Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mars 2006

vendredi 31 mars 2006

La décision du conseil constitutionnel sur le CPE

Ainsi, le Conseil constitutionnel estimé que le CPE était conforme à la constitution. Sans réserve.

Sans réserve, vraiment ? Pas si simple.

Voici un commentaire expliqué de la décision que vous pouvez lire en intégralité ici (html) ou là (pdf). Je n'aborde que la question du CPE, qui occupe la moitié de la décision.

La démocratie étant une invention grecque, quoi de mieux pour traiter ce sujet qui risque d'être fort ennuyeux qu'une tragédie en un acte et neuf scènes ? Asseyez vous confortablement pour ce spectacle républicain, je m'éclipse car je jouerai le rôle du Choeur. Dans le texte, les numéros entre parenthèses précédés d'un § renvoient au numéro du paragraphe correspondant de la décision. On parle de considérant car chaque paragraphe commence par "considérant que...".

Ha, les lumières baissent, on frappe les trois coups.

Merci d'éteindre vos téléphones mobiles.

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jeudi 30 mars 2006

Le CPE est conforme à la constitution

Zut, j'ai encore tout dit dans la titre.

Voici le texte intégral de la décision, je la découvre en même temps que vous, je la commente dès que mes clients arrêteront de se faire arrêter pour des motifs futiles à cause de policiers trop zélés.

PS : même pas une réserve d'interprétation.

mercredi 29 mars 2006

Remettons en une couche avec le CPE

Où l'auteur, sous couvert de défendre le CPE, l'enterre peut être pour de bon.

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lundi 27 mars 2006

Sifflons la fin de la récré

Pour la deuxième fois de la courte historie de ce blog, je ferme les commentaires sous un billet, hormis ceux de plus de 42 jours qui le sont pour des raisons de spam.

La première était ma notice sur Jean-Marc Varaut, dont le crime d'être un nationaliste et de ne jamais avoir eu peur de défendre des personnes d'extrême droite ne pouvait être lavé par la mort aux yeux de certains sycophantes du dogme.

Le deuxième est mon billet sur le CPE.

Jamais je ne me suis pris en si peu de temps autant de commentaires injurieux, uniquement parce que j'explique ce qu'est le CPE, constate que ce n'est pas la légalisation de l'esclavage des jeunes, et critique les grèves et les blocages de faculté.

Ajoutons à cela un très grand nombre de commentaires, de gens écrivant ici pour la première fois, ayant un rapport plus ou moins pertinent avec le billet, dont la lecture me fait perdre du temps. Aucun débat ou presque ne s'installe, le seul intéressant étant hors sujet, sur le statut des thésards.

Bref, la récré est finie.

Merci à ceux qui, perdus dans le brouhaha, ont dit avoir apprécié mes explications, et à ceux qui ont pris la peine de me l'écrire par e mail. Quant à ceux qui disent me lire depuis longtemps et commentent pour la première fois pour dire que je les déçois, navré de leur avoir fait perdre leur temps deux fois : pour lire mon billet et pour écrire leur commentaire.

Je ne pense pas écrire de billet d'ici jeudi (pour la décision du Conseil constitutionnel) le temps que la foule se disperse.

Mais bon, changer d'avis n'est pas le privilège de l'actuel président de la république.

CPE : le conseil constitutionnel rend sa décision jeudi prochain

Flûte, tout est dit dans le titre.

Cette décision est très attendue, tant par les anti-CPE que par la majorité qui y voit une échapatoire à son embarras actuel, la seule autre étant les vacances de Pâques, dans quinze jours (car curieusement les vacances sont peu propices à la grève).

Compte-rendu ici même.

Mise à jour : les commentaires hors sujet tentant de rouvrir la foire du billet de samedi seront supprimés.

samedi 25 mars 2006

Faisons le point sur le CPE

Où l'auteur règle ses comptes suite à un traumatisme de jeunesse.

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mercredi 22 mars 2006

Affaire Monputeaux suite : les autres relaxes

Comme promis, voici pourquoi les autres prévenus ont aussi été relaxés dans l'affaire Monputeaux :

S'agissant de mon confrère Jean-Gilles Halimi, le tribunal retient qu'il n'est pas l'auteur de l'article en cause. La loi de 1881 prévoit en effet une responsabilité "en cascade" qui exclut que les personnes citées commettent un délit de presse : le diffamateur est le directeur de publication, les auteurs de l'article étant éventuellement complices. Ici, le Parisien a un directeur de publication, et les deux journalistes sont cités comme complices. Jean-Gilles Halimi ne peutdonc être poursuivi, sans même qu'il soit besoin d'invoquer l'immunité de l'article 41 portant sur les écrits judiciaires.

S'agissant du Parisien, le tribunal estime que les propos sont effectivement diffamatoires et que la preuve [Mise à jour : la preuve de la véracité du fait allégué, une offre de preuve ayant été formée dans le délai de 10 jours] n'a pas été rapportée, mais accorde aux trois prévenus (le directeur de la publication et les deux journalistes ayant co-signé l'article) le bénéfice de la bonne foi, car il n'ont pas agi mus par l'animosité personnelle, ont été prudents dans leur expression et ont donné la parole à l'avocat de la mairie de Puteaux, qui est cité, et qui dément fermement les accusations de l'ex-employée. L'article est donc contradictoire, et n'expose pas unilatéralement un point de vue défavorable à la commune de Puteaux. S'agissant enfin d'une information relative à la passation d'un marché public, il était légitime pour ces journalistes de publier cette information.

Et ainsi, tout le monde est relaxé. Pour le moment.

lundi 20 mars 2006

Affaire Monputeaux : le jugement commenté

Comme promis, voici l'extrait du jugement rendu le 17 mars 2006 par la 17e chambre du tribunal de grande instance de paris concernant Christophe Grébert et le blog Monputeaux, avec mes modestes commentaires.

Le tribunal commence par rappeler la procédure d'audience, ces mentions étant obligatoires afin que la cour d'appel éventuellement saisie puisse s'assurer que le code de procédure pénale a bien été respecté. Incidemment, on apprend un détail qui bat quelque peu en brèche l'accusation de harcèlement que Christophe Grébert lance à l'encontre de la commune de Puteaux : si la commune a bien porté plainte, c'est le parquet qui a décidé d'engager les poursuites, la commune n'a fait que se greffer sur cette action. [Mise à jour : On ne se relit jamais assez. Il s'agit du délit de diffamation envers corps constitué, et non contre un particulier. La poursuite ne peut être mise en route que par le parquet sur plainte suivant résolution du conseil municipal. En tout état de cause, Puteaux ne pouvait faire délivrer une citation directe ou déposer plainte avec constitution de partie civile. En conséquence, on ne saurait en déduire quoi que ce soit sur les allégations de Christophe Grébert relatives à la volonté de harcèlement de la municipalité.]

