Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 22 décembre 2005

jeudi 22 décembre 2005

Le DADVSI code (2) : le P2P de Sion

Je continue mon festival de jeux de mots pour commenter brièvement la pantalonnade cette nuit, pantalonnade pour le gouvernement mais une vraie victoire pour l'opposition.

A cours de la séance de nuit, deux amendements qui n'en font qu'un, puisqu'ils sont identiques, ont été soumis au vote. Déposés par un parlementaire UMP (Alain Suguenot) sous le numéro 153 et des parlementaires de l'opposition (Messieurs Mathus, Bloche, Christian Paul, Caresche, Migaud, Dumont, Balligand) sous le numéro 154, il visait à ajouter à l'article L.122-5 du Code de la propriété intelelctuelle qui prévoit le droit de copie privée un alinéa ainsi rédigé :

De même, l'auteur ne peut interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à l'exception des copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4.

L'article L.311-4 est erroné, c'est l'article L.311-1 qui prévoit la rémunération pour copie privée, l'article L.311-4 ne précise que des modalités d'application, mais ça, on a l'habitude.

Le député UMP a défendu son amendement en des termes diplomatiques :

M. Alain Suguenot - Je veux rendre un hommage particulier au ministre, car son rôle de conciliateur d'intérêts contradictoires n'est vraiment pas facile à tenir. Quant au législateur, il lui revient de servir l'intérêt général en envisageant tous les enjeux du problème, sans se contenter de transposer à l'identique une directive européenne.

L'objectif central - beaucoup l'ont déjà dit -, c'est de concilier les intérêts des créateurs et ceux des utilisateurs de l'internet, porte ouverte sur la diversité culturelle. Mon amendement 153 - qui fait suite à ma proposition de loi sur le même objet - tend à relever ce défi en créant la licence globale optionnelle, dont Christine Boutin a rappelé l'économie générale. A moyen terme, cet outil doit permettre de trouver une réponse adaptée aux problèmes en suspens, conforme à la jurisprudence et de nature à mettre en sécurité juridique la copie privée, les échanges de fichiers par peer to peer et, plus généralement, les technologies émergentes d'accès à la diversité culturelle. Je ne vois pas au nom de quoi l'on devrait se priver de telles possibilités, même si j'accorde au Gouvernement que sa philosophie de la réponse graduée est éloignée du tout-répressif.

Les outils de gestion des droits numériques doivent permettre de rémunérer de manière plus équitable les auteurs en identifiant les internautes et en les incitant à acquitter une redevance forfaitaire, sans attenter à la facilité d'accès à l'offre culturelle. Même si de bonnes nouvelles sont tombées hier pour ce qui concerne le cinéma...

M. Christian Paul - C'est Noël !

M. Alain Suguenot - Beaucoup reste à faire, notamment pour conforter l'exception pour copie privée. Mon amendement va dans ce sens, fixe le régime des copies par téléchargement sur internet et respecte la directive européenne comme la règle dite des trois étapes, qu'un prochain amendement viendra préciser.

Le député PS en charge de la question, Didier Mathus, va défendre le sien dans ces termes :

M. Didier Mathus - Je défendrai notre amendement 154 dans des termes voisins de ceux d'Alain Suguenot et nous sommes en effet au cœur de la question posée, à laquelle le présent texte tente de répondre. Il est tout à fait essentiel de prendre en compte la jurisprudence récente, en particulier l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier de mars dernier entérinant le fait que les téléchargements de fichiers par des réseaux peer to peer relèvent de l'exception pour copie privée posée dans la directive européenne.

J'observe qu'au milieu des années 1990, le Gouvernement de l'époque - soutenu par la famille politique dont se réclame aujourd'hui l'UMP - avait su trouver une réponse adaptée pour faire face au développement massif de la photocopie. Nous sommes aujourd'hui dans une situation assez analogue : confrontés à l'apparition d'une technique nouvelle à croissance rapide, il nous faut franchir le gué en adaptant l'arsenal juridique à la nouvelle donne. Notre amendement 154 propose une esquisse pour tenter de mettre en sécurité juridique les nouvelles formes de circulation de l'intelligence globale. Les techniques nouvelles commandent de nouvelles règles : après tout, on n'applique pas le code de la route aux aéronefs ! En faisant entrer les échanges de fichiers de pair à pair dans le champ de l'exception pour copie privée, nous franchirons une étape décisive.

Là où l'opposition va avoir une idée lumineuse, c'est qu'elle va demander un scrutin public sur cette question. C'est à dire que, d'ordinaire, pour gagner du temps, les votes ont lieu à main levée, le président constatant que les bancs de la majorité lèvent la main pour le oui, ceux de l'opposition pour le non, et on passe à la question suivante. Mais tout président de groupe peut demander à ce qu'une question soit décidée par scrutin public (article 65 du règlement de l'assemblée nationale). La différence est pyschologique : le vote a lieu par voie électronique, et les noms des députés ayant voté oui ou non est publiée au JO.

