Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 23 avril 2014

Voici une petite anecdote qui date de quelques mois…

Par Maurice, greffier, 21 ans d’ancienneté, affecté au parquet général d’une cour d’appel


Voici une petite anecdote qui date de quelques mois, relative à une procédure de mandat d’arrêt européen qui illustre, à mon sens, le quotidien des greffiers des juridictions françaises.

Une personne recherchée par une autorité étrangère (européenne) est arrêtée dans notre ressort dans le cadre d’une infraction connexe. Il est déféré devant la juridiction compétente.

J’avise le magistrat du parquet général qu’il y aura une possible présentation de la personne à la Cour, dans le prolongement de sa comparution immédiate devant le tribunal. Le magistrat me demande de recueillir le signalement Schengen, de préparer le dossier et tout, et tout…

Le lendemain, je m’inquiète de la décision prise par le tribunal dont je n’ai pas de nouvelle. Là, on m’avise que la personne n’a pas fait l’objet d’un placement en détention et qu’il est donc libre… Enfin… libre, pas vraiment… Il est dans l’attente de sa libération dans les geôles du tribunal. Sur ce, je tente d’aviser “mon” magistrat… que je ne trouve pas. Petite précision, on est vendredi après-midi… J’appelle sur son portable. Je relate la difficulté, il me répond que si la juridiction l’a libéré, c’est tant mieux pour l’intéressé, et qu’il ne le fera pas présenter devant lui. Je lui réponds que c’est délicat, dans la mesure où l’intéressé est toujours sous le coup de la demande d’arrestation de l’autorité étrangère. Et que si on le libère, cette même autorité demandera des comptes à la justice française sur la “disparition” de la personne arrêtée. Il me répond qu’il est déjà en week-end, qu’il est à l’aéroport et qu’il ne va pas revenir pour ça. Et il me laisse avec mon gars… et ma conscience professionnelle !

Sur ce, l’escorte au tribunal me rappelle pour me demander les instructions. Elle ne peut plus attendre, il faut prendre une décision. Le laisser libre ou le retenir ?!

N’ayant pas de magistrat immédiatement sous la main, je prends sur moi de faire retenir l’intéressé par les forces de l’ordre (alors qu’évidemment seul un magistrat a ce pouvoir) et le présenter au parquet général. Entre temps, j’ai trouvé un magistrat à qui j’ai expliqué la situation et qui lui notifiera, un peu plus tard, le mandat d’arrêt européen. Il décidera de l’incarcérer (c’était avant le changement de jurisprudence européenne), décision qui sera confirmée par la Chambre de l’instruction qui ordonnera également la remise de l’intéressé à l’autorité étrangère.

Le récit se termine ainsi un peu abruptement, je reprends la plume pour une brève conclusion. Ce récit, qui n’est pas à la gloire du magistrat intéressé montre le degré qu’atteinte la débrouille et l’improvisation. Ici, la ligne de la légalité est clairement franchie. On atteint le stade où le respect de la loi n’est plus compatible avec le mode normal de fonctionnement des juridictions. On commence à s’inquiéter ou on attend encore un peu ? — NdEolas

Témoignage

Par Colère des Greffes


La colère gronde dans les greffes !!!! pour ma part, je travaille depuis 17 ans au ministère de la justice. Je suis adjoint administratif, mais de part mon contentieux, je suis un faisant-fonction de greffier, cela consiste à la tenue d’audience, permanence week-end, ainsi qu’au responsabilité donnée à un greffier. Ma colère est toute simple, je suis payé à la hauteur de mon grade (adjoint administratif) rémunéré soit 1.450 € alors qu’une personne au grade de greffier dans le même poste que moi est rémunéré 1.850 €.

Il est de coutume aussi que certains de nos magistrat avec qui nous travaillons, n’hésitent pas à la sortie de l’audience à nous dire tout simplement de rédiger et de motiver les décisions (!) en nous précisant quand même “confirmation”, “infirmation” ou “appel sans objet” etc…

Je ne rentrerai non plus dans le débat quant au magistrat de permanence qui oublie trop souvent de prendre son téléphone de permanence pour le week-end, tout en prétextant après prise de contact téléphonique, qu’il l’a tout simplement oublié et, qu’habitant trop loin pour venir récupérer son portable, nous demande gracieusement de bien vouloir prendre son téléphone et de répondre aux sollicitations téléphoniques, en sachant que notre présence le samedi dans la juridiction est indispensable, contrairement à celle du magistrat, mais bien heureusement l’indemnisation pour notre week-end reste bien entendu à la même hauteur que celle du magistrat qui reste bien au chaud chez lui !

Nous parlons de délocalisation des entreprises français pour profiter d’une main d’oeuvre pas chère et bien l’état français, sans délocaliser ses tribunaux, arrive à profiter d’une main d’oeuvre pas chère… Tout en sachant qu’aucune passerelle ou reconnaissance n’est à attendre de notre ministère…. si l’on se pose encore la question de savoir pourquoi les greffes sont en colère, j’espère que mon post aura éclairé certaines personnes…

Cyber-manifestation des greffiers

Par ZusticePourTous


Cher Maître EOLAS,

Comme vous avez souhaité donner la parole à la défense (des greffiers), je ne résiste pas à la tentation de prendre la plume, ou plutôt le clavier, pour vous apporter mon modeste témoignage vu de l’intérieur de ce qu’il est déjà convenu de considérer à mon sens et quel-qu’en soit l’issue, comme une magnifique mobilisation et une belle leçon de démocratie directe.

Ce mouvement est en effet sans précédent de par son originalité : l’appel a été lancé par des collègues (et non par des syndicats) et sur le net avec très vite l’idée de se servir de ce moyen de communication comme une arme.

Dans cette lutte armée, les premiers « pruneaux » sont partis d’Agen (ça ne s’invente pas). Un premier mail d’un collègue faisant part de son agacement de voir se mettre en place une réforme aussi importante visant à mettre en place à la fois un « greffier juridictionnel » aux fonctions élargies (mais pour lequel aucune revalorisation n’était encore chiffrée) et le TPI - tribunal de première instance – destiné à remplacer sous cette seule entité judiciaire toutes les juridictions du premier ressort (Tribunaux d’instance, Conseils de prud’hommes et tribunaux e grande instance) d’un même département.

Ce mouvement d’humeur aurait pu n’avoir que peu de conséquences, si ce mail n’avait pas été adressé … à toutes les juridictions de France via les listes structurelles. Une, puis deux puis trois puis cent réponses à ce mail … Le phénomène s’est rapidement transformé en une chaîne de courriels avec toujours le même objet « la charrue avant les boeufs », avec l’idée suggérée et de plus en plus assumée de vouloir bloquer la messagerie électronique et tout intranet, chacun pouvant recevoir près de 1000 mails par jour. La première cyber-manifestation était née !! Comme l’a dit le syndicat des greffiers de France, « si la justice du XXIème siècle reste à inventer, pour le mouvement social du XXIème c’est fait, les collègues s’en sont chargés ».

Le mouvement commencé un mercredi et que l’on croyait s’éteindre au bout de quelques jours, d’autant plus avec l’arrivée du week-end, s’est néanmoins poursuivi la semaine suivante sans s’essouffler bien au contraire, d’autres chaînes de mails s’ajoutant à celle de la « charrue avant les bœufs », notamment « bordeaux voit rouge », afin d’alimenter les « barricades virtuelles » et afin de contourner les règles de messagerie qui se mettaient en place pour éviter la prolifération des courriels de tous ces grognards de la justice devenus apprentis cyber-pirates.

Le mouvement s’est ainsi installé sur plusieurs semaines dans une joyeuse pagaille désordonnée aux élans soixantuitards (les plus anciens collègues indiquaient d’ailleurs avoir l’impression de faire un bond en arrière dans le temps) jusqu’au moment où le Ministère a décidé de réagir à sa façon : LA CENSURE !!!

Les services informatiques du Ministère ont décidé en effet un lendemain de week-end de purement et simplement censurer tous les mails adressés par les collègues qui tentaient de faire « réponse » à des chaînes de courriels (ceux-ci nous parvenaient donc vidés de leur contenu, absolument vierges).

Cette honteuse manœuvre n’a pas eu l’effet escompté et n’a pas diminué pour autant la colère des collègues qui s’est exprimée autrement . Entre création de site internet www.justiceencolere.fr et de page facebook « bordeaux voit rouge », le mécontentement s’est propagé sur les marches des palais de justice et dans la presse, avec l’appui des syndicats appelés en soutien.

La suite, vous la connaissez : une absence totale de considération de la part de la Garde des Sceaux qui ne propose pas autre chose aux greffiers que le NES qu’ils ont refusé en 2010 (et alors qu’il n’était pas question pour eux d’effectuer des fonctions supplémentaires normalement dévolues aux magistrats) et qui ne propose RIEN aux adjoints administratifs. Bien sûr, le TPI est toujours d’actualité, même si notre Ministre reste très discrète sur ce sujet …

Voilà tout le témoignage que je souhaitais vous apporter et le moment pour moi de me présenter (ça fait partie du contrat je crois). Je suis greffier à la Réunion et délégué syndical (et de ce fait très facilement identifiable). Je serai bien sûr en grève et sur les marches de ma cour d’appel le 29 avril prochain.

Bien cordialement.

Zusticepourtous

Le bonheur d’être greffier…

Par Greffier Motivé, greffier dans un tribunal de grande instance de région parisienne.


D’abord MERCI à Maitre Eolas, pour son soutien qui nous fait chaud au cœur.

J’ai connu, avant de décrocher le concours de greffier, les petits boulots mal payés qu’on occupe pour payer ses études (que certains feront toute leur vie pour payer leur loyer…). Je sais notre chance d’avoir la sécurité de l’emploi, de gagner plus que le SMIC sans faire un travail physiquement épuisant, et d’avoir plus de jours de congé que la normale…

Je déplore que certains fonctionnaires ne respectent pas les justiciables et n’exécutent pas le travail pour lequel ils sont payés, sans aucune sanction, entachant ainsi la réputation de ceux qui travaillent.

Mais je croise bon nombre de fonctionnaires (greffiers et adjoints) dont la conscience professionnelle est inaltérable. Des personnes idéalistes, qui ont choisi de travailler dans la justice pour servir le justiciable. Des personnes qui ne se découragent pas, malgré des piles de dossiers sans cesse croissantes, des services souvent moralement difficiles (auditionner un enfant maltraité, une victime violée, un meurtrier déboussolé…), des tâches de plus en plus importantes…

Oui, le greffier est le premier interlocuteur de tous : des justiciables (qui s’adressent d’abord à lui), des collègues (qui ont besoin d’aide ou de conseil), des avocats (qui ont parfois, eux aussi, besoin d’un conseil de procédure), et des magistrats (avec qui ils discutent des affaires et prennent le recul indispensable à la prise de décision).

J’aime mon métier. J’adore qu’un justiciable me remercie pour ma gentillesse et ma compétence. J’adore être bien notée, reconnue dans mon savoir professionnel. J’adore m’entendre avec tous les magistrats avec qui je travaille : j’aime qu’ils me fassent confiance dans la rédaction de décision qui leur reviennent, j’aime qu’ils viennent me demander conseil sur une orientation à donner à une décision. J’aime être sollicitée pour participer à des groupes de travail, à des comités de pilotage, à des réunions, à des commissions de représentation des personnel parce que j’ai une critique constructive…

Je ne souhaite pas devenir un greffier en chef : son travail ne m’intéresse pas (des statistiques toute la journée, beurk !). Mais j’aimerais bien avoir une évolution de carrière, tant statutaire qu’indiciaire, pour qu’on reconnaisse enfin mes qualités et que la justice ne perde pas des greffiers qui, comme moi, ont un vrai sens du service public.

Une journée ... « ordinaire »

Par Marion, greffière en tribunal d’instance


08h00 : après 1h de route (réforme de la carte judiciaire merci !!), début d’une longue journée de travail, chargée comme toutes les précédentes, chaotique comme toutes les suivantes. J’ose prendre 5 min de mon temps pour me servir un café, c’est le seul moment de répit et de plaisir que j’aurai en cette journée !

08h10 : j’attaque par l’ouverture du courrier, toujours une montagne, tout en assurant l’accueil téléphonique et juridictionnel. Les justiciables ne sont pas toujours agréables, patients, compréhensifs. « non le service tutelle ne répond pas au téléphone ce matin, les greffières sont toutes en audition » « Oui pour vous pacser au tribunal, c’est gratuit… Ah non par contre, vous ne pouvez pas prendre rendez- vous le samedi (ou le soir après 19h !!), car le tribunal est fermé. Ah et bien désolé d’avoir aussi le droit de nous reposer » « non nous ne sommes pas compétents pour cela… pardon monsieur je parle de compétence territoriale, inutile de vous répandre en insultes contre les fonctionnaires ! »

10h40 : j’attaque maintenant la régie, loin, très loin des fonctions juridictionnelles d’un greffier. Et pourtant, il en faut bien un pour faire le boulot. Est-il nécessaire d’indiquer que le régisseur endosse une responsabilité personnelle et pécuniaire pour laquelle il ne perçoit aucune contre-partie indemnitaire ?

11h00 : je rajoute une petite laine, le chauffage coûte trop cher dans le maigre budget qui nous est alloué.

12h30 : je savoure la pause déjeuner d’1/4 d’heure. J’avale vite fait un sandwich et un thé, tout en refoulant le justiciable qui ne comprend pas pourquoi je refuse de lui répondre « puisque vous êtes là, qu’est ce que cela change pour vous de me répondre ?? » bien entendu, ma pause déjeuner ne mérite pas un minimum de respect.

12h45 : je remets du papier dans le photocopieur, je vérifie qu’il y a encore du toner dans le fax (faudrait pas créer un nouvel incident procédural non plus !), je traficote la machine à affranchir pour qu’elle daigne faire son boulot d’affranchisseuse et je cherche désespérément s’il ne reste pas un stylo bleu dans le placard à fournitures. Non, le ravitaillement sera fait en juin. D’ici là, il faudra venir avec nos propres fournitures. Tant qu’ils nous demandent pas d’amener notre papier toilette…

13h00 : revoici le fameux justiciable qui attendait, sournoisement, derrière la porte l’horaire de réouverture ! Il n’est pas content du tout le justiciable, il a dû perdre ½ heure de son temps, si précieux, pour avoir un renseignement que n’importe quel site internet juridique lui aurait fourni. « vous comprenez, j’ai un métier MOI !! » « et d’après vous, je fais quoi ici ? des maquettes en allumettes ? »

13h30 : renfort au service tutelles. Nous avions fourni un effort sur-humain en 2013 pour assurer un renouvellement de toutes les mesures en cours. Nous avions eu d’ailleurs de généreux remerciements, mais attention surtout pas en prime bien entendu.

C’était sans compter sur le vieillissement de la population, et l’augmentation journalière du nombre de nouvelles mesures à ouvrir. Le service tutelle majeur : un travail titanesque, le tonneau des danaïdes, l’enfer . Les auditions s’enchaînent donc. J’évite de justesse le coup de canne de la petite dame qui « non vraiment ne veut pas entendre parler de tutelle ». Nous en rirons surement un jour avec le magistrat de cette petite dame, mais pour le moment nous en prenons pour notre grade.

15h00 : je trouve encore l’énergie de relire les jugements TPBR. C’est signé, c’est parfait, il ne reste plus qu’à notifier…aux 25 parties et leurs avocats. Ça tombe bien, j’avais fait le plein de la photocopieuse ce midi ! Et quelle joie de savoir que, dans 15 jours à peine, j’aurai la chance de photocopier l’entier dossier pour la cour puisque, inévitablement, il y aura recours.

16h30 : ça y est, le cap est franchi ! Je suis désormais officiellement en heures supp, qui ne me seront pas payées. Pourtant, il y a encore à faire, pas le choix. Satanée conscience professionnelle !! Tiens d’ailleurs, le SAR m’appelle, il me faut rendre (encore ??!! ) des statistiques avant la fin.. du mois ? de la semaine ? Non de la journée !

17h00 : mon heure préférée, l’heure du classement. Ah les joies du classement ! Les AR, les courriers divers… les dossiers qu’on ne retrouve pas, évidemment… il faudrait d’ailleurs penser à demander une armoire de rangement supplémentaire, car déplacer les piles pour trouver le bon dossier, c’est usant. Suis-je bête ? nous n’avons même pas de crédit pour les stylos …

17h30 : la quille, enfin ! Et c’est reparti pour 1h de trajet. Je salive déjà à l’idée d’ouvrir ma fiche de paie ce soir en rentrant. « Chouette, mon salaire a encore baissé . Quel plaisir d’assumer autant de fonctions et de responsabilités professionnelles sans un minimum de reconnaissance »

Hier, notre ministre nous a rendu un hommage…. un hommage  ?? c’est pour les personnes décédées habituellement ? Il est certain qu’à ce rythme là, on sera bientôt tous décédé. Pour le moment, je suis morte de rire… je ris jaune, et je vois rouge !