Le tribunal rappelle donc comment il est saisi de cette affaire (un tribunal illégalement saisi doit refuser d'examiner l'affaire, c'est une garantie fondamentale) et surtout de quoi il est saisi :

Par exploit d’huissier en date du 5 octobre 2004, le ministère public, agissant à la suite de deux plaintes déposées par la mairie de PUTEAUX les 18 juin et 20 juillet 2004, a fait citer devant ce tribunal, à l’audience du 9 novembre suivant, Christophe GREBERT, directeur de la publication du site internet accessible à l’adresse www.monputeaux.com,

Voilà pour le comment ; et maintenant, le quoi.

prévenu d’avoir, à PUTEAUX et PARIS, le 26 avril 2004, diffusé dans la rubrique "revue de presse" de ce site, accessible par un lien hypertexte, un extrait d’article paru dans “Le Parisien” le 26 avril 2004 assorti des commentaires suivants:

« Le Parisien, dans ses pages nationales, révèle aujourd’hui une nouvelle affaire trouble touchant la mairie de Puteaux Cette fois, cela concerne les conditions d’attribution du marché de “Puteaux en neige”. Rappelons que notre ville a dépensé 1 million d’euros l’hiver dernier pour cette manifestation! Et cela, rien qu’en prestations de services extérieures. C’est donc sans compter toutes les dépenses annexes engagées par les services municipaux. Cette somme (considérable!) est bien supérieure aux manifestations équivalentes organisées par d’autres municipalités en France. Pourquoi? Comment? Nous avons peut être un début de réponse dans cet article du Parisien:

« La mairie de Puteaux (Hauts de Seine) est assignée devant le Tribunal administratif par une ancienne employée. Cette dernière affirme que son licenciement est la conséquence de la dénonciation qu’elle a faite à ses supérieurs d’un marché public qu’elle estimait pour le moins sujet à caution. La Mairie nie en bloc et avance l’incompétence de cette femme pourtant expérimentée. Les 19 et 20 avril derniers, l’ancienne salariée dit avoir reçu des menaces téléphoniques d’un homme lui conseillant “de laisser tomber” sans quoi elle verrait “comment ça se passe quand on touche aux amis”. Pour ces faits, elle a déposé une main courante puis une plainte auprès de la police.”

« Ayant moi-même reçu ce genre d’appels téléphoniques (insultes et menaces que j’ai enregistrées et diffusées sur mon site!), vous pouvez imaginer mon choc en lisant ces lignes dans le Parisien. Ce témoignage est à recevoir avec sérieux. »

propos comportant à l’encontre d’un corps constitué, en l’espèce la mairie de PUTEAUX, l’imputation des faits diffamatoires précis suivants:

-d’avoir mis un terme brutal au contrat de Mme Anne-Marie F., non en raison de motifs liés à sa compétence ou plus généralement à la qualité de son service, mais parce qu’elle aurait dénoncé un marché public, en l’espèce les conditions d’attribution du marché public “Puteaux en neige” qui serait sujet à caution;

-de s’être rendue complice d’une infraction pénale par instructions voire même d’en être l’auteur en proférant des menaces, fait prévu et réprimé par les articles 222-17 et le cas échéant 121-7 du code pénal, en l’espèce en ayant fait téléphoner à Mme F., par “un homme” qui lui aurait demandé de “laisser tomber sans quoi elle verrait comment cela se passe quand on touche aux amis” d’une part et ayant téléphoné à M.Christophe GREBERT, auteur de la revue de presse, d’autre part,

faits prévus et punis par les articles 23, 29 al.1, 30, 42,43 et 48 al.1 de la loi du 29juillet 1881, 93-3 de la loi du 29juillet 1982.

A cela, Christophe Grébert a répliqué en employant le premier moyen de défense proposé aux prévenus de diffamation : rapporter la preuve du fait allégué (sauf exceptions[1], on ne diffame pas en rapportant la vérité). L'offre de preuve doit être faite par huissier dans le délai de dix jours.

Le 15 octobre 2004, le prévenu a fait signifier une offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires, en application des dispositions de l’article 55 de la loi sur la liberté de la presse, dénonçant vingt pièces et le nom de huit témoins.

L'offre de preuve a eu lieu le 10e jour, ce qui est un classique : faire une telle offre est complexe, et on n'a pas trop de neuf jours pour la préparer, le dixième étant réservé à l'huissier.

Lors de la première audience, l’affaire a été renvoyée contradictoirement aux audiences des 17 décembre 2004, 15 mars et 14 juin 2005, pour fixer, et du 21juin 2005, pour plaider, puis, à cette dernière date, à la demande du conseil de la partie civile, aux 16 septembre et 16 décembre 2005, pour fixer, et au 3 février 2006, pour plaider.

Pourquoi toutes ces audiences ? Mes lecteurs habitués le savent déjà : la prescription en matière de presse est de trois mois. Il faut donc que le tribunal veille à appeler ce dossier pour interrompre ce délai. On parle d'audiences relai ou d'audiences de fixation (...du jour de plaidoirie).

A cette audience, le prévenu était présent et assisté de son conseil, la partie civile étant, pour sa part, représentée par son avocat.

Le tribunal a procédé à l’examen des faits, interrogé le prévenu et entendu Nadine J., Jean-Marie G. et François T., témoins cités au titre de l’offre de preuve.

Puis il a entendu, dans l’ordre fixé par la loi, le conseil de la partie civile -qui a sollicité la condamnation du prévenu à lui payer les sommes de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 760 euros sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale, outre trois publications judiciaires dans des quotidiens de son choix, dans la limite de 7 620 euros par insertion-, le ministère public en ses réquisitions et le conseil du prévenu, qui a soulevé l’irrecevabilité de la constitution de partie civile, a plaidé la relaxe et a eu la parole en dernier.

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et le président a, dans le respect de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, informé les parties que le jugement serait prononcé le 17 mars 2006.

A cette date, la décision suivante a été rendue:

Fin du récapitulatif de la procédure, qui a été impeccablement respectée, la 11e chambre de la cour d'appel ne pourra que se féliciter de la diligence de la 17e chambre du tribunal.

Maintenant, le tribunal commence à donner son opinion. Première question qui se pose : Christophe Grébert est-il le directeur de la publication de Monputeaux.com ? S'il ne l'est pas, fin des débats, c'est la relaxe.

SUR LES PROPOS POURSUIVIS

Il résulte du constat d’huissier produit par la partie civile que le texte visé à la prévention figurait, le 26 mai 2004, sur le site internet accessible à l’adresse www.monputeaux.com, sous le titre « 26.04.2004 Revue de presse Nouveaux remous à la mairie de PUTEAUX (LE PARISIEN) », étant précisé, d’une part, que la partie de ce texte présentée comme une citation du quotidien LE PARISIEN, qui en constitue le deuxième paragraphe, était reproduite, sur le site, en italiques, distincts des caractères classiques utilisés pour le premier et le troisième paragraphes, et introduite par le sous-titre -qui n’a pas été repris à la prévention-:

« Extrait de l’article du Parisien : » et, d’autre part, qu’à la suite du texte figuraient un lien hypertexte, signalé par les mots “Lire l’article du Parisien”, ainsi que les mentions « Rédigé par Christophe GREBERT le 26.04.2004 à 10H00 dans Justice, Les CECCALDI ont fait, Revue de presse | Lien permanent | Commentaires”.

Christophe GREBERT ne conteste pas être le directeur de la publication du site internet qu’il a créé et anime seul ni être, également, le rédacteur du texte incriminé.

Bon, on juge le bon prévenu. Jusqu'ici, tout va bien.