Le rapporteur, Christian Vanneste, va donner un avis défavorable au nom de la commission des lois sur cet amendement, le qualifiant d'irresponsable, soutenu en cela par Jean Dionis du Séjour. Renaud Donnedieu de Vabres va émettre un avis défavorable au nom du gouvernement. AVis défavorable du gouvernement et de la commission, génralement, c'est un arrêt de mort pour un amendement.

Mais la fronde se manifeste dans les travées, et qui va être la passionaria du P2P ? Nulle autre que Madame Christine Boutin, qui va s'attirer par son intervention les applaudissements… des socialistes et des communistes :

>Mme Christine Boutin - J'ai cosigné l'amendement d'Alain Suguenot et vous n'en serez pas surpris ! Je voudrais répondre plus particulièrement à M. le Rapporteur. D'abord, vous avez invoqué la nécessité de se conformer à la directive européenne : cher Monsieur, je vous resservirai l'argument lors d'un prochain débat, en lien avec les travaux de la mission sur la famille ! La France ne se conforme pas toujours strictement aux directives, et, selon que cela arrange ou non, on manie l'argument dans un sens ou dans l'autre. L'argument ne vaut donc pas.

En outre, la directive date de 2001 : depuis son élaboration, figurez-vous que la technique a bien avancé !

Ensuite, je ne vous traiterai pas d'irresponsable, et je n'accepterai pas d'être ainsi qualifié. La licence globale optionnelle prévoit le financement par autorisation des ayants droit. Arrêtons donc cette discussion ! Et en ce qui concerne le cinéma, que vous nous avez envoyé à la figure, vous devez savoir qu'il a été retiré de nos amendements suivants. S'il n'y a que cela qui vous empêche de voter le présent amendement, je veux bien le rectifier tout de suite !

Enfin, nous n'allons pas nous lancer dans une course à l'échalote pour savoir qui est le plus réactionnaire ! Franchement ! Nous discutons de libertés fondamentales, et la seule chose qui vous intéresse est de savoir qui est de gauche et qui est de droite ? Si vous voulez un début de réponse, je vous signale que les jeunes, c'est-à-dire la France de demain, soutiennent cette proposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Les représentants des groupes politiques de la majorité (UMP et UDF) vont s'exprimer contre cet amendement, mais à titre individuel, des députés de la majorité vont prendre position pour cet amendement, notamment Monsieur Le Fur :

M. Marc Le Fur - J'ai aujourd'hui des enfants de quatorze et seize ans dont internet constitue la culture et l'espace de liberté (Interruptions sur certains bancs du groupe UMP). C'est ainsi, mes chers collègues ! Sans doute téléchargent-ils des fichiers, et je suis incapable de les contrôler, ne maîtrisant pas comme eux ces techniques (Exclamations sur certains bancs du groupe UMP). Dans la situation actuelle, ils pourraient être considérés comme des délinquants (Mêmes mouvements). Seule la licence globale permet d'éviter ce risque en leur permettant, pour quelques euros par mois, de retrouver la liberté de télécharger sans porter atteinte au droit d'auteur puisque les sommes prélevées seront mutualisées et redistribuées aux auteurs, à l'instar de ce que pratique la SACEM.

Au moment d'encadrer les libertés du XXIe siècle, inspirons-nous de Tocqueville pour qui la société civile devait toujours prévaloir. Dans la société civile d'aujourd'hui, notamment pour les jeunes, internet est un espace de liberté. Ne le restreignons pas à l'excès.

M. André Chassaigne - Très bien !

Bon, je ne suis pas sûr et certain que Tocqueville aurait donné sa bénédiction au Peer to Peer mais pour une fois qu'un auteur libéral est approuvé par des députés communistes, ne boudons pas notre plaisir.

L'amendement, mis aux voix, est adopté par 30 voix contre 28, sur 59 votants et 58 suffrages exprimés.

Alors, la cause est entendue, téléchargeons guillerets ?

Rien n'est moins sûr, comme le rappelle Paxatagore, qui n'aime rien plus que jouer les trouble-fêtes. La Constitution et le règlement de l'assemblée prévoient des gardes-fous contre les députés récalcitrants. Le gouvernement a ainsi la possibilité de demander une seconde délibération (article 101 du règlement). Ensuite, le texte doit passer devant les sénateurs qui doivent l'adopter dans les mêmes termes, faute de quoi le texte sera renvoyé devant une commission mixte paritaire.

Enfin et surtout, Paxatagore a mille fois raison, l'adoption d'un amendement n'équivaut pas à sa promulgation immédiate.

L'opposition a marqué un point politique, en torpillant l'économie du projet de loi DADVSI, et en s'assurant ainsi que le projet ne sera pas adopté tambour battant. Elle a infligé un camouflet au ministre et à la commission des lois.

Il demeure que cet amendement est en sursis et ne devrait pas survivre à la procédure législative.

Au moins, cet incident balayera je l'espère un leitmotiv beaucoup relayé sur la toile sur le caractère prétendument peu démocratique de cette discussion, qui n'a jamais été fondé.

Le compte rendu de la séance peut être lu intégralement ici (faites une recherche sur le mot "Suguenot" et vous aurez le début des débats sur ces amendements).

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