Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 23 mars 2007

vendredi 23 mars 2007

Le prophète, oui, les policiers, non ? (Ou : l'affaire Placid)

Au lendemain de la relaxe de Charlie Hebdo dans l'affaire des caricatures, je voudrais aborder une autre affaire qui circule sur internet, et que plusieurs lecteurs m'ont signalée : l'affaire Placid, ou de la caricature porcine de la police.

Le 18 janvier dernier, la 11e chambre de la cour d'appel de Paris (celle-là même qui examinera un éventuel appel dans l'affaire Charlie Hebdo) a condamné l'auteur, l'éditeur et l'illustrateur d'un livre, à des peines d'amendes pour diffamation envers une administration publique, en l'espèce notre police nationale bien-aimée, au comportement toujours irréprochable.

C'est du dessinateur, Placid, que l'on parle surtout, puisqu'il a été également condamné pour la couverture de cet ouvrage, qui pourtant semble d'un premier abord verser dans l'art de la caricature pour qui la justice a d'habitude les yeux de Chimène, et dont la condamnation entraîne une chaîne de solidarité chez de nombreux dessinateurs.

Quelques explications s'imposent sur cette affaire, dont vous vous ferez ainsi votre opinion de manière éclairée.

Clément S., magistrat (quel joli prénom pour un magistrat...), membre du syndicat de la magistrature, plutôt marqué à gauche, a écrit un livre se voulant un guide du citoyen face à un contrôle d'identité. Cédant sans doute à certaines sirènes de la mercatique, le livre adopte un ton provocateur, puisqu'il est intitulé "VOS PAPIERS !", sous titré : "Que faire face à la police ?". Le dessin de couverture est dans cet esprit, puisqu'il représente un policier guère sympathique. Enfin, à l'intérieur, l'auteur impute expressément à la police dans son ensemble et de manière systématique la pratique de contrôles "au faciès", pratique au demeurant totalement illégale.

Le ministère public, saisi d'une plainte déposé par le ministre de l'intérieur, engage des poursuites contre l'éditeur, ès qualité de directeur de la publication, et l'auteur, en tant que complice de diffamation pour l'imputation des contrôles au faciès.

Je précise d'emblée que les faits remontant à 2001, c'est Daniel Vaillant, ministre socialiste, qui a déposé plainte, pas le futur ex ministre futur président (ou pas)[1].

Le ministère public poursuit également l'éditeur, toujours ès qualité de directeur de la publication, et le dessinateur en tant que complice, pour injure envers une administration publique pour le dessin de couverture.

Voici le corps du délit (notez la bave aux lèvres, elle jouera son rôle) :

En 2005, la 17e chambre du tribunal de Paris relaxe tout le monde en retenant la bonne foi pour la diffamation, et, pour l'injure, avait estimé que ce dessin, certes peu sympathique envers la police,

donnant à un représentant de la loi un visage à la frontière de l'homme et de l'animal, dénué de toute prétention au réalisme anatomique, mais suggérant une certaine faiblesse intellectuelle derrière l'affirmation agressive d'une autorité sure d'elle-même, relève du genre de la caricature. Il illustre la couverture d'un ouvrage militant qui entend dénoncer les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre procéderaient, contre l'esprit de la loi, à des contrôles d'identité abusifs. Il participe donc, non pas de la stigmatisation de l'administration elle-même, mais des pratiques imputées à ses membres, ou à certains d'entre eux, par la caricature d'un fonctionnaire de police représenté non pas en tant que tel, mais en tant qu'il fait usage sans discernement ni humanité, des prérogatives que lui donne la loi en matière de contrôles d'identité. stigmatisait . Le parquet fait appel. Le 18 janvier, l'arrêt est rendu et, infirmant le jugement, condamne tout le monde.

Le dessin ne portaient donc, selon le tribunal, pas atteinte à la dignité des policiers et ne révélaient aucune intention de nuire.

Le parquet a fait appel, et le 18 janvier dernier, la cour d'appel de Paris a infirmé ce jugement et au contraire condamné les prévenus.

Et voici le résumé de la décision en question. Les gras sont de moi.

Sur la diffamation :

Les prévenus, respectivement directeur de publication et magistrat, sont poursuivis pour diffamation publique et complicité de diffamation publique envers une administration publique à la suite de la publication d'un livre, écrit par le magistrat, sous l'égide d'un syndicat de magistrats, relatif aux pratiques des contrôles d'identité effectués par la police. Les propos poursuivis imputent à l'ensemble des services de police des pratiques arbitraires et discriminatoires par la mise en oeuvre de contrôles d'identité "au faciès", c'est-à-dire fondés sur l'origine ethnique supposée des personnes contrôlées. Imputer à la police, non pas des dysfonctionnements ponctuels, mais la commission délibérée et à grande échelle d'infractions pénales de discrimination porte atteinte à l'honneur et à la considération de la police nationale. Les propos sont donc diffamatoires.

Voilà ce qui est reproché à l'auteur : avoir imputé ces pratiques, clairement illégales puisque discriminatoires, à l'ensemble de la police. La cour ne nie pas que de tels contrôles existent. Ce serait absurde. Mais dire que certains policiers font de tels contrôles n'a rien de répréhensible. D'ailleurs, démonstration : je l'affirme ici. Voyez si je vais être poursuivi. Mais les propos de l'auteur ne visait pas une catégorie restreinte de policiers, mais la police dans son ensemble. Dès lors, c'est la police qui était diffamée.

