Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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Magistrats en colère

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mardi 6 janvier 2009

Le juge enfin pendu, dansez Messires!

Par Anatole Turnaround

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mercredi 26 novembre 2008

Coeur de métier

Par Anatole Turnaround, magistrat.



Ils ne veulent plus.

Les policiers. Et les gendarmes.

Ils ne veulent plus amener les prisonniers au tribunal.

C’est pas leur coeur de métier, ils disent. Et leur coeur de métier, ils veulent se recentrer dessus.

Arrêter le gamin de quatorze ans qui vend du shit et mettre une garde à vue de plus dans les statistiques, oui. Mais amener le gardé à vue de quatorze ans devant le substitut de permanence pour la prolongation de garde à vue, ils ne veulent plus. Ca prend trop de temps.

Arrêter le sans-papiers et avoir une chance d’inscrire une reconduite à la frontière de plus dans les stats, oui. Mais le conduire devant le juge des libertés pour l’éventuelle prolongation de sa rétention avant l’avion pour l’Afrique, veulent plus. Trop cher en temps de fonctionnaire.

Amener le détenu provisoire devant le juge des liberté pour statuer sur la prolongation de la détention. Ca va plus être possible, M’sieudames les juges, désolés. C’est que, voyez-vous, nous n’acceptons plus les charges indues. Indues, oui c’est comme ça qu’ils disent. Ils disent aussi abusives.

C’est pour 2009. Le parlement en débat en ce moment. Il s’agit de décharger les policiers et les gendarmes, qui seront bientôt tous rattachés au même ministère de l’intérieur, de la mission d’escorter les personnes arrêtées ou détenues jusqu’au palais de justice afin qu’un magistrat examine leur situation dans les cas où la loi le prévoit.

Evidemment, voilà une nouveauté qui n’apparaîtra pas à visage découvert. Un pays évolué et démocratique comme la France ne peut pas, ouvertement, modifier le code de procédure pénale ou le code des étrangers, pour supprimer les rencontres obligatoires entre les personnes arrêtées et les juges. Ces rencontre sont prévues pour permettre un contrôle de la contrainte publique et protéger les libertés individuelles en cas de dérapage. Non, impossible pour la France d’afficher une régression de l’état de droit, surtout au moment où nos voisins nous regardent faire, en cette matière, avec un oeil de plus en plus critique.

Une habile solution a donc été trouvée.

On ne touche pas la loi, mais on facture les escortes aux juges. "Qui commande paie", ils disent. Si le juge veut voir le prisonnier, son tribunal devra payer. Et les tribunaux sont pauvres. Jusqu’à maintenant, le coût d’une escorte (deux policiers où gendarmes et un véhicule pendant quelques heures) était assumé par le ministère de l’intérieur (pour la police), ou le ministère de la défense (pour ces militaires que sont les gendarmes). Gros budgets (32 milliards d'euros pour la défense, 16,23 milliards pour l’intérieur), pas de problème pour payer. Alors évidemment, la justice qui est beaucoup moins riche (6,66 milliards), va avoir du mal à absorber. Et c’est là qu’est le stratagème: on ne supprime pas, mais on met à la charge de quelqu’un qui ne pourra pas payer, et ça va disparaître tout seul.

Comment-comment, Anatole, mais vous nous contez des sornettes ! Si les gardés à vue, retenus administratifs, détenus provisoires et autres justiciables entravés n’étaient pas présentés à leur juge conformément à la loi, leurs avocats feraient annuler les procédures et tout le monde serait remis dehors ! Jamais nos gouvernants n’accepteront une telle chose.

Si-si ! Ils peuvent le faire, grâce à une deuxième astuce. On fera toujours les audiences, mais sans le prisonnier.

Par vi-sio-con-fé-rence. Magie des électrons, merveille de la modernitude. Vous aimerez forcément cette belle idée d'un député chargé de trouver comment libérer les forces l'ordre des corvées judiciaires indues.

Je donne un exemple. Une personne soupçonnée de meurtre est détenue depuis un an et le juge d’instruction demande une prolongation de la détention pour achever son enquête. Le JLD va décider après avoir entendu les parties.

Aujourd’hui, le mis en examen est extrait de sa cellule, à la demande du juge des libertés, par une escorte de deux policiers (si la prison est en ville) ou deux gendarmes (si la prison est à la campagne) qui vont le chercher avec leur voiture, le conduisent au palais, attendent pendant qu’il rencontre son avocat avant l’audience, l’accompagnent à l’audience et repartent avec lui à l’issue.

Demain, le détenu sera extrait de sa cellule pour être conduit dans une autre pièce de la prison. On l’installera en face d’une énorme armoire sécurisée comprenant un ordinateur, un écran, un micro et une caméra, qui lui permettront de débattre de son cas avec le procureur, le juge et la greffière qui seront, eux, au palais de justice face à un autre écran, une autre caméra et un autre micro. L’avocat aura le choix d’aller soit à la maison d’arrêt, soit au tribunal. Dans ce cas, il pourra s’entretenir avec son client par visioconférence, avant les débats. Je vous laisse imaginer le sentiment de confidentialité qu’éprouvera le client lorsqu’il devra s’adresser à son défenseur par le truchement du matériel vidéo et informatique de la prison, puis du matériel du palais de justice, sans savoir qui pourrait l'écouter ou l'enregistrer ...

Ca sera obligatoire pour l’intéressé, qui n’aura pas son mot à dire. Obligatoire aussi pour l’avocat, évidemment. Et pour le juge ? Oui, le juge qui trouverait important, pour le dossier, pour la vérité, pour le symbole, de garder le contact humain avec l’homme dont le sort est entre ses a mains ? Un juge qui voudrait voir, entendre, sentir et ressentir? Qui penserait que sa justice doit être incarnée dans un visage de chair et non de cristaux liquides ?

Et bien ce juge là se fera engueuler.

Certes, dans les textes, il a le choix. Mais dans la réalité, le président et le procureur du tribunal lui reprocheront son étrange croyance que rencontrer le prisonnier en chair et en os ajoute quelque chose à un dialogue par web-cam. On lui reprochera surtout les factures d’escorte adressées au tribunal par Messieurs les policiers et gendarmes.

Et on lui reprochera de faire perdre du temps aux mêmes policiers et gendarmes, qui voulaient se recentrer sur leur coeur de métier, qui passe quand même avant le coeur du métier du juge.

Moins d'argent, donc moins d'écoute et moins d'humanité ? Moins de justice et plus de police?

Chacun son coeur de métier.

jeudi 30 octobre 2008

im“média”teté judiciaire

Par Jean-Michel Malatrasi, magistrat, ancien juge d'instruction, ancien président de cour d'assises, et président du tribunal de grande instance de Digne.


Je reviens volontairement à l’affaire de Sarreguemines, dont l’actualité s’estompe (heureusement...), car elle revêt à mon sens une portée vraiment symbolique : il s’agit en effet d’une mise en cause, non plus uniquement de la responsabilité du juge, mais de l’essence même de sa mission, (à savoir l’application des règles générales fondées sur la loi, à la situation particulière d’une infraction ou d’un litige) : il est désormais acquis que le contenu même d’une décision de justice, pénale ou civile, peut être publiquement incriminé, mais non point en fonction des faits objectifs et de leur cadre légal, ni même au regard de notions morales : la décision est critiquée uniquement selon l’intensité de l’émoi collectif qu’un événement médiatiquement rapporté aura causé dans l’opinion : dans un tel contexte, est forcément regardé comme « injuste » tout ce qui choque l’émotion du moment , et comme « juste » toute réaction à chaud visant, en apparence au moins, à « réparer » « les conséquences du drame » et à « éviter qu’un tel fait divers ne se reproduise ! »

A ce stade, l’existence même de la décision de justice, avec la procédure qui y conduit est gênante ! Peu importent les éléments du dossier qui ont emporté la conviction, peu importe le travail de fond complexe ( et toujours collectif d’ailleurs ), des enquêteurs, experts, éducateurs , greffiers, avocats, magistrats ou jurés. Ce qui est recherché, ce n’est plus d’assurer la pérennité d’une justice impartiale, dans un état de droit . C ‘est l’émergence d’une im “média” teté judiciaire, une justice virtuelle confiée à l’arbitrage soudain de l’opinion, au vu des bribes d’information toujours parcellaires, sinon partiales, qui émergent au hasard des infos.

Rien d’étonnant alors que chacun d’entre nous se trouve désormais placé dans une situation Kafkaïenne, proprement inextricable : que le mineur récidiviste et justement condamné, soit incarcéré et se suicide, et c’est bien la responsabilité du magistrat qui est en cause (et peut-on contester que le décès d’un jeune en prison soit, en effet, toujours « injuste » ?) ou bien que, finalement laissé en liberté, il atteinte à la vie d’un tiers, et c’est encore le juge qui, par sa mauvaise appréciation, l’aura laissé dans la nature, qui devra « payer » ! (...et chacun conviendra que l’agression violente d’une victime par un récidiviste est en effet et à chaque fois “scandaleuse” ).

Dans les deux cas, d’ailleurs, la recherche “du” responsable solitaire, (version outreau) ne suffit plus désormais : ce sont “ les juges” ou le “système judiciaire” ( toujours et par définition corporatiste), incapables de suivre, voire d’anticiper les émois et les retournements de l'opinion d'un moment, qui, par leur résistance aux réformes ( sans qu’on sache très bien lesquelles d'ailleurs...) génèrent des "dysfonctionnements" : il en existe, bien sûr, et il faut y réfléchir sans cesse ! mais ceux-ci se révèlent curieusement bien plus nombreux lorsque s’élèvent, de la part du monde judiciaire, des protestations visibles...

Rien d’étonnant non plus, et très symbolique aussi, l’accroissement significatif du personnel des services de communication, notamment au ministère de la justice, tandis que baisse inexorablement le recrutement à l’école de la Magistrature...

C’est pourquoi, dès lors qu’il n’existe plus, au sommet de l’administration judiciaire, de recul suffisant à l’égard de cette prééminence absolue donnée au "temps médiatique" sur le "temps judiciaire" ce sont tous les défenseurs de l’état de droit, et pas seulement les juges, mais aussi les avocats, universitaires, et même les journalistes spécialisés (qui réfléchissent à la portée éthique de leur métier), qui doivent se mobiliser pour éviter une dérive aussi préoccupante de nos institutions.

Car, il ne faut pas s'y tromper : le "malaise" de la justice ne vient pas seulement de la pénurie des moyens : il a pour origine la "délégitimisation" insidieuse mais croissante, de l'autorité judiciaire dans la conscience collective ! Et lorsqu'une autorité constitutionnelle n'est plus considérée comme suffisamment légitime, ni l'indépendance, ni la cohérence du système de séparation des pouvoirs en démocratie ne sont plus garantis : il est vraiment temps d'en prendre conscience !

dimanche 26 octobre 2008

Vous en reprendrez bien une petite part ?

Deux derniers (?) témoignages viennent se joindre à la liste : un juge administratif et un directeur de prison suisse viennent apporter leur témoignage pour montrer qu'ailleurs, ça ne se passe pas très bien non plus. je ne sais s'il faut en tirer une consolation. Billets ci-dessous.

Au Bal des Hypocrites

Par Persifleur, directeur d'établissement pénitentiaire en Suisse


Comme il est souvent édifiant de voir ce qui se passe chez le voisin et de découvrir, ou feindre de découvrir, qu'il rencontre les mêmes difficultés que nous. La surpopulation carcérale a atteint en France un record en cette année olympique. Selon un scénario désormais rôdé, on a assisté à des déclarations pseudo-intelligentes des uns sur la nécessité « de repenser globalement le système pénitentiaire », incantatoires des autres sur « la diminution urgente du nombre de détenus » ou encore dilatoires sur la nécessité de « mener une étude sur les causes de la surpopulation carcérale ». Puis, dans la foulée, vous assistez à des visites de ministres sur des chantiers de prisons modèles en construction, de promesses de voir les peines de substitution - vous savez les « bracelets électroniques » - comme remèdes miracle aux maux des prisons surpeuplées. Ou poudre de perlimpinpin c'est selon.

