Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 13 mars 2007

mardi 13 mars 2007

Ca, c'est de l'investigation...

Tiens ? Elle m'avait échappé, celle là.

Nicolas Sarkozy a affirmé, jeudi 8 mars, sur France 2 que "5 % des délinquants font 50 % des délits". Une affirmation contestée, car elle n'est pas confirmée par les statistiques sur la délinquance. Le ministre s'appuie sur une étude sociologique menée, en 2001, par Sebastian Roché sur la délinquance autodéclarée par les jeunes, première recherche de ce genre en France. Ses résultats avaient été popularisés par la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs du Sénat, en 2002. Ils ont, depuis lors, nourri la thèse de l'existence d'un "noyau dur" de la délinquance.

M. Roché avait questionné 2 300 jeunes de 13 à 19 ans des agglomérations de Saint-Etienne et de Grenoble. Auditionné au Sénat, en mars 2002, le sociologue avait livré sa conclusion : "On trouve une très forte concentration de la délinquance sur un petit ensemble de personnes." M. Roché faisait alors référence à "la théorie des 5 %". Il précisait : "D'après les jeunes auteurs de délits eux-mêmes, il y a bien 5 % qui pèsent 60 % à 85 % du total des actes."

Voyons voyons. Un sociologue demande à de jeunes délinquants de leur parler de leur délinquance. Ceux-ci se présentent comme des petits Al Capone, les terreurs des terreurs, les Tony Montana du Dauphiné et du Stéphanois. Vu leur petit nombre, il en déduit qu'ils doivent à eux seuls commettre la moitié des délits de France.

Et un candidat reprend cette affirmation à son compte sans sourciller.

Ha, ils doivent bien rire, dans les cités de Saint Etienne et de Grenoble. Et évidemment, les magistrats et les avocats, qui sont fort bien placés pour observer les délinquants, n'ont pas paru des témoins pertinents pour le sociologue. Demandons leur avis à des petites frappes, ce sont des sources crédibles, et extrapolons à l'infini.

Je me range naturellement aux observations de bon sens de Serge Portelli, rapportés dans le même article (Serge Portelli a été doyen des juges d'instructions à Créteil, il préside maintenant la 12e chambre correctionnelle à Paris, qui juge la délinquance économique).

On en a dit des énormités dans cette campagne, mais je vois que ce n'est que le début.

Quelques réflexions sur les 500 signatures

A chaque élection présidentielle, le même refrain revient dans la bouche des petits candidats sur l'injustice et l'antidémocratisme du système des 500 signatures, condition préalable à une candidature à la présidence de la république.

Je vous en propose une lecture sous l'angle essentiellement juridique, pour tenter de vous démontrer que ce système est loin d'être aussi injuste qu'on le dit, et que ceux qui s'en plaignent le plus ne sont pas ceux qui en souffrent le plus, les manipulations mensongères étant fréquentes ici, comme vous le verrez.

Première inexactitude : il faudrait avoir 500 signatures pour être candidat. Vous aurez remarqué que les candidats, ce n'est pas ce qui manque ces temps-ci. Or les 500 signatures n'ont pas encore été déposées au Conseil constitutionnel, pour aucun d'entre eux.

Pourtant, on les entend, on les voit, on parle d'eux. Beaucoup de candidats se sont déclarés, et alors qu'aucun d'entre eux ne peut apporter la preuve qu'il remplit bien les conditions des 500 signatures, ils ont d'ores et déjà un accès médiatique certain. Que bon nombre d'ailleurs utilise pour se plaindre de leur accès médiatique insuffisant à leur goût. Bref, la démocratie fonctionne déjà, bien avant le dépôt des fameux formulaires, et les candidats sont d'ores et déjà candidats. Les 500 "signatures" ne servent qu'à devenir officiellement candidat, à avoir le droit de participer au premier tour de scrutin.

Au fait, ces 500 signatures, ça vient d'où ? La constitution est en effet muette sur les conditions d'accès à la candidature.