Mes lecteurs qui ont lu mon commentaire du jugement dans l'affaire Monputeaux savent que celui qui tient des propos diffamatoires, comme l'étaient ceux du blogueur prévenu dans ladite affaire, peut échapper à toute condamnation s'il démontre qu'il a agi de bonne foi. C'est précisément ce qu'ont tenté de faire l'auteur et l'éditeur, en vain.

Les prévenus ne peuvent bénéficier de la bonne foi. Le but de l'ouvrage apparaît légitime puisqu'il consiste à informer les lecteurs de l'état de la législation sur les contrôles d'identité et de leurs droits. Il n'existe pas d'animosité personnelle du rédacteur du livre envers la police nationale. En revanche, le fondement sérieux de l'allégation n'est pas établi. S'il existe un débat sur la pratique des contrôles d'identité, il n'est pas démontré qu'il existerait des pratiques illégales de grande ampleur de la police en la matière. L'ouvrage qui se présente comme un guide juridique, exigeait un effort particulier de rigueur. Le propos réducteur est d'autant moins légitime que l'auteur du livre est un magistrat judiciaire qui connaît la réalité des compétences des services de police. De plus, le livre a été publié au nom d'un syndicat de magistrats, et cette référence accréditait l'exactitude des propos y figurant. Enfin, l'auteur n'a pas fait preuve de prudence dans l'expression en affirmant sans réserve et de manière péremptoire l'existence d'une pratique reprochée à l'ensemble de la police nationale. L'usage d'un ton polémique est en totale contradiction avec le but affiché de l'ouvrage.

Les prévenus sont donc condamnés. Notez au passage que la qualité de magistrat (du parquet, à l'époque de la publication...) de l'auteur de l'ouvrage est retenu à charge contre le prévenu, pour écarter la bonne foi. Voilà pour les rumeurs de corporatisme judiciaire (bon, il y en aura toujours pour dire que les magistrats de la cour étaient à l'Union Syndicale des Magistrats...).

Maintenant, sur le dessin. Les prévenus sont cette fois l'éditeur et le dessinateur.

Un dessin, qui figurait en première et dernière page de couverture du livre, représente un policier affligé d'un groin et coiffé d'une casquette de gardien de la paix, prononçant les mots "vos papiers". Le dessin comporte la légende "Que faire face à la police ?". Ce dessin constitue une caricature et le genre de la caricature n'autorise pas les représentations dégradantes.

Le policier est représenté comme un être à la limite entre l'homme et l'animal par sa figure porcine, ayant la bave aux lèvres, montrant les dents et ayant les yeux exorbités. Le personnage exprime ainsi l'agressivité voire la haine et la représentation du policier est dégradante. La volonté délibérée de donner une image humiliante et terrifiante de la police est donc établie et le dessin vise l'institution de la police nationale dans son ensemble. Il était totalement dépourvu de légitimité dès lors qu'il se trouve en contradiction avec le style du livre, qui est dépourvu de vocation humoristique ou pamphlétaire. En outre, ce livre a été publié sous l'égide d'un syndicat de magistrats, qui n'ignorait pas le caractère extrêmement provocateur du dessin. Ce syndicat aurait dû faire preuve d'une plus grande retenue dans l'illustration du sujet traité et dans la représentation de la police. Le dessinateur avait reçu du syndicat la commande du dessin et il savait que celui-ci servirait à illustrer l'ouvrage en question. Les faits ont donc été commis en connaissance de cause. Les délits (injure et complicité d'injure) sont ainsi caractérisés.

L'éditeur est condamné pour les deux délits à une amende de 800 euros ; l'auteur à une amende de 1000 euros (outre le fait qu'il peut faire l'objet d'une procédure disciplinaire) et le dessinateur à une amende de 500 euros.

L'auteur a formé un pourvoi en cassation, l'éditeur, je ne sais pas, le dessinateur, je sais que non.

Evidemment, le mot "censure" est abondamment invoqué dans cette affaire. A tort. Le retrait du livre n'a pas été ordonné (mais en cas de réédition en l'état, les délits seraient à nouveau commis). Les deux décisions, même celle condamnant, reconnaissent implicitement la réalité du comportement dénoncé et estiment légitime la démarche de l'auteur. C'est l'analyse du texte et du dessin qui diverge.

On peut regretter cette décision de la cour d'appel ; j'avoue en être, aimant la liberté d'expression jusque dans ses excès. Mais je ne dis pas le droit, j'en propose juste une interprétation plus ou moins imaginative selon la détresse de mon client.

S'en indigner est en revanche injustifié. La même dénonciation et la même information auraient pu être données avec un ton plus modéré, sans perdre de leur pertinence, au contraire même. Gardons nous en tout cas d'invoquer des mots trop forts, il n'y en a eu que trop dans cette affaire. Dans les pays où la censure existe vraiment, dénoncer publiquement les méfaits de la police fait encourir bien pire que mille euros d'amende.

POUR EN SAVOIR PLUS :
- Le Syndicat de la magistrature propose les copies intégrales de ces décisions sur cette page (ce sont les PDF à la fin du communiqué).

-Le dessinateur a écrit cette lettre ouverte où il exprime son désarroi.

Notes

[1] Quelque chose me dit que ma formule est un peu confuse...

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