Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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juillet 2011

lundi 25 juillet 2011

Garde à vue et blues des bleus

Le Journal Officiel Figaro, sous la plume de Laurence de Charette, nous gratifie encore d’un grand moment de journalisme (comprendre l’art de signer de son nom les communiqués de presse rédigés par le gouvernement), qui me fournit l’occasion rêvée pour faire un nouveau point sur la garde à vue, deux mois, à une semaine près, après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

L’article de Laurence de Charette, intitulé L’Intérieur s’alarme de la baisse des gardes à vue, expose unilatéralement un point de vue présenté comme celui de la police et du ministère de l’intérieur. Que ce soit celui de l’Intérieur, je veux bien le croire, cela fait longtemps que la Place Beauvau est chez elle boulevard Haussmann. Que ce soit celui de la police, cela suppose déjà que les policiers n’aient qu’une opinion unique, et est contredit par mon expérience. Que des policiers n’apprécient pas la réforme et le fassent sentir, je confirme. Mais cela reste une exception, la majorité oscillant entre faire contre mauvaise fortune bon cœur et une opinion plutôt favorable à l’usage.

L’angle de l’article est simple et de nature à caresser l’électorat du Figaro dans le sens du poil : la réforme a fait baisser le nombre de gardes à vue et moins de gardes à vue entraîne une baisse des élucidations. C’est du bon sens n’est-ce pas ? Donc c’est faux, comme 9 fois sur 10 avec le bon sens.

Ce n’est pas la réforme qui a fait baisser le nombre de gardes à vue. Juridiquement, il n’y a aucune différence entre l’avant et l’après : les mêmes faits peuvent vous mener en garde à vue (tout délit passible d’une peine d’emprisonnement). Rappelons que le problème n’était pas la garde à vue en elle-même (quand bien même il en était fait un usage abusif, leur nombre ayant doublé en dix ans, soit depuis leur prise en compte dans la politique du chiffre), mais le fait qu’elle se déroule sans l’assistance d’un avocat.

C’est un choix politique qui a abouti à cette baisse : le coût de l’intervention d’un avocat (358 euros par garde à vue, 538 en cas de prolongation) rendait le même rythme trop coûteux, et des instructions ont été données pour privilégier les procédures sur convocation, la fameuse audition libre qui ne dit pas son nom mais existe bel et bien.

Donc le ministère de l’intérieur vient pleurer sur l’épaule accueillante du Figaro sur les conséquences de sa propre décision. Et le Figaro, ayant le choix entre l’analyse et tendre un mouchoir, opte pour la boîte de Kleenex.

Deuxième approximation, le taux d’élucidation. Il faut savoir que c’est la police ou la gendarmerie elle-même qui décide si une affaire est ou non élucidée. Ils ont arrêté un suspect, qui nie ou garde le silence mais pensent que c’est lui : élucidé. De fait, tous les dossiers qui parviennent sur mon bureau sont considérés comme élucidés (c’est écrit sur la première page, le Compte-Rendu d’Infraction qui résume le dossier en une page), quand bien même les prévenus ne sont pas encore jugés. Y compris les dossiers où j’obtiens la relaxe de mon client, donc où personne n’est reconnu coupable. Donc merveille des statistiques : envoyer un innocent devant le tribunal compte pour une affaire élucidée. Il n’y a aucun retour auprès des forces de police sur les suites données au dossier. Vous voyez à ce compte là que la baisse du taux d’élucidation n’est pas forcément une mauvaise nouvelle…

Dans la série rions un peu avec les chiffres bidons, on apprend que les gardés à vue gardent le silence dans 40% des cas. Remercions-les d’abord de veiller à assurer un chiffre parfaitement rond, pas-la-moitié-mais-presque. C’est gentil, ça facilite le calcul de tête. Ce chiffre est bidon, tout simplement parce qu’aucun récollement de données n’a lieu sur ce sujet, qu’aurait-il lieu, ce n’est pas en deux mois qu’on aurait des données fiables, et que la majorité des gardés à vue à qui je conseille de garder le silence déclarent garder le silence… avant de répondre aux questions que les policiers leurs posent quand même, “pour le principe”. Ces statistiques sont donc certifiées par l’INP, l’Institut National de Pifométrie.

Je souris aussi à l’anecdote de l’avocat se sauvant au moment où son client va faire des aveux. Vieille ruse d’avocat, en effet : nous laissons toujours un cheval sellé sous la fenêtre du tribunal pour nous enfuir en sautant par là si on sent que notre client va reconnaître les faits. C’est très difficile à réaliser lors des procès de bandes organisées, où 10 accusés peuvent avouer en même temps un braquage : dix avocats sautant en robe par la fenêtre, ça demande de la coordination. À Lille, la foule se presse toujours sous les fenêtres de la cour d’assises les jours où Maître Mô défend un accusé n’ayant pas encore avoué, son saut de l’ange étant réputé de Marcq-en-Barœul à Sainghin-En-Mélantois, des touristes venant en bus de Mouscron pour y assister.

Plus sérieusement, nous ne saurons rien de cette anecdote. Il faudrait inventer un métier qui consisterait à vérifier des informations et à expliquer les faits avant de les publier : ça se fait bien dans d’autres pays. Toujours est-il que ce confrère fend-la-bise ignorait visiblement que l’article préliminaire du CPP rend inefficaces les aveux reçus sans que l’intéressé ait pu s’entretenir avec un avocat et être assisté par lui. S’il a eu cette possibilité, mais que son ineffectivité est due à l’avocat qui arrive trop tard ou part trop tôt, les aveux sont valables et Strasbourg n’y trouvera rien à redire.

L’article bascule dans le saumâtre quand l’auteur rend hommage à l’imagination des enquêteurs pour faire échec à la présence de l’avocat, c’est à dire… à la loi.

D’où l’imagination dont font preuve certains enquêteurs pour tenter de se débarrasser de l’avocat pendant le fil de la garde à vue, en peaufinant des stratégies d’«épuisement» de l’intrus. «L’une des techniques consiste à commencer par une première audition en milieu d’après-midi, et à la faire traîner en longueur en multipliant les questions périphériques. Puis on fait une pause et on explique à l’avocat que l’on reprendra en début de soirée, raconte un policier. Il n’est pas rare qu’il nous appelle plus tard en disant que finalement, il ne reviendra pas.»

Je confirme la réalité du procédé. J’ai déjà été convoqué à 3h du matin, après une audition s’étant terminée à 21h00, pour que mon client s’entende poser trois questions sans intérêt pour le dossier. 5 allers et retour au commissariat en 3 jours, et une comparution immédiate dans la foulée. J’ai fini lessivé, mais je suis toujours venu. Je peux vous confirmer à la tête de l’OPJ qu’il ne s’y attendait pas. Ces pratiques devraient avoir disparu, le parquet de paris en ayant eu vent et ayant demandé aux policiers de fixer un calendrier des auditions avec l’avocat. Devinez quel syndicat de policier a gueulé ?

La parade est simple : donner pour instruction ferme au client de ne faire aucune déclaration en notre absence. Rien, pas un mot.

La liste des doléances du ministère de l’intérieur continue : les policiers ne savent pas quelles pièces il faut donner aux avocats (la réponse étant à l’article 63-4-1 du CPP, qui n’est pas bien compliqué, mais le plus simple, face à la compatibilité douteuse de ce texte avec la CEDH étant de donner à l’avocat toutes les pièces qu’il réclame puisqu’il n’y aucune bonne raison de le lui refuser) ; ils ne savent pas s’il faut attendre et combien de temps l’avocat pour les auditions suivantes (alors qu’il suffit de le prévenir suffisamment à l’avance pour qu’il prenne ses dispositions et le problème est réglé, même si c’est incompatible avec l’astuce policière de l’épuisement de l’avocat qu’on a déjà vue) ; enfin la charge procédurale s’alourdit avec “10 PV de formes supplémentaires” dans chaque procédure. 10, notez le chiffre rond, là aussi. Le Président n’est pas réputé aimer les virgules.

Là encore, un journaliste aurait vérifié, mais au Figaro, visiblement, on photocopie les fax reçus de la place Beauvau et c’est bouclé.

La réforme de la procédure ne fait pas dresser de PV de forme supplémentaire. L’ancienne procédure prévoyait : un PV de notification de la mesure et des droits associés ; si un avocat était demandé, un PV mentionnant l’envoi de la demande d’avocat, puis un PV mentionnant l’entretien avec l’avocat, avec en annexe les observations éventuelles de celui-ci, qu’il a rédigées lui-même. Point. Soit 3 PV.

La nouvelle procédure exige un PV de notification de la mesure et des droits associés ; si un avocat était demandé, un PV mentionnant l’envoi de la demande d’avocat, puis un PV mentionnant l’entretien avec l’avocat, avec en annexe les observations éventuelles de celui-ci, qu’il a rédigées lui-même. Point. Soit 3 PV. Notez la différence.