Dossier communiqué

Par Chaton en Colère

Scène survenue peu avant qu’elle lise mon billet d’invitation aux greffiers en colère.


Voilà qu’un avocat déboule furax dans mon bureau : la copie du dossier, qu’il avait sollicitée le 27 mars 2014 et qui lui a été fournie le 18 avril 2014, est incomplète. En effet, deux procès-verbaux (oui je dis bien deux) ne sont pas photocopiés correctement. Il manque la 2ème page.

— “C’est inadmissible, je suis en droit d’avoir une copie complète. Je ne peux pas travailler correctement” me crie-t-il.

Je lui indique que je ne pouvais pas savoir qu’il manquait une page aux PV, que j’étais aux Assises depuis le début de la semaine, que le collègue qui fait les photocopies est absent depuis plus de 2 mois, que l’on ne sait pas quand il revient. Je lui indique par ailleurs que j’ai fait ce que je pouvais, que j’avais trouvé un autre collègue (du tribunal d’instance) qui avait accepté de me faire la copie.

Je lui demande de lister les pièces manquantes pour que je les lui refasse en disant que vu la grosseur de la procédure (environ 5 cm), il ne devait pas manquer tant de choses et que je n’allais pas refaire une copie complète. Il me rétorque que ce n’est pas à lui de faire cela, qu’il me laisse la copie et que je n’ai qu’à faire le nécessaire pour que tout soit correct. Je lui dis que c’est hors de question, que ce n’est pas non plus mon travail.

Là, il redouble de rage : “Ce n’est pas à moi de palier le manque de personnel de la justice !”

Ironie du sort : son épouse est magistrate.

Lettre d'un secrétaire amdinistratif

… lui aussi en colère!

Par Cicéron, secrétaire administratif.

Cher Maître Eolas,

Quelle joie de voir enfin un article de votre fabuleux blog (si si!) parlant des petites mains que sont le personnel des greffes!

Oui, je ne parle pas de greffiers, mais de personnel des greffes car même si nous sommes un et unis dans une même colère, vous avez tendance à oublier les fonctionnaires de l’ombre ! Les adjoints techniques et administratifs(aussi appelés les “C”[1]) et les secrétaires administratifs, les S.A. (les “petits” B, car comme les greffiers, nous sommes B[2] !).

Les médias et le grand public ne nous connaissent pas. Je suis même parfois à me demander si mes propres collègues connaissent ma catégorie. Comme une fois, où l’une de mes collègues, parlant de la réforme de la justice du XXIème siècle, s’exclame devant moi “pour les greffiers qui ne voudraient pas devenir greffiers juridictionnels, on n’a qu’à créer un corps de greffiers administratifs qui ne feraient que de l’administratif!”. Euh, ma grande, c’est un peu mon taf ça!

Oui, je suis secrétaire administratif au ministère de la justice, et j’en suis fier!

Mais “Kézako ça?” me diront ceux qui pensent que la justice n’est faite que de greffiers? En fait, nous sommes le plus petit corps professionnel du ministère, pas plus de 5 ou 6 selon les juridictions. On ne fait pas de juridictionnel. Pas d’audience, pas d’astreinte de weekend. Mais comme les greffiers, nous sommes des catégorie B. Nos postes sont essentiellement administratifs : budget, régie, secrétariat. Nous ne portons pas la robe. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, la vie de la juridiction fait aussi partie de notre quotidien. Donc chaque jour depuis plus de deux semaines, avec mes collègues, je descend sur les marches. En modeste SA que je suis, la réforme du XXIème siècle devrait en principe moins me toucher que les greffiers qui, en devenant juridictionnels, auraient de nouvelles attributions qui ne sont pas adaptées à leur statut actuel.

Mais pour autant, je vis chaque jour les soucis budgétaires, le manque de matériel, le travail qui s’accumule par manque de personnel! La vie de ma juridiction, c’est au moins 7h30 de ma vie quotidienne!

Et que dire de mes amis adjoints administratifs, qui partagent le même quotidien que moi ? Des adjoints techniques, que d’autres envoient reclasser les dossiers car “ce n’est pas à eux de le faire”, ou bien qui apportent les ramettes de papiers dans les bureaux (enfin… quand on n’est pas en rupture de stock !) car trop lourdes pour certains “dos délicats”? (oui bon… j’ai un dos délicat! ça me vient de ma mère parait-il…)

Oui, un greffe c’est un et c’est plusieurs. Les médias et les justiciables doivent le savoir. Et les avocats aussi. Et puis certains magistrats. Et certains collègues aussi. Car tous les jours, je descends sur les marches du Palais pour crier la colère du greffe. Et parfois même plus fort que les greffiers alors que je ne porte pas la robe et que je ne fais pas d’audience. Mais faire partie d’un greffe, c’est un peu comme une famille: c’est dans l’adversité qu’il faut rester unis.

Je vous remercie en tout cas, cher maître, de donner la parole aux modestes fonctionnaires que nous sommes. Au moins, peut-être, nos propos ne seront-ils pas déformés comme dans les médias…

Cicéron

Notes

[1] Car de catégorie C de la fonction publique, la catégorie des exécutants sans vrai pouvoir d’initiative. En théorie.

[2] Catégorie B. Se voient confier une tâche précise, ont une certaine latitude et peuvent diriger une petite équipe.

mardi 22 avril 2014

L'envers du décor

Un greffier, qui signe Cat’s chief (le lien entre greffiers et chats est une symbiose quasi fusionnelle, les premiers ont donné leur nom aux seconds, qui décorent les bureaux des premiers sur des cartes postales), avait écrit un texte en réponse à mon billet “maman !” que le couperet de la fermeture anticipée des commentaires a privé de publication. Je le publie donc en guise de billet, pour donner envie aux greffiers qui hésiteraient encore de s’exprimer pour demain et en vue de leur journée d’action du 29 avril. C’est une version imaginée de la même scène, mais vue du bureau de la greffière, spectatrice muette et que quasiment personne ne remarque, mais qui est là, voit tout et n’en pense pas moins. Merci à Cat’s chief de ce témoignage et de cet hommage à mon humble billet qui n’en méritait pas tant.

NB : les notes de bas de page sont de votre serviteur.

Eolas


— Alors, madame la greffière, elle arrive cette procédure?

— Je regarde ça…

La greffière attrape son combiné, tapote un numéro sur le clavier. Vu l’heure tardive, elle n’est pas même certaine de trouver quelqu’un encore présent au greffe de l’instruction. Les sonneries retentissent à intervalles réguliers, puis un grésillement. Une voix essoufflée s’annonce; une collègue greffière ayant tout juste terminé une confrontation et sur le point de quitter son bureau pour rejoindre les siens.

— Ils sont encore en IPC[1] Je ne sais pas pour combien de temps ils en ont …

— OK merci… Bonne soirée.

La greffière repose le combiné. Le choc sur le plastique provoque une réaction immédiate dans le bureau voisin.

— Alors?

— Toujours en IPC…

Elle se détourne vers l’embrasure du bureau. Elle sait qu’il va surgir tel une furie et s’époumoner contre ses propres collègues, comme si elle y pouvait quelque chose. Depuis cinq ans qu’elle le pratique, son juge, elle peut anticiper la moindre de ses réactions. Et c’est là tout l’intérêt d’un binôme greffier-JLD!

— Mais il fout quoi? Il ne faut pas 3 plombes pour mettre un gamin en examen! Il a été identifié par sa victime et il n’a même pas cherché à nier! Ça aurait dû être bouclée depuis longtemps cette histoire! Il disparaît du bureau tout aussi furtivement qu’il y est apparu, continuant à grommeler.

La greffière jette un regard sur l’horizon violacé peu à peu happé par la nuit. Peu de temps auparavant, elle a prévenu son époux de ne pas l’attendre. Une nouvelle fois, elle ne sera pas présente pour le coucher de ses enfants.

Une sonnerie stridente l’extrait de ses rêveries de câlins avec ses deux garçons.

Le parquetier de permanence…

— On en est où?

— Toujours en IPC…

Elle le sent lui aussi en venir aux jérémiades, à la critiques acerbes de la maniéré de travailler de ses collègues de l’instruction. Elle coupe court à tout:

— Je vous préviens dés qu’ils ont terminé…

— OK

La conversation prend fin sans autre forme de courtoisie. Elle y est habituée et ne s’en offense même plus. Et c’est peut être là tout le drame !

Le téléphone sonne à nouveau. Les quelques mots qu’elle lit sur le petit écran digital dessinent un sourire de satisfaction sur ces lèvres : Cabinet JI 1

On va pouvoir commencer…


***

Un cliquetis métallique. Le mis en examen sort du cabinet, entouré de l’escorte, suivi de son avocat.

Un gamin ! Ce n’est qu’un gamin, à peine plus âgé que son aîné !

Durant tout le temps du débat contradictoire, elle a bien pris conscience qu’il était perdu, qu’il ne comprenait pas l’enjeu. Pour lui, ce n’était qu’une réitération de ce qu’il avait dit lors de sa garde à vue et devant le juge d’instruction. Espérons que son avocat saura lui faire comprendre…

La porte du bureau voisin claque un peu trop violemment à son goût. Son juge vient de se retirer pour délibérer. Lui met toujours un point d’honneur à respecter cette phase de délibéré, il ne prend que rarement de décision sur le siège, et uniquement dans des cas exceptionnels. D’ailleurs, ses collègues fonctionnaires du greffe correctionnel se plaignent ouvertement de sa manière de conduire ses audiences à juge unique et de leurs heures tardives de fin. Lorsqu’elle aborde ce sujet avec son magistrat, il lui rétorque dans un sourire qu’il préfère prendre son temps et rendre de bonnes décisions qu’expédier des jugements médiocres qui viendront encombrer le greffe de la Cour, comme certain de ses collègues. Puis, il ajoute dans un haussement d’épaule que lui n’a pas la gestion de la charge d’audience, seul le parquet est fautif!

Mais, pour ce qui est de l’affaire de ce soir, elle le connait son juge, il ne laissera pas passer ça! Le gamin avait déjà reçu un coup de semonce avec le contrôle judiciaire. Cette fois ci, il n’y échappera pas… Elle clique sur l’onglet décision de son applicatif métier à l’acronyme mythologique[2], sélectionne l’ordonnance de placement en détention provisoire et coche le mandat de dépôt. Immédiatement après le prononcé, elle remettra l’original à l’escorte et en faxera une copie à la maison d’arrêt. Rien n’est pire qu’une détention arbitraire et personne ne lui pardonnera la libération d’un individu faute d’avoir transmis l’ordre d’incarcération dans les temps. Et lorsque avocat et juge se seront enfuis de ce palais de justice, lorsque l’escorte se dirigera vers le lieu de détention, elle, elle restera encore quelques minutes à son bureau, à se demander si elle n’a rien omis, si tout a été fait selon les règles applicables. Puis, dès le lendemain, elle épluchera les fax reçus dans la nuit à la recherche de l’acte d’appel. Car il y aura appel. Il y a toujours appel…

Derrière elle grince la porte du bureau voisin. Son juge dépose le dossier devant son écran jumelé, celui lui permettant de suivre la saisie du procès-verbal durant les débats.

— Je vous ai envoyé la motivation.

A ces mots apparaît le pop-up de réception d’un mail. Elle ouvre le fichier, s’intéresse directement au dispositif.

Placement DP[3].

Elle fusionne l’ordonnance, corrige les coquilles habituelles, insère la motivation de la décision la relisant rapidement. Après une dernière relecture, par son juge, de l’ordonnance mise en forme, elle lance les impression, se lève, passe la tête par l’entrebâillement de la porte du cabinet:

— Vous pouvez entrer…

Rapide coup d’oeil par la fenêtre au retour à son bureau. Il fait nuit noir.

Elle s’installe derrière son écran, son regard se posant sur ce futur détenu tout juste libéré de son entrave d’acier. Il peine à étouffer un bâillement.

Elle soupire.

Il n’a toujours pas compris…

Notes

[1] Interrogatoire de première comparution, préalable à la mise en examen et le cas échéant à la saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) pour un débat contradictoire en vue d’un éventuel (Ah ! Ah ! Pardon) placement en détention provisoire).

[2] CASSIOPÉE, acronyme de Chaîne Applicative Supportant le Système d’Information Orienté Procédure Pénales Et Enfants, qui a détrôné Clippy dans les cauchemars hantant les nuits des greffiers. Si seulement on avait consacré autant de temps à son développement qu’à lui trouver un joli acronyme…

[3] Détention provisoire.

vendredi 18 avril 2014

Le législateur est-il un être doué de raison ?

La nouvelle juridique de la semaine colportée par les médias était donc que le Code civil cessait de considérer les animaux comme des meubles mais leur reconnaissait le statut d’être doué de sensibilité. Les commentaires journalistiques étaient des variations autour du thème “Ah ben quand même il était temps, LOL mais qu’ils sont bêtes ces juristes, ils ne savent pas faire la différence entre un chat et une chaise”. Et pendant ce temps, les juristes se tapaient la tête contre leur bureau.

Car dans cette affirmation, tout était faux. Des études très poussées, sur des cohortes de milliers de juristes de tous sexe, âge, et nationalité, ont démontré que, même ivres, 105% des juristes savaient faire la différence entre un chat et une chaise (marge d’erreur : 5%).

Pour comprendre ce qu’il en est réellement — le présent s’impose car l’état du droit n’a pas changé d’un iota cette semaine — allons faire un tour dans le monde fascinant du droit.

Rappelons en guise de prolégomènes que le droit est la science qui s’intéresse au rapport des hommes (au sens d’être humain naturellement) entre eux. Robinson seul sur son île déserte vit sans droit. Pas par choix, parce qu’il n’en a pas besoin. Mais qu’arrive Vendredi, et arrive le droit.

La démarche du juriste est un travail de qualification qui peut se résumer ainsi : face à une situation appelant une solution juridique, il va suivre un cheminement qui va l’amener à plusieurs embranchements où il devra choisir le bon pour, une fois arrivé au bout, connaitre avec certitude la règle de droit applicable. L’interprétation de la règle de droit et son application au cas précis (on dit l’espèce) est la deuxième partie du rôle du juriste, mais ici elle ne nous intéresse pas. Allons donc à l’embranchement premier, ce qu’on appelle la suma divisio en droit : la grande distinction première. Pour un juriste, il n’existe que deux grandes catégories juridiques : les personnes, et les biens. Les premiers sont sujets de droit, les seconds, objets de droit.

Engageons nous brièvement sur le chemin des personnes. Nous voici à un nouvel embranchement. D’un côté les personnes physiques, de l’autre, les personnes morales. Les personnes physiques sont les êtres humains, de la naissance, à condition d’être né vivants et viables, à la mort ; les personnes morales sont des créations de la loi, des entités auxquelles la loi donne la qualité de sujet de droit. Citons l’Etat et ses émanations (régions, départements, communes), les sociétés  commerciales, les associations à but non lucratif dite “Loi 1901”. Les personnes ont un patrimoine, peuvent passer des contrats, et agir en justice. Depuis 20 ans, elles peuvent même être pénalement condamnées. Depuis 1848, les deux catégories sont étanches. On ne peut passer de l’une à l’autre. Avant, c’était le cas, par l’esclavage, qui faisait passer l’être humain du statut de personne au statut de bien (l’affranchissement lui faisait effectuer le chemin inverse).

Le chat n’étant ni une personne physique, faute d’être humain, ni une personne morale, faute de la moindre moralité, c’est nécessairement dans la catégorie des biens qu’il se situe. Attention, le vocabulaire juridique est précis. Un bien n’est pas une chose. Une chose est forcément un bien, mais la réciproque n’est pas vraie.

Et nous voilà devant une nouvelle suma divisio, contenue à l’article 516 du Code civil : “Tous les biens sont meubles ou immeubles”. Les mots meubles et immeubles n’ont pas le même sens en droit que dans le langage courant. Un immeuble est un bien qui ne peut pas se déplacer, un meuble est un bien qui peut se déplacer aisément. Ce que vous appelez un meuble, le juriste l’appelle un meuble meublant. Ce que vous appelez un immeuble, le juriste l’appelle immeuble d’habitation. Ça peut vous paraitre redondant ; sachez que pour lui ça ne l’est nullement.

