Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 28 mars 2007

mercredi 28 mars 2007

Rions un peu sur le dos du Monde et des peoples

Le producteur et animateur Jean-Luc Delarue a connu aujourd'hui les joies de la CRPC, la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (qui ne s'est jamais appelée le « plaider-coupable »), au tribunal de grande instance de Bobigny.

- Et pourquoi le tribunal de Bobigny, mon cher maître ?

- Ma chère lectrice ! Quelle joie de vous revoir !

- Vous me faites rougir. Vous savez que la curiosité m'attire inlassablement vers votre blog telle l'abeille vers la fleur.

- Gageons que l'aspect people est aussi le nectar qui vous attire. Le tribunal de grande instance de Bobigny est territorialement compétent pour l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, là où s'est posé l'avion qui transportait notre exubérant passager.

- Et qu'a donné cette audience ?

- Le Monde nous l'apprend : une condamnation à un stage de citoyenneté de trois jours, sous peine de deux mois de prison.

- Un stage de citoyenneté ? Et qu'est-cela, je vous prie ?

- L'article R.131-35 du Code pénal vous répond : le stage « a pour objet de rappeler au condamné les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité de la personne humaine et de lui faire prendre conscience de sa responsabilité pénale et civile ainsi que des devoirs qu'implique la vie en société. Il vise également à favoriser son insertion sociale.»

- Jean-Luc Delarue avait-il donc besoin qu'on lui enseigne ces valeurs et que l'on favorise son insertion sociale ?

- Il est permis d'en douter, les faits ayant eu lieu sous l'empire combiné de Bacchus et la pharmacopée. Ce d'autant que dans l'esprit du législateur, ce texte se destinait surtout aux sauvageons issus de nos exotiques banlieues vivant d'expédiants connus sous le vocable générique de "bizness". AJoutons que la menace de deux mois de prison s'il faillit à... trois jours de présence peut prêter à sourire.

- Voilà donc le rire sur le dos de Jean-Luc Delarue ?

- Plus largement, en bon français, je ris du ridicule des puissants, fût-ce d'une puissance seulement médiatique.

- Et pour le Monde ?

- C'est dans l'article que je viens de citer. J'aime quand les journalistes emploient du vocabulaire juridique qu'ils ne maîtrisent pas et boivent la tasse.

- Et où la tasse fut-elle bue ?

- Voyez vous même. L'article commence par ces mots : « L'animateur de télévision, Jean-Luc Delarue, a été condamné, mercredi 28 mars, à un stage de citoyenneté de trois jours ». L'article précise même que cette mesure sera inscrite à son casier judiciaire.

- Je vous suis.

- Suivez moi un peu plus loin, jusqu'à la fin de l'article.

- J'y lis : « Le stage de citoyenneté est une mesure alternative aux poursuites pénales. Mis en place en 2004, il est destiné à rappeler aux personnes poursuivies les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine ».

- Et oui. Le journaliste dit donc que l'animateur a été condamné... à une mesure alternative aux poursuites pénales !

- Spectaculaire contradiction !

- Bon, à la décharge du journaliste (en fait une agence de presse) : le stage de citoyenneté peut être ordonné à titre de mesure alternative aux poursuites, par le parquet, dans la cas d'un classement sous conditions (article 41-1, 2° du Code de procédure pénale). Mais la simple relecture aurait dû attirer l'attention de l'auteur sur cette contradiction dans le propos.

- Je reconnais bien là votre mansuétude, et m'étonnais que vous n'en usassiez point à l'égard du nouveau ministre de l'intérieur.

- Madame, je suis ainsi fait que je ne me mets en colère qu'une fois par jour, et qu'un imparfait du subjonctif comme celui dont vous venez de me gratifier fait de moi le plus doux des hommes.

- Vous allez encore me faire rougir : je me sauve afin de cacher mon trouble.

- Vous me dispensez donc de cacher le mien. Serviteur, Madame.

Harry Potter et la bave du crapaud

Désolé pour les fans de la série, le titre n'a rien à voir avec le sympathique sorcier du Surrey, mais je parle ici d'un apprenti sorcier de moindre talent.

(Je graisse)

Le ministre de l'Intérieur a indiqué que l'homme dont l'interpellation a déclenché les heurts était âgé de 32 ans et que les forces de l'ordre avaient, au total, procédé à 13 interpellations.

"Au départ, c'est un passager comme un autre, et ensuite on apprend que c'est quelqu'un qui est très défavorablement connu des services de police puisqu'il a 22 affaires signalées", a-t-il détaillé. "Il y a eu 13 interpellations", a-t-il ajouté, rendant "un hommage appuyé à toutes les forces de l'ordre" qui ont fait preuve d'un "grand sang-froid" et "accompli hier soir un travail tout à fait remarquable".

Plus tard, à la sortie du Conseil des ministres, il a précisé que "la personne qui a été à l'origine de ce contrôle qui a provoqué ces actes de violences inacceptables est un récidiviste défavorablement connu des services de police et de surcroît entré illégalement sur le territoire".

Ha, le départ de Nicolas Sarkozy m'avait laissé orphelin tel un Dumbledore après la disparition de Voldemort : j'avais perdu mon meilleur ennemi[1]. Je croyais qu'on m'avait mis un vulgaire Pettigrew pour assurer l'intérim, mais en fait, c'est plutôt un Lucius Malfoy[2]. Il ne vaut pas le maître, mais annonce un intérim distrayant.