La présence de l’avocat au cours des auditions fait l’objet d’une mention d’une ligne dans le PV d’audition, les questions que nous posons éventuellement sont mentionnées dans le PV lui même. Où sont les 10 PV supplémentaires par procédure ? Je les cherche encore. Si quelqu’un a des infos, qu’il les faxe au ministère de l’intérieur, qui transmettra au Figaro.

S’il y a une inflation de paperasse, c’est dû au Gouvernement lui-même, qui a créé un nouveau formulaire de garde à vue de 7 pages (WARNING : Comic Sans inside), contre 1 pour l’ancien. Je me demande si ces 7 pages + les 3 PV ordinaires ne font pas les mystérieuses 10 nouvelles pages, mais les 7 pages ne sont utilisées qu’en cas de prolongation exceptionnelle de la mesure pour terrorisme, donc l’hypothèse la moins courante.

À ce propos cher confrères, embellissons un peu les procédures. Vous trouverez ci-dessous deux fichiers pdf des formulaires de garde à vue modifiés, où l’ignoble police Comic Sans a été remplacée par Arial, la police utilisée pour les reste du document. Ces formulaires, sans prétendre à ravir l’esthète, éviteront de mettre cette verrue qu’est le Comic Sans dans les dossiers où vous interviendrez.

Alors, comment ça se passe, concrètement ?

Globalement, de mieux en mieux. La présence de l’avocat est devenue une partie normale de la procédure. Parlons donc des cas où ça se passe mal, les plus intéressants.

Certains policiers continuent à faire de la résistance. Dans certains cas, cela confine à l’hostilité. Les signes de cette hostilité sont généralement les suivants :

- Un collègue du policier est présent, généralement debout, sans rien dire, à observer ostensiblement l’avocat. Il est là pour témoigner en cas d’incident, ne prenant aucune part à la procédure. Sa présence n’est bien sûr jamais mentionnée sur le PV. J’ai même eu un cas où un officier était présent, intervenait et provoquait mon client, exigeant que les réponses à ses provocations soient mentionnées au procès verbal (mais pas ses propres propos, naturellement). La parade est simple : j’ai noté avec la fidélité d’une sténo tous les propos tenus par ce commandant, et je les ai versés dans mes observations écrites annexées au PV, que j’ai interdit à mon client de signer naturellement. Les policiers n’ont rien pu dire, j’étais accompagné d’une stagiaire qui a assisté à toute la scène et a beaucoup appris du métier ce jour là.

- La chaise de l’avocat est installée le plus loin possible du gardé à vue et hors de son champ de vision. Record : 3m, dans un petit bureau, c’était un exploit. Là dessus, je suis désormais intraitable. Ma place est à côté du gardé à vue, et si le policier n’est pas content, qu’il fasse un incident et appelle le procureur de permanence, qui sera ravi-ravi de traiter ces problèmes d’intendance. N’oubliez pas chers confrères que si la 48e heure approche, la menace des policiers de suspendre l’audition pour en référer au parquet est du vent : ils sont pris à la gorge par les délais. Si nous nous laissons faire, la prochaine étape sera de nous installer dans le couloir.

- L’avocat se voit notifier l’interdiction d’intervenir au cours de l’interrogatoire, ses observations étant réservées pour la fin. Là encore, chers confrères, c’est illégal et inacceptable. L’article 63-4-3 du CPP est très clair :

L’audition ou la confrontation est menée sous la direction de l’officier ou de l’agent de police judiciaire qui peut à tout moment, en cas de difficulté, y mettre un terme et en aviser immédiatement le procureur de la République qui informe, s’il y a lieu, le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre avocat.

À l’issue de chaque audition ou confrontation à laquelle il assiste, l’avocat peut poser des questions. L’officier ou l’agent de police judiciaire ne peut s’opposer aux questions que si celles-ci sont de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête. Mention de ce refus est portée au procès-verbal.

À l’issue de chaque entretien avec la personne gardée à vue et de chaque audition ou confrontation à laquelle il a assisté, l’avocat peut présenter des observations écrites dans lesquelles il peut consigner les questions refusées en application du deuxième alinéa. Celles-ci sont jointes à la procédure. L’avocat peut adresser ses observations, ou copie de celles-ci, au procureur de la République pendant la durée de la garde à vue.

C’est en vain que vous chercherez où la loi interdit à l’avocat d’ouvrir la bouche s’il le juge nécessaire. Et pour cause, ce serait contraire à la CEDH. La seule obligation est d’attendre la fin pour poser nos questions (obligation dont je fais un usage plutôt libéral, une question demandant des précisions ayant un sens à un moment donné). D’ailleurs, certains policiers refusent que nous posions des questions à quelqu’un d’autre que notre client. Illégal, là encore.

Seule une question de nature à nuire au bon déroulement de l’enquête peut être refusée (mais elle doit être mentionnée). Il faut donc le faire, et noter dans nos observations la question que nous avons voulu poser et les motifs du refus. Le procureur de Paris s’est cru autorisé, après les arrêts du 15 avril, à prendre une circulaire d’instructions (n°CSG/2011/923/JCM/ALMPC du 15 avril 2011) indiquant que l’avocat devait rester taisant au cours de l’audition. En réponse, j’ai moi-même pris une circulaire (EOLAS/2011/WTF/LOL du 15 avril 2011) indiquant que le procureur devait rester taisant à l’audience. J’appliquerai la circulaire du parquet quand il appliquera la mienne.

L’avocat doit intervenir chaque fois qu’il l’estime nécessaire pour la défense. En fait, exactement comme dans un cabinet de juge d’instruction. Ses interventions doivent être mentionnées au procès verbal, naturellement. Si l’OPJ estime que par son attitude, l’avocat perturbe illicitement le déroulement de l’audition(j’entends que dire à son client de ne pas répondre à une question n’est pas illicite puisqu’il s’agit d’un conseil portant sur l’exercice d’une droit de la défense considéré comme absolu) voire tente de saboter l’audition, c’est le moment pour lui de faire usage de la procédure prévue à l’article 63-4-3 al.1 : il interrompt l’interrogatoire, téléphone au procureur de la République ou au juge d’instruction si la garde à vue a lieu sur commission rogatoire, qui décide… s’il y a lieu ou non de saisir le bâtonnier. En effet, seul le bâtonnier a ici autorité pour rappeler son confrère à l’ordre, ou le rappeler à l’Ordre en envoyant un autre avocat. Le fait qu’un OPJ vous menace de demander un autre avocat est du vent : il n’en a pas le pouvoir, il y a un double filtre. À Paris, un membre du Conseil de l’Ordre est de permanence 24h24, 7j/7 pour traiter ces difficultés (demandez le numéro de portable au bureau pénal).

Robe ou pas robe ?

La tendance est à pas la robe, surtout pour des raisons pratiques (c’est à ça de moins à transporter). Je suis de l’école avec : j’estime être dans l’exercice de mes fonctions judiciaires. Les policiers apprécient l’effort et la marque de respect, les clients aussi, et quand vous tombez en confrontation face à un confrère de l’école avec, vous vous épargnerez une remarque de votre propre client). Et ça évite d’être confondu avec le client à la fin de l’audition.

Le décret sur la rémunération de l’avocat est paru le 6 juillet dernier, et j’ai effectivement été payé de mes interventions depuis le 15 avril. Attention aux nouvelles règles : le formulaire reste avec la procédure jusqu’à la fin de la GAV, puis sera envoyée à l’Ordre pour le règlement. À Paris, une navette va être mise en place pour faire le tour des commissariats, en attendant, il nous faut emporter le formulaire à l’issue de la dernière audition ; mais le plus simple serait que le formulaire accompagnât la procédure et que le magistrat qui la réceptionne le transmette à l’Ordre par le courrier interne. Attention, si plusieurs avocats se succèdent (remplacement sur ordre du bâtonnier, ou avocat ne répondant pas remplacé d’office), seul le dernier avocat est rémunéré (à charge pour les avocats d’appliquer les règles de partage d’honoraires le cas échéant).

Si les policiers qui me lisent veulent narrer comment ça se passe pour eux et surtout, parlons des trains qui arrivent en retard, les problèmes et difficultés qu’ils rencontrent avec certains confrères, je les lirai avec intérêt. En tout cas, plus d’intérêt que le Figaro.

mardi 19 juillet 2011

Prix Busiris à Jean-Paul Garraud

Félicitation à l’heureux lauréat. Le prix est détaillé sur le nouveau site de l’académie.

samedi 16 juillet 2011

Pas de gilet pare-balle à la prochaine Gay Pride

Une rumeur court sur les réseaux sociaux ces jours ci, et j’ai beaucoup été interrogé sur la question. La rumeur se résume à cette affirmation : depuis le 1er juillet, la police a le droit d’ouvrir le feu sur des manifestants.

Le juriste que je suis ne peut que froncer les sourcils face à cette affirmation. Non, bien sûr, la police n’a pas le droit d’ouvrir le feu sur les manifestants depuis le 1er juillet.

