Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 7 juillet 2008

lundi 7 juillet 2008

Entrer, rester ou partir

J'écoutais ce dimanche, comme chaque dimanche, l'Esprit Public, sur France Culture. Pour la dernière émission de la saison, l'orage que l'on sentait monter entre Max Gallo et Jean-Louis Bourlanges a enfin éclaté, avec l'aspect rafraîchissant des pluies d'été, mais aussi cet aspect aussi violent qu'éphémère, sur le premier thème de l'émission, à la suite de l'affirmation audacieuse du second que Charles de Gaulle était un exemple de l'antimilitarisme de droite dont on feint ces jours-ci de redécouvrir l'existence. Le biographe du Général a pris la mouche et a eu un mot malheureux pour qualifier cette affirmation, qui a donné lieu en réplique à une superbe démonstration d'artillerie de la part de Jean-Louis Bourlanges qui laissera le pauvre Max sonné. Un moment savoureux, à la 15e minute et 59e seconde du fichier Real Audio®.

C'est la deuxième partie de l'émission qui a particulièrement retenu mon attention, puisqu'elle traitait de la question de l'immigration.

Au cours de son intervention, Yves Michaud, philosophe, directeur de l'Université de Tous Les Savoirs, a exposé ce qui serait selon lui un paradoxe :

Las, las ! Cette affirmation, dans un débat au demeurant de qualité, est comme une verrue sur le nez d'une belle. Il gâche un peu l'ensemble.

Cela illustre surtout la méconnaissance du droit des étrangers, droit ô combien complexe il est vrai (notamment un des rares à cheval sur les deux ordres de juridiction) qui fait que même des esprits d'honnêtes hommes (au sens humaniste) qui se penchent sur la question n'arrivent pas à y retrouver leurs petits. Il faut dire que sa complexité se double d'une dose infinie d'hypocrisie qui ferait rougir de honte Tartuffe. Le petitesse a tendance à égarer les grands esprits.

Voici donc un rapide vade mecum des fondamentaux, comme on dit dans le noble art du rugby, du droit des étrangers, pour savoir de quoi on parle.

Prolégomène : n'oubliez jamais que le droit est la science des exceptions. Chaque principe a les siennes… sauf exceptions, naturellement.

ENTRER

Tout étranger (les ressortissants de l'UE ne sont plus vraiment des étrangers et bénéficient de règles spécifiques ; disons qu'en gros, ils vont où ils veulent et restent le temps qu'ils veulent. Oui, sauf exceptions, naturellement) désirant entrer en France doit être muni d'un certain nombre de documents, dont le défaut entraînera son refoulement à la frontière. Ces documents sont, essentiellement : un document de voyage (en principe un passeport, par exception une carte d'identité ou un document assimilé : carte de réfugié ou d'apatride, par exemple), le cas échéant revêtu d'un visa (j'y reviens), les justificatifs des raisons de son séjour (travail, tourisme), la preuve qu'il dispose des moyens de subvenir à ses besoins, y compris son retour dans son pays d'origine, et d'une assurance prenant en charge ses éventuelles dépenses de santé.

Le visa est une autorisation préalable délivré par l'État (par son consul, en fait) d'entrer sur son sol. On en distingue deux types (pour simplifier) : le court séjour, trois mois au plus, et long séjour, plus de trois mois avec vocation à rester. Le visa court séjour est encadré au niveau européen par les accords de Schengen (y compris la liste des pays dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa, fixé par un règlement européen, le règlement (CE) n°539/2001 du 15 mars 2001 modifié), qui unifient les règles de délivrance et la validité dans tout l'espace Schengen (prenez les 27 pays de l'UE, vous ôtez le Royaume-Uni et l'Irlande, mettez de côté Chypre, la Roumanie et la Bulgarie qui en font partie mais attendent des jours meilleurs pour appliquer les accord, et vous ajoutez la Norvège, l'Islande, la Suisse et le Lichtenstein, ces deux derniers pays devant appliquer les accords en novembre prochain). Le visa long séjour reste de la compétence de chaque État selon ses règles propres.

Je laisse de côté la question des demandeurs d'asile, qui ont un droit au séjour pendant la durée de l'examen de leur demande s'ils se présentent à la frontière (Convention de Genève de 1951) : la politique de la France consiste donc, depuis des décennies, à empêcher les demandeurs d'asile d'atteindre sa frontière, et pour ceux qui l'atteignent, à faire semblant d'examiner leur demande en 48 heures pour la rejeter avant de les réexpédier à leur point de départ, dans des conditions qui ont valu à la France une condamnation par la cour européenne des droits de l'homme en avril 2007 (la loi Hortefeux de novembre 2007 a tenté de remédier à cette situation).

