Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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samedi 22 août 2009

Quand la Justice n'exécute plus

Par Gascogne


Pour ceux à qui cela aurait échappé, la justice va mal. Non pas à cause du corporatisme, du conservatisme et de l’irresponsabilité de ses juges (je sais, j’ai déjà fait plus léger comme appeau à troll, mais je sors d’une semaine agitée), mais par manque de moyens. J’entends déjà les contempteurs de notre système judiciaire crier qu’il y en a assez de ces magistrats qui se plaignent tout le temps du manque de moyens. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui râlent contre l’absence de sanctions sévères contre les délinquants, surtout ceux des banlieues, les délinquants financiers devant visiblement subir un sort moins funeste.

Alors je ne doute pas de leur soutien plein et entier s’agissant de la mise à exécution de peines d’emprisonnement ferme, qui ne peut se faire sans un nombre minimum de greffiers et autres travailleurs sociaux. Et pourtant, on apprend par la presse que le manque de personnel entraîne une impossibilité de mettre à exécution des peines d’emprisonnement dans la cour d’appel de Versailles.

Même si le journaliste semble quelque peu confondre en fin d’article ce qu’il souhaite constater et ce qui se déroule dans le cadre d’un délibéré (un sursis simple en lieu et place d’une peine d’emprisonnement ferme réclamée par la Parquet, quelle honte), il n’en demeure pas moins que les juges, lorsqu’ils condamnent, prennent souvent en compte les moyens matériels dont dispose la juridiction. A quoi bon prononcer des TIG si l’on sait qu’aucune association ne peut accueillir les condamnés ? Pourquoi prononcer des sursis avec mise à l’épreuve si l’on sait pertinemment qu’aucun suivi ne sera mis en place, faute de travailleurs sociaux (que l’on appelle des conseillers d’insertion et de probation) ? Quand on vous annonce qu’aucun dossier de sursis avec mise à l’épreuve n’est suivi plus de deux ans, faute de moyens, pourquoi prononcer des SME durant trois ans, voire plus en cas de récidive ? Pourtant, le législateur, sans doute à juste titre, a bien prévu que pour les récidivistes, une suivi pouvant aller jusqu’à 7 ans était envisageable. Juridiquement, c’est certain. Matériellement, c’est une douce plaisanterie. D’aucuns parleraient de loi de pure annonce.

Et je ne vous parle même pas de ces juges d’instruction qui reçoivent un courrier très poli du directeur de la protection judiciaire de la jeunesse qui leur annonce que les contrôles judiciaires des petits Kevin et Dylan ne seront pas suivis faute d’éducateurs (ah, ben si, je vous en parle…Peut-être parce que cela m’est personnellement arrivé).

L’absence de moyens concernant l’exécution des peines pousse souvent les juges à des décisions la plupart du temps dans l’intérêt des justiciables, c’est à dire vers une diminution de la sévérité. Ceci étant, la facilité peut aussi vouloir que l’on prononce une peine ferme. Il y aura toujours de la place en détention. Au moins avec un matelas au sol (à tous membres de l’OIP qui me liraient, il s’agit bien évidemment d’ironie)…

Les politiques vont une fois de plus découvrir la lune, eux qui ne regardaient jusqu’alors que le doigt. Ce n’est pourtant pas faute de les avoir alertés. L’Union Syndicale des Magistrats a déjà signalé les difficultés liées à l’exécution des peines, dans un “livre blanc” que l’on peut trouver ici (je sais, Me Eolas vous dirait, “attention, site moche”, mais bon, c’est mon syndicat, quand même…). Il en ressortait que près d’un tiers des peines d’emprisonnement ferme n’était jamais ramené à exécution, faute de moyens. On imagine dés lors facilement le peu d’impact de ces décisions sur les personnes condamnées…

Et qu’a-t-on fait depuis ? Rien, si ce n’est diminuer en douce les effectifs, réforme de l’État oblige. Le gouvernement a eu beau indiquer que les ministères de l’intérieur et de la justice ne seraient pas touchés par les non-remplacements de départs en retraite, les effectifs de l’Ecole Nationale de la Magistrature ne remplaceront pas les départs (de l’ordre, dans les années à venir, d’environ 300 départs en retraite pour une petite centaine d’entrées en école). Faites vos comptes. Et je ne vous parle même pas des greffes, dont la situation en terme de personnel est encore plus catastrophique.

Concernant les effectifs de police, le récent cafouillage au plus haut niveau de l’Etat au sujet des “cadets de la République” (institution que, personnellement, je trouve plutôt positive, même si elle vient de N. Sarkozy, c’est pour dire…) n’est pas fait pour me rassurer.

Après “Police partout, Justice nulle part”, va-t-on assister à un “Police nulle part, Justice nulle part” ? Cerise libertaire en sera sûrement ravie, mais en ce qui me concerne, vous aurez deviné que ce n’est pas la conception d’une société civilisée que je peux me faire.

mardi 18 août 2009

La saison des palmes

Alors que votre serviteur a chaussé les siennes à la plage, c’est celles de martyr que revendique Olivier Bonnet sur son blog.

Quitte à gâcher un peu ses effets, je me dois de relever un certain nombre d’erreurs qui profiteront ainsi à mes lecteurs qui réviseront ainsi leur droit de la presse et éviteront de commettre la même le jour venu.

Olivier Bonnet se plaint d’être “trainé devant un tribunal” par un magistrat, Marc Bourrague, pour des faits d’injure publique.

Bon, passons rapidement sur ce cliché de traîner devant les tribunaux. Toutes les parties que j’ai vu entrer dans un tribunal étaient debout sur leurs deux pieds, sauf les culs-de-jatte, ça va de soi. Quand bien même Olivier Bonnet serait réticent à comparaître, ce n’est pas le président Bourrague qui le fera entrer dans le prétoire en le tirant par les pieds tandis que ses ongles rayeront le parquet.

Le blogueur ouvre sur une formule péremptoire sur laquelle je reviendrai à la fin : Nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet : le magistrat Marc Bourragué me traîne devant le tribunal pour soi-disant “injure publique”. Mais la lecture de l’article révèle que l’attaque n’a rien de nouveau, puisque la plainte remonte à 2007. En fait, c’est l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel qui a été rendue il y a peu : l’instruction judiciaire est terminée, la procédure suit son cours, tout simplement. J’ajoute que le magistrat plaignant n’est pour rien dans cette mesure, qui découle logiquement de sa plainte d’il y a deux ans.

Notre mis en examen s’indigne ensuite de l’état du droit. Après avoir rappelé que l’injure est “Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ” (Art. 29 de la loi du 29 juillet 1881, il expose que :

C’est pourquoi on ne dispose pas pour se défendre de l’offre de la preuve. Inutile d’expliquer pourquoi on a écrit ce qu’on a écrit puisqu’il s’agit d’une “injure”, donc n’imputant aucun fait. Cette incrimination, dont nous allons voir qu’elle ne tient pas une seconde, m’interdit concrètement de me défendre ! 

Tout d’abord, on peut se dire que si Olivier Bonnet se prépare à nous démontrer que l’accusation dont il fait l’objet ne tient pas une seconde, c’est que la loi doit quand même un peu lui permettre concrètement de se défendre. Un vide juridique, peut-être…

Ensuite, mes lecteurs devenus experts en droit de la presse auront compris l’erreur du journaliste, qui n’est pas juridique mais logique. L’injure, par définition, ne renfermant l’imputation d’aucun fait (puisque si on impute un fait, c’est une diffamation), l’offre de preuve des faits n’est pas admissible, faute de faits à prouver. 

Mais la personne poursuivie pour injure dispose là d’un puissant moyen de défense : qu’elle établisse que le propos imputait un fait, et donc était une diffamation, et la poursuite tombe, irrémédiablement.

En effet, en droit de la presse, les règles sont strictes. Toute erreur dans la citation est sanctionnée de nullité (art. 53 de la loi du 29 juillet 1881), et une citation nulle n’a pu interromptre le délai spécial de prescription de trois mois. Autant dire que quand la nullité est prononcée, le délit est prescrit depuis longtemps. 

Olivier Bonnet introduit le rappel des propos qu’il admet avoir tenus en disant que ceux-ci auraient provoqué les foudres du plaignant, du procureur de la république et du juge d’instruction. C’est vouloir faire d’une averse un ouragan. 

Ses propos ont sans nul doute provoqué les foudres de la personne visée. Il n’est pas interdit de penser que c’était d’ailleurs leur but. Mais ça s’arrête là. 

Le droit de la presse a cette particularité de rester essentiellement privé. Seule la plainte de l’injurié, et s’il est agent public, de son ministre, fait vivre l’action (art. 48 de la loi de 1881). Qu’il la retire, et l’action prend fin, le procureur n’ayant pas le pouvoir de reprendre l’action à son compte. La loi fournit donc à Olivier Bonnet un paratonnerre juridique contre les foudres du procureur. 

Enfin, le juge d’instruction est tenu d’instruire ce dont il est saisi. Quoi qu’il pense des faits. La loi lui interdit d’avoir des foudres, puisqu’à force de charges et de décharges, il serait bien en peine de produire de l’électricité. Et en matière de délit de presse, le juge d’instruction a des pouvoirs limités : il se contente d’établir si les propos ont été tenus, par qui, et qui est la personne responsable de la publication (qui n’est pas toujorus l’auteur des propos). Il interrompt la prescription après avoir vérifié qu’elle n’était pas déjà acquise au moment de la plainte. Et c’est tout. Il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur la qualification des faits, qui relève du seul tribunal.

Ainsi, en rendant cette ordonnance de renvoi, le juge d’instruction constate, sous le regard placide du procureur, que les propos figurant dans la plainte ont bien été tenus, et qu’Olivier Bonnet est responsable de leur publication. C’est tout. En matière de foudres, j’ai connu plus virulent. 

Quels sont les propos en question ?

Il s’agit de deux citations de son blog publiées le 13 novembre 2007. Dans la première, il parle de Marc Bourrague en l’appelant “l’inénarrable ancien substitut du procureur de Toulouse”. Le fait d’être un substitut, fût-il ancien, fût-il de Toulouse, ne pouvant être considéré comme outrageant, c’est le mot inénarrable qui a dû chiffonner le plaignant. Le dictionnaire nous donne deux sens. le premier, vieilli, est Qu’on ne peut raconter; qu’il est impossible de décrire ou d’exprimer. Comme on ne saurait exprimer un substitut sauf à user d’un pressoir géant, c’est donc vers le second sens qu’il faut se tourner : D’une extrême cocasserie. Synonime :  burlesque, cocasse, comique, extravagant, impayable (fam.),ineffable (fam.). Le caractère outrageant est ici plus visible. L’expression n’impute aucun fait. Le choix de la qualification d’injure semble pertinent, sans se prononcer sur le caracère effectivement outrageant. 

Sur ce propos, Olivier Bonnet se défend en déroulant l’argumentation suivante : 

La belle affaire. 

Sans vouloir me mêler de ce procès, j’espère qu’il sera plus prolixe à l’audience.

La seconde citation est la suivante : On peut donc légitimement s’interroger, connaissant le CV de ce magistrat, sur son «indépendance » dans le cadre d’un tel procès [le procès Colonna, où Marc Bourrague siégeait comme assesseur dans la cour d’assises spéciale. NdEolas] tant il est évident qu’il est en “coma professionnel avancé”. Les guillemets sont d’origine.

Le propos contient deux imputations : d’une part, une absence d’indépendance, et d’autre part, un coma professionnel avancé. 

Le premier point peut, selon le contexte, constituer une diffamation ou une injure. C’est l’argumentation que développe Olivier Bonnet. Ce défaut d’indépendance serait dû à l’existence supposée d’un rapport tenu secret mettant en cause le magistrat dans le cadre de l’affaire Patrice Alègre, qui serait du coup menacé à tout moment d’une sanction disciplinaire, au bon vouloir de sa hiérarchie. Si c’est bien là ce qui ressort du billet en cause (qui semble ne plus être en ligne), on serait effectivement dans le domaine de la diffamation. 

Olivier Bonnet met en cause le choix de la qualification d’injure, qui lui interdirait de lancer le débat sur ce point. Mais l’argumentation ne tient pas. D’une part, comme on l’a vu, ce choix inadéquat entraînerait immanquablement la relaxe d’Olivier Bonnet. C’est donc moins une ruse qu’un cadeau. En outre, Olivier Bonnet ne serait pas recevable à présenter une offre de preuve. En effet, à supposer que ces faits fussent établis, ce que je me garderai bien d’affirmer, ils remonteraient aux années 1990 et sont couverts par l’amnistie (en dernier lieu, celle de mai 2002). or l’article 35 de la loi de 1881 interdit l’offre de preuve de faits amnistiés. J’ajoute que du coup, l’accusation d’être sous la menace permanente de sanctions ne tient plus non plus, puisque ces faits amnisitiés ne peuvent non plus fonder une sanction. 

Reste enfin le “coma professionnel avancé”. On peut comprendre de ces propos que nonobstant l’absence de sanctions disciplinaires, la carrière du magistrat aurait pris une voie de garage révélant une disgrâce dissimulée. Le seul argument avancé à l’appui de cette affirmation est que c’est “évident”. C’est un peu léger pour constituer une diffamation, la jurisprudence exigeant des faits articulés susceptibles d’un débat. Ce d’autant que ce magistrat a entre-temps été nommé vice-procureur à Montauban, puis cinq ans plus tard vice-président à Paris, où il siège dans deux chambres correctionnelle. Le coma professionnel avancé ne me paraît pas si évident, sauf à considérer que risquer de m’entendre plaider est considéré comme un châtiment dans la magistrature. Le choix de l’injure n’est pas manifestement infondé. On verra ce qu’en dira le tribunal. 

Enfin, je voudrais épargner à Olivier Bonnet la perte inutile d’un jour de congé. Il ne sera pas jugé le 4 septembre, c’est une audience de fixation de la date définitive du jugement, une audience d’agenda en somme, avec au besoin fixation des audiences-relais visant à interrompre la prescription tous les trois mois. Sa présence n’est pas nécessaire, bien que le parquet de la 17e a toujours besoin d’être lustré par le ventre d’un justiciable. Son avocat s’en tirera très bien tout seul. 

Pour conclure, une remarque plus générale sur l’affirmation “une nouvelle attaque contre la liberté d’expression sur Internet” qui ouvre le billet d’Olivier Bonnet. On me sait chatouilleux sur la question. J’ai pour elle les yeux de Chimène, non pas parce que ce serait la première des libertés (celles de conscience et d’aller et venir pour ne citer qu’elles ont également ma plus haute estime) mais parce que c’est toujours la plus vulnérable. Tout le monde a une excellente raison de vouloir en priver ses adversaires. 

C’est pourquoi je tique quand elle est galvaudée.

La liberté d’expression de M. Bonnet n’est pas en cause ici. Il a pu écrire ces propos, et les publier librement, sans demander l’autorisation de quiconque. Son blog n’a pas été fermé à cause de ces propos, et nul ne menace de représailles Jean-Louis Bianco qui lui a apporté officiellement son soutien. 

La liberté ne veut pas dire l’irresponsabilité. Chacun doit pouvoir tenir les propos qu’il veut, la contrepartie étant de devoir en rendre compte quand ces propos sont fautifs aux yeux de la loi. Et autant je suis réservé quand la loi prétend protéger un groupe (je n’aime pas, pour faire un euphémisme, les concepts de diffamation “envers les cours, les tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués et les administrations publiques”, ou tous les délits prétendant protéger telle ethnie, nation, race ou religion), autant quand elle donne une voie de droit à un individu à la suite des propos tenus par un autre (notez bien le à la suite, qui suppose que les propos ont pu être tenus ; la presse chinoise, par exemple, ne commet jamais de diffamation), je ne trouve rien à redire. D’autant que comme vous l’avez vu, la loi ne laisse pas la personne poursuivie sans protection, c’est le moins qu’on puisse dire. 

En attaquant pour injure Olivier Bonnet, Marc Bourrague n’attaque pas la liberté d’expression. Il se défend contre ce qu’il estime être une agression verbale. Le juge dira s’il a raison ou pas. Mais il demeure qu’Olivier Bonnet aurait pu exprimer les mêmes réserves et critiques, fussent-elles infondées, à l’égard de ce magistrat sans encourir de poursuites. Quand on fait un métier de plume, on sait comment chatouiller les limites sans les franchir.

Il est toujours tentant, quand on fait de la politique comme Olivier Bonnet (qui se présente comme “un journaliste engagé” et qui ai-je cru comprendre exprime une certaine réserve à l’égard du président de la République) de se prétendre victime, l’époque s’y prête. Pourtant, si j’ai bien suivi, personne, à commencer par monsieur Bourrague, ne l’a qualifié d’inénarrable blogueur ou de journaliste en coma professionnel dépassé. 

Je ne signerai donc pas la pétition ouverte sur son blog, et attire l’attention des éventuels signataires qu’en signant ce texte qui qualifie de fallacieuses les accusations du magistrat et d’abusive sa plainte, ce qui est une imputation de faits précis, ils se rendent, eux, bel et bien auteurs du délit de diffamation. 

vendredi 14 août 2009

Hora­tio Caine va-t-il deve­nir un per­son­nage de la série Cold Case ?

Question angoissante : quitter la chaleur tropicale de la Floride pour les frimas de Philadelphie lui feraient courir le risque du choc thermique (outre le fait qu’il n’aurait plus guère de raisons de tripoter ses lunettes), et le changement de méthode de travail (abandonner la preuve scientifique pour aller accuser du crime tous les survivants de l’époque jusqu’à ce que l’un d’entre eux passent aux aveux), à son âge, est un traumatisme.

On comprend donc que ce soit la Cour Suprême des États-Unis qui ait eu à trancher la question.

Pourquoi un tel transfert est-il envisagé ? À cause de ce diable d’Acide Désoxyribo-Nucléique, l’ADN. Pour tout savoir sur cet assemblage de molécules, la piqûre de rappel est ici. Pour les fainéants, voici la version courte.

L’ADN a révolutionné les enquêtes policières en permettant une nouvelle méthode d’identification des suspects. Si une goute de sang, un cheveu ou du sperme est retrouvé sur une scène de crime, l’ADN permet de dire avec une quasi-certitude que l’échantillon témoin correspond à telle personne dont on a l’ADN, et surtout de dire avec une certitude absolue s’il ne lui correspond pas. Si le positif s’exprime toujours en probabilité (de l’ordre de 1 sur plusieurs dizaines de milliards, soit plus que la population terrestre…), le négatif est une certitude absolue. Si une signature moléculaire précise (un allèle) figure sur un échantillon mais pas sur l’autre, il est rigoureusement impossible que les deux échantillons proviennent de la même personne.

Mais cette technique n’est au point que depuis une dizaine d’années environ (outre qu’elle coûte cher à mettre en œuvre, plusieurs milliers d’euros par test). Des tests ADN plus rudimentaires existaient auparavant, mais avec des probabilités d’erreur bien plus élevées, comme vous allez voir.

Enfin, son utilité, surtout en matière de viols où le sperme de l’auteur a été retrouvé et conservé, est évidente.

À tel point qu’aux États-Unis, nombre de condamnés ont souhaité bénéficier de tels tests a posteriori afin d’obtenir le révision de leur condamnation. Comment les en blâmer : 240 prisonniers ont ainsi été innocentés.

Parmi ces candidats au test, William Osborne, pensionnaire du système pénitentiaire de l’Alaska.

Le 22 mars 1993, Williaw Osborne et un de ses amis ont sollicité les services d’une prostituée d’Anchorage. Après une prompte négociation, la prestation est arrêtée ainsi que son prix : 100 dollars pour une procédure orale sur les deux messieurs. La prestataire de service monte dans leur voiture, et pour jouir en paix de la tranquillité de la nature, ils se rendent de conserve à Earthquake Park, ainsi baptisé en souvenir du terrible tremblement de terre du 27 mars 1964, le second plus fort tremblement de terre jamais enregistré (magnitude 9,2, soit 2,8 millions de fois Nagasaki ; ça méritait bien un parc).