La Gendarmerie le peut depuis le 28 Germinal an VI (17 avril 1798), date de sa création, et la police depuis le décret-loi du 23 octobre 1935 sur les manifestations publiques. Ces deux corps ont fait un usage plus que modéré de ce droit depuis, et ne semblent guère enclins à vouloir changer leurs habitudes.

La rumeur s’appuie sur un décret n°2011-795 du 30 juin 2011 paru au JO du 1er juillet qui fait la liste des armes pouvant être utilisées pour des opérations de maintien de l’ordre public. Le dernier tableau de ce décret a mis le feu aux poudres, puisqu’il prévoit qu’il peut être fait usage de fusils à répétition de précision de calibre 7,62 × 51 mm et ses munitions, heureuse mention pour l’utilité de l’arme, même si un coup de crosse de FR-F2, ça fait déjà assez mal comme ça.

J’ai bien conscience qu’un texte de loi (au sens large) est souvent abscons et qu’il est difficile voire impossible d’en comprendre le sens sans voir dans quel contexte il s’inscrit, et ce qu’il change par rapport à la situation antérieure. Surtout que là vous allez voir que c’est pas simple. Les juristes sont les premiers à pester face à la chose, car la déconnexion du citoyen et de la loi, qui est l’expression de la volonté générale, est pernicieuse en république. Mais déduire d’un texte qu’on ne comprend pas la solution du pire, qui peut se formuler ainsi : “le gouvernement se prépare à faire de chaque manifestation un bain de sang digne de la Syrie, la preuve est au Journal Officiel de la République” est remplacer l’esprit critique par la paranoïa pure et simple. Un peu de sérieux quand on parle de la chose publique n’est pas superflu.

Qu’en est-il réellement ?

En fait, ce n’est pas un, mais deux décrets qui sont parus le même jour au JO : le décret n°2011-795 dont on a déjà parlé et le 2011-794 qui est le plus important, et n’a donc naturellement attiré l’attention de personne (il suffisait pourtant de le lire pour comprendre que la rumeur du bain de sang ne tenait pas, ce qui me laisse croire que quelqu’un a eu une lecture très sélective du JO). Ce dernier décret modifie la partie réglementaire (c’est à dire constituée de textes relevant du pouvoir réglementaire du Gouvernement, donc de décrets et non de lois) du Code pénal, et ces deux décrets sont des décrets d’application d’une loi n°2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale.

Reprenons tout ça dans l’ordre.

La loi du 3 août 2009 a transféré la Gendarmerie nationale du ministère de la défense, maison de tout les militaires, au ministère de l’intérieur, maison de tout ce qui porte képi, tout en laissant à la vieille dame son statut militaire.

Le projet de loi initial était fort court (10 articles), puisque l’essentiel de la paperasserie relevait ensuite du pouvoir réglementaire.

Lors de la première discussion devant le Sénat, les parlementaires se sont avisés qu’une des missions de la gendarmerie est le maintien de l’ordre (la plupart du temps, les CRS que vous traitez de SS comme vos grand-parents ont fait en mai 68 sont des gendarmes mobiles, que vous outragez ainsi doublement en les traitant de policiers). Or la loi supprimant la réquisition légale,c’est à dire la nécessité d’un ordre écrit pour que la gendarmerie emploie la force (la police nationale n’ayant besoin que d’un ordre verbal), les sénateurs ont estimé, à raison à mon sens, que ce faible encadrement par la loi n’était pas conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ont donc voté un article 2bis renvoyant à un décret les modalités d’autorisation de l’emploi de la force.

L’assemblée nationale a supprimé cet article lors de l’examen en commission, mais il est réapparu en Commission mixte paritaire sous une forme plus détaillée (c’est l’article 2bis).

La loi du 3 août contenait donc un article 5 (les articles sont renumérotés une fois la loi adoptée pour supprimer les bis) modifiant l’article 431-3 du Code pénal, article prévoyant les formalités préalables à l’emploi de la force : trois sommations de se disperser pacifiquement non suivies d’effets, par des autorités déterminées arborant les insignes de leurs fonctions. Et prévoit deux cas où ces sommations ne sont pas nécessaires : violences ou voies de fait exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.

Cet article se termine par un nouvel alinéa ainsi rédigé :

Les modalités d’application des alinéas précédents sont précisées par décret en Conseil d’État, qui détermine également les insignes que doivent porter les personnes mentionnées au deuxième alinéa et les conditions d’usage des armes à feu pour le maintien de l’ordre public.

Vous avez compris, ce sont ces décrets qui sont parus le 1er juillet 2011.

Le premier rajoute des articles R.431-3 et R.431-4 au Code pénal qui n’existaient pas auparavant et précisent, comme l’exigeait le législateur, les conditions d’emploi de la force. Avant, ces précisions n’existaient pas, seule comptait l’appréciation de l’autorité civile présente (le préfet ou son délégué, concrètement), ce qui était un peu léger au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (art.2, droit à la vie).

Désormais, la loi précise (art. 431-3 du Code pénal issu du décret n°2011-794, article 2) :

I- L’emploi de la force par les représentants de la force publique n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public dans les conditions définies par l’article 431-3. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé.

Oui, ce texte figure tel quel dans le même JO que le décret sur les armes, mais n’a pas eu l’heur de retenir l’attention des sonneurs de tocsin.

Le même article précise (les précisions entre parenthèses sont de moi) :

II. ― Hors les deux cas prévus au quatrième alinéa de l’article 431-3 (violences exercées sur les forces de l’ordre, défense du terrain tenu), les représentants de la force publique ne peuvent faire usage des armes à feu pour le maintien de l’ordre public que sur ordre exprès des autorités habilitées à décider de l’emploi de la force dans des conditions définies à l’article R. 431-4.

Cet ordre est transmis par tout moyen permettant d’en assurer la matérialité et la traçabilité.

Histoire de trouver le responsable pour rechercher sa responsabilité pénale si nécessaire.

« III. ― Pour les forces armées mentionnées aux 1° et 3° de l’article L. 3211-1 du code de la défense, (armée de terre, marine, armée de l’air, groupes interarmes, bref tout le monde sauf les gendarmes), l’ordre exprès mentionné au II prend la forme d’une réquisition spéciale écrite délivrée par les autorités mentionnées à l’article R. 431-4.

La réquisition écrite a été abrogée par la loi du 3 août pour la gendarmerie. Elle demeure pour l’armée.

Et voilà le cœur du sujet :

« IV. ― Hors les deux cas prévus au quatrième alinéa de l’article 431-3 (violences exercées sur les forces de l’ordre, défense du terrain tenu), les armes à feu susceptibles d’être utilisées pour le maintien de l’ordre public sont les grenades principalement à effet de souffle et leurs lanceurs entrant dans le champ d’application de l’article 2 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 (décret établissant la classification des armes entre les 7 catégories) et autorisés par arrêté du Premier ministre.

« V. ― Sans préjudice des articles 122-5 (légitime défense) et 122-7 (état de nécessité), peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au quatrième alinéa de l’article 431-3 (violences exercées sur les forces de l’ordre, défense du terrain tenu), outre les armes mentionnées au IV (grenades à effet de souffle), les armes à feu de 1re et de 4e catégorie adaptées au maintien de l’ordre correspondant aux conditions de ce quatrième alinéa, entrant dans le champ d’application de l’article 2 du décret n° 95-589 du 6 mai 1995 et autorisées par arrêté du Premier ministre. »

Le fameux décret n°2011-795 se contente de dire de quelle arme on peut faire usage dans ce dernier cas :

En application du V de l’article R. 431-3 du code pénal, outre les armes à feu prévues à l’article précédent, est susceptible d’être utilisée pour le maintien de l’ordre public, à titre de riposte en cas d’ouverture du feu sur les représentants de la force publique, celle mentionnée ci-après : Fusil à répétition de précision de calibre 7,62 × 51 mm et ses munitions.

Traduction : les armes à balles réelles sont réservées pour la légitime défense, l’état de nécessité, et la riposte à des tirs sur les représentants de la force publique, trois situations très analogues au demeurant. En aucun cas les forces de police ou de gendarmerie n’ont le droit de tirer à balles réelles sur un attroupement si des coups de feu ne sont pas tirés vers elles depuis cet attroupement.

J’ajoute que les armes de 6e catégorie (matraques, triques, tonfas, pulvérisateurs de gaz lacrymogène) sont autorisées dès le premier stade de l’emploi de la force, ces décrets ne réglementant que les armes à feu, qui incluent les grenades à déflagration.

En conclusion, vous pouvez aller manifester en paix le 1er mai prochain, le JO vous protège. Et n’oubliez pas mes recommandations : rentrez chez vous dès la 1e sommation d’obéissance à la loi que vous entendez (ou à la première fusée rouge que vous voyez tirée par les forces de l’ordre) ; ne lancez ni pierre ni pavé ni cocktail molotov sur les forces de l’ordre ; ne tentez pas de forcer le passage, surtout si c’est vers l’Élysée, un ministère ou une Assemblée parlementaire, et n’ouvrez pas le feu sur les forces de l’ordre. En suivant ces conseils avisés, vous devriez pouvoir passer une bonne journée insurrectionnelle et être rentrés chez vous à temps pour Question pour un Champion. Sinon, selon votre situation, Jaddo ou moi-même nous ferons un devoir de mettre notre art à votre service.

vendredi 8 juillet 2011

Question de priorité

par Dadouche [1]


Ca sentait pas bon.