Billevesées que tout ceci. Depuis presque 10 ans, la France et les pays qui l'entourent, ont adopté le mode de la jérémiade humanitaire sous forme de diarrhée textuelle - rapports, rapports dits « d'experts » - pénétrées des hurlements outrés de milieux bien pensants, de fonctionnaires militants peu enclins à la réserve qui doit être la leur ou d'oligarques de l'Académie figés dans leurs certitudes d'antan. En 2000, un rapport vitriolé dénonçait, à grandes déclinaisons du mot scandale l'état des prisons dans ce pays. Dont acte et puis plus rien.

Passez la frontière et venez en Suisse. Vous ne serez pas dépaysés. Les problèmes sont identiques ou presque. Le néant des solutions entreprises par le pouvoir politique presque total. Les couinements plaintifs de ceux qui sont trop heureux d'exister à travers « les droits de l'homme en prison » lancinants. Vous êtes tétanisés devant les décisions que vous devriez prendre. Paralysés devant les responsabilités que vous devriez assumer, une fois achevée votre parade médiatique. Et pourtant est-ce si compliqué ? Soit vous êtes un partisan d'une ligne dure, répressive et vous l'assumez. Les lois sont appliquées, durcies et les prisons se remplissent. Vous ne voulez pas qu'elles débordent ? Vous en construisez des nouvelles. Vous pensez que les prisons surpeuplées sont encore trop confortables pour ces délinquants qui n'avaient qu'à bien se tenir ? Vous le dites et vous l'assumez. (vous serez difficilement réélu).

Vous êtes d'avis que la police arrête bien plus qu'elle ne devrait et que la justice est trop sévère. Eh bien soit. Vous donnez les instructions et les ordres nécessaires à la police - « fermez les yeux » ou « arrêtez d'arrêter », à votre guise - vous changez les lois et les prisons se videront sans doute assez vite. (vous ne serez sans doute pas réélu non plus mais au diable les détails).

Mais voilà. Vous devez adopter une ligne politique (c'est probablement possible). Vous devez mettre de côté votre penchant atavique pour une pensée crypto « humaniste » qui fait croire que des hommes politiques de droite sont atypiques lorsqu'ils se préoccupent du sort des plus démunis. Vous devez mettre de côté vos réflexes génétiquement inscrits de baba cool post sixty-height - figés - qui vous empêchent toujours d'imaginer que la liberté peut rimer avec l'ordre.

Seulement, comme disait Lénine, les faits sont têtus. Mettez en relation, dans le désordre, l'augmentation de la population, celle des délits commis, le débat pseudo académique entre les théoriciens des peines dites alternatives à l'emprisonnement, les héritiers au nom séculaire qui ne se sont donné que la peine de naître et qui, pénétrés de leur nullité, croient utile de donner des leçons à tout le monde. Vous obtenez une gigantesque cacophonie dont seuls les criminels et les délinquants profitent.

Et les TA ?

Par Conseiller de Base (un aristocrate), juge administratif dans un tribunal administratif d'Île de France, qui s'appellent conseiller dès le niveau du tribunal administratif pour compenser le fait qu'ils ne portent pas la robe (chez les juges judiciaires, ce n'est que dans les cours, d'appel ou de cassation, qu'un juge prend le titre de conseiller).


Cher maître, Puisqu'il semblerait que l'on puisse encore vous écrire et parce que je regrette qu'aucun juge administratif ne se soit encore exprimé, parce que je trouve incroyable que seule une courageuse assistante de justice ait eu le courage de dévoiler un peu de ce qui se passe dans les tribunaux administratifs aujourd'hui, je viens vous demander humblement de bien vouloir prendre en considération ce court billet.

Dans les TA[1] et les CAA[2] aujourd'hui, la seule chose qui compte, la seule chose qui importe vraiment, la seule chose qui régisse la vie des juridictions, ce sont les STATISTIQUES : délais de jugement, apurement des stocks anciens toutes matières confondues ... Pas un discours officiel, du président de juridiction ou du VPCE[3] qui ne commence par un rappel des chiffres, réputés bons ou mauvais de telle ou telle juridiction.

Je ne dis pas que les statistiques n'ont pas leur importance : oui, il est scandaleux de juger en quatre ans des affaires qui parfois touchent aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine. Mais, d'une part, les données moyenne ne veulent rien dire et conduisent à juger au même rythme des contentieux aussi urgents que ceux qui portent sur des autorisations de licenciement de salariés protégés et des contentieux qui, ma fois, peuvent attendre un peu comme le contentieux fiscal (les requérants ont quasiment toujours obtenu le sursis de paiement), d'autre part, juger toujours plus à moyens constants, ne peut pas se faire sans casse.

Le résultat est là : ordonnances[4] à gogo, magistrats épuisés qui approfondissent de moins en moins les dossiers et présidents qui ne se préoccupent plus de la manière dont les dossiers sortent du stock du moment qu'ils en sortent. Après tout, si les requérants ne sont pas contents, pourquoi ne font-ils pas appel ? Parce que désormais, le ministère d'avocat est généralisé en appel et que les populations parfois défavorisées dont les requêtes sont rejetées par ordonnance ignorent souvent l'existence de l'aide juridique.

Notes

[1] Tribunaux administratifs.

[2] Cours administratives d'appel.

[3] Vice-Président du Conseil d'État, le plus haut magistrat administratif de France et le vrai chef du Conseil d'État. Le président du Conseil d'État est, de droit, le premier ministre en exercice, mais c'est un titre plutôt honorifique.

[4] En procédure administrative, on appelle ordonnance une décision rejetant une requête sans l'examiner selon la procédure de droit commun qui implique une phase préparatoire et un débat collégial avec intervention du rapporteur public. Si les ordonnances se justifient dans certains cas pour des recours irrecevables ou fantaisistes, la tentation est forte de gérer le stock en traitant ainsi des requêtes qui paraissent simplement douteuses dans leurs chances de succès. C'est la préoccupation des avocats : rédiger des recours qui passeront le stade de l'ordonnance. Cette procédure a été récemment étendue à la Cour Nationale du Droit d'Asile.

jeudi 23 octobre 2008

Billet de dernière minute

Par Jojo, magistrate


Jeudi après midi, je lis les messages des collègues sur votre blog, les piles attendront, le week-end est long.

Je cherchais le message sur Monsieur F., vous aviez fait un tel buzz autour…

Les larmes montent aux yeux. Bon, je suis fatiguée mais je suis payée par l'Etat pour encaisser toute la misère du monde qui défile dans mon bureau.

Alors pourquoi ça coince ?

L'histoire de Monsieur F. met le doigt sur le fait que derrière nos dossiers, nos piles, nos mesures, il y a des gens, un monsieur, la dame, des gosses ...

J'ai choisi ce métier parce que j'aimais les gens justement, que je voulais les aider en servant l’Etat. J'avais 21 ans, j'étais dans la section "administration d'État" à ScPo et je me suis dit que je ne voulais pas être enfermée dans un bureau à rédiger des notes ou des rapports. Pour faire moins niais, je pourrais dire que j'ai choisi le métier de magistrat parce qu'il m'offrait l'opportunité d'exercer tout au long de ma carrière des métiers très différents, en restant indépendante, que j'y emploierais chaque jour mon sens de l'écoute en restant au contact des réalités sociales...

J'aime toujours mes semblables, passionnément, mais je ne suis pas sûre de réussir ce que je voulais en entrant dans la magistrature.

Pour nous titiller, Maître, vous nous demandez si nous sommes timides, oui, sans doute. Et pourtant chaque jour, nous devons prendre la parole, dans ce dossier de divorce très conflictuel, dans ce dossier de tutelles où aboutissent trente ans de tensions familiales... Les collègues ont raconté tout cela très bien.

Chaque jour nous devons parler, dire, expliquer, rappeler pour aider, dénouer, trancher.

J'ai souvent l'impression d'une justice bâclée, parce qu'on nous demande de recevoir les dossiers, situations, mesures, tous les quart d'heure au nom de la sacro-sainte statistique … de l'abattage, est-ce qu'on peut faire de l'abattage sur l'humain ?

Hier, les matinales de France culture et de France Inter étaient consacrées à la médecine. J'ai l'impression que le tribunal et l'hôpital sont tous les deux dans de beaux draps, au nom de l'efficacité, de la rationalité, de la rentabilité, on passe complètement à côté de l'humanité.

Je ne veux pas que les gens m'aiment mais je veux continuer à les aimer, à aimer mon métier, en préservant ma santé et ma dignité. Et pour cela, il faut commencer par conserver celle des justiciables. Parce que les victimes dans tout ça, ce sont certes celles qui sont si chères à notre Président mais c'est aussi ceux qu'on incarcère à trois dans 9m², ceux qui n'ont pas pu raconter l'histoire de leur couple parce qu'on ne leur a pas laissé le temps et qui vont garder ce divorce coincé en travers de la gorge pendant des années parce qu'on ne les a pas écouté, qui par conséquent reviendront une fois, deux fois, trois fois, ceux qui n'ont pas trouvé un fonctionnaire de l'accueil, disponible et formé, pour leur donner les renseignements nécessaires à la préparation de leur affaire, ceux qui tous les jours viennent dans les palais de justice pour attendre cette dernière mais la justice n'y est pas.

Fenotte propose une grève du zèle, la machine ne tournera pas longtemps, elle ne tourne de toutes façons que grâce à toutes les petites mains et les bonnes volontés qui l'habitent, fonctionnaires, greffiers, magistrats, partenaires. Aucune logique de gestion ne pourra jamais rendre la justice plus juste parce que la justice est rendue par des hommes pour des hommes.

Je ne veux pas le pouvoir ou l'argent, je veux continuer à aimer les gens, pour lesquels je travaille, et au nom desquels, chaque jour, je tâche de rendre la justice.

Je suis expert judiciaire…

Par LEF, expert judiciaire


... et je soutiens les magistrats en colère. Soutien inconditionnel.

De par mon travail, je suis un témoin privilégié des conditions de travail des magistrats instructeurs, de leurs greffiers et des magistrats du Parquet. Je vis à leur rythme depuis une quinzaine d’années (en moyenne 120 expertises par an), je suis témoin de leur implication, de leur abnégation, de leurs horaires au-delà du raisonnable, de leur souci permanent de recherche de la vérité et de leur désarroi face au manque de moyens qui s'aggrave de plus en plus.

Le code de procédure pénale change, mais les moyens mis à la disposition des magistrats pour appliquer ces changements ne suivent pas. J’ai lu avec intérêt le papier d’un magistrat sur le blog de Maître Eolas, concernant les moyens techniques déployés pour l’enregistrement des auditions. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres : le politique a fait son effet médiatique, le politique a annoncé à tout le monde avoir fait, mais ce n’est ni fait ni à faire. Les moyens techniques mis en place ont été choisis et distribués à la-va-vite ; ils sont d’une qualité aussi médiocre que celle de leur ancêtre le videogav. Les décideurs ne sont pas les utilisateurs ; les utilisateurs ne sont jamais consultés en amont ; et les utilisateurs ne sont pas écoutés en aval, parce qu’il ne faut pas vexer les décideurs et parce qu’il est trop tard, « on a déjà dépensé trop d’argent ». Et je ne parle pas de la solution qui ne résout rien : ceux qui contestaient l'authenticité des procès verbaux, contesteront l’authenticité des enregistrements. De qualité médiocre, ils sont quasi inaudibles et toute « pause » ou tout « arrêt » dans l’enregistrement sera source de doute (« c’est pendant l’arrêt d’enregistrement que le Juge m’a torturé, m’a extorqué un aveu, m’a menacé de ceci ou de cela ».

L’opinion publique pense que la Justice est lente. Alors le politique met la pression sur les magistrats pour clôturer vite les dossiers, quitte à les bâcler.

L’opinion publique n’a pas confiance en sa Justice. Alors le politique met la pression sur les magistrats pour qu’ils communiquent. Ils mènent déjà un rythme infernal pour le traitement de leurs dossiers, je ne sais pas quand ils trouveraient le temps de communiquer.

L’opinion publique accuse les magistrats d’instruire à charge. Je suis témoin que jamais un magistrat ne m’a demandé d’occulter dans mon rapport d’expertise les éléments à décharge, bien au contraire. Je suis témoin que les éléments à décharge trouvés lors de mes travaux d’expertise ont toujours intéressé au plus haut point les magistrats qui me demandaient de développer plus, le tout versé à la procédure comme il se doit.