Deuxième question : les propos sont ils diffamatoires ? Si c'est non, fin des débats, c'est la relaxe.

SUR L'ACTION PUBLIOUE

Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis

II convient de rappeler que 1er alinéa de l’article 29 de la loi du 29juillet 1881 définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé”.

La prévention distingue à juste titre deux imputations différentes, qui sont toutes deux contenues dans le texte incriminé.

Le tribunal approuve le raisonnement du parquet qui a retenu deux diffamations dans ces propos.

La première est celle d’avoir conclu un marché public qualifié de “sujet à caution”, celui de l’opération “PUTEAUX en neige”, pour un prix présenté comme anormalement élevé et d’avoir, de surcroît, immédiatement licencié l’employée qui avait dénoncé à ses supérieurs les anomalies affectant le dit marché.

Un tel fait est précis et contraire à l’honneur et à la considération, dès lors qu’il est susceptible de constituer des violations des règles relatives aux commandes publiques, violations qu’on aurait tenté de dissimuler en licenciant abusivement une employée qui les avait découvertes.

Les affirmations sont donc diffamatoires.

La défense avait soulevé une difficulté de fond car les faits visés par la citation étaient une diffamation à corps constitué", or la commune de Puteaux et le parquet avait rédigé les actes de procédure en mentionnant "la mairie de Puteaux" ; or la mairie n'a aucune existence légale.

Contrairement à ce que soutient le prévenu, c’est bien la commune de PUTEAUX, plaignante et partie civile, qui est visée par cette imputation, comme cela résulte des références faites à “la mairie de PUTEAUX” ou à “notre ville”, entités à qui sont prêtées tant la passation du marché contesté que la responsabilité du licenciement litigieux.

Peu importe à cet égard que le texte poursuivi, comme la citation qui a été délivrée par le ministère public, désignent cette collectivité territoriale par l’expression, juridiquement peu pertinente, de “mairie de PUTEAUX”, étant précisé que le prévenu ne soutient nullement que cette imprécision affecterait la régularité de l’acte introductif d’instance, mais qu’il se contente de faire valoir que la “mairie de PUTEAUX” ne serait pas protégée par les dispositions spéciales de l’article 30 de la loi sur la liberté de la presse, alors que la commune de PUTEAUX, qui a déposé plainte, après délibérations en ce sens de son conseil municipal en date des 4 juin et 18 juillet 2004, conformément aux exigences de l’article 48 (1°) de la dite loi, est bien un corps constitué, au sens de l’article 30 susvisé.

La personne morale est la commune, représentée non par le maire mais par le Conseil municipal. Curieusement, la défense n'a pas soulevé de nullité de la citation à comparaître, qui aurait peut être prospérée, en tout cas c'est ce que le tribunal semble laisser entendre, mais s'est placée sur le terrain plus fragile du fond du droit. Le tribunal écarte son raisonnement, en considérant que cette mention erronée n'empêche pas de constater que les imputations concernent la commune et non la mairie.

Venons en à la deuxième imputation diffamatoire, et là, l'accusation trébuche :

La seconde imputation diffamatoire contenue dans le texte litigieux est liée à la commission de menaces téléphoniques, adressées au mois d’avril 2004, à l’ancienne employée déjà mentionnée et à des appels insultants et menaçants qu’aurait reçus le rédacteur du texte lui-même.

C’est cependant à tort que la prévention retient que ce fait précis et contraire à l’honneur et à la considération serait imputé à la “mairie de PUTEAUX”, qu’elle en soit auteur ou complice, alors qu’il n’est nullement affirmé, voire même simplement insinué, que la collectivité territoriale aurait animé ou inspiré l’homme qui aurait appelé son ex-employée, ou qu’elle aurait le moindre lien avec lui, ni qu’elle serait à l’origine des appels reçus par Christophe GREBERT, sur l’origine et le sens desquels aucune précision n’est d’ailleurs fournie.

Tous les éléments de l’infraction de diffamation envers un corps constitué, tels qu’ils sont définis dans les termes de la prévention, ne sont donc pas réunis, du chef de cette seconde imputation.

En effet, à aucun moment Christophe Grébert n'a dit que les appels téléphoniques qu'il a reçus aurait émané ou auraient été commandité par la commune de Puteaux. Dès lors, n'étant pas victime de cette diffamation, elle ne peut poursuivre de ce chef, et le parquet non plus puisqu'en matière de presse, la plainte de la victime est un préalable sine qua non aux poursuites, et le retrait de cette plainte met fin aux poursuites, contrairement au droit commun. Le tribunal écarte donc cette prévention dont il n'est pas valablement saisi. Christophe Grébert est d'ores et déjà relaxé de ce chef.

Deuxième argument de la défense : la loi du 29 juillet 1881 ne s'appliquerait pas à l'internet. Le tribunal rejette cette argumentation, puisque la loi dit expressément le contraire. La seule difficulté vient du fait que la loi a changé entre le moment où les propos ont été tenus et aujourd'hui, mais seulement les numéros d'article. Le tribunal donne donc un cours d'histoire du droit :

S’agissant de la seule première imputation, dont le caractère diffamatoire à l’encontre de la commune de PUTEAUX est retenu, le prévenu soutient à tort que la loi du 29 juillet 1881 ne saurait s’appliquer en l’espèce.

Comme l’a expressément précisé la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, en modifiant les dispositions de l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse, l’élément de publicité exigé par ce texte peut être caractérisé par l’usage de tout moyen de communication au public par voie électronique.

Si ce texte est intervenu postérieurement à la date de commission des faits objets de la présente poursuite, il résultait également de l’état du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi de juin 2004 que les propos diffusés sur le réseau internet étaient susceptibles de constituer les infractions prévues par le chapitre IV de la loi de 1881.

L’article 23 susvisé, dans sa rédaction applicable aux présents faits, prévoyait, en effet, que la publicité pouvait résulter de l’emploi de tout support de l’écrit, de la parole ou de l’image et notamment de tout moyen de communication audiovisuelle. Et l’article 43-10 de la loi du 30 septembre 1986, alors en vigueur dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2000, rendait concrètement possible la poursuite des infractions de presse commises sur internet en imposant aux personnes éditant un service de communication en ligne autre que de correspondance privée de tenir à la disposition du public le nom de leur directeur de publication, au sens de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle -soit directement si elles agissaient à titre professionnel, soit, dans le cas contraire, éventuellement par l’intermédiaire de leur fournisseur d’hébergement.

II importe donc peu, pour l’applicabilité à la présente espèce de la loi du 29 juillet 1881, que le service de communication électronique en ligne fourni par le prévenu -lequel en était donc le directeur de la publication, en application du dernier alinéa de l’article 93-2 susvisé- n’ait pas été édité par celui-ci à titre professionnel mais ait constitué ce qu’il est convenu d’appeler indifféremment un site personnel, des pages personnelles ou, plus récemment, un blog.

Bon, là, c'était couru d'avance.

Troisième argument soulevé par la défense, avec aussi peu de succès que les précédents : ce blog ne répondrait pas à la condition de publicité exigée par la loi car ne s'adressant qu'aux seuls putéoliens.