Le refus d'entrée sur le territoire est une décision prise par la police aux frontières. Elle impose à la compagnie de transport qui a amené l'étranger de le reconduire à ses frais au point de départ : cet éloignement s'appelle un réacheminement. En attendant, l'étranger est placé en zone d'attente, les fameuses ZAPI de Roissy. L'hôtel Ibis dont parle Yves Michaud était la ZAPI 1, aujourd'hui fermée. Il ne s'agit pas d'un centre de rétention, et les étrangers qui s'y trouvent ne sont pas en situation irrégulière puisque juridiquement ils ne sont jamais entrés sur le territoire. Il s'y trouve aussi bien des demandeurs d'asile que des touristes ou des scientifiques venus faire une conférence mais qui ont une sale tête.

RESTER

Le visa vaut autorisation de séjour pour la durée de sa validité. Un étranger qui souhaite rester en France au-delà de son visa doit demander un titre de séjour (TS) à la préfecture du département où il établit son domicile.

Il existe deux types de titre de séjour, les formels et les informels (la classification est de votre serviteur). Ce que j'appelle les informels sont des titres précaires, à très courte durée, délivrée par la préfecture quand elle n'a pas le choix mais n'a pas encore décidé de délivrer un titre de séjour formel : ce sont les Autorisations Provisoires de Séjour (APS) et les Récépissés. Une APS régularise temporairement la situation d'un étranger mais n'engage pas la préfecture. C'est classiquement le cas d'un étranger qui a obtenu l'annulation d'une décision d'éloignement sans avoir établi qu'il bénéficiait d'un droit au séjour. Le juge ordonne à la préfecture de réexaminer le dossier et dans l'intervalle, de régulariser l'étranger pour ne pas le laisser dans l'illgéalité parce que les préfectures sont engorgées. Le récépissé, lui, implique que le préfet a décidé de délivrer le titre de séjour, mais n'a pas eu le temps de fabrication du titre (qui est sécurisé comme nos cartes d'identité). Il vaut régularisation, et donne les mêmes droits que le titre qui va être délivré.

Les titres formels, car prévus par la loi, sont la carte de séjour, valable un an, et la carte de résident, valable dix ans, qui succède généralement à plusieurs années de carte de séjour. Pour les algériens, on parle de certificat de résidence d'un an ou de dix ans.

Les préfets sont en principe libres de délivrer ou de refuser de délivrer un titre de séjour. Cette politique se règle d'abord au niveau d'instructions du Gouvernement, mais aussi au niveau de la loi qui prévoit des cas où le préfet « peut » délivrer une carte. Soyons clairs, la politique actuelle est : quand le préfet « peut » délivrer, il faut lire qu'il « peut aussi ne pas » délivrer et appliquer cette interprétation.

Cependant, la France a, dans un moment d'égarement, signé des textes internationaux, supérieurs donc à la loi française, qui lui imposent de respecter les droits de l'Homme. Or, les étrangers sont des Hommes.

Il y a donc des cas où l'étranger a un droit au séjour, où le préfet ne peut légalement lui refuser son titre de séjour. Ces cas sont à l'article L.313-11 du Code de l'Entrée et de Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA). Certains sont objectifs. Citons le cas de l'étranger marié à un Français (mais pas à un étranger en situation régulière…), parent d'un enfant français, ou devenu majeur et qui a vécu en France depuis l'âge de treize ans (les mineurs sont dispensés de titre de séjour, ils ne peuvent être en situation irrégulière, ils dépendent de la situation de leurs parents). D'autres sont plus subjectifs, c'est-à-dire laissent une part d'appréciation à l'administration, appréciation qui peut être contestée devant le juge. C'est le cas du 7° de l'article L.313-11[1], qui est l'arme principale des avocats en droit des étrangers.

Se maintenir en France sans avoir un des titres le permettant (visa en cours de validité, ou plus de trois mois pour les étrangers dispensés de visa ; titre de séjour ; APS ou Récépissé) est, contrairement donc à ce qu'affirme Yves Michaud, un délit, prévu et réprimé par l'article L.621-1 du CESEDA :

L'étranger qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa sera puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros.

La juridiction pourra, en outre, interdire à l'étranger condamné, pendant une durée qui ne peut excéder trois ans, de pénétrer ou de séjourner en France. L'interdiction du territoire emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de la peine d'emprisonnement.

C'est ce que ne manquent jamais de rappeler les braves gens pour qui « la loi est la loi », sauf quand on est assistante sociale violant le secret professionnel, puisque le droit est la science des exceptions, n'est-ce pas ?

Ce délit n'est à ma connaissance jamais poursuivi seul en tant que tel. Il relève du gadget législatif (et d'alibi légaliste à la xénophobie, mais passons). En effet, la plupart des petits délits, tels que le vol (puni de 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende ; vous voyez que le séjour irrégulier, puni d'un an de prison est dans le délit microscopique), ne peuvent être assortis d'une peine d'interdiction du territoire. Donc, quand le prévenu d'un vol est de nationalité étrangère et en situation irrégulière, le parquet ajoutera la prévention de séjour irrégulier uniquement pour permettre le prononcé de l'interdiction du territoire (qui sera parfois la seule peine prononcée). C'est ce qu'on appelle abusivement « la double peine» et dont l'ancien ministre de l'intérieur a réussi à faire croire à la suppression. J'en ris encore.