L’opinion publique croit que les magistrats sont à la merci des experts, car ils subissent leurs rapports sans rien y comprendre. Je suis témoin qu’un très grand nombre de magistrats me harcelait de questions dès la réception de mon rapport pour comprendre ou pour vérifier tel ou tel point. Je suis témoin qu’un très grand nombre de magistrats est venu me voir spécialement pour constater de visu le déroulement et les résultats de l’expertise.

J'atteste que plusieurs Juges m'ont donné leur téléphone portable pour que je leur annonce le résultat des analyses, quelle que soit l'heure de la nuit. J'atteste que plusieurs Juge m'ont dit "y a pas de petites affaires ! vous y mettez les moyens qu'il faut !" Un jour où j’étais ébranlée par la mauvaise foi d’un avocat de la défense qui m’avait malmenée de façon indigne et injuste, le Juge d’Instruction m’a dit « vous savez, madame, vous et moi, nous sommes destinés à recevoir des coups bas dans l’exercice de notre métier. Il faut le savoir et il faut faire avec. Quoi qu’il arrive, nous devons continuer à faire notre travail selon notre conscience ». Ce Juge et beaucoup d’autres m’ont marquée à tout jamais.

J’ai voulu témoigner pour eux. J’ai voulu leur rendre hommage. J’ai voulu leur dire mon soutien. J’ai voulu leur dire tout le respect que je porte à leur travail. J’ai voulu leur dire mon admiration.

Je parle des magistrats instructeurs, de leurs greffiers, et des magistrats du Parquet, c'est à dire ceux que j'ai côtoyés au quotidien. Mon soutien s'étend à tous les magistrats et à tous leurs colaborateurs.

Quand je n'étais pas magistrat…

Par Drôle de Drame, magistrat


Oui, car figurez vous que je ne suis pas née magistrat. J'ai même fait un autre métier avant. Pas de magistrat dans ma famille, même pas mon conjoint.

J'écris cela car, à lire divers commentaires sur internet, je constate que nous sommes perçus comme "une caste", "corporatistes", "tous les mêmes", "endogames", et pourquoi pas des "petits pois", tant qu'on y est ? Alors, avant, je n'étais pas magistrat, et, jeune, pleine de fougue, utopiste, je croyais dur comme fer que les magistrats étaient une classe bourgeoise, des gens soumis au pouvoir (de droite, bien entendu), conservateurs, attachés à leurs privilèges, peu humains... Mon père, lui, pensait qu'ils étaient tous gauchistes, payés à rien faire, et surtout à faire ce qu'ils voulaient, au mépris des lois votées. La preuve, ils l'avaient débouté de sa demande contre un locataire et condamné aux dépens ! C'est donc bien qu'ils étaient contre les propriétaires et pour les locataires.

Et puis j'ai grandit, j'ai fait du droit, j'ai compris que la justice, ça ne devait pas être aussi simple. J'ai fait aussi de l'économie et j'ai vu que le budget de la justice était particulièrement ridicule.

Mais je n'étais pas encore magistrat. Je continuais quand même à penser que, probablement, certains ne faisaient pas bien leur métier, avaient envie de condamner les jardiniers marocains parce que c'était bien d'avoir un coupable sous la main et moins fatiguant que de vouloir en chercher un autre. Mon oncle, condamné pour une conduite en état d'alcoolémie, me dit pourtant que les magistrats sont racistes, la preuve il condamnent plus les bons français alcooliques qui conduisent alors qu'ils ont juste un peu bu et ont la malchance de se faire prendre, que les petits voleurs des cités. Et puis, je suis devenue magistrat. Parce que je voulais faire un métier plus varié. J''étais professeur, j'avais bataillé contre un certain Claude Alègre, je me sentais dévalorisée, et j'en avais assez d'annoner la théorie keynésienne ou le droit de la preuve. J'ai gardé de mon ancien métier une indéfectible admiration pour les professeurs car je considère que ce métier est encore plus difficile que le mien. Je suis beaucoup moins fatiguée après une audience, même longue, qu'après 4 heures de cours.

Donc, je suis devenue magistrat. Je n'ai pas beaucoup aimé la scolarité à l'ENM, que j'ai trouvée certes intéressante, mais un peu trop théorique. Je crois que j'aime mieux le terrain. Alors, je me suis régalée lors du stage en juridiction, et j'ai su que j'avais fait le bon choix. J'ai eu des maîtres de stage qui aimaient leur métier, le trouvaient passionnant, trouvaient qu'ils travaillaient beaucoup, sans moyens suffisants, et m'ont donné hâte de prêter serment d'être "un digne et loyal magistrat".

Premier poste, quel vertige, quelle angoisse aussi. J'ai mis quelques mois à trouver mes marques, ne plus m'affoler quand je recevais un coup de fil "Mme le Juge, qu'est ce qu'on fait ?". On a pas toujours les réponses dans les Codes ! Ce métier nécessite un solide sens pratique.

Il faut aussi savoir s'adapter : réforme de l'application des peines, réforme du divorce. Tiens, qui a dit qu'on ne voulait jamais de réformes dans la magistrature ? Si, on veut bien, quand elles sont réfléchies sur la durée, préparées, cohérentes, accompagnées de moyens suffisants. Bon, pour l'application des peines, il y a eu des efforts, mais ça aurait pu être bien mieux.

Les collègues ? Oui, il y a des cons, des hautains, des méprisants, des paresseux, des nuls, des francs mac, des malhonnêtes, des réacs, des idéologues... On en parle, on le déplore car ils nous font du tort, on regrette que les chefs de juridiction ne prennent pas toujours leur responsabilités. Mais ils sont vraiment peu nombreux. J'ai surtout rencontré des gens humains, à l'écoute, altruistes, intelligents, cultivés, drôles, voire tout ça à la fois. Des bon juristes aussi ! Cela va de soit, mais je pense que parfois, certains commentaires perdent de vue que pour être magistrat, il faut avant tout faire du droit, appliquer la loi au cas soumis.

Ce que j'aime le plus dans ce métier, c'est me dire que chaque jour, j'en ai appris un peu plus, soit sur le droit, soit sur la nature humaine. C'est certainement cela le plus passionnant. J'ai aussi développé une capacité d'écoute et de compréhension de plus en plus grande, je me suis enrichie. Je suis certainement moins naïve aussi, plus méfiante.

Ce que j'ai appris aussi, c'est qu'il y a loin entre la réalité d'un dossier et ce qui en est dit, ce que l'on en croit dans l'opinion publique. Je travaille actuellement sur une affaire assez médiatisée localement, et je suis sidérée de l'écart entre la réalité du dossier, ce que j'en lis dans les journaux, et ce que m'en disent les gens. J'ai appris qu'un juge, ça rend un non lieu, ça relaxe ou ça acquitte parce qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments dans le dossier, et que ça renvoie ou ça condamne .... parce qu'il y en a !

Ce qui est dur, c'est toutes ces questions, ces doutes, cette impression parfois d'être sur des sables mouvants. Je viens de recevoir une victime de viol, lequel est totalement nié par l'auteur. Et je me dis qu'ils sont bien malins ceux qui, derrière leur clavier, savent ce que devait faire mon collègue Burgaud.

Alors, quand est ce que tout ça s'est gâté ?

Il y a eu "le juge doit payer", l'empilement de modifications incohérentes, les réactions très émotionnelles à certains faits divers, la mise en cause de ces irresponsables, tantôt trop laxistes, tantôt trop prompts à embastiller.

Nous aussi, nous sommes dans la société, nous pouvons imaginer ce que ressent une victime. Je n'ai jamais oublié ce jeune homme qui avait une mise à l'épreuve pour agression sexuelle, que j'ai suivi strictement car je le sentais dangereux, que j'ai reçu pour lui rappeler ses obligations et qui quelques jours après a violé. Peut être qu'elle m'en veut cette victime, de ne pas avoir révoqué la mise à l'épreuve au premier incident (il n'était pas allé chez le psychiatre et chez le conseiller d'insertion). Pourtant, j'ai beau y réfléchir, je ne vois pas comment j'aurais pu traiter le dossier autrement.

Ce que je n'aime pas, c'est cette charge de travail parfois démente (je me suis surprise à dire à une collègue que je n'étais pas si mécontente de la mutation prochaine de mon conjoint car j'aurais plus de temps pour mes dossiers) et qui crée une insatisfaction permanente.

Ce que je déteste depuis quelques années, c'est ce tourbillon de "réformes" qui ne sont que valses hésitations, brouillonnes, incompréhensibles, allant dans tout les sens, au moindre fait divers. Et surtout la défiance envers le juge, dont les peines plancher sont l'exemple. Je n'ai jamais hésité à être sévère, stricte, "mère tape dur" quand il le fallait, mais je pense que je suis à même d'appréhender chaque situation, sans qu'on me dise ce que je dois faire.

Mme Dati ? Je crois qu'elle n'est que le symptome le plus voyant de cet emballement politique, toujours plus irréfléchi, toujours plus spectaculaire. Les caisses sont vides, on ne peut pas faire, alors faisons croire qu'on fait. Et tant pis pour les dégâts collatéraux, la justice bafouée, et la démocratie en danger. Et tant pis pour les détenus. Le plus grand hôpital psychiatrique de France, ce sont les établissement pénitentiaires désormais.

La personnalité de Mme Dati ? Je me fiche de ses origines, de ses robes, de sa vie privée. Personne en juridiction ne lui en veut pour ce qu'elle est. Les réformes de Mme Dati ? ... les réformes .... mais au fait, quelles réformes ? Oui, elles sont où, les réformes en profondeur, issues d'une large et réelle concertation, visant à apporter un changement profond ? Je n'en ai pas encore vu. Qu'on ne me parle pas de la carte judiciaire, qui aurait pu être l'occasion d'un réflexion sur le métier, le recours au judiciaire, le territoire ... et s'est transformée en un vague brouillon, consistant uniquement à supprimer quelques tribunaux, sans vraiment de cohérence.

Je veux bien toutes les réformes, toutes les lois nouvelles, les appliquer, mais que cela ait un sens !

J'ai été trop longue.

J'aurais voulu aussi parler des gens extraordinairement dévoués et intelligents avec qui je travaille ou j'ai travaillé : travailleurs sociaux, surveillants pénitentiaires, greffiers, policiers, gendarmes, avocats ... je dois en oublier.

Je m'amuse encore de ce que me disait mon conjoint sur les magistrats avant de me connaître, de connaître mes collègues, de comprendre notre métier. Alors, je pense souvent à la phrase d'un de mes professeurs : "Avant, j'avais trois théories sur les enfants, maintenant j'ai trois enfants". Je pourrais dire qu'avant, j'avais des idées reçues sur les magistrats, maintenant, je le suis. Et je voudrais continuer à l'être.

Merci maître Eolas, et désolée du retard.


Post scriptum : Quand j'ai eu fini d'écrire mon message, tout à l'heure, j'ai quitté le palais, plongé dans l'obscurité comme souvent quand je pars, en veillant à ne pas tomber, déséquilibrée par mon gros sac qui contient le dossier que je vais étudier ce week-end. Et je suis passée devant le palais, devant les marches sur lesquelles j'étais avec mes collègues cet après midi. Je me suis rendu compte que j'avais oublié quelquechose : de dire à quel point j'étais fière cet après midi !

Ensuite, j'ai pris le bus, un type défoncé est monté, une bière à la main, je ne sais pas ce qu'il avait pris d'autre. Il s'est assis à côté de moi et il m'a dit "je suis révolté, on est tous des révoltés, hein Madame ?"

Oui.

Qui suis-je ou vais-je et dans quel état j'erre ?

Par Petit Pois, substitut


Depuis huit ans, je suis une petite main de la Justice pénale. Substitut du procureur dans une ville moyenne du sud de la France qui figure régulièrement au bas des hit-parades des villes criminogènes comme on dit dans les gazettes, je tente, à mon petit niveau et avec mes petits moyens d'apporter une réponse à une délinquance de masse que ni moi, ni mes collègues, ni la police, aussi nombreuse et équipée soit elle, n'endiguerons pas. C'est la délinquance de la misère et du malaise social. Eh oui, dans le sud on a du soleil, mais contrairement à ce que chantait Aznavour, la misère n'est pas moins pénible au soleil.