Que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant les assesseurs du Tribunal pour enfants, soulève d’office la question de l’impartialité du juge des enfants présidant le tribunal pour enfants avait mis la puce à l’oreille des spécialistes. Surtout s’agissant d’une question que la Cour de Cassation avait refusé de transmettre au Conseil Constitutionnel.
Les spécialistes ne sont pas déçus du voyage.

En effet, si le Conseil constitutionnel,dans sa décision de ce matin valide la présence d’une majorité de magistrats non professionnels au sein du Tribunal pour Enfants, il considère que la présidence du Tribunal pour Enfants par le juge des enfants qui a instruit le dossier et décidé du renvoi du mineur devant la juridiction porte atteinte au principe d’impartialité des juridictions.

C’est un véritable pavé dans le marigot du droit pénal des mineurs, qui va faire grincer beaucoup de dents et, sans doute mettre un joyeux bazar. Mais parfois les pavés peuvent avoir aussi du bon.

Reprenons les choses dans l’ordre

Le 4 mai 2011, la Cour de Cassation a transmis au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative la constitutionnalité “des articles L. 251-3 et L. 251-4 du code de l’organisation judiciaire relatifs à la composition du tribunal pour enfants en ce qu’ils portent atteinte au droit à un procès équitable et à une juridiction impartiale dès lors qu’ils autorisent des juges non professionnels en proportion majoritaire dans une formation collégiale, à prendre part à une délibération susceptible de conduire à une peine privative de liberté”

En effet, le Tribunal pour Enfants, seule juridiction pour mineurs qui peut prononcer des sanctions pénales, est composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs non professionnels.

Ces assesseurs ne sont pas des jurés tirés au sort comme en Cour d’Assises et bientôt (enfin, jamais si l’on en croit Robert Badinter) en correctionnelle.
Ils sont nommés pour 4 ans auprès d’un tribunal pour enfants par arrêté du Ministre de la justice, après avoir été choisis sur une liste présentée par le Premier Président de la Cour d’appel concernée et composée de personnes “qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences”. Ils prêtent serment avant d’entrer en fonction.

Une précédente décision du Conseil Constitutionnel, relative aux juges de proximité, avait ouvert la voie à cette question prioritaire de constitutionnalité. En effet, dans sa décision du 20 janvier 2005 relative à la loi créant notamment les juges de proximité et prévoyant leur présence en correctionnelle, le Conseil avait raisonné ainsi :
- l’article 66 de la constitution dispose que c’est l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, qui assure le respect du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu
- cette disposition interdit que des mesures privatives de liberté puissent être prononcées par une juridiction qui ne serait composé que de juges non professionnels (et donc non membres de l’autorité judiciaire)
- cette disposition n’interdit en revanche pas que des juges non professionnels siègent dans une juridiction pénale de droit commun
- cependant pour garantir suffisamment à la fois l’indépendance de cette juridiction et sa compétence, la proportion de juges non professionnels dans les formations correctionnelles de droit commun doit rester minoritaire

En gros, un juge non professionnel ça va, deux ou trois, bonjour les dégâts.

Le suspense était donc à son comble : les assesseurs du TPE sont majoritaires dans la composition, mais le TPE n’est pas une juridiction de droit commun puisqu’elle a été créée spécifiquement pour juger les mineurs. De quel côté allait pencher le Conseil ?

Roulement de tambour…

Spécificité du droit des mineurs : 1 / Principes généraux de la procédure : 0.

Voici les considérants concernés :

4. Considérant qu’aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, si ces dispositions s’opposent à ce que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté soit confié à une juridiction qui ne serait composée que de juges non professionnels, elles n’interdisent pas, par elles-mêmes, que ce pouvoir soit exercé par une juridiction pénale de droit commun au sein de laquelle siègent de tels juges ;

5. Considérant, toutefois, qu’en ce cas, doivent être apportées des garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d’indépendance, indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles, ainsi qu’aux exigences de capacité, qui découlent de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; que, s’agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion des juges non professionnels doit rester minoritaire ;

6. Considérant d’une part, qu’en vertu de l’article L. 251-1 du code de l’organisation judiciaire, le tribunal pour enfants est une juridiction pénale spécialisée qui « connaît, dans les conditions définies par l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, des contraventions et des délits commis par les mineurs et des crimes commis par les mineurs de seize ans » ; que, dès lors, en prévoyant que siègent dans cette juridiction, en nombre majoritaire, des assesseurs non professionnels, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles précitées ;

7. Considérant, d’autre part, que l’article L. 251-4 prévoit que les assesseurs sont nommés pour quatre ans et « choisis parmi les personnes âgées de plus de trente ans, de nationalité française et qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences[2] » ; que l’article L. 251-5 précise qu’ils prêtent serment avant d’entrer en fonction ; que l’article L. 251-6 dispose que la cour d’appel peut déclarer démissionnaires les assesseurs qui « sans motif légitime, se sont abstenus de déférer à plusieurs convocations successives » et prononcer leur déchéance « en cas de faute grave entachant l’honneur ou la probité » ; que, dans ces conditions, s’agissant de ces fonctions d’assesseurs, les dispositions contestées ne méconnaissent ni le principe d’indépendance indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires ni les exigences de capacité qui découlent de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ; que, par suite, l’article L. 251-4 du code de l’organisation judiciaire, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, est conforme à la Constitution ;


Le Conseil Constitutionnel valide en effet la composition majoritairement non professionnelle du TPE en poursuivant ainsi le raisonnement de 2005 ;
- pour être conformes aux exigences constitutionnelles, dans les juridictions pénales de droit commun la proportion de juges non professionnels doit rester minoritaires
- le tribunal pour enfants est une juridiction spécialisée, qui connaît des infractions commises par les mineurs
- ce n’est donc pas une juridiction pénale de droit commun
- la présence d’une majorité d’assesseurs n’est donc pas en soi contraire aux exigences constitutionnelles
- et ce d’autant plus que la façon dont ils sont choisis (pour leur compétence en la matière), nommés (par arrêté, avec prestation de serment) et éventuellement révoqués (en cas de faute entâchant l’honneur ou la probité) garantit suffisamment leur indépendance et leur compétence

En gros, dans une juridiction pénale spécialisée qui fait appel à des compétences particulières (ici sur les questions relatives à l’enfance), on peut faire appel à des non professionnels, même majoritaires, pourvu qu’ils ne puissent pas être nommés par copinage et qu’on puisse s’en débarrasser s’ils sont malhonnêtes.

Ca aurait pu s’arrêter là et les esprits les plus tordus auraient pu immédiatement commencer à rêver à la future décision du Conseil Constitutionnel saisi aujourd’hui de la loi instituant la présence de jurés en correctionnelle.

Las.

Par une lettre du 9 juin, le Conseil Constitutionnel avait soumis aux parties un grief susceptible d’être soulevé d’office.[3]

Il s’agissait en réalité d’une QPC dont la Cour de Cassation avait refusé la transmission au Conseil Constitutionnel par le même arrêt qui avait transmis la QPC sur les assesseurs[4].
Voici la motivation de la Cour de Cassation sur cette non transmission:

Attendu que le demandeur argue de l’inconstitutionnalité de l’article 8 de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, en ce que le juge des enfants peut tout à la fois diligenter des poursuites en saisissant le tribunal pour enfants et présider cette juridiction, ce qui porte atteinte aux droits à un procès équitable et à une juridiction impartiale garantis par la Constitution ;
Attendu que la seule disposition législative invoquée n’emporte pas les conséquences juridiques critiquées par le demandeur[5] ;
D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel


C’est en réalité une question que beaucoup se posent depuis longtemps, et dont la résolution n’est pas simple.

Le juge des enfants est un juge spécialisé. Il a été “inventé” dans l’ordonnance de 45 pour avoir une plénitude de juridiction sur la situation d’un mineur, qu’il peut suivre aussi bien dans le cadre de l’assistance éducative qu’au pénal.
Au pénal, le juge des enfants, saisi par le Procureur de la République, est d’abord juge d’instruction. Il met en examen le mineur et peut procéder à toutes les investigations nécessaires non seulement sur la personnalité du mineur mais également sur les faits qui lui sont reprochés. C’est lui qui décide ensuite le renvoi du mineur devant une juridiction de jugement (juge des enfants ou Tribunal pour Enfants) ou un éventuel non lieu.
C’est ensuite lui qui juge le même mineur, dans le même dossier, soit en tant que juridiction “juge des enfants” en cabinet, où il ne peut prononcer que des mesures éducatives[6], soit en tant que président du Tribunal pour Enfants, qui peut prononcer des sanctions pénales.
C’est ensuite toujours le même juge des enfants qui exerce, à l’égard du même mineur, les fonctions de juge de l’application de peines.

