Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 3 juin 2008

mardi 3 juin 2008

Eolas sur France Info

Je suis invité sur France Info tout à l'heure à 18h45 pour un débat sur le fameux mariage annulé. Pour ceux qui ne connaissent pas le nouveau ton de France Info depuis la rentrée, les débats se veulent courts et polémiques.

J'ignore pour le moment quel sera mon contradicteur censé dire pis que pendre sur ce jugement. Si vous aimez le droit contre le bon sens, vous allez être servis.

Si vous avez des réactions, observations, questions, les commentaires sont à vous.

Mise à jour : mon contradicteur sera Madame Aurélie Filipetti, député SRC de la 8e circonscription de Moselle.

Le blog d'Aurélie Filipetti.


Bon, debriefing. Je m'attendais un peu à ce résultat, en moins pire, peut-être (c'est mon inébranlable foi dans l'homme)

Le “débat” médiatique n'a rien à voir avec le débat judiciaire. Le premier singe le second. La galanterie et la politesse qui veulent qu'on laisse parler son adversaire sont clairement des handicaps dans le premier, et l'ignorance du droit, un atout.

Mais je chicane sans doute : j'applique la loi, le député ne fait que la voter.

Difficile de réagir sous un tel déluge de sottises, avec tout le respect que je dois à madame le député. Tromperie sur la marchandise (qui insulte les femmes, là ?), clauses abusives (femmes, forfait millenium, même combat), parallèle sordide avec l'excision (qui est un crime passible de la cour d'assises dont les victimes sont de jeunes enfants et l'auteur leurs propres parents), et cerise sur le gâteau : la Convention européenne des droits de l'homme invoquée pour refuser la liberté de conscience (protégée par l'article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme) et dire qu'on ne peut laisser dire des choses en République (comment ça, liberté d'expression, article 10 de la convention ?).

Je crois que ce qui m'agace le plus, au-delà de la démagogie du propos, est qu'au nom de la défense des femmes, on sacrifie une femme. Elle est débarrassée d'un mariage dont elle ne veut plus, elle en est soulagée ? Peu importe. On va la remarier ; pour le droit des femmes. Les féministes prêtes à sacrifier toutes les femmes une par une pour la Cause commettent pour moi le crime de Haute Trahison.

Hop, l'émission pour ceux qui veulent ré-écouter :

(Merci MsieurDams)


Mise à jour 23h30 : Une réflexion qui vient de me venir. oui, un peu tardivement, je sais, mais qui peut expliquer le fait que Catherine Pottier ne m'ait posé que des questions fermées et ait volontiers repris la parole. Un incident m'est revenu en mémoire.

Alors que j'ai été contacté en début d'après midi par l'assistant de Catherine Pottier et que rendez-vous avait été pris, quand je l'ai eu au téléphone pour la préparation technique, il m'a demandé de lui confirmer que j'étais bien avocat. Ce que j'ai fait. Il m'a alors demandé si je voulais bien donner mon nom. Ce que j'ai fait. Merci soulagé, et c'était presque l'heure du débat.

Je me demande dans quelle mesure Catherine Pottier n'a pas découvert à la dernière minute que l'un de ses invités était en fait un anonyme bloguant comme avocat, et qu'il allait passer en direct sans qu'on ait vérifié son sérieux, et que ça ne lui plaisait pas. Je la comprendrais tout à fait, surtout avec les récentes affaires Delarue et Elkabach. Elle réagirait en journaliste en vérifiant ses sources. D'où sa présentation : «maitre Eolas qui se présente comme avocat au barreau de Paris» ; le fait qu'elle ne me pose que des questions fermées (Combien de recours en annulation ? Est-ce le rôle du juge de statuer là dessus ? Faut-il légiférer ?) qui évitent de m'inviter à donner une opinion, de peur que je sois un farfelu, alors qu'en plus en face elle a une personne nommée, connue, et légitime (élue du peuple ET porte-parole du groupe SRC) - la tolérance n'étant pas une exigence à ce niveau.

Si tel est le cas, comment lui en vouloir ? Elle n'aurait pas été professionnelle si elle n'avait pas été prudente.

Dati en shorter

Shorter : « La justice permet aux jeunes filles d'être libres, il faut donc faire appel de ce jugement. »

NB : Humour inside.

Assignation en référé du ministre de la défense

Oh ! Un billet où on ne parle pas de virginité !

Hervé Morin, ministre de la défense (qui serait vierge s'il était né une semaine plus tard), va être assigné aux côtés du général Parayre (cinq étoiles au-dessus de sa pucelle) devant le tribunal de grande instance de Paris par huit gendarmes en exercice.

— Pourquoi le tribunal de grande instance de Paris ?

Parce que l'État major de la gendarmerie, où se trouve le bureau du général, est à Paris, dans les locaux du ministère de la défense.

— Mais pourquoi le tribunal de grande instance ? Je croyais que depuis un divorce (ou était-ce une annulation de mariage ?) de 1790, le juge judiciaire ne mettait plus son nez dans les affaires de la chose publique ?

Certes, mais c'est là un principe juridique. Or le droit est la science où les concepts immaculés sont souillés d'exceptions. Et il en est une née pour garantir les libertés, et que nous devons, que l'Histoire aime l'ironie, à l'Action Française, connue pourtant pour ne guère aimer celles-ci : c'est l'exception de la voie de fait.

