Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 11 juin 2008

mercredi 11 juin 2008

Brèves de justice

Deux nouvelles rapides pour cause d'agenda chargé :

Suite de l'histoire des gendarmes qui ont assigné en référé le ministre de la défense :
Le divorce de 1790 ne sera pas annulé cette fois ci, les gendarmes ont fait une erreur sur les qualités essentielles de la juridiction judiciaire. Le juge des référés s'est déclaré incompétent, estimant que la mise en demeure faite aux gendarmes d'avoir à démissionner sous peine de sanctions n'était pas une voie de fait. Les gendarmes ont de toutes façons d'ores et déjà démissionné. Du coup, un référé administratif pour que les gendarmes se refassent une virginité judiciaire me paraît avoir peu de chance d'aboutir, faute d'urgence, et la décision attaquée ayant déjà épuisé ses effets. Défaite judiciaire, mais victoire médiatique.

On ne peut être juge et partie, mais peut-on être juré et partie ?
C'est la question que se pose un peu hâtivement la presse en relatant l'histoire d'un homme a été tiré au sort pour être juré d'assises… à la session qui le jugera pour une accusation de meurtre. Un peu hâtivement car comme d'habitude, lire mon blog aurait évité une dépêche qui présente comme insolite et cocasse une situation impossible puisque la loi a prévu depuis longtemps cette hypothèse. J'ai déjà parlé de la désignation des jurés d'assises dans un vademecum en trois parties (et un, et deux et trois, c'est tout). Mes lecteurs ont donc pu s'esclaffer face à un emballement médiatique, car ils savent que nous sommes au mois de juin. Dès lors, ils ont immédiatement compris que le tirage au sort ne concernait que la liste préparatoire, faisant suite à l'arrêté préfectoral pris au mois d'avril par le préfet pour fixer le nombre de personnes devant être tirées au sort dans chaque commune. Chaque citoyen tiré au sort a reçu une lettre lui demandant sa profession. C'est cette lettre qui est à l'origine de la dépêche.

Mes lecteurs savent aussi qu'en septembre se réunira la commission de révision de la liste, qui écartera les tirés au sort inaptes à être jurés.

Et enfin mes lecteurs, qui sont fort doctes, savent également que la loi exclut de la liste les personnes devant elles même comparaître devant une cour d'assises (on parle d'état d'accusation), ou qui font l'objet d'un mandat de dépôt ou d'arrêt.

Bref, que cette affaire n'en est pas une et n'atteindrait même pas le stade de l'anecdote si les journalistes avaient fait leur travail (en l'espèce lire l'article 256 du CPP ou à défaut mon blog) et avaient recherché une autre source que le propre avocat de l'accusé (on ne peut être juge et partie, remember ?). L'avocat de l'accusé, ravi de l'aubaine, en a profité pour former une demande de renvoi du procès et de remise en liberté au nom de la présomption d'innocence et afin de permettre à son client d'assumer ses obligations civiques. Demande qui va immanquablement se fracasser sur les récifs de l'article 256 du Code de procédure pénale. Avec en prime une formule choc qui a fait florès : sa chance sur un milliard, alors que dans les Bouches du Rhône, les probabilités d'être juré sont de l'ordre de 2000 (nombre de jurés tirés au sort dans le département, arrêté préfectoral du 7 mars 2007) sur 1.260.808 (nombre d'inscrits sur les listes électorales en 2007, source : ministère de l'intérieur) soit… 0,16% chaque année ; plus en fait car il faut exclure les électeurs de moins de 23 ans et ceux qui sont détenus (les mauvaises langues diront que dans ce département, ce sont bien souvent les mêmes).

Une non affaire qui a fait l'objet à ce jour d'une reprise dans 48 organes de presses à en croire Google actualité. Mention spéciale à 20 Minutes qui ne se pose pas de questions et affirme qu'il sera même juré à son propre procès. Ce n'est pas parce qu'on est gratuit qu'on doit ne pas valoir grand chose.

Que des journalistes trouvent l'histoire amusante et décident d'en faire un article pour boucher un trou, je peux le comprendre. Mais là où je peste et je trouve qu'on en arrive à la faute, c'est que reprendre des histoires pareilles sans se poser de questions contribue à donner l'impression que vraiment, la justice, c'est n'importe quoi, puisqu'un homme peut être juré à son propre procès. Et une goutte d'eau dans la mer des clichés sur la machine stupide qui fonctionne en vase clos sans qu'un gramme de “bon sens” ne vienne humaniser tout ça etc. etc.

Alors que le Code de procédure pénale, et avant lui le Code d'instruction criminelle de 1810 avaient prévu cette hypothèse. Ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'est que les journalistes puissent s'abandonner à la facilité.

Projet de loi pénitentiaire : Chéri, j'ai inventé l'eau tiède ?

Par Gascogne


J'ai entendu et lu dans de nombreux média, ce matin, que le projet de loi pénitentiaire, serpent de mer que les professionnels attendent depuis des décennies, serait dans les tuyaux. Des fuites savamment orchestrées ont permis à l'AFP d'avoir une copie du projet, qui s'est ainsi retrouvé dans la plupart des journaux. Aucun avant projet n'a bien sûr été communiqué aux syndicats professionnels, la presse restant le principal contact du Ministère.