C'est une loi organique[1], la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, modifiée en dernier lieu le 21 février 2007 qui pose cette règle dans son article 3. La constitution (article 6) renvoie en effet à une loi organique le détail de l'élection du président de la république, la constitution ne posant que le principe de son élection au suffrage universel direct et la durée de son mandat.

En réalité, c'est une erreur de parler de parrainages. La loi parle de présentation. En effet, les membres du collège que définit la loi (j'y reviendrai) ne sont pas censés répondre à une sollicitation des candidats, mais à dire, au besoin spontanément, que selon eux, Untel ferait un bon président.

Avis aux élus qui me lisent : vous pouvez proposer ma candidature...

Qui peut présenter un candidat, donc ? La liste est sur cette page, pour un total d'environ 47000 personnes. Il est donc largement abusif de parler des maires, même s'ils représentent l'écrasante majorité de ce collège (36000) et qu'un grand nombre d'entre eux ne dépendant d'aucun parti, ils sont supposément plus enclins à présenter un candidat hors grand parti, outre l'avantage de leur répartition géographique.

Car il ne suffit pas d'avoir 500 présentations : il faut en outre qu'ils viennent d'au moins 30 départements sans que plus un dixième d'entre eux, soit 50, soit élus du même département ; étant précisé que deux départements virtuels ont été institués pour représenter la circonscription des élus au parlement européen et ceux des Français de l'étranger.

Quand le Conseil constitutionnel reçoit la liste des présentations (ce qui doit être fait avant ce vendredi 18 heures), après avoir vérifié leur nombre et leur répartition, la première chose qu'il doit faire est ainsi de recueillir le consentement du présenté à être candidat.

Sur le principe, cette sélection des candidats n'a à mon sens rien de scandaleux ; elle est même indispensable. Le fait d'être candidat officiel donne accès aux médias audiovisuels sur une base égalitaire. Imaginez la cacophonie si des centaines, voire des milliers de candidats se présentaient, certains uniquement pour vanter les mérites de leur commerce, de leur secte, ou pour dénoncer des complots imaginaires.

Le filtrage par les élus impose au candidat une certaine crédibilité auprès de personnes ayant elle même emporté une élection. Le collège assure que les grands partis seront représentés, que les candidats autonomes peuvent obtenir les présentations nécessaires, et que les candidats ayant refusé de jouer le jeu de de la démocratie en centrant tout autour de leur personne auront les plus grandes difficultés à être candidats.

Tout système a des effets pervers, qui sont montrés en exemple pour démontrer l'inanité du système. Le sophisme est ici patent : ce n'est pas parce que dans un cas, la solution paraît insatisfaisante que le système en entier est mauvais.

En l'occurrence, l'effet pervers pris systématiquement en exemple est la candidature de Jean-Marie Le Pen, qui aurait du mal à réunir les présentations, tandis que des candidats condamnés à un score plus que modeste (pensons à Marie-Georges Buffet, candidate du PCF), y arrivera aisément. Que diantre, s'exclament les démocrates vertueux, Jean-Marie Le Pen, qui était au second tour en 2002, pourrait ne pas être candidat en 2007 ? Assurément, la République est malade !

Et bien, ça reste à voir.

Prenons un instant l'hypothèse, à laquelle je ne crois pas un instant, que les larmes de Jean-Marie Le Pen ne soient pas de crocodile[Mise à jour du 14/03/07 : Bingo.], et qu'il ait bien du mal à réunir ses présentations. Comme à chaque élection où il parvient malgré tout in extremis à les réunir, rugissant victoire sur le système qui voudrait le faire taire, pour le plus grand plaisir de ses électeurs.

A quoi est donc due cette difficulté, qui par sa répétition montre pourtant sa prévisibilité ? Pourquoi diable ce candidat, devenu familier à notre scène politique, aurait du mal en 2007 ce qu'il a réussi à avoir en 1974, pour un score final de 0,75%, et que le PCF, avec des scores inférieurs à 9% depuis 1988 obtient sans peine ?