Là, l’affaire tourne très mal. La prostituée demande à être payée d’avance. Aussitôt, l’un des hommes sort une arme de poing et sous la menace, l’obligent à avoir une relation orale avec l’un d’eux et vaginale avec l’autre, utilisant un préservatif de la prostituée. Une fois leur affaire terminée, ils disent à la prostituée de s’allonger sur le ventre dans la neige. Refus de la prostituée, craignant pour sa vie. Furieux, les deux hommes vont l’étrangler et la frapper avec la crosse de l’arme. Elle tentera de prendre la fuite mais sera rattrapée, battue avec un manche de pioche (de hache, en fait) et finalement, l’un des hommes lui tirera une balle dans la tête. Ils la laisseront pour morte, après l’avoir recouverte de neige à la hâte, et partiront.

Heureusement, l’ange gardien de la prostituée a fini par se réveiller : la balle n’a fait qu’effleurer sa tête. Elle a pu se relever, rejoindre la route et arrêter une voiture. La police arrivera très vite sur les lieux et retrouvera une douille, le manche de pioche, et le préservatif.

Quelques jours plus tard, lors d’une verbalisation banale pour usage intempestif des feux de route, un policier va arrêter et contrôler le véhicule de Dexter jackson. À l’intérieur, la police va découvrir un pistolet correspondant au calibre utilisé lors de l’agression de la prostituée, et divers objets personnels appartenant à celle-ci. La voiture correspond à la description faite par la victime. Très vite, Dexter Jackson va avouer être le conducteur lors de l’agression, et donnera le nom du coauteur : William Osborne, un militaire. L’enquête va retrouver des témoins affirmant avoir vu Osborne et Jackson monter ensemble dans la voiture peu avant le crime. Une perquisition au logement d’Osborne va permettre de trouver un manche de pioche identique à celui laissé sur les lieux du crime. La victime l’identifiera formellement au procès. Enfin, un test ADN va être effectué sur le sperme retrouvé dans le préservatif, selon une méthode dite DQ Alpha, méthode rudimentaire qui ne permettait pas une certitude très élevée (On peut dire que c’est une méthode traître génétique). Et de fait, le test sera positif, mais en retenant des caractéristiques communes à 16% des Noirs américains, dont Osborne fait partie. Enfin, des poils pubiens retrouvés n’ont pas permis de test DQ Alpha, mais l’examen microscopique concluait qu’ils correspondaient à ceux d’Osborne.

Sur ces preuves, Osborne, qui niait sa participation aux faits, a été reconnu coupable, mais tenez-vous bien : d’enlèvement, violences et agression sexuelle. Il a été acquitté pour la tentative de meurtre (oui, malgré le tir d’une balle dans la tête) et n’a même pas été poursuivi pour viol, la victime étant prostituée, Ah, le rude charme de l’Alaska, ou le droit de porter une arme est mieux protégé que le droit d’une prostituée de dire non.

Osborne a été condamné à 26 ans de prison.

Très vite après sa condamnation, il va faire appel et demander à bénéficier d’un nouveau test plus performant. Il va faire procéduralement des pieds et des mains pour obtenir la révision de son procès. Ses requêtes seront rejetées, car la cour d’appel d’Alaska estimera que le choix de son avocate de ne pas demander de tests plus précis lors du procès était un choix tactique de la défense (l’avocate pensait son client coupable et préférait plaider le doute avec une marge d’erreur de 16% plutôt que de se tirer une balle dans le pied en obtenant des résultats positifs plus fiables), et retiendra qu’Osborne a reconnu les faits devant le tribunal d’application des peines pour demander une libération conditionnelle, or mentir devant ce tribunal est un crime. Il ne peut invoquer sa propre turpitude.

Osborne ayant perdu en droit alaskain, il va donc jouer la carte fédérale : il va alléguer avoir un droit constitutionnel à l’accès à la contre-expertise génétique à ses frais, en raison du Due Process Clause, ce que nous appelons en droit européen le droit à un procès équitable. Le juge fédéral de première instance rejettera sa demande pour des motifs techniques : il estimera que sa demande relève de la procédure d’ habeas corpus puisqu’il prétend être détenu à tort. La cour d’appel fédérale va casser cette décision en estimant que le due process est le fondement correct de cetet action, sans trancher sur son bien fondé et va renvoyer devant le juge fédéral. Le juge va donc statuer à nouveau et va estimer qu’eu égard aux circonstances, il existe un droti constitutionnel limité pour fonder une demande de nouveau test[1]. La cour d’appel va confirmer cette décision, en estimant que le droit constitutionnel d’accès aux preuves, qui ne fait plus débat depuis longtemps (depuis Brady v. Maryland, 373 U. S. 83 (1963) exactement) s’applique également à l’accès post-condamnation, en vue d’une procédure de révision. C’était là une nouveauté qui a fait bondir le procureur fédéral sur le gros bouton rouge caché dans un tiroir de son bureau : le recours devant la cour suprême.

Et bien lui en a pris car la Cour suprême va casser cette décision (District Attorney’s Office for Third Judicial Dist. v. Osborne, 557 U. S. ____ (2009)”, pdf).

Il n’y a pas de droit constitutionnel à l’accès au test ADN dans un cadre post-condamnation, dit en substance la Cour. La Constitution protège les droits de toute personne accusée d’un crime. Pas condamnée pour un crime.

Entendons bien la Cour, dont l’opinion majoritaire est co-signée par les originalistes[2] de la cour ce qui ne surprendra personne. Elle ne dit pas qu’il est interdit à un condamné d’avoir accès à ces preuves. Au contraire, elle en rappelle l’efficacité en notant que 240 personnes ont ainsi été innocentées après avoir été condamnées. Elle dit que ce droit relève de la compétence du législateur des États fédérés, qui seul peut fixer les modalités et conditions d’exercice de ce droit. La cour relève d’ailleurs innocemment que 47 des 50 États ont d’ores et déjà adopté une telle législation, façon de pointer du doigt le législateur alaskain qui est en retard sur la question (mais comment lui en vouloir si ses électeurs considèrent qu’on ne peut violer une prostituée et que lui tirer une balle dans la tête avant de la recouvrir de neige n’est pas une tentative de meurtre…).

La Constitution ne doit pas tout faire à la place du législateur, quelque regrettable que soit sa carence.

Horatio Caine va donc continuer à s’occuper de cadavres encore chauds sous le soleil orange de Miami, laissant l’anoréxique Lilly Rush à ses hallucinations.

Et Osborne ? Libéré en conditionnelle en 2007, il a été arrêté peu de temps après pour avoir commis un délit pendant cette mesure et est à nouveau incarcéré. La libération conditionnelle est en cours de révocation. Il doit avoir ça dans le sang.

Prochain épisode : peut-on laisser les Blancs du Sud rédiger le Code électoral ?

Notes

[1] “there does exist, under the unique and specific facts presented, a very limited constitutional right to the testing sought.”Les italiques sont d’origine.

[2] Doctrine juridique voulant que la Constitution ne s’interprète qu’en référence à ce qu’ont voulu ses rédacteurs.

vendredi 7 août 2009

Anéanti

Je viens d’appren­dre la nou­velle de la mort de Cathe­rine Giu­di­celli, juge d’ins­truc­tion à Paris, ren­ver­sée aujourd’hui alors qu’elle cir­cu­lait à vélo.

Cette nou­velle me bou­le­verse au-delà des mots car je con­nais­sais pro­fes­sion­nel­le­ment cette magis­trate, et c’est peu dire que je l’appré­ciais.

Elle a été long­temps juge d’ins­truc­tion à Cré­teil, et c’est là que je l’ai con­nue. À son pro­fes­sion­na­lisme una­ni­me­ment reconnu s’ajou­tait une véri­ta­ble gen­tillesse, dou­blé d’un sens de l’humour extra­or­di­naire (Je l’ai vu faire le pitre sur scène lors d’une revue de l’UJA de Cré­teil). Être à son con­tact m’a tant appris.

Elle était la pré­si­dente de l’asso­cia­tion des magis­trats ins­truc­teurs, et s’est à plu­sieurs repri­ses expri­mée sur la ques­tion de la sup­pres­sion du juge d’ins­truc­tion. La voici au micro de Marc-Oli­vier Fogiel sur Europe 1 le 7 jan­vier der­nier.

Mise à jour : Voici un autre entre­tien avec Cathe­rine Giu­di­celli, dans son cabi­net, en mars der­nier.

Et voici un arti­cle d’elle publié sur le blog Dal­loz : l’ins­truc­tion idéale selon Cathe­rine Giu­di­celli.

Ce soir, je suis anéanti. Tou­tes mes pen­sées vont à ses pro­ches, mais aussi à ses col­lè­gues et aux gref­fiers et gref­fière de l’ins­truc­tion à Paris (tout par­ti­cu­liè­re­ment sa gref­fière). On ne tra­vaille pas au quo­ti­dien avec une per­sonne aussi extra­or­di­naire sans en être soi-même changé en mieux. Elle laisse un vide ver­ti­gi­neux.

Punaise, c’est la pre­mière fois qu’un juge d’ins­truc­tion me fait pleu­rer.

Sonia Sotomayor confirmée par le Sénat

C’est fait. Par 68 voix con­tre 31[1] (Majo­rité = 51 voix). Le séna­teur John McCain, rival mal­heu­reux du pré­si­dent Obama lors des der­niè­res élec­tions, a voté con­tre.

Sonia Soto­mayor devient donc le troi­sième Jus­tice femme et le pre­mier d’ori­gine his­pa­ni­que. Elle pren­dra ses fonc­tions offi­ciel­le­ment demain 8 août.

Let’s hope that this wise latina woman will help these white men to reach bet­ter con­clu­sions.

Notes

[1] Mes lec­teurs auront noté que le total est de 99 alors que le nom­bre de séna­teurs est de 100. Ted Ken­nedy, séna­teur du Mas­sa­chu­setts, n’a pu pren­dre part au vote pour des rai­sons de santé. Il n’y a pas qu’en ex-URSS que seule la mort fait lâcher son siège.

jeudi 6 août 2009

Horatio Caine va-t-il devoir s'acheter une cravate ?

Et la réponse est oui, car il va devoir aller témoi­gner au tri­bu­nal, nous dit la Cour Suprême dans un arrêt qui est comme un coup de ton­nerre dans un ciel bleu pour les experts scien­ti­fi­ques prê­tant leur con­cours à une enquête cri­mi­nelle.

Le sys­tème pénal anglo-saxon repose sur deux prin­ci­pes essen­tiels, qui sont inter­dé­pen­dants : sup­pri­mez-en un et tout l’édi­fice s’écroule.

Pre­mier prin­cipe : tout accusé, même d’un délit mineur, a le droit d’être con­fronté à son accu­sa­teur. C’est la Con­fron­ta­tion Clause, le Sixième Amen­de­ment à la Cons­ti­tu­tion des États-Unis.

Dans tou­tes pour­sui­tes cri­mi­nel­les, l’accusé aura le droit d’être jugé promp­te­ment et publi­que­ment par un jury impar­tial de l’État et du dis­trict où le crime aura été com­mis — le dis­trict ayant été préa­la­ble­ment déli­mité par la loi —, d’être ins­truit de la nature et de la cause de l’accu­sa­tion, d’être con­fronté avec les témoins à charge, de dis­po­ser de moyens légaux pour con­train­dre la com­pa­ru­tion des témoins à décharge, et d’être assisté d’un con­seil pour sa défense.

Ce Sixième amen­de­ment rap­pel­lera aux juris­tes l’arti­cle 6 de la Con­ven­tion euro­péenne des droits de l’homme. La dif­fé­rence est que l’arti­cle 6 a été adopté en 1950, et le Sixième Amen­de­ment en 1791.

On vous accuse d’avoir grillé un feu rouge en état d’ivresse ? Si vous allez au pro­cès (ce “si” est l’expres­sion du deuxième prin­cipe ci-des­sous), le poli­cier qui vous a ver­ba­lisé vien­dra au tri­bu­nal dépo­ser sous ser­ment que oui, il vous a vu griller le feu rouge, et que quand il vous a demandé si vous aviez bu, vous lui avez répondu : “Non, je vous jure, chuis pas bourr­glbl…” avant de lui vomir sur le pan­ta­lon. Et votre avo­cat aura le droit de le con­tre-inter­ro­ger pour ten­ter de démon­trer que ce témoi­gnage n’est pas pro­bant (Par exem­ple, de l’endroit où il était, le poli­cier pou­vait-il voir la cou­leur du feu ?) Et si le poli­cier (ou tout autre témoin) ne vient pas à l’audience, vous serez acquitté (d’où tous ces films et séries sur les témoins que la police cache et pro­tège et que le méchant cri­mi­nel cher­che à faire assas­si­ner par tous les moyens).

Le deuxième prin­cipe est le plea bar­gai­ning. Le pro­cès pénal com­mence par une audience pré­li­mi­naire (Pre­li­mi­nary hea­ring) où le juge vous deman­dera ce que vous plai­dez (What is your plea ?). Si vous plai­dez cou­pa­ble (guilty plea), le juge fixera direc­te­ment une audience de pro­noncé de peine. Si vous plai­dez non cou­pa­ble (not guilty), vous deman­dez à être con­fronté à vos accu­sa­teurs. Le juge sta­tuera alors sur votre sort : pla­ce­ment en déten­tion ou en liberté sous cau­tion (bail). Le sys­tème pénal amé­ri­cain ne pour­rait pas faire face à tous les pro­cès. La très grande majo­rité des cas sont réglés en amont par une négo­cia­tion : le par­quet mon­tre à votre avo­cat les preu­ves qu’il a réu­nies, et lui pro­pose une peine (voire une qua­li­fi­ca­tion) moin­dre. Si vous l’accep­tez, vous plai­dez cou­pa­ble et il n’y a pas d’audience sur la cul­pa­bi­lité, uni­que­ment sur la peine. Car les pei­nes pro­non­cées en audience sont par­ti­cu­liè­re­ment sévè­res : la pri­son ferme est fré­quente et le sur­sis inconnu (les États-Unis ont plus recours à la libé­ra­tion con­di­tion­nelle, appe­lée parole). Notons qu’il existe dans cer­tains endroit un troi­sième plea, le nolo con­ten­dere, ou no con­test, mais il est rare et com­pli­qué dans ses effets. Res­tons-en à la dicho­to­mie cou­pa­ble/non cou­pa­ble.

Par exem­ple, vous avez télé­chargé de la musi­que illé­ga­le­ment. C’est un délit fédé­ral, prévu par le code pénal amé­ri­cain, c’est à dire le titre 18 du Code des États-Unis (USC), sec­tion 2319, noté 18 U.S.C. §2319. Vous avez mis ces mor­ceaux à dis­po­si­tion (cir­cons­tance aggra­vante) par un acte de télé­char­ge­ment (uploa­ding), cir­cons­tance aggra­vante. Vous ris­quez une peine de 10 à 16 mois de pri­son. Le pro­cu­reur vous pro­pose d’oublier l‘upload (réduc­tion à 6-12 mois) et une peine de 3 à 6 mois, c’est à dire le mini­mum avec libé­ra­tion con­di­tion­nelle pos­si­ble dans trois mois, et une libé­ra­tion cer­taine au bout de six. Trois à six mois, ou dix à seize mois ? Fai­tes vos jeux.

Jusqu’à pré­sent tou­te­fois, une caté­go­rie de témoins échap­pait à cette obli­ga­tion de com­pa­raî­tre devant le tri­bu­nal : c’était les experts scien­ti­fi­ques de la police. Hora­tio Caine et ses hom­mes n’avaient pas à aller témoi­gner au tri­bu­nal : leur rap­port (affi­da­vit, attes­ta­tion) suf­fi­sait. Après tout, il s’agit d’emprein­tes digi­ta­les (en fait, on dit papil­lai­res), d’ADN, de rayu­res sur une balle : ça cor­res­pond, ça ne cor­res­pond pas, point. C’était ce que la jus­tice con­si­dé­rait une preuve prima facie (oui, c’est du latin) : une preuve suf­fi­sante en soi, incon­tes­ta­ble en ce qu’elle rap­porte.

Mais un dea­ler de Bos­ton va cham­bou­ler tout ça.

En 2001, Tho­mas Wright, un employé d’un super­mar­ché de la capi­tale du Mas­sa­chu­setts va être inter­pellé par la police après une sur­veillance (un infor­ma­teur ano­nyme avait informé la police qu’il s’absen­tait fré­quem­ment après avoir reçu des coups de fil), por­teur de sachets con­te­nant une pou­dre blan­che sem­blant être de la cocaïne. Dans la voi­ture qui venait de le dépo­ser se trou­vait Luis Melen­dez-Diaz, qui est éga­le­ment arrêté.

Au cours de leur trans­port vers le com­mis­sa­riat, les poli­ciers remar­quent que leurs deux pas­sa­gers sem­blent se tor­tiller dis­crè­te­ment. Arri­vés au poste, les poli­ciers exa­mi­nent la ban­quette et trou­vent un sac con­te­nant 19 sachets de pou­dre blan­che. La pou­dre fut ana­ly­sée par un labo­ra­toire de la police scien­ti­fi­que qui ren­dit un rap­port : c’était de la cocaïne.

Devant le tri­bu­nal, Luis Melen­dez-Diaz va con­tes­ter l’ana­lyse faite par le labo­ra­toire de la police scien­ti­fi­que et va deman­der à être con­fronté à l’ana­lyste. Refus du tri­bu­nal : ce rap­port est une preuve prima facie, con­for­mé­ment à la juris­pru­dence de la Cour Suprême du Mas­sa­chu­setts Com­mon­wealth v. Verde, 444 Mass. 279, 283–285, 827 N. E. 2d 701, 705–706 (2005)[1]. Son appel sera rejeté pour ce motif.

C’est cet arrêt que va con­tes­ter Melen­dez-Diaz devant la Cour Suprême, esti­mant que la juris­pru­dence Com­mon­wealth v. Verde viole le Sixième Amen­de­ment.

Et le requé­rant va trou­ver une oreille atten­tive en la per­sonne du jus­tice Sca­lia, farou­che par­ti­san de la Con­fron­ta­tion Clause. Il va donc s’allier avec les trois juges les plus à gau­che de la cour (les Jus­ti­ces Ruth Bader Gins­burg, David H. Sou­ter et John Paul Ste­vens) et sera ral­lié par un autre con­ser­va­teur, Cla­rence Tho­mas, ce qui est un peu con­tre nature pour ceux qui con­nais­sent Sca­lia et Tho­mas, tan­dis que les Jus­ti­ces con­ser­va­teurs John G. Roberts, Jr., et Samuel A. Alito, Jr., ainsi qu’un des juges mar­qué à gau­che, Ste­phen G. Breyer, vont écrire une opi­nion dis­si­dente rageuse expli­quant que cette déci­sion va allour­dir con­si­dé­ra­ble­ment la charge des par­quets.

Sca­lia leur répond avec un cer­tain à-pro­pos que d’une part, un petit nom­bre d’États a expres­sé­ment prévu cette pos­si­bi­lité de con­tre-inter­ro­ga­toire des experts, et que leur sys­tème pénal ne s’est pas écroulé, et que d’autre part, ce ne sera pas tou­jours dans l’inté­rêt de la défense de faire citer l’expert, qui ris­que de mar­quer des points pour l’accu­sa­tion. Son argu­ment déci­sif est que si la science est infailli­ble, les experts ne le sont pas, et qu’ils peu­vent com­met­tre des erreurs au cours de l’exa­men, ou attri­buer à un résul­tat des con­sé­quen­ces qu’il n’a pas. Une expé­rience scien­ti­fi­que est une chose, son inter­pré­ta­tion en est une autre, et seule la pré­sence phy­si­que de l’expert per­met cette con­tes­ta­tion. Par exem­ple, pour savoir si une sub­stance est de la cocaïne, on place un échan­tillon dans une éprou­vette et on le sou­met à du thio­cya­nate de cobalt ou du p-dimé­thyl­ben­zal­dé­hyde, qui don­nent une colo­ra­tion bleue ou rouge, res­pec­ti­ve­ment. cette colo­ra­tion indi­que la pré­sence de cocaïne. Mais il suf­fit que l’éprou­vette en ques­tion ait con­tenu de la cocaïne sans être cor­rec­te­ment net­toyée pour que du talc prenne une colo­ra­tion bleue ou rouge. Ce n’est pas le p-dimé­thyl­ben­zal­dé­hyde qui s’est trompé, c’est le mani­pu­la­teur. Sca­lia con­clut à la néces­sité d’écar­ter les experts frau­du­leux et les incom­pé­tents.