En effet, le 7 février 1934, le préfet de police a fait saisir d'autorité le journal l'Action Française, organe du mouvement éponyme. La société du journal a porté l'affaire devant les tribunaux judiciaires, arguant du fait que la loi du 29 juillet 1881 (toujours en vigueur aujourd'hui) permettait aux tribunaux d'ordonner la saisie des journaux, mais certainement pas au préfet d'y procéder de son propre chef. Le préfet de police estima qu'on ne pouvait poursuivre le préfet de police devant les juridictions judiciaires, au nom du respect de la loi qu'il venait de piétiner, et non pour mettre un obstacle sur la voie judiciaire de ses adversaires, bien entendu.

Le Tribunal des Conflits, juridiction dont le seul rôle est de dire quel juge est compétent, du judiciaire ou de l'administratif, par un arrêt[1] du 8 avril 1935 a donné tort au préfet de police, relevant qu'il n'était pas justifié que la mesure ordonnée, portant atteinte à la liberté de la presse, ait été indispensable pour assurer le maintien ou le rétablissement de l'ordre public, et que dès lors elle constituait non un acte légitime de l'administration mais une voie de fait : le préfet était donc abandonné au bras séculier de la justice judiciaire.

La théorie de la voie de fait pose, comme le dit le site du Conseil d'État, que l’action de l’administration, qui s’est placée hors du droit, étant en quelque sorte dénaturée, il n’y a plus matière à en appeler à la séparation des fonctions administratives et judiciaires pour limiter la compétence de l’autorité judiciaire. Le juge judiciaire est ainsi investi d’une plénitude de juridiction : il a compétence tant pour constater la voie de fait, que pour enjoindre à l’administration d’y mettre fin et pour assurer, par l’allocation de dommages et intérêts, la réparation des préjudices qu’elle a causés. Bref, l'administration doit être une rosière pour rester à l'abri de la concupiscence judiciaire.

Revenons en à nos gendarmes : ceux-ci estiment que la lettre du chef d'État-Major de la gendarmerie les enjoignant de démissionner de l'association qu'ils ont créée, et ce sous huit jours à peine de sanctions, constitue une atteinte manifestement illicite au droit d'association et d'expression, et constitue donc une voie de fait entraînant compétence judiciaire.

J'avoue être réservé sur ce raisonnement (mais j'ignore tout du dossier, la réserve est importante). Le Monde est équivoque en écrivant que « Le président du tribunal de grande instance de Paris a décidé, lundi 2 juin, d'autoriser l'association "Forum gendarmes et citoyens" à assigner en référé le directeur général de la gendarmerie nationale (le général Guy Parayre), ainsi que le ministre de la défense (Hervé Morin), en fixant au jeudi 5 juin la date de cette audience, où les deux parties seront représentées par leurs avocats », ce qui peut laisser croire que la question a été tranchée.

Visiblement, il s'agit d'une simple autorisation d'assigner en référé d'heure à heure : quand un demandeur estime avoir des motifs légitimes d'obtenir très rapidement une décision de justice eu égard à l'urgence (un jugement de fond peut tarder un à deux an, un référé un à trois mois), il peut demander au président du tribunal l'autorisation de doubler tout le monde. Pour un jugement au fond, on parle d'assignation à jour fixe[2], et pour un référé, d'heure à heure[3] (la loi prévoit même que l'audience peut se tenir au domicile du magistrat, toutes portes ouvertes jusqu'à la rue pour respecter la publicité de la procédure). Cette autorisation se sollicite par requête, que l'on va présenter au président dans son bureau (à Paris, un magistrat délégué est à notre disposition). Il lit la requête, écoute nos explications, nous pose des questions, et s'il accepte, nous indique quand aura lieu l'audience, et jusqu'à quand nous avons pour faire délivrer notre assignation, à peine de caducité de son autorisation.

C'est cette étape là qui vient d'être franchie : le président a estimé que les gendarmes ayant huit jours pour obtempérer à peine de sanctions, ils sont légitimes à demander une décision avant l'expiration de ce délai. C'est tout : le juge n'a pas encore défloré la question de la compétence judiciaire : elle le sera à l'audience jeudi, soit par le ministre ou le général, soit d'office par le juge, la question étant d'ordre public. Si le juge se reconnaît compétent, le préfet de police pourra exercer une voie de recours spéciale, en prenant un arrêté de conflit, qui porte l'affaire devant le Tribunal des Conflits. S'il se déclare incompétent au profit de la juridiction administrative, les demandeurs devront former leur recours de l'autre côté de la Seine (en vélib', il y en a pour cinq minutes à peine).

M'est avis, amis juristes, vu la jurisprudence postérieure à Action Française, notamment l'arrêt Tribunal de grande instance de Paris du 12 mai 1997, et la création des référés administratifs comme le référé-suspension et le référé liberté, que la compétence judiciaire en raison de la voie de fait est ici plus que douteuse. La voie de fait est un tendron pour les professeurs de faculté, mais on ne la voit plus guère danser dans le bal des prétoires.

Réponse bientôt. En tout cas, ça fait du bien un post sans mention de virginité, non ?

Notes

[1] Le tribunal des conflits est le seul tribunal de France à rendre non pas des jugements mais des arrêts.

[2] art. 788 et s. du Code de Procédure Civile (CPC).

[3] Art. 485 alinéa 2du CPC

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