Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 16 juin 2008

lundi 16 juin 2008

Merci Bernard

Par Dadouche



Rachida Dati était ce matin l'invitée du 7/10 de France Inter, où elle a répondu aux questions d'auditeurs (après avoir peu répondu à celles de Nicolas Demorand).

A 8 h 48, Bernard, de l'Eure, lui a tenu à peu près ce langage : "pourquoi cet acharnement contre les jeunes ? L'aménagement de la majorité pénale, le nouvelle révision de l'ordonnance de 45, la multiplication des CEF, la construction d'EPM qui sont pleins à peine terminés de construire... N'est-ce pas là qu'il faut donner la priorité à la réinsertion ?

Dans la réponse de la Ministre, les informations suivantes, qu'il ne paraît pas inutile de compléter :

-il n'y a aucune surpopulation carcérale des mineurs

C'est vrai (au plan national, parce que localement ça dépend où).
Encore heureux, compte tenu du nombre de places ouvertes cette année. En effet, 4 établissements pénitentiaires pour mineurs ont été ouverts, chacun d'une capacité d'environ 60 places.

- depuis un an le nombre de mineurs détenus a diminué de près de 4 %

Si l'on observe ici les dernières statistiques mensuelles relatives aux mineurs écroués, on constate que le nombre de mineurs détenus a oscillé entre 600 et 825 durant les deux dernières années. Au 1er mai 2008, ils étaient 771, soit dans la moyenne. Au 1er mai 2007, ils étaient 712.

- la plupart des mineurs considérés comme primo-délinquants, quand ils sont jugés pour la première fois, ont en réalité déjà commis des infractions, majoritairement 20, 30 ou 40 affaires.

J'aimerais connaître les statistiques qui permettent cette affirmation, qui contredit complètement l'expérience de nombreux juges des enfants. Les Parquets n'ont pas attendu la circulaire prise en 2007 par Mme la Ministre pour poursuivre les mineurs auteurs d'infractions pénales.
J'ai pris mes fonctions de juge des enfants en 2006 et, dans la juridiction où j'exerce, les mineurs étaient déjà systématiquement poursuivis s'ils avaient déjà fait l'objet d'une ou deux mesures alternatives, voire immédiatement pour les faits d'atteintes aux personnes.

- le taux de réponse pénale [1] est passé de 87 à 92 % depuis 1 an.

C'est vrai. Et ça ne fait que suivre l'évolution constatée depuis plusieurs années.
On apprend en effet dans l'annuaire statistique de la justice 2007 que ce taux a progressé pour les mineurs de 77, 1 % en 2001 à 85, 5 % en 2005.
Précisons que dans le même temps le taux de réponse pénale général (majeurs et mineurs confondus) est passé de 67, 3 à 77,9 %.

- la délinquance des mineurs a diminué depuis 1 an, parce que dès la première infraction il y a une réponse.

En valeur absolue, le nombre d'affaires poursuivables impliquant des mineurs a augmenté entre 2001 et 2006, passant de 139 579 à 148 592.
Mais dans le même temps, la part des mineurs dans la délinquance n'a cessé de diminuer, passant de 10,5 % en 2001 à 9,7 % en 2006, comme on l'apprend dans le passionnant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs.
Que les plus matheux d'entre vous me corrigent si je me trompe, mais cela signifie me semble-t-il que la délinquance des mineurs, et ce depuis plusieurs années, progresse moins vite que la délinquance des majeurs.

Si on rajoute une autre variable, celle de la part d'affaires poursuivables dans le nombre d'affaires traitées chaque année par les parquets, qui ne fait que croître (26, 9 % en 2001, 30,2 % en 2005) notamment grâce à un meilleur taux d'élucidation, on a le sentiment que la délinquance n'augmentait pas tant que ça, notamment celle des mineurs.