C’est enfin à tort que le prévenu soutient que l’élément de publicité exigé par la loi ne serait pas constitué en l’espèce, au motif que ses lecteurs seraient unis entre eux par une communauté d’intérêt centrée autour de la ville de PUTEAUX, alors qu’au contraire, par exemple, d’un forum de discussion au sein duquel une inscription préalable serait exigée sur la base d’un critère susceptible de caractériser une telle communauté, le site www.monputeaux.com était accessible à tous les internautes désireux de le visiter ou au hasard d’une recherche, quel que fût le centre d’intérêt qui les y conduisait.

Peu importe que Monputeaux ne s'adresse qu'aux putéoliens puisque tout le monde peut y accéder. Christophe Grébert avait d'ailleurs reconnu à la barre que depuis cette affaire, son audience dépassait largement les rives ouest de la Seine, ce qui affaiblissait quelque peu cette argumentation.

Quatrième moyen de défense : l'offre de preuve des faits imputés. Las, le tribunal n'a pas été convaincu, estimant que les pièces produites sont sans pertinence avec les faits.

Sur l’offre de preuve

Offrant régulièrement de prouver la vérité des faits diffamatoires, le prévenu doit le faire de façon parfaite, complète et corrélative à l’imputation diffamatoire dans toute sa portée et toute sa matérialité.

Si l’on excepte les pièces concernant la seconde imputation qui n’a pas été retenue, le prévenu produit (pièces 15 à 20) divers documents provenant de la procédure d’appel d’offre relative “à l’organisation d’animations sportives, culturelles et socio-culturelles et de services auxiliaires de décors et de spectacles pour fêtes de fin d’année à PUTEAUX”, qui ne permettent nullement d’établir que la consultation qu’ils concernent auraient abouti à la conclusion d’un marché douteux et anormalement cher. Aucune pièce n’est, de surcroît, produite concernant le licenciement de la salariée mentionnée dans l’article.

Ce qui est dommage vu que l'imputation diffamatoire vise la passation de ce marché et le licenciement de Madame F.

Enfin, aucun des trois témoins visés à l’offre de preuve que le tribunal a pu entendre ne s’est exprimé sur les faits objets de la seule imputation retenue.

Il convient en conséquence de constater que le prévenu a échoué en son offre de preuve.

Sur ce point, la tactique de la défense a été de dresser un portrait peu flatteur de l'équipe municipale actuelle, laissant entendre que l'accusation contenue dans l'article est donc crédible. Le tribunal refuse d'entrer dans ce raisonnement en exigeant une preuve pertinente directement liée aux faits diffamatoires, et il constate que ce n'est pas le cas ici. Cependant, l'audition de ces témoins n'aura pas été inutile, loin de là, comme nous allons le voir.

Cinquième moyen de défense : la bonne foi du prévenu, qui en matière de presse n'est pas présumée mais est admise comme excuse absolutoire. Comme dans tout syllogisme judiciaire, le tribunal rappelle d'abord la règle de droit.

Sur la bonne foi

Si les imputations diffamatoires sont réputées faites dans l’intention de nuire, le prévenu peut cependant justifier de sa bonne foi et doit, à cette fin, établir qu’il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait.

Ensuite, il recherche si elle s'applique au cas d'espèce. Et c'est sur ce point que la défense va triompher.

Le prévenu a expliqué au tribunal qu’ayant adhéré au parti socialiste dans les jours ayant suivi le 21 avril 2002, date du premier tour de l’élection présidentielle, il a décidé de créer sur le réseau internet un site destiné à être un lieu de débat offert aux habitants de sa commune de résidence, PUTEAUX, site où il relate et commente les informations locales, en utilisant sa formation de journaliste, mais dans un but citoyen et désintéressé, sans esprit de propagande politique. Ce faisant, utilisant toutes les possibilités offertes par l’internet comme support de la libre expression des citoyens en dehors de tout cadre institutionnel ou commercial, il poursuivait un but légitime d’information du public local, auquel il offrait parallèlement un espace de réaction et de dialogue.

Même si l’analyse des extraits du site qui sont versés aux débats, notamment ceux qui ont été reproduits dans le constat d’huissier susvisé, démontre que le prévenu y adopte un ton volontiers critique à l’égard de l’équipe municipale, ce parti pris ne saurait être confondu avec une animosité de nature personnelle, dont aucun élément ne vient démontrer la réalité, alors même que les témoins entendus par le tribunal ont, au contraire, fait état de manifestations d’hostilité dont Christophe GREBERT aurait été victime de la part de responsables de la majorité municipale.

Quoique journaliste de profession, le prévenu dirigeant le site litigieux à titre purement privé et bénévole n’était pas tenu de se livrer à une enquête complète et la plus objective possible sur les faits qu’il évoquait. Il pouvait donc, dans une rubrique consacrée à une revue de presse, citer des extraits d’un article relatif à un litige mettant en cause la mairie de PUTEAUX publié dans le quotidien régional LE PARISIEN -dès lors que, comme au cas présent, il précisait exactement sa source et ne lui faisait subir aucune dénaturation-, sans avoir à vérifier le bien fondé des informations qu’il reproduisait.

Il pouvait également librement, en qualité de citoyen et de contribuable local, lire dans cet article la confirmation de son opinion sur le coût excessif d’une dépense engagée par sa ville, sans avoir, à cet égard, à démontrer le bien fondé de ce point de vue en se livrant, par exemple, à une rigoureuse analyse comparative du coût de l’opération litigieuse avec les sommes déboursées par d’autres municipalités pour des prestations similaires, dès lors qu’il démontre, par la production des pièces déjà évoquées, que la dite opération a bien eu lieu et a occasionné des dépenses de l’ordre de celles qu’il évoquait.

Il l’a fait en conservant à son expression une réelle prudence, sans tirer de conclusions définitives, mais en se contentant de s’interroger sur le point de savoir si l’article qu’il citait ne constituait pas “un début de réponse” aux questions qu’il se posait sur le coût selon lui anormal de la manifestation organisée par la municipalité.

Dans ces conditions, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu au prévenu, qui sera renvoyé des fins de la poursuite.

Le tribunal estime donc que, quand bien même Christophe Grébert ne cache pas être un opposant à l'actuelle équipe municipale, il n'y a dans sa démarche aucune animosité personnelle envers cette équipe. En démocratie, s'opposer à un élu ne se confond pas avec l'attaquer personnellement : il est légitime d'être un opposant, il est légitime qu'un opposant soit critique même virulent, et il est légitime qu'une personne critique croie et relaie un article critique envers son adversaire. Cette créance est renforcée par l'hostilité ouverte que témoigne la commune à l'encontre de Christophe Grébert, hostilité établie notamment par les témoins.

La commune de Puteaux avait souligné à l'audience que Christophe Grébert étant journaliste, il fallait exiger de lui une enquête complète et objective sur cette affaire. Le tribunal écarte cette argumentation : quand on est blogueur, on n'est pas journaliste. On n'écrit pas un article sous la direction d'un rédac'chef et la responsabilité d'un directeur de publication, qui exercent un contrôle de qualité. On est seul, l'article est en ligne d'un clic, et surtout on fait ça sur son temps libre et en amateur. La 17e est là dans son rôle de protection de la liberté d'expression, en préférant le risque de blogs agités plutôt que policés.