Tout simplement : au refus du Front national de jouer le jeu de la démocratie. La démocratie, ce n'est pas la conquête exclusive du pouvoir, le tout ou rien, le refus du compromis. Par son programme, par ses propos provocateurs, le chef du Front national s'est donné un rôle d'infréquentable. Il n'est que voir que chaque fois que des tentations sont apparues au sein de branches du RPR (la branche Pasqua) et du FN (Bruno Mégret) de faire alliance en échange d'un assouplissement du discours du FN, le leader frontiste n'a jamais manqué brûler les ponts, comme ce fut le cas avec son fameux « point de détail », lancé en septembre 1987, soit dès le début de la campagne présidentielle.

Il se pose en candidat de la rupture absolue, et ce depuis son élection en 1956 sur les listes de l'UDCA de Pierre Poujade, avec son fameux slogan : « Sortez les sortants » repris à son compte par le FN. En démocratie, cela le condamne à un rôle de témoignage, qui dans le fond lui convient fort bien à mon avis. Ainsi, hors l'élection présidentielle, qu'il n'est pas déshonorant de perdre, Jean Marie Le Pen ne se présente qu'à des élections proportionnelles (européennes, régionales) dans une circonscription (Provence Alpes Côte d'Azur) où il est sûr d'être élu, quand bien même il est né en Bretagne et habite à Saint-Cloud, en région parisienne. Jamais Jean-Marie Le Pen n'a été élu à un scrutin local uninominal pour la bonne et simple raison qu'il ne se présente jamais à un tel scrutin. Jamais maire, jamais conseiller général. De même, trois communes sont passées au Front national en 1995, mais cela a vite tourné au fiasco. Toulon a été perdu aux élections suivantes, le maire d'Orange a quitté le Front national pour le MPF de Villiers, et le maire de Marignane a quitté le FN dès 1998 pour le MNR de Bruno Mégret avant de rejoindre l'UMP. Citons encore Vitrolles, tombée dans l'escarcelle du FN en 1997, avant que le maire ne soit invalidé, n'utilise son épouse comme proxy, et ne quitte le FN en décembre 1998.

Bref, au plan local, le bilan du FN est désastreux.

Le PCF, lui, a appris depuis longtemps à jouer le jeu du compromis et de la négociation. Il a des élus au niveau local, maires, conseillers généraux et régionaux, et même des députés en passant des accords avec le PS. C'est un comble, quand on repense à son histoire, que le PCF puisse ainsi donner des leçons de fonctionnement républicain...

Marie-Georges Buffet aura ses 500 signatures, sans aucun problème. Elle fera un score lamentable, faute pour le PCF d'avoir rénové son idéologie au même titre que son acceptation des compromis.

Le Pen fera un bon score pour son idéologie inchangée depuis trente ans, mais galère pour trouver ses présentations faute pour lui d'avoir accepté les compromis qui impose une modération des idées.

Mais, me répondra-t-on, n'est-il pas scandaleux que celui qui était au second tour en 2002 ne pût pas être candidat en 2002 ?

Non, absolument pas.

Tout le monde se souvient du 21 avril mais semble avoir oublié le 5 mai 2002. Jean-Marie Le Pen, au deuxième tour, a obtenu 17,79% des suffrages, soit à peine plus que son score du premier tour (16,67%). C'est un refus massif, jamais vu en démocratie, dans une élection nationale à deux candidats. 82,21% des voix pour son adversaire... Même De Gaulle face à Mitterrand n'avait fait que 55,2%, le record précédent étant Pompidou face à Alain Poher avec 58,5%. Bref, Le Pen n'a clairement pas la moindre chance d'être un jour président de la République. Il est condamné à d'humiliantes défaites au second tour.

Dès lors qu'il est établi que Le Pen ne sera jamais un candidat sérieux, pourquoi serait-il antidémocratique qu'il soit écarté du scrutin par l'application des mêmes règles qui s'appliquent aux autres candidats ? Qu'il soit écarté par les élus avant le premier, ou par 82% des électeurs au second tour, le résultat est le même : la République ne veut pas de lui. Le système de sélection des candidats vise à écarter ceux qui perturbent le jeu démocratique plus qu'ils n'y participent.