Encore faut-il définir ce que l'on entend par "réponse". Là encore, le très fouillé rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs démontre qu'aucune évaluation qualitative de l'effet de cette réponse n'est actuellement possible. La réponse ne peut pas simplement consister à passer devant le juge et attendre 2 mois que la mesure éducative décidée soit mise en place. Mais c'est un autre débat...

- les mineurs qui sont dans les CEF ne sont pas des enfants comme on peut les imaginer dans l'inconscient des uns et des autres mais ont pour la plupart commis des actes de nature criminelle

D'après les chiffres de l'édifiant rapport de l'Assemblée Nationale sur l'exécution des décisions pénales concernant les mineurs, 722 mineurs ont été pris en charge dans des CEF en 2006. La même année, 729 mineurs ont été incarcérés.
Sachant que ce sont environ 500 mineurs qui sont chaque année condamnés pour crime en France (529 en 2005), que ceux poursuivis pour les crimes les plus graves sont incarcérés et que bon nombre de ceux qui restent ne font pas l'objet d'un placement en CEF , peut on raisonnablement soutenir que la majorité des mineurs placés en CEF le sont à la suite d'actes criminels ?
Non. Cela contredit par ailleurs complètement mon expérience de terrain : parmi tous les mineurs que je suis qui ont eu à séjourner dans un CEF, aucun n'avait commis de faits criminels. La grande majorité sont en réalité des multiréitérants de délits du type extorsion, vol avec violences, violences aggravées, trafic de stupéfiants etc...
Il y a dans les CEF des mineurs poursuivis pour des actes criminels. Ce ne sont pas "la plupart" des mineurs placés dans ces établissements.

- la plupart des mineurs pris en charge dans les CEF sont alcooliques depuis l'âge de 8 ans ou 11 ans

Bon ben là, je ne sais pas quoi dire, les bras m'en sont tombés (il faut dire qu'ils ne tenaient déjà plus très bien après tout ça)...
De nombreux mineurs (et pas que des délinquants) ont des consommations abusives d'alcool et de toxiques. Le rapport de la Défenseure des Enfants "Adolescents en souffrance : plaidoyer pour une véritable prise en charge" fait ainsi état des statistiques suivantes : 22 % des 15-16 ans consomment du cannabis une fois par mois ; à 15 ans un jeune sur trois déclare avoir déjà été ivre ; 28 % des 15-19 ans disent avoir été ivres quatre fois dans l'année ; 30 à 40 % des premières relations sexuelles ont lieu sous alcoolisation.

Là encore, je ne peux faire état que de mon expérience personnelle (cela dit, des mineurs délinquants, je pense que j'en ai croisé plus que la Ministre), mais si effectivement de nombreux mineurs placés en CEF ont des consommations d'alcool et de toxiques, parler d'alcoolisme dès 8 ou 11 ans pour la plupart d'entre eux me paraît une généralisation pour le moins surprenante.

En cette saison du bac, c'était mon commentaire composé de la parole ministérielle.
Sujet de philo de l'année prochaine : "Peut-on croire n'importe qui ou dire n'importe quoi ?"

Merci Bernard (de l'Eure).

Notes

[1] rapport entre le nombre d'affaires effectivement poursuivies ou faisant l'objet d'une alternative aux poursuites et celui des affaires poursuivables, c'est à dire des infractions pénales caractérisées dont l'auteur a été identifié

Nouveau prix Busiris à Rachida Dati

S'il fallait un récidiviste du prix Busiris, ça ne pouvait être qu'elle : madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, reçoit ce jour un deuxième prix Burisis, qui lui aurait échappé l'Académie n'eût-elle été particulièrement vigilante. Rachida Dati, cachant avec difficulté sa fierté pour sa deuxième récompense.

Après plusieurs jours de débats bien arrosés acharnés, l'Académie lui décerne ce deuxième prix pour avoir tenu, sur l'intranet du ministère de la justice, donc inaccessible au public, EDIT : lors de la réception des intervenants du procès Fourniret les propos suivants :

« La loi sur les peines planchers a déjà été appliquée : 9250 décisions ont été rendues par les tribunaux, c'est la preuve que cette loi était nécessaire et attendue ».