Et cette règle s’appli­que désor­mais sur tout le ter­ri­toire des États-Unis.

Source : ”Melen­dez-Diaz v. Mas­sa­chu­setts”, 557 U. S. ____ (2009) (pdf)


Pro­chain épi­sode : Hora­tio Caine va-t-il deve­nir un per­son­nage de la série Cold Case ?

Notes

[1] Le Mas­sa­chu­setts ne porte pas offi­ciel­le­ment le titre d’État mais de Com­mon­wealth, comme la Vir­gi­nie et la Penn­syl­va­nie.

samedi 1 août 2009

Francis Szpiner et moi devons-nous être poursuivis disciplinairement ?

C’est cette bonne ques­tion que relève mon excel­lent con­frère Fran­cis Szpi­ner, qui me donne l’occa­sion de vous faire un billet sur la pro­cé­dure dis­ci­pli­naire des avo­cats.

D’abord un peu de théo­rie, avant de voir un exem­ple pra­ti­que.

Les avo­cats dont Fran­cis Szpi­ner et moi fai­sons par­tie, prê­tons ser­ment au tout début de notre exer­cice, (Prê­tons seu­le­ment, car selon le mot de Tal­ley­rand, nous n’avons qu’une parole, c’est pour ça que nous som­mes obli­gés de la repren­dre), devant la cour d’appel (À Paris, c’est devant la 1e cham­bre, tous les mer­credi à 1 heu­res, au pied de l’esca­lier Z)..

Le texte de notre ser­ment est :

Je jure, comme avo­cat, d’exer­cer mes fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité.

Arti­cle 3 de la loi n°71-1130 du 31 décem­bre 1971 por­tant réforme de cer­tai­nes pro­fes­sions judi­ciai­res et juri­di­ques.

Les avo­cats l’aiment, ce ser­ment, C’est notre devise, et il est rude­ment bien tourné. Il figure sur les pages d’accueil de pas mal de bar­reaux ; par exem­ple : Tours, Mont­pel­lier, Gap, Poi­tiers

Il est quand même plus classe que celui des magis­trats, sans vou­loir les vexer :

“Je jure de bien et fidè­le­ment rem­plir mes fonc­tions, de gar­der reli­gieu­se­ment le secret des déli­bé­ra­tions et de me con­duire en tout comme un digne et loyal magis­trat.”

Arti­cle 6 de l’ordon­nance n°58-1270 du 22 décem­bre 1958 por­tant loi orga­ni­que rela­tive au sta­tut de la magis­tra­ture.

Nous jurons d’être indé­pen­dants, ils jurent d’être fidè­les et loyaux. Tout un sym­bole de cette indes­truc­ti­ble méfiance des deux autres pou­voirs à l’égard du troi­sième qui fait tant de mal à la Répu­bli­que.

Nos obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques ne se résu­ment pas au “DCIPH”[1] de notre ser­ment. D’autres se trou­vent au décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 rela­tif aux règles de déon­to­lo­gie de la pro­fes­sion d’avo­cat qui fixe ce que nous appe­lons “les prin­ci­pes essen­tiels” de la pro­fes­sion.

L’avo­cat exerce ses fonc­tions avec dignité, cons­cience, indé­pen­dance, pro­bité et huma­nité, dans le res­pect des ter­mes de son ser­ment. Il res­pecte en outre, dans cet exer­cice, les prin­ci­pes d’hon­neur, de loyauté, de désin­té­res­se­ment, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie. Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de com­pé­tence, de dévoue­ment, de dili­gence et de pru­dence.

L’arti­cle 4 et 5 rap­pel­lent en outre que nous som­mes tenus au secret, sous réserve des droits de la défense (Le secret pro­fes­sion­nel ne peut nous inter­dire de révé­ler des élé­ments favo­ra­bles à notre client).

 ces règles s’en ajou­tent une pro­fu­sion d’autres, plus tech­ni­ques, sur la con­fi­den­tia­lité des cor­res­pon­dan­ces entre avo­cats, la prise de con­tact avec la par­tie adverse, les suc­ces­sions d’avo­cats, les con­flits d’inté­rêts, les hono­rai­res, les com­mis­sions d’office, etc. C’est une dis­ci­pline juri­di­que à part entière sur laquelle on écrit des codes et même des trai­tés.

Ces règles, sur­tout, sont sanc­tion­nées. L’avo­cat vio­lant une de ces règles peut être pour­suivi devant la juri­dic­tion dis­ci­pli­naire, sur laquelle je vais reve­nir, et être frappé d’une sanc­tion dis­ci­pli­naire. Ces sanc­tions sont, selon la gra­vité : 1° L’aver­tis­se­ment ; 2° Le blâme ; 3° L’inter­dic­tion tem­po­raire, qui ne peut excé­der trois années ; 4° La radia­tion du tableau des avo­cats, ou le retrait de l’hono­ra­riat (art. 184 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). L’aver­tis­se­ment, le blâme et l’inter­dic­tion tem­po­raire peu­vent com­por­ter la pri­va­tion, par la déci­sion qui pro­nonce la peine dis­ci­pli­naire, du droit de faire par­tie du con­seil de l’ordre, du Con­seil natio­nal des bar­reaux, des autres orga­nis­mes ou con­seils pro­fes­sion­nels ainsi que des fonc­tions de bâton­nier pen­dant une durée n’excé­dant pas dix ans. L’ins­tance dis­ci­pli­naire peut en outre, à titre de sanc­tion acces­soire, ordon­ner la publi­cité de toute peine dis­ci­pli­naire (même arti­cle).

À Paris, cette peine com­plé­men­taire de pri­va­tion du droit de faire par­tie du Con­seil de l’Ordre est qua­si­ment sys­té­ma­ti­que­ment pro­non­cée avec les sanc­tions autres que la radia­tion.

La pro­cé­dure dis­ci­pli­naire com­mence par une plainte auprès du Bâton­nier[2] dont relève l’avo­cat, qui est auto­rité de pour­suite. Il peut aussi de lui-même enga­ger des pour­sui­tes, sans plainte de qui­con­que. Le pro­cu­reur géné­ral peut sai­sir direc­te­ment le Con­seil de dis­ci­pline, mais l’usage est pour lui de pas­ser par une plainte auprès du bâton­nier, pour que celui-ci pro­cède à une enquête déon­to­lo­gi­que (art. 187 du décret n°91-1197 du 27 novem­bre 1991 orga­ni­sant la pro­fes­sion d’avo­cat). Cette enquête infor­melle vise á éta­blir les faits et à écar­ter les plain­tes infon­dées ou fan­tai­sis­tes (clas­se­ment sans suite), ou voir si une sim­ple admo­nes­ta­tion pater­nelle peut suf­fire si l’avo­cat répare promp­te­ment une erreur vénielle (art P72-2 du règle­ment inté­rieur du bar­reau de Paris). Si l’enquête éta­blit des faits sus­cep­ti­bles de cons­ti­tuer une faute carac­té­ri­sée, le con­seil de dis­ci­pline est saisi par le Bâton­nier. Si le bâton­nier ne sai­sit pas le con­seil de dis­ci­pline, le pro­cu­reur géné­ral peut pas­ser outre et le sai­sir lui-même. Pas de pro­tec­tion cor­po­ra­tiste donc. C’est pré­ci­sé­ment ce qui vient de se pas­ser pour les qua­tre défen­seurs d’Yvan Colonna et les six d’Anto­nio Fer­rara, qui avaient quitté le pro­cès en appel et refusé d’être com­mis d’office par le pré­si­dent de la cour. Les bâton­niers de Paris et de Bas­tia n’ayant pas donné suite, les pro­cu­reurs géné­raux de ces deux cours d’appel ont saisi le Con­seil de dis­ci­pline (J’en pro­fite pour signa­ler au Figaro que le Con­seil de dis­ci­pline de Paris n’est pas com­pé­tent pour tous “les avo­cats du con­ti­nent” mais seu­le­ment ceux de Paris, en l’espèce Patrick Casa­nova Mai­son­neuve et Pas­cal Gar­ba­rini, mes con­frè­res Antoine Sol­la­caro et Gil­les Simeoni étant avo­cats aux Bar­reaux d’Ajac­cio et Bas­tia res­pec­ti­ve­ment et rele­vant du Con­seil de dis­ci­pline de Bas­tia )

La juri­dic­tion dis­ci­pli­naire est le Con­seil de dis­ci­pline, sié­geant au niveau de la cour d’appel (Il doit sié­ger dans la même ville, mais pas for­cé­ment dans les locaux de la cour : art. 193 du décret du 27 novem­bre 1991 ; géné­ra­le­ment, c’est dans les locaux de l’Ordre), com­posé de repré­sen­tant des Con­seils de l’Ordre du res­sort de la cour (Sauf à Paris, vous allez voir), devant lequel le bâton­nier sou­tient l’accu­sa­tion. C’est notre pro­cu­reur, en somme, Il ne par­ti­cipe bien évi­dem­ment pas aux déli­bé­ra­tions. À Paris, les règles sont un peu dif­fé­ren­tes, pour tenir compte de la taille hors norme du bar­reau (la moi­tié des avo­cats fran­çais sont pari­siens). Nous avons notre pro­pre con­seil de dis­ci­pline, divisé en trois for­ma­tions, exclu­si­ve­ment com­po­sés d’avo­cats pari­siens (art. 22-2 de la loi du 31 décem­bre 1971).

L’avo­cat pour­suivi reçoit aus­si­tôt copie de la plainte, des piè­ces qui l’appuient, et du rap­port d’enquête déon­to­lo­gi­que s’il y en a eu une. Il peut se faire assis­ter d’un avo­cat et a accès à une copie du dos­sier,

Dans un pre­mier temps, le Con­seil dési­gne un de ses mem­bres pour ins­truire l’affaire : le rap­por­teur. Il a qua­tre mois pour ce faire, pou­vant être repoussé à six mois en cas de besoin, mais les par­ties doi­vent en être infor­mées.

Car le Con­seil de dis­ci­pline doit sta­tuer dans les 8 mois de sa sai­sine, délai pou­vant être repoussé à un an en cas de besoin. Passé ce délai, la plainte est répu­tée reje­tée, c’est à dire que l’avo­cat est auto­ma­ti­que­ment relaxé. Mais le pro­cu­reur peut faire appel, et c’est même dans le but de lui ouvrir ce droit d’appel que ce méca­nisme existe, pour évi­ter la ten­ta­tion de faire traî­ner un dos­sier embê­tant pour un con­frère (art. 195 du décret du 27 novem­bre 1991).

Il existe un cas de pro­cé­dure accé­lé­rée : lors­que la faute est com­mise à une audience et que le pro­cu­reur sai­sit le Con­seil de dis­ci­pline à la demande de la juri­dic­tion con­cer­née, le Con­seil doit sta­tuer dans les quinze jours (art. 25 de la loi de 1971 modi­fié par la loi du 15 juin 1982). C’est la pro­cé­dure qui a rem­placé les délits d’audience, Avant 1982, la juri­dic­tion pou­vait elle même sta­tuer sur le champ, étant à la fois juge et vic­time. Pour l’anec­dote, un avo­cat pari­sien a été vic­time de cette loi à une audience où il défen­dait un cient con­tre lequel la mort était requise. Il s’appe­lait Robert Badin­ter, et devenu Garde des Sceaux, il fit voter cette loi de 1982.

L’audience est publi­que, et le pro­cu­reur géné­ral peut y par­ti­ci­per s’il est le plai­gnant. La déci­sion est écrite.

Le droit d’appel d’une déci­sion du con­seil de dis­ci­pline appar­tient à l’avo­cat con­damné, au bâton­nier, et au pro­cu­reur géné­ral, qui est tenu informé de tou­tes les pour­sui­tes enga­gées et de la déci­sion ren­due (art. 196 du décret pré­cité).

Alors que l’audience du Con­seil de dis­ci­pline est en prin­cipe publi­que (art. 194 du décret), l’audience d’appel est en prin­cipe à huis clos (art. 16 du décret). Je n’ai pas d’expli­ca­tion de cette dis­po­si­tion qui fait le bon­heur des exa­mi­na­teurs de l’oral de déon­to­lo­gie du Cer­ti­fi­cat d’Apti­tude à la Pro­fes­sion d’Avo­cat (à bon enten­deur, votre bien dévoué).

L’audience d’appel se tient en audience solen­nelle : c’est le pre­mier pré­si­dent qui pré­side, les con­seillers vien­nent de deux cham­bres dif­fé­ren­tes et sont au nom­bre de qua­tre (art. R.312-9 du code de l’orga­ni­sa­tion judi­ciaire) et c’est la robe rouge qui est de rigueur, et à Paris l’épi­toge her­mi­née pour les avo­cats. La pres­ta­tion de ser­ment a d’ailleurs lieu en audience solen­nelle.


Main­te­nant, la pra­ti­que : reve­nons en à Fran­cis et moi.

À tout sei­gneur, tout hon­neur : Fran­cis. Mon excel­lent con­frère, à la suite d’un ver­dict déce­vant à ses yeux, a étalé son blues dans la presse et a tenu des pro­pos déso­bli­geants con­tre, ma foi, un peu tout le monde, votre ser­vi­teur y com­pris, qui ne méri­tait pas cet hon­neur.

Fran­cis Szpi­ner recon­naît avoir usé dans le Nou­vel Obser­va­teur, du doux voca­ble de “con­nards” con­tre des blo­gueurs tenant des pro­pos qu’il a esti­més “effrayants” au cours du pro­cès (ce qui ne me vise mani­fes­te­ment pas puis­que je n’ai parlé de ce pro­cès qu’une fois le ver­dict connu), et ses con­tra­dic­teurs de “bobos de gau­che”, le choix du Nou­vel Obs’ visant sans doute à s’assu­rer que ses cibles le liraient.

La prin­ci­pale cible de l’acri­mo­nie de mon con­frère a été l’avo­cat géné­ral, à qui il repro­che d’avoir “failli à sa mis­sion”, ce qui est mani­fes­te­ment un malen­tendu puis­que cette mis­sion serait, aux yeux de mon con­frère, de sui­vre aveu­glé­ment la posi­tion de la par­tie civile et de requé­rir le maxi­mum pour tout le monde, alors qu’il n’en est rien puis­que la mis­sion de l’avo­cat géné­ral était de requé­rir libre­ment ce que sa cons­cience lui dic­tait après avoir étu­dié le dos­sier et assisté à l’audience. Ce que Phi­lippe Bil­ger fait depuis plus de dix ans à la cour d’assi­ses de Paris.

Emporté par son erreur, mon con­frère a qua­li­fié cet avo­cat géné­ral de “traî­tre géné­ti­que”, pro­pos qu’il a con­fir­més, en pré­ci­sant tou­te­fois qu’ils ne fai­saient nul­le­ment allu­sion à un dou­lou­reux épi­sode fami­lial dont le magis­trat avait déjà parlé, ce que tout le monde avait cru com­pren­dre, mais aux “tra­hi­sons à répé­ti­tion” de ce magis­trat, qui aurait trahi dns un pre­mier temps la par­tie civile, puis son pro­cu­reur géné­ral en décla­rant ce ver­dict “satis­fai­sant” à ses yeux, ce qui aurait mis son supé­rieur en dif­fi­culté lorsqu’il a décidé de faire appel. À ceci près que ce n’est pas son supé­rieur qui a décidé de faire appel, et je doute que cela ait pu échap­per à mon con­frère.

À la suite de ces décla­ra­tions (du moins de leur pre­mière mou­ture, celle du Nou­vel Obs’), le pro­cu­reur géné­ral de Paris a décidé de don­ner à mon con­frère une leçon de loyauté en dépo­sant une plainte con­tre lui auprès du bâton­nier de Paris. Celui-ci a aus­si­tôt fait savoir qu’il avait déjà décidé de l’ouver­ture d’une enquête déon­to­lo­gi­que du fait de ces pro­pos, qui pou­vaient de prime abord sem­bler dif­fi­ci­le­ment con­for­mes aux prin­ci­pes essen­tiels de dignité, de con­fra­ter­nité, de déli­ca­tesse, de modé­ra­tion et de cour­toi­sie.

Nous en som­mes au stade de cette enquête (qui sera essen­tiel­le­ment une audi­tion de mon con­frère pour savoir ce qu’il recon­naît voir dit). Vous savez désor­mais la suite : le bâton­nier ren­dra un rap­port com­mu­ni­qué au pro­cu­reur géné­ral puisqu’il est plai­gnant. Si le bâton­nier devait déci­der de clas­ser sans suite ou d’admo­nes­ter pater­nel­le­ment mon con­frère, le pro­cu­reur géné­ral pourra sai­sir direc­te­ment le con­seil de dis­ci­pline. Ce ne sera pas avant sep­tem­bre. Le Con­seil serait-il saisi qu’un rap­por­teur sera nommé et devra ren­dre son rap­port sous qua­tre mois, pro­lon­gea­bles à six, le Con­seil devant sta­tuer sous huit mois, pro­lon­gea­bles à douze. Ce qui fait qu’une éven­tuelle déci­sion tom­bera à peu près au moment du pro­cès en appel.

Pour ma part, je sou­haite à mon con­frère que cette pro­cé­dure dis­ci­pli­naire n’aille pas jusqu’à une sanc­tion. L’amer­tume de la défaite est une épreuve dou­lou­reuse, sur­tout quand elle est média­ti­sée. En effet, mon con­frère espé­rait des pei­nes très sévè­res pour tous les accu­sés, pro­ches du maxi­mum ; ce ne fut pas le cas. L’avo­cat géné­ral a obtenu les pei­nes qu’il avait requi­ses dans la moi­tié des cas, et des pei­nes à peine infé­rieu­res pour l’autre moi­tié, cet écart s’expli­quant notam­ment par le tra­vail de fond des avo­cats de la défense. Qui donc a failli à sa mis­sion, en l’espèce ?

Avoir le sen­ti­ment de ne pas avoir été entendu, alors que le par­quet a eu l’oreille du juge, est hor­ri­pi­lant, je le sais, même quand in fine c’est le par­quet qui avait rai­son. Cela excuse beau­coup à mes yeux les excès ver­baux de mon con­frère à qui j’exprime ma soli­da­rité. D’ailleurs, lui même le dit :

Non, je n’ai rien à me repro­cher. Je regrette en revan­che l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite.

C’est déjà assez vexant pour un avo­cat de ne pas être com­pris par qui que ce soit quand il s’exprime pour en plus lui rajou­ter des sou­cis déon­to­lo­gi­ques.

Enfin, quid de votre ser­vi­teur ?

Mon excel­lent con­frère Szpi­ner me fait l’hon­neur de s’inté­res­ser à mon cas. Sou­cieux de l’éga­lité devant la jus­tice dis­ci­pli­naire, il se demande si je ne devrais pas moi-même faire l’objet des mêmes tra­cas du fait de mes pro­pos où je par­lais de “valet des vic­ti­mes” s’agis­sant du Garde des Sceaux et de “lar­bins” pour deux dépu­tés.