L’immeuble par nature, c’est la terre, le terrain, le lopin de terre. Et ce que vous construirez dessus, qui y est donc attaché. Quand vous achetez une maison, en fait, vous achetez un terrain qui contient une maison. Lisez l’acte notarié, vous verrez. La loi étend la qualité d’immeuble à toute une série de biens qui sont pourtant des meubles. La lecture de ces articles du Code civil fleure bon la France rurale des années 1800, quand le Code a été rédigé. Sont ainsi immeubles par destination, c’est à dire par l’usage qui leur est attribué, les récoltes pendantes par les racines, les fruits des arbres non encore recueillis, les tuyaux servant à la conduite des eaux, les ustensiles aratoires, les semences données aux fermiers ou métayers, les pigeons des colombiers, les lapins des garennes, les ruches à miel, les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes, les ustensiles nécessaires à l’exploitation des forges, papeteries et autres usines et les pailles et engrais.

Le meuble par nature est défini à l’article 528 du Code civil : les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère.

Nous y voilà. L’animal est un bien car il n’est pas un homme, et c’est un bien meuble car il peut se déplacer par lui-même, quand bien même si c’est un chat il n’en aura pas souvent envie. La chaise est aussi un bien meuble. C’est la même catégorie juridique jusqu’à cet embranchement. Mais c’est là que leurs chemins se séparent : la chaise est un meuble meublant, entrant dans la catégorie des choses inanimées (car ne se mouvant pas par elle-même). Le chat, lui, continue sa route juridique sur le chemin des animaux.

Juridiquement, quelles conséquences ? Elles sont assez nombreuses, contentons-nous de l’essentiel et renonçons à l’exhaustif. L’essentiel est sur la possibilité d’appropriation. Un bien peut être objet du droit de propriété, une personne, jamais, en aucun cas. Le statut de meuble ou d’immeuble a des conséquences sur la transmission de ce droit de propriété, c’est pourquoi la loi fait de certains animaux des immeubles, car ils sont attachés juridiquement à un immeuble. Ainsi les pigeons des colombiers et les lapins des garennes, ajoutons les poissons des étangs. Quand vous achetez un terrain où se trouve un étang pour aller pêcher les dimanches électoraux, vous vous attendez à ce que l’étang contienne des poissons. Ils sont à vous, quand bien même ils ne seraient pas comptés et mentionnés dans le contrat de vente. Idem si vous achetez une garenne pour tirer le lapin. À la seconde où il vous vend son terrain, le vendeur perd le droit d’emporter sans votre autorisation le moindre lapin, le moindre poisson, le moindre pigeon. La vente d’un immeuble est enfin soumise à certaines conditions de forme et de déclarations (avec des conséquences fiscales).

Pour un bien meuble, la cession de propriété se fait sans forme et la loi vous dispense d’en garder une preuve formalisée, sauf exception. C’est la règle en fait de meuble, possession vaut titre. Si vous êtes en possession d’un bien meuble, vous n’avez pas à prouver que vous en êtes le propriétaire. C’est à celui qui prétend être le propriétaire de le prouver.

Une fois ceci posé, le statut juridique des animaux et des choses diverge totalement pour le reste. Ainsi, la destruction d’une chose vous appartenant est tout à faite légale en principe, alors que la moindre souffrance infligée à un animal vous expose à la prison (pensez à cette affaire de l’homme qui s’est fait filmer en train de projeter un chaton contre un mur : croyez-vous qu’il aurait été condamné à un an ferme s’il avait lancé une chaise ?) Faire d’un animal de compagnie, car c’est d’eux seuls qu’il s’agit dans l’esprit du législateur, je ne pense pas que M. Glavany, Mme Capdevielle et Mme Untermaier aient envisagé que leur amendement pourrait s’appliquer aussi à un ténia, ce qui est pourtant le cas tel qu’il est rédigé puisqu’il parle de”tout animal”, en faire un bien meuble disais-je vous permet de promener votre chien sans avoir avec vous la facture et d’acheter un chiot sans passer devant le notaire.

Ceci ayant été exposé, qu’a donc voté le législateur cette semaine ?

Un amendement qui introduit dans le Code civil un article 515-14 qui proclame “Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels”, outre une série de modifications textuelles qui visent à bien distinguer les animaux des choses inanimées, ce qu’on fait très bien depuis Napoléon, merci.

C’est à dire une vérité d’évidence sans conséquence juridique dans la première phrase, et une proclamation du droit existant depuis 2 siècles dans la seconde. Oui, vous avez bien lu, cet amendement dit expressément que les animaux demeurent des biens.

D’autant que le Code rural dispose dans son article L.214-1Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce”. Oui chers lecteurs, vous ne rêvez pas, le législateur a voté une loi qui existe déjà. Je vous confirme ce que votre intuition vous souffle : voter deux fois une loi n’en fait pas une super-loi ou une über-loi. Ça en fait juste un pléonasme.

Voici donc ajouté au Code civil un article qui n’apporte rigoureusement rien à l’état du droit tel qu’il est depuis deux siècles.

Il manque la cerise sur le gâteau. La voici.

Cet ajout d’un article inutile qui crée une catégorie sans effet a été introduit dans le cadre d’une loi de simplification du droit.

jeudi 17 avril 2014

Journal des greffiers en colère

Depuis une quinzaine de jours, un mouvement sans précédent agite les greffes des tribunaux. Chaque jours, les personnels des greffes se retrouvent en robe sur les marches du palais pour afficher leur colère et leur ras-le-bol des conditions honteuses dans lesquelles on les fait travailler, à gérer en sous effectif les pénuries de tout, en portant à bout de bras cette machine judiciaire qui ne tourne plus depuis des années que grâce à l’abnégation de tous ses agents, des adjoints administratifs aux magistrats.

En tant qu’avocat, je suis le témoin atterré de ce lent naufrage, je vois l’envers du décor et le bricolage qui est le seul mode de fonctionnement de ce qui n’est rien de moins qu’un des trois pouvoirs essentiels de la démocratie, l’expression de la souveraineté du peuple, la contrepartie de l’abandon de la violence privée et la garantie du règne du droit dans les relations entre les hommes. Rien que ça, et je n’exagère pas d’un cheveu.

La coupe est pleine, elle déborde, et c’est un torrent. Vous le savez, et je l’ai répété il y a peu, ce journal est avant tout un lieu d’échange direct entre les intervenants de la justice et les citoyens. Il a accueilli en son temps les paroles des magistrats en colère, puis celle de leurs collègues administratifs. L’auteur de ces lignes confesse volontiers une profonde sympathie pour les greffiers. Le fait que ce corps soit extrêmement féminisé y contribue sans doute, mais pas seulement. Tout jeune avocat a connu un jour une détresse procédurale, perdu dans les méandres des différents codes et pratiques des juridictions, généralement parce qu’il avait été envoyé au casse-pipe par un associé chenu tout aussi ignorant que lui de la question, mais placé plus haut dans la chaîne alimentaire qu’est l’organigramme d’un cabinet d’avocat. Et tous ont été sauvés au milieu de la tempête par la main secourable d’un greffier, qui en une phrase qui pourrait tenir en un tweet, lui donnait la réponse précise à son problème. Et je suis prêt à parier que c’est arrivé aussi aux jeunes magistrats.

Les greffiers ne sont pas les secrétaires des juges. Ca y ressemble, car ils passent leurs journées à taper des documents et à manipuler des dossiers,un peu comme nos secrétaires, et ils répondent en plus au téléphone car personne ne le ferait à leur place. Ajoutons à cela qu’ils gèrent l’agenda de la juridiction, et la ressemblance peut être trompeuse. Les greffiers sont les gardiens de la procédure. Ils sont indépendants des magistrats qu’ils assistent (ils ne sont pas notés par eux notamment) car ils sont là pour, avec leur signature et le sceau de la juridiction (la fameuse “Marianne” même si ce n’est pas Marianne qui y est représentée mais Junon) authentifier le jugement et garantir ainsi avoir personnellement veillé à la véracité de toutes les mentions concernant la procédure. Ce sont eux qui font ainsi des jugements des actes authentiques, à la force probante quasi indestructible.

Sans greffiers, nos demandes ne seraient jamais examinées, les jugements jamais rendus, mes clients jamais libérés (et ceux de mes confrères jamais incarcérés). Sans greffier, pas de justice. Ils sont importants,indispensables, et d’une gentillesse inébranlable malgré les avanies des justiciables et parfois hélas de certains avocats qui les prennent un peu trop pour des laquais. Et comme si leur malheur n’était pas suffisant, la Chancellerie leur a offert Cassiopée, un logiciel codé avec les pieds par des incubes venus de l’enfer le plus méphitique et qui pourrait faire étouffer le rage le Dalaï-Lama s’il lui prenait l’envie de le tester.

Bref, greffiers, et surtout greffières : je vous aime, et suis avec vous de tout cœur.

C’est pourquoi le moins que je puisse faire est de vous offrir ce blog comme porte-voix. Je vous propose donc de faire comme les magistrats que vous avez la gentillesse de garder à l’œil quand nous avons le dos tourné, et de prendre votre plus belle plume document wordperfect et d’expliquer aux mékéskidis qui viennent en ces lieux les raisons de la votre ire, et de leur raconter le quotidien d’un greffier, comment fonctionne la justice aujourd’hui et à quoi elle en est réduit, elle qu’on rend au nom du peuple français. Billet pédagogique, témoignage, récit ou anecdote, tout sera accepté. Soyez libres comme c’est l’essence de vos fonctions.

Envoyez-moi vos textes, sans contrainte de longueur, ni minimale ni maximale, à eolas <at> maitre-eolas.fr. Si vous souhaitez les envoyer avec des gras, italiques, soulignés, ou des liens hypertexte, merci de me les envoyer au format html (enregistrer sous… / format de fichier) ou à la rigueur RTF, je devrais pouvoir me débrouiller. Je garantis votre anonymat, et ne vous demande même pas de me donner votre véritable nom, je saurais je pense déceler un imposteur. Je vous demande juste de choisir un pseudonyme pour signer votre texte, de lui donner un titre (faute de quoi je prendrai le début de la première phrase) et d’indiquer devant quel type de juridiction vous exercez principalement votre sacerdoce. Les adjoints administratifs faisant fonction sont également les bienvenus, car vous êtes les dindons de la farce en exerçant les fonctions de greffiers sans en avoir le statut ni le traitement. Les greffiers en chef sont aussi les bienvenus à s’exprimer, naturellement. Et si des magistrats veulent témoigner de leur vision du rôle du greffier, bi maille gueste comme dirait notre président polyglotte.

Je me propose de publier ces textes mercredi prochain, ce qui vous laisse le week end pascal pour rédiger votre dies iræ. Un conseil : lancez-vous, laissez courir vos doigts, et faites confiance à votre premier jet. Ca vient tout seul après quelques phrases. Je vous attends avec impatience.

mardi 15 avril 2014

10 ans

Il y a tout juste 10 ans de cela, un après midi où un gros dossier que je devais traiter a fait l’objet d’un renvoi in extremis, je suis tombé sur un article “Ouvrez votre blog gratuitement et en quelques minutes”. Cela faisait quelques mois que je traînais sur les blogs des autres, que je squattais les commentaires, en en laissant de plus en plus longs, jusqu’à ce qu’un jour Cali, ma marraine des blogs, me dise après un commentaire aussi long que hors sujet “tu sais, tu devrais ouvrir un blog”. Je me suis dit “quelle bonne idée”. Cela m’a pris des années avant de réaliser qu’en fait, elle me disait d’aller polluer ailleurs. J’étais encore jeune et naïf.

L’idée de contribuer au contenu d’internet, d’y avoir mon site, mon chez-moi, était excitante. J’avais constaté le besoin très grand, et insatisfait à l’époque, d’une information juridique de qualité et compréhensible. À l’époque, la traditionnelle campagne de FUD sur internet visait la LCEN (il y en a toujours une en cours, que ce soit contre la LCEN, la DADVSI, la HADOPI, l’ACTA, le TCE ou la réforme pénale), loi merveilleusement protectrice de l’éditeur de site, tandis qu’en même temps se discutait la loi Perben 2, la plus sécuritaire des lois sécuritaires de la décennie zéro la bien-nommée, et dans l’indifférence générale.

Au moment où j’ai ouvert mon premier blog sur feu la plate-forme u-blog.net, je pensais créer un petit salon où (la tête m’en tournait) 200-300 personnes se retrouveraient pour parler du droit et de la justice.

Quelques clics plus tard, l’aventure commençait.

Et 10 ans plus tard, ce sont 1700 billets, 153 billets mort-nés, que j’ai commencés et jamais achevés, 173630 commentaires, 50 millions de visiteurs uniques, un procès et quelques milliers de trolls humiliés. Ce sont surtout des rencontres avec des gens formidables que je n’aurais jamais connus autrement, et qui me manquent, et à qui je signale que les serrures du blog n’ont jamais été changées, hein.

Ce blog est une aventure épatante, qui n’a été dépassée que par celle d’épouser la plus formidable femme de la terre et grâce à elle (ou au facteur) de devenir père.

Merci à tous ceux qui ont contribué à faire de ce blog un espace de discussion, où on ne prend pas toujours de gants mais toujours la peine de conjuguer ses verbes, que ce soit en billet ou en commentaires, qu’ils soient confrères, magistrats avec ou sans robe, greffiers, policiers et tout le personnel des divers services de la justice et de l’Etat, et à ceux de l’autre côté de l’épée, les citoyens venus lire (c’est déjà beaucoup), et éventuellement participer au débat, sans jamais oublier de se moquer des fâcheux tentant en vain de polluer les commentaires.

Merci à vous tous, qui faites le meilleur de l’internet, d’avoir eu l’idée aussi saugrenue que merveilleuse, de venir faire de ce blog ce qu’il est.

J’en reprends pour dix ans.

vendredi 11 avril 2014

« Maman ! »

La porte du cabinet du juge des libertés et de la détention s’ouvre enfin. Le mis en examen, menotté et sous escorte, et son avocat ont attendu leur semble-t-il plus longtemps que n’a duré l’audience elle-même. La greffière passe la tête : « Vous pouvez entrer. »

Sur le bureau de la greffière, juste à côté de la porte, l’imprimante vomit des pages et des pages. L’avocat tente de lire en passant l’intitulé, voir s’il lit les mot “détention provisoire” ou “contrôle judiciaire”, mais la greffière est une experte et attrape les feuilles en les recourbant pour que leur contenu reste invisible. Elle laisse au juge la charge d’annoncer sa décision.

Son regard se tourne vers le juge. Parfois un regard, un sourire donnent espoir. Mais là, rien. Il a les yeux baissés, et tripote quelques pages du dossier. L’avocat n’est pas dupe. Il a pris sa décision, il n’a plus besoin de lire quelque pièce que ce soit. Il ne veut pas croiser le regard de l’avocat ou du mis en examen. Cette petite pièce jaune blafarde pue la détention provisoire, c’en est suffocant.

La chaise du procureur restera vide. Il est venu, comme le diable jaillissant de sa boîte, requérir le placement en détention provisoire, mais n’a pas à être présent pour le délibéré, qui lui sera faxé, même si son bureau est à quelques couloirs de là, afin de connaître l’heure exacte de l’envoi, à la minute près, pour des raisons de délai.

Cliquetis de chaines ; le gendarme a ôté les menottes au mis en examen, qui s’assoit sur la chaise qu’on lui indique, la même qu’il y a une demi heure, quand le débat a eu lieu. Il a l’air de s’ennuyer un peu, regarde autour de lui, mais aucune décoration ne lui permet de distraire son regard. La fenêtre au-dessus du bureau du juge est noire : tiens, il fait déjà nuit. Il étouffe un bâillement machinal.

Seul son avocat le regarde. Il réalise que son client n’a pas compris ce qui est en train de se passer, malgré les avertissements qu’il lui a donné sur le fort risque de détention, vu le dossier. Il a dû être trop précautionneux, ou faire des phrases trop compliquées. Notre maîtrise du français nous permet de faire des phrases d’une subtilité d’horlogerie, mais parfois, il faut s’adapter. Sujet, verbe, complément. Tu vas sûrement aller au trou. Non, trop compliqué, il y a un adverbe. Tu vas aller au trou.

La greffière apporte les liasses de feuillets sur le bureau du juge, qui la remercie à voix basse. Il chausse ses lunettes et commence : « Je rends ma décision, elle est à ce stade irrévocable, et n’appelle aucun commentaire. Je vais d’abord en donner les motifs avant d’indiquer le sens de ma décision ».