Pourquoi cette charge ? Parce que cette méthode d'insinuation est absolument écoeurante, et indigne d'un ministre de la République (je peux le dire, j'ai deux drapeaux tricolores chez moi, et deux bicolores).

Hier, des incidents très graves ont eu lieu gare du nord. Pas graves en raison des dégâts matériels qu'ils ont provoqués, mais en raison de la présence de la télévision et de la proximité de l'élection, bien sûr. Comment désamorcer la bombe ? Mais en pointant du doigt. En l'occurrence, le voyageur resquilleur dont l'interpellation a été l'élément déclencheur de l'émeute : un "sans papier récidiviste". Immigration clandestine, récidive, bref, c'est la Némésis, l'incarnation, la prosopopée de l'Ennemi de Nicolas Sarkozy. Voyez, voyez comme il a raison, comme il a identifié l'ennemi, comme seul lui sait qui il faut combattre (bon, lui aussi, mais il compte pas).

Mais l'homme de raison, lui, que lit-il ?

Que le ministre déclare à la sortie du conseil des ministres que cette personne est un « récidiviste ».

Un récidiviste de quoi ? Un récidiviste. L'information se suffit à elle même, un récidiviste n'a par définition que ce qu'il mérite. S'agit-il d'un récidiviste du voyage sans payer ? Rappelons que la peine est de 45 euros d'amende, et que la récidive n'existe pas en la matière.

Le début de l'article apporte une précision : il a "22 affaires signalées". Tiens ? Je croyais qu'un récidiviste était une personne condamnée définitivement pour des faits et qui commettait à nouveau des faits identiques ou analogues dans un délai de 5 ans ? Pour le ministre de l'intérieur, non. C'est un délinquant signalé.

Mais signalé où ?

Au STIC, Système de Traitement des Infractions Constatées, que les magistrats du siège affectionnent tout particulièrement, quand ils ont un casier judiciaire (on dit un B1, pour bulletin numéro 1) néant, mais que la police leur joint leur listing du STIC pour montrer que c'est peut être un primo-délinquant, mais s'il pouvait avoir un prix de gros, ça leur ferait plaisir. Je dis "affectionnent" ironiquement, bien sûr : la plupart ne le lisent même pas, et sont agacés de le voir figurer au dossier.

Le STIC est un fichier tenu par la police où sont entrées toutes les personnes entendues dans une affaire de police. Victimes comprises. Peu importe qu'aucune suite judiciaire ne soit donnée aux faits (parce que, par exemple, heu... ils ne sont pas vrais), vous êtes fiché. Pendant 20 ans. Et jusqu'en 2001, ce fichier fonctionnait en toute illégalité (mais on apprend vite qu'une illégalité commise par l'Etat est moins grave que celle commise par un séjour irrégulier qui fait trembler la République sur ses fondations). Ce fichier contient aujourd'hui 5 millions de mis en cause, dont la majorité n'a pas fait l'objet de poursuites.

Mais 22 signalements, quand même, il a bien dû y avoir une ou deux affaires qui l'ont amené devant la justice ?

Ce n'est même pas sûr, puisque la dépêche nous apprend qu'il fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, qui est une simple mesure administrative, résultant soit d'un refus de carte de séjour (antérieur au 29 décembre 2006, la loi a changé depuis) ou d'une interpellation dans la rue ou devant une école maternelle. Or s'il avait été condamné par un tribunal, il ferait l'objet d'une interdiction du territoire, qui est une sanction pénale.

Bref, le récidiviste pointé du doigt par le ministre a peut être bien un casier judiciaire vierge (si on exclut l'APRF qui y est mentionné, mais qui n'est pas une peine, j'insiste sur ce point, c'est uniquement pour que la justice sache que cette personne commet un délit de maintien sur le territoire malgré une décision d'éloignement).

N'empêche, m'objectera-t-on, il a commis au moins deux infractions. J'en conviens, l'une passible de 45 euros d'amende, l'autre d'un an de prison maximum. On est loin du récidiviste suggéré par le ministre. Et je doute fortement que ce soit lui qui ait causé les dégâts dans la galerie marchande, puisqu'il était en garde à vue dans le commissariat de la gare du Nord qui se trouve précisément dans cette galerie pendant les faits. Rien ne me laisse penser que les auteurs de ces destructions connaissaient seulement notre voyageur radin, tant les clandestins savent que pour rester en France, il faut par dessus tout éviter les ennuis, et que cela s'applique à des amis.

Je ne sais pas ce qui s'est passé au juste hier soir. J'ai tendance à être du côté des services de police plutôt que de ceux qui ont causé le désordre qui a permis à des casseurs de se livrer à leurs déprédations. Je m'interroge simplement sur le fait que le banal contrôle d'un voyageur sans ticket, qui, s'il s'était échappé, aurait fait perdre 45 euros à la RATP, dégénère à ce point en sept heures d'émeute en plein Paris.

Mais tenter de justifier l'action des forces de l'ordre en insinuant que ce serait la faute d'un sans papier récidiviste, c'est à vomir.

Bienvenue à votre poste, Monsieur Baroin. Je vous aime déjà.

Notes

[1] Dans tous les dossiers de droit des étrangers allant au contentieux, mon adversaire est un préfet, soumis hiérarchiquement au ministre de l'intérieur, et parfois le ministre de l'intérieur lui-même.

[2] Que l'on traduit en français par Mauvaisefoi.

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