En droit, rien ne s’y oppose. Je m’exprime ici en tant qu’avo­cat, et je ne con­teste abso­lu­ment pas être tenu de ce fait à mes obli­ga­tions déon­to­lo­gi­ques, qui me sui­vent jus­que dans ma vie pri­vée.

C’est en fait que l’accu­sa­tion ne tient pas.

Je n’ai pas traité le garde des sceaux de valet des vic­ti­mes. Mes lec­teurs savent qu’en ces lieux, la plus pro­fonde défé­rence envers le garde des Sceaux en exer­cice est de mise. J’ai dit qu’en agis­sant comme elle l’a fait, c’est à dire en s’empres­sant de défé­rer à l’injonc­tion de l’avo­cat de la vic­time d’ordon­ner un appel sans réflé­chir aux con­sé­quen­ces poten­tiel­les, elle s’est com­por­tée en valet des vic­ti­mes. Ce repro­che n’a de sens que si on sai­sit le corol­laire : c’est que pré­ci­sé­ment, le garde des sceaux n’est PAS le valet des vic­ti­mes et ne doit pas l’être.

Quant aux dépu­tés Baroin et Lang, je ne les ai pas traité de lar­bins : j’ai dit : “Si le légis­la­tif aussi se met à jouer les lar­bins des vic­ti­mes, il ne reste que le judi­ciaire pour gar­der la tête froide.”

Cela étant, la lec­ture du Nou­vel Obs m’appre­nant que

Dès le début du pro­cès, Fran­cis Szpi­ner a demandé à son ami[3] le député UMP Fran­çois Baroin de rédi­ger une pro­po­si­tion de loi pour modi­fier la pro­cé­dure (voir enca­dré). «Il me fal­lait une per­son­na­lité de gau­che esti­ma­ble pour que cela n’appa­raisse pas comme une opé­ra­tion par­ti­sane, j’ai pensé à Jack Lang» Ce der­nier a con­senti ;

je cons­tate que si c’était eux que j’avais effec­ti­ve­ment traité de lar­bins, je n’aurais pas for­cé­ment mis à côté.

Je réa­lise cepen­dant avec hor­reur que mes pro­pos à moi aussi peu­vent être mal inter­pré­tés, même par un grand esprit comme mon con­frère. ce qui est signe de grande fati­gue.

Selon la for­mule con­sa­crée, je ne regrette pas ce que j’ai dit mais je regrette l’inter­pré­ta­tion qui en a été faite par mon con­frère, et je retourne vite à mes vacan­ces.

Notes

[1] C’est notre moyen mné­mo­tech­ni­que pour appren­dre la for­mule du ser­ment.

[2] Rap­pe­lons que le bâton­nier est le pré­si­dent du Con­seil de l’Ordre des avo­cats, élu par ses pairs pour une durée de deux ans.

[3] Et ancien col­la­bo­ra­teur.NdA.

vendredi 31 juillet 2009

Allo, Tonton, pourquoi tu tousses ?

Par Gas­co­gne


La sor­tie d’un rap­port uni­ver­si­taire sur les inter­cep­tions de télé­com­mu­ni­ca­tion a été l’occa­sion pour dif­fé­rents jour­naux, dont le Nou­vel Obser­va­teur et le Figaro, de titrer sur une “explo­sion” de ces inter­cep­tions, en con­fon­dant allè­gre­ment les écou­tes admi­nis­tra­ti­ves et les écou­tes judi­ciai­res, qui n’ont pour­tant pas grand chose en com­mun d’un point de vue pro­cé­du­ral.

L’occa­sion de faire un point sur ces inter­cep­tions.

Je ne trai­te­rai pas des écou­tes admi­nis­tra­ti­ves, qui, jusqu’à une épo­que très récente, pou­vaient être qua­li­fiées de sau­vage, mais pour les­quel­les un début d’enca­dre­ment s’est fait jour, suite notam­ment à l’affaire dite des “écou­tes de l’Ely­sée”. Une loi du 9 juillet 2004 est venue régle­men­ter cette pra­ti­que, et la sou­met­tre au con­trôle d’une com­mis­sion pré­si­dée par un magis­trat.

Con­cer­nant les écou­tes judi­ciai­res, elles sont régle­men­tées par les arti­cles 100 à 100-7 du code de pro­cé­dure pénale. Jusqu’à la loi 91-646 du 10 juillet 1991, la pra­ti­que des écou­tes n’était pas enca­drée. Les juges d’ins­truc­tion s’appuyaient pour les ordon­ner sur l’arti­cle 81 du code de pro­cé­dure pénale leur per­met­tant de pro­cé­der à tous actes uti­les à la mani­fes­ta­tion de la vérité.

Afin de s’assu­rer de la pro­por­tion­na­lité de cette mesure atten­ta­toire au droit à la vie pri­vée, seu­les les enquê­tes por­tant sur des infrac­tions punies d’une peine supé­rieure ou égale à deux ans d’empri­son­ne­ment peu­vent faire l’objet d’écou­tes télé­pho­ni­ques ou de toute autre type d’inter­cep­tion (tex­tos, cour­riels, cor­res­pon­dan­ces écri­tes). A noter que cela repré­sente l’énorme majo­rité des délits et la tota­lité des cri­mes.

En outre, seul un magis­trat du siège peut ordon­ner cette mesure. Il s’agit majo­ri­tai­re­ment des juges d’ins­truc­tion, mais depuis la loi dite Per­ben II du 9 mars 2004, les JLD peu­vent éga­le­ment ordon­ner cette mesure dans le cadre d’enquê­tes diri­gées par le pro­cu­reur de la Répu­bli­que, et à sa requête, en matière de cri­mi­na­lité orga­ni­sée ou de ter­ro­risme (Art. 706-95 du CPP). Alors que cette mesure est ordon­née pour qua­tre mois renou­ve­la­bles par le juge d’ins­truc­tion, sa durée est limi­tée à quinze jours (renou­ve­la­bles) lorsqu’il s’agit d’une écoute sur la base de l’arti­cle 706-95. Le texte a prévu que le pro­cu­reur devait tenir au cou­rant de la pour­suite des inves­ti­ga­tions le JLD qui les a ordon­nées, mais je ne pense pas qu’en pra­ti­que, cela arrive très sou­vent (que les JLD qui me lisent me détrom­pent…). A l’inverse, les résul­tats des inter­cep­tions sont envoyés au juge d’ins­truc­tion, qui doit les incor­po­rer immé­dia­te­ment à son dos­sier, sauf à ce qu’il existe un ris­que pour la suite des inves­ti­ga­tions.

Maté­riel­le­ment, le juge d’ins­truc­tion déli­vre une com­mis­sion roga­toire, c’est à dire une délé­ga­tion de pou­voir, à un offi­cier de police judi­ciaire, aux fins de pro­cé­der à l’inter­cep­tion, entre deux dates, d’une ligne iden­ti­fiée par un numéro de télé­phone, pou­vant appar­te­nir à M. ou Mme X. “Pou­vant appar­te­nir”, car rien n’est moins sûr en matière de déten­tion de ligne télé­pho­ni­que, les délin­quants sachant par­ti­cu­liè­re­ment bien ouvrir une ligne au nom d’un tiers.

Les OPJ réqui­si­tion­nent alors l’opé­ra­teur télé­pho­ni­que, et louent en outre à une entre­prise pri­vée un appa­reil d’enre­gis­tre­ment des con­ver­sa­tions et de gra­vure sur CD de ces enre­gis­tre­ments. L’opé­ra­teur pro­cède à une déri­va­tion télé­pho­ni­que de la ligne jusqu’au com­mis­sa­riat ou à la gen­dar­me­rie requé­rante.

L’appa­reil enre­gis­treur se déclen­che auto­ma­ti­que­ment à cha­que com­mu­ni­ca­tion. Vient ensuite un très long et fas­ti­dieux tra­vail d’écoute des con­ver­sa­tions, et de retrans­crip­tion, uni­que­ment si l’OPJ estime que la con­ver­sa­tion est en rap­port avec son dos­sier, ce qui lui laisse une marge d’appré­cia­tion très large, puis­que le juge ne vien­dra pas écou­ter la tota­lité des enre­gis­tre­ments (sauf con­tes­ta­tion ulté­rieure par le mis en exa­men, puis­que les CD d’écoute sont pla­cés sous scellé). Ce tra­vail est péni­ble, car vous n’ima­gi­nez même pas la pla­ti­tude de la majo­rité des con­ver­sa­tions télé­pho­ni­ques que nous tenons tous : thè­mes prin­ci­paux, le beau temps et la diar­rhée du petit der­nier.

La retrans­crip­tion est tout aussi fas­ti­dieuse, car con­trai­re­ment aux pro­cès-ver­baux d’audi­tion, qui sont une syn­thèse la plus fidèle pos­si­ble de ce qui a été dit, le pv de retrans­crip­tion d’écoute se fait au mot à mot. Et s’agis­sant de lan­gage parlé, cela donne à peut près ça :

X (pou­vant être M. Chi­chon) : Ouais, c’est moi.

Y (pou­vant être Mme Chi­chon) : Ah ?

X : Ouais, pour ce soir…

Y : Nan, pas de blème, quand tu veux…

X : parce que bon…

Y : Ch’suis là vers huit heu­res.

X : Ah, ouais, parce que, j’vou­lais dire, quoi…

Y : Je sais, je sais, c’est pas évi­dent pour toi, mais bon…

X : Nan, c’est pas ça, c’est juste que…

Y : T’auras pas le cho­co­lat ?

X : Si, si, les deux tablet­tes, mais bon, il faut les pan­ta­lons très vite.

Y : Ah, il s’est agacé, ton ven­deur ?

X : Voilà…Bon, bé, à toute.

Y : A toute.

La han­tise de tout juge d’ins­truc­tion : la lec­ture d’un tome entier d’écou­tes…En outre, en inter­ro­ga­toire, l’exploi­ta­tion n’est pas tou­jours évi­dente (“J’vous assure, Mon­sieur le juge, je par­lais vrai­ment de pan­ta­lons et de cho­co­lat…”). Les écou­tes télé­pho­ni­ques res­tent cepen­dant très inté­res­san­tes pour réu­nir des pré­somp­tions con­tre quelqu’un.

Con­cer­nant le coût des inter­cep­tions, les cho­ses ont évo­lué depuis quel­ques années suite à un bras de fer qui a eu lieu entre cer­tai­nes Cham­bres de l’ins­truc­tion et les trois opé­ra­teurs fran­çais. Ceux-ci ont en effet pro­fité du peu d’entrain de nom­bre de magis­trats à con­trô­ler les dépen­ses qu’ils ordon­naient pour tari­fer à coût pro­hi­bi­tif les déri­va­tions qu’ils met­taient en place. Il ne s’agit pour­tant (mais tout tech­ni­cien est bien­venu à me con­tre­dire) que d’une sim­ple mani­pu­la­tion infor­ma­ti­que. Le juge d’ins­truc­tion rend en fin d’inter­cep­tion ce que l’on appelle une ordon­nance de taxe, par laquelle il indi­que le mon­tant à payer à l’opé­ra­teur. Il est libre de l’appré­cier (sauf en ce qui con­cerne cer­tai­nes taxa­tions visées notam­ment à l’arti­cle R 117 du code de pro­cé­dure pénale). Cer­tains juges d’ins­truc­tion sont donc entrés en résis­tance en limi­tant les som­mes deman­dées, con­fir­més ensuite par les Cham­bres de l’ins­truc­tion, leur ordon­nance étant sus­cep­ti­ble d’appel, et les opé­ra­teurs ne s’en étant pas pri­vés. La Chan­cel­le­rie a été obli­gée d’entrer dans la danse, et de négo­cier les tarifs avec les opé­ra­teurs.

Voilà glo­ba­le­ment le cir­cuit d’une écoute télé­pho­ni­que. Ces inter­cep­tions res­tent un outils d’enquête extrê­me­ment pré­cieux. Mais elles ne sont qu’un outil parmi tant d’autres, et une décla­ra­tion de cul­pa­bi­lité ne pour­rait que dif­fi­ci­le­ment inter­ve­nir sur cette seule base, sans que d’autres élé­ments du dos­sier ne vien­nent l’asseoir.

jeudi 30 juillet 2009

Merci M. Bockel

Par Gas­co­gne


La fré­quen­ta­tion de ce site pré­dis­pose plus aux Busi­ris qu’aux satis­fé­cits, mais pour une fois que l’occa­sion se pré­sente, autant ne pas faire la fine bou­che…

Petit rap­pel des faits pour ceux que la tor­peur esti­vale aurait per­tur­bés dans le suivi de l’actua­lité judi­ciaire.

Acte 1 : le pro­cès dit du “gang des bar­ba­res” n’était-il pas ter­miné que l’avo­cat des par­ties civi­les, Me Szpi­ner, indi­quait déjà tout le mal qu’il pen­sait des réqui­si­tions de l’avo­cat géné­ral, Phi­lippe Bil­ger, qui avait eu le mal­heur de ne pas récla­mer la peine maxi­male pour l’ensem­ble des accu­sés.

Acte 2 : Une fois les pei­nes pro­non­cées par la Cour d’Assi­ses, légè­re­ment infé­rieu­res à cel­les requi­ses pour un cer­tain nom­bre de con­dam­nés, Me Szpi­ner exige que le Garde des sceaux demande au pro­cu­reur géné­ral de Paris de faire appel, ce droit lui étant refusé. Le Minis­tre obtem­pé­rera.

Acte 3 : Mais comme cela ne devait pas encore le satis­faire, il s’est sem­ble-t-il décidé à régler quel­ques comp­tes par voie de presse inter­po­sée , trai­tant cer­tains con­frè­res de “con­nards de bobos de gau­che” et l’avo­cat géné­ral de “trai­tre géné­ti­que”.

Me Szpi­ner expli­quera sim­ple­ment que ses pro­pos ont été sor­tis de leur con­texte, tout en main­te­nant les ter­mes de “trai­tre géné­ti­que” qui font réfé­rence à la con­dam­na­tion pour col­la­bo­ra­tion du père de Phi­lippe Bil­ger.

Il est éton­nant comme un avo­cat qui a eu sa carte d’un parti poli­ti­que majo­ri­taire et qui a l’oreille d’un pré­si­dent de la Répu­bli­que sem­ble pou­voir s’auto­ri­ser beau­coup de cho­ses. Il est encore plus hal­lu­ci­nant qu’un homme de Loi qui prête un ser­ment bien par­ti­cu­lier peut invec­ti­ver et insul­ter comme bon lui sem­ble un autre homme de loi qui a prêté un ser­ment tout aussi par­ti­cu­lier, ainsi que ces pro­pres con­frè­res, sans que per­sonne ne réa­gisse.

Per­sonne, pas tout à fait, puis­que outre le pro­cu­reur géné­ral de Paris qui a demandé des pour­sui­tes dis­ci­pli­nai­res au Bâton­nier de Paris, le sous-secré­taire d’État à la Jus­tice s’est fendu d’une inter­ven­tion dans le Nou­vel Obser­va­teur.

Alors merci M. Bockel pour cette plai­doi­rie pour une jus­tice apai­sée.

Sauf que…

Sauf que cet arti­cle laisse un goût amer pour plu­sieurs rai­sons.

N’était-ce pas à votre minis­tre de tutelle de mon­ter au cré­neau ? Sauf, bien sûr, à con­si­dé­rer qu’elle ne pou­vait que dif­fi­ci­le­ment inter­ve­nir con­tre un avo­cat qui a été un mem­bre émi­nent du RPR, dont la minis­tre de la Jus­tice a été la secré­taire géné­rale. D’autant plus si l’on ajoute que ladite minis­tre a sem­blé plus influen­cée par l’argu­men­ta­tion de l’avo­cat en ques­tion, repré­sen­tant d’un inté­rêt par­ti­cu­lier, que par celui de l’avo­cat géné­ral, en charge en ce qui le con­cerne de l’inté­rêt géné­ral.

Sauf à pen­ser éga­le­ment que les liens exis­tant entre Me Szpi­ner et le pré­si­dent de la Répu­bli­que com­pli­quent néces­sai­re­ment la tâche.

Alors merci, Mon­sieur le Secré­taire d’État, de cette inter­ven­tion dans la presse. Merci d’avoir pris la défense de la Jus­tice, ce que n’a pas su faire votre minis­tre de tutelle, face à des atta­ques de plus en plus fré­quen­tes, et de plus en plus cho­quan­tes, de ceux qui con­fon­dent leur image média­ti­que avec l’inté­rêt de la société, voire de leur pro­pre client.

Car après tout, pour­quoi se gêner dans ces atta­ques ad homi­nem ? Pour­quoi ne pour­rait-on dire que l’igno­mi­nie peut être géné­ti­que lors­que l’exem­ple vient de si haut ? Pour­quoi ne pour­rait-on se pren­dre pour l’avo­cat de la société lors­que l’on con­fond les inté­rêts pri­vés avec l’inté­rêt public, les hau­tes sphè­res de l’Etat n’étant pas plus épar­gnées ?

J’ai eu beau cri­ti­quer (c’est mon tra­vers prin­ci­pal) Phi­lippe Bil­ger à de nom­breu­ses repri­ses, les atta­ques dont il fait actuel­le­ment l’objet me lais­sent sans voix. Car elles ne ser­vent pas l’inté­rêt de la famille Halimi, ce que je pour­rais à la limite com­pren­dre à défaut de l’accep­ter. Et je ne parle même pas de l’inté­rêt de la Jus­tice, dont on s’est visi­ble­ment fort éloi­gné, dans cette affaire comme dans bien d’autres.

mercredi 29 juillet 2009

HADOPI 2 : malfaçon législative

Pour me déten­dre sur mon yacht voguant vers les Sey­chel­les, je me mets à jour sur les débats sur la loi HADOPI 2, qui s’appel­lera loi rela­tive à la pro­tec­tion pénale de la pro­priété lit­té­raire et artis­ti­que sur inter­net (PPPLAI, ou “tri­ple plaie”).

Les tra­vaux légis­la­tifs ont été inter­rom­pus pour lais­ser la place aux tra­vaux de réfec­tion de la ver­rière de l’hémi­cy­cle. En vérité, un peu de clarté ne fera pas de mal à la repré­sen­ta­tion natio­nale.

Pro­fi­tons de cette trève pour faire un point d’étape. Que pré­voit cette nou­velle loi, en l’état ?

Elle tente de redon­ner quel­que pou­voir à la Com­mis­sion de Pro­tec­tion des Droits (CPD), le bras armé de la HADOPI, amputé par la déci­sion du Con­seil cons­ti­tu­tion­nel.

Je vous rap­pelle briè­ve­ment les épi­so­des pré­cé­dents : la loi HADOPI 1 vou­lait créer une machine admi­nis­tra­tive à sus­pen­dre les abon­ne­ments par paquets de 1000 (après deux aver­tis­se­ments), en créant une obli­ga­tion de sur­veillance de son abon­ne­ment qui rend fau­tif le titu­laire de tout abon­ne­ment ser­vant à télé­char­ger illé­ga­le­ment, peu importe que l’abonné ne soit pas l’auteur dudit télé­char­ge­ment. Le but étant de s’évi­ter de rap­por­ter une preuve trop lourde à four­nir de l’iden­tité rélle du télé­char­geur. La répres­sion mas­sive au nom de la péda­go­gie.

Le Con­seil Cons­ti­tu­tion­nel a sorti son car­ton rouge : il faut qu’une telle mesure, atten­ta­toire aux liber­tés d’expres­sion et de com­mu­ni­ca­tion (et non de con­som­ma­tion comme beau­coup, dont Alain Fin­kel­kraut, l’ont répété d’abon­dance) soit pro­non­cée par un juge et res­pecte la pré­somp­tion d’inno­cence.

Résul­tat : la CPD se retrouve ampu­tée de tous ses pou­voirs de sanc­tion.