Rappelons que le principe posé par cette loi est qu'en cas de récidive, une peine plancher (de un à quatre ans pour les délits selon leur gravité) s'applique automatiquement et s'impose au juge, sauf à ce qu'il motive, c'est à dire explique, sa décision de ne pas y recourir, cette motivation ne pouvant selon la loi que porter sur les circonstances de l'infraction, la personnalité de son auteur ou les garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. En cas de deuxième récidive, le juge ne peut écarter l'application des peines plancher que si le prévenu présente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion, garanties qu'il doit expliciter dans son jugement (art. 131-19-1 du code pénal).

Tout d'abord, le caractère juridiquement aberrant saute aux yeux : le fait qu'une loi prévoyant une peine automatique et s'imposant au juge est appliquée n'est pas la preuve que celle-ci était « nécessaire et attendue » : c'est au mieux la preuve… qu'elle est automatique et s'impose au juge. Ce d'autant qu'avant la loi sur les peines plancher, aucun obstacle juridique n'empêchait les juges de prononcer des peines égales voire supérieures à ce plancher.

Voyons à présent le caractère contradictoire et la mauvaise foi.

D'après l'annuaire statistique de la justice, chaque année, c'est un peu plus de 50.000 délits qui sont jugées en état de récidive[1]. C'est à dire que la récidive est mentionnée dans la citation en justice du prévenu, ou que le juge décide au cours des débats de relever cet état s'il n'était pas mentionné dans la citation (ce qui arrive fréquemment, l'extrait de casier judiciaire n'étant généralement commandé qu'au moment de la comparution devant le tribunal). Ce chiffre de 50.000 ne tient donc pas compte des prévenus en état de récidive pour lesquels cette circonstance aggravante n'a pas été mentionnée.

La loi sur les peines planchers est en vigueur depuis 10 mois. Au prorata temporis, c'est environ 42.000 décisions portant sur des délits commis en état de récidive qui ont dû être jugés (c'est sûrement plus, les mois de juillet et août connaissant une baisse d'activité, seules les comparutions immédiates et les procédures urgentes ou soumises à délai étant jugées). Sur ces 42.000 affaires, 9.250 ont vu l'application de la loi sur les peines plancher, soit de l'ordre de 22%.

Donc la loi sur les peines plancher, voulue automatique et s'imposant au juge, ne s'applique que dans à peine 20% des cas où elle est censée l'être. Bref, écarter la peine plancher est devenu le principe, et l'appliquer l'exception (état de fait confirmé par mes impressions de prétoire, Fantômette ayant également ce sentiment, mais nous reconnaissons le caractère non scientifique de l'Eolassomètre® et du Pifafantômètre™). Faire de ce qui devrait être un constat d'échec un bilan triomphal démontrant que la loi était « nécessaire et attendue » est contradictoire et caractéristique de la mauvaise foi.

Enfin, faire ce bilan volontairement triomphal d'une année de son, heu… activité, appelons ça comme cela, à la Chancellerie au mépris de la réalité des faits, alors même qu'elle semble perdre le soutien de son seul et unique protecteur, le président de la République, caractérise le mobile d'opportunité politique dit de “danse du ventre”.

Ajoutons à cela la circonstance aggravante de récidive, qui, on ne cesse de nous le répéter, doit faire l'objet d'un traitement sans faiblesse, et voici un prix qui, décidément, a trouvé en la personne du garde des sceaux une deuxième famille.

L'Académie présente toutes ses félicitations à la récipiendaire.

Notes

[1] Je ne tiens pas compte des crimes commis en état de récidive, la loi ne s'applique qu'aux crimes commis à partir du 12 août 2007, et les délais de procédure font qu'aucun de ces crimes n'a été jugé à ce jour.

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