Or, pour les majeurs, les dispositions du code de procédure pénale interdisent rigoureusement qu’un magistrat ayant poursuivi ou instruit un dossier puisse ensuite le juger[7].
Le juge d’instruction, qui mène l’enquête puis évalue s’il existe des charges suffisantes pour renvoyer devant une juridiction de jugement, ne peut en aucun cas siéger ensuite dans la juridiction qui décide si la culpabilité est établie.
Les dispositions de la CEDH sur le procès équitable et notamment l’accès à un juge impartial interdisent évidemment qu’il en soit autrement.
La décision du Conseil Constitutionnel du 2 février 1995 ne dit pas autre chose :

5. Considérant qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’en vertu de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ; que le principe du respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ; qu’il implique, notamment en matière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ; qu’en matière de délits et de crimes, la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle ;


Mais alors, personne n’avait lu l’ordonnance de 45 ou quoi ?

Que nenni chers lecteurs. C’est même un vieux serpent de mer.

Ainsi, par un arrêt du 7 avril 1993, la chambre criminelle de la Cour de Cassation avait validé la présidence du TPE par le juge des enfants qui a instruit le dossier, au motif que cette dérogation aux règles prévalant pour les majeurs était justifiée par “un souci éducatif” lié à la spécialisation du juge des enfants et qu’un éventuel soupçon d’impartialité était contrebalancé par la collégialité de la juridiction et la possibilité d’appel. Ce raisonnement a été repris dans un arrêt du 8 novembre 2000.

La position ultra majoritaire des juges des enfants était la suivante :
“le principe de spécialisation de la justice des mineurs est destiné à garantir que les décisions seront prises par un juge qui connaît bien le mineur, avec une certaine cohérence. C’est plus important que de garantir une séparation de l’instruction et du jugement, d’autant que les affaires de mineurs c’est jamais compliqué et qu’il n’y a presque jamais d’investigations supplémentaires sur les faits”.

En gros, comme une conversation avec un gamin :
- “Mais puisqu’on te dit que c’est mieux pour toi !”
- “Pourquoi c’est mieux ?”
- “Parce que c’est pour ton bien !”

Cette position était en apparence confortée par une décision de la CEDH rendue le 24 août 1993 dans une espèce qui concernait la justice néerlandaise (Nortier c/ Pays Bas).
Dans cette affaire, le juge des enfants de l’autre pays du fromage avait statué sur le placement en détention provisoire du mineur à quatre reprises, avait ordonné un examen psychiatrique et s’était prononcé sur l’existence d’ “indices sérieux” contre le mineur, qu’il avait ensuite jugé et condamné.
La Cour avait considéré que l’on ne pouvait considérer comme objectivement justifiée la crainte que le juge manquât d’impartialité compte tenu de ce que les questions tranchées avant le jugement ne coïncidaient pas avec celles qu’il avait du traiter en se penchant sur le fond, même à juge unique.
Dans un bel ensemble (pas unanime mais presque), les juges français lancèrent un grand “ouf” et s’accrochèrent à l’idée que “aux Pays Bas c’est comme chez nous”.

En oubliant par exemple que la Cour avait relevé dans sa décision que le juge des enfants néerlandais n’avait, en l’espèce, pas usé de ses pouvoirs de juge d’instruction, d’autant plus que le mineur reconnaissait les faits.

L’alerte aurait pu venir de la décision rendue le 2 mars 2010 dans une affaire concernant la Pologne.

Pour ne pas me lancer dans un paraphrase stérile, je reproduis ci-après certains attendus de cet arrêt du 2 mars 2010 (Affaire Adamkiewicz c. Pologne, Requête n° 54729/00) :

102. La Cour observe que l’ordonnance rendue à l’issue de l’instruction préliminaire et par laquelle le juge aux affaires familiales a déféré le requérant au tribunal pour enfants se fondait sur le constat de ce magistrat selon lequel « les éléments rassemblés au cours de l’instruction indiquaient que le requérant était auteur des faits ». Vu la teneur de cette ordonnance, force est de constater que la question sur laquelle ce magistrat avait statué avant l’ouverture de la phase juridictionnelle de la procédure coïncidait dans une large mesure avec celle sur laquelle il a dû ensuite se prononcer en tant que membre de la formation de jugement du tribunal pour enfants. Ainsi, il peut difficilement être affirmé que ledit magistrat n’avait pas d’idée préconçue sur la question sur laquelle il a été appelé à se prononcer ultérieurement en tant que président de la formation de jugement du tribunal pour enfants (voir, en ce sens Werner c. Pologne, no 26760/95, 15 novembre 2001, § 41). Du reste, le Gouvernement l’a également admis dans ses observations. 103. La Cour relève également que dans l’affaire Nortier c. Pays-Bas citée ci-dessus, un problème s’est posé quant à l’impartialité du tribunal, dans la mesure où toute la procédure dirigée contre le requérant mineur s’était déroulée devant le même magistrat. Toutefois, dans cette affaire, il a été jugé que l’article 6 § 1 de la Convention n’avait pas été violé, dès lors notamment que le juge en question n’avait presque pas entrepris d’activité d’instruction, le requérant ayant reconnu sa faute dès le début de l’instance (Nortier, §§ 34-35 et 38). 104. Contrairement à l’affaire Nortier, dans la présente affaire le juge aux affaires familiales a fait durant l’instruction un ample usage des attributions étendues que lui conférerait la loi sur la procédure applicable aux mineurs. Ainsi, après qu’il ait décidé d’office de l’ouverture de la procédure, ce juge avait lui-même conduit la procédure de rassemblement des preuves à l’issue de laquelle il avait décidé du renvoi du requérant en jugement. 105. La Cour note également qu’en l’espèce, pour justifier la pratique consistant à confier au magistrat ayant conduit l’instruction préliminaire l’exercice subséquent de la fonction juridictionnelle au sein du tribunal pour enfants dans la même affaire, le Gouvernement s’est référé à la nature singulière de la procédure concernant les mineurs. 106. La Cour admet que, du fait de la nature spécifique des questions que la justice des mineurs est amenée à traiter, elle doit nécessairement présenter des particularités par rapport au système de la justice pénale applicable aux adultes. Toutefois, il n’incombe pas à la Cour d’examiner in abstracto la législation et la pratique internes pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées à un requérant dans une affaire donnée ou l’ont touché a enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (voir, entre autres, Hauschildt c. Danemark, précité, § 21). 107. La Cour se réfère ici à son constat de violation de l’article 6 de la Convention à raison de l’atteinte aux garanties d’équité lors de l’instruction conduite par le juge aux affaires familiales. Compte tenu de ce constat, la Cour ne décèle pas dans quelle mesure le fait que ce même magistrat ait subséquemment présidé la formation de jugement du tribunal ayant déclaré le requérant auteur des faits pouvait en l’espèce contribuer à assurer la meilleure protection de l’intérêt supérieur de l’enfant que le requérant était alors. 108. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’exigence d’un tribunal impartial.

Ce qui donne, (très) grossièrement résumé :
- oui d’accord en 93 on a dit que le juge qui a renvoyé le dossier peut le juger, mais il n’avait pas contribué à rassembler les preuves de la culpabilité
- alors que là quand même il a signé une décision désignant le mineur comme l’auteur des faits avant de le juger pour ces faits
- vous êtes bien gentils les gars de tout justifier par la spécificité nécessaire de la justice des mineurs, mais faudrait quand même nous expliquer pourquoi c’est forcément mieux pour les gamins d’être jugés par quelqu’un qui a déjà une idée sur leur culpabilité
- il est pas impartial votre juge aux affaires familiales, allez zou circulez y’a plus rien à voir

Finalement, on s’aperçoit que la vraie question est la suivante : est-il davantage de l’intérêt du mineur d’être jugé par un juge qui ne connaît pas le dossier et est objectivement impartial ou d’être jugé par un juge qui le connaît bien, peut prendre les décisions les plus adaptées mais a déjà sa petite idée sur la culpabilité ?

Ce n’est pas une question simple.

Le droit pénal des mineurs français est fondé depuis 1945 sur la spécialisation du juge des enfants et sa connaissance de la personnalité du mineur, qu’il suit par ailleurs parfois en assistance éducative.
La primauté de l’éducatif, la nécessité d’une grande souplesse dans la mise en oeuvre des mesures pour coller le plus possible à la situation par nature évolutive du mineur, tout cela explique les choix qui ont été faits en 45 dans un texte assez révolutionnaire.
L’intérêt supérieur du mineur a justifié beaucoup de choses, y compris le non respect de la loi.
L’ordonnance de 1945 autorise en effet explicitement les juges des enfants à ne pas respecter les dispositions de droit commun du code de procédure pénale en permettant l’enquête “par voie officieuse”[8].
On avait donc admis dès le départ l’idée que les garanties procédurales apportées aux mineurs pouvaient être moindres que celles prévues pour les adultes quand c’était “pour leur bien”.

