoncés par Fofana, dont l'absence leur permettra d'être jugés plus équitablement, et condamnés plus légèrement.

La mère de la victime semble considérer comme une évidence qu'un procès en appel lui donnera satisfaction, considération qui semble chez certain l'emporter sur toute autre. Croyez-vous qu'un échec en appel allégera sa douleur ? Car ce nouveau verdict sera définitif : pas de nouvel appel, pas de désistement pour revenir à la première décision. Il ne restera que le pourvoi en cassation pour faire annuler le verdict, mais uniquement si le droit n'a pas été respecté (or le quantum de la peine est une question de pur fait que la cour de cassation se refuse à examiner). Et c'est MAM qui en portera la responsabilité.

Demeure ensuite la question du huis clos. Deux des accusés étant mineurs au moment des faits, le huis clos était de droit à leur demande (art. 306 du CPP) . Et l'un d'entre eux est concerné par l'appel (il a été condamné à 9 ans quand le parquet en requérait... 10 à 12) : donc l'appel aura lieu à huis-clos, alors qu'il aurait suffit de ne pas faire appel de sa condamnation pour obtenir la publicité des débats. Pour un an de différence entre les réquisitions et la peine. Voilà ce qui se passe quand un ministre agit dans la précipitation médiatique.

Là où l'affaire tourne à la farce, c'est quand l'avocat de la partie civile rêve à voix haute d'une modification de la loi pour permettre la publicité des débats (encore une fois, voyez à quoi elle tient ici...). Voici que la victime demande qu'on fasse appel pour elle et qu'on change la loi par la même occasion. Je passerai sur le fait que l'avocat en question était l'avocat du RPR dont le garde des sceaux fut la dernière présidente, car je me refuse à croire qu'en République, des choix publics tinssent à ce genre de considération. Mais je tremble quand même que ce souhait soit suivi d'effet, deux députés qu'on ne peut soupçonner d'être indifférents à l'opinion publique ayant déposé une proposition de loi dans ce sens (Messieurs Barouin et Lang). Si le législatif aussi se met à jouer les larbins des victimes, il ne reste que le judiciaire pour garder la tête froide.

Je me contenterai donc de regretter que ce ministre ait raté sa première occasion de se comporter en vrai Garde des Sceaux plutôt qu'en valet des victimes, ait manqué de réfléchir avant d'agir, et que visiblement personne dans cette affaire ne se soit interrogé à la Chancellerie pour savoir ce qu'on avait à reprocher à ce procès, remarquablement conduit de l'avis général par une formidable présidente, Nadia Ajjan, et ce qui leur permettait d'estimer que leur opinion valait mieux que celle de neuf jurés et trois juges qui ont assistés aux 29 jours de débat et ont délibéré trois jours durant pour fixer ces peines, très légèrement inférieures aux réquisitions du parquet (à croire que les plaidoiries de la défense servent à quelque chose...).

La mémoire d'Ilan Halimi méritait mieux que ce cirque.