La misère elle est aussi dans mon tribunal, comme dans tous ceux que j'ai fréquentés jusqu'ici : plein comme un oeuf, des cartons d'archives jusque dans les couloirs. Dans les réunions auxquelles j'assiste à la Mairie, à la préfecture, on me demande les coordonnées de mon secrétariat et je suis obligé d'expliquer que ma secrétaire, c'est ma main droite parce qu'il n'y a que le procureur qui a une secrétaire.

Mais ça, ce n'est pas le problème. Quand j'ai passé le concours d'entrée dans la magistrature, le budget de la Justice était déjà parmi les derniers d'Europe et, comme la plupart de mes collègues, je n'ai pas décidé de devenir magistrat pour m'enrichir, simplement pour essayer d'être utile. Utile à ces victimes dont parle si souvent Rachida Dati mais que, contrairement à elle, je croise tous les jours dans les salles d'audience. Utile à la société en essayant de trouver dans l'arsenal législatif les moyens d'éviter que l'auteur d'une infraction en commette une autre. Utile à mon prochain en essayant de contribuer à lui permettre de vivre en sécurité dans la même ville que moi.

Pendant la moitié de ma carrière, j'ai été substitut des mineurs. Parce que c'est usant, qu'il faut beaucoup de patience pour ne pas mettre des claques, aux mineurs parfois, à leurs parents souvent, c'est un contentieux dont les anciens se débarassent souvent au profit des jeunes magistrats. J'ai croisé beaucoup de gamins paumés, laissés à eux même par des parents absents ou inexistants, d'autres qui reproduisaient dans la rue la violence de la maison, quelques uns qui relevaient déjà plus du psy que du juge et beaucoup qui avaient besoin qu'on leur donne un cadre, qu'on jugule une crise d'adolescence.

J'en ai fait envoyer en prison, comme ma collègue de SARREGUEMINES, et je ne le regrette pas parce qu'à un instant T, dans la vie d'un adolescent qui accumule les actes de délinquance c'est quelque chose qui peut avoir un sens. Un sens parce que ce n'était pas une décision prise à la légère. Parce qu'avant de demander qu'on les emprisonne j'avais demandé qu'on les condamne à de la prison avec sursis, le plus souvent avec une mise à l'épreuve, pour qu'on leur donne ce cadre qui leur manquait. je les ai prévenus, d'audience en audience, que, s'ils recommençaient, la prison les attendrait et que je n'hésiterais pas à les y envoyer. Et l'enseignement essentiel de quatre ans au parquet des mineurs, c'est qu'il ne faut jamais avoir de paroles en l'air. Ma ministre n'a pas dû rester assez longtemps au parquet pour retenir cette leçon. Tous ces gamins dont j'ai requis l'emprisonnement, savaient pourquoi je le demandais et s'ils étaient peut être étonnés de s'apercevoir que ça tombait, ils savaient pourquoi ça tombait.

Puis vint l'ère des injonctions paradoxales. Ca a commencé par une loi sur les peines plancher qui ne m'a pas dérangé parce qu'elle permet aussi de déroger au plancher quand la situation l'exigeait, bref de faire du sur mesure éclairé et pas du prêt-à-condamner aveugle. Alors, légaliste, j'ai appliqué cette loi, TOUTE cette Loi. Puis on a commencé à fliquer l'application des peines plancher, à nous faire remplir une fiche pour chaque condamnation pour alimenter les stastistiques du Ministère. Sur cette fiche, il n'y avait pas de case pour expliquer pourquoi il était juste, et parfaitement légal, de prononcer une peine inférieure au plancher en raison des faits ou de la personnalité de l'auteur. Parce qu'il faut vous dire que, tant qu'ils ne se suicident pas, les mineurs (et les majeurs) dans les prisons, place Vendôme on s'en contre fiche. Ce ne sont que des statistiques.

Comme ces statistiques étaient trop hautes, et que nos prisons sont dans le même état d'indigence et d'indécence que nos palais de Justice, on nous a ensuite vanté les mérites des alternatives à l'incarcération... Magnifique mais pour ça il faut des hommes pour suivre les condamnés en semi-liberté, des bracelets électroniques qui coutent cher, quand ils marchent. Et malgré tout son entregent, notre ministre n'a pas réussi à faire réaliser ce genre de bracelets chez Dior.

A côté de ça, la police de terrain, avec laquelle les magistrats du parquet travaillent tous les jours, est démotivée parce qu'au ministère de l'intérieur, on ne raisonne aussi qu'en statistiques et que pour être bien vu, un commissaire préfère 15 arrestations de petits dealers, qui sont remplacés le lendemain, parce que c'est facile et rapide. Tandis qu'enquêter pour identifier les réseaux qui alimentent ces dealers depuis l'étranger, ça demande du temps et des moyens et que le gros dealer, dans les stats, il compte autant que le petit.

Moralité : substituts de base et flics de base deviennent désabusés parce qu'on ne leur donne pas les moyens humains, matériels et juridiques de faire appliquer efficacement la Loi.

Et quand, en plus, on convoque et traite comme une... (ne soyons pas aussi vulgaire que ceux qui nous gouvernent) une substitut de base qui n'a fait qu'appliquer la Loi à la lettre , je craque.

Je sais que Napoléon a organisé les parquets comme il organisait son armée : en pyramide avec un seul chef en haut. Mais quand le chef est atteint de schyzophrénie, donne ordres et contre-ordres à des troupes qu'il méprise profondément, il ne faut pas qu'il s'étonne de provoquer un grand désordre.

Plaidoyer pour la justice

Par Casamayor, parquetière


Il est difficile de parler d'un métier qu'on exerce à des lecteurs qui n'ont qu'une image de la justice tronquée et une méconnaissance du fonctionnement de nos juridictions.

C'est vrai qu'il y a un profond malaise dans la magistarture, nous en parlons ,nous essayons de comprendre et d'analyser pourquoi.

Non pas avec le garde des Sceaux qui n'en a cure, mais très régulièrement en fait à chaque fait divers qui est repris dans la presse.

J'étais magistrat en 2000, comme notre garde des sceaux avec plus d'ancienneté, la différence entre hier et aujourd'hui c'est qu'hier il y avait l'espoir d'être entendu et de la courtoisie à notre égard.

Aujourd'hui il y a quelque chose de l'ordre du désespoir face aux demandes folles de la société que nous représentons. Je suis au parquet.

Aujourd'hui réulièrement, je me demande si je resterai jusuq'au bout pour exercer un métier qui pourtant est exceptionnel, non pas par la théatralité de l'audience mais par la réalité du quotidien.

Nous exerçons notre métier sur des concepts qui sont très éloignés de ceux qui prédominent dans l'ère médiatique actuelle:Pour illustrer ce que je veux dire je tire quelques lignes d'un livre d'Al Gore que je transpsoe à la justice "A mesure que la prédominance de la télévision s'est accrue, les éléments extrêmements importants de la démocratie sont devenus marginaux. Mais la perte la plus grave est de loin est celle du terrain même où elle s'exerçait. le "forum des idées", était un lieu dans lequel "les vérités"pouvaient être découvertes et perfectionnées grâce à la comparaison la plus complète et la plus libre des opinions contradictoires".

la Sphère publique fondée sur l'écrit, qui avait émergé des lumières, a fini en l'espèce d'une génération par sembler aussi obsolète qu'une voiture à cheval.

Tout cela a fait place à une mise en place d'une politique de la peur."

Politique délibérémment mise en oeuvre depuis 18 mois maintenant.

Les magistrats respectent le contradictoire ,il y a toujours au moins deux points de vue dans un procès, nous savons que nous ne pouvons pas être aimés et nous ne devons pas l'être.

Notre devoir et de faire appliquer la loi dans sa rigueur et son humanité.

Nous respectons les personnes qui ont à faire à la justice, mais pour moi fondmentalement respecter un individu n'est nécéessairment pas faire droit à toutes ses demandes.

Requérir de l'emprisonnement n'est pas chose facile, nous le faison parce qu'il faut le faire parce que c'est pour cette mission sociale que nous sommes payés.

Nous savons ce que représente une peine d'emprisonnement pour un enfant ou un adolescent.

Nous savons aussi ce que ressentent les victimes de viols ou autres crimes .A l'audience et dans nos bureaux, nous les rencontrons quotidiennement.

Nous ne sommes pas dans une bulle à l'extérieur des murs de la Cité nous en sommes au coeur.

J'invite les citoyens à venir aux audiences.

Souvent à la fin des procès d'assises, les spectateurs venaient me parler pour discuter de ce qui s'est passé à l'audience ou du contenu de mes réquisitions. J'acceptais cet échange. Je ne requiers plus aux assises.

Comment faire comprendre que dans ce métier le plus souvent les décisions sont sur le fil ,que nous optons non pas, pour la meilleure mais pour la moins mauvaise décision.

Que quoi qu'on fasse surtout au pénal on fera mal.Mais qu'il n'y a que nous pour ça.

Nous ne pouvons et ne devons pas être dans la dégoulinence démagogique parce que cela ne rend pas service aux individus qui sont sous main de justice et à la société toute entière.



Oui nous doutons, mais il nous faut trancher.

Nous sommes avant tout contairement à ce qui se dit des professionnels de l'humain, nous connaissaons les hommes leurs faiblesses, leurs passions, leurs perversions, nous faisons avec.Nous agissons dans un cadre professionnel.



Les magistrats ne sont pas des fonctionnaires: la magistrature et une Autorité.

Les démocraties sont fondées, toutes sans exception, sur trois entités: le l'égislatif, l'éxécutif et le judiciaire, c'est l'équilibre entre ces trois pouvoirs qui assoie la démocratie. C'est là que doit résider l'indépendance de la magistarture du siège comme du parquet.

Briser l'un des trois, et l'éxécutif et le législatif se confondent en une seule voix.

Bien sûr nous ne sommes pas parfaits mais nous n'avons collectivement aucune arrogance, ni prétention à l'être. Dans les périods de crise, et de doute sur l'engagement professionnel, je pense aux écrits religieux qui fondent notre culture.

Aujourd'hui, je pense à Ponce-Pilate face à la foule qui demandait la tête du Christ. Ponce-pilate était magistrat. Il connaissait les hommes et je me dis "toujours la foule libérera Barrabas", il y deux mille ans comme aujourd'hui les hommes n'ont rien appris de leur histoire.

Mais pour le moment, trève de philososphie, il nous faut continuer pour les justiciables qui attendent que leur situation soit traitée, et qui heureusement pour un certain nombre nous en remercie.

Merci de cet espace de parole. bien cordialement à tous.

Malaise...? vous avez dit “malaise”...?

Par Pacifique en colère, magistrat


Magistrat depuis plus de trente ans, j’avais pour ambition d’être un “gardien de la paix”, qui tente, avec humanité et par une application adéquate du droit, de régler les conflits, de répondre avec justesse à la délinquance, de préserver ou rétablir, au moins devant la loi, l’égalité des citoyens, de garantir leur liberté dont la sécurité est une condition.

Aujourd’hui, la politique judiciaire m’atterre, m’inquiète car elle assigne au juge, un rôle qui n’est pas celui que je décris. C’est beaucoup plus qu’un “malaise”.

Notre ministre, vient clamer sur les ondes, sa compassion pour toutes les victimes d’injustices etc. alors que la réforme brouillonne et politicienne de la carte judiciaire, par la suppression des tribunaux d’instance, interdit à nombre de citoyens, le simple accès au juge.

L’orientation pénale est désastreuse et incohérente. D’un côté on oblige le juge à incarcérer - et les prisons n’ont jamais été aussi surpeuplées - de l’autre on lui demande des comptes lorsqu’un détenu se suicide, et que la presse en parle...

En matière judiciaire, la démagogie gouverne ce pays.

- Par de multiples biais, on accroît le sentiment d’insécurité - distinct des données objectives -, et l’on y répond ( à la délinquance la plus visible, celle des jeunes...) par des lois de plus en plus répressives, où le tout carcéral devient l’unique peine possible pour le juge, avec, le résultat, inéluctable pour demain, de voir augmenter et s’aggraver la criminalité. Ayant été pendant quelques années juge d’application des peines, j’ai constaté - et un audit du CNRS l’a confirmé - que la prévention de la récidive était bien mieux obtenue, par l’exécution rigoureuse des peines de milieu ouvert (obligations d’indemniser les victimes, de travailler, de soigner les addictions à l’alcool ou au drogue , d’accomplir un travail d’intérêt général etc.), de semi-liberté et autres alternatives à l’incarcération, que par celle-ci. Il ne s’agit pas d’être laxiste, mais efficace. Il est plus productif de mettre un jeune au travail, que de le laisser des mois dans une cellule à ne rien faire . Que prépare-t-on pour demain, si l’on enferme inconsidérément le jeune adulte, à l’âge où bien souvent il pourrait se stabiliser sur le plan affectif et social?