La loi HADOPI 1 a été pro­mul­guée mais ce dis­po­si­tif n’est pas encore entré en vigueur faute des décrets d’appli­ca­tion. C’est volon­taire, la loi-patch étant en cours de codage au par­le­ment. Le gou­ver­ne­ment a jusqu’au 1er novem­bre pour cela, date d’entrée en vigueur de la loi HADOPI 1.

La CPD devien­dra une machine à réu­nir les preu­ves : ses agents, asser­men­tés, pour­ront se faire com­mu­ni­quer par les FAI tous les ren­sei­gne­ments uti­les et cons­ta­ter les télé­char­ge­ments par des pro­cès-ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire ne pou­vant être rap­por­tée que par écrit ou par témoin, pro­cès-ver­baux ser­vant de sup­port à une pro­cé­dure d’ordon­nance pénale, c’est à dire une con­dam­na­tion pénale pro­non­cée sans audience (le con­damné ayant un délai de 45 jours pour faire oppo­si­tion, ce qui annule auto­ma­ti­que­ment l’ordon­nance et donne lieu à sa con­vo­ca­tion en jus­tice pour une audience), la loi HADOPI 2 créant enfin une peine com­plé­men­taire de sus­pen­sion de l’abon­ne­ment inter­net que l’ordon­nance pénale pourra pres­crire. Le décret d’appli­ca­tion créera quant à lui une con­tra­ven­tion de négli­gence dans la sur­veillance de son accès à inter­net pas­si­ble elle aussi d’une peine com­plé­men­taire de sus­pen­sion d’accès à inter­net (mais par une pro­cé­dure de droit com­mun).

Nous voilà retom­bés sur nos pieds : c’est bien un juge qui pro­nonce la sus­pen­sion, et les droits de la défense sont res­pec­tés puis­que le Con­seil a jugé con­forme à la Cons­ti­tu­tion l’ordon­nance pénale, embal­lez, c’est pesé. Vous avez suivi ?

Un exem­ple pour vous mon­trer l’usine à gaz.

Les agents de la CPD cons­ta­tent que l’adresse IP 127.0.0.1 télé­charge un fichier pirate de l’immor­tel chef d’oeu­vre de Robert Tho­mas de 1982 Mon curé chez les nudis­tes. Ils en dres­sent pro­cès ver­bal. L’adresse IP en ques­tion cor­res­pond au FAI dev/null Tele­com. La CPD se fait com­mu­ni­quer par ce FAI quel abonné uti­li­sait cette adresse IP tel jour à telle heure. L’incons­cient est mon­sieur Übe­rich, un Alsa­cien. Or ce mon­sieur a déjà fait l’objet d’un envoi d’e-mail et d’un envoi de let­tre recom­man­dée (peu importe qu’il l’ait reçue : le légis­la­teur me lit assu­ré­ment et a con­tourné le pro­blème de la let­tre recom­man­dée qu’on ne va pas cher­cher en rem­pla­çant par un amen­de­ment à cette loi la récep­tion de la let­tre par sa sim­ple pré­sen­ta­tion). Le dos­sier est trans­mis au minis­tère public pour qu’il requière une ordon­nance pénale con­dam­nant mon­sieur Übe­rich soit pour con­tre­fa­çon soit pour négli­gence dans la sur­veillance de son accès selon les preu­ves réu­nies à une peine de sus­pen­sion de l’abon­ne­ment. Mon­sieur Übe­rich pourra faire oppo­si­tion pour con­tes­ter cette con­dam­na­tion et faire valoir sa défense.

Et croyez-moi, je sim­pli­fie beau­coup.

Heu­reu­se­ment, on peut rire dans cette affaire, en lisant le rap­port de M. Ries­ter, rap­por­teur de la com­mis­sion des affai­res cul­tu­rel­les.

Le rap­port jus­ti­fie ainsi le fait que les agents asser­men­tés de la Com­mis­sion de Pro­tec­tion des Droits (CPD) puis­sent dres­ser des pro­cès ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire.

Le der­nier ali­néa (de l’arti­cle 1er, NdA) pré­voit que les PV dres­sés à cette occa­sion font foi jusqu’à preuve con­traire. Il s’agit ici sim­ple­ment de l’appli­ca­tion du droit com­mun de la pro­cé­dure pénale, notam­ment de l’arti­cle 431 du code de pro­cé­dure pénale.



Rap­pe­lons que cette pré­ci­sion est pré­vue dans les mêmes ter­mes au deuxième ali­néa de l’arti­cle 450-2 du code du com­merce pour l’Auto­rité de la con­cur­rence ou à l’arti­cle L. 8113-7 du code du tra­vail pour les ins­pec­teurs du tra­vail.

Les Gen­dar­mes de Saint-Tro­pez décou­vrent la pro­cé­dure pénale.

Tout d’abord, l’arti­cle 431 n’est pas le droit com­mun en la matière puisqu’il est l’excep­tion.

Le prin­cipe, c’est l’arti­cle 430 , il n’était pas loin pour­tant.

Je graisse :

Sauf dans le cas où la loi en dis­pose autre­ment, les pro­cès-ver­baux et les rap­ports cons­ta­tant les délits ne valent qu’à titre de sim­ples ren­sei­gne­ments.

Et c’est ce sauf dans le cas où la loi en dis­pose autre­ment que vise l’arti­cle 431 :

Dans les cas où les offi­ciers de police judi­ciaire, les agents de police judi­ciaire ou les fonc­tion­nai­res et agents char­gés de cer­tai­nes fonc­tions de police judi­ciaire ont reçu d’une dis­po­si­tion spé­ciale de la loi le pou­voir de cons­ta­ter des délits par des pro­cès-ver­baux ou des rap­ports, la preuve con­traire ne peut être rap­por­tée que par écrit ou par témoins.

La loi HADOPI 2 vise donc à don­ner excep­tion­nel­le­ment cette force pro­bante excep­tion­nelle aux agents de la CPD, simi­laire à celle recon­nue aux ins­pec­teurs du tra­vail ou aux agents de l’Auto­rité de la Con­cur­rence cités par le rap­por­teur. Il aurait pu ajou­ter aux poli­ciers en matiè­res de con­tra­ven­tion rou­tière (art. 537 du CPP), ça par­le­rait plus aux Fran­çais en vacan­ces..

Vient ensuite le meilleur moment : Frank Ries­ter nous expli­que ce que cela signi­fie.

Cela signi­fie que la preuve de l’inexac­ti­tude des faits cons­ta­tés ne pourra pas résul­ter uni­que­ment d’une déné­ga­tion ulté­rieure de la per­sonne con­cer­née. Il fau­dra, aux ter­mes de l’arti­cle 431 pré­cité, que la per­sonne con­cer­née four­nisse une con­tre preuve par écrit ou par témoins – elle était par exem­ple hos­pi­ta­li­sée et dis­pose d’un cer­ti­fi­cat médi­cal ou était à l’étran­ger et quelqu’un peut en attes­ter.

J’adore “la preuve de l’inexac­ti­tude” résul­tant “uni­que­ment” d’une “déné­ga­tion ulté­rieure de la per­sonne con­cer­née”. Il faut dire à la décharge de M. Ries­ter qu’il y a en effet des pré­cé­dents fâcheux de déné­ga­tions ulté­rieu­res ayant abouti. Sans par­ler de ceux qui n’ont jamais avoué.

Comme quoi le gou­ver­ne­ment (et l’assem­blée natio­nale quand elle est ser­vie par un rap­por­teur trop empressé à jouer les sup­plé­tifs du Gou­ver­ne­ment) a du mal avec la pré­somp­tion d’inno­cence. Une déné­ga­tion ulté­rieure n’est pas une preuve de l’inexac­ti­tude mais un sim­ple refus de s’incri­mi­ner soi-même, ce qui est un droit de l’homme ardem­ment défendu par la Cour euro­péenne des droits de l’homme, et par­fois un sim­ple cri d’inno­cence. C’est aux auto­ri­tés d’appor­ter la preuve de la cul­pa­bi­lité, et non de faire par­ler le sus­pect pour lui dénier le droit de se rétrac­ter ensuite.

En fait, le Gou­ver­ne­ment tente une nou­velle fois de con­tour­ner la pré­somp­tion d’inno­cence, ce qui avait valu au pre­mier texte les déboi­res que l’on sait. La loi HADOPI 1 ne per­met­tait à l’abonné de con­tes­ter sa sanc­tion que de trois façons : démon­trer que son abon­ne­ment a été uti­lisé frau­du­leu­se­ment, ins­tal­ler un logi­ciel de sécu­ri­sa­tion (qui prou­vait que seul l’abonné pou­vait être le pirate) ou la force majeure. Niet a dit le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel. Et ajoute-t-il, il faut que le juge y passe.

Parade du Gou­ver­ne­ment : aller cher­cher l’exis­tant, puis­que cela a déjà été validé par le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel. Soit l’ordon­nance pénale et les PV fai­sant foi. Vous voyez le méca­nisme : obte­nir des con­dam­na­tions péna­les par un juge, sans audience puis­que de tou­tes façons le juge est lié par les pro­cès ver­baux des agents de la CPD. L’abonné ne pourra que démon­trer (sur oppo­si­tion à l’ordon­nance pénale) qu’il est impos­si­ble que ce soit lui qui ait télé­chargé illé­ga­le­ment tel fichier[1].

Ce qui est exac­te­ment ce que le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel a déjà cen­suré. Pas pour défaut d’inter­ven­tion du juge mais pour atteinte à la pré­somp­tion d’inno­cence. Je ne vois pas com­ment le Con­seil pour­rait ne pas cen­su­rer à nou­veau.

Mais me direz-vous, le Con­seil n’a-t-il pas déjà validé ces pro­cès ver­baux fai­sant foi et l’ordon­nance pénale ?

À ma con­nais­sance, il n’a jamais eu à sta­tuer sur les pro­cès ver­baux fai­sant foi jusqu’à preuve con­traire en matière pénale (les PV fai­sant foi ont été votés en 1957, un an avant la créa­tion du Con­seil). Voici qui lui en four­nira l’occ­ca­sion. Oh, il vali­dera le prin­cipe, mais en l’enca­drant, comme il a fait pour l’ordon­nance pénale. J’ y revien­drai. Car Frank Ries­ter nous régale d’une cerise sur son gâteau.

Selon les infor­ma­tions com­mu­ni­quées au rap­por­teur par le Gou­ver­ne­ment, aucun for­ma­lisme spé­ci­fi­que n’est appli­ca­ble à ces PV. S’appli­quent sim­ple­ment les dis­po­si­tions géné­ra­les de l’arti­cle 429 du code de pro­cé­dure pénale qui pré­voient un for­ma­lisme mini­mal : date, iden­tité de l’agent, signa­ture de l’agent et, si elle est enten­due, signa­ture de la per­sonne con­cer­née par la pro­cé­dure.

C’est bien d’écou­ter ce que dit le Gou­ver­ne­ment. C’est mieux d’aller lire soi-même ce que dit l’arti­cle 429 du CPP.

Tout pro­cès-ver­bal ou rap­port n’a de valeur pro­bante que s’il est régu­lier en la forme, si son auteur a agi dans l’exer­cice de ses fonc­tions et a rap­porté sur une matière de sa com­pé­tence ce qu’il a vu, entendu ou cons­taté per­son­nel­le­ment.

Bref, est fait dans les for­mes un pro­cès-ver­bal fait dans les for­mes. Voilà l’Assem­blée bien infor­mée. Et sur­tout, le rap­por­teur man­que le prin­ci­pal. Le pro­cès ver­bal ne se carac­té­rise pas par sa date, sa signa­ture et l’iden­tité du scrip­teur, mais par ce qu’il rap­porte, qui doit être ce qu’il a cons­taté per­son­nel­le­ment et qui relève de sa com­pé­tence. Ce qui se résume à : tel jour à telle heure , telle adresse IP a télé­chargé tel fichier. À ce PV s’ajoute les infor­ma­tions four­nies par le FAI sur l’iden­tité de l’abonné, qui elles ne font pas foi puis­que l’agent de la CPD ne l’aura pas cons­taté per­son­nel­le­ment, pas plus que le carac­tère d’oeu­vre pro­té­gée du fichier, point sur lequel la CPD est incom­pé­tente. C’est sur cette base là que le juge est censé pro­non­cer une peine délic­tuelle pour con­tre­fa­çon. En toute ami­tié, je sou­haite bon cou­rage aux pro­cu­reurs char­gés des ordon­nan­ces HADOPI.

Cela à sup­po­ser qu’HADOPI 2 fran­chisse sans encom­bre la rue Mont­pen­sier ce qui me paraît dou­teux.

Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, la loi tente mala­droi­te­ment de réta­blir une pré­somp­tion de cul­pa­bi­lité expres­sé­ment refu­sée par le Con­seil. Il devrait n’appré­cier que modé­ré­ment qu’on tente de lui repas­ser le plat.

De plus, le Con­seil a cer­tes accepté le prin­cipe de l’ordon­nance pénale, mais il a posé des con­di­tions. C’était lors de l’exten­sion de cette pro­cé­dure aux délits, lors de la loi Per­ben 1. Déci­sion n° 2002-461 DC du 29 août 2002. À la décharge du Gou­ver­ne­ment, l’aver­tis­se­ment ne se trouve pas dans la déci­sion elle même mais dans le com­men­taire aux Cahiers de juris­pru­dence du Con­seil Cons­ti­tu­tion­nel (pdf) :

Comme il a été dit à pro­pos de la pos­si­bi­lité don­née au juge de proxi­mité, par l’arti­cle 7 de la loi défé­rée, de ren­voyer une affaire au juge d’ins­tance en cas de dif­fi­culté sérieuse, l’éga­lité devant la jus­tice ne s’oppose pas à ce que le juge­ment de cer­tai­nes affai­res fasse l’objet d’une pro­cé­dure spé­ci­fi­que, à con­di­tion que cette pro­cé­dure soit défi­nie pré­ci­sé­ment, que le choix de cette pro­cé­dure repose sur des cri­tè­res objec­tifs et ration­nels ins­pi­rés par un souci de bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice et que cette pro­cé­dure ne lèse pas les droits des par­ties.

En l’espèce, le souci d’une bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice est tota­le­ment absent, seul le souci de la défense des inté­rêts patri­mo­niaux des artis­tes étant invo­qué. Quant aux cri­tè­res objec­tifs et ration­nels, eh bien, com­ment dire ça poli­ment… ?

Et sur­tout, car j’ai gardé le plus beau pour la fin :

Par ailleurs, le minis­tère public aura recours à la pro­cé­dure de juge­ment sim­pli­fiée non de façon sub­jec­tive et dis­cré­tion­naire, comme le sou­te­nait la sai­sine séna­to­riale, mais en fonc­tion de cri­tè­res objec­tifs et ration­nels : - Il s’agit des délits les plus sim­ples et les plus cou­rants pré­vus par le code de la route. Ainsi, la pro­cé­dure sim­pli­fiée ne peut être uti­li­sée si le pré­venu était mineur le jour de l’infrac­tion, ou si la vic­time a formé une demande de dom­ma­ges-inté­rêts…

Pas­sons sur le fait que la con­tre­fa­çon est un délit plus com­plexe à éta­blir qu’une vitesse ou un taux d’alcoo­lé­mie. Rete­nons que le fait que la vic­time ne puisse pas être par­tie était un cri­tère retenu par le Con­seil pour vali­der l’ordon­nance pénale.

Or, comme je l’avais dit lors­que l’idée de l’ordon­nance pénale a com­mencé à cir­cu­ler :

…cette loi est con­traire à l’inté­rêt des artis­tes, ce qui est un amu­sant para­doxe. En effet, l’ordon­nance pénale sup­pose que la vic­time ne demande pas de dom­ma­ges-inté­rêts (arti­cle 495 du CPP, al. 9). Donc les ayant droits ne pour­ront pas deman­der répa­ra­tion de leur pré­ju­dice. Ils doi­vent sacri­fier leur rému­né­ra­tion à leur soif de répres­sion. Quand on sait que leur moti­va­tion dans ce com­bat est de lut­ter con­tre un man­que à gagner, on cons­tate qu’il y a pire ennemi des artis­tes que les pira­tes : c’est l’État qui veut les pro­té­ger.

Or on sait main­te­nant qu’on me lit au Palais Bour­bon. Que croyez-vous qu’il arriva ? Rus­tine !

Arti­cle 2 du pro­jet de loi adopté par la Com­mis­sion :

II. - Après l’arti­cle 495-6 du même code, il est inséré un arti­cle 495-6-1 ainsi rédigé :

« Art. 495-6-1. – Les délits pré­vus aux arti­cles L. 335-2, L. 335-3 et L. 335-4 du code de la pro­priété intel­lec­tuelle, lorsqu’ils sont com­mis au moyen d’un ser­vice de com­mu­ni­ca­tion au public en ligne, peu­vent éga­le­ment faire l’objet de la pro­cé­dure sim­pli­fiée de l’ordon­nance pénale pré­vue par la pré­sente sec­tion.

« Dans ce cas, la vic­time peut deman­der au pré­si­dent de sta­tuer, par la même ordon­nance se pro­non­çant sur l’action publi­que, sur sa cons­ti­tu­tion de par­tie civile. L’ordon­nance est alors noti­fiée à la par­tie civile et peut faire l’objet d’une oppo­si­tion selon les moda­li­tés pré­vues par l’arti­cle 495-3. »

Le rap­por­teur en per­sonne a intro­duit (amen­de­ment 126 AC) la pos­si­bi­lité pour la vic­time de se cons­ti­tuer par­tie civile dans la pro­cé­dure sur ordon­nance pénale. Pas­sons sur le fait qu’il a oublié de pré­ci­ser com­ment la vic­time sera infor­mée de la pro­cé­dure d’ordon­nance pénale et mise à même de pré­sen­ter sa demande (pourra-t-elle envoyer son avo­cat plai­der ?). On a une pro­cé­dure où inter­vient le par­quet qui demande la con­dam­na­tion, la vic­time qui demande répa­ra­tion… mais pas le prin­ci­pal inté­ressé : l’éven­tuel con­damné (je ne peux décem­ment l’appe­ler le pré­venu puis­que pré­ci­sé­ment c’est le seul à ne pas être pré­venu de ce qui se passe).

Le Con­seil cons­ti­tu­tion­nel va avoir un malaise vagal en lisant ça. Com­ment disait-il, déjà ? Ah, oui, c’est valide à con­di­tion que le choix de cette pro­cé­dure repose sur des cri­tè­res objec­tifs et ration­nels ins­pi­rés par un souci de bonne admi­nis­tra­tion de la jus­tice et que cette pro­cé­dure ne lèse pas les droits des par­ties. Je crois que là, on a un sans faute dans l’incons­ti­tu­tion­na­lité.

De la mal­fa­çon légis­la­tive comme on aime­rait en voir moins sou­vent.


Mise à jour : l’assem­blée a retiré cette force pro­bante aux PV des agents de la CPD. Merci à Authueil, et sur­tout au député Lio­nel Tardy, à l’ori­gine de l’amen­de­ment.

Notes

[1] Encore que tech­ni­que­ment, le fait d’être hos­pi­ta­lisé ou à l’étran­ger, ou même d’être hos­pi­ta­lisé à l’étran­ger n’est pas en soi un obs­ta­cle au télé­charg­ment illé­gal depuis chez soi ; un ordi­na­teur se con­trôle très bien à dis­tance.

dimanche 26 juillet 2009

Eolas au Journal Officiel

Il suf­fit de par­tir à la plage cinq minu­tes et la Gloire vient frap­per à votre porte.

Assem­blée Natio­nale, 2e séance du ven­dredi 24 juillet 2009. Extrait du compte-rendu ana­ly­ti­que.