J'ai tout d'abord tiqué lorsque j'ai entendu à la radio que l'objet principal de la loi était une extension du placement sous "bracelet électronique" afin d'éviter la détention provisoire. Renseignements pris sur le site du Nouvel Observateur, qui en publie les principaux points, le nouveau texte reprendrait le principe que "toute personne mise en examen doit demeurer libre", lequel existe déjà dans le Code de Procédure Pénale. Il ajouterait que la personne mise en examen pourrait toutefois être assignée à résidence sous surveillance électronique.

Pourtant, lorsqu'on lit l'actuel article 138 du Code de Procédure Pénale, on peut y découvir que la loi du 9 septembre 2002 a prévu l'assignation à domicile sous surveillance électronique comme une obligation du contrôle judiciaire : "Le contrôle judiciaire astreint la personne concernée aux obligations suivantes : 2° Ne s'absenter de son domicile ou de la résidence fixée par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention qu'aux conditions et pour les motifs déterminés par ce magistrat ; L'obligation prévue au 2° peut être exécutée, avec l'accord de l'intéressé recueilli en présence de son avocat, sous le régime du placement sous surveillance électronique, à l'aide du procédé prévu par l'article 723-8. Les articles 723-9 et 723-12 sont applicables, le juge d'instruction exerçant les compétences attribuées au juge de l'application des peines."

Donc, sauf disposition dont les journalistes ne parlent pas, ce qui reste tout à fait possible, il s'agit là d'un effet d'annonce. La seule disposition intéressante consiste en une "simplification" du placement sous bracelet électronique, qui est il est vrai un peu compliqué actuellement (enquête sociale, accord obligatoire de l'intéressé et des personnes vivant au foyer, vérifications tenant à la ligne téléphonique...). Reste à savoir ce que cela recouvrira.

Il est ensuite indiqué que les possibilités d'aménagements de peine sont étendues aux peines ou reliquats de peine allant jusqu'à deux ans d'emprisonnement, contre un an actuellement (art. 723-15 du CPP). L'objectif est louable, bien qu'il fasse partie de ces injonctions contradictoires que le législateur lance de plus en plus souvent aux juges pénaux : incarcérez toujours plus (lois sur la récidive, peines planchers), mais éviter une exécution pure et simple de ces peines. J'y vois tout de même une réserve de taille. Tous les travailleurs sociaux et les JAP vous diront qu'un aménagement de peine au delà de six mois est très difficile à tenir pour le condamné. En effet, autant la personne incarcérée subit passivement sa peine en prison, autant dans le cadre d'un aménagement de peine, par exemple une semi-liberté ou un placement sous surveillance électronique, le condamné doit faire l'effort de participer à sa restriction de liberté, en rentrant tous les soirs dans son quartier de semi-liberté, ou en ne sortant pas de chez lui. Ce qui, au bout de quelques mois, peut devenir très difficile, participer à son propre enfermement n'étant pas nécessairement très naturel.

Autre nouveauté : l'obligation, sauf opposition du condamné ou risque de récidive, d'exécuter sous forme de placement sous bracelet électronique les peines inférieures ou égales à six mois et dans les cas où il reste quatre mois à exécuter (a priori, ce ne sont pas des conditions cumulatives, qui seraient difficiles à remplir). Une fois de plus, on ne fait pas confiance au juge qui doit décider sans possibilité de choix. Une "compétence liée" de plus. Peut-être bientôt le transfert de ce genre de mesures à l'administration.

Au titre des mesures tenant au fonctionnement des prisons, on trouve une limitation des jours de placement en cellule disciplinaire à 21 jours, et jusqu'à 40 jours pour les violences physiques, contre 45 jours actuellement pour les fautes du premier degré (art. D 251-3 du CPP).

Enfin, la loi pénitentiaire reviendrait une fois de plus sur l'encellulement individuel, principe qui s'est transformé en exception depuis de nombreuses années, ce qui ne devrait pas changer puisque la nouvelle loi prévoit, tout comme la précédente du 12 juin 2003 (art. 716 du CPP), une possibilité de dérogation pour les cinq années à venir. La France devrait encore écoper de quelques condamnations devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

Je passe sur les dispositions concernant la prise en charge des détenus à leur arrivée, ainsi que les missions du personnel pénitentiaire, lesquelles, de ce que je peux en lire, ne bouleversent en rien ce qui existe actuellement.

Au final, je ne doute pas que la grande loi pénitentiaire prévoira surtout plus de moyens pour faciliter la réinsertion, et donc l'absence de récidive, des détenus. Actuellement, un Conseiller d'Insertion et de Probation, élément central de la prise en charge des détenus, gère entre 120 et 150 dossiers de personnes condamnées.


Mise à jour du 12 juin 2008 :

La Chancellerie est réactive : un décret vient d'être publié au JO de ce jour concernant l'encellulement individuel et l'allongement des durées de parloir, deux dispositions qui doivent il me semble faire partie de la loi pénitentiaire. Les textes d'application avant les textes à appliquer, si ça ce n'est pas de l'efficacité...

Décret n° 2008-546 du 10 juin 2008 relatif au régime de détention et modifiant le code de procédure pénale

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.

Calendrier

« juin 2008 »
lun.mar.mer.jeu.ven.sam.dim.
1
2345678
9101112131415
16171819202122
23242526272829
30

Contact