- L’on prétend lutter contre l’insécurité, mais on veut dépénaliser la délinquance financière, envers laquelle on est si peu sévère, alors qu’elle peut ébranler un pays, qu’elle s’alimente d’argent parfois fort sale récolté dans les trafics qui créent tant de violence dans nos banlieues,

- On rafle les étrangers en situation irrégulière, mais, de fait on tolère qu’on les (sous?) emploie, sans régulariser leur séjour...

- On demande au juge toujours plus de productivité, de rapidité, d’humanité et l’on restreint ses moyens... En 2008, le recrutement a diminué des deux tiers. Evalués par conseil de l’Europe les moyens donnés à la Justice placent la France au 39ème rang... (cf rapport du CEPEJ). Et c’est ainsi que nombre de magistrats font un travail de nuit... Citoyens, fréquentez les audiences correctionnelles et restez jusqu’au bout, vous apprécierez.... comment voulez-vous qu’il n’y ait pas d’erreurs...Quand je présidai une chambre pénale, dans un grand TGI, j’avais trois audiences par semaine, commencées à 13h, nous étions contents lorsqu’elles se terminaient à 22h... Entre temps, il fallait étudier les dossiers (“gros dossiers”...essentiellement d’affaires économiques et financières), rédiger (ou bâcler) les jugements, assurer les permanences de semaine ou week end, (juge des liberté et de la détention, rétention ou maintien en zone d’attente des étrangers). J’ai souvenir d’un joli premier mai de labeur, commencé dès 8h, achevé vers 1h (du matin) dans les embouteillages de rentrée de week end... sans récupération aucune le lendemain bien sûr...

Il faut donc comprendre qu’il y a plus qu’un “malaise” dans la Justice Française... C’est bien qu’il y ait colère, je crains que cela devienne une lassitude et un découragement déprimant...

Lutter contre le côté obscur de la Force

Par Lolotte au pays des petits pois, substitut, qui semble oublier que le côté Obscur, c'est elle.


Je pense au poème de Mallarmé qui évoque l'histoire de ce cygne dont les ailes sont prises dans les eaux gelées d'un lac et dont il ne peut se libérer, sauf à se mutiler lui même.

Adolescente, à la lecture de ce poème, j'avais peur d'entendre, un jour, le requiem de ce cygne à l'agonie.

La justice se trouve aujourd'hui prisonnière des mêmes glaces.

Et adulte, à l'évocation de cette idée, j'ai peur d'entendre, un jour, le sombre requiem de cette justice à l'agonie.

En fonction depuis 2 ans, je suis passée de l'écœurement à la révolte, de la colère à l'indignation.

On m'oblige aujourd'hui à requérir les peines planchers. Pas seulement contre ma liberté de parole à l'audience, mais aussi en contradiction avec une loi qui m'autorise à ne pas les requérir. Pourtant ma fonction n'est-elle pas de faire appliquer la loi?

Je ne sais pas, je ne sais plus... je suis perdue.

Manifestement la lecture de mon code, que j'irai bien jeter place Vendôme, ne suffit plus.

Mais ce que je sais, c'est que je ne peux accepter ce que la "haute sphère du pouvoir" cherche à m'imposer. La conviction que j'ai pour ma fonction est aux antipodes de cet automatisme qui consisterait à requérir sans raisonner, sans humanité et sans cœur et à considerer que derrières les dossiers, il n'y à que des numéros de parquet que l'on sanctionne et non pas des hommes et des femmes fussent-ils délinquants.

On me demande d'anticiper les conséquences de mes décisions, comme si de magistrat je serais devenue Medium. comment expliquer à Notre Ministre que je ne suis pas Madame Soleil? Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue.

On me convoque, on me demande des comptes, et accessoirement on me demande de me taire. Moi ça me donne envie de crier encore plus fort.

Je ne renoncerais pas aux convictions qui sont les miennes. Je refuse d'être un petit lieutenant ou une baïonnette aux ordres. Je me battrai pour cette justice en laquelle je crois, celle que nous nous efforçons de rendre tous et dans les conditions qui sont les nôtres. Et si je dois me mutiler et y perdre des plumes, me faire convoquer ou réprimander, soit.

Parce que personne ne parviendra jamais à mutiler les convictions qui sont les miennes.

Réflexions désabusées d'un juge d'instance

Par Truffe, juge d'instance


Je suis devenu juge parce que j'ai voulu mettre ma pierre dans l'édifice, pour permettre au faible de faire entendre ses droits, ne pas laisser la loi du plus fort s'installer, ramener un équilibre entre les parties.

Je crois en l'idée d'une justice accessible à tous, égaux devant la loi, à une justice rendue sans arrière pensée, à des juges impartiaux.

Aujourd'hui, ce en quoi je crois s'effondre comme un jeu de cartes.

Je suis dans un tribunal qui va disparaître. A titre personnel, je ne vais pas en souffrir : que je fasse mon trajet dans un sens ou dans un autre pour m'y rendre le matin, cela a peu d'importance, mais pour nos justiciables, il n'en est pas de même.

Dans un tribunal d'instance, on se défend sans avocat et souvent pour des petits montants.

Cela sera il encore envisageable de réclamer un paiement pour 150 euros quand il faudra faire 50 minutes de route en hiver en rase campagne et autant au retour pour, peut être, plusieurs audiences ? on y réfléchira à deux fois ...

Comment feront les personnes placées sous mesure de protection (tutelle, curatelle) dont les ressources tiennent souvent plus du RMI[1]. ou de l'AAH[2] que de la grosse fortune et qui bien souvent n'ont pas de permis et de véhicule pour rencontrer le juge ?

On nous répond qu'on tiendra des audiences foraines[3]...Peut-être en théorie, mais à l'heure où à effectifs constants, on se retrouve à devoir mettre en application la réforme des tutelles[4] et ré-auditionner ainsi tous les 5 ans tous les majeurs protégés, moi, je ne pourrai me permettre le luxe d'aller consacrer une après midi par semaine dans une salle de mairie.

On nous répond aussi qu'ils peuvent bien se déplacer dans certaines grandes enseignes suédoises, alors ils pourront bien faire l'effort de venir au tribunal...j'ai un gros doute que ceux qui nous disent cela aient déjà foulé le sol de ladite grande enseigne, ou alors, ils ne savent pas à quoi ressemble une personne sous tutelle, car moi, je n'y ai jamais croisé aucun majeur protégé de ma connaissance.

Comment feront ces gens surendettés qui viennent aux audiences de rétablissement personnel expliquer pourquoi ils ne parviennent plus à joindre les deux bouts et qui la plupart du temps sont soit venus à pied, soit par les transports en commun. Par manque de personnel, ils n'ont pas eu la chance de rencontrer quelqu'un à la Commission de la Banque de France qui a statué "sur pièces" et pour la première fois, ils rencontrent un juge auquel ils vont pouvoir expliquer leur situation, poser leurs questions et comprendre à quelle sauce ils vont être mangés...ce temps sera bientôt révolu.

Nul doute en tout cas sur une chose, je vais y gagner en temps d'audience : des audiences civiles avec moins de dossiers (moins de petites sommes en jeu en tous cas), des audiences de saisies des rémunérations auxquelles les débiteurs ne pourront plus avoir le luxe de se présenter, moins de tentatives de conciliation (difficile avec des absents), moins de déficients mentaux sous tutelle qui viendront demander des explications ou tout simplement exprimer leur état d'esprit au greffier...

Avec cette nouvelle version de la justice, je ne m'inquiète plus trop de n'être que 8000 pour réussir à faire tourner la boutique...

Une certaine maxime d'un certain La Fontaine ne disait elle pas déjà « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour ...».

Nous sommes 4 siècles après et, dans le pays des droits de l'Homme, ce brave Jean est plus que jamais d'actualité...

Quel gâchis !

Notes

[1] Revenu Minimum d'Insertion. Une sorte de RSA en moins bien, mais financé, lui. Pour 2008 : 447,91 EUR mensuels pour une personne seule, 671,87 EUR pour un couple. NdEolas.

[2] Allocation Adulte Handicapé : complément de revenus pour atteindre 652,60 EUR mensuels, déduction faite des salaires, pensions d'invalidité, rentes d'accident du travail, etc. NdEolas.

[3] Des audiences foraines sont des audiences qui se tiennent dans des locaux autres que le tribunal habituel : salle municipale, locaux administratifs, etc. Une grande part des anciens TI fermés sont censés recevoir des audiences foraines, ce qui exclut que ces locaux soient cédés. Bref, avec la réforme de la carte judiciaire, on va entretenir des locaux vides la plupart du temps. NdEolas

[4] Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui entre en vigueur le 1er janvier 2009. NdEolas

CIP, un métier d'avenir

Par WK, Conseiller d'Insertion et de Probation (CIP). Fonctionnaire relevant de l'Administration Pénitentiaire, il est l'auxiliaire du Juge d'application des Peines (JAP) et du service de l'exécution des peines du parquet. Il effectue des enquêtes en vue de l'aménagement de peines et suit l'exécution des peines aménagées.


Je suis CIP. Ce n'est pas un métier fort connu du grand public. Laissons la description d'une semaine de travail classique vous mener sur la voie de ce que je suis.

Lundi : de permanence en milieu ouvert[1], je reçois les personnes sortant de l'audience du Tribunal de Grande Instance condamnées à une peine d'emprisonnement avec sursis et une mise à l'épreuve ou à un Travail d'Intérêt Général. Ce jour là, je reçois également les "sortants" de prison qui n'ont pas de suivi, dans un délai de 6 mois après leur libération. Pour finir, je vérifie auprès du Parquet qu'aucune comparution immédiate n'a lieu cette après-midi. A toutes ces personnes, je leur expliquerai leurs droits et leurs devoirs dans le cadre judiciaire.

Mardi : de permanence en milieu fermé, je reçois les nouveaux "arrivants" à l'établissement pénitentiaire dont je dépend. Je m'occupe de prévenir les familles, de leur expliquer les mandats, les parloirs, le dépôt du linge, la peine, etc etc. Je m'occupe également ce jour là des prévenus qui nous ont envoyé un courrier : "prévenir mon avocat que...", "mes papiers ne sont pas à jour..." , "je voudrai participer à l'activité de...", "il faut retrouver mon chien, je n'ai pas de nouvelles depuis mon incarcération...". Bref, du tout venant.

Mercredi : une (voire deux) enquête(s) aménagement de peine sur mon secteur géographique, à ¾ d'heure de route de mon service. Le magistrat qui me mandate, le Juge d'Application des Peine (JAP), veut que je vérifie la faisabilité de l'aménagement de peine demandé. Rentrée, je tape mon rapport, le fait valider par mon chef. L'après-midi, j'ai une réunion partenariale avec au choix : l'ANPE, une association d'insertion, des éducs de tout poil, un lieu de TIG[2], des JAP, la direction de l'établissement pénitentiaire.

Jeudi, Vendredi et parfois Samedi : je reçois mes 165 suivis. 165 personnes à qui il faut que j'explique leur mesure de justice (Sursis Mise à l'Epreuve, TIG et sursis-TIG[3], PSE[4], Libération Conditionnelle[5], Semi-Liberté[6]). 165 personnes qui ne doivent pas récidiver ni manquer au respect de leurs obligations. 165 personnes qui me sont confiées par la Justice et qui doivent, à la fin de leur mesure, seulement aller mieux. Ces 165 personnes, au mieux je les vois tous les mois et demi. Parce que le temps me manque...un peu.

Entre temps, les demandes de rapports tombent : rapports semestriels sur la mesure, rapports d'audience lors d'une nouvelle comparution, rapports d'enquête ceci, rapports d'enquête cela.

S'il y avait un autre jour dans la semaine, je pourrai aussi m'occuper d'un de mes "champ d'intervention transversal" au choix : problématique du logement, maintien des liens familiaux, les ressources d'emploi, l'implantation de la culture en milieu carcéral...