M. le pré­si­dent. La parole est à Mme Cathe­rine Lemor­ton, pour sou­te­nir l’amen­de­ment n° 174.

Mme Cathe­rine Lemor­ton. Per­met­tez-moi de citer les expli­ca­tions que donne Eolas, sur le site Jour­nal d’un avo­cat, à pro­pos de l’avis du Con­seil cons­ti­tu­tion­nel : « La loi HADOPI met en cause la res­pon­sa­bi­lité de l’abonné par la sim­ple cons­ta­ta­tion du pira­tage, qui suf­fit à met­tre en branle la machine à débran­cher, sauf à ce que l’abonné démon­tre que le pira­tage est dû à la fraude d’un tiers (je laisse de côté la force majeure, qui exo­nère de toute res­pon­sa­bi­lité sans qu’il soit besoin de le pré­voir dans la loi, et l’ins­tal­la­tion du logi­ciel mou­chard, qui au con­traire inter­dit de facto à l’abonné d’invo­quer la fraude d’un tiers). Preuve impos­si­ble à rap­por­ter. Ce ren­ver­se­ment de la charge de la preuve abou­tit à faire de l’abonné mis en cause un cou­pa­ble jusqu’à ce qu’il prouve son inno­cence. C’est prévu par le code pénal nord coréen, mais pas par le nôtre. Le légis­la­teur a ima­giné ce méca­nisme anti­cons­ti­tu­tion­nel­le­ment. » Les évé­ne­ments des der­niè­res semai­nes ne don­nent-ils pas rai­son à l’auteur de ces lignes ?

Ici, le trans­crip­teur a oublié de noter les pro­ba­bles accla­ma­tions sur l’ensem­ble des bancs, le Pré­si­dent se lève et salue à l’invo­ca­tion de ce nom.

M. le rap­por­teur bâille. On com­prend qu’il soit fati­gué. Pour lui évi­ter la peine d’une nou­velle sanc­tion du Con­seil cons­ti­tu­tion­nel, je lui sug­gère d’émet­tre un avis favo­ra­ble à l’amen­de­ment n° 174, qui pro­pose d’abro­ger l’arti­cle L. 336-3 du code de la pro­priété intel­lec­tuelle.

Hélas (je graisse) :

(Les amen­de­ments iden­ti­ques nos 17 rec­ti­fié, 169, 172, 174, 176 et 845 ne sont pas adop­tés.)

 

Notre démo­cra­tie va mieux, assu­ré­ment, mais ça n’est pas encore ça.

vendredi 24 juillet 2009

Une journée particulière

Par Dadou­che

Pré­li­mi­naire : Ce billet, c’est un peu mon dos­sier de l’été à moi. Pas pour meu­bler en atten­dant la ren­trée (Eolas ne s’arrête jamais : grâce à son thé pour cyclis­tes il fran­chit tous les cols en tête, alors que ses colo­ca­tai­res sont prêts à être ramas­sés par la voi­ture balai), mais parce qu’il est long et pas d’une actua­lité brû­lante (quoi­que). Il n’inté­res­sera peut-être pas tous les lec­teurs (oui je sais, on fait mieux comme tea­sing), mais ça fait long­temps que j’avais envie de faire quel­que chose à ce sujet.


Au cours d’une année riche en pro­cès d’ampleur, la ques­tion de la publi­cité des débats et de la façon dont les médias ren­dent compte des pro­cès et de leurs sui­tes s’est posée à plu­sieurs repri­ses. On a pu évo­quer ici même la ques­tion de la publi­cité res­treinte impo­sée par la loi pour le pro­cès des meur­triers d’Ilan Halimi.
Le Monde a relaté avec cir­cons­pec­tion l’ini­tia­tive de la Nou­velle Répu­bli­que du Cen­tre Ouest, dont le site pro­po­sait un “live-blog­ging” minute par minute du pro­cès de Véro­ni­que Cour­jault.
Un débat sur la publi­cité à don­ner aux libé­ra­tions de con­dam­nés s’est même engagé sous un billet de Sub Lege Liber­tas.

Com­ment le public peut-il et doit-il être informé de ce qui se passe dans les pré­toi­res ?

Lire la suite...

jeudi 23 juillet 2009

Un mot du proprio

Je pars quel­ques jours en vacan­ces bien méri­tées au soleil.

N’atten­dez donc pas de billet de ma part avant une quin­zaine de jours. Je laisse les clés aux colocs.

Soyez sages.

mercredi 22 juillet 2009

Comment prévoir ce que le juge va décider ?

Par Paxa­ta­gore


Aux Etats-Unis, les juges fédé­raux sont nom­més par le pré­si­dent des Etats-Unis, à vie. Comme tout un paquet de hauts res­pon­sa­bles, la déci­sion du Pré­si­dent doit être con­fir­mée par le Sénat. Le Sénat donne son accord après une audi­tion, plus ou moins lon­gue, de l’impé­trant par le comité judi­ciaire du Sénat. A cette occa­sion, on dis­cute de ses con­cep­tions juri­di­ques et, for­cé­ment, poli­ti­que, de ses pré­cé­den­tes déci­sions (s’il était déjà juge) ou de ce qu’il pense de tel­les ou tel­les déci­sions impor­tan­tes. C’est un exer­cice déli­cat, par­fois long, et le can­di­dat a pour objec­tif d’évi­ter de se lier les mains tout en se met­tant le moins de monde à dos. Cer­tains ne pas­sent pas la barre et sont désa­voués par le Sénat. Notre hôte a plu­sieurs fois évo­qué, ces der­niers jour, la pro­cé­dure de nomi­na­tion, tou­jours en cours, de Mme Sonia Sot­to­mayor, comme jus­tice à la cour suprême.

Pour autant, il faut bien avoir à l’esprit que ce que le can­di­dat-juge peut dire pen­dant ces audi­tions n’a stric­te­ment aucune valeur juri­di­que. Il peut don­ner son avis sur plein de ques­tions, y com­pris la meilleure façon de cui­si­ner les petits pois, on ne pourra pas par la suite le révo­quer parce que les déci­sions qu’il rend ne sont pas con­for­mes à ce qu’on atten­dait de lui. C’est l’une des gran­des limi­tes de l’exer­cice. Cette chro­ni­que recense plu­sieurs cas, fameux, dans l’his­toire amé­ri­caine, où des can­di­dats choi­sis en fonc­tion des con­vic­tions qu’on leur sup­po­sait, se sont révé­lés avec le temps bien dif­fé­rents. Le cas le plus récent est celui de David Sou­ter, nommé par les Répu­bli­cains et qui fai­sait alors pro­fes­sion de foi d’ori­gi­na­lisme (une doc­trine en vogue aux Etats-Unis qui veut qu’on ne doive inter­pré­ter la Cons­ti­tu­tion que con­for­mé­ment à ce que ses auteurs ont ou auraient voulu dire) et qui s’est révélé être en fait beau­coup plus libé­ral (c’est-à-dire, dans le voca­bu­laire poli­ti­que amé­ri­cain et avec plein d’approxi­ma­tion : de gau­che).

C’est tout le sel de ces audi­tions devant le Sénat : son­der le can­di­dat, sa pro­fon­deur, sa soli­dité, pour être à peu près cer­tain des déci­sions qu’il va ren­dre.

On pour­rait tou­te­fois s’inter­ro­ger sur la légi­ti­mité de ce pro­cédé. Après tout, nous autres Fran­çais, nous n’avons aucune pro­cé­dure de cet ordre. Les can­di­dats à la magis­tra­ture sont inter­ro­gés sur leurs com­pé­ten­ces juri­di­ques par le biais de con­cours, qui sont cor­ri­gés par d’autres magis­trats : à aucun moment le pou­voir légis­la­tif n’inter­vient dans la sélec­tion des juges (il faut noter du reste qu’il y a trop de juges en France pour qu’il puisse réel­le­ment pro­cé­der à un con­trôle). Il en va de même pour les con­seillers d’Etat, issus de l’ENA ou nom­més direc­te­ment par le gou­ver­ne­ment, ou encore des mem­bres du con­seil cons­ti­tu­tion­nel ou des magis­trats de la cour des comp­tes.

Pour­tant, ce pro­cédé me paraît tout à fait légi­time. Les déci­sions qu’un juge va ren­dre ont des réper­cus­sions impor­tan­tes, sur les par­ties au pro­cès évi­dem­ment mais plus géné­ra­le­ment sur l’ensem­ble de la société (du moins, de temps en temps). Il est légi­time de la part de la repré­sen­ta­tion natio­nale d’avoir une petite idée de l’état d’esprit de celui ou de ceux qui vont ren­dre cette déci­sion. Les par­ties elles-mêmes peu­vent sou­hai­ter savoir “à quelle sauce” elles vont être jugées, ne serait-ce que pour adap­ter leur argu­men­ta­tion en con­sé­quence. La pré­vi­si­bi­lité d’une déci­sion de jus­tice est un élé­ment essen­tiel dans un Etat de droit : cha­cun doit pou­voir rai­son­na­ble­ment pou­voir con­naî­tre l’éten­due de ses droits et de ses obli­ga­tions.

Il me sem­ble que le sys­tème amé­ri­cain accepte par­fai­te­ment le fait que le juge a des pré­sup­po­sés, de tous ordres et en tire les con­sé­quen­ces : il faut mieux con­naî­tre les pré­sup­po­sés du juge, pour pou­voir les com­bat­tre uti­le­ment le cas échéant. (Il faut pren­dre le terme “pré­sup­po­sés” au sens large : ce peut être des pré­ju­gés ,au sens où l’on entend habi­tuel­le­ment ce mot, mais aussi une opi­nion sur une loi, une pra­ti­que juri­di­que, des habi­tu­des…).

Com­ment fait le sys­tème fran­çais ? Il tend lar­ge­ment à igno­rer les pré­sup­po­sés du juge, du moins en public. La for­ma­tion des juges n’ignore pas ce point : à l’ENM, on est sen­si­bi­lisé à ce dan­ger et on est invité à le com­bat­tre. On appelle le juge à être son pro­pre garant, ce qui n’est pas vrai­ment satis­fai­sant. On cher­che ainsi à obte­nir des juges qui sont plu­tôt “neu­tres”. De la même façon, une bonne par­tie des pré­sup­po­sés de cha­que juge lui vien­nent de son appar­te­nance à la magis­tra­ture : la for­ma­tion et la coha­bi­ta­tion avec les autres col­lè­gues amè­nent les juges à par­ta­ger un cer­tain nom­bre de réflexes com­muns (dans une cer­taine mesure évi­dem­ment). C’est une façon comme une autre d’assu­rer une cer­taine pré­vi­si­bi­lité des déci­sions.

Il est frap­pant de voir à cet égard que le monde poli­ti­que ignore tota­le­ment cette ques­tion, qui pour­tant expli­que lar­ge­ment le cli­vage impor­tant exis­tant entre le monde poli­ti­que et le monde judi­ciaire. Peut-être devrait-on ins­tau­rer un sys­tème simi­laire à celui des Amé­ri­cains ? Nos juges y gagne­raient peut être en légi­ti­mité, les hom­mes poli­ti­ques seraient con­duits aussi à s’inter­ro­ger sur ce qu’ils atten­dent d’un bon juge… Tou­tes sor­tes de réflexions qui font actuel­le­ment défaut chez nous.

Délit de solidarité : Éric Besson marque un point

Le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Rodez a relaxé aujourd’hui le Gui­néen pour­suivi pour avoir hébergé un com­pa­triote.

Éric Bes­son va pou­voir se pava­ner en disant qu’il avait rai­son, que ce délit n’existe pas puis­que la jus­tice a relaxé. Après avoir dit en son temps que cette affaire était plus large qu’une sim­ple aide au séjour, ce qui était faux, comme d’habi­tude.

Je n’ai pas les atten­dus du juge­ment, mais il sem­ble­rait (atten­tion, je sup­pute beau­coup) que la relaxe soit due au fait que l’étran­ger hébergé était en ins­tance de régu­la­ri­sa­tion, puisqu’il a eu sa carte de séjour le 22 juin (source : La Dépê­che).

Le tri­bu­nal a pu esti­mer que la carte de séjour n’était pas créa­trice de droit mais cons­ta­tait un droit au séjour pré-exis­tant, qu’elle ne fait que maté­ria­li­ser (en droit, on dit qu’elle est décla­ra­tive et non cons­ti­tu­tive). Le rai­son­ne­ment se tient s’il s’agit d’une carte vie pri­vée et fami­liale (art. L.313-11 du CESEDA).

Dès lors, le fait que le Gui­néen n’ait pas eu de carte ne carac­té­ri­sait pas le séjour irré­gu­lier mais n’était que la con­sé­quence des délais de déli­vrance du titre.

Rap­pe­lons que le par­quet avait requis 5 mois de pri­son avec sur­sis.

Le Général Sabroclère

Il était une fois en Répu­bli­que Bold­zare un géné­ral, le géné­ral Sabro­clère, qui arriva au pou­voir en pro­met­tant de faire de l’armée de son pays sa pre­mière prio­rité, car comme tout homme poli­ti­que, il n’avait que des prio­ri­tés, ce qui l’obli­geait à les numé­ro­ter pour dis­tin­guer tou­tes ces cho­ses qui pas­sent en pre­mier.

Sa pre­mière idée fut de rem­plir les caser­nes. Il demanda à ses ser­gents recru­teurs de faire un effort sur la cons­crip­tion, sur­tout auprès des jeu­nes, et fit voter une loi qui déci­dait que ceux qui avaient déjà fait leur ser­vice seraient obli­gés d’en faire un autre plus long, de plu­sieurs années au mini­mum.

Très vite, l’État major lui signala que les caser­nes étaient déjà plei­nes, et plu­tôt vétus­tes. De plus, il n’y pas assez d’adju­dants pour s’occu­per de ces recrues, ni assez d’armes pour les équi­per, puis­que le Géné­ral Sabro­clère avait repris à son compte la tra­di­tion de ne jamais accor­der un Dra­zi­bule (la mon­naie bold­zare) de plus au bud­get de l’armée ; car une armée trop puis­sante pour­rait fomen­ter des coups d’État.

À toute demande de Dra­zi­bu­les, le grand Chan­ce­lier répon­dait : « Ce n’est pas une ques­tion de moyens, mais de méthode », avant de recom­man­der des cais­ses de cham­pa­gne pour son pro­chain cock­tail.

« Qu’importe, répon­dit donc le Géné­ral en haus­sant les épau­les dans la plus grande tra­di­tion bold­zare, l’inten­dance sui­vra ».

Au bout de quel­ques années, l’Ins­pec­tion Géné­rale des Armés Bold­zare ren­dit un rap­port cons­ta­tant que 82.000 recrues atten­daient encore leur ordre d’incor­po­ra­tion, alors que les caser­nes ne comp­tent que 53.000 lits dans les cham­brées (et déjà, en en fai­sant dor­mir par terre, on arri­vait à incor­po­rer 63.000 recrues, sans comp­ter les 5000 qui fai­saient un ser­vice civil).

Cela ren­dit furieux le Géné­ral Sabro­clère qui semonça la Grande Cham­bres des Accla­ma­tions, assem­blée char­gée d’applau­dir le Géné­ral quand il lui en pre­nait l’envie.

Devant la Cham­bre des Accla­ma­tions, il déclara de son ton le plus mar­tial :

« Com­ment peut-on par­ler d’Armée quand 82.000 recrues atten­dent leur ordre d’incor­po­ra­tion ? »

La grande Chan­ce­lière annonça que face à cette situa­tion désas­treuse, elle allait rédi­ger des ins­truc­tions adres­sés aux colo­nels et chefs de corps pour leur indi­quer des bon­nes pra­ti­ques per­met­tant d’incor­po­rer plus de sol­dats, le tout sans ache­ter un seul fusil. Il suf­fi­sait d’ins­crire deux noms par ligne sur les cahiers d’incor­po­ra­tion, de faire dor­mir la moi­tié des sol­dats le jour et l’autre moi­tié la nuit, et de faire en sorte qu’un sol­dat tienne le canon du fusil pour viser tan­dis que le second tien­drait la crosse et serait en charge de pres­ser la queue de détente pour faire feu.

Ce fut ce jour là que la Cham­bre des Accla­ma­tions se révolta et face à un tel niveau d’incon­sé­quence, chassa le Géné­ral Sabro­clère en lui lan­çant à la figure les compte-ren­dus de séance reliés en cuir de vachette depuis 1873 à nos jours.

Ce conte trouve un écho dans notre actua­lité, avec dans le rôle du Géné­ral Sabro­clère, le pré­si­dent Sar­kozy, dans celui de la grande chan­ce­lière, Madame Alliot-Marie, dans celui de l’armée bold­zare la jus­tice fran­çaise et dans celui de la Cham­bre des Accla­ma­tions se révol­tant… Per­sonne.

« Com­ment peut-on par­ler de jus­tice quand il y a 82 000 pei­nes non exé­cu­tées parce qu’il n’y a pas de pla­ces dans les pri­sons ? » Le chif­fre avait été annoncé par Nico­las Sar­kozy, devant le Con­grès de Ver­sailles, le 22 juin. Il est tiré d’un rap­port de l’ins­pec­tion géné­rale des ser­vi­ces judi­ciai­res du mois de mars, que la minis­tre de la jus­tice et des liber­tés, Michèle Alliot-Marie devait dif­fu­ser aux magis­trats, mardi 21 juillet.

Face à cette situa­tion, qu’annonce le gou­ver­ne­ment ? Va-t-on recru­ter des juges d’appli­ca­tion des pei­nes, cons­truire des éta­blis­se­ments sup­plé­men­tai­res et réno­ver les tau­dis qui en font office, pour résor­ber un stock tel que si on ne met­tait plus per­sonne ne pri­son, un an ne serait pas suf­fi­sant pour l’absor­ber ?

Ou bien…

Mme Alliot-Marie, en rece­vant les chefs de cour, lundi 20 juillet, a indi­qué qu’elle adres­se­rait “une cir­cu­laire recen­sant les bon­nes pra­ti­ques qui peu­vent être mises en œuvre sans délai”.

Les Bold­za­res ont plus de chance que nous.

mardi 21 juillet 2009

Quelques mots sur l'affaire Orelsan

Ça me déman­­geait depuis quel­­ques mois de par­­ler de cette affaire. Sa nou­­velle jeu­­nesse cha­­ren­­taise m’en four­­nit l’occa­­sion.

Ainsi, les Tar­­tuf­­fes sont lâchés de nou­­veau, et encore une fois, une liberté fon­­da­­men­­tale est fou­­lée du pied au nom des meilleu­­res cau­­ses. Et vous êtes priés d’applau­­dir.

Vous ne con­­nais­­sez pro­­ba­­ble­­ment pas Auré­­lien Coten­­tin. C’est un chan­­teur de rap, qui a pris le nom de scène d’Orel­­san. Il a sorti au début de l’année son pre­­mier album, Perdu d’avance.

Le rap est une forme d’expres­­sion artis­­ti­­que appa­­rue aux États-Unis au début des années 80, même si ses raci­­nes remon­­tent au blues. Il a évo­­lué avec le temps mais aujourd’hui pri­­vi­­lé­­gie un style décla­­ma­­toire plus que chanté, mais sur un rythme mar­­telé se mariant à une musi­­que où la part belle est faite aux per­­cus­­sions. La musi­­que est véri­­ta­­ble­­ment un sim­­ple sup­­port du texte qui est l’élé­­ment cen­­tral. L’impro­­vi­­sa­­tion est une tech­­ni­­que que se doit de maî­­tri­­ser tout rap­­peur qui se res­­pecte. C’est une musi­­que popu­­laire au sens pre­mier du terme car elle ne néces­­site pas de savoir par­­ti­­cu­­liè­­re­­ment bien chan­­ter ni jouer d’un ins­­tru­­ment (le rap uti­­lise abon­­dam­­ment des musi­­ques déjà exis­­tan­­tes dont cer­­tai­­nes phra­­ses sont extrai­­tes pour être sam­­plées c’est-à-dire tour­­ner en bou­­cle sur le fond ryth­­mi­­que pour don­­ner à la chan­­son un cachet uni­que.