SUR L’ACTION CIVILE

La commune de PUTEAUX, recevable, pour les raisons déjà exposées, en son action, du chef, du moins, de la première imputation, verra toutes ses demandes rejetées compte tenu de la relaxe ainsi intervenue.

Conclusion logique : puisqu'il n'y a pas de délit, pas d'indemnisation.

Les dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale invoquées par le prévenu ne permettant que la condamnation de celui-ci au profit de la partie civile, et non l’inverse, les demandes formées par Christophe GREBERT sur le fondement de ce texte seront déclarées irrecevables.

Erreur classique des avocats civilistes peu au fait des subtilités de la procédure pénale : au civil, l'article 700 du nouveau code de procédure civile permet à chaque partie de demander à ce que l'autre soit condamnée à prendre en charge ses frais de procédure, spécialement ceux d'avocat (on appelle cela des frais irrépétibles). Le tribunal statue et généralement la partie qui perd est condamnée à une indemnité de ce chef. Au pénal, de telles demandes croisées sont impossibles, car les parties ne sont pas sur le pied d'égalité qui est l'essence de la procédure civile. Une partie est poursuivie, l'autre est victime et demande réparation. Le prévenu même en cas de relaxe ne peut pas se retourner contre la partie civile. C'est une protection voulue par la loi pour éviter que des victimes n'aient peur de s'en remettre à justice.

L'article 472 du code de procédure pénale permet de présenter contre la partie civile une demande de dommages-intérêts pour procédure absuive, mais à deux conditions : d'une part, que la partie civile ait mis en mouvement l'action publique (citation directe ou plainte avec constitution de partie civile), d'autre part qu'il y ait eu intention de nuire ou mauvaise foi, cette notion renvoyant à une saisine de la juridiciton répressive téméraire ou précipitée, mais ici, les deux conditions font défaut : c'est le parquet qui a mis l'action publique en mouvement, et il n'y a nulle mauvaise foi puisque les faits sont bien considérés comme diffamatoires, seule la bonne foi ayant sauvé Christophe Grébert des foudres de la justice.

PAR CES MOTIFS

Cette phrase annonce la conclusion du jugement, qui contient la décision du tribunal.

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Christophe GREBERT, prévenu, à l’égard de la COMMUNE de PUTEAUX, partie civile (art.424 du code de procédure pénale) et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Publiquement : c'est une condition de validité du jugement, sauf si le huis clos a été ordonné, auquel cas il doit être expliqué.

En matière correctionnelle : la 17e chambre est une des rares chambres mixtes civil/pénal du tribunal (avec la 19e, spécialisée dans la réparation du préjudice corporel, où sévit une redoutable cycliste), le tribunal précise donc en quelle matière il statue.

En premier ressort : ce jugement est susceptible d'appel, la cour statuant en dernier ressort.

Jugement contradictoire : les parties ont été citées régulièrement et étaient présentes ou représentées à l'audience. Les délais d'appel courent donc à compter de la date où le jugement est lu en audience publique, soit le 17 mars. Si une partie n'a pas comparu, le jugement est contradictoire à signifier (les délais ne courent qu'à compter de la signification du jugement par huissier). Si le prévenu n'a pas été cité faute de domicile connu, le jugement est par défaut et il peut demander à être rejugé ; le défaut de la partie civile est impossible de par les règles de procédure.

RENVOIE Christophe GREBERT des fins de la poursuite ;

Bref, il est relaxé. L'expression "renvoie des fins de poursuite" est celle employée à l'article 470 du CPP[2], même si l'article 470-1 du CPP parle de relaxe. Mais si le CPP était cohérent, ça se saurait.

REÇOIT la commune de PUTEAUX en sa constitution de partie civile;

La demande est recevable en la forme : elle a respecté toutes les conditions prévues par la loi pour se porter partie civile devant le tribunal.

LA DÉBOUTE de toutes ses demandes;

Mais sa demande est mal fondée car personne n'est condamné. Beaucoup de tribunaux déclarent la partie civile irrecevable quand ils prononcent une relaxe. J'ai beau leur expliquer qu'ils se trompent, rien n'y fait.

DIT IRRECEVABLES les demandes formées par Christophe GREBERT sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Cette demande n'est pas recevable car la partie qui la présente n'a pas la qualité de partie civile, condition posée par la loi.

  • Conclusion : quelle leçon pour les blogues ?

Depuis le début de cette affaire, on entend et lit beaucoup que cette décision "va faire jurisprudence". C'était mettre la charrue avant les boeufs, et il serait téméraire d'en tirer des règles générales sur les blogues. On y apprend ce qu'en fait on savait déjà : les blogues sont soumis aux règles sur la loi de la presse. Pour mes lecteurs, ça n'a rien de nouveau.

De même, on ne peut en déduire que le tribunal proclame qu'un blogueur n'est pas un journaliste. C'était déjà une évidence avant : la 17e a toujours tenu compte de la qualité de l'auteur des propos qu'elle jugeait. La discussion n'a eu lieu ici que parce que Christophe Grébert est journaliste. La question était donc plus limitée, mais intéressante : un journaliste qui blogue doit il être jugé comme un journaliste ou comme un blogueur ? Réponse : ici comme un blogueur ordinaire car il n'agit pas en tant que journaliste. Mais si un journaliste tient un blogue en mettant en avant sa qualité de journaliste, il sera jugé comme tel : avis aux grands noms du métier que sont Bertrand Lemaire, John Paul Lepers, et Jean-Marc Morandini (quoi, qu'est ce que j'ai dit ?).

La 17e chambre applique ici sa jurisprudence de toujours. Rien de nouveau sous les lambris dorés.

Simplement, le mode d'emploi donné par la 17e doit être médité par tout blogueur voulant se lancer dans la polémique publique :

Le blogueur qui relaie des éléments portant atteinte à l'honneur et à la réputation d'une personne est à l'abri des sanctions s'il peut démontrer qu'il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, (1) un but légitime (2) exclusif de toute animosité personnelle, (3) qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et (4) qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait.

Ces quatre conditions sont cumulatives, la quatrième ne se confondant pas avec l'offre de preuve : la bonne foi joue aussi quand on relaie une information fausse, si on peut justifier qu'on a des éléments permettant de s'exprimer ainsi, autres que l'animosité.

Enfin, rappelons que ces règles s'appliquent aussi aux commentaires.

Prochain épisode : la 11e chambre de la cour, si la commune de Puteaux fait appel (je doute que le parquet interjette un recours).

Notes

[1] Quand l'imputation concerne la vie privée, quand elle concerne des faits de plus de dix ans, quand les faits constituent une infraction qui a été amnistiée, prescrite, révisée ou a fait l'objet d'une réhabilitation

[2] Code de procédure pénale

vendredi 17 mars 2006

Affaire Monputeaux.com : Christophe Grébert relaxé

Bon, tout est dans le titre. Une audience de dernière minute (et vraiment de dernière minute, croyez moi) m'a empêché d'être là à l'audience de la 17e chambre. J'essaierai d'aller consulter la minute au greffe la semaine prochaine pour connaître les motifs détaillés et les commenter. Attendons cette lecture avant de tirer des conclusions sur la portée de cete décision vis à vis de tous les blogues.