Alors, qui suis-je ? Je suis travailleur social de l'Administration Pénitentiaire. Fonctionnaire de catégorie B+ ou encore Cii (recruté à Bac + 2, mais payé catégorie B). Nous sommes 3000 en France. Nous suivons les quelques 60 000 détenus en plus des 100 000 mesures de milieu ouvert. Nous sommes soumis au devoir de réserve, sans droit de grève. Nous nous sommes mis en mouvement en juin 2008 suite à un retocage indiciaire du revenu de nos supérieurs. Parce que nous avions été oubliés. Encore.

Nous ne sommes plus des Éducateurs depuis 1999, date de la création de notre corps. Nous sommes maintenant des Conseillers d'Insertion et de Probation. Conseiller quoi, insérer comment ? La politique du chiffre nous touche également et rend notre métier incohérent, impossible parfois.

On crie que nous n'arriverons à rien et que la société toute entière en paye les pots cassés. On hurle que nous mettons, au mieux, des pansements sur des jambes de bois bouffées par des termites. Nous étions 1000 devant le ministère en juin dernier, on voulait juste avoir les moyens humains, logistiques et financiers de faire notre métier correctement. Nous avons été accueillis par des CRS. Nous avons eu des 1/30 prélevés sur notre salaire. Parce que nos supérieurs estimaient que lorsque nous dénoncions notre situation nous n'assurions plus le service public. Parce qu'ils sont comme ça, nos supérieurs, ils aiment bien l'ironie.

Nous ne sommes pas connus du grand public et parfois c'est douloureux.
Nous ne sommes pas reconnus par notre ministre et toujours c'est affligeant, frustrant, déprimant.

Merci de m'avoir lue.


Postface d'Eolas : merci à vous et à tous vos collègues. J'ai beaucoup de clients, d'ex-clients devrais-je dire mais je vous pardonne, qui s'en sont sortis grâce à vous. Parce que vous avez cru à ce dossier de libération conditionnelle monté en catastrophe qui a permis à ce père de retrouver ses enfants la veille de Noël. Parce que cette tête à claque qui ne savait que piquer des chéquiers a senti le vent du boulet avant qu'il n'obtienne in extremis une prolongation de délai d'épreuve qui lui a remis les pieds sur terre. Un bon CIP, ça vaut toutes les peines planchers pour lutter contre la récidive.

Notes

[1] Milieu ouvert : les condamnés ne sont pas incarcérés. Milieu fermé : ils le sont.

[2] Travail d'intérêt général, une activité non rémunérée effectuée à titre de peine, assortie d'une peine de prison mise à exécution si le TIG n'est pas effectué dans le délai fixé par le tribunal, 12 mois au maximum.

[3] Le TIG peut assortir une condamnation avec sursis ou être prononcée à titre de peine principale ; les modalités d'exécution varient légèrement, mais là n'est pas le sujet.

[4] Placement sous Surveillance Électronique, le “bracelet électronique”, qui permet de s'assurer que le condamné est présent chez lui aux heures déterminées par le JAP. Une sorte de détention à domicile.

[5] Généralement à mi-peine, le détenu qui présente des gages de réinsertion peut obtenir une libération conditionnelle, très encadrée par le JAP et suivi par un CIP. Il doit avoir un logement, un travail, un bon dossier disciplinaire, etc. Les libérés conditionnels sont ceux qui récidivent le moins.

[6] Régime d'exécution d'une peine d'emprisonnement : le condamné sort dans la journée de l'établissement pénitentiaire pour suivre une formation ou travailler ; il revient dormir en prison le soir. Les semi-libertés sont exécutées dans des établissements spécialisés pour éviter le contact avec les détenus : vous imaginez la source de trafic.

Le Raconteur

Par Anonyme, juge depuis 5 ans dans un tribunal de taille moyenne, en province


(Sur l'air du “Déserteur ”, lecteur Deezer en bas de page)

Madame le Garde des Sceaux,
Je vous fais cette lettre
que vous lirez peut-être,
je veux vous dire deux mots.

Je viens de recevoir
la dernière circulaire
sur la carte judiciaire
et j’ai perdu l’espoir.

Madame le Garde des Sceaux,
je ne veux plus me taire,
d’être juge, je suis fier,
mais maintenant c’en est trop.

C’est pas pour vous fâcher
il faut que je vous dise
ma décision est prise
je vais tout raconter.

Depuis que je fais ce métier
j’en ai vu des réformes
et pas toujours les bonnes
je les ai appliquées.

Au service de la loi
Avec humilité,
avec humanité,
au service du droit.

Vous étiez magistrat,
avez-vous donc tout oublié ?
Le pouvoir vous a changé ?
Essayez de vous rappeler.

Un jour trop cléments
le lendemain trop sévères,
Pour vous un seul repère,
la presse et l’air du temps.

Paris-Match, Closer, Gala,
Sous toutes les coutures,
Êtes-vous vraiment sure,
que votre place est bien là ?

Justice et politique
ne font pas bon ménage,
Mais qui donc est victime,
Ce sont les justiciables !

Je suis magistrat,
Madame le Garde des Sceaux,
Pas votre ennemi juré,
mais je suis écœuré...

Si vous me poursuivez,
appelez vos gendarmes,
mais rappelez-vous Madame,
Nous sommes des milliers.


D'après une chanson de Boris Vian, musique Harold Berg, © Ed. Aznavour Charles Editions Music, 1954.

Garde des souris

Par e**, substitut


Quelques réflexions sur ce que pourrait voir tous les jours un Garde des sceaux transformé en petite souris curieuse de parcourir les couloirs et salles d’audience d’un tribunal...

Commençons par l’audiencement d’un dossier devant le tribunal correctionnel :

- lorsqu'un prévenu est placé sous le régime de la détention provisoire, il doit comparaître devant le tribunal correctionnel dans les deux mois de son renvoi, une année pour la cour d'assises ;

- si aucun détenu ne figue au dossier, alors, comptez.... comptez comme vous voulez, dans de nombreux cas le futur condamné gagnerait devant la cour européenne des droits de l'Homme en poursuivant la France sur le fondement du droit à être jugé dans un délai raisonnable...

Une ordonnance d’organisation des services fixe dont les jour et heure des audiences. Et les journées ne faisant que 24 heures et les années que 365 jours, il devient difficile de créer une nouvelle audience correctionnelle. Sauf à supprimer l’audience du JAF de lundi après-midi. Et expliquer aux justiciable qu’ils divorceront dans huit mois parce que d’ici-là toute les audiences sont remplies.

La justice est en effet confrontée à un petit problème : pour tenir une audience, il faut un ou trois magistrats qui, précisément, n’ont pas d’autre audience ce jour-là, qu’elle soit pénale, civile, commerciale ou autre.

Il faut aussi un greffier, soumis au même aléa de disponibilité. Un huissier d’audience, c’est mieux.

Une présence policière pour intervenir lorsque le public est véhément, c’est un plus également.

Quand l’audience aura eu lieu, il faudra matérialiser le jugement.

Sa motivation relève du magistrat, qui la plupart du temps la dactylographie lui-même.

Ne mentons pas : si la motivation est obligatoire, elle se résumera très très très (trop...) souvent : “attendu qu’il ressort des éléments de la procédure et des débats que l’infraction est constituée ; que les faits sont d’une gravité telle qu’ils justifient le prononcé d’une peine d’emprisonnement non assortie du sursis”.

La décision ne sera réellement motivée au fond qu’en cas d’appel, afin que la cour puisse confirmer ou infirmer le raisonnement des juges correctionnels.

N’allez pas croire qu’il en est ainsi parce que les magistrats sont des fainéants... Non, ils n’ont juste pas le temps de motiver une décision qui n’est pas contestée et qui a été acceptée par le condamné. S’ils le faut, ils prennent ce temps. Mais ils rendront leur délibérés civils vendredi prochain au lieu de lundi.

Qu’il y ait ou non motivation au fond, le greffe devra mettre en forme la décision.

Le greffier l’aurait bien fait cet après-midi mais, hasard de l’activité pénale du ressort, il est appelé à assister à l’audience de comparutions immédiates. Elle débutera à 14 heures. Le temps d’examiner les trois dossiers, il sera peut-être 17 heures 45.

Mince, voilà des heures supplémentaires que le greffier va pouvoir récupérer. Il en avait déjà quelques unes sous le coude et, ainsi, ne viendra pas travailler vendredi prochain. C’est dommage, il aurait justement pu avancer à ce moment-là dans la dactylographie de l’audience d’il y a trois semaines. Allez, ce n’est que partie remise.

Dommage, comme vous dites mon bon monsieur. Mais si le greffier ne prend pas ses heures de récupération, personne ne les lui paiera. Donc il a bien raison de les prendre. Où est son sens du service public, me demanderez-vous ? La première année, il devait être là, sans aucun doute. La deuxième aussi. La troisième, il commence à se demander si on ne le prendrait pas un peu pour une poire. Il se rend compte que s’il reste au delà de son temps de travail prévu, non seulement il ne sera pas payé, mais encore personne ne lui dira merci

Ayant entendu parler du juge d’instruction, cet homme le plus puissant de France, la souris est bien curieuse d’entrer dans sa zone. Si ce magistrat a de la chance, il se trouve derrière une porte sécurisée, à l’abri des intrus vindicatifs. S’il exerce dans un tribunal plus ancien ou moins bien équipé, il est en libre accès, susceptible d’être pris à parti par la famille de la personne qu’il vient justement de recevoir avant de solliciter son incarcération.

Mais voici justement cette personne, gardée sous bonne escorte. Ils sont arrivés ce matin à 08 heures 30. Le temps que le parquetier prépare l’ouverture de l’information judiciaire, que le juge d’instruction prenne connaissance du dossier et réalise l’interrogatoire, il est 11 heures 30, au mieux. On attend que le juge des libertés et de la détention (le fameux JLD) vienne statuer son sort : maison d’arrêt ou contrôle judiciaire ? Ah, j’apprends que le JLD était ce matin à l’annexe du tribunal, à trente kilomètre d’ici, où il statuait sur la procédure relative aux étrangers en situation irrégulières placés au centre de rétention. Aujourd’hui, vingt-trois personnes lui sont présentées; L’audience se finira vers 13 heures 45. Le temps d’avaler un sandwich, de faire pipi et de prendre la route, le JLD sera au tribunal vers 15 heures. Il prendra connaissance du dossier et recevra la personne vers 15 heures 30, au mieux.

L’ex-gardé-à-vue désormais mis en examen et bientôt détenu sera donc resté, ainsi que son escorte, environ huit heures dans les couloirs de l’instruction. Son avocat, s’il na pas la chance d’avoir ses locaux professionnels à deux pas, aura perdu une grande partie de son temps lire les vieux magasines déposés par les uns ou les autre, comme chez le dentiste.

Essayons de pénétrer dans l’antre du magistrat, son cabinet. Un bureau, grand, petit, fonctionnel, mal fichu, définitif, temporaire, vue sur la mer, sur les montagnes, aveugle, allez savoir sur quoi vous allez tomber...

Tiens, le greffier.

Bon, moins bon, expérimenté ou non, comme le magistrat peut l'être. De leur alchimie dépendra la réussite du cabinet. Inutile de penser qu’il tournera correctement si le juge prend son greffier pour un moins que rien. Malheureusement, certains magistrats sont ainsi. Il faut être objectif, c’est parfois justifié (il y a des greffiers mauvais et caractériels), parfois non (il y a des juges caractériels et mauvais).

Tiens, ici, c’est un fonctionnaire de greffe fraîchement sorti d'école. Le juge dit de celui-ci (en réalité celle-ci) qu’il n'est rien d'autre qu'un pur bijou. Oui, on a parfois de la chance...

Tiens, un ordinateur. Patience, madame le juge, il sera renouvelé dès qu'il aura atteint le barre stratégique, comptable et administrative des cinq années. Comment ça celui-ci n’est pas équipé du port USB qui vous permettrait d’utiliser la clé que VOUS vous êtes achetée ? Patience, ma chère : cinq années, qu’ils disaient !

Tiens, le placard à fournitures. Oh, une congénère ! Pas vivante, non, vous savez ces objets en forme de souris qui déroulent une bande de correcteur. Ça a l’air d’être d’une bonne contenance. Comment ça, au bout de quelques décimètres la bobine n’enroule plus rien, le correcteur n’adhère plus au papier et il faut jeter ce qu’il reste de ce malheureux objet... Mince, quel gâchis. Peut-être croyait-on que l’administration ferait des économies en achetant cette marque ? Certes, s’il faut les jeter à mi-course, on n’est peut-être pas si gagnant que ça...