Un coup d’œil rapide de l’avocat à son client lui confirme son intuition. Tu l’as perdu, mec. Sujet, verbe complément. Dis plutôt : inutile de protester. Inutile de pleurer.

Le juge déroule son ordonnance d’un ton monotone qui a fait abandonner le mis en examen avant la fin de la première phrase. D’abord le rappel des faits. Il y a deux jours, à 11 heures, le mis en examen, le visage dissimulé d’une simple capuche et muni d’un pistolet gomme-cogne s’est fait remettre sous la menace le fonds de caisse d’un bar de son quartier qui venait d’ouvrir. Butin de 60 euros. Il a été reconnu par le patron, qui l’avait déjà vu. Les policiers le connaissaient aussi, et pour cause : il avait déjà braqué un autre bar tabac du quartier un mois plus tôt, et avait été aussi facilement identifié et interpellé. Mis en examen, laissé libre sous contrôle judiciaire. Et il remet ça.

À chaque fois, entendu par la police, il déclare faire ça parce qu’il a besoin d’argent. Pourquoi, lui demande-t-on, il habite encore chez sa mère qui le nourrit et l’héberge gratuitement. Réponse d’un haussement d’épaule : « ch’sais pas. Pour m’acheter des trucs…» Et ouais, si tu consommes pas, tu n’es rien, aujourd’hui. L’insouciance de ces propos fait très mal sur procès verbal.

L’usage d’une arme, même s’il affirme qu’elle n’était pas chargée (aucune cartouche n’a en effet été retrouvée lors de la perquisition), entraîne une qualification criminelle, que le parquet a décidé de retenir cette fois, contrairement au premier braquage, simplement qualifié de vol avec violence, en raison de cette réitération si rapprochée.

Le juge explique à présent que bien que le mis en examen ait un domicile certain et suive des études, la nouvelle commission de la même infraction en un délai aussi rapproché fait craindre un renouvellement de l’infraction s’il était laissé libre ; que ce vol a causé un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public ; que dans ces conditions, la détention provisoire est le seul moyen de mettre fin à cette situation, et qu’il décerne un mandat de dépôt.

Le silence qui tombe dans le bureau fait sortir le mis en examen de sa torpeur. Il sursaute, réalise qu’on attend quelque chose de lui mais ne sait pas quoi. Il regarde son avocat, les yeux grands ouverts, interrogateurs. L’avocat sait qu’il ne pourra pas y échapper, qu’il va devoir boire cette coupe jusqu’à la lie.

Sujet, verbe, complément.

« Tu pars en prison. »

Les yeux s’ouvrent encore plus, l’interrogation fait place à la surprise, puis, après quelques secondes, quand l’avocat n’éclate pas de rire pour dire qu’il plaisantait, à la terreur.

« Sérieux ? »

— « Oui. Tu dois signer là. »

Il est paralysé par la terreur. Il ne veut pas, comme si ne pas saisir ce stylo pour griffonner son prénom allait empêcher l’inéluctable.

L’avocat se tourne vers le juge : “Refuse de signer”. Le juge fait la moue mais saisit les procès verbaux pour y faire apposer la mention. Il n’insiste pas. Le juge signe, et tend les documents à la greffière, qui fait signer à l’avocat son procès verbal de remise. Le mis en examen s’est recroquevillé et ses épaules sont agitées de sanglots. Le bruit des menottes que le gendarme a sorti pour les lui passer au poignet fait redoubler ses sanglots.

— « Non, non, non, je ne veux pas !»

— « Pour le moment c’est trop tard, il n’y a plus rien à faire. Je vais faire appel, un référé liberté, même, mais là, c’est fini, il faut y aller maintenant».

Le juge s’est levé et est sorti discrètement de son bureau, l’air de rien. Pour fumer une cigarette, aller aux toilettes, en tout cas pour ne pas assister à ce qui va suivre.

Le gendarme a posé sa main gantée sur l’épaule agitée de soubresauts. « Monsieur, faut y aller, là, sinon je vais devoir employer la force. »

Le mis en examen relève la tête, son visage est inondé de larmes, sa bouche ouverte, il manque d’air pour parler mais ne parvient pas à respirer. Finalement, au prix d’un effort semblant surhumain, il parvient à inspirer bruyamment, et le cri peut enfin jaillir de sa bouche.

« Maman ! Je veux ma maman ! »

Et tout le monde regardera, médusé, passer dans le couloir ce môme de 13 ans et demi, mesurant à peine 1m50, à la voix stridente qui est celle d’un enfant terrorisé, passer menotté en appelant au secours sa maman, vers la prison où vient de l’envoyer son deuxième braquage.

Avis de Berryer : Laurent Wauquiez

Peuple de Berryer !

La Conférence poursuit ses travaux et recevra mardi prochain 15 avril 2014 à 21 heure en la salle des Criées du Palais de Justice, le seul, le vrai, Boulevard du Palais dans le 1er arrondissement, M. Laurent Wauquiez, agrégé d’histoire, conseiller d’Etat, député, maire, vice-président de l’UMP, et ancien ministre (et il n’a pas 40 ans).

Les sujets traités sont les suivants :

  1. Les Français sont-ils des veaux quiets?
  1. S’en laver les mains suffit-il à les rendre propres ?

Le portrait approximatif de l’invité sera dressé par Monsieur Paul Fortin, 1er Secrétaire.

Entrée libre, sortie aussi, et comme d’habitude, c’est folie de venir après 19 heures.

Bonne Berryer à tous.

vendredi 4 avril 2014

Prix Busiris pour Marion "Marine" Le Pen

NB : Ce billet devait à l’origine être publié sur le site de l’Académie, mais un bug semble s’y opposer. C’est avec plaisir que j’héberge cette annonce ici en attendant.

L’Académie a été tirée de sa torpeur par une énormité juridique proférée par Marion Le Pen, dite Marine Le Pen, au micro de RTL. Qu’elle en soit remerciée.

Invitée de jean-Michel Aphatie, qui l’interrogeait sur sa récente condamnation par le tribunal correctionnel de Béthune dans l’affaire d’un tract calomniant Jean-Luc Mélenchon, son adversaire aux élections législatives (tous deux seront battus). Voici la vidéo, ça commence à 05:50. 

 


Marine Le Pen : “Il faut la supprimer, sinon la… par rtl-fr

Voici la transcription des propos qui ont retenu l’attention de l’Académie : à la question de savoir si sa condamnation pour manœuvre électorale frauduleuse et diffusion d’un montage d’une image sans autorisation de l’intéressé était grave, la présidente du Front national répond :

« Non, ce qui est grave, c’est ce qu’a fait le tribunal de Béthune, dont je vous signale que j’avais déposé contre lui (sic.) une requête en suspicion légitime, ce qui prouve que à l’avance, je savais pertinemment que ce tribunal n’allait pas juger avec impartialité cette affaire, j’ai donc fait appel, et donc je ne suis pas condamnée, pour l’instant, Monsieur Aphatie.»

Le prix Busiris est double dans cette phrase, ce qui récompense enfin un fort potentiel jamais primé à ce jour, ce tort est rattrappé.

► Première couche : “j’ai déposé une requête en suspicion légitime, ce qui prouve que je savais à l’avance que ce tribunal n’allait pas juger avec impartialité”.

Ce à quoi l’Académie répond que le fait que cette action n’ait pas prospéré tend à prouver le contraire. 

D’autant qu’un article du Point nous apprend que Madame Marion Le Pen n’a pas déposé elle-même ladite requête, et c’est là tout le problème.

Une requête en suspicion légitime, art. 662 du code de procédure pénale, vise à demander à la Cour de cassation de considérer que la juridiction amenée à juger une affaire a démontré, dans son ensemble, un défaut de partialité tel qu’il convient de confier l’affaire à une autre juridiction. C’est le cas par exemple quand l’assemblée générale du tribunal a adopté une motion de soutien au magistrat victime de l’infraction qu’il a à juger. La procédure n’est pas compliquée : le prévenu signe une requête (ou la fait déposer par un avocat aux Conseils) expliquant en quoi la juridiction lui paraît légitimement suspecte et la dépose au greffe de la Cour de cassation, et la porte à la connaissance des autres parties (ici le parquet et M. Mélenchon) pour qu’ils puissent faire connaître leurs observations. Pas compliquée, mais trop quand même puisque la requête a été déclarée irrecevable car signée non par la prévenue mais par un avocat ordinaire, ce que la loi ne permet pas et qu’elle ne l’a pas notifiée aux autres parties par dessus le marché. La requête n’a donc même pas été examinée. Amateurisme de la part d’une avocate et de son avocat ? Ou manœuvre pour éviter que la requête ne soit jugée infondée, le but étant de gagner du temps pour que l’affaire soit jugée après les municipales ? L’Académie ne pouvant prêter des intentions aussi cyniques à une femme politique faisant de la probité son oriflamme, elle ne peut que conclure à l’incompétence.

Toujours est-il que le simple dépôt, irrégulier qui plus est, d’une requête, ne saurait constituer la preuve de la partialité d’une juridiction. L’exploitation de ce fiasco ressemble trop à la manœuvre de quelqu’un se sachant sur le point d’être condamnée visant à jeter la suspicion sur le tribunal pour se faire passer pour une victime pour que l’Académie laisse passer.

► Deuxième couche : « J’ai fait appel donc je ne suis pas condamnée.»

Celle-ci a été déterminante pour l’attribution de ce prix. C’est une superbe inversion de la cause et de l’effet. Non, Marine Le Pen n’est pas “pas condamnée” car elle a fait appel : elle a fait appel parce qu’elle est condamnée. Sinon, une simple question : si elle n’est pas condamnée, pourquoi a-t-elle fait appel ?

Une juridiction pénale doit juger deux points : la culpabilité et la peine. Tout jugement doit contenir une déclaration de culpabilité ou relaxer. Ici, il y a eu déclaration de culpabilité, puis prononcé d’une peine : 10 000 euros d’amende. L’appel a bien un effet suspensif, mais de la peine seulement. On ne peut exiger de Marion Le Pen qu’elle paye les 10 000 euros. La condamnation, elle, existe bel et bien. Elle n’est pas définitive, et peut être infirmée par la cour d’appel, mais en attendant, elle existe et figure sur un jugement revêtu du sceau de la République et rendu au nom du Peuple français que la récipiendaire prétend abuser.

Cette manipulation des faits, qui s’ajoute à la manœuvre de la requête en suspicion légitime, visant à retarder un jugement mal engagé, pour des raisons électorales, caractérise la maltraitance du droit pour des motifs politiques qui est l’essence du Prix.

Une avocate, qui a plaidé au pénal, et qui s’en vante pour asseoir sa légitimé et sa compétence, ne peut l’ignorer, ce qui caracétrise la mauvaise foi.

L’Académie a aussitôt procédé au vote et a décerné un prix Busiris par acclamation, avec mention “chapeau bas”.

mercredi 2 avril 2014

Maljournalisme au Point.fr

Cela fait quelques années qu’insidieusement, le débat sur la justice est biaisé par des manipulations des faits, des mensonges, et l’exploitation éhontée des préjugés. Utilisée de prime pour justifier des empilements aussi absurdes qu’inutiles de textes de plus en plus répressifs et restrictifs des libertés, à présent que les tenants de ces idéologies (qui sont à droite mais ne représentent pas toute la droite, loin de là) sont dans l’opposition, position bien plus confortable politiquement, les dernières digues de la raison semblent avoir cédé. Tout est permis, la mauvaise foi la plus crasse, l’absence de tout recul, le simple fait de s’interroger sur la réalité d’idées reçues. Et figurez-vous que si cela m’a toujours agacé, désormais, j’en ai assez. Je n’ai pas la prétention d’avoir le temps et l’énergie de combattre toutes les contre-vérités qui sont abondamment diffusés pour vous faire peur par des gens qui ont quelque chose à vous vendre. Mais dans la modeste mesure de mes moyens, je ne laisserai pas passer ces mensonges sans réagir.

Tous ont un point commun, ils reposent sur le préjugé que la Justice est une machine folle et inhumaine qui n’aime rien tant que le crime et l’insécurité et font tout pour les promouvoir. On écrit même des bouquins qui ont ce titre. Sans rire et sans rougir. Vendre du papier, du clic, de la pétition, c’est très bien. Mais si ça doit se faire en sapant un des trois pouvoirs sur lesquels repose la démocratie car c’est celui qui n’a aucun moyen de se défendre, je ne laisserai pas faire.

Un exemple spectaculaire est fourni par Lepoint.fr, dans un de ces morceaux de bravoure qui déshonorent le titre sous lequel ils paraissent, dans l’article L’inquiétant amendement de Taubira sous la plume de Jérôme Pierrat, mis en ligne le 30 mars dernier (la photo d’illustration est à elle même un grand moment). La première phrase donne le ton du reste de l’article : « Les voyous sablent le champagne et les enquêteurs des douanes et de la police dépriment sérieusement. »

Et qu’apprenons-nous en lisant cet article ? Heu, rien, évidemment, je me suis mal exprimé. Que nous dit cet article ? Que la fourbe Christiane Taubira a “glissé” (en douce, bien sûr, elle est fourbe) un amendement faisant la joie des voyous en ce qu’il supprime la possibilité de garder à vue 96 heures des personnes mises en cause dans des affaires d’escroquerie en bande organisée. Quand on vous dit que la gauche est laxiste et veut livrer les honnêtes gens pieds et poing liés au crime.

Il aurait suffi à l’auteur de l’article de faire un truc dingue. Je ne dis même pas enquêter, ça ne mérite pas ce mot. De cliquer sur le site du Sénat pour lire ledit amendement, ou le compte-rendu de séance (c’est dire si ça s’est fait en catimini, c’est publié au JO) pour comprendre de quoi il retourne et comprendre en voyant que cet argument a été voté aussi par la droite qu’il n’y avait peut-être rien à redire.

Voilà ce qu’on omet de vous dire.

Le droit commun de la garde à vue limite à 48 heures la durée maximale où un individu est privé de liberté et tenu à la disposition de la police. Le 9 mars 2004, la loi Perben 2 a créé un régime dérogatoire pour certains délits commis en bande organisée. Ce régime dérogatoire prévoit notamment que la garde à vue peut être portée à 96 heures, avec autorisation d’un juge au-delà de 48 heures, autorisation qui dans les faits est une simple formalité. Parmi ces délits figuraient l’escroquerie.

Le 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a rendu une décision refusant l’élargissement de ces gardes à vue de 96 heures à la fraude fiscale en bande organisée, en précisant qu’une telle dérogation portant gravement atteinte à la liberté individuelle, elle ne peut s’envisager que pour des délits d’atteinte aux personnes. Dès lors, il était évident que le régime dérogatoire de garde à vue appliqué à l’escroquerie, qui est un délit sans violence, était contraire à la Constitution. La Chancellerie a, je suppose aussitôt fait passer la consigne aux parquets de ne pas faire prolonger au-delà de 48h les gardes à vue d’escroquerie. Et quand s’est présenté le premier texte de loi pertinent pour amender le code de procédure pénale, en l’occurrence le projet de loi portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, le Gouvernement a déposé un amendement, le n°19, mettant la loi en conformité avec la Constitution, ce que l’opposition sénatoriale a approuvé, naturellement. Amendement où figurent toutes ces explications dans l’exposé des motifs.

Bref, non seulement cet amendement est anodin (de fait, ces gardes à vue sont illégales depuis décembre dernier), mais il est parfaitement conforme à l’État de droit et à la hiérarchie des normes. Et voilà comment on vous le vend comme une nouvelle preuve du laxisme du gouvernement et du triomphe du crime. Il suffit pour ça de vous cacher les informations essentielles.

Et d’appeler ça du journalisme web.

vendredi 14 mars 2014

Avis de Berryer : Guillaume Gallienne

Peuple de Berryer ! La promo 2014 tient un joli rythme et nous propose une quatrième conférence Berryer ce mardi 18 mars 2014 à 21 heures, attention, à la première chambre de la cour d’appel (escalier Z, 1er étage, attention, le 1er étage est le BAS de l’escalier Z).

L’invité sera Guillaume Gallienne, comédien, sociétaire de la Comédie Française, et les sujets proposés sont les suivants :

Premier sujet : La comédie est-elle encore française ?

Second sujet : Faut-il se mettre à table ?

Le portrait de l’invité sera dressé par Madame Noémie Coutrot-Cielinski, 3ème secrétaire de la Conférence et seule femme de cette promo testostérone.

L’entrée est libre, mais si vous arrivez après 19 heures, c’est folie, même si la Première chambre est très grande (et fort belle). C’est ici que furent jugés Pétain, Laval, et Kerviel (aucun rapport).