Elle est peut-être d’ailleurs finalement aussi là cette spécificité de la justice des mineurs qu’on évoque si souvent.

La décision rendue aujourd’hui va sans doute heurter bon nombre de juges des enfants, extrêmement attachés à ce principe cardinal de connaissance de la personnalité du mineur[9].

En voici les considérants sur ce point :

8. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que le principe d’impartialité est indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles ;

9. Considérant, d’autre part, que l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante ; que, toutefois, la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu’en particulier, les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ;

10. Considérant que l’ordonnance du 2 février 1945 susvisée, dont sont issues les dispositions contestées, a institué un juge des enfants, magistrat spécialisé, et un tribunal des enfants présidé par le juge des enfants ; que le juge des enfants est, selon l’article 7 de cette ordonnance, saisi par le procureur de la République près le tribunal dans le ressort duquel le tribunal des enfants a son siège et qui est seul chargé des poursuites ; qu’en vertu de l’article 8 de cette même ordonnance, le juge des enfants se livre à « toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation » ; que cet article dispose, en outre, qu’il peut « ensuite, par ordonnance, soit déclarer n’y avoir lieu à suivre et procéder comme il est dit à l’article 177 du code de procédure pénale, soit renvoyer le mineur devant le tribunal pour enfants » ; qu’aucune disposition de l’ordonnance du 2 février 1945 ou du code de procédure pénale ne fait obstacle à ce que le juge des enfants participe au jugement des affaires pénales qu’il a instruites ;

11. Considérant que le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation ; que, toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ; que, par suite, l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est contraire à la Constitution ;


Le Conseil Constitutionnel, rappelant les différentes dispositions de l’ordonnance de 1945 qui font du juge des enfants un juge d’instruction, constate qu’aucune disposition de l’ordonnance de 45 n’interdit au juge des enfants de participer au jugement des affaires pénales qu’il a instruites.
Il fait apparemment une différence entre le juge des enfants statuant en tant que juridiction de jugement, qui ne peut prononcer que des mesures éducatives et pourrait, semble-t-il, statuer dans des dossiers qu’il a instruits, et le juge des enfants président du TPE, juridiction qui peut prononcer des sanctions pénales, qui ne peut participer au jugement des affaires qu’il a instruites.
La frontière de l’impartialité se situerait donc non sur la déclaration de culpabilité mais sur la possibilité ou pas de prononcer une mesure privative de liberté.
C’est du moins ce que j’en comprends, mais je ne suis pas constitutionnaliste.

Dans cette deuxième mi-temps, on a donc spécificité de la justice des mineurs : 0 / principes généraux de la procédure : 1

Pour être complet, précisons que le Conseil Constitutionnel a ainsi déclaré que l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui fixe la composition du TPE sans préciser l’impossibilité pour le juge des enfants qui a instruit le dossier d’être le juge des enfants qui préside le TPE, est contraire à la Constitution. en principe, Une disposition déclarée contraire à la constitution en application d’une QPC est en principe abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil. En l’occurence, cela reviendrait à supprimer le Tribunal pour enfant (puisque le texte qui en définit la composition n’existerait plus). C’est pour éviter cette conséquence fâcheuse (et, pour le coup, très contraire à l’intérêt de tous les mineurs) que le Conseil a, comme la Constitution le lui permet, fixé au 1er janvier prochain 2013 la date d’abrogation.
Jusqu’à cette date, il serait à mon sens préférable que les juge des enfants appliquent immédiatement le principe défini sans attendre une nouvelle loi, mais je crains que cette position ne fasse pas l’unanimité.

Match nul ?

Est-ce la fin de la justice des mineurs, ou en tout cas un de ses jours les plus sombres, comme certains de mes collègues commencent à se lamenter[10] ?
Un coup-fourré pour démanteler le tribunal pour enfants, alors que le parlement vient d’inventer, sur idée du gouvernement, le tribunal correctionnel pour mineurs ?

Il me semble que cet affolement est prématuré.
D’abord parce qu’il n’est pas exact que les mineurs ne soient jugés devant le TPE que par le juge des enfants qui les connaissent. Dans les juridictions d’une certaine taille, il est instauré un système de permanence qui peut conduire un juge des enfants à mettre en examen et/ou juger en TPE un mineur qu’il ne connaît ni des lèvres ni des dents[11]. Ca n’est jamais très confortable parce que cela demeure rare, mais ça existe.
Ensuite, parce qu’on peut ressentir un réel malaise, dans des dossiers contestés, à présider une juridiction de jugement qu’on a soi même saisie. Quand l’avocat commence à plaider “Comme je l’avais indiqué, sans succès, à Madame le Président lors de la mise en examen”, c’est moyennement plaisant.
Enfin, parce qu’il me semble que l’ordonnance de 45 est un texte obsolète sur un plan purement procédural
Les exigences constitutionnelles et européennes en matière de libertés publiques et de procédure pénale n’ont en effet cessé d’évoluer depuis 1945. Les majeurs bénéficient de garanties toujours plus fortes, avec par exemple le développement du contradictoire dans la procédure d’instruction, qui sont de fait déniées aux mineurs pour lesquels on pratique encore beaucoup la “procédure officieuse”, qui relève de l’oxymore.
La société s’est judiciarisée, la réponse pénale aux actes délinquants des mineurs est systématique. Beaucoup de faits qui auraient donné lieu à une grosse engueulade par le maréchal des logis chef du coin finissent devant le délégué du procureur ou le juge des enfants. Les conséquences ne sont plus les mêmes. Les garanties apportées aux mineurs doivent en conséquence aussi évoluer.
Il nous appartient, à nous qui tentons de faire rentrer dans la tête de ces gamins à coup de mesure éducative voire de peines de prison, le caractère impératif de la loi, de la respecter nous mêmes, même si elle ne nous arrange pas, même si on trouve “ce serait tellement mieux si…”. Je crois que l’intérêt supérieur des mineurs est aussi là, particulièrement alors que certains encourent des peines planchers importantes.
Je suis la première à dire qu’on ne peut pas traiter les mineurs comme les adultes, que les principes qui fondent l’ordonnance de 45 (notamment la spécialisation des juges et la primauté de l’éducatif) sont essentiels et, qui plus est, les seuls efficaces pour lutter contre la délinquance des mineurs.
Mais il me semblerait paradoxal que, à force de traiter les mineurs différemment des adultes, on les traite moins bien.
Question de priorité.

NB : ne manquez pas de surveiller le blog Parole de Juge, où Michel Huyette, grand spécialiste de la justice des mineurs tendance légaliste, ne manquera pas (je l’espère ardemment) de faire une note sur le sujet

Edit le 9 juillet : Ne manquez pas non plus l’avis opposé mais passionnant et éclairé de Jean Pierre Rosenczweig, président du Tribunal pour Enfants de Bobigny

Notes

[1] avec le soutien du service de documentation du Conseil Constitutionnel, qui a mis en ligne un dossier très fourni. Parce que s’il fallait compter sur la Chancellerie…

[2] en pratique, on trouve parmi les assesseurs beaucoup d’enseignants, psychologues, éducateurs ou professionnels de santé

[3] j’ignorais qu’il pouvait faire ça, mais c’est en tout cas prévu par son règlement intérieur

[4] Si toi aussi tu trouves que ça se complique…

[5] et pour cause, puisque ce que le Conseil Constitutionnel va sanctionner, c’est en réalité l’inexistence d’une disposition dans le Code de l’organisation judiciaire

[6] pour un exemple concret, voir l’excellent “Soyez le juge” sur le sujet

[7] oui, il y a des articles de code quelque part, désolée, je les ai pas sous la main, je fais un peu ça dans l’urgence, mais please faites moi confiance

[8] article 8 de l’ordonnance de 45 : le juge des enfants procédera à une enquête, soit par voie officieuse, soit dans les formes prévues par le chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale = soit en ne respectant pas le code de procédure pénale soit en le respectant. précisons que les actes qui conduisent à des mesures de contraintes (mandat, contrôle judiciaire, détention provisoire) doivent impérativement être faits selon les règles du CPP

[9] Beaucoup réagiront sans doute de manière épidermique, prenant celà comme un insulte à leur professionnalisme, qui leur permet évidemment de toujours rester objectif, comme les parquetiers ont pris l’arrêt Winner comme un crachat en pleine gueule

[10] j’ai même entendu “ah mais ça va faire beaucoup plus de travail, il va falloir passer plus de temps à préparer des dossiers qu’on ne connaîtra pas”. Je précise qu’il s’agit d’une position non pas minoritaire mais unique !

[11] Oui, je SAIS que c’est “ni d’Eve ni d’Adam” mais ça m’a toujours fait rire comme ça

mercredi 6 juillet 2011

Pour en finir avec la binationalité

Quelques mots sur un sujet qui me tient à cœur, car outre le fait qu’il me concerne de très près, il s’agit d’une utilisation, pour ne pas dire d’une instrumentalisation d’un concept juridique à des fins politiques peu ragoûtantes. En somme, tout pour me déplaire.