Voici trois exem­­ples de chan­­sons repri­­ses dans des chan­­sons de rap, ladite chan­­son la sui­­vant immé­­dia­­te­­ment. Mon­­tez le son, c’est les vacan­­ces. Notez comme les per­cus­sions pren­nent le des­sus dans Walk This Way, par rap­port aux gui­ta­res de la ver­sion rock.

L’aspect musi­cal étant secon­daire, ce qui en veut pas dire qu’il est négligé, le rap se con­cen­tre donc sur les paro­les. Oui, le rap, ce sont des chan­sons à texte : cha­que chan­son raconte une his­toire.

S’agis­sant d’une forme popu­laire très à la mode dans ce qu’on appelle « les ban­lieues » pour ne pas se deman­der ce que c’est exac­te­ment, ces chan­sons racon­tent des his­toi­res de ces quar­tiers dif­fi­ci­les où il fait bon ne pas vivre, avec les mots des per­son­nes y ayant grandi. Et dans les ver­sions se vou­lant les plus dures, on y parle en mots crus dro­gue et vio­lence, on n’y aime pas la police, et on est obsédé par le sexe. Mais tout y est rap­port de force, comme dans la vie quo­ti­dienne de ces vil­les, y com­pris l’amour. Con­fes­ser ses sen­ti­ments, c’est con­fes­ser sa fai­blesse. Alors l’amour y est com­bat, et ven­geance quand il prend fin. Le rap est sexiste, sans nul doute. Mais il n’est, comme tout art, que le reflet de la vie. Et sur­tout, sur­tout, le rap repose sur de la pro­vo­ca­tion. Il faut être le pre­mier à dire les pires cho­ses pour se faire cette répu­ta­tion de mau­vais gar­çon qui seul assu­rera le res­pect et le suc­cès du groupe auprès des “vrais” fans. MC Solaar, s’il fait dan­ser aux Plan­ches, fait rica­ner à Gri­gny.

Reve­nons-en à Orel­san. Son album con­tient une chan­son qui va faire scan­dale, vous allez aisé­ment com­pren­dre pour­quoi. Elle est inti­tu­lée “Sale Pute”. Le thème est sim­ple : un gar­çon qui aimait une fille décou­vre acci­den­tel­le­ment qu’elle le trompe et l’amour se trans­forme en haine. Sha­kes­peare a traité ce thème dans Othello, sauf que la trom­pe­rie était ima­gi­naire, mais elle abou­tit à la mort. 

Rien de tel ici, le chan­teur débite une logor­rhée d’impré­ca­tions à l’encon­tre de la belle volage. Les paro­les sont crues, bru­ta­les et vio­len­tes. Vous pou­vez écou­ter ici, vous êtes pré­ve­nus.

Je recon­nais que ce n’est pas du Ron­sard. Cela dit, une rap­peuse se pré­ten­dant celle visée par la chan­son a mon­tré qu’elle pou­vait répon­dre sur le même regis­tre, ce qui cette fois fait applau­dir les Chien­nes de gar­des. Comme quoi ce n’est pas un pro­blème de mots, mais de camp.

Je ne sais com­ment un dis­que de rap a atterri sur les pla­ti­nes d’âmes aussi bon­nes que sen­si­bles, mais ce texte a déchaîné des pas­sions. Sur inter­net, chez nom­bre de blogs fémi­nis­tes, avec appel à péti­tion auprès du Prin­temps de Bour­ges, ou Orel­san devait se pro­duire, polé­mi­que reprise par des poli­ti­ques, Chris­tine Alba­nel, minis­tre de la cul­ture, dont on sait l’amour pour la liberté d’expres­sion, Marie-Geor­ges Buf­fet, pre­mier secré­taire du Parti Com­mu­niste qui lui aussi s’est illus­tré sur ce front, et Valé­rie Létard, secré­taire d’État à la soli­da­rité, qui a appelé les plate-for­mes de vidéo en ligne à la « res­pon­sa­bi­lité », façon de dire qu’elle ne pren­drait pas les sien­nes, en leur deman­dant d’ôter ce clip. Dieu merci, elle n’a pas été écou­tée.

Orel­san a tenté de désa­mor­cer la polé­mi­que, en publiant un com­mu­ni­qué apai­sant :

cette œuvre de fic­tion a été créée dans des con­di­tions très spé­ci­fi­ques rela­ti­ves à une rup­ture sen­ti­men­tale” : “En aucun cas ce texte n’est une let­tre de mena­ces, une pro­messe de vio­lence ou une apo­lo­gie du pas­sage à l’acte, pour­suit le com­mu­ni­qué. Cons­cient que cette chan­son puisse heur­ter, Orel­san a décidé il y a quel­ques mois de ne pas la faire figu­rer dans son album ni dans ses con­certs, ne sou­hai­tant l’impo­ser à per­sonne”.

Hélas, il en va en poli­ti­que comme dans les ban­lieues, un aveu de fai­blesse déclen­che la curée. On pou­vait faire ployer ce jeune homme mal élevé ? Nul besoin d’enga­ger une hasar­deuse action en jus­tice, tous les moyens sont bons pour par­ti­ci­per au triom­phe du poli­ti­que­ment cor­rect. Ultime épi­sode : Ségo­lène Royal qui fait pres­sion sur le fes­ti­val des Fran­co­fo­lies de la Rochelle, avec sem­ble-t-il un chan­tage aux sub­ven­tions sur la direc­tion, la pré­si­dente de la région mena­çant de remet­tre en cause les 400.000 euros de sub­ven­tions annuel­les que la région verse au fes­ti­val si le rap­peur s’y pro­dui­sait. Vous aurez noté qu’Orel­san avait d’ores et déjà retiré cette chan­son de son réper­toire : il était donc hors de ques­tion que le chan­teur chan­tât cette chan­son. Peu importe, tout comme il importe peu que ce chan­tage aux sub­ven­tion excède les pou­voirs de la pré­si­dente en ce que le pou­voir bud­gé­taire appar­tient au Con­seil Régio­nal. Quand on veut cen­su­rer, qu’importe le res­pect dû à la loi.

Et la polé­mi­que entre pro- et anti-Orel­san fait rage.

Alors que les cho­ses soient clai­res. Cette polé­mi­que, je me refuse à y par­ti­ci­per.

Parce qu’il n’y en a pas. Ce qui s’est passé porte un nom : la cen­sure. C’est inac­cep­ta­ble, et je ne vois pas quel argu­ment par­vien­drait à me con­vain­cre que la liberté d’expres­sion serait réservé à un art approuvé, un art offi­ciel. Dès lors, ce qu’il chante m’est indif­fé­rent.

Orel­san est un chan­teur. Qu’il chante ce qu’il sou­haite. Ça ne vous plaît pas ? À moi non plus. Per­sonne ne vous oblige à l’écou­ter. Rien ne vous auto­rise à le con­train­dre à se taire.

Inter­dire un chan­teur, ça s’est déjà vu. On trouve tou­jours d’excel­len­tes rai­sons pour le faire. Boris Vian s’est vu empê­cher de chan­ter sa chan­son le Déser­teur. Bras­sens a scan­da­lisé avec son gorille qui sodo­mise un juge. Aujourd’hui, tous les magis­trats chan­ton­nent cette chan­son en pouf­fant en ima­gi­nant leur pre­mier pré­si­dent ou leur pro­cu­reur géné­ral entre les pat­tes du pri­mate.

— Mais Orel­san n’est pas Vian ou Bras­sens, me dira-t-on.

Je ne le crois pas non plus, mais la ques­tion n’est pas là. La liberté d’expres­sion n’est pas sou­mise à une con­di­tion de mérite de l’œuvre. Mérite qui était nié à Bras­sens et à Vian en leur temps, d’ailleurs. La nou­veauté est que cette fois, c’est l’État décen­tra­lisé qui est inter­venu pour obte­nir cette cen­sure alors que Vian, c’était des anciens com­bat­tants agis­sants de leur pro­pre chef, avec une pas­si­vité com­plice des auto­ri­tés. En ce sens, ce qui se passe est pire encore.

— Mais ses paro­les sont dis­cri­mi­na­toi­res et appel­lent à la vio­lence con­tre les fem­mes, ajou­tera-t-on.

Ah ? Mais alors, por­tez plainte, c’est un délit. Allez en jus­tice, obte­nez sa con­dam­na­tion. Mais non, per­sonne ne le fera, car la vérité est que ces paro­les ne tom­bent pas sous le coup de la loi. Il ne dit pas que tou­tes les fem­mes sont des sales putes, mais que la copine ima­gi­naire du per­son­nage tout aussi ima­gi­naire qui chante en est une car elle le trompe. Et tout le monde se sou­vient des déboi­res de l’ancien minis­tre de l’inté­rieur qui a tenté de faire con­dam­ner Hamé, chan­teur du groupe La Rumeur qui avait accusé la police de se livrer à des vio­len­ces. Un fiasco : relaxe, con­fir­mée en appel, sous les applau­dis­se­ments de la cour de cas­sa­tion. Les poli­ti­ques ont com­pris qu’il ne fal­lait pas comt­per sur les juges pour se prê­ter à ces bas­ses-œuvres.

— Eh bien pour légal que ce soit, ça n’en est pas moins scan­da­leux.

Oui, c’est le but. Et d’ailleurs, en cher­chant un peu, vous trou­ve­rez pire (à tout point de vue). Le groupe TTC par exem­ple. Les chan­teu­ses de rap ne sont pas en reste, Yelle ayant connu un grand suc­cès en répon­dant à Cui­zi­nier, chan­teur du groupe TTC sus-nommé. Un grand moment de poé­sie.

Cui­zi­nier avec ton petit sexe entoure de poils roux
Je n’arrive pas a croire que tu puis­ses croire qu’on veuille de toi
Je n’y crois pas même dans le noir, même si tu gar­des ton pyjama
  Mêmesi tu gar­des ton pei­gnoir, en forme de tee-shirt rin­gard
Garde ta che­mise ça limi­tera les dégâts bataaaaaaaard


Je veux te voir
Dans un film por­no­gra­phi­que
En action avec ta bite
Forme pota­toes ou bien fri­tes
Pour tout savoir
Sur ton ana­to­mie
Sur ton cou­sin Teki
Et vos acces­soi­res feti­ches

Rin­gard, bataaaaaaard, bite, frite : les rimes sont pau­vres.

Le rap, c’est ça aussi. Pas seu­le­ment ça, mais ça en fait par­tie. Et je prie pour que ceux qu’Orel­san épou­vante ne décou­vrent jamais l’exis­tence du Death Metal.

Per­sonne n’est obligé d’écou­ter, nul n’a à inter­dire.

Car c’est quel­que chose qu’on ne répé­tera jamais assez. La liberté d’expres­sion est tou­jours la pre­mière atta­quée, parce que c’est la plus fra­gile. Il y a tou­jours une bonne cause qui jus­ti­fie que ÇA, non, déci­dé­ment, on ne peut pas le lais­ser dire. Le res­pect dû aux morts tués à l’ennemi, le res­pect dû à la jus­tice, le res­pect dû à la femme. Tout ça, ça l’emporte sur le res­pect dû à la liberté, cette sale pute. Et les attein­tes qu’elle a d’ores et déjà subies, au nom de cau­ses infi­ni­ment nobles (comme la lutte con­tre le néga­tio­nisme), me parais­sent déjà exces­si­ves.

Lais­sez tom­ber Orel­san, et un jour, c’est votre dis­cours qui déran­gera.

Les Révo­lu­tion­nai­res l’ont dit il y a pres­que 220 ans jour pour jour :

La libre com­mu­ni­ca­tion des pen­sées et des opi­nions est un des droits les plus pré­cieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc par­ler, écrire, impri­mer libre­ment, sauf à répon­dre de l’abus de cette liberté, dans les cas déter­mi­nés par la Loi.

Ils l’ont écrit à une épo­que où tout texte, pour paraî­tre et être repré­senté publi­que­ment, devait au préa­la­ble être approuvé par le Roi. C’est cette auto­ri­sa­tion qui s’appe­lait la Cen­sure. Et c’est exac­te­ment cela que ce com­por­te­ment vise à réta­blir. Alors peut-être que des fémi­nis­tes, des mili­tants des droits des fem­mes trou­ve­ront que leur cause, qui est bonne, est tel­le­ment bonne qu’elle jus­ti­fie ce réta­blis­se­ment.

Qu’ils sachent qu’ils me trou­ve­ront tou­jours sur leur che­min pour leur bar­rer la route. Aux côtés d’Orel­san.

À con­di­tion qu’il ne chante pas.

lundi 20 juillet 2009

Les anti-inflammatoires permettent-ils de voir des jeunes filles nues ?

La Cour Suprême se pen­che par­fois sur des ques­tions fon­da­men­ta­les, sans mau­vais jeu de mot. L’une d’entre elles est celle de la pri­vacy, mal tra­duit par “vie pri­vée”, le con­cept de pri­vacy étant plus large que cela. Il s’agit du droit reconnu à tout indi­vidu de gar­der secret ce qui la con­cerne, et de ne révé­ler publi­que­ment ou aux auto­ri­tés que ce qu’elle veut bien révé­ler, sans pou­voir être forcé de révé­ler plus. Cela inclut notre vie pri­vée, mais aussi l’inté­grité cor­po­relle et le patri­moine (la per­qui­si­tion, la réqui­si­tion d’un bien est une atteinte à la pri­vacy). 

Ce droit est con­sa­cré par le Qua­trième amen­de­ment à la Cons­ti­tu­tion des États-Unis.

Le droit des citoyens d’être garan­tis dans leurs per­sonne, domi­cile, papiers et effets, con­tre les per­qui­si­tions et sai­sies non moti­vées ne sera pas violé, et aucun man­dat ne sera déli­vré, si ce n’est sur pré­somp­tion sérieuse, cor­ro­bo­rée par ser­ment ou décla­ra­tion solen­nelle, ni sans qu’il décrive avec pré­ci­sion le lieu à fouiller et les per­son­nes ou les cho­ses à sai­sir.

Quand, dans nos séries pré­fé­rées, un citoyen refuse d’ouvrir la porte à un poli­cier qui n’aurait pas « un man­dat » (search war­rant), il invo­que le Qua­trième amen­de­ment. Le poli­cier ne peut en effet entrer de force que pour des rai­sons ne souf­frant pas dis­cus­sion (cris d’au secours, coups de feu, tra­ces de sang récen­tes…), ou si un juge l’y a au préa­la­ble auto­risé, en déli­mi­tant stric­te­ment les lieux à fouiller et les cho­ses recher­chées. Il existe l’équi­va­lent de notre enquête de fla­grance, si le poli­cier a pu cons­ta­ter de l’exté­rieur l’exis­tence d’une infrac­tion sur le point, en train ou venant de se réa­li­ser, qui auto­rise aussi son inter­ven­tion. Le juge amé­ri­cain exerce un con­trôle de pro­por­tion­na­lité et de néces­sité de la mesure, qui ne s’appli­que pas qu’aux poli­ciers mais à toute per­sonne exer­çant une par­celle de l’auto­rité publi­que. Comme les ensei­gnants.

Là encore, on voit com­ment les rédac­teurs de la Cons­ti­tu­tion ont eu le souci cons­tant de pro­té­ger les géné­ra­tions à venir des abus pos­si­bles de l’auto­rité, y com­pris celle con­fiée aux États et à l’État fédé­ral. S’il est un point résu­mant toute la dif­fé­rence cul­tu­relle entre la France et les États-Unis, c’est bien celui-là : les amé­ri­cains ont com­pris depuis le début que l’État était un tyran poten­tiel et ont voulu s’en pro­té­ger, tan­dis que les Fran­çais le voient comme le gar­dien de l’inté­rêt géné­ral, expres­sion de la majo­rité et qui ne peut donc mal faire. Hob­bes con­tre Rous­seau. La leçon de 1941 n’ayant que peu servi, les droits indi­vi­duels s’effa­cent dans notre tra­di­tion face à la puis­sance de l’État. Heu­reu­se­ment, nous avons l’Europe qui a intro­duit ces pro­tec­tions indi­vi­duel­les face à la puis­sance de l’Auto­rité dans notre droit.

Et c’est sans se dou­ter qu’elle allait être plu­tôt bru­ta­le­ment con­fron­tée à cette ten­dance à la tyran­nie de celui qui a une par­celle d’auto­rité que la jeune Savana Red­ding, alors âgée de 13 ans, s’est ren­due à son cours de math du col­lège public de Saf­ford, 8900 habi­tants, dans le Comté de Gra­ham, Ari­zona, (c’est ce bâti­ment-là)ce jour d’octo­bre 2003.

Le règle­ment de l’école est plu­tôt rigou­reux. Sur la liste des cho­ses inter­di­tes dans l’enceinte de l’éta­blis­se­ment se trou­vent divers objets parmi les­quels, je ne sais pour­quoi, les anti-inflam­ma­toi­res, qu’ils soient sur ordon­nance (pres­crip­tion drug) que sans ordon­nance (over-the-coun­ter). Je sais que l’anglais uti­lise le même mot pour les médi­ca­ments et les dro­gues (je ne dis pas que c’est à tort), mais tout de même, si un phar­ma­cien ou un méde­cin pou­vait m’expli­quer pour­quoi, il me paie­rait de ma peine. 

Au beau milieu du cours, l’assis­tant du prin­ci­pal du col­lège, Kerry Wil­son, fit irrup­tion et demanda à Savana Red­ding de le sui­vre dans son bureau. Là, on lui pré­senta un orga­ni­seur lui appar­te­nant (une sorte de gros agenda se fer­mant par une fer­me­ture-éclair) con­te­nant divers objets pro­hi­bés par le règle­ment de l’école : cou­teaux, mar­queur indé­lé­bile, bri­quets, et, hor­resco refe­rens, une ciga­rette. Inter­ro­gée sur ces objets, elle déclara que l’orga­ni­seur lui appar­te­nait bien mais qu’elle l’avait prêté il y a quel­ques jours à une amie, Marissa Gli­nes. Elle nia que ces objets fus­sent siens. 

L’assis­tant du prin­ci­pal sor­tit alors les élé­ments les plus acca­blants : 4 pilu­les d’Ibu­pro­fène® 400mg (anti-inflam­ma­toire vendu uni­que­ment sur ordon­nance) et une de Naproxène® 200mg, un anti-inflam­ma­toire vendu sans ordon­nance, médi­ca­ments dont la déten­tion est inter­dite sans auto­ri­sa­tion préa­la­ble de la direc­tion de l’éta­blis­se­ment. Kerry Wil­son informa alors Savana Red­ding que des sour­ces con­fi­den­tiel­les (vous ver­rez plus loin les­quel­les) l’avait informé que Savana Red­ding dis­tri­bue­rait ces pillu­les dans l’éta­blis­se­ment. Ce que Savanna Red­ding nia farou­che­ment. Kerry Wil­son lui demanda si elle accep­tait que l’on fouillât ses affai­res per­son­nel­les, ce qu’elle accepta. Kerry Wil­son appela alors une assis­tante admi­nis­tra­tive, Helen Romero, et tous deux fouillè­rent le sac à dos de Savana, sans rien trou­ver.

Notons d’ores et  déjà que jusqu’à pré­sent, une jeune fille de 13 ans est seule con­fron­tée à des adul­tes, sans que ses repré­sen­tants légaux (c’est ainsi que les juris­tes appel­lent les parents) ne soient infor­més. Il est per­mis de tiquer (mais vous ver­rez qu’à ce stade, le juge amé­ri­cain ne fron­cera pas les sour­cils). Mais l’affaire va pren­dre un tour pro­pre­ment incroya­ble.