Bonne Berryer à tous.

mercredi 12 mars 2014

Allô oui j'écoute

La question des écoutes téléphoniques connait un regain d’actualité, entre l’inauguration à grand renfort de comm’ de la nouvelle plate-forme nationale des interceptions judiciaires à Élancourt, et surtout la révélation ce vendredi du fait que l’ancien président de la République a été mis sur écoute et qu’à cette occasion, une conversation avec son avocat a été transcrite et versée au dossier, conversation qui aurait révélé qu’un haut magistrat aurait proposé son entregent pour donner des informations sur un dossier judiciaire en cours.

Levée de bouclier chez les représentants ordinaux des avocats et de certains grands noms du barreau, pétition, et réplique cinglante en face sur le mode du pas d’impunité pour qui que ce soit en République. Et au milieu, des mékéskidis complètement perdus. Tous les augures l’indiquent : un point s’impose. Tentons de le faire, même si je crains in fine de ne poser plus de questions que d’apporter de réponses. Prenons le risque : poser les bonnes questions sans jamais y apporter de réponse est le pilier de la philosophie, empruntons donc la méthode.

Tout d’abord, les écoutes, qu’est-ce donc que cela ?

On parle en droit d’interception de communication, et il faut distinguer deux catégories au régime juridique différent : les écoutes administratives et les écoutes judiciaires.

Un premier ministre à votre écoute

Pour mettre fin à des pratiques détestables d’un ancien président décédé peu après la fin de ses fonctions, les écoutes sont à présent encadrées par la loi, ce qui est bon, car rien n’est pire qu’un pouvoir sans contrôle. Bon, comme vous allez voir, contrôle est un bien grand mot, mais c’est mieux que rien.

Ces écoutes administratives, dites “interception de sécurité”, car c’est pour notre bien, bien sûr, toujours, sont prévues par le Code de la Sécurité Intérieure. Ce sont les écoutes ordonnées par le Gouvernement pour tout ce qui concerne la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France (contre-espionnage économique donc), ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous. Elles sont destinées à rester secrètes, et même si rien n’interdit de les verser dans une procédure judiciaire si une infraction était découverte, à ma connaissance, ce n’est jamais le cas ou alors très peu (je ne l’ai jamais vu dans un de mes dossiers). Ces révélations nuiraient à leur efficacité future dans d’autres dossiers.

Les écoutes peuvent être demandées par trois ministres : celui de la Défense, de l’Intérieur et des Douanes (le ministre du budget donc). Ces ministres peuvent déléguer DEUX personnes de leur ministère pour faire les demandes en leur nom. Elles sont décidées par le Premier ministre, qui peut déléguer DEUX personnes pour signer les accords en son nom. Elles sont limitées en nombre total, mais par une décision du Premier ministre, donc c’est une limite quelque peu contigente et qui ô surprise est en augmentation constante. Ce nombre limité est fait pour inciter les administrations à mettre fin à une écoute dès qu’elle n’est plus nécessaire. Ce nombre maximal est à ce jour de 285 pour la Défense, 1455 pour l’Intérieur, et 100 pour le Budget, soit 1840 au total. En 2012, 6 145 interceptions ont été sollicitées (4 022 nouvelles et 2 123 renouvellements). Source : rapport d’activité de la CNCIS.

Ces demandes doivent être soumises pour avis à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) qui donne un avis non obligatoire, mais la Commission affirme être toujours suivie. Pour traiter ces 6 145 demandes, la Commission est composée de… trois membres, dont deux parlementaires et un président nommé par le Président de la République sur une liste de 4 noms dressée conjointement par le vice-président du Conseil d’État (le Président du Conseil d’État est, rappelons-le, le Premier ministre) et le premier Président de la Cour de cassation. Rassurez-vous, ils sont assistés de… 2 magistrats judiciaires.

On sent le contrôle pointu et approfondi. Pour achever de nous rassurer, le président de la Commission proclame dans son rapport d’activité la relation de confiance qui existe entre sa Commission et les services du Premier ministre (contrôle-t-on bien ceux à qui ont fait pleine confiance ?) et répond à ceux qui se demandent si la Commission est vraiment indépendante en citant… Gilbert Bécaud. Je suis donc parfaitement rasséréné et serein.

Pour la petite histoire, la relation de confiance qui unit la CNCIS au Premier ministre est telle que ce dernier a purement et simplement oublié de l’informer de l’abrogation de la loi régissant son activité et de la codification de ces textes à droit constant dans le Code de la Sécurité intérieure, que la Commission a appris en lisant le JORF. Rasséréné et serein, vous dis-je.

Ces interceptions de sécurité n’ont pas de lien avec l’affaire qui nous occupe, jetons donc un voile pudique là-dessus.

La justice à votre écoute

Voici à présent le domaine des interceptions judiciaires. Elles sont ordonnées par un juge ; historiquement, c’est le domaine du juge d’instruction, mais depuis 10 ans, ces interceptions peuvent être faites sans passer par lui, à l’initiative du procureur de la République, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, sans débat contradictoire bien sûr, par définition, puisqu’on ne va pas inviter la personne allant être écoutée à présenter ses observations, et dans deux cas : la recherche des personnes en fuite (i.e. faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ou condamnées définitivement, ce qui inclut les évadés), c’est l’article 74-2 du code de procédure pénale (CPP) et dans les affaires portant sur des délits de la liste de l’article 706-73 du CPP commis en bande organisée (art. 706-95 du CPP). Pour les personnes en fuite, l’écoute est limitée à 6 mois en matière délictuelle (pas de limite en matière criminelle), et pour la délinquance en bande organisée, les écoutes sont limitées à 2 mois.

Les interceptions peuvent sinon être ordonnées par le juge d’instruction, qui n’a pas d’autorisation à demander, puisque lui est juge. Elle est sans limitation de durée (la loi précise qu’elle doit être renouvelée tous les 4 mois, mais c’est de pure forme). La seule condition est que le délit sur lequel le juge enquête soit passible d’au moins deux ans de prison, ce qui, avec la tendance à l’aggravation générale des peines, couvre l’essentiel du champ pénal (une vol de parapluie dans le métro, c’est déjà 5 ans encouru). La décision est écrite mais susceptible d’aucun recours, et de toutes façons n’est notifiée à personne, et n’est versée au dossier qu’une fois les écoutes terminées, avec la transcription des conversations utiles (article 100-5 du CPP).

Concrètement, tous les appels entrants et sortants sont enregistrés (entrant = le numéro surveillé est appelé, sortant = le numéro surveillé appelle), un policier du service en charge de mener les interceptions les écoute et s’il considère que la conversation contient des éléments intéressant l’enquête, il doit la retranscrire mot à mot par écrit sur un procès verbal qui sera versé au dossier. La lecture de ces PV est un grand moment, quand on réalise que pas une phrase n’est achevée, et que la moitié n’a pas de verbe. Les enregistrements (qui sont des fichiers informatiques) sont tous conservés pour la durée de l’enquête et au-delà, jusqu’à la prescription de l’action publique, soit 3 ans pour un délit et 10 ans pour un crime. Les écoutes téléphoniques génèrent un gros volume de déchet, la quasi totalité des communications étant sans intérêt, sauf quand on met sur écoute le téléphone professionnel d’un dealer, où là à peu près 100% des conversations sont payantes, à tel point que les policiers, en accord avec le magistrat mandant, renoncent à transcrire TOUTES les conversations utiles, pour en sélectionner certaines représentatives.

Certaines catégories de personnes sont plus ou moins protégées par la loi. Ainsi, la loi interdit de transcrire une écoute d’un journaliste permettant d’identifier une source. Mais rien n’interdit d’écouter, juste de transcrire. Le policier sera aussitôt frappé d’amnésie, bien sûr. Bref, protection zéro.

S’agissant des avocats, point sur lequel je reviendrai, d’une part, la loi impose, à peine de nullité, d’informer préalablement le bâtonnier de ce placement sur écoute. Curieuse précaution puisqu’il est tenu par le secret professionnel et ne peut le répéter ni exercer de voie de recours. Protection illusoire donc. Enfin, la loi interdit, à peine de nullité, de transcrire une discussion entre l’avocat et un client portant sur l’exercice de la défense. Naturellement, le policier qui aura tout écouté sera frappé par magie d’amnésie. Ah, on me dit que la magie n’existe pas. Mais alors ?…

La Cour de cassation aiguillonnée par la Cour européenne des droits de l’homme (bénie soit-elle) est très vigilante sur ce point, et interdit toute transcription de conversation avec un avocat dès lors qu’il ne ressort pas de cet échange que l’avocat aurait lui-même participé à la commission d’une infraction. Notons que cela suppose qu’un policier écoute l’intégralité de l’échange…

Point amusant quand on entend les politiques vitupérer sur le corporatisme des avocats et balayer les critiques au nom du refus de l’impunité, les parlementaires jouissent aussi d’une protection contre les écoutes (je cherche encore la justification de cette règle, mais le législateur, dans sa sagesse, a décidé de se protéger lui-même, il doit savoir ce qu’il fait) : le président de l’assemblée concernée doit être informé (article 100-7 du CPP). Notons que lui n’est pas tenu au secret professionnel.

De même que les parlementaires ne peuvent être mis en examen ou placés en garde à vue sans que le bureau de l’assemblée concernée ait donné son autorisation. Super pour l’effet de surprise. Les avocats ne jouissent d’aucune protection similaire, mais le législateur doit savoir ce qu’il fait en se protégeant plus lui-même que les avocats, n’est-ce pas ? On a nécessairement le sens des priorités quand on a le sens de la chose publique.

Quant aux ministres, ils échappent purement et simplement aux juges d’instructions, et les plaintes les visant sont instruites par une commission composée majoritairement de parlementaires de leur bord politique. Avec une telle garantie d’impartialité, que peut-on redouter ? On comprend donc que les ministres et parlementaires puissent se permettre de prendre de haut la colère des avocats. Ils sont moralement au-dessus de tout reproche.

Les écoutes une fois transcrites sont versées au dossier de la procédure (concrètement une fois que l’écoute a pris fin) et sont des preuves comme les autres, soumises à la discussion des parties. L’avocat du mis en examen découvre donc le jour de l’interrogatoire de première comparution des cartons de PV de retranscriptions littérales de conversations, et grande est sa joie.

Les écoutes ne peuvent porter que sur l’infraction dont est saisi le juge d’instruction. Si une écoute révèle une autre infraction, le juge doit faire transcrire la conversation, et la transmettre au procureur pour qu’il avise des suites à donner. Il n’a pas le droit d’enquêter de sa propre initiative sur ces faits, à peine de nullité, et ça peut faire mal.

Et dans notre affaire ?

De ce que j’ai cru comprendre à la lecture de la presse, voici ce qui s’est semble-t-il passé (sous toutes réserves, comme disent les avocats de plus de 70 ans à la fin de leurs écritures).

En avril 2013, dans le cadre d’une instruction ouverte pour des faits de corruption dans l’hypothèse où une puissance étrangère, la Libye, aurait financé la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, le téléphone mobile de ce dernier a été placé sur écoute. Très vite, les policiers en charge de la mesure vont soupçonner une fuite sur l’existence de cette écoute. L’ancien président devient peu disert, et à plusieurs reprises, il téléphone brièvement à son avocat, avec qui il convient de se rappeler dans 10 minutes, sauf qu’aucun appel ne suit. Classiquement, cela révèle l’existence d’un TOC (de l’anglais Telephone Out of Control, traduit par Téléphone OCculte, on dit aussi téléphone de guerre). Un classique chez les dealers : on fait ouvrir une ligne sous un faux nom, ou par un complice, et ce téléphone n’est utilisé que pour appeler un autre TOC, appartenant au fournisseur par exemple. Ainsi, ce numéro n’apparait pas dans les fadettes, et est très difficile à identifier par les policiers (ceux qui auront vu l’excellentissime série The Wire sauront de quoi je parle). Par contre, quand il l’est, c’est jackpot.

À Paris, l’identification de ce TOC est impossible. La même borne de téléphonie mobile peut être utilisée par plusieurs milliers de numéros en 10 minutes, impossible de repérer un numéro suspect dans ce flot. Il faut attendre l’erreur de débutant. Et elle a eu lieu.

Les policiers vont intercepter un nouvel appel “on se rappelle dans 10 minutes”. Sauf que cette fois Nicolas Sarkozy n’est pas à Paris, mais au Cap Nègre, hors saison. Autant dire que la borne qu’il utilise n’est pas trop sollicitée. Les policiers vont se faire communiquer le relevé des numéros ayant utilisé cette borne dans les minutes qui ont suivi leur appel suspect, et ils ont dû avoir, sinon un seul numéro, une petite poignée facile à trier. Ils identifient facilement le TOC de l’ancien président, et par ricochet, celui qu’utilise son avocat, seul numéro appelé. Le juge d’instruction a alors placé ce téléphone occulte sur écoute. De ce fait, l’avocat de l’ancien président a été lui même écouté, mais par ricochet, en tant que correspondant.

Et lors d’une de ces conversations, il serait apparu qu’un haut magistrat renseignerait l’ancien président sur un autre dossier pénal le concernant en échange d’un soutien pour un poste agréable, ce qui caractériserait le pacte de corruption et un trafic d’influence. Rien à voir avec le financement de la campagne de 2007 : la conversation est donc transcrite et transmise au parquet, et le tout nouveau procureur national financier a décidé d’ouvrir une nouvelle information, confiée à des juges différents du volet corruption, pour trafic d’influence.

Sauf que tout est sorti dans la presse, sans que l’on sache d’où provient la fuite. Contentons-nous de constater qu’elle est regrettable et soulignons qu’à ce stade, les personnes concernées sont présumées innocentes, et non présumées coupables, comme un ancien président avait malencontreusement dit, mais c’était un lapsus, je suis sur qu’il a compris son erreur depuis.

Juridiquement, ça donne quoi ?

Nicolas Sarkozy est avocat. Quand il a été placé sur écoute sur son téléphone mobile personnel, le bâtonnier de Paris a donc dû être informé. Rien n’impose de détailler les numéros surveillés, seule la mesure doit être indiquée, donc le bâtonnier de Paris n’a surement pas été informé de la découverte d’un téléphone occulte. L’avocat de l’ancien président ayant lui été écouté par ricochet, comme correspondant (unique) du numéro surveillé, il n’a pas été juridiquement placé sur écoute et le bâtonnier n’avait pas à être informé.

Les conversations que Nicolas Sarkozy a eues avec son avocat, qui le défend dans plusieurs dossiers, ont donc toutes été écoutées. Elle n’ont pas été transcrites, mais un policier était au courant dans les moindres détails des stratégies décidées entre l’avocat et son client.

Dès lors que l’information du placement sur écoute a été donnée au bâtonnier, et que n’ont été transcrites que les conversations laissant soupçonner la participation de l’un des intéressés à une infraction, les écoutes sont légales. Nicolas Sarkozy pourra demander à la chambre de l’instruction de Paris d’examiner leur légalité et de les annuler s’il y a lieu, mais seulement s’il est mis en examen (pas s’il est simple ou témoin assisté).

Pourquoi cette colère des avocats ?

Sans partager l’indignation que je trouve excessive dans la forme de notre bâtonnier bien-aimé (il s’agit d’un autre bâtonnier que celui qui a été informé en son temps du placement sur écoute, on en change toutes les années paires) et de plusieurs très illustres confrères, dont je ne signerai pas le texte, les écoutes des appels où un avocat est concerné me gênent, et j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne vois qu’une solution satisfaisante : leur interdiction absolue.

Répondons d’emblée à notre garde des sceaux bien-aimée : je ne revendique aucune impunité pour les avocats. Je laisse l’impunité organisée aux politiques. Au contraire, j’appelle à la sévérité pour ceux de mes confrères qui franchissent la ligne et cessent d’être des avocats pour devenir des complices. Des procureurs avec qui j’ai discuté de la question de l’accès au dossier en garde à vue m’opposent qu’ils connaissent des avocats qui franchiraient volontiers et couramment cette ligne et n’hésiteraient pas à renseigner des tiers sur des gardes à vue en cours, expliquant ainsi leur réticence à nous donner accès au dossier. Admettons donc que la chose existe. Mais puisqu’ils disent cela, c’est qu’ils ont des preuves : qu’ils poursuivent les avocats, au pénal ou au disciplinaire, sachant que s’il soupçonne l’Ordre d’être par trop complaisant, le parquet peut porter les poursuites devant la cour d’appel composée de 5 magistrats du sièges, formation particulièrement sévère pour les avocats fautifs. Refuser ce droit de la défense parce que quelques uns (une minorité, ils en conviennent tous) pourraient mal l’utiliser ne tient pas. On ne va pas supprimer les droits de la défense sous prétexte que parfois, ils sont utilisé à mauvais escient, non ?