C'est le premier aspect gadget, l'aspect astucieux. Le deuxième aspect gadget, qui est le plus hypocrite, sera décrit dans notre troisième volet.

PARTIR

L'étranger a vocation à partir à l'expiration de son visa ou quand les conditions de délivrance de son titre ont disparu (exemples : le conjoint est décédé, où l'époux étranger, s'il est algérien, ne supportait plus de recevoir des coups). Au besoin, l'administration peut employer la force pour cela. C'est ce qu'on appelle de manière générale l'éloignement forcé.

Pour éloigner un étranger, il faut pour cela un titre, un ordre d'une autorité administrative ou judiciaire, définitif, c'est à dire qui n'est plus suceptible de recours ou pour lesquels les recours ont été exercés en vain.

La peine d'interdiction du territoire est un titre permettant l'éloignement forcé. Comme toute peine d'interdiction, elle peut faire l'objet d'une requête en demandant la levée (art. 702-1 du code de procédure pénale). C'est le seul titre judiciaire.

Les autres titres sont administratifs. Il s'agit d'un arrêté d'expulsion si l'étranger présente un risque de trouble à l'ordre public (Fichu secret professionnel ; j'en aurais à vous raconter, des scandales de l'expulsion), d'une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) pris avec un refus de délivrance ou de renouvellement d'un titre, ou d'un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière (APRF).

Je vais m'attarder sur ce dernier car c'est là que notre hypocrite gadget est mis à contribution.

Nous sommes dans l'hypothèse où l'étranger est contrôlé dans la rue ou dénoncé par une assistante sociale. La police contrôle son identité, constate qu'il n'est pas muni d'un titre autorisant son séjour, et aussitôt, le place en garde à vue pour 24 heures. Le parquet est aussitôt informé de l'arrestation de ce dangereux délinquant et décidera aussitôt de ne rien faire. Oui, rien. Les parquets ont mieux à faire que poursuivre des étrangers en situation irrégulière. Par exemple, s'occuper de ce qu'ils considèrent à raison comme de vrais délinquants.

Mais alors, notre étranger, que lui arrive-t-il ? Il reste en garde à vue. Car aussitôt, la préfecture est informée de l'arrestation de cet étranger. Et en moins de 24 heures (même les dimanches et fêtes), le préfet prendra un arrêté de reconduite à la frontière, assorti d'un arrêté de placement en Centre de Rétention Administrative (CRA). Aussitôt cet arrêté notifié à l'étranger, le parquet classera sans suite le dossier de séjour irrégulier.

Bref, le délit de séjour irrégulier ne sert que de prétexte pour garder à vue l'étranger le temps que le préfet prenne ses arrêtés. À aucun moment, le parquet n'a l'intention de poursuivre cet étranger.

L'arrêté de placement en CRA vaut pour 48 heures, au-delà desquelles le maintien doit être ordonné par un juge judiciaire : ce sont les audiences 35bis dont je vous ai parlé récemment. L'arrêté de reconduite peut aussi être attaqué devant le tribunal administratif, mais dans un délai de 48 heures, recours qui doit être jugé dans les 72 heures, par un juge unique, sans commissaire du gouvernement rapporteur public. Je ne connais pas de contentieux qui nécessite une telle vivacité d'esprit et une pareille connaissance du contentieux administratif général et des règles spécifiques du droit des étrangers : la procédure est orale et vous pouvez soulever à l'audience tous les moyens que vous voulez (la jurisprudence administrative a assoupli au maximum cette procédure enfermée dans des carcans de délais très stricts). J'ai déjà connu l'attente angoissante dans la salle des pas perdus du fax qui doit m'apporter la preuve dont j'ai besoin pour obtenir l'annulation, le président du tribunal ayant fait passer devant les autres dossiers pour me donner le plus de temps possible. Les personnels des tribunaux administratifs et les juges eux-même méritent un hommage pour les facilités données à la défense dans un contentieux où la loi l'a voulue la plus impuissante possible. L'audience d'Eduardo était une audience sur la légalité d'un tel arrêté (ses parents étaient libres, c'était le temps révolu des APRF par voie postale).

L'erreur d'Yves Michaud est donc bien excusable : comment peut-on deviner que le séjour irrégulier est un délit quand il n'est pas traité comme un délit ?

Enfin, à quelque chose malheur est bon : cela m'aura permis de poser les bases nécessaires pour me lancer enfin dans mon explication de la directive « retour », qualifiée par mon ami Hugo Chávez de « directive de la honte » ce qui en soi devrait déjà suffire à la plupart de mes lecteurs pour deviner qu'il n'en est rien.

Notes

[1] [La carte de séjour d'un an est délivrée de droit] à l'étranger (…) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus(…).

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