Il s’agit du concept de binationalité. C’est depuis longtemps la Nemesis du Front national, et une récente polémique liée à la Fédération Française de Football lui a donné une apparence de légitimité, à tel point que l’UMP a cru devoir se saisir du sujet, avant de faire piteusement machine arrière, réalisant l’irréalisme d’une éventuelle intervention législative, pour les raisons que je vais vous exposer.

D’entrée, posons un point essentiel : la binationalité, ça n’existe pas. Le mot est un abus de langage de pour désigner des personnes ayant deux nationalités ou plus (les cas de cumul au-delà de trois sont rares, mais théoriquement pas impossibles).

Donc il ne nous reste que la nationalité. Mais la nationalité, qu’est-ce donc ?

C’est une notion juridique, d’apparition récente, mais qui s’inspire largement de la citoyenneté antique des cités grecques et latines (d’où l’usage répandu du terme “citoyen” sous la Révolution). Elle est apparue en France quand le monarque a cessé d’être l’unique ciment de la France. En effet, jusqu’à la Révolution, quand bien même le Français était la langue officielle, chaque province parlait son patois, avait ses lois locales (droit coutumier d’origine germanique au nord, droti écrit d’origine romaine au sud), ses unités de mesure, et même la religion n’était pas unique, la France étant un des rares pays d’Europe où vivaient des catholiques et des Protestants. Mais tous étaient sujets du roi. Quand le roi a disparu, on lui a substitué l’État, et les sujets sont devenus citoyens.

La nationalité est donc un lien juridique et politique qui rattache un individu à un État souverain. C’est donc l’État souverain qui décide qui est un de ses nationaux. C’est sans doute l’expression la plus pure de sa souveraineté, car elle ne suppose pas l’accord d’un autre État.

Au XIXe siècle est apparu un courant de pensée qui a voulu faire de la Nation quelque chose de plus, une communauté de destins, un lien quasi mystique d’une communauté humaine avec une entité évanescente. Ernest Renan a écrit de très belles lignes sur la question. Mais ce courant philosophique qu’est le nationalisme n’est que cela, un courant philosophique auquel nul n’est tenu d’adhérer. Georges Brassens a chanté que le jour du Quatorze-Juillet, il restait dans son lit douillet, car la musique qui marche au pas, cela ne le regardait pas, ajoutant non sans raison qu’il ne faisait pourtant de mal à personne, en n’écoutant pas le clairon qui sonne. Georges Brassens était pourtant aussi Français que Renan. La nationalité est donc un lien de droit entre un Etat et ses citoyens, et ce n’est rien d’autre.

La nationalité a donc des conséquences juridiques. La minimale est que le national a le droit de rentrer à tout moment sur le territoire de l’État dont il a la nationalité. Dans les démocraties, la nationalité ouvre en outre les droits politiques que sont la participation à la vie publique par le vote et l’éligibilité. Il est de tradition également que l’État accorde à ses nationaux la protection consulaire, c’est à dire qu’un citoyen ayant des problèmes dans un État étranger sera aidé dans ses démarches par la représentation française dans ce pays (cela peut aller de la délivrance d’un titre permettant de rentrer en France en cas de vol de passeport jusqu’à une assistance juridique en cas de poursuites pénales). La France respecte cette tradition et le fait plutôt bien.

Les règles d’attribution de la nationalité sont fixées librement par chaque État. On se réfère souvent à deux types de règles : le droit du sang (jus sanguinis en latin) et le droit du sol (jus soli). Le premier donne à l’enfant la nationalité de ses parents, le second donne à l’enfant la nationalité du pays où il est né. Le droit français a recours a un mélange des deux, que j’ai détaillé déjà dans cet article et donc la relecture sera utile ici. Retenons d’ores et déjà et une bonne fois pour toute que la seule naissance en France ne donne pas la nationalité française. Que je sache, elle ne l’a jamais donnée, mais j’avoue m’être peu intéressé aux textes antérieurs à 1927.

Comme vous le voyez, chaque Etat décide souverainement qui est son national et qui ne l’est pas. Il fixe des règles générales d’attribution de la nationalité et peut l’attribuer discrétionnairement au cas par cas. En outre, il est de tradition française, et cette tradition sera très probablement protégée par le Conseil constitutionnel, qu’il n’existe qu’une seule sorte de Français. Tout comme il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, on est Français ou on ne l’est pas.

Et vous avez désormais en main les données du problème. Quand un citoyen français a une autre nationalité, deux souverainetés se heurtent, et aucune ne peut l’emporter. L’autre Etat a tout autant que la France le droit de décider qui sont ses ressortissants, et le législateur français n’a aucun pouvoir pour limiter la transmission de cette autre nationalité. Qui n’est tout simplement pas son affaire. Pour la France, l’intéressé est Français, point. Il a droit à un passeport français, a le droit de vote et d’éligibilité, et est accessible à tous les emplois publics, y compris ceux supposant l’exercice d’une parcelle de la souveraineté : diplomate, ou juge par exemple (mais pas avocat).

Prenons l’exemple d’une Française, Simone, qui a épousé Hveghi, un Syldave des œuvres duquel naît un fils, Gustave-Wladimir.

Le Code civil syldave, très proche du Code civil français, prévoit en son article 18 qu’est Syldave l’enfant dont un des parents au moins est syldave. Gustave-Wladimir, dont le père est Syldave, est donc Syldave d’origine (rappelons qu’être Syldave d’origine n’est pas la même chose qu’être d’origine syldave). Le Code civil français prévoit, en son article 18 (je vous dis que les deux codes sont très proches) qu’est Français l’enfant dont un des parents au moins est Français. Donc Gustave-Wladimir est Français d’origine.

Il n’est pas franco-syldave, ni syldavo-français. Il est Français. Et il est Syldave. Aux yeux de la Syldavie, il est Syldave. Il aura donc un passeport syldave et pourra, l’âge venu, voter aux élections du pays du Pélican noir, s’ y présenter comme candidat[1], devenir ambassadeur, consul, ou juge à la Cour suprême de Klow. Aux yeux de la France, il est Français. Il aura donc un passeport français, et pourra l’âge venu, voter aux élections, s’y présenter comme candidat, devenir ambassadeur, consul, ou magistrat. Il n’aura pas la moindre limitation à ses droits du fait qu’il a aussi la nationalité syldave, tout comme le droit syldave ne limite en rien ses droits du fait de sa nationalité française.

Si un jour le député Syldave de Dbrnouk Lhiönel Lhukka, que l’on sait politiquement proche des idéaux du Front Bordurien, faisait voter par le parlement Syldave une loi interdisant de cumuler la citoyenneté syldave avec une autre nationalité, cette loi syldave se heurterait à la souveraineté française. La France a décidé que Gustave-Wladimir était français, et la Syldavie n’a pas son mot à dire là-dessus. En outre, si la loi française permet dans certains cas de renoncer à sa nationalité française, c’est seulement si l’intéressé le demande lui-même. Et Gustave-Wladimir n’en aurait absolument pas envie. Tout ce que pourrait faire la Syldavie, ce serait lui refuser la nationalité syldave. Mais le but avoué du député Lhukka n’est pas de diminuer le nombre de syldaves (la Syldavie n’a que 642 000 habitants) mais d’interdire que les Syldaves aient une autre nationalité. C’est à dire de mettre son nez dans les affaires des autres Etats.

Le problème serait le même en France, mais heureusement, l’hypothèse ne se pose pas, on n’a pas un clown comme Lhiönel Lhukka qui proposerait un truc similaire. N’est-ce pas ?.

Tout ce que pourrait faire la France, et c’est ce que visent les députés de la droite dite populaire, c’est s’attaquer aux Français par acquisition, ceux qui ne naissent pas Français mais le deviennent. En grande partie, revoici le droit du sol, les enfants de parents étrangers (tous deux étrangers, par hypothèse, sinon ils seraient français de naissance) nés en France et y ayant résidé le temps nécessaire pour pouvoir prétendre à la nationalité. Ceux là devraient, pour pouvoir acquérir la nationalité française, renoncer préalablement à leur nationalité d’origine.

Et on se casse à nouveau les dents sur la souveraineté des États étrangers. Quid si l’État en question ne prévoit pas la possibilité de renoncer à cette nationalité (il me semble que c’est notamment le cas du droit marocain) ? On aura des enfants né en France, y ayant grandi, voire y passant toute leur vie, mais qui ne seront jamais Français à cause d’une loi votée dans un autre pays. Tandis que son voisin, lui, aura la nationalité française dès l’âge de 13 ans. En somme, la nationalité française dépendra de la loi d’un État étranger. Et dire que la droite populaire se prétend soucieuse de la souveraineté de la France.