Le problème est ici un problème d’équilibre entre des valeurs contradictoires. D’un côté, la protection de la liberté de la défense, de l’autre, la nécessité de poursuivre les infractions. Une immunité pour les avocats serait déséquilibré, j’en conviens, et nul chez les avocats n’a jamais réclamé une telle impunité, Mme Taubira serait bien aimable de cesser de faire comme si tel était le cas. C’est un subterfuge classique de la rhétorique de répondre à un autre argument que celui qui nous est opposé s’il nous met en difficulté, mais je préfère quand Mme Taubira cite René Char plutôt que Schopenhauer.

Mais admettre qu’un policier puisse écouter tout ce qu’un avocat dit à son client, et feindre de croire que, parce que ça n’a pas été transcrit, ça n’a pas eu lieu et que le policier oubliera avant d’avoir pu en parler à qui que ce soit, c’est protéger un droit fondamental par une fiction. C’est laisser perdurer un soupçon, qui est un poison lent mais mortel. Et pour tout dire, il y en a marre de ces dossiers qui partent d’une enquête sur la base d’une information donnée par une source anonyme mais incroyablement bien informée et que la justice valide puisqu’il n’est pas interdit de se baser sur une source anonyme (c’était même très à la mode il y a quelques décennies). Personne n’est dupe. Ce n’est pas satisfaisant. Et sacrément hypocrite, puisque le système revient à prétendre qu’il est justifié puisque seules les preuves de la culpabilité d’un avocat ont vocation à être transcrite, en oubliant la méthode pour les obtenir. La fin justifie les moyens, disait-on déjà pour justifier la Question.

Le secret est la pierre angulaire du droit à une défense. Sans secret, il n’y a plus de défense. Et rappelons encore une fois car on ne le dit jamais assez : le secret n’est pas fait pour cacher des choses honteuses. Pas plus que vous n’avez mis des serrures à vos portes, des rideaux à vos fenêtres et des murs autour pour commettre chez vous des crimes en toute impunité, le secret de la défense n’est pas fait pour dissimuler la culpabilité. Il est la pierre sur laquelle se bâtit la relation entre un avocat et son client. La certitude que tout ce que vous lui direz ne sera JAMAIS retenu contre vous, et qu’il ne révélera que ce qui est strictement nécessaire à votre défense. Nous sommes les confidents de nos clients, les derniers à qui vous pouvez tout dire quand vous êtes dans des ennuis sans nom et que votre vie vient de voler en éclat avec votre porte à six heures du matin. Celui qui ne vous trahira jamais, quoi que vous ayez fait. C’est ce qui s’appelle du joli nom de colloque singulier. Toute oreille qui se glisse dans ce colloque, même avec la meilleure intention du monde, réduit la défense à néant.

La solution que je propose modestement a l’avantage de la simplicité et d’être faisable à moindre coût. Elle est protectrice de la défense sans faire obstacle à ce que les brebis galeuses soient poursuivies.

Les écoutes sur des conversations avec un avocat doivent être purement et simplement interdites. Pas leur transcription, leur écoute. Pour cela, il suffit que chaque avocat déclare à son Ordre le numéro fixe de son cabinet et son numéro de mobile professionnel, liste tenue à jour à l’initiative des avocats, qui s’ils ne le font pas s’exposent à être écoutés légalement, tant pis pour eux. Ces numéros forment une liste rouge communiquée à la plate forme nationale des interceptions judiciaires. Dès lors qu’un de ces numéros est appelé ou appelant sur une écoute en place, le logiciel d’écoute n’enregistre pas, point.

C’est juste un mode de preuve précis qui est interdit, pas les poursuites, qui pour le reste obéissent au droit commun (les perquisitions dans les cabinets d’avocat aussi devraient être interdites d’ailleurs pour les mêmes raisons : un juge lit nos dossiers, nos correspondances avec nos clients parfois incarcérés, nos notes personnelles ; et qu’on ne vienne pas nous faire la morale quand par exemple un juge d’instruction qui aime beaucoup donner des leçons de rectitude, pour ne pas dire de rigidité morale s’est permis de prendre connaissance au cours d’une perquisition pour tout autre chose du dossier de poursuites pour diffamation le visant avant de le reposer en disant “voyez, maitre, je ne le saisis pas, de quoi vous plaignez-vous ?”). Après tout, les lettres que nous adressons à nos clients incarcérés font l’objet d’une protection absolue, de même que nos entrevues au parloir ou l’entretien de 30 minutes que nous avons en garde à vue. On peut également recevoir nos clients dans nos cabinets en toute confidentialité. Donc si on a des messages illicites à leur faire passer, on peut le faire. Inutile de porter gravement atteinte au secret professionnel, qui de fait n’existe plus du tout quand un avocat est placé sur écoute puisqu’il est amené à discuter avec tous ses clients de tous ses dossiers au téléphone. Le fait que le divorce de Mme Michu et le bornage du Père Fourrasse n’intéresse pas l’OPJ qui écoute ces conversations ne retire rien au fait que le mal est fait, le secret n’existe plus. C’est l’honneur d’une démocratie que d’arrêter son propre pouvoir par la loi, et de dire “je m’interdis de faire cela, car le bien que la collectivité pourrait en tirer est minime et l’atteinte au bien individuel énorme”. Seuls les régimes despotiques font toujours prévaloir la collectivité sur l’individu sans considération de la proportionnalité, d’où les allusions maladroites à de tels régimes dans le dies iræ de mon Ordre. On admet ainsi que nos domiciles soient inviolables entre 21 heures et 6 heures. Neuf heures par jour d’impunité pour tous ! Comment la République a-t-elle survécu ?

Mais me direz-vous, avec cette protection, des avocats malhonnêtes pourraient échapper aux poursuites faute d’être jamais découverts. Oui, c’est le prix à payer. Mais depuis 24 ans que la loi sur les écoutes judiciaires est en vigueur, combien d’avocats délinquants ont été découverts fortuitement par une écoute et condamnés ? Quel est ce nombre exact ? Multiplions le par 4, et nous aurons le nombre de délits peut-être impunis sur un siècle (peut-être impunis car ces avocats peuvent tomber autrement, bien des avocats sont pénalement condamnés et radiés sans jamais avoir été mis sur écoute), comme prix à payer pour une protection de la défense digne d’un grand pays des droits de l’homme. Et si ça valait le coût, plutôt que faire prévaloir le soupçon et la répression ?

En attendant qu’Utopia devienne notre nouvelle capitale, mes chers confrères, c’est à vous que je m’adresse. Nous devons faire contre mauvaise fortune bon cœur et tirer les leçons de l’état actuel du droit, qui ne protège pas notre ministère. La protection de notre secret nous incombe au premier chef. Le téléphone doit servir exclusivement à des banalités. Donner une date d’audience, fixer un rendez-vous. Jamais de secret, jamais de stratégie de défense au téléphone. Vous avez des choses importantes à dire à votre client ? Qu’il vienne vous voir à votre cabinet (exceptionnellement déplacez-vous, mais jamais chez lui, vous n’êtes pas à l’abri d’une sonorisation). Je sais que beaucoup de confrères sont devenus accros du mobile, même les plus technophobes d’entre nous. Un téléphone mobile, qui utilise la voie hertzienne, n’est pas confidentiel, c’est même un mouchard qui donne votre position tant qu’il est allumé (ou en veille pour un smartphone). Et j’en aurai de même à dire sur l’informatique. Il est plus que temps que nous utilisions TOUS des solutions de chiffrement de mails et de pièces jointes comme OpenPGP (c’est efficace et gratuit), des logiciels comme TruCrypt, gratuit aussi, pour chiffrer nos fichiers (avec des sauvegardes idoines bien sûr). Ce sont des logiciels libres, que vous paierez par des dons du montant que vous souhaiterez au rythme que vous souhaiterez (on n’a pas beaucoup de charges variables comme ça, n’est-ce pas ?) et si vous êtes un peu féru d’informatique, vous pourrez utiliser un réseau privé virtuel (VPN) avec des navigateurs anonymisés qui vous rendront totalement intraçables en ligne. Nous ne pouvons pas avoir des comportements de dilettantes ou d’amateurs qui finissent par donner à nos clients un faux sentiment de sécurité, car nous les trahissons en faisant ainsi.

Pour ma part, je suis passé au tout numérique et au tout chiffré. Qu’un juge ou un cambrioleur vide mon bureau, je serai opérationnel à 100% dans les 5 minutes, je peux accéder à tous mes programmes et archives depuis n’importe quel PC, et mes visiteurs impromptus n’auront accès à aucun de mes dossiers (et en toute amitié, le premier peut toujours courir pour avoir mes clefs).

C’est peut-être ça la solution : rendre une loi protégeant la confidentialité de nos appels et de nos cabinets inutile.

dimanche 9 février 2014

L'affaire Bluetouff ou : NON, on ne peut pas être condamné pour utiliser Gogleu

Le titre de ce billet peut paraître surprenant, mais il répond en fait à un titre d’article qu’un journal en ligne de la presse spécialisée, au demeurant excellent sur son secteur, a employé pour relater la présente affaire. Comme quoi la communauté geek sait avoir les mêmes réflexes corporatistes que n’importe quel autre groupe social ayant des intérêts communs assez forts. Heureusement, outre son goût pour les pizzas froides et la Guinness, ce qui la caractérise avant tout est le goût de comprendre, et je l’entends qui piaffe aux portes de ce blog. Faites entrer les fauves, on va faire du droit.

Au-delà des aspects techniques de cette affaire, que nous allons aborder, on se retrouve dans une problématique récurrente lorsqu’on doit juger des délits commis dans un contexte technique complexe : que ce soit la finance, la médecine, la pharmacologie, ou la technologie : les prévenus regardent les juges comme des ignares car ils n’ont pas leurs connaissances, ni même parfois les bases. Ça n’a pas manqué ici puisque des journalistes ayant assisté à l’audience ont raillé la façon de tel juge de prononcer Google “gogleu”, ou un log-inlojin” au lieu du loguine canon.

C’est regrettable bien sûr car ce genre de détail, qui peut faire sourire, sape l’autorité morale qui doit s’attacher à une décision de justice. Comment un juge qui ne sait pas prononcer Google avec l’accent de Mountain View pourrait-il être apte à juger un dossier où les thèses en présence soulèvent des points techniques, notamment en terme de sécurité informatique, domaine où le prévenu est un spécialiste reconnu ? Mais alors, faut-il refuser de juger les dossiers trop techniques faute de juge diplômé dans la matière ? Car soyons clairs : il n’y a pas de magistrat ayant l’ancienneté requise pour siéger en cour d’appel qui ait un diplôme d’ingénieur en informatique. C’est naturellement impossible. La solution est assez simple: une audience est un moment de débat qui impose aux parties de la pédagogie. Faire comprendre aux juges ces aspects techniques est une partie essentielle de la fonction de défendre. Avant d’exposer sa thèse, il faut d’assurer que le juge la comprenne. Et vous allez voir qu’ici, les conseillers de la cour d’appel de Paris ont plutôt bien compris la problématique informatique. Paradoxalement, c’est en droit pénal que leur décision est la plus critiquable.

I am da hakerz

À titre de prolégomènes, voyons un peu les délits informatiques. Ils ont été créés par une loi de 1985 qui est objectivement plutôt une réussite, car nonobstant les progrès et les évolutions de l’informatique, il n’y a pas eu besoin de les modifier, ils tiennent bon et sont toujours adaptés. Peu de lois peuvent en dire autant.

Les délits en question sont aux articles 323-1 et suivants du code pénal.

Le premier est l’accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données (ou STAD, le terme légal pour un système informatique, qui recouvre aussi bien feu le minitel que des ordinateurs, serveurs, tablettes ou smartphone). Il est caractérisé dès lors que l’on a conscience d’accéder à un STAD alors qu’on n’a pas le droit de le faire (l’accès doit être frauduleux). Que ce soit par une attaque par dictionnaire ou force brute pour un accès protégé par mot de passe, ou en ayant obtenu le mot de passe en lisant le post-it accolé sur le moniteur, ou en exploitant une faille ou une backdoor. C’est en quelque sorte la violation de domicile informatique. Notons que la loi n’exige pas un niveau minimum de sécurité. Accéder à un STAD non protégé peut constituer le délit, mais il sera plus difficile d’établir que vous aviez conscience de pénétrer un système sans en avoir l’autorisation. Cet accès est puni (au maximum) de deux ans de prison et 30 000 € d’amende, peine portée à 3 ans et 45 000 € si cet accès a eu pour conséquence l’altération ou la suppression de données, ou si le fonctionnement du système a été altéré, que ce soit volontairement ou non. Si votre attaque par force brute a provoqué un DDoS que vous n’escomptiez pas, le délit est aggravé. Si le système concerné traite des données personnelles pour le compte de l’État, c’est 5 ans et 75 000 € encourus.

Le deuxième est le fait de se maintenir frauduleusement dans un STAD. C’est l’hypothèse où on arrive par erreur, ou en cliquant sur un lien mal paramétré, dans l’interface admin du site ou dans l’arborescence des répertoires, des bases de données MySQL, ou que sais-je encore. À l’instant où on réalise qu’on n’a rien à faire là, il convient de mettre fin à cette connexion. Ne pas le faire, fut-ce pour jeter un coup d’œil, constitue le délit. Les mêmes aggravations s’appliquent, les peines sont les mêmes.

Le troisième est l’entrave au fonctionnement d’un STAD. Typiquement, c’est l’attaque par DDos (Distributed Denial of Service)pour faire tomber un site en le submergeant de requêtes inutiles et consommatrices de bande passante. Mais de manière générale, toute mesure, toute action, informatique ou extérieure, visant à empêcher un STAD de fonctionner normalement constitue le délit. Et ce même s’agissant de Drupal, qui pourtant ne fonctionne jamais normalement. (Hein ? Où ça un troll ?)

Peine encourue : 5 ans, portées à 10 si le STAD attaqué traite des données personnelles pour l’Etat.

Le quatrième est l’introduction, la modification ou la suppression de données dans un STAD. On est là au cœur de ce qui constitue le piratage informatique. Porter atteinte à l’intégrité des données est puni de 5 ans de prison et 75 000  € d’amende, porté à 7 ans et 100 000 € si la cible est un système traitant des données personnelles pour l’État (par exemple, accéder au fichier national des permis de conduire et se rajouter des points).

Enfin, le fait, sans motif légitime (comme le serait la recherche en sécurité informatique) de détenir ou faire circuler un moyen (que ce soit un appareillage ou un programme) de commettre l’une de ces infractions est un délit puni des peines prévues pour le délit principal. C’est une sorte de délit de complicité, délit autonome car il n’exige pas la conscience de fournir une aide pour la commission d’une infraction : la simple détention constitue déjà le délit.

Voilà, chers hackers, vous savez à quelle sauce vous pouvez être mangés.

À présent, voyons l’affaire qui nous préoccupe.

Accusé Bluetouff, levez-vous

La mésaventure qui nous intéresse aujourd’hui concerne Bluetouff, oui c’est un pseudonyme, professionnel de la sécurité informatique et full disclosure, mon fournisseur de VPN, même s’il ne m’a jamais sollicité pour que j’écrive sur son affaire.

Particulièrement sensibilisé à ce qui se passe en Syrie depuis le début de la révolte contre le régime d’El Assad, un jour qu’il cherchait via Google des informations sur la situation sur place et l’assistance apportée par des sociétés française à la surveillance électronique de la population, il tombe sur un lien vers des documents de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). En cliquant sur le lien généré par Google, il réalise très vite qu’il est dans l’extranet de l’Agence, et peut accéder sans problème à des quantités de documents internes portant sur la santé publique. Il télécharge près de 8 Go de données et après les avoir en vain proposé à des journalistes spécialisés, prend l’initiative de publier des articles se reposant sur ces données. C’est un de ces articles qui va attirer l’attention de l’ANSES qui va réaliser qu’il s’agit là de documents internes censés être confidentiels. Pensant avoir été victime d’un piratage, l’agence va porter plainte, et l’affaire va être prise très au sérieux, puisque c’est la DCRI qui va être chargée de l’enquête, comme tout ce qui concerne les affaires ou les intérêts nationaux sont en cause : en effet, l’ANSES a le statut d’Opérateur d’Importance Vitale prévu par le Code de la Défense. Bluetouff explique l’affaire en détail dans ce billet, auquel je vous renvoie pour plus de détails.