Mais 15% des électeurs seront privés de candidat, me dira-t-on ?

La belle affaire : si pour eux c'est Le Pen ou rien, et bien ce ne sera rien, que Le Pen soit candidat ou pas. Ils ne peuvent plus l'ignorer depuis 2002. Qu'ils cherchent ailleurs le candidat le plus proche de leurs idées et votent pour lui, exigent de leur candidat qu'il mette de l'eau dans son vin et accepte d'intégrer le jeu démocratique, ou aillent à la pêche si cet effort intellectuel qu'est la participation à la démocratie est hors de leur portée. L'élection présidentielle n'est pas l'occasion de cracher dans une urne tout son mécontentement accumulé des années durant, c'est faire fonctionner la République qui est en cause. Qu'ils ouvrent un blog ; une élection, c'est sérieux.

Enfin, et pour conclure, la complainte des 500 signatures est à mon avis un joli air de pipeau.

En effet, que disent les candidats qui nous chantent le blues du parrainage ? Ils en sont tous à 420, 450, 480... Quel suspense !

Pas un seul candidat qui dise : Bon, j'ai péniblement obtenu 30 présentations, j'ai compris, grenouille, j'ai voulu me faire aussi grosse que le boeuf. Et non. Il faut se plaindre sans avoir l'air ridicule. Il faut y être presque. Bref, en quelques semaines, les parrainages sont tombés comme à Gravelotte, et, coquin de sort, ce sont toujours les 20 dernières présentations qui se font prier. Avec en prime la victimisation : on crie à la pression faite par son adversaire principal pour que des élus se dédisent de leur promesse de présentation, sans expliquer comment diable on fait pour surveiller 47000 élus.

Et surtout, c'est toujours un certain nombre de présentations qui manquent. Pour souligner l'aspect inique : voyez il m'en manque 20, 10, 7 ! Et si les présentations étaient abaissées à 400, gageons que ce serait : « regardez : j'en suis à 390, 395... »

Car avez-vous remarqué ? Pas un seul candidat qui se plaigne de la deuxième règle des présentations : le double plafond 30 départements- pas plus de 50 par département. Pourtant, ça doit singulièrement compliquer leur tâche. C'est quand même curieux que pas un seul, y compris Le Pen, ne dise : « j'ai 550, 600 présentations, mais il me manque un, deux ou trois départements, ou je dépasse le quorum de 50 dans plusieurs départements ». Ce serait pourtant une belle preuve de l'iniquité du système.

Mais voilà : 500 signatures, c'est facile à comprendre, ça passe bien. Geindre sur un double plafonnement un peu compliqué, ça passe beaucoup moins bien.

D'autant qu'il n'y a aucun moyen de vérifier l'état réel d'avancement des présentations : seul le candidat sait exactement où il en est.

En 2002, on entendait la même antienne. Et jamais il n'y eut autant de candidats. Les élections de 2002 ont elles été pour autant les plus démocratiques ?

Allons, bas les masques. Le Pen aura ses 500 signatures et sera candidat, s'il le veut. Reste à savoir s'il en a vraiment envie, à 78 ans, après une défait humiliante en 2002 qu'il essaie, avec un certain succès, de faire passer pour une victoire cinq ans après.

Quoi qu'il advienne de lui, ne comptez pas sur moi pour pleurer sur son sort en maudissant la République. Qu'elle me garde d'un président comme ce monsieur est exactement ce que j'attends d'elle, et de mes concitoyens.

Notes

[1] Une loi organique est une loi votée par le parlement selon une procédure légèrement dérogatoire, qui notamment prévoit la saisine systématique du Conseil constitutionnel. Les lois organiques sont prévues par la constitution qui renvoie à une telle loi les détails pratiques d'application de certaines dispositions de la constitution ; ainsi le statut de la magistrature relève-t-il d'une loi organique, de même que le vote du budget.

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