Cette idée ne peut à mon sens pas passer. Car on l’a vu, le législateur français ne peut rien dans le cas des enfants français d’origine qui ont également une autre nationalité de naissance. Donc on aurait des cas d’enfants nés à l’étranger d’un parent français ayant la nationalité française et une autre, sans qu’ils aient jamais à mettre les pieds sur le sol français, et d’autres enfants nés en France et n’ayant vécu que dans ce pays, qui, parce qu’ils sont nés de deux parents étrangers, ne pourraient jamais de leur vie avoir la nationalité française. L’égalité est un droit de l’homme a valeur constitutionnelle, pas un tag sur les murs de nos mairies.

Sans parler de la haïssable idée qui sous-tend ce piètre débat qu’il y aurait des Français moins bons que d’autres, car ils seraient contaminés par un élément d’extranéité. Où l’on voit que dès qu’on parle de nationalité, la xénophobie n’est jamais loin.

Il serait peut-être temps que les députés de la droite populaire sauf dans les sondages se souviennent que le peuple les a élu pour représenter la Nation, et pas pour décider qui en fait partie.

Un mot pour finir sur les joueurs de football, puisque la polémique est née de là.

L’entraîneur de l’équipe de France se plaignait que les centres de formations situés en France formassent des jeunes gens à devenir footballeurs professionnels pouvant prétendre à jouer en équipe nationale mais qui, du fait qu’ils avaient une deuxième nationalité, optaient finalement pour le maillot de cet autre pays.

Nous sommes en présence d’un faux débat typique. Le problème concerne non pas la France mais la Fédération française de football, association loi 1901, affiliée à une structure privée internationale, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA). C’est le règlement édictée par cette même FIFA qui décide qu’un joueur qui a joué une fois un match officiel (un match amical ne compte pas) dans une équipe nationale ne peut plus jamais jouer dans une autre équipe nationale, peu importe qu’il ait la nationalité de cette autre pays avant d’endosser le maillot ou qu’il l’acquière par la suite. La loi française n’a pas à se soucier des problèmes internes d’une association à but non lucratif (Ah ! Ah !), quelle que soit la popularité du sport qu’elle promeut. J’ajoute qu’en l’état des choses, un joueur de football formé en France ayant deux nationalités qui se verra proposer de porter le maillot de l’équipe de France ou d’un autre pays préférera toujours l’équipe de France. Pas tant pour le prestige, mais parce que l’équipe de France fait en principe toutes les coupes du Monde et d’Europe. Les autres grandes nations du foot ont leurs propres centres de formation qui fonctionnent bien, merci pour eux, il n’y a pas d’enfant franco-brésilien formé en France qui ait opté pour le maillot jaune. Donc le choix d’aller jouer dans une autre équipe sera un choix par défaut, pour ne pas dire par dépit, car les portes de l’équipe de France leur seront fermées. Que le sélectionneur de l’équipe de France souhaite que les joueurs qu’il écarte définitivement ne puissent jamais se retrouver face à son équipe un jour est compréhensible. Tout comme il pourrait souhaiter que l’équipe adverse joue avec des boulets attachés aux pieds, je crois que l’équipe de France en aurait en effet besoin.

Mais la loi française n’a pas à faire de ses rêves une réalité, au prix de la complication de la vie de milliers d’enfants qui n’ont jamais eu l’intention de jouer au football autrement que pour s’amuser

Notes

[1] La Syldavie est devenue une monarchie parlementaire sous le règne éclairé de Muskar XII, en vue de son adhésion à l’Union Européenne.

lundi 4 juillet 2011

Avis de Berryer : Éric Naulleau

Peuple de Berryer !

La conférence a beau sentir bon la crème solaire, elle n’est pas encore en vacances. La preuve, elle poursuit ses travaux dès ce soir, où elle recevra à 21 heures (eh oui, on n’est pas couché), en Salle des criées, M. Eric NAULLEAU, écrivain, éditeur, critique, animateur de télévision.

Les sujets proposés aux valeureux candidats sont les suivants :

1. Est-ce un délit, tes ratures ?

2. Peut-on descendre sans s’abaisser ?

Comme toujours, l’entrée est libre, sans réservation possible. Si vous vous présentez après 19h, c’est à vos risques et périls.

Toute personne, avocat ou non, peut assister à la Conférence Berryer.

Les candidats (et non les spectateurs) sont invités à s’inscrire auprès de M. Matthieu Hy, 4ème Secrétaire :

Tél : 01-77-32-13-61 / hy.avocat[at]gmail.com

Bonne Berryer à tous.

vendredi 1 juillet 2011

À lire sur le dernier rebondissement dans l'affaire DSK

Il arrive parfois que le billet que l’on rêve d’écrire le soit déjà par quelqu’un d’autre. Dans ce cas, les convenances imposent de rendre hommage et de se taire.

C’est pour cela que je vous invite à aller lire l’excellent billet du non moins excellent Jules de chez Dinersroom en face : ”Reasonable doubt” mon amour. Tout ou presque y est dit et fort bien dit, le presque pouvant au besoin trouver sa place en commentaires. C’est donc pour cela que je vous invite à laisser chez le dit Jules vos commentaires sous son billet.

Lisons un peu nos classiques

J’ai redécouvert récemment ce passage d’une œuvre[1] que tout honnête homme se doit d’avoir lu, et qui m’a laissé un sentiment de sidération admirative, quand bien même son auteur est déjà connu et loué pour sa clairvoyance étonnante.

Je vous livre cet extrait tel quel, vous trouverez à la fin le nom de cet auteur et les références du texte, notamment sa date de rédaction.

La sagesse est intemporelle.

Ah, au fait, il y a une audience DSK demain.


« On a remarqué souvent qu’en Europe un certain mépris se découvre au milieu même des flatteries que les hommes prodiguent aux femmes : bien que l’Européen se fasse souvent l’esclave de la femme, on voit qu’il ne la croit jamais sincèrement son égale.

Aux Etats-Unis, on ne loue guère les femmes ; mais on montre chaque jour qu’on les estime.

Les Américains font voir sans cesse une pleine confiance dans la raison de leur compagne, et un respect profond pour sa liberté. Ils jugent que son esprit est aussi capable que celui de l’homme de découvrir la vérité toute nue, et son cœur assez ferme pour la suivre; et ils n’ont jamais cherché à mettre la vertu de l’un plus que celle de l’autre à l’abri des préjugés, de l’ignorance ou de la peur.

Il semble qu’en Europe, où l’on se soumet si aisément à l’empire despotique des femmes, on leur refuse cependant quelques-uns des plus grands attributs de l’espèce humaine, et qu’on les considère comme des êtres séduisants et incomplets; et ce dont on ne saurait trop s’étonner, c’est que les femmes elles-mêmes finissent par se voir sous le même jour, et qu’elles ne sont pas éloignées de considérer comme un privilège la faculté qu’on leur laisse de se montrer futiles, faibles et craintives. Les Américaines ne réclament point de semblables droits.

On dirait d’autre part qu’en fait de mœurs, nous avons accordé à l’homme une sorte d’immunité singulière; de telle sorte qu’il y ait comme une vertu à son usage et une autre à celui de sa compagne; et que, suivant l’opinion publique, le même acte puisse être simultanément un crime ou seulement une faute.

Les Américains ne connaissent point cet inique partage des devoirs et des droits. Chez eux, le séducteur est aussi déshonoré que sa victime.

Il est vrai que les Américains témoignent rarement aux femmes ces égards empressés dont on se plaît à les environner en Europe; mais ils montrent toujours, par leur conduite, qu’ils les supposent vertueuses et délicates; et ils ont un si grand respect pour leur liberté morale qu’en leur présence, chacun veille avec soin sur ses discours, de peur qu’elles ne soient forcées d’entendre un langage qui les blesse. En Amérique, une jeune fille entreprend seule et sans crainte un long voyage.

Les législateurs des Etats-Unis, qui ont adouci presque toutes les dispositions du code pénal, punissent de mort le viol; et il n’est point de crime que l’opinion publique poursuive avec une ardeur plus inexorable. Cela s’explique: comme les Américains ne conçoivent rien de plus précieux que l’honneur de la femme, et rien de plus respectable son indépendance, ils estiment qu’il n’y a pas de châtiment trop sévère pour ceux qui les lui enlèvent malgré elle.

En France, où le même crime est frappé de peines beaucoup plus douces, il est souvent difficile de trouver un jury qui condamne. Serait-ce mépris de la pudeur, ou mépris de la femme? Je ne puis m’empêcher de penser que c’est l’un et l’autre…

Les Américains, qui ont laissé subsister dans la société l’infériorité de la femme, l’ont donc élevée de tout leur pouvoir, dans le monde intellectuel et moral, au niveau de l’homme, et en ceci ils me paraissent avoir admirablement compris la notion du progrès démocratique. »

Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Vol. 2, chap. XII, “Comment les Américains comprennent l’égalité de l’homme et de la femme”, 1840.

Notes

[1] Citée par jean-Claude Casanova dans la revue Commentaire, n°134.

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