L’enquête établit assez rapidement (mais pas assez pour que Bluetouff échappe à 30 heures de garde à vue) que l’accès s’est fait sans difficulté, du fait d’une incroyable faille de sécurité du serveur de l’ANSES qui permettait à Google d’indexer des liens directs vers l’extranet de l’Agence. Le parquet renvoie tout cela devant le tribunal correctionnel de Créteil, compétent car l’ANSES se situe à Maisons-Alfort, dans le Val de Marne, pour 3 délits : introduction frauduleuse dans un STAD, maintien frauduleux dans un STAD et vol des 8 Go de documents.

Le 23 avril 2013, le tribunal correctionnel de Créteil relaxe Bluetouff de l’intégralité des préventions retenues contre lui. L’ANSES s’était constituée partie civile, mais réalisant sans doute qu’elle ne peut décemment s’en prendre qu’à elle même, ne fait pas appel. Le parquet, lui, si.

L’affaire revient donc devant la cour d’appel le 18 décembre, audience dont la presse s’est faite écho en soulignant à quel point les magistrats avaient l’air dépassés, l’avocat général admettant ne pas avoir compris la moitié des termes employés lors de l’audience. On sait pourtant à quel point en pénal, l’honnêteté ne paye pas. L’arrêt a été rendu le 5 février et peut être lu intégralement ici.

Que dit au juste la cour ? Elle doit statuer dans les limites de sa saisine, fixée par le parquet quand il a saisi le tribunal. En l’espèce, il reproche 3 délits à Bluetouff : introduction frauduleuse dans un STAD, maintien frauduleux dans un STAD et vol des documents de l’ANSES.

Sur l’introduction frauduleuse dans un STAD, la cour reconnait que Bluetouff est bien arrivé sur l’extranet de l’Agence en raison d’une grave faille de sécurité, que l’Agence a reconnue et a depuis, je l’espère, comblé. Dans ce cas, l’élément moral de l’infraction, son caractère frauduleux, c’est à dire la conscience d’entrer là où on n’a pas le droit d’aller, informatiquement s’entend, n’est pas constitué. La relaxe s’impose et la cour confirme sur ce point le jugement de Créteil.

Sur le maintien frauduleux, la cour retient qu’entendu au cours de la garde à vue, Bluetouff a reconnu s’être baladé dans l’arborescence des répertoires en remontant jusqu’à la page d’accueil, où il a constaté la présence d’une authentification par login / mot de passe. Fatalitas. Dès lors, Bluetouff a creusé sa tombe. En admettant cela, il a reconnu ce que le parquet aurait été autrement incapable de démontrer : le caractère frauduleux de son maintien. À la seconde où Bluetouff a compris qu’il était dans un extranet dont la porte était fermée mais dont on avait juste oublié de monter les murs autour, il commettait le délit de maintien frauduleux dans un STAD. Or loin de se déconnecter immédiatement, il est resté et a téléchargé l’important volume de documentation, ce qui lui a pris plusieurs heures, caractérisant le maintien. Quand je vous dis que le droit au silence en garde à vue, ce n’est pas un gadget. Le délit est donc prouvé, et la cour infirme le jugement sur ce point et condamne Bluetouff.

Sur le vol, la cour est moins diserte, et c’est à mon humble avis le point sur lequel l’arrêt est juridiquement le plus critiquable, et justifie la décision du prévenu de se pourvoir en cassation. La cour estime le vol constitué par le fait d’avoir réalisé des copies des fichiers de l’ANSES à l’insu et contre le gré de l’agence. Sans vouloir souffler aux conseillers de la chambre criminelle, il y a à mon sens une insuffisance de motifs.

Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. La loi pénale est d’interprétation stricte. On entend par soustraction une appréhension, une appropriation : il faut se comporter en propriétaire de la chose, dépossédant ainsi le véritable propriétaire. La soustraction doit être frauduleuse, c’est à dire en ayant conscience que l’on n’est pas propriétaire de la chose. Or s’agissant d’un fichier informatique, on peut le copier sans jamais déposséder le propriétaire. C’est même la règle et la base du téléchargement payant de fichier. C’est précisément pour cela qu’il a fallu créer un délit spécifique pour le vol de propriété intellectuelle (la contrefaçon) qui nuit à l’auteur de l’œuvre, mais en aucun cas le dépossède de celle-ci. Personne ne pourrait voler les Misérables à Victor Hugo. On peut voler un support informatique (disquette, clef USB, disque dur, CD-ROM…), mais en aucun cas le contenu de cette mémoire. Cette dernière condamnation ne tient pas à mon sens, et on peut espérer que la Cour de cassation y mette bon ordre (même si en cas de renvoi devant une autre cour d’appel, une requalification en contrefaçon n’est pas impossible, auquel cas une condamnation serait envisageable).

C’est là le paradoxe de cette décision : bien qu’ayant affiché une ignorance de l’informatique, la cour d’appel me semble avoir correctement apprécié les faits et en avoir tiré des conséquences juridiquement correctes (je ne discute pas son appréciation des preuves, ne connaissant pas le dossier) ; c’est sur le terrain du droit pénal on ne peut plus classique du vol, où on a 2000 ans de jurisprudence, que la cour s’est mélangée les pinceaux.

Sur la peine finalement prononcée (3000 € d’amende), je trouve simplement, mais c’est ma déformation de pénaliste sans doute, que la cour a laissé passer une excellente occasion de prononcer une dispense de peine. Le trouble à l’ordre public a cessé par la destruction des fichiers copiés et la mise hors ligne des articles les citant, la victime a reconnu sa faute et a renoncé à poursuivre ; quant à la réinsertion de Bluetouff dans la société, le fait d’être mon fournisseur de VPN est largement suffisant à l’établir.

mercredi 29 janvier 2014

Lettre à ma prof

Madame le professeur,

C’est avec le profond respect que l’élève doit à son maître que je vous écris, puisque j’ai eu l’honneur d’être votre étudiant quand vous enseigniez encore. C’est vous qui m’avez initié à la procédure pénale, et si je ne suis pas sûr que vous approuveriez ce que j’ai fait de votre enseignement, vous auriez toutes les raisons d’être fière à tout le moins de ma maîtrise de la matière.

C’est pourquoi je me sens tenu de vous rendre un peu de ce que vous m’avez donné, car il n’y a de don plus précieux que la connaissance, qui enrichit celui qui la reçoit sans appauvrir celui qui la donne. En outre, vous avez toujours fait montre d’un goût pour la franchise la plus directe, en tout cas à l’égard des autres, à commencer par vos étudiants, mais je n’ai aucune raison de douter que vous ne goûtiez point qu’on en usât de même avec vous.

J’ai bien noté votre réticence à l’égard du bloging, qui est pour vous, cumulativement, “un exutoire pour adolescents en mal de reconnaissance, un jouet pour dilettantes oisifs ou un moyen de se maintenir en lumière pour des mégalos n’acceptant pas l’idée d’être absents de la scène médiatique”. Je vous laisse choisir dans quelle catégorie je me range plus particulièrement, moi qui ai passé l’âge d’être un adolescent avant même de m’asseoir dans votre amphithéâtre pour la première fois, qui ai du mal à trouver du temps pour écrire mes billets, et qui ai choisi le pseudonymat pour fuir la scène médiatique. Je m’interdis en revanche de me poser la même question à votre égard, la crainte révérentielle que j’ai pour vous me l’interdisant.

Vous bloguez donc, j’en suis fort aise, même si, contrairement à ce que vous semblez penser, la blogosphère est loin d’être démunie en matière de pensée de l’école de la défense sociale qui est la vôtre, et qui, malgré vos efforts, n’est pas la mienne. Et c’est votre dernier billet en date qui me chiffonne. Il faut dire qu’il est intitulé “avocat pénaliste et garde à vue”, ce qui a tout pour attirer mon attention, et a été vivement salué sur Twitter par des lecteurs policiers, ce qui a tout pour me faire craindre le pire quant à son contenu.

Et en effet, j’ai tout de suite retrouvé la plume de celle qui trente années durant a dirigé un Institut d’Études Judiciaires avec les yeux de Chimène pour l’Ecole Nationale de la Magistrature et les yeux d’Emma Bovary pour le Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats. Voir que vous n’avez pas perdu votre mépris pour la profession qui est la mienne m’a rajeuni de 20 ans, et le fait que je l’exerce à présent me confirme ce que je ne pouvais que pressentir à la fac : vous n’avez jamais rien compris à cette profession. Comme il n’est jamais trop tard pour s’amender, même quand on est en situation de multirécidive, permettez-moi de vous exposer quelques vérités qui sont pour moi des évidences mais seront pour vous des nouveautés.

”Le rôle d’un avocat pénaliste est de défendre ses clients, de les défendre tous (au moins ceux qu’il a choisi d’assister) et de les défendre, dans l’idéal, jusqu’à les avoir soustraits à la justice”, dites-vous. Votre prémisse est les prémices de bien des sottises, et vous le confirmez sans attendre.

Il faut alors avoir bien conscience de ce que cela postule : la « bonne » procédure pénale, à l’aune d’un avocat pénaliste est celle qui est la moins efficace possible.

Mais, grande seigneure, vous ajoutez aussitôt dans un geste magnifique “Il serait totalement absurde de le leur reprocher : ils font leur métier et la plupart le font remarquablement, en considération de ce qu’il est.” On ne reproche pas au scorpion de piquer, c’est trop aimable.

Madame le professeur, comme je regrette que ce n’est qu’une fois que vous ayez quitté la chaire que je puisse corriger cette vilaine erreur de définition, qui s’apparente plus à un discours de café du commerce qu’à celui qu’on attend à l’Université, dont vous avez toujours eu la plus haute opinion, du moins tant que vous y enseigniez. Cela aurait peut être évité que vous ne polluiez l’esprit de quelques étudiants encore un peu crédules.

Le rôle d’un avocat est en effet de défendre ses clients. Je ne le contesterai pas, et risquerai des ennuis disciplinaires si je m’amusais à défendre ceux des autres. Du moins ceux que j’ai choisi d’assister, dites-vous. Mais c’est tout le contraire : ce sont mes clients qui me choisissent, je peux éventuellement les refuser, mais ce serait aussi incongru pour un médecin que d’éconduire un patient au motif qu’il est malade. Un avocat ne picore pas dans le panier du crime les affaires qu’il a envie de défendre. On frappe à notre porte, et nous l’ouvrons bien volontiers, ce qui nous distingue de l’Administration pénitentiaire.

Dans l’idéal, jusqu’à les avoir soustrait à la justice ? Madame le professeur, je vous en conjure, prenez garde à ce que vous dites. Vous êtes lue par des policiers, et ce sont des esprits impressionnables. Ils pourraient vous croire.

Notre idéal est le même que le vôtre : nous souhaitons une procédure efficace. Mais il reste à s’entendre sur ce que nous entendons par efficace. Une procédure efficace est à mes yeux, et je pense que mes confrères s’y retrouveront, une procédure qui permet, dans un délai fort bref, d’identifier avec certitude l’auteur d’une infraction, de réunir les preuves le démontrant, et de soumettre tout cela à l’appréciation d’un juge impartial afin qu’il fixe la peine la plus adéquate et le cas échéant l’indemnisation équitable de la victime. Le tout en s’interdisant d’user de moyens qu’une société démocratique réprouve, comme par exemple forcer quelqu’un ou le tromper pour le déterminer à participer malgré lui à sa propre incrimination (prohibition de la torture par exemple ; oh ne riez pas, notre pays en a usé il n’y a pas 60 ans et une autre démocratie amie en use en ce moment même).

Mon rôle, en tant qu’avocat pénaliste, et donc auxiliaire de justice, est de concourir à cette procédure efficace en m’assurant que les aspects protégeant la personne poursuivie, qui s’avère être mon client, sont respectés : que le délai fort bref est tenu, que la preuve est rapportée que mon client est l’auteur de cette infraction, et que la peine prononcée est la plus adéquate possible, le tout dans le respect de la loi. Que diable pouvez-vous trouver à redire à cela ? Comment donc pouvez-vous penser une seule seconde que j’ourdirais je ne sais quel complot afin de la procédure pénale soit tout le contraire de cela ? Mon rêve serait donc que mes clients innocents soient lourdement condamnés au terme d’une procédure interminable, car cela assurerait ma prospérité ?

Notons ici que cette efficacité suppose au premier chef des moyens, humains et financiers, importants, sans commune mesure avec le misérable viatique que l’Etat accorde au pouvoir judiciaire chaque année, et ce bien avant d’avoir eu l’excuse de ne plus avoir de fonds disponibles. Le lobby des avocats, dont vous vous défiez tant, réclame depuis des années aux côtés des autres professionnels, policiers y compris, ces moyens. J’espère que vous vous contenterez de ma parole sur la sincérité de cette revendication.

Ah, non, votre accusation est plus subtile, mais non moins absurde. Mon rôle serait de faire en sorte que la recherche de la vérité n’aboutisse pas, et que mon client, que l’on devine ontologiquement coupable (sinon pourquoi ferait-il appel à un avocat ?) soit injustement blanchi. Un parasite de la procédure, un mal nécessaire en démocratie pour donner à la répression son cachet d’humanitairement correct. Ce n’est pas la première fois qu’on me la fait, celle-là. C’est seulement la première fois que la personne qui émet ces sornettes est professeur des universités.

Mon rôle dans la procédure est d’assister, d’aider, de soutenir une personne qui est poursuivie par l’Etat, avec toute sa puissance et sa violence légitime. J’y reviendrai quand on parlera du fameux équilibre de la procédure. Concrètement, quand je rencontre mon client, qui dans le meilleur des cas a simplement reçu une convocation par courrier ou en mains propres, sinon est au dépôt après une garde à vue, voire dans un commissariat au début de celle-ci, c’est un individu isolé, inquiet si ce n’est paniqué. La puissance publique le menace dans sa personne de privation de liberté et dans ses biens par l’amende. Outre toutes les conséquences que peut avoir une condamnation, professionnellement, socialement, parce que oui, il reste des gens honnêtes qui commettent des actes illégaux et qui sont terrifiés à l’égard des conséquences, aussi justifiées fussent-elles. Parce que nous sommes une société qui par moment connait des prises de conscience, hélas fort courtes, on a décidé qu’on ne laisserait jamais une telle personne seule face à son angoisse. Qu’un juriste indépendant lui apporterait un soutien technique et humain. Briserait le voile de l’ignorance et le brouillard de l’inconnu qui est la source de toutes ses angoisses pour lui expliquer le fonctionnement de cette étrange machine qu’est le droit pénal, lui dire ce qui va lui arriver dans les heures et les jours qui viennent, et le conseiller sur la conduite à tenir. Je ne sais pas si c’est “efficace” à vos yeux, mais assurer ce genre d’assistance est ce qui nous permet de nous dire qu’en tout état de cause, nous sommes moralement supérieurs aux délinquants.

Une fois ce premier soutien d’urgence assuré, vient le soutien juridique. Un procès pénal est un procès. Il y a un ou plusieurs juges (de plus en plus souvent un seul hélas), un demandeur, le procureur de la République ; un défendeur, votre serviteur, et parfois un intervenant volontaire, la partie civile, et un intervenant forcé, l’assureur, qu’il soit social ou privé. Il y a une procédure à respecter, et ce n’est pas à vous que je vais apprendre que les manquements à celle-ci sont difficiles à faire valoir, entre les chausse-trappes des forclusions et la nécessité d’établir un grief qui permet au juge de valider une violation de la loi, pas par notre client, mais par les acteurs de la justice que sont les policiers, les parquetiers et les juges d’instruction. Eux ont le droit de s’asseoir sur la loi pour punir mon client accusé de s’être assis sur la loi. Le droit pénal est une matière étrange en vérité.

Il y a aussi une charge de la preuve, et la loi est très claire là-dessus : elle pèse sur le parquet. Je dois donc m’assurer que cette preuve est bien rapportée, si les faits sont contestés : ils ne le sont pas toujours loin de là, et parfois, c’est moi qui ai conseillé à mon client de reconnaître les faits plutôt que se borner dans une contestation stérile ; vous voyez que je n’ai rien contre l’efficacité. Comme ce n’est pas à moi de trancher sur ce point, je propose au juge une lecture critique du dossier. Les preuves présentées par le parquet, que prouvent-elles réellement, au-delà des apparences ? Car la loi est claire là dessus : en cas de défaillance de la preuve ou de simple doute, la relaxe s’impose. Même vous n’avez jamais remis en cause ce principe, notamment dans votre projet de code de procédure pénale. Et on voit pas si rarement des dossiers qui semblaient solides et prêts à condamner tomber en morceaux à l’audience sous les coups de boutoir d’un avocat, au point que le procureur ne puisse plus à la fin requérir en conscience une condamnation. Vous me permettrez de penser que dans ces cas, c’est la vérité qui s’est manifestée.