Ha, la boîte à stylos. Ils ont l’air chouette ceux-là, de type roller ou ink-gel. Tiens, justement, voici que le greffier en parle avec son collègue d’un autre cabinet. Que disent-ils ? Non, ce n’est pas possible ? Ces stylos sont justement réservés au magistrat, il est hors de question qu'un simple greffier les utilise. Parole du responsable des fournitures. C’est vrai qu’après tout, un greffier peut très bien se contenter d'un "Bic".

Voici la bible du magistrat : ses codes. À jour, bien entendu. Mais j’apprends qu’il a reçu les derniers courant novembre, quand ils sont en librairie fin août ou début septembre.

La curiosité nous pousse à jeter un œil, par exemple ce code pénal 2008.

Mince!, lorsqu'il est sorti, il n'était déjà plus à jour puisque n'y figuraient pas les dispositions nouvelles sur la récidive.

Tiens, les greffiers poursuivent leur conversation. J’apprends qu’alors qu’ils sont garants de l'authenticité de la procédure et, à titre totalement accessoire, tenus au respect de délais aussi peu importants que ceux de durée de détention, notification d'expertises ou ordonnances, de convocation etc.., qu’il n’auront pas eu le loisir de consulter leur code nouveau. En effet, seul le magistrat y a droit, à charge pour lui de donner ses exemplaires, très souvent périmés, à son greffier. C'est bien connu, un greffier d'instruction ne fait pas de procédure pénale...

D’ailleurs, le voici se dirigeant vers la salle des photocopieuse, ou il va réaliser la copie du dossier pour le double gardé au cabinet et une autre pour un avocat qui vient de la solliciter. Ah bon, pas de service de reprographie ? C’est le greffier qui fait cela tout seul ? C’est dommage, il a peut- être mieux à faire dans son cabinet, comme trier le courrier du jour, mettre en forme les derniers dossiers etc.

Tiens, voici le juge, en conversation avec des enquêteurs. Ils ont l’air motivés, ne comptant pas leurs heures. Ah, je crois comprendre que leur direction ne souhaite pas qu'ils aillent à Cuges les Pins entendre ce témoin pourtant capital, qu'il va donc falloir donner commission rogatoire au service d'enquête local pour procéder à cette audition capitale, qui sera donc réalisée par quelqu'un qui ne connaît pas complètement le dossier, son ambiance, ses à-cotés.

Qu’en penser ? Une seule chose : un bâton statistique est un bâton, résoudre une affaire de chat écrasé compte autant qu'un gros dossier de stupéfiants, et coûte beaucoup moins cher...

Ah j’entends l’enquêteur quémander, et être ravi d’obtenir de sa part, le vieux code de procédure pénale 2006 du juge (hé oui, nous somme en 2008 mais le 2007, c’est le greffier qui l’a). C’est vrai que ces pauvres enquêteurs doivent se contenter, à sept ou huit dans l'unité, d'un millésime 2004.

Nouveau coup de fil, cette fois à un expert. Contrit, le juge doit lui dire que, non, ce n'est pas normal qu'il ait dépassé le délai qu’il lui avait fixé pour rendre son rapport. Que, oui, c'est comme ça, rapport rendu dans les délais ou non, il ne sera payé que dans quatre ou cinq mois, voire plus parce que vous comprenez mon bon monsieur (cela vaut aussi pour les dames), nous sommes fin septembre, il n'y a plus d'argent dans les caisses et on n'aura de nouveaux crédits que début janvier.

Tiens, une question ? Si la justice était une entreprise privée, ne serait-elle pas réduite à déposer son bilan tous les ans à la fin du troisième trimestre, les actifs mobilisables étant insuffisants pour couvrir le passif exigible ?

Tiens, voilà qu’on parle des enquêteurs de personnalité, appartenant au service pénitentiaire d'insertion ou de probation ou relevant d'associations spécialisées. Il se dit qu’ils font ce qu'il peuvent avec ce qu'ils ont : toujours beaucoup de motivation et souvent aucun autre moyen matériel que leur huile de coude pour vérifier la véracité de ce que la personne mise en examen leur affirme.

Tiens, voici que l’interprète sort du bureau du JLD et vient saluer le juge d’instruction. Il a assisté les enquêteurs en garde-à-vue. Pendant 48 heures. Il est intervenu auprès du juge lors de l’interrogatoire de première comparution. Il sera convoqué ultérieurement pour une nouvelle audition de la personne mise en examen. Ah, il habite à trois heures de route de Paris, seul endroit où vous avez pu trouver un interprète parlant la langue qui vous intéresse ? Peu importe, il a l’air motivé, a le sens du devoir et de sa fonction. Il viendra. Et si l’interrogatoire va dure en tout et pour tout 15 minutes parce que la personne refuse de s’exprimer , le juge remerciera l’interprète qui sera renvoyer chez lui. Il expliquera que bien entendu il va être rémunéré pour l’interprétariat qu’il vient de faire (rassurez-vous, il y a un forfait pour la première heure). Que, bien entendu, il sera indemnisé de ses frais de déplacement (forfait kilométrique). Que, non, son temps de trajet (6 heures aller et retour pour une heure d’interprétariat rémunérée), ne peut être pris en compte... Que non, il est impossible de tricher (on appelle cela un faux) et d’ajouter une ou deux tranches horaires pour compenser cela. Je crois comprendre que la prochaine fois, l’interprète convoqué répondra que ça aurait été avec plaisir, mais que ce jour-là, justement, il a piscine...

Et voici l’armoire des dossiers. En moyenne, 80 à 90 par juge d'instruction en France. Dans ce tribunal en particulier, jusqu'à 180...

Certes, sa conscience commande au juge de faire au mieux, d'essayer de participer d'une justice bonne, correcte, lisible, fière d'elle. Mais, parfois, il devra seulement survoler des dossiers plus qu’il ne les ai instruira. Faisant toujours le maximum pour "sortir" les dossiers en cours dans des délais corrects, donnant systématiquement la priorité aux dossiers dans lesquels des personnes avaient été placées en détention provisoire. Mais parfois, souvent, en étant noyé sous le flot des nouveaux dossiers ouverts à l'occasion d'une permanence qui reviendra une semaine sur trois...

Tiens, suivons le substitut du procureur de la République, qui sort du débat devant le JLD.

La souris apprend que, pour simplifier, ce magistrat représente la société et en défend les intérêts, tant en matière pénale que civile ou commerciale, et exerce, au nom du procureur, l'action publique.

C'est à lui que les enquêteurs, tous les jours, rendent compte des affaires en cours, des garde-à-vues qu'ils ont décidées. C'est lui qui va devoir prendre la bonne décision, choisir la bonne voie de poursuite, souvent dans l'urgence des nombreux coups de fil qu'il va recevoir de nuit comme de jour.

C'est lui qui va aller requérir à l'audience correctionnelle. Pour cela, il aura préalablement examiné les dossiers, quand il aura eu le temps de le faire, et découvert le contenu de la plupart d'entre-eux, les poursuites ayant été ordonnées par son collègue de permanence au moment des la garde-à-vue. Comme ses collègues juges correctionnels, comme le greffier, comme l'huissier d'audience, comme les avocats et surtout comme les prévenus, il sera présent à 08h30 pour l'ouverture de l'audience et sera encore là à 19h00, quand elle se terminera.

Celui-ci vient d’arriver dans la juridiction. Son constat est globalement positif : nouvelle juridiction, nouveaux locaux (neufs) pour exercer ce nouvel aspect de sa profession.

Mais légère amertume quand la photocopieuse est en panne depuis trois semaines, qu’elle n’est plus sous garantie, qu’elle n’a pas encore cinq années d’ancienneté...

Quand les écrans plats, neufs, qui équipent la salle d’audience, ne fonctionnent pas et que vous ne pouvez pas montrer les photographies de cette pauvre dame qui s’est faite tabasser par le prévenu.

Quand la permanence revient une semaine sur trois, parce qu’un poste est vacant. Certes, on ne dit plus vacant, mais on compte en activité par magistrat. À ce jeu-là, certes, ce tribunal est mal loti mais les magistrats ont appris que, non, il ne fait pas partie des priorités et n’aura pas de renfort dans l’immédiat. Qu’importe, il manque un magistrat dans ce parquet depuis quatre ans, alors le procureur fait alors avec les moyens du bord, et notamment en comptant sur le renfort d’un collègue mis à sa disposition par le procureur général.

Ces quelques réflexions ne sont pas de la fiction. Elles synthétisent des événements vécus dans plusieurs tribunaux. Et qui pourraient sans doute être relevé par de nombreux collègues. Globalement, nos juges et procureurs vont bien. Mais notre justice va mal.

Je me suis concentré sur des aspects purement matériel qui grèvent le fonctionnement du tribunal et ralentissent le cours de la justice. Je laisse à d’autres le soin d’aborder les problèmes rencontrés dans des fonctions que je n’ai pas exercées en dehors de mon stage en qualité d’auditeur de justice. Je laisse à d’autre le soin d’aborder le parfois incompréhensible amoncellement de textes qui fait que le juriste n’y retrouve pas ses petits.

Il me semble que la mobilisation du 23 octobre sera un O.V.N.I. dans le monde du travail français. Personne ne va demander d’augmentation, personne ne va demander de partir plus tôt à la retraite, personne ne va demander de nouveaux avantages sociaux, personne ne va demander plus de jours de congés...

Non, il va seulement être fait ce constat : nous devons rendre la justice au nom du peuple français. Ce serait peut être faire justice à ce peuple que de nous donner les moyens de le faire correctement.

Nous ne demandons pas du luxe, non. Nous nous contenterions bien volontiers de pouvoir avoir la satisfaction d’avoir des moyens matériels corrects pour rendre la justice et donner autre chose qu’une obole, qui plus est bien tardive, aux services et personnes qui y contribuent.

J’exerce un très beau métier.

S’il ne fait pas rouler sur l’or (il reste sous l’égide de la grille des rémunérations de la fonction publique), il me donne largement les moyens de vivre.

J’ai la chance de l’avoir choisi.

J’ai la chance de l’aimer.

Madame le Garde des sceaux, Mesdames et Messieurs les prochains Garde des Sceaux, laissez-moi l’aimer encore.

Cher Justiciable…

Par Titi et Grosminet, magistrats placé (magistrats non affecté à un poste mais chargé de remplacer un magistrat absent ou d'apporter du renfort temporaire à une juridiction submergée. Les intermittents du spectacle de la magistrature).


Paris, le 23 octobre 2008, une paire de juges placés énervés et égarés au milieu de la place Vendôme.

Cher justiciable,

Aujourd’hui, nous le savons, tu n’es pas content.

Je l’avais pressenti en croisant ton regard dans la salle des pas perdus. Tu nous attendais au tournant. Tu t’étais préparé à cette audience, tu avais pris ta journée, cela faisait des mois que tu attendais une décision et voilà patatra ! Alors que nous n’avons pas le droit de grève et que nous savons que tu te fais un sang d’encre depuis des mois à l’idée de nous voir, nous avons renvoyé ton affaire à plus tard, dans trois mois, et ce pour faire un sitting sur les marches du palais. Tu ne comprends pas ?

Ravale ta colère un instant, s’il te plaît, juste le temps d’écouter nos explications, après tu pourras nous juger, en ayant tous les éléments en main.

Sois rassuré, nous savons bien que nous ne sommes pas irréprochables. C’est d’ailleurs pour cela aujourd’hui que nous t’écrivons à deux ces quelques lignes, et crions discrètement notre ras le bol dans la rue. Nous avons des torts mais nous implorons ton aide et ton soutien, il en va de la sauvegarde de ta justice.

Nous sommes une paire de juges placés. Des juges placés ? tu t’interroges... Non, il ne s’agit pas d’un nouveau pari proposé par le PMU, quoique l’idée de voir courir nos collègues en robe à Auteuil ou à Longchamps n’est pas sans nous rappeler les longues années de préparation au concours de l’Ecole de la magistrature.