Le Parisien est aussi relaxé, quant à mon confrère Halimi que tout le monde semble avoir oublié, je gage qu'il l'est aussi puisque des trois prévenus il avait, et de loin, la position la plus confortable.

Pour une piqûre de rappel de cette affaire : voir ici.

mercredi 15 mars 2006

L'homme qui n'existait pas

L'homme qui n'existait pas a failli être mon client. Un jour que j'étais de permanence aux comparutions immédiates, son dossier est tombé sur mon bureau, parce que j'étais arrivé le premier. Il avait déjà fini le circuit procureur-enquêteur de personnalité.

"Déjà ?" demandè-je. "Oui, répond l'adjudant chef qui supervise les dossiers, il a refusé de voir l'enquêteur de personnalité et n'a rien dit au procureur".

Ca commence bien, me dis je en saisissant son dossier. Et ça continue, soupirè-je en sortant un casier judiciaire de huit pages, mentionnant une quinzaine d'alias. Je lis le dossier et d'un coup la misère terrible d'un naufragé de la bureaucratie envahit le bureau qui m'a été attribué.

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lundi 13 mars 2006

Zacarias Moussaoui sauvé par la procédure ?

Coup de théatre aujourd'hui au procès de Zacarias Moussaoui, condamné pour Conspiration en vue de l'assassinat d'innocents, ce qui chez nous se rapprocherait d'une complicité d'assassinats liés à une entreprise terroriste.

Je dis bien condamné car Zacarias Moussaoui ayant déjà plaidé coupable, l'audience actuelle ne porte que sur la peine, qui sera soit la perpétuité réelle (life without possibility of parole), soit la peine de mort. Pour des détails sur la différence entre le jugement sur la culpabilité (trial) et sur la peine (sentencing hearing), voyez ce billet de Paxatagore.

Or la juge fédérale en charge du procès, Leonie Brinkema, a appris qu'un des procureurs en charge de requérir la peine de mort, Carla Martin, avait envoyé un courrier électronique à sept fonctionnaires de la TSA, l'Agence de Sécurité des Transports, reprenant des éléments de l'opening statement de l'accusation, qui est une plaidoirie introductive au cours de laquelle chaque partie explique au jury quelle va être sa démonstration, ainsi que des commentaires sur les témoins cités par le ministère public. Ces sept fonctionnaires étaient cités comme témoins dans le procès en cours. En somme, c'était de la préparation de témoin.

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vendredi 10 mars 2006

Pan ! Sur le bec !

On n'est jamais mieux poignardé que par ses associés. Ceteris Paribus sous couvert de me passer séné et rhubarbe, m'offre en fait la cigüe à la suite de mon billet précédent.

Son analyse précise certains points et relève des erreurs factuelles qui démontrent que pénaliste et constitutionnaliste sont deux spécialités différentes.

J'ai donc signalé dans le billet d'origine les points erronés et vous en propose une synthèse ici qui ne saurait vous dispenser d'aller lire le billet original.

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jeudi 9 mars 2006

Le DADVSI Code (7) : O Draconian députés ! O Lame Constitution !

Ce billet a dû subir une sérieuse mise à jour ce qui a entraîné la nécessité de raturer quelques paragraphes. L'usage des blogues est de ne pas retirer un texte qui a été rectifié sur un autre blog sous peine de faire perdre tout intérêt au billet rectificateur. Désolé donc pour l'aspect brouillon, j'en suis le seul responsable.

"Ca s'en va et ça revient, c'est fait de tous petits riens..." Quoi donc ? Mais l'article premier projet de loi DADVSI, voyons.

Ce qui au début n'était qu'une saynète cocasse devient une farce en plusieurs actes et multiples tableaux, rendons hommage au ministre de la culture.

Souvenez vous : le 21 décembre, contre toute attente à commencer par celle du gouvernement, l'assemblée nationale adopte un amendement ouvrant la voie à la licence globale.

Cet amendement n°152 ajoutait à l'article premier de la loi un alinéa précisant :

De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4.

Cet amendement eut les conséquences que l'on sait : suspension des travaux parlementaires, réveillon gâché chez les Donnedieu de Vabres, montée au créneau des artistes contre le téléchargement des baguettes des boulangers, site internet lancé sans une goutte de champagne.

La discussion reprenait donc cette semaine, sereine, apaisée.

Bon, pour la discussion, on a voulu faire simple, le ministre a retiré du projet l'article premier, qui ajoutait deux alinéas à l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit les cas où un auteur ne peut s'opposer à la représentation ou à la reproduction partielle ou totale de son oeuvre. Aux cinq cas existant (représentation dans le cercle de famille, copie privée, courte citation, la parodie et l'accès à une base de données électronique), cat article premier en ajoutait deux : la reproduction transitoire lors de la transmission par voie informatique, qui est faite à l'insu de l'utilisateur, et les opérations permettant de rendre l'oeuvre accessible aux handicapés.

Pourquoi cette hostilité soudaine à l'égard des handicapés ? Parce que retirer l'article premier faisait disparaître automatiquement l'amendement sur la licence globale, qui passait à la poubelle avec les sourds et les aveugles, on ne fait pas d'omelette sans casser les oeufs.

Dès cette annonce, des observateurs éclairés s'interrogeaient sur le fondement de ce retrait d'un article et un seul.

En effet, le règlement de l'assemblée nationale prévoit à l'article 84 que le gouvernement peut retirer un projet de loi en cours de discussion tant qu'il n'a pas été adopté. Mais là, il ne s'agit que du retrait d'un petit bout.

Jean-Louis Debré, président de l'assemblée nationale, indiquait en ces termes pourquoi ce procédé lui semblait légal (je grasse) :

La question du retrait de l'article premier a été évoquée ce matin en Conférence des présidents et l'est à nouveau cet après-midi. Je souhaiterais donc apporter quelques précisions. L'article 84 de notre Règlement dispose que les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu'à leur adoption définitive par le Parlement. En vertu du principe selon lequel qui peut le plus peut le moins, il est de jurisprudence constante que le Gouvernement, qui peut retirer l'ensemble d'un projet de loi, peut également en retirer une partie, c'est-à-dire un ou plusieurs articles. Il existe de nombreux cas de ce type - le premier remontant à 1960 - et la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984. La circonstance que l'Assemblée ait commencé l'examen de l'article premier et ait déjà adopté des amendements ne fait pas obstacle à son retrait. Là encore, il existe des précédents à une telle situation. Parallèlement, le Gouvernement a déposé un amendement portant article additionnel qui propose une solution alternative à ce que l'Assemblée avait adopté dans le cadre de l'article premier. Je tiens à souligner que cette solution ne réduit nullement les droits de l'Assemblée.

La jurisprudence constante, les juristes connaissent bien, c'est celle qu'on invoque neuf fois sur dix en espérant que le juge nous croira sur parole. Ca ne marche plus depuis belle lurette, les juges connaissant leur matière répondant en souriant "Ha, oui, la fameuse jurisprudence constante, celle qui vous dispense de citer des arrêts...". [Mise à jour : en fait, jurisprudence constante désigne dans le jargon parlementaire les usages non écrits fermement établis. Cf ce billet ]

Et bien voyons voir ce qu'elle raconte, cette jurisprudence constante.