Enfin, en cas de culpabilité, une peine doit être prononcée, ou à la rigueur sa dispense. Cette décision, qui n’est pas la plus simple que le juge doit prendre (la culpabilité est binaire : oui ou non ; la peine fait appel à un large éventail de choix dans lequel le juge peut puiser) est lourde de conséquences. C’est pourquoi, pour l’aider à la choisir, la loi prévoit que le procureur en suggère une au nom de la société ; il m’incombe en tant qu’avocat d’en proposer une dans l’intérêt premier de l’individu qui va la subir, au juge de faire son choix, ou une synthèse. Notons que là aussi, ces intérêts ne sont pas forcément contradictoires : la réinsertion du condamné et son absence de récidive lui profitent autant qu’à la société, si ce n’est plus. C’est pourquoi d’ailleurs on a pu instaurer une procédure où, quand on trouve un accord sur ce point, on se passe de l’audience et on fait valider par un juge, je parle de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité CRPC).

Vous semblez succomber à ce cliché de l’avocat complice de son client, qui va saboter la procédure, impressionner les témoins, et va instantanément inventer un mensonge irréfutable qui va exonérer son client, qui le paiera grassement en remerciement. Après tout, comment diable pourrait-on, sinon faire fortune, vivre confortablement de ce métier autrement ? Ce cliché est répandu, et c’est là votre excuse. Après tout, rien n’est écrit dans le code de procédure pénale qui explique la réalité du métier d’avocat.

Alors sachez que bien souvent, nos clients coupables ont reconnu les faits. Soit qu’ils se disent “j’ai joué j’ai perdu, soit qu’ils assument la responsabilité de leurs actes. Mais ils estiment qu’il ne sert à rien de nier. Soit ils nous mentent. Ils ne viennent pas nous chuchoter dans l’oreille leurs aveux complets et détaillés afin que nous puissions, après un clin d’œil connivent, leur monter de toutes pièces le baratin qui va les tirer de là sans coup férir. Un simple coup d’œil aux statistiques publiées sur le site du ministère de la justice vous apprendrait que les relaxes concernent 5% des affaires jugées. Soit on est vraiment nuls, mais c’est impossible puisque certains d’entre nous sont vos anciens étudiants, soit la vérité est ailleurs. La vérité est que nos clients testent d’abord leur baratin sur nous, persuadés que si nous les croyons innocents, nous les défendrons mieux, ce qui est aussi diot que de croire qu’en donnant de faux symptômes à son médecin, on aura un traitement plus efficace. Mais le passage à l’acte délinquant ou criminel n’a jamais été un signe d’intelligence. J’ajoute que ces 5%, qui représentent quand même 25 000 personnes par an en correctionnelle, auxquelles s’ajoutent 200 accusés en matière criminelle. 25200 innocents sauvés par an, il n’y a pas de quoi rougir pour nous.

C’est en constatant très vite les contradictions de leurs propos, leur caractère convenu, le fait que les preuves réunies démentent tout ce qu’ils disent que nous réalisons qu’ils ont sans doute commis les faits en question. Et que c’est prouvé. Dès lors, dans leur intérêt, le mieux à faire est de le reconnaître. Cyniquement, parce que la peine sera généralement moindre parce que le juge craindra moins la récidive chez quelqu’un qui reconnait avoir commis des faits illégaux que chez quelqu’un en déni de réalité. Humainement, parce que c’est le premier pas pour une réinsertion réussie. Et croyez-le ou non, mais nous n’aimons pas les clientèles fidèles. La plupart du temps, nous défendons nos clients qu’une seule fois.

Ceci étant précisé, venons-en au fond de votre propos. L’ire qui anime votre plume est due au jugement rendu à la fin du mois de décembre faisant enfin droit aux revendications des avocats d’avoir accès au dossier au cours de la garde à vue. J’en ai déjà traité, et ai répondu par avance à un de vos arguments, celui de l’égarement de juges incompétents du fait des vacations.

Il demeure que pour vous, cette décision n’est ni faite ni à faire car la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, en cours de transposition, n’exigerait pas ce droit, privant la décision du juge de base légale. Vous oubliez l’argument le plus pertinent : le fait que la date de transposition de cette directive n’est pas encore échue qui exclut qu’on en demande l’application directe. Vous vous situez sur le fond du droit. Allow me to retort.

D’une part, rien ne nous dit que c’est sur le fondement de cette directive que le tribunal a annulé. Il y a amplement de quoi dans la Convention européenne des droits de l’homme, qui, elle, est en vigueur.

Ensuite, vous rappelez le passage pertinent de la directive, article 7 :

Lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents…qui sont essentiels pour contester…la légalité de l’arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat » et, plus loin « (ce droit) est accordé en temps utile…au plus tard lorsqu’une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation » :

Vous en déduisez 6 arguments.

1) le gardé à vue n’est ni « arrêté » ni « détenu », il est retenu.

Ah pardon. Il est privé de liberté, menotté et placé en cellule, mais sommes-nous bêtes, il n’est ni arrêté ni détenu, il est un autre truc que la directive ne vise pas. C’est l’argument “ceci n’est pas une pipe”. hélas, la lecture, toujours intéressante, de l’exposé des motifs, §21, fait raison de cet argument un peu bancal : « ”Les références dans la présente directive à des suspects ou des personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus devraient s’entendre comme des références à toute situa­tion où, au cours de la procédure pénale, les suspects ou les personnes poursuivies sont privés de leur liberté au sens de l’article 5, paragraphe 1, point c), de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.» La CEDH a déjà jugé que l’article 5 s’applique à la garde à vue, arrêt Moulin c. France, Medvedyev c. France, et Vassis c. France pour ne citer que des récents. Ceci est donc bien une pipe.

2) il n’est pas évident que la garde à vue fasse partie de la « procédure pénale », au sens européen du terme, puisqu’aucun juge n’a encore été saisi et qu’il n’est pas évident du tout qu’aucun sera saisi plus tard. En toute hypothèse, la garde à vue intervient en France au tout début de la procédure alors qu’elle ne se produit, dans les autres pays qui la pratiquent, que presque à la fin de la procédure préparatoire. Ce n’est pas comparable.

Il est pour moi évident que la garde à vue fait partie de la procédure pénale, au sens européen du terme, puisque par exemple, le traité de Procédure Pénale, récemment paru aux éditions ellispes, lui consacre de longs développements incluant des considérations sur le droit européen. Cet ouvrage étant signé par vous, je pense que vous avez eu un léger moment de distraction en rédigeant votre billet. Même au temps où vous enseigniez, vous n’avez jamais prétendu que la phase d’enquête préliminaire, pouvant se terminer par un classement sans suite, donc sans qu’un juge soit jamais saisi, ne serait pas de la procédure pénale. Cela me contrarie d’autant plus que c’est précisément sur ce sujet que vous m’avez fait passer mon oral de procédure pénale en licence. Enfin ,vous me confirmez que c’était bien mon oral de procédure pénale ?

La garde à vue, chère madame, peut avoir lieu à tout moment, au début de la procédure, en cas de flagrance avec interpellation, mais aussi en toute fin en cas de préliminaire (notamment en matière économique et financière où la police accomplit un énorme travail en amont) voire d’instruction, où la garde à vue précède le déférement et la mise en examen, avec le cas échéant passage devant le JLD. Les mêmes règles s’appliquant, je vois mal comment on pourrait dire que si les faits sont récents, ce n’est pas de la procédure pénale, alors que si on est en fin d’enquête, on serait en plein dedans. L’argument manque de cohérence, à tout le moins.

3) les documents à communiquer sont les documents « essentiels » ce qui postule, de toute évidence que la transmission n’est pas intégrale ;

Je suis entièrement d’accord. Je ne revendique pas la communication des documents inutiles et superfétatoires dont la procédure est truffée. Mais le plus simple me paraît être qu’on me donne le dossier et que je fasse moi même le tri, l’OPJ étant fort occupé par ailleurs. Mais si vous voulez mettre ce tri à sa charge, soit, mais ça na va pas aller dans un sens de l’efficacité.

4) le caractère essentiel est celui qui est nécessaire pour apprécier la « légalité » de la détention et non de son opportunité ;

J’ai du mal à vous suivre. La garde à vue n’est légale que s’il existe des indices graves ou concordants laissant supposer que l’intéressé a commis ou tenté de commettre une infraction passible de prison ET si elle est l’UNIQUE moyen de parvenir à un des objectifs fixés à l’article 62-2 du CPP. Il faut donc que je puisse m’assurer de l’existence de ces indices graves ou concordants. Qui figurent au dossier. L’appréciation de l’opportunité échappe en effet à l’avocat, j’ai vu assez de gardes à vue totalement inutiles pour le savoir. La question de l‘habeas corpus est intéressante mais est un autre débat. Ma revendication de l’accès au dossier repose sur les questions de légalité.

5) ils sont communiqués à la personne poursuivie « ou » à son avocat ce qui ne rend pas la communication à l’avocat nécessaire du moment que l’intéressé a été informé.

Selon vous, ce “ou” est exclusif ? On peut dire à l’avocat “désolé maître, j’ai choisi de laisser votre client lire le dossier, donc je peux vous le refuser ?” Sérieusement ? De même, si l’avocat lit le dossier, il lui sera interdit d’en donner lecture à son client, la directive ne disant pas “ET” ? Ce n’est pas là l’interprétation de la loi que j’ai appris à faire à la fac. Ce ou est alternatif, il indique que ce doit s’applique aux deux personne,s tout simplement dans l’hypothèse où le gardé à vue n’a pas souhaité l’assistance d’un avocat : il doit quand même accéder à cette information, la directive l’impose.

6) la communication n’est obligatoire qu’avant la saisine d’une autorité judiciaire qui doit statuer sur les charges étape dont on est encore très loin au moment de la garde à vue française.

Très loin ? En cas de comparution immédiate, on est à 24 heures de l’audience de jugement. Ce n’est pas assez proche pour vous ? Et la discussion des charges à ce stade peut utilement éclairer le parquet qui pourra décider de ne pas saisir le juge d’un dossier dont le prévenu est innocent. Efficacité, efficacité, madame le professeur.

Votre conclusion est enfin dans la plus pure ligne de vos idées :

Toute personne poursuivie a le droit d’être défendue le mieux possible, mais la Société des innocents a le droit d’être sauvegardée. C’est l’éternel problème de la procédure pénale dans un pays démocratique : il faut trouver un équilibre délicat mais nécessaire entre l’intérêt des mis en cause et celui de la collectivité. L’accès intégral de la personne poursuivie au dossier de la procédure en garde à vue le compromettrait d’une façon excessive en faveur de possibles délinquants.

Je passerai sur l’aspect un poil caricatural de la société des innocents. C’est un peu grandiloquent, et cette façon de scinder notre société en deux, les gentils d’un côté, les méchants de l’autre dont il faut se protéger est aux antipodes de l’idéal républicain et de la simple logique. Un violeur qui se fait voler son portefeuille est une victime, et en tant que telle a le droit d’obtenir réparation et de voir son voleur condamné. Je ne suis pas sûr que vous l’admettiez pour autant dans votre société des innocents. Foin de murs artificiels : la république est Une et indivisible, et ce n’est qu’ainsi qu’elle peut survivre et prospérer.

Non, je veux conclure sur ce fameux équilibre de la procédure pénale. Cet argument, vous m’en avez rebattu les oreilles. Déjà en 1992, l’arrivée de l’avocat pour un entretien à la 1e heure de garde à vue perturbait pour vous cet équilibre. Vous vous êtes réjouie de ce que cet entretien ait été repoussé à la 21e heure 8 mois plus tard (mais n’étiez pas pour autant enthousiaste à cette idée). L’avocat a pu intervenir à la 1re heure en 2000, et nul ne prétend, pas même Synergie Officier, que cela ait perturbé la procédure en faveur de possibles délinquants. Puis depuis 2011, l’avocat peut rester, et on a entamé à nouveau l’antienne de l’équilibre de la procédure, et 2 ans après, tous les OPJ trouvent normale cette présence, et pour certains l’apprécient, ou alors ils me mentent (je ferai confiance à ceux qui profitent de ma venue pour me gratter une consultation sur un problème personnel).

Voyons la réalité en face : la procédure pénale française n’est pas équilibrée. Elle est en total déséquilibre en faveur de la répression.

Le procureur de la République, qui, qu’estimable soit sa fonction, est l’adversaire de mon client à la procédure, a le droit de s’assurer discrétionnairement de sa personne pendant un, deux, quatre ou six jours, et jusqu’à il y a peu sans ma présence. Je n’ai pas le droit de m’entretenir avec mes adversaires au civil, procédure qui est un modèle d’équilibre, et ce qu’ils soient ou non représentés. Je ne parle même pas de les séquestrer.

Ma présence n’est pas obligatoire, hormis en comparution immédiate et en CRPC. Vous ne pouvez divorcer ou changer de régime matrimonial sans l’assistance d’un avocat, mais vous pouvez vous faire condamner jusqu’à 20 ans fermes sans être assisté d’un avocat (même devant les assises, cette présence peut être écartée si l’accusé le souhaite). De fait, la procédure pénale est faite pour fonctionner entièrement sans avocat de la défense. La seule obligation que sa présence impose est de lui donner le temps de s’exprimer à la fin des débats sans pouvoir l’interrompre (la loi étant silencieuse sur l’obligation de l’écouter). Mais s’il veut prendre une part plus active, c’est à lui de prendre l’initiative. De déranger, quitte à déplaire.

En garde à vue, où j’ai dû entrer par effraction, je n’ai accès qu’au PV de notification des droits (droits que je connais et dont ma présence révèle l’application) et un certificat médical qui par définition ne peut qu’indiquer que l’état de santé est compatible avec la garde à vue. Je peux poser des questions à mon client, à la fin, sachant que je n’ai pas accès au dossier : comment donc préparer mes questions ? Certains policiers croient même que je n’ai pas le droit de parler, d’émettre un son durant l’audition, pas même dire à mon client de ne pas répondre à telle question, ce qui est son droit le plus strict : je suis son avocat, je suis là, et je n’aurais pas le droit de le conseiller sur l’exercice de ses droits au seul moment opportun pour ce faire ? Et on me parle d‘équilibre ? Tartuffe en rougirait.

Les policiers sont hostiles de fait à toute mesure qui établirait un équilibre qui n’a jamais existé dans la procédure pénale. Ils sont habitués, formatés à utiliser cette asymétrie universelle : il savent, le gardé à vue ignore ; ils sont libres, le gardé à vue est en geôle ; ils peuvent aller fumer une clope, le gardé à vue est en manque de tabac ; le gardé à vue parle, mais c’est le policier qui rédige sa réponse. Où est l’équilibre ? En quoi me donner accès à l’information risquerait-il de faire pencher la balance en faveur de mon client, sachant qu’à terme cet accès ne pourra pas lui être refusé avant le jugement ? Déjà, le simple droit de se taire ne lui a plus été notifié pendant une décennie au nom de ce soit-disant équilibre.

Laisser entendre que la procédure pénale actuelle est équilibrée et que les droits de la défense perturberaient cet équilibre est un travestissement de la réalité et une forfaiture intellectuelle. Assumez plutôt l’idéologie de la défense sociale qui implique que la personne poursuivie soit en position de faiblesse car la force doit rester à la société, et que si cela implique de détenir voire condamner quelques innocents, c’est le prix à payer, les consciences chiffonnées se consolant en indemnisant généreusement les victimes du système qui parviennent à se faire reconnaître comme telles. Au moins ainsi, le débat est clairement posé.

Vous avez toujours fustigé le politiquement correct. Ne tombez pas dans ce travers.

Je suis et demeure, madame le professeur, votre très humble et très dévoué serviteur.

samedi 11 janvier 2014

Avis de Berryer : Gilbert Melki

Peuple de Berryer !

Les poussins de la promo 2014 prennent leur envol pour rejoindre les aigles de la promo 2013. C’est ainsi que le 22 janvier 2014 à 21 heures en la salle des Criées, ils recevront Gilbert Melki, acteur.

Les sujets seront :

Melki s’est jeté sous les roues de ma voiture ?

Faut-il rester sur le sentier ?

Les candidats, et eux seulement, peuvent contacter Albéric de Gayardon, 4e secrétaire. Les autres sont invités à se présenter bien avant l’heure dite pour avoir une chance d’entrer.

Bonne Berryer à tous.

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