On dit “juge placé” mais dans nos jugement, tu liras “juges placés auprès du Premier Président de la cour d’appel de Nerverland”. Tu te dis que notre titre est bien pompeux. Nous te l’accordons et la plupart de nos collègues placés sont d’ailleurs bien jeunes pour des magistrats de cour d’appel, même pas trente ans...

Les juges placés sont les bouche-trous de la magistrature assise et crois-nous, nous qui voyageons beaucoup, il y en a des trous dans les cours d’appel françaises.

Nous sommes itinérants, flexibles, adaptables, roue de secours ou pompier selon l’état dans lequel se trouve le tribunal où nous oeuvrons, pour quelques jours ou de nombreux mois.

C’est nous que tu as rencontré lorsque “ta Juge des enfants” est tombée malade. Tu étais en colère car nous avons mis tes enfants dans une famille d’accueil, et tu ne comprends pas comment un juge qui ne connait rien de ton histoire et de ta famille a pu maintenir le placement en toute connaissance de cause. Pourtant sache que j’ai passé plusieurs heures à relire l’intégralité des rapports depuis le signalement, que j’ai passé mon dimanche après-midi avec tes difficultés et celles de tes enfants et qu’avec le temps dont je disposais, je me suis imprégné autant que j’ai pu de votre histoire.

C’est également nous qui, après plusieurs mois de vacance de poste non pourvu par la Chancellerie, avons repris les rênes de ton tribunal d’instance, isolé et agonisant dans l’attente de sa fermeture.

Tu étais colère quand j’ai pris la décision de réouvrir les débats, alors que cette société de crédit menaçante te harcèle et a même osé t’appeler sur ton lieu de travail devant tous tes collègues et ton patron...Tu ne comprends pas ces délais intolérables mais sache que c’est pour lui rappeler la loi, constater qu’elle est en délicatesse avec le code de la consommation, et la priver ainsi des intérêts qu’elle te réclame chaque jour indûment.

C’est aussi nous qui vidons les placards remplis de vieux dossiers, et convoquons ton petit dernier qui a maintenant dix neuf ans et demi et qui travaille, pour un vol de scooter commis en 2006, dans une autre vie...

Nous sommes juge des tutelles, puis juge d’instruction, juge d’application des peines, juge aux affaires familiales, juge à tout faire. C’est une nouvelle politique des ressources humaines du Ministère de la Justice, tu dois le savoir, alors qu’on te parle de spécialisation des juges pour plus de sécurité juridique. Alors que, comme dans tous les milieux, beaucoup de magistrats partent à la retraite, les promotions nouvelles qui sortent de notre Ecole sont de plus en plus petites. Notre espèce de juge caméléon n’est pas près de disparaître...

Nous errons de tribunal en tribunal, de contentieux en contentieux, nous passons des heures sur les routes, dans les trains, à l’hôtel. A chaque nouvelle délégation, c’est une situation de crise à laquelle nous devons nous adapter, pour laquelle nous nous mettons au fait des lois applicables qui ne cessent de changer.

Nous ne sommes pas des héros et nous ne recherchons pas l’apitoiement. Nous avons choisi d’être magistrat par vocation, pour être ton serviteur et serviteur de la loi.

Nous reconnaissons que nous avons des torts. Nous sommes juges depuis peu de temps, et pourtant nous avons constaté que nous ne pouvons pas toujours exercer notre métier avec autant de perfection que nous l’avions imaginé en sortant de l’Ecole. Nous aurions tant aimé mieux t’expliquer pourquoi nous n’avons pas retenu la légitime défense plaidé un peu maladroitement par ce jeune avocat, ou mieux motiver cette ordonnance de non-conciliation. Nous aurions tant aimé être plus humain et plus patient avec toi, le jeune délinquant multi-récidiviste qui comparaissait à 23 heures devant nous, après 48 heures de garde à vue pour toi, et 10 heures d’audience pour nous...

Il nous en coûte de te faire cet aveu car nous aimerions tellement mieux faire. Ces imperfections habitent nos pensées de tous les jours, je te prie de nous croire, et il n’est pas rare qu’elles nous infligent des insomnies.

Nous aimerions tant être de justes juges.

Cher justiciable, nous le savons, tu n’es pas content, nous non plus. N’oublie pas, nous partageons un même objectif et c’est pour lui que nous reportons ton dossier aujourd’hui : disposer en France d’une Justice dont tu serais fier.

Point de vue d'une petite main

Par Sharl Dalauz, assistant de justice


Assistant de justice au sein du parquet d'un tribunal de taille relativement conséquente (considérant que cette juridiction est devenue un pôle de l'instruction, qu'elle compte une dizaine de parquetiers et qu'elle va bientôt subir une augmentation d'activité consécutive à la réforme de la carte judiciaire), je suis attaché au service du Substitut du Procureur de la République en charge des mineurs.

En fonction depuis deux ans et demi, j'ai assisté à la grande valse des magistrats, ceux qui nous quittent et ceux qui les remplacent, rencontrant en grande majorité des gens formidables. Je tiens d'ailleurs à profiter de cette tribune pour faire une véritable déclaration d'amour mêlée d'admiration aux parquetiers avec lesquels je travaille.

Je fais partie d'une équipe composée de substituts dynamiques dont la moyenne d'âge est approximativement d'une trentaine d'années. Il s'agit d'individus faisant preuve d'un grand professionnalisme et dotés, pour ceux que je connais, d'une éthique sans failles. En dépit de la masse décourageante de dossiers à traiter et de l'urgence perpétuelle dans laquelle ils œuvrent, ils prennent le temps nécessaire pour peser leurs choix et prendre la bonne décision. Ils suivent chaque cas avec soins, coordonnent l'action des enquêteurs en même temps qu'ils rendent des comptes à leur hiérarchie. Mes substituts sont courageux.

Que celui qui n'a jamais passé une journée dans le bureau jouxtant celui du substitut de permanence ne prétende pas avoir une idée de l'intensité de leur mission. La sonnerie du téléphone retentit sans interruption toute la journée durant, sans compter celle du portable réservé aux cas d'urgence qui vient souvent, et parfois même lorsqu'il n'y a pas urgence, se greffer sur la première pour former une mélodie assourdissante et épuisante. Les heures passées au bout du fil par un parquetier en 24 heures feraient pâlir de jalousie toute adolescente qui se respecte. La permanence, c'est une semaine, jour et nuit, quand vous déjeunez, quand vous dormez, mais aussi pendant que vous gérez vos dossiers. (car la pile de courrier ne se fige pas par magie pendant cette période) Et dire qu'ils sont encore courtois avec leur 46 ème interlocuteur... si si je vous assure je les observe et les écoute!

Je pense que le mythe du fonctionnaire plus occupé à compter ses heures de travail qu'à les accomplir n'est pas applicable aux magistrats. Le magistrat sait précisément l'heure à laquelle commence une audience mais un peu moins celle à laquelle elle se terminera. Cette considération en entraîne une autre, celle de la vie de famille. Ce métier demande une disponibilité et une flexibilité importantes et il faut savoir qui ira chercher le marmot à la crèche en cas d'imprévus.

Les exemples de ce type sont nombreux. Je me fais le défenseur de « mes magistrats » car ce sont des gens biens qui ont pris le temps, au milieu de ce tumulte quotidien, de m'apprendre beaucoup de choses qui me seront précieuses. Aujourd'hui, leur indépendance est menacée et la garantie de pouvoir exercer leurs fonctions correctement n'est plus assurée. Je ne ferai pas le procès de la personne (la nommer serait lui faire honneur) qui a mis le feu aux poudres mais je n'en pense pas moins et cette mobilisation générale constitue la plus belle des sanctions.

Le rassemblement qui aura lieu demain sera beau et il a demandé une nouvelle fois des efforts. « Mes magistrats » ont pris sur le temps pour sonner la révolte et tenter de faire passer le message en sollicitant les médias locaux, afin de relayer leur message. Ils aiment ce qu'ils font et sont prêts à se défendre pour continuer à le faire du mieux qu'ils peuvent. Ils ne se laissent pas gagner par le découragement et n'attendent plus depuis bien longtemps des remerciements. Ils accomplissent simplement leur tâche.

Je n'ai témoigné qu'en faveur du parquet car je ne peux pas parler de ce que je ne connais pas. J'apporte également tout mon soutien à tous les autres corps. Je pense toutefois que la cause est commune dans ces moments-là, sans distinction.

Pour ceux qui pourraient penser que le jeune assistant que je suis est trop passionné pour être objectif, caressant certainement le doux rêve de devenir un grand Procureur de la République, je puis vous affirmer que vous vous trompez. Je ne serai pas magistrat, ce n'est pas ma voie. Je respecte leur travail mais ce ne sera pas le mien. J'ai simplement donné un avis sur des gens que je côtoie et que je respecte.

23 octobre

Par le Bureau national du Syndicat des Greffiers de France ; j'ai écarté les textes syndicaux et communiqués officiels, préférant les billets personnels ; mais ce texte n'est pas un communiqué, il m'est adressé, et la voix des autres serviteurs de la justice doit aussi s'élever aujourd'hui. Sans les greffiers, nous ne serions rien, magistrats et avocats. C'est avec plaisir que je les accueille. Eolas.


Le Syndicat des Greffiers de France (SDGF) ne peut qu’abonder dans votre sens et vous propose sa contribution sur nos conditions de travail.

A l’heure où l’on prône un dialogue social de qualité, encore faudrait-il que le mot dialogue soit une réalité.

Or, les greffiers, « travailleurs de l’ombre » et véritables « petites mains » de la justice, sont, la plupart du temps, ignorés, voire pire, du genre « Un Greffier ?ça sert à quoi ! ».

Dans les médias, pour le grand public, la justice n’est généralement représentée que par les magistrats et les avocats.

Or si les jugements sont tapés, exécutés, en bref si la Justice fonctionne …c’est bien grâce aux Greffiers.

Pour autant, nos conditions de travail sont déplorables tant au niveau effectif qu’au niveau matériel et ne cessent de se dégrader.

De nombreux collègues sont partis à la retraite sans que l’Administration ait anticipé leur départ, en matière de recrutement, ou plus exactement, ait décidé de ne pas les remplacer.

De ce fait, les greffiers ne gèrent plus seulement leur service mais doivent faire face à une multitude de tâches supplémentaires.

Au niveau matériel, les logiciels sont totalement archaïques. Certains services dont l’exécution des peines ne sont même pas informatisés. Les temps préhistoriques sont toujours d’actualité.

Néanmoins, si le système judicaire continue de fonctionner, c’est grâce au sens du devoir du service public, au dévouement et à la conscience professionnelle des greffiers.

Mais, rappelons- nous que « tout être humain a ses limites, et celles des greffiers sont aujourd’hui atteinte » .

Il n’est plus possible d’exiger de nos collègues, sans aucune contrepartie, de poursuivre voire d’accroître les sacrifices qui leur sont demandés.

A titre d’exemple, les nombreuses heures supplémentaires effectuées ne sont pas payées et peu de greffiers peuvent les récupérer sinon les services accumuleraient un retard tel qu’il deviendrait ingérable.

De même, alors que les magistrats bénéficient mensuellement d’une prime modulable dite « prime au mérite », le greffier, binôme de celui-ci n’a rien, (sauf les greffiers affectés à la centrale).

Les jugements sont-ils fait par le seul et unique magistrat ? Pourquoi cette discrimination ?

Quant aux locaux, la situation n’est pas meilleure. La création de nouvelles fonctions (BEX ou pôle d’instruction, notamment) est une catastrophe en terme d’espace. On n’hésite plus à loger les greffiers dans les archives, ou, les uns sur les autres, dans les mêmes bureaux, dans des conditions qui entraîneraient, dans le privé, une intervention des Services de L’Inspection du Travail …

La réforme de la carte judiciaire et sa prochaine application vont encore aggraver une situation déjà intenable. Les greffiers des juridictions supprimées vont être répartis dans les juridictions maintenues, sans qu’évidemment les capacités d’accueil des locaux soient augmentées.

Certes on nous dit que « les caisses sont vides ». Si l’on en croit les décisions prises récemment en matière de crise financière, elles ne sont pas vides pour tout le monde …..

Le sentiment général de nos collègues aujourd’hui peut se résumer ainsi. : « Assez de promesses non tenues, assez de mépris. Nous voulons enfin que l’on nous donne les moyens de travailler et les moyens de vivre décemment.

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