"Le premier cas remontant à 1960" : il ne peut s'agir que de la décision 59-5 DC du 15 janvier 1960 sur le règlement de l'assemblée nationale. Or sa lecture attentive laisse le lecteur sur sa faim : rien n'est dit sur le retrait partiel d'un texte, le Conseil sanctionnant au contraire une modification du règlement sur le vote bloqué permettant le saucissonnage d'un texte en limitant le vote bloqué à quelques articles : le vote bloqué c'est tout ou rien. Cette décision va plutôt dans un sens contraire à celui du gouvernement.

"la procédure a d'ailleurs été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 26 juillet 1984". Ha, une date. Il s'agit donc de la décision 84-175 DC sur une modification du règlement du Sénat. Bon, on cherche où cette procédure a été validée, puisque cette décision valide une réforme du règlement du Sénat qui ne touche à aucun des articles portant sur le retrait d'un projet de loi par le gouvernement, à savoir les articles 24 à 28, seuls les articles 10, 16, 20, 39, 42, 43, 44, 47 bis, 48, 49, 74, 76, 78, 79, 82, 100 et 108 étant modifiés et un article 110 ajouté. [Mise à jour : il s'agit en fait de la décision 84-172. Cf ce billet ]

La jurisprudence constante se réduit comme peau de chagrin.

En fait, il s'avère que ce type de retrait n'est arrivé qu'une fois en 1961, sur un texte qui n'a pas été soumis au Conseil constitutionnel. Donc, on ne sait pas si ce retrait partiel serait conforme à la Constitution.

[Mise à jour :]Ce type de retrait a en fait été expressément validé par le Conseil constitutionnel en 1984 mais il existe de sérieux motifs de penser que cette jurisprudence n'est plus d'actualité. Cf ce billet.

Le Conseil constitutionnel semble même avoir fait savoir qu'il ne considérerait certainement pas ce type de procédé comme conforme à la constitution, faisant encourir à la loi le risque d'être déclarée entièrement anticonstitutionnelle.

RDDV a déjà eu à manger son chapeau dans cette affaire, mais là, c'était toute sa garde robe qu'il risquait de devoir avaler.

Hier soir, donc, spectaculaire volte face, le ministre annonce que le projet de loi discuté inclura l'article premier, y compris donc la licence globale. Enfin, spectaculaire, il faudra être attentif pour déceler l'annonce, qui n'échappera pas à l'opposition (je grasse).

M. le Ministre - Ce que je souhaite à présent, c'est que le débat sur les articles aille à son terme. Le Gouvernement agira en toute transparence et dans le plus grand respect du Parlement, puisque c'est à lui que revient le pouvoir de décider.

J'entends s'exprimer sur vos bancs plusieurs interrogations et je veux qu'il n'y ait aucune ambiguïté, de sorte que les dispositions du texte que vous serez amenés à voter soient claires et compréhensibles par tous. A cet effet, je juge opportun que nous examinions tous les sous-amendements présentés à la suite de l'amendement du Gouvernement. Ensuite, je vous proposerai de ré-évoquer les amendements qui n'ont pas été traités à l'article premier...

M. Patrick Bloche - C'est insensé !

M. Didier Migaud - Incroyable !

M. le Ministre - Au terme de cette démarche, j'ai bon espoir que nous ayons fait le point sur l'ensemble des sujets qui vous préoccupent et que votre Assemblée soit parfaitement éclairée... (Rires sur plusieurs bancs des groupes socialiste, communiste et républicain et UDF) Libre à ceux qui en prendront la responsabilité d'entacher cette démarche de clarté de manœuvres de procédures...

Gageons que le Sénat sera plus docile pour éliminer la licence globale.

Ha, et ces débats ont révélé une information qui intéressera certains de mes lecteurs :

M. Bernard Carayon - Moi, je suis sous Linux. Je dois être le seul à utiliser les logiciels libres dans cette enceinte !

Ce n'est pas sympa pour le ministre de la culture, dont le site lestelechargements.com tourne sous Dotclear.

vendredi 3 mars 2006

La cour de cassation promulgue la loi DADVSI

La cour de cassation vient de jeter un pavé dans la marre en cassant l'arrêt rendu le 22 avril 2005 par la cour d'appel de Paris dans l'affaire dite "Mullholland Drive". Et cet arrêt contient, caché dans un recoin, un bout de phrase qui fera sûrement gloser des juristes des pages et des pages, et qui a donc tout naturellement échappé à la presse grand public.

Re-situons le débat.

L'acquéreur d'un DVD du film de David Lynch Mullholland Drive fut pris au dépourvu quand, voulant effectuer une copie de sauvegarde dudit DVD en fut empêché par un dispositif anti-copie rendant la partie numérique de l'oeuvre aussi inaccessible que l'était déjà sa partie visuelle. Fort marri, il alla crier son ire chez UFC-Que Choisir ? qui lui fit bon accueil et les compères décidèrent de concert d'aller chanter pouille en justice contre le producteur, l'editeur et le diffuseur de l'oeuvre pour atteinte au droit à la copie privée.

Le tribunal de grande instance de Paris les débouta de leurs prétentions le 30 avril 2004, les condamnant en outre à 8000 euros de frais de justice.

Ni une ni deux, les plaideurs portèrent leur querelle devant la cour d'appel, espérant trouver Quai des Orfèvres les cinéphiles qui leur firent défaut Boulevard du Palais.

Grand bien leur fit, car la 4e chambre de la cour, le 22 avril 2005[1] réduisit à néant ledit jugement, accueilli à bras ouvert la demande de notre cinéphile informaticien évincé et lui accorda 150 euros de dommages intérêts, 30000 à UFC et 1500 euros de frais de procédure. Surtout, la cour, emporté par son amour du 7e art, et préférant peut être Apollon à Thémis, fit interdiction au producteur et à l'éditeur du film d'apposer quelque dispositif anti-copie que ce soit sur leurs DVD. Les déboutés invoquèrent alors Mars et partirent en guerre contre cet arrêt du côté du Quai de l'Horloge.

Très grand bien leur fit car les Conseillers de la première chambre civile [2] firent choir la foudre de Zeus sur l'arrêt rendu de l'autre côté de l'Île de la Cité.

Et cet arrêt, en la forme, a de quoi retenir immédiatement l'attention des juristes : il est court, ne cite pas le pourvoi, commence par un visa suivi d'un chapeau et casse l'arrêt qu'il examine : ce sont tous les indices des arrêts de principe destinés à marquer pour longtemps la jurisprudence de la cour.

Descendons de l'Olympe du droit et soyons le Prométhée de la procédure :

La cour rappelle à titre de prolégomène les faits :

Attendu que, se plaignant de ne pouvoir réaliser une copie du DVD “Mulholland Drive”, produit par les Films Alain Sarde, édité par la société Studio canal et diffusé par la société Universal Pictures vidéo France, rendue matériellement impossible en raison de mesures techniques de protection insérées dans le support, et prétendant que de telles mesures porteraient atteinte au droit de copie privée reconnu à l’usager par les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, M. X... et l’Union fédérale des consommateurs UFC Que choisir ont agi à l'encontre de ceux-ci pour leur voir interdire l’utilisation de telles mesures et la commercialisation des DVD ainsi protégés, leur demandant paiement, le premier, de la somme de 150 euros en réparation de son préjudice, la seconde, de celle de 30 000 euros du fait de l’atteinte portée à l’intérêt collectif des consommateurs ; que le Syndicat de l’édition vidéo est intervenu à l’instance aux côtés des défendeurs ;

Puis vient le visa.