En effet, Kerry Wil­son ne va pas s’avouer vaincu. Il va ordon­ner à Helen Romero de con­duire Savana chez l’infir­mière de l’école pour qu’elle fouillât ses vête­ments. Savana Red­ding dut donc, en la pré­sence cons­tante d’Helen Romera et de l’infir­mière Peggy Sch­wal­lier (mais hors la pré­sence de Kerry Wil­son pour des rai­sons qui vont être de plus en plus évi­den­tes), ôter sa veste, ses chaus­set­tes, et ses chaus­su­res. Lais­sée ainsi en t-shirt et pan­ta­lon “stretch” (donc sans la moin­dre poche), elle atten­dit que les deux fem­mes eus­sent fini d’exa­mi­ner ses vête­ments. Chou blanc. Déci­dé­ment têtues, les deux fem­mes lui firent ôter son pan­ta­lon, son t-shirt, et ne trou­vant tou­jours rien, son sou­tien-gorge, qu’elle dut tenir à bout de bras et secouer, puis lui firent tirer sur l’élas­ti­que de sa culotte, révé­lant ainsi sa poi­trine et sa région pel­vienne. Aucune pilule ne fut décou­verte.

April Red­ding, la mère de Savana, fut d’une grande modé­ra­tion dans son appro­ba­tion de la chose, et pour­sui­vit aus­si­tôt en jus­tice l’école, Wil­son, Romero et Sch­wal­lier (Ah, la Sainte femme…), pour vio­la­tion du Qua­trième amen­de­ment (donc com­pé­tence du juge fédé­ral). La Cour de Dis­trict rejeta la plainte de madame Red­ding, esti­mant qu’il n’y avait pas eu vio­la­tion du Qua­trième amen­de­ment du fait de l’Immu­nité Qua­li­fiée (Qua­li­fied Immu­nity), excep­tion (au sens juri­di­que de moyen de défense) qui exo­nère de leur res­pon­sa­bi­lité des per­son­nes inves­ties de l’auto­rité publi­que ou char­gée d’une mis­sion de ser­vice publi­que qui auraient violé les droits cons­ti­tu­tion­nels d’une per­sonne, si une per­sonne rai­son­na­ble (rea­son­na­ble per­son) n’aurait pas dans la même situa­tion réa­lisé cette illé­ga­lité, ce qui est exclu quand le droit pro­té­geant la per­sonne fouillée est clai­re­ment éta­bli. Les juris­tes recon­naî­tront ici une appré­cia­tion in abs­tracto, la rea­son­na­ble per­son de nos amis amé­ri­cains n’étant autre que notre bonus pater fami­lias.

En appel, la cour d’appel fédé­rale con­firma ce rejet en for­ma­tion res­treinte (panel, com­posé de trois juges), qui fut porté devant la for­ma­tion plé­nière (en banc). Atten­tion, vous allez décou­vrir le rai­son­ne­ment gigo­gne qu’affec­tion­nent les juges amé­ri­cains.

La for­ma­tion plé­nière appli­qua le test en deux éta­pes fixé par la juris­pru­dence de la cour suprême : Sau­cier v. Katz, 533 U. S. 194, 200 (2001). D’abord, la fouille était-elle illé­gale ? Ensuite, cette illé­ga­lité était-elle évi­dente ?

Sur l’illé­ga­lité, oui, répond la cour, au regard des cri­tè­res de fouille des élè­ves des éco­les fixés par l’arrêt New Jer­sey v. T. L. O., 469 U. S. 325 (1985). Cet arrêt de 1985 a posé le prin­cipe que le droit des école de main­te­nir l’ordre était une cause légi­time pou­vant l’empor­ter que le droit à la pri­vacy, donc que la direc­tion pou­vait effec­tuer une fouille sans man­dat de jus­tice à con­di­tion que soit rem­pli… un test en deux éta­pes. Il faut l’école ait une sus­pi­cion rai­son­na­ble (rea­son­na­ble sus­pi­cion), carac­té­ri­sée par (1) le fait que l’action était jus­ti­fiée dès son début (une fouille ne sau­rait être jus­ti­fiée par le fait qu’elle a per­mis de décou­vrir quel­que chose) et (2) que la fouille était pro­por­tion­nelle aux cir­cons­tan­ces ayant jus­ti­fié cette cette fouille à son com­men­ce­ment. Ici, selon la cour d’appel, si l’orga­ni­seur jus­ti­fiait la fouille, le carac­tère pro­por­tion­nel fai­sait défaut 

Cette fouille était illé­gale, mais la direc­tion en avait-elle cons­cience ?
Oui, répond encore la cour d’appel, esti­mant qu’ici, il était clai­re­ment éta­bli que le droit à la pri­vacy de la col­lé­gienne s’oppo­sait à une telle fouille. Motif un peu vague, me direz-vous à rai­son ,ce qui expli­que que l’affaire soit remon­tée à la Cour Suprême.

Et la Cour a sta­tué le 25 juin der­nier, dans un arrêt Saf­ford Uni­fied School Dis­trict #1, et al, v April Red­ding, 557 U. S. ____ (2009) (pdf), en con­fir­mant que la fouille était illé­gale. 

La cour com­mence par recon­naî­tre que le règle­ment de l’école, aussi strict soit-il, est légal et sensé : les ensei­gnants ne sont pas des phar­ma­ciens, ne peu­vent recon­naî­tre des médi­ca­ments, et l’effet de sub­stan­ces acti­ves sur des orga­nis­mes juvé­ni­les ne sont pas ano­dins. Sans par­ler de la pro­hi­bi­tion des armes, du tabac ou du mar­queur indé­lé­bile, qui sert plus à dégra­der qu’à s’expri­mer.

Puis elle va entrer dans les détails de ce qui s’est passé ce jour funeste. C’est sur dénon­cia­tion d’un élève ayant été malade après avoir pris une pilule que lui a remis Marissa Gli­nes que Kerry Wil­son a mené son enquête. Il a fait appe­ler Marissa Gli­nes hors de sa classe et a saisi l’orga­ni­seur qui était en sa pos­ses­sion, avec les objets que nous avons vu. Il a ensuite con­vo­qué Marissa Gli­nes et, en pré­sence d’Helen Romero, lui a fait vider ses poches. Où furent décou­ver­tes les pilu­les d’Ibu­pro­fène (blan­ches) et une de Naproxène (bleue), et une lame de rasoir. Kerry Wil­son demanda à Marissa Gli­nes qui lui avait donné cette pilule bleue. Marissa répon­dit qu’elle avait dû se glis­ser avec cel­les qu’elle lui avait don­nées. Qui est ce “elle”, demanda Wil­son ? Savana Red­ding répon­dit Marissa Gli­nes (qui elle aussi subit une fouille cor­po­relle qui ne donna rien. 

La Cour va cons­ta­ter que c’est sur la foi de ce seul témoi­gnage, sans ques­tions plus pous­sées pour savoir s’il y avait une pro­ba­bi­lité que Savana Red­ding eût en sa pos­ses­sion actuelle d’autres pilu­les pro­hi­bées, et après qu’une fouille de ses affai­res per­son­nel­les n’ait rien donné, que Kerry Wil­son va ordon­ner qu’il soit pro­cédé à la fouille cor­po­relle.

Or si cette fouille du sac à dos et des vête­ments était jus­ti­fiée aux yeux de la Cour vu les élé­ments en la pos­ses­sion des auto­ri­tés sco­lai­res et son carac­tère rela­ti­ve­ment peu intru­sif (notez le con­trôle de pro­por­tion­na­lité), ce que d’ailleurs Savana Red­ding n’a jamais con­testé d’ailleurs, la fouille cor­po­relle atteint un tel degré de gra­vité dans l’atteinte à la pri­vacy que la Cour doit invo­quer le test en deux éta­pes de l’arrêt T.L.O. Et la Cour cons­tate que les indi­ces ayant con­duit à déci­der de la mesure, donc sa jus­ti­fi­ca­tion dès le début, étaient lar­ge­ment insuf­fi­sants pour jus­ti­fier une telle atteinte. Non, le fait de lut­ter con­tre le tra­fic d’anti-inflam­ma­toi­res, cette cause fût-elle légi­time, ne per­met pas de con­train­dre une jeune fille mineure à se désha­biller. Cette dis­pro­por­tion carac­té­rise la vio­la­tion du Qua­trième amen­de­ment, par 8 voix con­tre 1 (Seul Cla­rence Tho­mas a dis­con­venu), ce qui en fait un des rares arrêts de cette ses­sion adopté à une large majo­rité.

Cepen­dant, ajoute la cour, la juris­pru­dence con­cer­nant les fouilles sco­lai­res est actuel­le­ment tel­le­ment con­tro­ver­sée qu’on ne peut dire que la loi est clai­re­ment éta­blie en la matière (de fait, la série de tests en deux éta­pes à faire abou­tit à déchi­rer les juges : peut-on deman­der à des ensei­gnants d’être plus sages qu’eux en cette matière très juri­di­que ?). Dès lors, la Cour Suprême accorde l’Immu­nité Qua­li­fiée à l’assis­tant du prin­ci­pal, à l’assis­tante admi­nis­tra­tive et à l’infir­mière sco­laire. Seule l’école est décla­rée res­pon­sa­ble. Un juriste fran­çais dirait que la faute des trois per­son­nels ensei­gnants n’est pas déta­cha­ble du ser­vice.

Cet arrêt, outre le fait qu’il me per­met de faire un titre de billet avec les mots « jeune fille nue » qui va faire beau­coup pour aug­men­ter le nom­bre de visi­teurs clients poten­tiels, trouve un écho en France où le Gou­ver­ne­ment s’inter­ro­geait il y a peu sur la pos­si­bi­lité de créer un corps spé­ci­fi­que d’agents pour fouiller les car­ta­bles des élè­ves, et où des fouilles spec­ta­cu­lai­res ont eu lieu dans le cadre d’opé­ra­tions anti-dro­gue menées par la gen­dar­me­rie, avec des chiens et même des fouilles à corps. Ce que les parents d’élève n’appré­cient guère, et on peut les com­pren­dre. 

La solu­tion fran­çaise, abou­tis­sant à ne pas vou­loir attri­buer de pou­voirs de police aux ensei­gnants (alors que rien ne s’y oppose, et même que les prin­ci­pes géné­raux du droit admi­nis­tra­tif le per­met­tent) et à réser­ver cela à la police abou­tit à un résul­tat plus trau­ma­ti­sant encore pour les élè­ves tout en ren­for­çant une image d’impuis­sance nui­sant à l’auto­rité. Je ne sais pas si elle est due à une résis­tance des ensei­gnants qui ne vou­draient pas de ce pou­voir, ou à un choix de l’État qui veut réser­ver toute coer­ci­tion à la police, au ris­que de dété­rio­rer son image, en sou­li­gnant la répres­sion au détri­ment de la pro­tec­tion qui est pour­tant l’essence de la police. Une solu­tion rai­son­na­ble est cepen­dant dif­fi­cile à trou­ver, les juges amé­ri­cains se déchi­rant eux-même sur l’enca­dre­ment de ce pou­voir de police. Voilà un thème de débat qui méri­te­rait la séré­nité et le dépas­se­ment des cli­va­ges poli­ti­ques. 

Pro­chaine épi­sode de notre rubri­que de droit amé­ri­cain : Hora­tio Caine va-t-il devoir s’ache­ter une cra­vate ?

dimanche 19 juillet 2009

Un petit tour aux "compas"

Sylvie Véran, chroniqueuse judiciaire au Nouvel Observateur et blogueuse (j'ai déjà eu l'occasion de dire combien, pour les chroniqueurs judiciaires, le blog est un complément idéal de leurs articles papiers, la contrainte de place disparaissant), vous propose d'assister à quelques audiences de comparution immédiate à Paris, et pas n'importe lesquelles, celles du 15 16 juillet, qui comme son nom l'indique, est le surlendemain du 14.

Neuf dossiers, neufs trajectoires qui se croisent, fruit du hasard des audiences et des accidents de la vie.

Un petit mot sur le premier dossier : Rachid a dû passer en comparution immédiate la semaine précédente. Il a sagement demandé un délai (de deux à six semaines, art. 397-1 du CPP) pour être jugé vu ce qu'il risque (et encore, il y a une probable récidive, avec peine plancher à la clé). Le tribunal a décidé de le maintenir en détention jusqu'à la date de son jugement, fixée au 30 juillet. Or la détention provisoire est… provisoire. Tout détenu en provisoire a le droit de demander à tout moment sa remise en liberté au juge actuellement en charge du dossier (juge d'instruction, tribunal, cour d'appel…). Il a dû former une demande de remise en liberté dès son arrivée en maison d'arrêt, jugée le 15 juillet. Demande rejetée. Elle n'était pas nécessairement vouée à l'échec (quoi que… Une réitération, peut-être une récidive, 45 jours après être sorti de deux ans de prison, C'est largement suffisant pour que le parquet invoque le risque de réitération) car le prévenu a eu une semaine pour réunir des justificatifs de domicile qu'il n'a pas pu forcément réunir lors de sa première comparution.

Sur le dossier de Zakarias D., je n'ai pas d'élément à vous donner sur ce qui pose problème dans le dossier, désolé. 

Sur David D., il s'en sort très bien avec ses 3 mois fermes. Il aurait pu être condamné à dix ans, avec un minimum théorique de deux ans, et la prison ferme était obligatoire pour le juge. Les peines planchers, dont vous verrez ici le caractère nécessaire et dissuasif. Bienvenue dans le monde réel.

Enfin, sur l'affaire Lamine A., j'aurais été l'avocat, j'aurais plaidé que c'était une citation d'Orelsan. 

Bonne lecture et bon dimanche.

samedi 18 juillet 2009

Brèves du samedi

Quelques suivis d'articles antérieurs.

Rue89 nous apprend que le lycéen qui faisait l'objet de pressions à la légalité douteuse de la part de son proviseur a pu se réinscrire dans son lycée sans condition. Le proviseur a probablement compris qu'il avait tort quand le ministre de l'Éducation nationale, Luc Chatel, l'a soutenu.


Les auditions de Sonia Sotomayor devant le Sénat ont pris fin. Sa confirmation ne fait plus aucun doute : elle n'a pas craqué et n'a pas gaffé. Les auditions ont duré 7 heures par jour durant 4 jours, avec des pauses toutes les deux heures, Sonia Sotomayor étant diabétique insulinodépendante, même si deux seulement ont été consacrés à ouïr l'impétrante. Le premier jour a été consacré aux déclarations préliminaires des sénateurs (en shorter : les démocrates ont dit qu'elle était merveilleuse, et les républicains indignes de ce poste). Mention spéciale au sénateur Lindsey Graham (Républicain, Caroline du Sud), pour une belle leçon de fair play et de réalisme politique alors que ses collègues se plaçaient dans l'opposition à outrance : 

— C'est ici une affaire principalement politique. Ceci étant dit, certains de mes collègues de l'autre bord politique ont voté pour la confirmation des juges Alito ou Roberts sachant que ce n'étaient pas ceux qu'ils auraient choisi. Je saurai m'en souvenir le moment venu. À moins que vous ne craquiez complètement, vous serez confirmée. (…) Je ne sais pas encore comment je vais voter, mais les élections comptent. Et nous avons perdu.

Les points contentieux abordés ont été les suivants : 

Ricci v DeStefano : C'était le point le plus sensible. ce sont donc les démocrates qui l'ont abordé, pour ne pas laisser le plaisir à un sénateur hostile. Sotomayor a répondu qu'elle avait appliqué la jurisprudence existant alors, et que la décision de la Cour Suprême a reviré la jurisprudence en appliquant de nouveaux critères. Sur la question raciale, elle a répondu assez finement que laffaire Ricci n'était pas une affaire de discrimination raciale mais de contestation d'un concours public et de responsabilité de la puissance publique. 

La sage dame hispanique : C'est le seul point sur lequel elle a concédé du terrain, par une retraite prudente. Elle a expliqué avoir voulu faire un jeu de mot sur une phrase du Justice Sandra Day O'Connor selon laquelle un homme sage et une dame sage aboutiraient aux mêmes conclusions sans que leur sexe ne perturbe leur jugement. Elle a reconnu que sa tentative est tombée à plat et a été mal interprétée.

L'avortement : sujet sensible, car c'est un arrêt de la cour suprême Roe v Wade qui a légalisé l'avortement en 1973 aux États-Unis, etla Cour Suprême est actuellement majoritairement conservatrice et pourrait renverser cette jurisprudence. C'est un sujet qui divise également en deux, et donc un terrain idéal pour attaquer l'impartialité. Sotomayor a refusé de prendre position, se réfugiant derrière le respect dû à la loi. Et Roe v Wade fait partie de la loi aujourd'hui, point. Il est à noter que la requérante, qui avait pris le pseudonyme Jane Roe pour protéger son anonymat, était présente dans la salle. Mais elle est depuis devenue une farouche militante anti-avortement, sous son vrai nom de Norma McCorvey. À cinq reprises des militants anti-avortement ont perturbé les auditions en la traitant de tueuse de bébés, dont Norma McCorvey, qui a été expulsée de la salle.

Le Second Amendement : le droit de porter des armes est une question sensible aux États-Unis. Sotomayor a habilement détourné l'entretien sur le terrain de la légitime défense, qu'elle connaît parfaitement, et qui est ourement juridique.

Les juges et la politique : Les républicains lui reprochaient une citation où elle laissait entendre que les juges avaient un rôle politique. Sotomayor a, avec une patience digne d'un chargé de TD de première année, expliqué au sénateur que la jurisprudence des cours supérieures a en effet un rôle créateur de droit (surtout aux États-Unis, où ce sont des arrêts de la cour suprême qui ont institué le contrôle de constitutionnalité, l'avortement, aboli la peine de mort avant de la rétablir) et qu'un sénateur qui s'en émouvrait découvrirait deux siècles de droit américain.

Le vote aura lieu le 21 juillet.

J'en profite pour vos signaler le trajet de Sonia Sotomayor. Née dans une famille pauvre porto-ricaine à New-York, elle a perdu son père à l'âge de neuf ans. Sa mère étudiait dur pour devenir infirmière diplômée, et elle et ses deux enfants travaillaient tous les trois sur la table de la cuisine. Sonia Sotomayor a étudié dans les écoles publiques de son quartier, obtenu une bourse pour Princeton (qu'elle a fini summa cum laude) puis Yale. Elle a travaillé comme procureur à New York, et ses talents l'ont faite passer des dossiers correctionnels aux dossiers criminels en deux ans (elle avait 27 ans). Après un court passage dans le privé, elle est devenue juge fédérale et exerce ces fonctions depuis 17 ans, ce qui en fait une des candidates à la cour suprême parmi les plus expérimentés. Et son frère est devenu médecin. Si Sonia Sotomayor mérite le plus grand respect, j'en dirais au moins autant pour sa mère.


Dans l'affaire Scapin v Géronte, Scapin s'est fendu d'un droit de réponse sur son blog. Je vous signale le billet, sans le reprendre ici car il révèle les noms des intéressés, et je ne souhaite pas participer à la propagation de leur identité sur le net qui n'oublie rien.


Dans l'affaire Fofana, on apprend hier que Youssouf Fofana a fait appel. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour ses co-accusés, mais pas tellement non plus pour la famille d'Ilan Halimi qui va devoir à nouveau subir pendant deux mois ses provocations et ses jets de chaussure. Bon courage aux nombreux confrères qui vont se succéder pour le défendre, Youssouf Fofana ayant eu plus d'avocats que Liz Taylor n'a eu de maris.

En fait, je ne vois pas pour qui c'est une bonne nouvelle. Mon petit doigt me dit que le parquet général de Paris a le blues, n'ayant pas apprécié qu'on lui torde le bras, et qui plus est par un simple coup de fil du directeur des affaires criminelles et des grâces. Je plains l'avocat général d'appel, qui est dans une très mauvaise position pour soutenir un appel dont tout le monde sait qu'il n'était pas souhaité par le parquet.

J'ai fermé les commentaires sous le billet principal. Les commentaires, c'est comme les sushis, c'est bon si c'est frais.


Mon cher ami Éric Besson a commencé sa cure de réalité. S'il ne démord pas que le délit de solidarité n'existe pas, il explique être prêt à modifier légèrement la loi. Encore un effort, Éric, tu y es presque. 

Bon week end.

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