Le visa est la liste des textes de loi que la cour va interpréter. Rappelons que la cour de cassation a comme mission première d'unifier l'interprétation de la loi ; ce visa indique donc expressément que c'est sous cette aune que devra désormais être mesuré l'article concerné.

Ce visa, le voici :

Vu les articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des dispositions de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, ensemble l’article 9.2 de la convention de Berne ;

Tiens, tiens ? Ca ne vous dit rien ? La directive citée est précisément celle dont la transposition est en cours avec le projet de loi DADVSI. La cour de cassation va interpréter le code de la propriété intellectuelle en tenant compte de cette directive alors même que la loi de transposition n'est pas adoptée. Je n'oserais affirmer que c'est une première, mais je le crois ; en tout cas c'est une évolution notable (Monsieur le Professeur Rolin, pouvez vous éclairer ma lanterne, car jouer les Prométhée sans feu m'est insupportable). [Mise à jour : Paxatagore, Nemesis de mes erreurs, apporte des précisions fort utiles sur son blog et en commentaires. La cour de cassation a déjà interprété des textes internes à la lumière d'une directive européenne en voie de transcription. Il n'y a pas nouveauté ici, à ceci près que la copie privée fait partie de la marge de manoeuvre laissée aux Etats et que le projet de loi en discussion la protège. La cour de cassation ne se contente pas d'appliquer la partie de la directive qui est claire et ne laisse aucun choix aux Etats membres. Mais à sa décharge, elle casse un arrêt qui fait interdiction au producteur, à l'éditeur et au distributeur de mettre des dispositifs anticopie sur les DVD, ce que la directive autorise expressément. La cour pouvait difficilement laisser passer ça.]

Une directive européenne n'a en effet aucun effet juridique direct en droit interne, elle ne fait qu'imposer aux Etats membres de la transposer dans leur législation interne avant une certaine date, date qui en l'espèce est dépassée depuis longtemps[3]. La cour de cassation prend acte de la carence du législateur, trop occupé à boire du champagne punch au Palais de Tokyo, et décide de tenir compte de ce texte dans son interprétation pour anticiper sur la marche du législateur. En cela, elle se rapproche de ce que fait le Conseil d'Etat depuis longtemps et prend sur elle d'intégrer dans la législation française une directive non transposée par le biais de l'interprétation de la loi. Rien que ça rend cet arrêt très important, au-delà du seul problème de droit d'auteur.

Vient ensuite le chapeau.

Le chapeau est un paragraphe qui pose l'interprétation des textes visés par la cour de cassation. En somme, la cour joint le geste à la parole, et annonçant qu'elle va interpréter le code de la propriété intellectuelle "à la lumière de la directive", elle nous révèle aussitôt quelle est cette interprétation.

Attendu, selon l’article 9.2. de la convention de Berne, que la reproduction des œuvres littéraires et artistiques protégées par le droit d’auteur peut être autorisée, dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ; que l’exception de copie privée prévue aux articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, tels qu’ils doivent être interprétés à la lumière de la directive européenne susvisée, ne peut faire obstacle à l’insertion dans les supports sur lesquels est reproduite une oeuvre protégée, de mesures techniques de protection destinées à en empêcher la copie, lorsque celle-ci aurait pour effet de porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, laquelle doit s’apprécier en tenant compte de l’incidence économique qu’une telle copie peut avoir dans le contexte de l'environnement numérique ;...

Traduction : la directive DADVSI que le législateur n'a pas été fichu de transcrire en temps et en heure permet expressément de s'opposer à la copie même privée d'une oeuvre, et la convention de Berne, qui elle est en vigueur, prévoit qu'il est permis de s'opposer à une telle copie quand ellle porte atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ou cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. Ce n'est qu'une question de temps pour que ce qu'ont fait le producteur et l'éditeur ne devienne légal, et même ça devrait déjà l'être depuis longtemps. Et bien voilà, je fais comme si ça l'était d'ores et déjà.

Voici la règle posée. Maintenant, la cour va l'appliquer aux faits de l'espèce.

D'abord, faites entrer l'accusé, la cour expose comment la cour d'appel a statué. Pour faciliter la lecture, je mets en italique les propos qui sont ceux de la cour d'appel et de cette cour seulement :

Attendu que pour interdire aux sociétés Alain Sarde (le producteur), Studio canal (l'éditeur) et Universal Pictures vidéo France (le distributeur) l’utilisation d’une mesure de protection technique empêchant la copie du DVD “Mullholland Drive”, l’arrêt, après avoir relevé que la copie privée ne constituait qu’une exception légale aux droits d’auteur et non un droit reconnu de manière absolue à l’usager, retient que cette exception ne saurait être limitée alors que la législation française ne comporte aucune disposition en ce sens ; qu’en l’absence de dévoiement répréhensible, dont la preuve en l’espèce n’est pas rapportée, une copie à usage privé n’est pas de nature à porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre sous forme de DVD, laquelle génère des revenus nécessaires à l’amortissement des coûts de production ;

Vient ensuite la sentence de mort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris :

Qu’en statuant ainsi, alors que l’atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, propre à faire écarter l’exception de copie privée s'apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d'auteur et de l’importance économique que l’exploitation de l’oeuvre, sous forme de DVD, représente pour l’amortissement des coûts de production cinématographique, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

C'est carrément une violation de la loi que retient la cour de cassation, c'est fort et cinglant.

La cour de cassation et la cour d'appel sont toutefois d'accord sur un point, qui n'est pas nouveau mais qu'il est bon de rappeler : la copie privée n'est pas un droit, mais une exception au principe de l'interdiction de toute copie de l'oeuvre. Cette exception cesse dès lors que d'autres intérêts protégés par la loi sont remis en cause, et c'est exactement le cas selon elle en matière de copie de DVD. Interdire tout dispositif anti copie, tout DRM pour parler clairement, c'est pour la cour de cassation sacrifier les intérêts légitimes de l'auteur en compromettant l'exploitation normale de l'oeuvre qui se retrouverait immédiatement disponible au téléchargement à grande échelle (car juridiquement, la distinction entre une copie privée réalisée en local à partir d'un DVD ou en réseau P2P est sujette à controverse : la cour d'appel de Montpellier, à laquelle s'est ralliée le tribunal de grande instance de Paris, ne la fait pas, tandis que Pontoise et Meaux la font). Et en plus de cette atteinte, la loi va bientôt expressément autoriser les DRM et même aurait dû le faire il y a de ça trois ans.

En somme, la cour de cassation a commencé à appliquer la loi DADVSI, avant même qu'elle ne soit votée.

Notes

[1] Arrêt disponible sur Juriscom.net

[2] Civ.1e, 28 février 2006, pourvois n°05-15.824, et 05-16.002

[3] La directive devait être transposée avant le 22 décembre 2002

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